We’re never gonna know which words to say ✻✻✻ C'était le sourire aux lèvres que je sortis du cabinet médical. Mr. Miller avait été dur à convaincre, mais il avait fini par me laisser une chance malgré ma jeunesse et mon manque d'expérience et il m'avait embauchée pour un mi-temps. Je mentirais si je disais que c'était ce que je cherchais, mais je ne pouvais pas me plaindre. J'avais lu un nombre incroyable de témoignages qui expliquaient la difficulté de trouver un travail en Australie et moi j'en avais trouvé un en quelques jours. Je pouvais sans doute dire merci à mon diplôme de médecine d'urgence en plus de mon diplôme de médecin généraliste, sans oublier ma capacité à parler parfaitement anglais. En tout cas, je pouvais maintenant me détendre et profiter de la reste de la semaine pour visiter la ville sans stress. J'hésitai pendant quelques secondes sur la direction à prendre, puis tournai soudainement vers la droite, marchant avec entrain. Je ne savais pas vers où j'allais, mais ça n'avait plus d'importance. Je n'avais plus de rendez-vous à prendre et mon frère devait être en train de visiter sa nouvelle caserne. A cette pensée, je sortis mon portable et regardai si j'avais reçu un message : rien. Vu l'heure, il avait déjà dû parler à son chef et devait faire le tour du bâtiment. J'espérais qu'il ne commencerait pas avant la semaine prochaine, je voulais profiter de mon nouveau temps libre avec lui. J'avais tellement hâte de lui annoncer la nouvelle, de fêter ça avec lui. Je regardai de nouveau l'heure sur mon portable. Je grimaçai en voyant qu'à peine cinq minutes étaient passées. Je ne pourrais jamais tenir jusqu'au soir à cette allure. J'avais l'habitude de vagabonder toute seule dans une ville, mais pas quand j'avais des choses à dire à mon frère. J'avais pris cette mauvaise habitude de lui envoyer un message dès que ça arrivait pour qu'on se retrouve, sachant très bien quand il était disponible. Sauf que là, je ne connaissais absolument pas son emploi du temps et c'était d'autant plus frustrant. Et si j'allais l'attendre à la caserne ? Il pourrait me raconter sa journée et on rentrerait ensemble à l'appartement. Cette idée me plaisait bien, alors, voyant un arrêt de bus à quelques mètres de moi, je me dirigeai droit sur lui et allai scruter la carte affichée sur les panneaux en plastique. Si je me souvenais bien du plan qu'on avait regardé hier, j'avais une bonne demi-heure de marche à faire, ce qui lui laisserait largement assez de temps pour régler les derniers détails avec son chef, s'il n'avait pas déjà fini. Je me mis aussitôt en route, sortant des écouteurs de la poche de ma veste. Je les branchai sur mon portable, fis une rapide recherche et mis rapidement ma playlist spéciale parkour. Ce n'était peut-être pas la meilleure idée vu comment je dus me forcer à bien garder les deux pieds sur le trottoir, mais c'était tellement énergisant. A tel point que je ne me rendis pas compte du temps passé à marcher. Je levai bientôt la tête pour voir un grand bâtiment abritant plusieurs camions de pompier. Je retirai un de mes écouteurs et m'avançai doucement à l'intérieur d'un garage, laissant les souvenirs de mon ancien engagement m'envahir. J'avais été tellement occupée à essayer d'avoir mes diplômes que j'en avais presque oublié l'adrénaline que cette vision me procurait. J'avançai une main vers le véhicule et frôlai doucement l'acier froid. « Bonjour, je peux vous aider ? » Je sursautai à la voix et me levai vivement les yeux. Un pompier était assis sur le toit du camion, faisant sans doute des vérifications avant la prochaine alerte. « Je… Je voulais savoir si vous engagiez des pompiers volontaires ? » Bon d'accord, ce n'était pas du tout ça que je voulais, mais je n'avais pas pu m'en empêcher. De revenir dans une caserne, dans le cœur des interventions dangereuses, ça m'avait redonné envie de continuer ma formation. Peut-être que j'aurais dû en parler à Thom d'abord, mais j'aurais le temps de faire ça tout à l'heure. Je n'avais rien signé après tout, juste posé une simple question. « Il faudrait voir avec le chef. Attendez… » Il regarda derrière lui et sembla chercher quelqu'un du regard. « Eh, Dylan ? Tu veux bien montrer le bureau du lieutenant à la demoiselle ? » Mon cœur loupa un battement. Dylan ? J'avais bien entendu le prénom ? Sans doute que oui, mais ça ne voulait rien dire, c'était même sûrement un homme qu'il venait d'appeler. Et puis, même si je savais qu'elle était venue en Australie, elle avait peut-être bougé depuis. Sans oublier qu'elle faisait des études de médecine, comme moi, pas de pompier. Pourtant, ce simple prénom avait réussi à me perturber et j'eus du mal à me remettre en marche. Je fis doucement le tour du camion et regardai avec hésitation l'arrière du bâtiment. « Dylan… C'est bien toi ? »
We’re never gonna know which words to say ✻✻✻ Une journée comme une autre à la caserne. Enfin, comme une autre plus ou moins, si on prend en compte que Sawyer n’est pas prête de revenir puisqu’en convalescence, et que notre putain de lieutenant m’a dans le collimateur. Ajouté à ça que je ne suis pas du tout d’humeur ces derniers temps, je vous explique un peu le cocktail explosif. Heureusement, il y a Jackson. « Valmont, tu descends faire le tour des camions vérifier que tout est ok. » « Bien chef. Et je laisse la nouvelle recrue ? » Je parle de Thom, qui vient tout juste de mettre les pieds dans le coin. « Hemingway s’en occupera. » J’arque un sourcil en regardant Jackson qui n’est pas malheureux de cette nouvelle puisque de toute évidence, Thom lui plait beaucoup. Il va falloir que j’aille me renseigner un peu de ce qu’il se passe dans sa petite tête. Je quitte donc la salle de repos, laissant ma veste dans le coin. Il fait bien assez chaud ici pour me trimballer avec mon uniforme au complet. Alors je garde seulement le pantalon, un peu grand, mais qui tient avec des bretelles, et en dessous mon débardeur blanc. On ne peut pas dire que ce soit la tenue la plus sexy qui soit, mais après tout, je n’ai plus personne à draguer maintenant que Sawyer n’est plus là, et qu’en plus elle ne se souvient même plus de moi. Je traîne un peu les pieds. J’adore mon boulot, mais principalement lorsqu’il y a de l’action. Quand on s’ennuie comme ça et que le lieutenant cherche à nous faire faire des trucs pour nous occuper, c’est pas la joie. Enfin, parfois je le fais avec Jackson et là c’est un peu plus agréable.
Me voilà donc partie à faire le tour des camions, vérifier que les tuyaux sont bien enroulés, que les machineries bien nettoyées. Je fais le listing des équipements pour être sûre qu’il y a tout, et ce pour tous les camions. Au bout de près d’une heure, j’entends une voix qui m’appelle. « Eh, Dylan ? Tu veux bien montrer le bureau du lieutenant à la demoiselle ? » Je saute du camion et claque la portière avant de me frotter les mains. Une bonne chose de faite. « Ouais bien sûr ! » Je contourne le camion pour finalement apercevoir la jeune femme en question. Instinctivement, je fronce les sourcils. Elle ressemble beaucoup à Eden, mais après tout, c’était il y a six ans, elle a dû changer. Ou peut-être pas. « Dylan… C'est bien toi ? » Mon coeur s’accélère et je dégage une de mes mèches de cheveux qui cachait une partie de mon visage. « Eden ? » Je m’avance encore un peu, à pas de loup, mon regard ancré dans le sien. Bien sûr que c’est elle, je reconnaîtrait son regard entre mille. Je me mords la lèvre inférieure et tente un petit sourire, mélange entre l’excitation des retrouvailles et gros doute quant à la réaction qu’elle pourrait bien avoir face à moi. Thom m’a dit qu’elle avait très mal vécu notre rupture, et je le comprends, il faut dire que j’étais tellement mal à cette période que j’ai eu du mal à faire face à tout ça, à elle, à nous. Aujourd’hui, je suis passée à autre chose, mais est-ce la même pour elle ?
Je m’arrête près d’elle, à une cinquantaine de centimètres, avec l’envie de la prendre dans mes bras, mais le doute, une fois encore, et la peur qu’elle me repousse. « Tu as suivi Thom ? C’est complètement dingue de te voir ici ! » Je tends quand même la main pour la poser sur son bras et serrer doucement dans un geste affectif, mais tout de même distant. « Comment tu vas ? Tu n’as pas changé… » C’est étrange ce que ces retrouvailles font naître en moi. Je ne saurai comment l’expliquer, mais même si j’ai changé, il y a toujours cette petite part en moi qui restera attachée à elle, à tout jamais.
We’re never gonna know which words to say ✻✻✻ Je vis la jeune femme décaler une mèche pour laisser apparaître son visage et je croisai alors son regard. Il n'y avait plus aucun doute à présent. Sa façon d'avancer, de me fixer, de froncer les sourcils face au doute, il n'y avait qu'une seule personne pour réagir ainsi. Elle avait peut-être légèrement changé physiquement, je pourrais reconnaître entre mille ses expressions, ses mimiques. Je n'étais juste plus sûre de pouvoir les interpréter, pas après sept ans de silence. Ce pincement de lèvres, que voulait-il dire ? Qu'elle était contente de me voir malgré la situation ou plutôt embarrassée ? Peut-être simplement surprise, j'étais censée être en France après tout. Je ne bougeai pas, j'en étais incapable. Je n'étais pas sûre de ce que je ferais si je faisais un pas en avant, sans doute fuir la conversation qui allait venir. Je l'observai s'approcher de moi, tout doucement, pleine d'hésitations. Je savais que j'aurais dû réagir, que j'aurais dû parler, mais je ne savais pas ce que je ressentais. Entre la peur, l'excitation, la douleur, les souvenirs brumeux de l'après rupture, la colère, la nostalgie, la rancune, je ne savais pas quoi choisir.
Ce n'était qu'au contact de sa main sur mon bras que je me tendis. Sans que je ne puisse le contrôler, je fis un pas en arrière et croisai les bras contre ma poitrine, comme pour me protéger. Je remarquai mon attitude la seconde qui suivit et baissai le regard, honteuse, avant de me racler la gorge. « Ça va, je me remets doucement du décalage horaire. Je ne suis là que depuis quelques jours. » Je posai de nouveau les yeux sur elle et l'observai minutieusement. Si j'avais été trop surprise par sa présence, je pouvais maintenant remarquer la combinaison de pompier qu'elle portait. C'était étrange de la voir habiller ainsi. Ça lui allait bien, mais je ne l'avais jamais imaginée comme ça. Je fronçai les sourcils, comprenant de moins en moins ce qui m'arrivait. « Qu'est-ce que tu fais là ? Et tes études de médecine ? Tu as abandonné ? » Je sentis mes mains se serrer sur mes bras, mes épaules se contracter. Je me forçai à les dénouer et enfonçai mes mains dans mes poches, mes doigts s'accrochant au petit porte-clé que j'avais rangé là avant mon départ.
Une multitude de questions commença à naître dans mon esprit, mais je n'eus pas le temps d'en garder une que la sonnerie de mon portable me fit sursauter. Je détachai mon regard de la brune et attrapai celui-ci de ma main gauche, la droite refermée autour du camion en métal. Je tapai maladroitement mon code et lus rapidement le message reçu. « Thom... », dis-je en le verrouillant de nouveau. Et soudain, ça me frappa. Plus de peur, plus de nostalgie, juste une pointe de colère qui prenait le dessus. Il n'y avait plus aucune hésitation dans ma voix, elle était claire et nette, même si j'essayais de faire en sorte de ne pas montrer mon énervement. « J'ai suivi Thom, qu'est-ce que tu veux dire par là ? Tu savais qu'il était ici ? Tu l'as vu ? Ou tu le savais avant qu'on arrive ici ? » Était-ce possible ? Aurait-il été capable de me faire ça ? Il savait pourtant à quel point la rupture m'avait fait mal. Enfin, il ne savait peut-être pas tout, mais il m'avait vue sombrer et il avait dû se battre pour que je m'en sorte. A quoi pensait-il ? Je m'en étais remise, mais qu'est-ce qui lui faisait croire que je n'allais pas retomber ? Je retournai rapidement dans mes messages pour relire le message de mon frère. Rien, il n'avait absolument rien dit sur elle. Il me prévenait juste qu'il était en route pour l'appartement.
We’re never gonna know which words to say ✻✻✻ A l’instant où ma main trouve son bras, elle se recule, s’extirpe de mon contact et je laisse retomber mon bras le long de mon corps. Mon coeur se serre un peu plus et mes mâchoires en font de même. Très bien. Le ton est lancé, et elle ne m’a toujours pas pardonné. C’était il y a 7 ans pourtant… La voilà qui fuit mon regard, alors que de mon côté, je laisse échapper un mince soupir. J’aurais imaginé qu’après tant d’années il y ait prescription sur ce genre de chose. Je sais que je l’ai blessée, mais de là à m’en vouloir encore après tant d’années ? Réellement ? « Ça va, je me remets doucement du décalage horaire. Je ne suis là que depuis quelques jours. » Je me contente de hocher un peu la tête, enfouissant mes mains dans mes poches nerveusement. Son regard croise à nouveau le mien et mon regard oscille entre ses yeux bleus, et puis dérivent sur son visage, celui que j’ai pris si souvent entre mes mains pour le caresser, avant d’en embrasser chaque recoin. J’ai été amoureuse d’Eden, amoureuse comme on aime pour la première fois, un amour de jeunesse. J’aime différemment Sawyer, mais je pense que toutes les histoires ne se ressemblent pas et que l’amour qu’on porte aux gens ne peut être égal. si je prends exemple de Jackson et Thom, ils sont tous les deux mes meilleurs amis, et je les aime de manière différente pourtant.
Le regard d’Eden me décripte, glisse sur moi et un frisson me parcourt sans même que je ne comprenne vraiment pourquoi. Un silence s’installe et je me racle un peu la gorge, mal à l’aise. « Qu'est-ce que tu fais là ? Et tes études de médecine ? Tu as abandonné ? » Je secoue un peu la tête. « Non, j’ai terminé mon master et je me suis dirigée vers les pompiers sans trop savoir pourquoi. Je me sentais pas vraiment à ma place dans un hôpital… » Je hausse à nouveau les épaules, pas vraiment certaine que mes explications l’importent vraiment, mais après tout pourquoi pas. Le téléphone d’Eden se met soudainement à sonner et je la laisse le prendre en main alors que mon regard se détache d’elle pour flirter avec le sol. Mon pied joue avec un petit gravier sous ma botte que je fais rouler comme pour faire passer le temps et la gêne. « Thom... » Je relève un peu la tête alors que la jeune femme reprend la parole, étrangement plus assurée, et emplie d’un nouveau sentiment. « J'ai suivi Thom, qu'est-ce que tu veux dire par là ? Tu savais qu'il était ici ? Tu l'as vu ? Ou tu le savais avant qu'on arrive ici ? » Je suis surprise par son changement de ton, et par le français qu’elle utilise soudainement. Elle qui paraissait si apeurée, perdue il y a encore quelques secondes, elle semble vouloir me faire payer quelque chose, ou j’en sais rien. Je fronce un peu les sourcils, surprise par son élan de colère, et je me sens légèrement agressée. « Hey, du calme Eden… » Je souffle un peu et détache ma queue de cheval pour la refaire, mes mains tremblant nerveusement par la gêne qu’elle crée en moi. « Je savais pas qu’il débarquait ici, il m’a appelée hier pour me dire qu’il était en Australie, et on s’est rendus compte qu’on était dans la même ville. Il savait pas que j’habitais ici avant hier ! » Je croise finalement les bras sur ma poitrine comme une sorte de protection. « Il va travailler ici, avec moi. Alors si ça te pose problème, je pense qu’il faudrait déjà que je ne t’emmène pas dans le bureau de mon chef. Ça éviterait les dégâts… » Ma voix est un peu plus sèche, je me suis sentie agressée, et c’est mon seul moyen de défense pour le moment. Je passe nerveusement mes mains sur mon visage avant de soupirer. « Ecoute, c’est ridicule de s’envoyer chier comme ça. C’était y’a sept ans et je… » « VALMONT ! » Je sursaute en entendant la voix de mon chef. « On a dit les conquêtes, pas au boulot ! » Je lève les yeux au ciel en soupirant d’exaspération. « Rien à voir, la demoiselle voulait des renseignements sur le métier ! » « Très bien alors prends ta pause et allez discuter ailleurs ! » Je lève une main l’air de dire ‘très bien’ mais de manière un peu provocatrice. J’ouvre la portière du camion près de nous et récupère un paquet de cigarettes dans la boîte à gants. « Tu veux qu’on aille marcher un peu ? » Je tire du paquet une cigarette et le tends vers elle pour lui en proposer une. J’avais arrêté pendant quelques mois, mais depuis que Sawyer est sortie amnésique de son coma, j’ai pas eu trop le choix que de reprendre.
We’re never gonna know which words to say ✻✻✻ « Hey, du calme Eden… » Je la fixai, sans doute aussi surprise qu'elle. Je ne m'étais pas rendue compte que j'avais parlé français. Ce n'était que lorsqu'elle m'avait répondu de la même façon que j'avais compris mon erreur. Elle avait un petit accent, comme si ce n'était pas sa langue maternelle à elle aussi. C'était perturbant, mais pas déplaisant. Je tapotai nerveusement mon index contre mon portable, ne sachant plus comment réagir. « Je savais pas qu’il débarquait ici, il m’a appelée hier pour me dire qu’il était en Australie, et on s’est rendus compte qu’on était dans la même ville. Il savait pas que j’habitais ici avant hier ! » Même si elle me disait sans doute la vérité, je n'arrivais pas à croire qu'ils étaient toujours en contact. Pourquoi m'avait-elle complètement rayée de sa vie, sans me laisser une seule chance de savoir si elle allait mieux, mais continuait de parler avec mon frère ? Qu'avais-je pu lui faire pour qu'elle me traite de cette façon ? Et pourquoi je continuais à ressasser le passé ? C'était tellement frustrant de me rappeler de tout ça, de me reposer les mêmes questions qu'à l'époque et même plus. « Il va travailler ici, avec moi. Alors si ça te pose problème, je pense qu’il faudrait déjà que je ne t’emmène pas dans le bureau de mon chef. Ça éviterait les dégâts… » Je pouvais oublier la Dylan sympa, celle qui semblait être heureuse de me revoir, mais ce n'était peut-être pas plus mal. Elle avait même sans doute raison, je ferais mieux de repartir dès maintenant et ne plus jamais remettre les pieds dans cette caserne. Je rangeai mon portable dans la poche arrière de mon jeans et remis ma main dans ma poche. Je ne voyais pas ce que je pouvais lui répondre. Je n'avais aucune envie de faire semblant avec elle et encore moins de lui raconter toute ma vie depuis sa disparition. Elle n'avait pas besoin de connaître mes démons. Et elle semblait apparemment croire que sept ans suffisaient amplement à les détruire, mais j'avais à présent la preuve que non.
Je regardai derrière la jeune femme lorsque j'entendis son nom de famille et vit un homme plus vieux nous observer de loin. Vu son allure, il devait être son supérieur et cela voulait peut-être dire que j'allais pouvoir m'échapper. « On a dit les conquêtes, pas au boulot ! » On ne pouvait pas vraiment dire ça, ancienne conquête serait plus exacte et encore. Je serrai la mâchoire et la regardai répondre à la limite du respect. Et sinon, ce serait bien de ne pas me considérer comme une inconnue… Je pensais avoir plus de valeurs à ses yeux que ça. Peut-être que ces années de silence auraient dû continuer un peu plus longtemps, ça ne m'aurait pas déranger vu comment ça se passait maintenant. Sauf que là, j'étais bloquée avec elle qui venait d'avoir l'autorisation de prendre sa pause pour m'expliquer le métier. Comme si j'avais besoin de ses explications, je connaissais déjà tout le discours, pas besoin d'elle pour ça. Je soufflai avant de refuser sa proposition de cigarettes. J'avais failli lui dire oui, mais je savais que ce n'était pas une bonne idée, surtout vu mon état actuel. Je n'avais pas dépensé une somme monstre dans une psy pour recommencer avec mes mauvaises habitudes. Je la suivis à l'extérieur, sans un mot.
Ne sachant pas trop jusqu'où elle comptait aller, je finis par prendre les devants et escalader un mur m'arrivant au niveau des côtes pour m'asseoir dessus. Je me penchai en avant et craquai mes doigts en soufflant de nouveau. « Je suis désolée, c'est juste que je ne m'attendais pas à te croiser ici. J'aurais peut-être dû vu que je savais que tu étais revenue en Australie, mais je n'y ai pas vraiment repensé. » Si je devais être honnête, j'aurais précisé que je ne pensais pas la voir dans cette ville précise, mais je ne lui devais absolument rien. « Je sais que t'y peux rien, tu ne pouvais pas vraiment me prévenir. C'est Thom qui a fait le con ! Il ne m'a rien dit et, du coup, je me retrouve, enfin, on se retrouve dans une situation bizarre. » Je crispai ma mâchoire avant de passer une main dans ma nuque. Ma colère avait redescendu d'un cran avec l'intervention du chef et notre retour à l'extérieur, mais ce n'était pas encore ça. Je remontai une de mes jambes pour poser le pied près de moi et entourai le genoux de mes bras, la tête posée dessus. « Je n'ai aucune idée de ce qu'il va se passer maintenant, mais j'aimerais vraiment m'engager à la caserne. Ce ne serait que pour quelques jours dans la semaine et je serais avec l'équipe médicale, donc on ne se croisera peut-être pas. Mais si c'est le cas, autant qu'on en parle, non ? Je n'ai pas envie de louper ça à cause de notre passé. » Cette fois-ci, j'avais recommencé à parler anglais, en faisant l'effort d'imiter son accent australien. C'était une méthode comme une autre pour me concentrer et ainsi me poser un peu plus.
We’re never gonna know which words to say ✻✻✻ Je me fais encore rappeler à l’ordre par le lieutenant Callaghan. Ce n’est pas la première fois, et ce n’est pas la dernière. Il commence à me connaître maintenant, et s’il m’a dans le collimateur, c’est simplement parce que je lui en ai fait voir des vertes et des pas mure après l’accident de Sawyer quand il est venu la remplacer. Je ne l’aime pas, je préférais quand c’était elle. Mais qu’importe, j’ai bien d’autres chats à fouetter aujourd’hui, entre le retour de Thom et maintenant celui d’Eden. En même temps, j’aurai pu m’en douter, l’un ne va pas sans l’autre. Je viens porter la cigarette à mes lèvres et alors qu’Eden refuse ma proposition, j’enfouis le paquet dans ma poche et nous quittons la caserne pour aller nous poser un peu plus loin, sur un petit muret à peine ombragé par les feuilles d’un arbre. Elle escalade et s’assied sur le mur alors que je me contente de rester contre celui-ci, mes coudes en appui et mon regard qui se perd vers l’horizon. « Je suis désolée, c'est juste que je ne m'attendais pas à te croiser ici. J'aurais peut-être dû vu que je savais que tu étais revenue en Australie, mais je n'y ai pas vraiment repensé. » Je me contente de hocher un peu la tête. Je comprends que ça ait pu être un choc pour elle, ça l’est pour moi. Elle pense peut-être que si je l’ai quittée il y a sept ans c’était parce que je ne l’aimais pas plus que ça, mais elle se trompe. Je l’ai fait pour elle, parce que je savais que de toute manière une relation à distance était vouée à l’échec, et je n’avais pas la tête à me focaliser sur une relation alors que je venais de perdre l’être le plus cher que j’avais sur cette Terre. « Je sais que t'y peux rien, tu ne pouvais pas vraiment me prévenir. C'est Thom qui a fait le con ! Il ne m'a rien dit et, du coup, je me retrouve, enfin, on se retrouve dans une situation bizarre. »« Ouais… » Je tire sur ma cigarette et me focalise sur la fumée qui sorte de mes lèvres, emportée par la petite brise. Je finis ma cigarette assez rapidement et jette le mégot un peu plus loin après l’avoir éteint, et je me hisse pour m’asseoir à ses côtés. Ma main vient frôler la sienne encore posée sur le muret mais je la retire immédiatement. Elle change légèrement de position et le silence qui s’est installé n’est pas très agréable, je dois bien l’avouer. Il me met mal à l’aise. Je prends une inspiration pour dire quelque chose mais elle me devance, et c’est tant mieux, j’avais rien d’intelligent à dire. « Je n'ai aucune idée de ce qu'il va se passer maintenant, mais j'aimerais vraiment m'engager à la caserne. Ce ne serait que pour quelques jours dans la semaine et je serais avec l'équipe médicale, donc on ne se croisera peut-être pas. Mais si c'est le cas, autant qu'on en parle, non ? Je n'ai pas envie de louper ça à cause de notre passé. » La revoilà qui parle anglais. Je crois que je préfère. J’aime bien son accent, j’avais le même en arrivant, mais plus prononcé que le sien. Et puis, ça m’évite de penser à tout ce qu’on a pu vivre à Paris. Ici, on n’est plus à paris. On n’est plus 8 ans plus tôt, on n’est plus des enfants. « Tu as raison, ce serait idiot de passer à côté de quelque chose qui te plait juste parce que je suis là… » Je croise mes pieds et les balance légèrement tout en gardant les yeux rivés dessus, pour éviter de regarder Eden. « Je crois que je te dois quand même des explications… » Mes mâchoires se serrent un peu sous la nervosité de l’instant et je tourne la tête pour la regarder, une seconde, avant de fuir à nouveau son regard et reprendre la parole. « Déjà, je suis désolée. Je sais que je t’ai fait beaucoup de mal, et ne crois pas que c’était de gaieté de coeur. J’ai pesé le pour et le contre pendant plusieurs semaines, mais une relation à distance, c’était voué à l’échec. C’est pas comme vivre à un bout à l’autre de la France, là c’est l’autre bout du monde. On aurait pas tenu sans se voir, j’aurai pas pu… » Je secoue un peu la tête alors que ma gorge se serre en repensant à ce moment où j’ai dû lui dire que tout était fini. « Et à côté j’avais la douleur lancinante de la perte de ma mère, j’avais juste l’impression que je pourrai plus jamais aimer personne, que ça avait brisé quelque chose en moi. Et ça a été le cas. » Je viens défaire ma queue de cheval et passer mes mains dans mes cheveux avant de soupirer un peu. « Je suis désolée pour tout ça Eden. » Cette fois, je l’ai dit en français, comme pour clôturer le mal, clôturer notre histoire une bonne fois pour toute. Enfin, j’imagine.
We’re never gonna know which words to say ✻✻✻ La savoir à côté de moi, sentir sa main sur la mienne, être aussi proche d'elle, c'était étrange. J'avais l'impression de revenir des années en arrière, mais le sentiment n'était plus le même. Je n'étais pas à l'aise, je ne me sentais vraiment pas bien. Il y avait de la colère, mais pas que. Je sentais que toutes mes émotions revenaient petit à petit et j'avais beau essayer de les refouler, rien n'y faisait, elles allaient refaire surface. Pourquoi sa simple présence me chamboulait-elle autant ? Où était passé mon caractère joyeux et impulsif, celui qui se moquait de tout ? Quand je l'avais connue, j'étais pourtant du genre à enchaîner les défis sans penser aux conséquences, alors pourquoi me torturer l'esprit maintenant ? « Tu as raison, ce serait idiot de passer à côté de quelque chose qui te plaît juste parce que je suis là… » Sauf que même en l'écoutant, j'avais du mal à croire que j'y arriverais. Je ne voyais pas comment je pourrais me concentrer sur mon travail si je devais sans cesse me demander si elle allait intervenir, sans parler de toutes les questions que je n'avais jamais pu lui poser. « Je crois que je te dois quand même des explications… » Je sentis mon cœur se serrer en croisant son regard. Très vite, elle détourna son attention, mais je restai les yeux fixés sur son visage. Était-ce le moment tant attendu ? Est-ce que j'allais enfin pouvoir passer à autre chose après avoir entendu ses explications ? Ses mots glissèrent vers moi, m'entourèrent, essayèrent de m'atteindre lentement mais sûrement. Pourtant, la douleur ne se calma pas, la rancune se diminua pas. J'avais tellement imaginé ce moment, les mots qu'elle aurait pu me dire pour essayer de me faire comprendre son geste. Ses paroles en faisaient souvent parti, mais j'en attendais plus, toujours plus. Je savais tout ça, elle me l'avait déjà dit le jour même de notre rupture. Et si elle n'avait pas mis de mot sur son état, j'avais eu de longues semaines pour m'en rendre compte par moi-même et rester impuissante. Alors, pourquoi étais-je aussi frustrée ? Qu'est-ce que je voulais de plus ?
Je la vis défaire sa queue de cheval, comme à chaque fois qu'elle était nerveuse. Je la revoyais encore attacher et détacher ses cheveux dès qu'elle avait un doute lors des examens. C'était systématique. Ça avait toujours eu le don de me faire sourire, mais pas aujourd'hui. « Je suis désolée pour tout ça Eden. » Les yeux ancrés dans les siens, je ne sus quoi lui répondre. Je la sentais sincère, mais, malgré toute l'envie du monde, ça ne me suffisait pas. Pas après toutes ces années, pas après tout ce que j'avais vécu. Elle avait peut-être réussi à faire son deuil toute seule, m'oubliant au passage, mais elle ne savait pas ce qu'elle avait provoqué sur son passage. Si au moins elle avait fait semblant de ne plus m'aimer, de me quitter violemment pour que je lui en veuille. Mais non, il avait fallu qu'elle me laisse seule, sans autre explication que son départ, sans jamais savoir si elle allait mieux. « Pourquoi ce silence ? » J'avais voulu garder ma voix nette, assurée, mais elle avait fini par s'enrouer à force de refouler toutes mes pensées. Je ne savais pas si elle allait comprendre ce que je lui demandais. J'avais également peur de ce qu'elle pouvait me répondre, mais j'étais fatiguée de fuir cette histoire. Je passai une main dans mes cheveux, emprisonnant quelques mèches rebelles et les gardant en place, le coude posé sur mon genoux. Je pris le temps d'observer le ciel derrière elle avant de reposer mes yeux sur elle. « Tout ce que tu viens de dire, je le sais déjà. Je sais très bien que c'était dur pour toi, que tu n'étais pas bien du tout. Je voulais être là pour toi, mais tu n'as pas voulu. Tu voulais être seule et je peux le comprendre. Mais ce silence après ton départ, pourquoi ? » Ma voix tremblait sur la fin. Je n'essayai pas de me reprendre, cela ne servirait à rien. Je ne voyais plus l'intérêt de lui cacher ce que j'avais pu ressentir, ce que je ressentais encore en cet instant. J'inspirai profondément avant de reprendre. « Est-ce que tu sais ce que ça m'a fait ? Réellement ? Tu allais tellement mal. Tu étais brisée, tu le dis toi-même, et tu disparais dans la nature sans jamais me faire savoir si tu étais toujours en vie. Tu sais tout ce que j'ai pu m'imaginer ? J'ai attendu… Des jours, des semaines, mais aucune nouvelle. Je ne savais pas où tu étais, je ne savais pas comment tu allais. Je ne savais rien et ça me tuait. Je ne te demandais pas grand-chose… Juste une carte, comme avant... » Je détachai enfin mon regard, le laissant dériver vers le sol ensoleillé. Ma vision était floue, mais je n'avais pas la force de venir essuyer les larmes qui menaçaient de tomber. Je ne voulais pas rendre ce moment réel, pas encore. Je lâchai mes cheveux, laissai retomber ma jambe et posai mes mains sous mes cuisses, la nuque baissée, mal-à-l'aise.
We’re never gonna know which words to say ✻✻✻ Je ne peux pas dire que sa présence m’est indifférente, que ces retrouvailles ne me font rien. Non. Je ne suis pas sans coeur, et Eden a été mon premier amour, alors c’est avec difficulté que je trouve la force de lui dire à quel point je suis désolée. Je sais que ça ne changera rien à ces sept années, mais je me dois de le faire, pour ma conscience en premier lieu, et aussi pour peut-être la soulager d’un poids. Peut-être. Je n’arrive pas à la regarder le temps de ma tirade, parce que les mots peinent à franchir mes lèvres. Je n’ai jamais été très douée pour exprimer mes sentiments. Les montrer c’est autre chose, je suis une jeune femme entière, et ça a toujours été. Mais la formulation n’est par mon point fort, de toute évidence. Je m’excuse une dernière fois, dans notre langue natale, comme pour appuyer un peu plus mes propos. Cette fois, j’ose la regarder, le regard brumeux, les mains légèrement tremblantes et le coeur emballé. Je prends sur moi. Je sens son regard osciller entre mes deux yeux, comme si elle réfléchissait à quoi répondre à ça. « Pourquoi ce silence ? » La fin du dernier mot est mangé par l’émotion, comme grignoté par cette boule qu’elle doit ressentir elle aussi au fond de sa gorge.
Son regard fuit le mien alors qu’elle bouge légèrement, changeant de position. Mon regard quant à lui reste figé, absorbé par les traits de son visage que j’avais presque oublié, je m’en sens honteuse. Nos yeux se trouvent à nouveau et c’est là qu’elle reprend, dans notre langue d’adoption cette fois. « Tout ce que tu viens de dire, je le sais déjà. Je sais très bien que c'était dur pour toi, que tu n'étais pas bien du tout. Je voulais être là pour toi, mais tu n'as pas voulu. Tu voulais être seule et je peux le comprendre. Mais ce silence après ton départ, pourquoi ? » Je vais pour inspirer et lui répondre, mais je ne sais pas quoi lui répondre. Alors je referme ma bouche, soupirant d’exaspération face à mon manque de conviction. « Est-ce que tu sais ce que ça m'a fait ? Réellement ? Tu allais tellement mal. Tu étais brisée, tu le dis toi-même, et tu disparais dans la nature sans jamais me faire savoir si tu étais toujours en vie. Tu sais tout ce que j'ai pu m'imaginer ? J'ai attendu… Des jours, des semaines, mais aucune nouvelle. Je ne savais pas où tu étais, je ne savais pas comment tu allais. Je ne savais rien et ça me tuait. Je ne te demandais pas grand-chose… Juste une carte, comme avant... » Nos regards se fuient finalement et le mien flirte avec le sol un instant, le coeur battant la chamade. Je crois que je prends enfin conscience. Je savais, j’ai u dans ses yeux le jour où je lui ai dit que tout ai fini, j’ai vu que je lui faisais mal, que je la brisais, différemment de moi, mais que j’étais en train de briser une partie d’elle, de nous. Mais je ne m’étais pas rendue compte à ce point. « J’ai… » Je dois me racler un peu la gorge pour éclaircir ma voix. « J’ai coupé les ponts avec tout le monde. » Je soupire un peu et me passe une main dans les cheveux, me mordant l’intérieur de la joue sous la nervosité du moment. « C’était comme couper le cordon, démarrer une nouvelle vie, ailleurs, sans elle, sans personne. Juste mon père, et encore… » Mes mains se serrent un peu plus sur le béton que constitue le petit mur sur lequel nous sommes assises et je sens même les grains irriter mes doigts, mes articulations blanchir. « Je voulais pas te donner l’espoir de quoi que ce soit, l’espoir que je reviendrai, pour une quelconque raison. Je voulais juste que tu m’oublies, et c’est tout ce que j’ai trouvé pour que ce soit le cas. Je m’y suis certainement mal prise, mais à ce moment là c’est ce que je pensais être le mieux pour toi comme pour moi. » Un silence s’installe et je descends de la murette pour me dégourdir les jambes, je ne sais pas rester en place, ça, ça n’a pas changé. Je sors à nouveau une cigarette du paquet qui se trouvait dans ma poche. ‘fumer comme un pompier’, en voilà une expression… « Toujours pas ? » Je lui tends à nouveau le paquet, retrouvant finalement son regard embrumé, sûrement autant que le mien.
We’re never gonna know which words to say ✻✻✻Un silence s'immisça entre nous, me laissant juste avec l'écho de mes paroles qui se répercutaient dans mon esprit. Pour la première fois depuis son départ, je venais d'avouer ce que j'avais pu ressentir, je m'étais ouverte sans garder une seule barrière pour me protéger. Je n'avais même pas osé en parler clairement à mon frère, le laissant deviner mon état d'esprit et me consoler sans jamais me confier. Là, je montrais à Dylan mon côté fragile, celui avec lequel elle pourrait de nouveau me briser en milles morceaux si elle le souhaitait. Mais, surtout, je laissais enfin ressortir cette fragilité, cette petite bombe intérieure qui m'avait consumée pendant tant d'années. J'avais toujours eu peur de la montrer au monde extérieur, de la laisser exploser et, maintenant qu'elle était à l'air libre, l'attente était interminable. « J’ai… » Instinctivement, je fermai les yeux, je replaçai une barrière entre nous. Je ne pouvais pas lui faire face, je ne pouvais même pas faire face à son ombre sur le sol. Sa voix n'était pas naturelle, elle n'était pas claire et nette comme dans mes souvenirs. Je venais de poser la bombe entre nous et, dans quelques secondes, elle allait exploser sans que je ne puisse l'arrêter. Qu'avais-je fait ? Pourquoi n'avais-je pas tout gardé pour moi, pourquoi avait-il fallu que je me laisse aller ? « J’ai coupé les ponts avec tout le monde. » Je sentis mes muscles se crisper et serrai un peu plus mes paupières, comme si ça allait m'aider à m'évaporer. Je n'avais plus envie de l'entendre, je n'avais pas envie de connaître ses raisons. J'avais enfin dit ce que j'avais sur le cœur, mais je ne voulais pas essayer de la comprendre, je voulais juste laisser tout ça loin derrière moi et ne plus y repenser. Sauf que je ne pouvais pas. Elle m'avait écoutée et je me devais de faire la même chose. « C’était comme couper le cordon, démarrer une nouvelle vie, ailleurs, sans elle, sans personne. Juste mon père, et encore… » Je rouvris les paupières, me reconnectant avec la lumière du jour, et regardai une de mes larmes tomber lentement avant de s'écraser son mon jeans. Elle avait même rejeté son père, alors, cela voulait dire que… Je n'y pouvais rien, je n'étais pas responsable, pas vraiment. Je laissai mon regard dériver sur le côté jusqu'à apercevoir une de ses mains contractée sur le mur. « Je voulais pas te donner l’espoir de quoi que ce soit, l’espoir que je reviendrai, pour une quelconque raison. Je voulais juste que tu m’oublies, et c’est tout ce que j’ai trouvé pour que ce soit le cas. Je m’y suis certainement mal prise, mais à ce moment là c’est ce que je pensais être le mieux pour toi comme pour moi. » Je ne répondis rien, restant le regard fixé sur sa main.
Je ne savais plus quoi penser de tout ça, je me sentais vide. J'avais toujours cru que je sentirais un immense soulagement, mais je ne ressentais rien de précis. Tous les mots prononcés depuis nos retrouvailles se répétaient dans mes pensées, sans ordre logique, sans me laisser le temps de me poser pour vraiment réaliser ce qu'il venait de se passer. Je me sentais tellement perdue. « Toujours pas ? » Je tournai la tête, les sourcils froncés par l'incompréhension, avant de comprendre qu'elle était de retour sur le trottoir, son paquet de cigarettes tendu vers moi. Je n'hésitai pas longtemps cette fois-ci, acceptant l'offre avec un faible sourire. Je libérai mes mains, attrapai une cigarette que je calai entre mon index et mon majeur avant de pousser légèrement sur mes bras pour me mettre debout près de la brune. Je me rapprochai un peu plus d'elle, posant le filtre de la cigarette sur mes lèvres et l'invitant à l'allumer en même temps que la sienne. Si mon regard était encore un peu flou, je pouvais parfaitement distinguer ses traits. C'était exactement comme avant, la proximité, l'incapacité à regarder autre chose que ses yeux, la tension au creux du ventre. Sauf peut-être la tension en elle-même. Elle était plus difficile à cerner, à expliquer. Ce n'était pas du désir, l'envie de séduire, ou alors tout ça était mélangé avec des émotions plus indistincts. Ses pupilles brillèrent quelques instants sous la lumière de la flamme, puis, alors qu'elles redevenaient normales, je m'éloignai de quelques pas pour remettre une distance correcte entre nous deux et aspirai une bouffée. « Merci. » Je lui fis un nouveau petit sourire avant de regarder autour de moi. Cette conversation m'avait épuisée et j'avais bien envie de repartir, mais je ne me sentais pas de me séparer d'elle comme ça. J'avais besoin de partir sur un bon sentiment, de ne pas être une nouvelle grenade d'émotions en retournant voir mon frère. Je vis une camionnette sortir du garage, sans alarme, avec juste deux pompiers à l'avant. « Ça te plaît ? D'être ici plutôt qu'à l'hôpital ? Tu ne regrettes pas ton choix ? » Je savais que je faisais un changement brusque dans notre conversation, mais je ne pouvais pas continuer sur notre passé, j'avais besoin de temps pour tout assimiler. De revenir sur le présent, sur sa nouvelle vie, cela pouvait peut-être m'aider à passer à autre chose, à lui pardonner. De voir qu'elle était heureuse ne pouvait être que bénéfique, cela voudrait dire qu'elle avait fait le bon choix pour elle, même si ça avait été dur pour moi. Je pris une plus longue bouffée, retins la fumée un petit temps, avant de tout relâcher dans une longue expiration. C'était sensation de calme que cela me procurait m'avait manquée. Je fis quelques pas vers la caserne avant de me tourner vers Dylan. « Tu me fais visiter ? »
We’re never gonna know which words to say ✻✻✻ Ce n’est pas un moment facile, et j’avoue que je ne m’attendais pas à ça aujourd’hui. Si j’avais su en me levant ce matin que je reverrai Eden, que j’aurai cette discussion avec elle, je crois bien que je ne me serai pas levée, prétextant une grippe carabinée ou un truc du genre. Si j’ai un fort caractère, je suis du genre petite joueuse quand il s’agit de mettre des mots sur mes sentiments, sur mes erreurs passées. Je me suis toujours dit que le passé était passé, et point barre. Mais non, il y a encore des choses qui remontent à la surface, surtout quand on s’y attend le moins. Mais je ne peux pas m’échapper. Il ne le faut pas. Eden a le droit de savoir, elle a le droit à mes explications, celles que je ne lui ai données qu’à moitié lorsque je l’ai quittée il y a sept ans. C’était déjà dur à l’époque, mais ça l’est encore aujourd’hui, malgré les années passées. Je sens que cette rupture lui a fait beaucoup de mal, et qu’elle en est encore affectée aujourd’hui. Alors forcément, ça me blesse, par son intermédiaire. Je ne suis pas une jeune femme sans coeur, surtout quand il s’agit des gens que j’aime, ou que j’ai pu aimer. Et j’ai aimé Eden. Vraiment. Elle est et sera toujours mon premier amour, et ne dit-on pas que celui-ci a une importance particulière ?
Un silence s’installe une fois ma tirade terminée, et malgré la boule dans ma gorge, je trouve que je ne m’en suis pas si mal tiré que ça. Ça aurait pu être pire. Je ne pleure pas facilement devant les gens, même si elle m’a déjà vu pleurer quelques fois, j’estime qu’aujourd’hui, je n’en avais pas le droit. C’est à elle que j’ai fait mal, et non l’inverse. Alors ce n’est pas justifié. C’est bien pour ça que je ravale mes larmes du mieux que je peux. Je finis par descendre du petit muret, parce que rester immobile c’est loin d’être ce qui me correspond le mieux. Je lui demande une nouvelle fois si elle veut une cigarette et c’est là que son regard croise enfin le mien. Elle attrape une cigarette du bout des doigts et me rejoins finalement sur la terre ferme, le temps que je range le paquet dans ma poche. J’allume alors le briquet et Eden s’approche un peu plus, de manière à ce que la flamme puisse allumer nos deux cigarettes en même temps. C’est quelque chose que je n’ai plus refait avec personne d’autre. C’était notre truc, à nous, rien qu’à nous. alors pendant que la flamme laisse illuminer nos yeux, je plonge mon regard dans le sien, sentant mon coeur s’emballer un peu plus. La retrouver ici est vraiment quelque chose d’étrange, et sans m’en rendre compte, j’en ai même oublié Sawyer l’espace d’un instant. Pourtant, depuis que j’ai rencontré la lieutenant, je ne pense qu’à elle, sans arrêt. Je mange Sawyer, je dors Sawyer, je vis Sawyer. Et là, maintenant, aujourd’hui, face à cette petite blondinette qui a marqué ma vie il y a de ça sept ans, je ne pense plus à la jolie brune qui a fait chavirer mon coeur il y a quelques mois. Tout se chamboule dans mon esprit. Je finis par lâcher mon doigt du briquet et la flamme s’éteint, comme la notre s’est éteinte, brusquement. Tout aussi brusquement qu’elle s’écarte d’un pas ou deux pour reprendre ses distances. « Merci. » Je me contente de hocher la tête dans un espèce de micro sourire, sincère mais trop peiné pour qu’il soit plus étiré. Je tire sur ma cigarette pour sentir cette sensation agréable qui passe par ma trachée et arrive à mes poumons. Puis la fumée s’échappe doucement d’entre mes lèvres. « Ça te plaît ? D'être ici plutôt qu'à l'hôpital ? Tu ne regrettes pas ton choix ? » Mon regard se pose à nouveau sur Eden à l’instant où elle prend la parole. Je secoue un peu la tête à la négative, recrachant la fumée de ma cigarette avant de lui répondre. « Non, je regrette pas. C’est pas un métier facile, mais ça me ressemble plus qu’être médecin. Ou alors ça aurait été genre médecin sans frontière ou un truc comme ça…. » Je hausse les épaules de manière un peu nonchalante. « Je savais pas trop pourquoi je voulais être médecin, et aujourd’hui je sais pourquoi je suis pompier ! » Je lui adresse un nouveau sourire, cette fois un peu plus large que le précédent. Je suis épuisée par notre conversation, mais peut-être un peu soulagée aussi d’avoir pu lui dire tout ça. La tension est encore là, bien qu’un peu plus faible. « Tu me fais visiter ? » Je suis contente de voir sa capacité à aller de l’avant. Je hoche alors la tête, et jette ma cigarette qui est déjà presque terminée, dans la poubelle à l’entrée après avoir pris soin de l’écraser sur le rebord avant. « Bien sûr, viens. » Je lui fais signe de me suivre et nous avançons un peu. « Tu as déjà fait ça ? J’veux dire, pompier volontaire… tu es formée ou tu cherches une formation ? » Je la regarde, le coeur un peu plus léger de pouvoir lui parler sans cette pression sur mes épaules. Nous continuons d’avancer et montons finalement dans la salle de repos où je croise Jackson qui court à l’inverse. « La tornade là, c’est Jackson, mon meilleur ami. tu risques d’en entendre parler, je crois bien que le courant est bien passé avec Thom ! » Je lui souris une nouvelle fois et nous nous retrouvons finalement seules dans la salle de repos. « Le bureau du lieutenant est juste là au bout du couloir, je t’y emmène ? ». Je ne sais pas exactement si j’ai envie de passer plus de temps avec elle. Forcément il y a une partie de moi qui en a envie, mais l’autre me crie de rester éloignée d’elle pour ne pas qu’elle souffre plus encore. Je ne sais pas bien si elle a encore des sentiments pour moi, mais ce n’est pas le moment de lui demander, ce serait inapproprié.
We’re never gonna know which words to say ✻✻✻Les mots dits, je me sentais légèrement mieux. Je n'arrivais pas à distinguer clairement ce que je ressentais pour elle à présent, mais je n'avais plus autant de colère en moi. Je ne ressentais plus cette pression qui me bloquait la respiration, qui m'empêchait de vivre sereinement. Surtout, je pouvais enfin lui poser une question sur sa vie de tous les jours sans avoir l'impression de ne le faire que par politesse. Il y avait une raison plus subtile à mon soudain intérêt, mais il n'était pas nécessaire de le lui préciser. Elle pouvait juste le voir comme je le lui présentais, une ancienne amie qui prend de ses nouvelles après de longues années loin l'une de l'autre. On oubliait toutes nos histoires, tous nos souvenirs les plus intenses, gardant peut-être juste en tête qu'on était capables de rire et d'illuminer notre journée grâce à quelques instants ensemble. Il n'était pas certain qu'on y arrive parfaitement après tout ça, mais qui ne tente rien n'a rien, alors autant essayer. « Non, je regrette pas. C’est pas un métier facile, mais ça me ressemble plus qu’être médecin. Ou alors ça aurait été genre médecin sans frontière ou un truc comme ça… Je savais pas trop pourquoi je voulais être médecin, et aujourd’hui je sais pourquoi je suis pompier ! » Je vis son sourire s'agrandir et je ne pus m'empêcher de faire de même. De la voir aussi déterminée, aussi à l'aise avec ses choix, ça me rassurait. Avec Thom, je les avais toujours vu plus distraits que les autres étudiants, cherchant toujours à bouger d'une façon ou d'une autre. J'aimais également me défouler quand je le pouvais, mais j'avais une meilleure capacité pour me poser et je devais toujours les rappeler à l'ordre lors de nos séances de révisions. « Je n'ai jamais pu t'imaginer derrière un bureau. Tu n'aurais pas tenu plus d'un mois ! Je pensais que tu allais viser la chirurgie, peut-être même les urgences, mais ça te va bien. » Je parlais autant de l'état d'esprit des pompiers que de la tenue, même si je ne pourrais pas le lui avouer à voix haute. Et, plutôt que de continuer sur cette pente dangereuse, je me détournai pour me rapprocher de nouveau de la caserne. Je lui proposai rapidement de me faire visiter, en parti pour me faire une idée de l'ambiance, mais aussi pour mettre un point final à leur sensible conversation. Dylan ne fut pas longue à me répondre positivement et je suivis ses gestes, prenant une dernière bouffée de ma cigarette avant de l'éteindre prudemment contre le mur et de la jeter. « Tu as déjà fait ça ? J’veux dire, pompier volontaire… tu es formée ou tu cherches une formation ? » Je la regardai avec surprise, ne comprenant pas comment elle pouvait me poser ces questions, avant de me rappeler qu'elle ne savait absolument rien de ma vie depuis sa disparition. Si elle avait eu des nouvelles de Thom, celui-ci n'avait pas pris la peine de la prévenir de ma présence, il n'avait donc pas dû lui parler des changements dans ma vie. Je pris le temps d'observer l'organisation dans le garage avant de la suivre dans un escalier. « J'ai déjà fait une formation, notre fac avait un partenariat avec les sapeur-pompiers du quartier. Je ne sais pas si tu t'en souviens, mais on nous en avait parlé pendant le week-end d'intégration. Quand les formateurs en ont reparlé en début de quatrième année, j'ai décidé de tenter. Mais du côté des médecins du coup ! » J'avais retrouvé mon enthousiasme de toujours. Je l'oubliais parfois, mais cette formation m'avait vraiment fait du bien et j'avais envie de retrouver cette sensation. Alors que j'allais continuer tout droit, je la vis avancer dans une pièce sur le côté et je la suivis, curieuse. Un jeune homme sortit en courant à l'instant même où je mettais le pied dans une salle qui ressemblait à leur salle de pause. Je n'y fis pas plus attention que cela, c'était habituel dans une caserne, mais je le regrettais immédiatement lorsque j'entendis l'explication de Dylan. Je venais de rater l'occasion d'observer un potentiel amant de mon frère. « Bien passé pour Thom ou pour… Jackson, c'est ça ? Qu'il ne vienne pas briser le cœur de mon frère, sinon je t'en tiens pour responsable, compris ? » J'essayai de rester sérieuse en la menaçant, mais mes yeux rieurs me trahissaient sans doute un peu trop. « Le bureau du lieutenant est juste là au bout du couloir, je t’y emmène ? » Ce ne fut qu'à ce moment-là que je remarquai la tranquillité qui nous entourait. Tous les autres pompiers avaient apparemment un travail important à faire, les laissant seules dans la pièce. « Je… » Quoi répondre ? J'étais incapable de savoir si je voulais aller jusqu'au bout et je ne voulais pas voir le lieutenant avec cet état d'esprit. Je ne voulais pas détruire toutes mes chances à cause d'une rencontre au mauvais moment. En même temps, si je n'y allais pas, que devais-je faire ? « Je crois que je reviendrai un autre jour. Je voulais surtout savoir si c'était possible, mais faut que j'en parle avec Thom avant. Je ne veux pas lui imposer ma présence. » Comme s'il allait me dire non. On faisait une excellente équipe et Dylan devait s'en douter. J'espérais juste qu'elle n'allait pas le relever et me laisser tranquille avec cette explication. Je voulais juste un peu de temps afin d'être certaine de pouvoir la voir sans être trop perturbée, contrairement à maintenant. « Je ferais peut-être bien de le rejoindre. Il aurait des choses à me raconter apparemment. » Je lui fis un sourire malicieux en repensant à sa remarque quelques minutes plus tôt. « Merci, pour tout. » J'insistai un peu plus sur les derniers mots, reconnaissante d'avoir eu mes réponses. Légèrement hésitante, je finis par me rapprocher d'elle et vins lui déposer un doux baiser sur la joue, nos mains se frôlant. Puis, je me détournai et sortis de la salle, sans jamais me retourner. Je descendis rapidement l'escalier, me dirigeai vers la sortie et accélérai légèrement pour retrouver la vie australienne. Arrivée au bout de la rue, je relâchai ma respiration, toute émue.