Bordel, il n’y avait que lui pour se retrouver dans des situations pareilles. Kyeran jeta un coup d’œil derrière et comme il s’y attendait, ses amis suivaient sa progression avec un immense sourire aux lèvres. Pourquoi avait-il fallu qu’il accepte ce défi stupide ? La réponse résidait dans les trois verres qu’il avait descendu et ce sentiment d’invincibilité qui l’avait habité.  Il pouvait entendre jusqu’ici le ricanement de ses compagnons qui ne louperaient rien du spectacle, persuadés qu’il se prendrait une veste monumentale. Une femme assise seule au bar attendait deux choses : soit que les plus téméraires viennent à sa rencontre ou bien son rendez-vous de la soirée. Sinon, il y a la petite poignée qui était seule et tenait à le rester. Il aurait dû y réfléchir avant de se prendre pour le tombeur de ses dames. Quand faut y aller, ce qui est fait n’est plus à refaire, signé Kyeran Lloyd le philosophe.

« Bonsoir» lança-t-il d’une voix basse et séductrice, celle-là même qui rendait Janis si accro à lui, ou peut-être pas. « Que fait une jolie femme assise seule dans un bar ? »

Eh bien, elle jouait au hockey, quelle question. Il eut envie de rire devant sa propre stupidité, mais cela avait l’air de plutôt bien fonctionner dans les films. Le pire ? C’était qu’il n’avait même pas vu à quoi elle ressemblait donc, il ignorait si le terme ‘jolie’ était approprié même si toutes les femmes sont belles et que…

« Oh bordel »

Cela lui avait échappé lorsque la jeune femme avait tourné le visage dans direction. Belle gueule, trop familière à son goût et il avait l’impression que le ridicule était encore plus important puisqu’il la connaissait, plus ou moins.

« C’est bizarre… et gênant »

Il l’avait pris pour sa mère jadis et maintenant il voulait la mettre dans son lit, le mythe d’Œdipe avait eu une drôle d’évolution avec les années.

« Quoi, tu veux dire qu’elle t’a fait aucun effet, même pas un petit peu ? »

Il prit un air quelque peu choqué qui s’effaça bien vite pour laisser la place à un sourire. Quelle entrée en matière pour le moins ridicule, il était tout à fait d’accord sur ce point. Il n’avait pas eu le temps de travailler le sujet, aller interroger google son meilleur ami depuis que Kyle avait décidé que leur amitié n’irait pas plus loin.

« C’est bien dommage, en moins de deux la fille tombe dans ses bras »

Il hausse les épaules avant de s’installer bien qu’il n’ait pas été invité à le faire. Il savait que ses amis gardaient leur attention rivée dans cette direction et il n’était psychologiquement prêt à se balader à poil dans les rues de Brisbane, contrairement à la jungle, il pouvait aisément finir en taule pour atteinte à la pudeur.

« Ce n’est pas de ma faute » dit-il alors pour se justifier lorsqu’elle lui conseillât de vérifier l’identité de sa cible de la soirée « mes amis m’ont mis au défi de revenir avec ton numéro, qui que tu sois »

Le barman vint dans sa direction s’enquérir de sa commande, il demanda alors la même chose que Jameson et quelques secondes plus tard, il se retrouvait avec le verre en main.

« C’est là que tu es censée trouver que nous avons de goût commun, donc que nous sommes forcément compatibles »

Il prit cet air séducteur que ses amis lui prêtaient sans qu’il ne comprenne réellement pourquoi mais puisque ceux-ci se délectaient du spectacle, il se devait de donner le change même si la mission était déjà mis à mal par ses piètres capacités en drague.

« Tu oublies les licornes » ajouta-t-il d’un air qui se voulait très sérieux « les licornes sont le plus important »

S’il était en train de ridiculiser autant le faire avec brio, il n’en mourrait et dès que son regard avait croisé le sien, il avait tout de suite su que cette entreprise était vouée à l’échec. Et puis, il se voyait mal draguer Jameson, non pas qu’elle ne fût pas désirable, bien au contraire mais… ce serait trop étrange, vraiment trop étrange pour qu’il puisse même l’envisager. Si on ajoutait à cela le fait qu’elle l’ait vu dans des situations peu glorieuses, l’affaire était vouée à l’échec.

« Je pense que c’est parce qu’il y a cette aura de femme intouchable qui plane tout autour de toi » répondit-il en haussant nonchalamment les épaules, un petit sourire aux lèvres « Je crois qu’ils savaient que c’était fichu d’avance »

Il avala une gorgée de sa boisson, ses amis savaient pertinemment qu’il n’était pas un dragueur, il n’avait jamais excellé dans cet art. Il pourrait remercier sa plastique et son travail en tant que surfeur et dj occasionnel, cela lui permettait d’attirer l’attention de la gente sans qu’il n’ait à faire le premier pas et à se ridiculiser de façon magistrale.

« D’ailleurs comment tu vas ? Le retour à la civilisation n’a pas été trop compliqué ? »

Puisqu’ils se retrouvaient ce soir, autant qu’ils discutent, surtout si cela pouvait donner le change à ses amis dont l’attention était rivée sur eux. S’en aller maintenant aurait été avoué que tout ceci était un échec cuisant, ce qui était certes vrai.

« Ceci dit, je suis surpris, je pensais que tu portais constamment des tenues de randonnées, à défaut, des tenues beaucoup plus…découvertes » se moqua-t-il gentiment, se souvenant qu’ils avaient tous plus ou moins mal vécu de voir leurs habitudes vestimentaires changées.

« Tu m’étonnes ! » il lâcha un petit rire complice « Ça, c’était de l’aventure, j’ai eu ma dose pour quelques mois au moins »

Il se souvenait d’ailleurs de son retour à la civilisation, il n’avait pas quitté le confort de son canapé pendant quelques jours, se sentant plus que jamais reconnaissant de ce qu’il avait. Il n’avait d’ailleurs pas lâché ses sœurs un moment, lui, qui clamait encore quelques jours auparavant à qui voulait bien l’entendre qu’il n’avait qu’un désir, échapper à la surveillance de ses aînées.

« Escalader Ethan ? » il prit un air surpris, tout à fait crédible d’ailleurs « tu es sûre de n’avoir pas respiré un truc bizarre dans ton bain de boue ? »

Son regard pétillait de malice. Bien sûr qu’il se souvenait de cette scène, comme tout ce qu’il avait pu faire ou dire, il aurait bien souhaité que cela ne fût pas le cas. Il comprenait qu’il n’ait plus de crédibilité aux yeux de la trentenaire, tout comme Ethan en avait perdu à ses yeux. Rien de méchant, il serait simplement maintenant l’homme qui voulait être licorne. Il fallait connaitre le personnage pour comprendre le comique de la situation. L’homme de guerre qui désirait être une licorne, il avait beau remettre la faute sur le breuvage des aborigènes, Kyeran s’amusait à lui confirmer qu’il s’agissait de son souhait le plus profond.

« Puisque c’est positif, je te dis donc merci »

Un sourire furtif fit son apparition avant que l’attention du brun ne soit happée par une proposition plus intéressante.

« Je suis partant, bien entendu » son sourire fit écho à celui de la brune alors qu’il se rapprochait à son tour d’elle « Dois-je comprendre que mon charme est en train d’opérer ? »

C’était une plaisanterie, bien sûr, il savait pertinemment n’être pas au goût de Jameson et ses velléités de séduction s’étaient dissipées lorsqu’il l’avait reconnue.

« Qu’est-ce que tu proposes alors ? »

« Allez ne ris pas, sinon je vais pas tenir » dit-il doucement en tant de conserver une expression sérieuse puisque ses amis le fixaient depuis un moment. Il se devait de donner l’illusion d’une entreprise de séduction qui marchait du feu de Dieu, ce que confirmaient les gestes de Jameson à son égard. « Tu peux tâter la marchandise quand cela te fait envie » ajouta-t-il avec ce sourire empli de promesses peu catholiques. Nul doute que ça plairait à leur assistance qui restait rien de spectacle et attendait impatiemment de voir combien de temps il lui faudrait pour rapporter les chiffres tant attendus. « Tes idées sont géniales, je te suis à cent pour cent » il n’était pas contre le fait de donner une petite leçon avec ses amis, Jameson non plus alors il était certain que le jeu en valait la chandelle et surtout risquait d’être fort intéressant. « Que dis-tu de reprendre les choses dès le début ? » il fit une pause, se rendant compte qu’elle ne saurait pas forcément où il voulait en venir « une drague façon magazine ou films, ça te dit ? » il avait toujours trouvé cela hautement ridicule, bon peut-être pas, fut une époque où il admirait ces hommes dont l’assurance leur permettait de séduire chaque femme qui croisait leur route, ça l’avait longtemps fasciné avant qu’il ne comprenne que cela ne fonctionnait toujours. En réalité, il n’avait jamais eu le loisir d’essayer, alors pourquoi pas ce soir « Et dès que tu sens que tu tombes amoureuse de moi, tu me dis, je ne voudrais pas tout compliquer entre nous » son air sérieux tint une demi-seconde à peine avant qu’il ne pouffe de rire.

« Au troisième rendez-vous bien sûr » lui répondit-il sur un ton qui se voulait assuré alors que tout ce qu’il désirait pour l’heure c’était éclater de rire. Plus encore lorsque Jameson se mit à calquer son comportement sur ce qu’il supposait être la fille des magazines. Cela ne lui allait pas du tout, l’ayant rencontrée dans un contexte quelque peu compliqué, cela était aussi étrange que comique. Si elle poursuivait sur cette voie, il n’était pas dit qu’il parvienne à conserver son calme, et le coup de grâce fut le ‘bébé’. Jamais il n’aurait imaginé Jameson utilisé ce mot et même s’il s’agissait simplement d’un jeu de rôle, il hésitait entre la peur et le rire, ou un mélange des deux. « Ne t’inquiètes pas, je ne suis pas comme tous ces hommes, je te rappellerai » Sa phrase avait été dite avec une voix assez basse, et un regard franc, dans lequel elle était supposée lire la sincérité de sa promesse. Non, il n’était pas de ces hommes faisant dans le silence radio après avoir eu ce qu’il voulait, de quoi la faire irrémédiablement succomber non ? « Et bien sûr je t’offrirai un beau rencard avant parce qu’avec toi, tout est différent » Ou une connerie du genre, finalement, ce n’était pas si mal qu’il ne soit pas ces dragueurs invétérés des bars, et il ne menait pas une existence de prêtre pour autant. « Et plus que tout, tu ne perdras pas ta valeur à mes yeux si tu n’attends pas le troisième traditionnel pour m’inviter chez toi » Il s’était rapproché d’elle, un léger sourire au coin des lèvres, leurs spectateurs ne loupaient rien de la scène. D’ailleurs, c’était pour eux qu’il initia un contact physique, paraissait-il que les femmes étaient sensibles à un touché subtil, l’envahir sans trop le faire, s’adapter au rythme de la discussion.

« Il ne faut pas mettre tous les mecs dans le même panier, tu sais » dit-il alors d’une voix douce et rassurante, posant un regard tendre sur elle, du moins ses intentions allaient dans ce sens « tu n’étais pas tombée sur les bons, pourtant il y en a » il tentait de la convaincre comme l’aurait fait un homme persuadé d’avoir de l’intérêt avant de glisser entre ses cuisses et disparaitre aux premiers rayons de soleil. Lui, était trop occupé à tenter de conserver son sérieux parce que Jameson dans cet état valait franchement le coup d’œil et elle était si différente de ce qu’il avait connu sur l’île qu’il lui était difficile de ne pas éclater de rire. Il croisa brièvement le regard de Josh de l’autre côté qui brandit d’ailleurs ses deux pouces en signe de soutien pour son pote, de quoi lui rappeler sa mission. « Je pensais à un samedi après-midi ensoleillé, dans un café, j’en connais un très bien dans le centre l’ambiance y est calme » expliqua-t-il comme s’il eut s’agit du plan le plus excitant de tous les temps, à côté, un dîner avec Scarlett Johansson était d’un ennui « De là on pourrait prolonger le moment autour d’un dîner en tête à tête, j’invite bien sûr » dit-il avec un air de ‘mais non, ne me remercie pas, c’est normal’, les femmes aimaient apparemment les gentlemen faussement modestes, selon les dires, elles s’ouvraient plus facilement à eux « et je te ferai rire car une femme qui rit est aussi resplendissante qu’une rose qui vient d’éclore » un peu de poésie pour les femmes de goût, poésie qui faisait oublier le fameux dicton une femme qui rit à moitié dans le lit. Cela dit, Kyeran manqua de s’étouffer avec sa boisson lorsque Jameson mentionna l’un de ses supposés défauts, il ne s’était pas attendu à cela et il sentit que le rire n’était pas bien loin, alors il décida d’en jouer, s’esclaffant de façon distingué tel le gentleman qu’il était « tes craintes sont ridicules Jameson, c’est bien que tu aies assez de respect pour toi-même pour éviter ce genre de pratique » rumour has it que les hommes n’aimaient pas les femmes trop libérées, elles ne faisaient pas de bonnes petites-amies, encore moins de bonnes épouses et puis, il trouvera forcément une copine à elle qui voudra bien s’y coller « Et tu sais, j’ai moi aussi mon lot de défauts, je pourrais difficilement te juger » il passa une main réconfortante dans son dos, réduisant plus encore la distance entre eux. « Dis-moi Jameson, que penses-tu des hommes qui aiment se faire fouetter le cul ? » demanda-t-il avec sérieux.