I look at you and see a friend, I hope that's what you wanna be. Are we back now where it all began ? Have you finally forgiven me ? It was you who picked the pieces up when I was a broken soul, and then glued me back together, returned to me what others stole. I don't wanna hurt you, I don't wanna make you sway like I know I've done before, I will not do it anymore. ☆☆☆
L'ambiance avait été presque irrespirable entre les deux frères, les premiers jours. Il y avait eu des reproches, des cris, des mots dits sans forcément les penser. Il y avait eu des larmes aussi, des deux côtés, et l'impression pour Hassan de n'avoir jamais vu son aîné comme ça. Même pendant ces quelques semaines où séparés par une vitre que Qasim n'avait pas le droit de franchir, parce qu'un simple rhume aurait pu suffire à achever son petit frère, ils avaient tous les deux cru que c'était là, que c'était la fin. Parce que le cancer n'était qu'une fatalité face à laquelle on ne pouvait que prier, avec cette sensation amère de totale impuissance, alors que ce que venait de faire Hassan ... « Je me contre-fous de tes excuses, برادر ! Les parents n'ont pas fui Téhéran pour ça, tu as conscience de ce qu'ils ont sacrifié ? T'as pas le droit de tout gâcher avec ces conneries Hassan, t'as pas le droit ! » Bien sûr, qu'il en avait conscience. Et évidemment qu'il y avait pensé, à ça et au reste. A ce que signifiait le fait d'attenter à sa propre vie dans leur culture, leur religion, à leurs parents probablement mortifiés s'ils avaient encore été là. « Et arrête de punir Yasmine comme tu le fais. Elle a eu raison de m'appeler, et elle a eu raison de ne pas te faire sortir d'ici, faut bien que l'un de vous deux réagisse en adulte. » Et cela avait été comme ça pendant des heures, des jours même, d'abord à l'hôpital tandis que Qasim vociférait encore devant le silence assumé d'Hassan « J'vais pas m'en aller Hassan. J'vais rester là et attendre que tu prennes la mesure de la bêtise que tu viens de faire. Et ne t'avise même pas de songer à me faire le même coup qu'à elle. » Il n'aurait pas osé. En réalité il regrettait déjà d'avoir interdit à Yasmine de revenir, et il aurait déjà fait marche arrière si sa fierté ne l'en avait pas empêché. Et Qasim était resté, imperturbable, attendant de son frère qu'il épuise la colère et l'amertume qui l'empêchaient d'avoir un discours raisonnable, et accueillant avec douceur la confession faite dans un murmure « Je sais pas si je vais y arriver ... » tandis qu'ils passaient la porte de son appartement, après que le psy se soit -enfin- persuadé qu'Hassan pouvait quitter l'hôpital sans risquer d'y débarquer à nouveau dans les jours qui suivraient.
Qasim était resté une dizaine de jours, Hassan partagé entre la gêne de monopoliser ainsi l'attention de son aîné -une fois de plus- et le soulagement d'avoir son frère à proximité. Il avait été décidé que Quasim remonterait à Brisbane quinze jours plus tard avec femme et enfants, profitant des vacances, persuadé que revoir son neveu et sa nièce égayerait un peu Hassan. En cela il n'avait pas tort, et à défaut de mieux passer un peu de temps avec les deux garnements lui avait mis du baume au cœur. Jusqu'à ce qu'il soit question d'aller dîner chez les Khadji, et pour la première fois Hassan avait eu la sensation d'avoir une vague idée de ce que ressentait Sohan à chaque fois qu'il préférait décliner et continuer à éviter la situation créée entre ses parents et lui. Hassan avait énormément d'affection pour les parents Khadji, ils étaient à ses yeux et à ceux de Qasim ce qui se rapprochait le plus de parents désormais, et c'était bien pour cette raison que l'idée d'affronter leur regard après les événements de ces dernières semaines, et le fait qu'il n'avait pas adressé la parole à Yasmine depuis cette nuit aux urgences, l'angoissait plus qu'autre chose. « Allez c'est bon, ils ne vont pas te manger. Et ils se font du souci pour toi, tu ne vas pas leur reprocher ? » Leur reprocher, non. Mais s'en désoler en revanche, oui. Parce que comme il l'avait déjà sous-entendu à maintes reprises à Qasim, mais aussi à Yasmine, il en avait assez d'être une source de tracas pour les autres, et particulièrement pour eux. Mais encore une fois son frère avait eu gain de pause, comme presque toujours à vrai dire, et voilà comment Hassan, Qasim, sa femme et les deux enfants s'étaient retrouvés ce dimanche midi là dans la salle à manger des Khadji.
L'ambiance était pesante malgré tout, l'absence de Sohan qui avait une nouvelle fois décliné l'invitation, l'hospitalisation du père de Yasmine, celle d'Hassan, elle et lui s'étant salués sans se regarder dans les yeux à leur arriver et n'ayant pas décroché un mot l'un envers l'autre depuis. Les discussions à table avaient quelque chose d'artificiel, comme si chacun à son niveau tentait de noyer le poisson pendant que les deux enfants eux babillaient entre eux, probablement à mille lieux des ennuyantes discussions de grandes personnes. « Papa on peut aller jouer à la balançoire, dis ? » Le petit trépignait sur sa chaise, et sa soeur était autant que lui pendue aux lèvres de Qasim en attendant sa réponse tandis que c'était la mère de Yasmine qui prenait la parole « Le soleil a l'air d'être revenu, allons prendre le café dehors ? » Il ne faisait plus assez bon pour prendre un repas entier dans le jardin, l'hiver approchait, mais les hivers australiens restaient suffisamment cléments pour profiter de l'extérieur. « Laissez, on débarrassera tout à l'heure. » avait-elle par ailleurs interrompu tandis que tous se levaient déjà pour débarrasser la table. Traînant les pieds, Hassan avait laissé tout ce petit monde passer devant et prendre la direction du jardin tandis que Yasmine proposait de s'occuper du café et du thé. Il avait hésité de longues secondes, captant à peine le regard insistant de Qasim à son égard pour le persuader de se bouger, pinçant ses lèvres l'une contre l'autre et se décidant finalement à rejoindre la cuisine. Il s'était arrêté dans l'encablure de la porte, presque timidement, il avait observé Yasmine à la dérobée pendant plusieurs secondes en profitant qu'elle lui tourne le dos, sans trop savoir ce qu'il était censé dire. Il était désolé, assurément, mais il doutait qu'elle soit d'humeur à entendre une de ces excuses de plus auxquelles elle n'avait pas cru la dernière fois. « Tu veux de l'aide ? » C'était la seule chose qui était venue à l'esprit, et avançant dans la pièce en décroisant les bras il avait eu quelques nouvelles secondes d'hésitation avant de reprendre « Je suis désolé. J'veux dire, je suis vraiment désolé. » Elle n'était peut-être pas d'humeur à entendre ses excuses, mais lui ne savait pas quoi dire d'autre. Il restait seulement là, les bras ballants et l'air penaud, à attendre de voir si elle accepterait de lui parler ou s'il avait réellement tout gâché cette fois-ci.
« Je ne peux pas le croire, non je ne peux pas le croire. Hassan n’aurait jamais fait ça ! » Elle s’affole la mère de Yasmine, son torchon dans la main alors qu’elle fait des allers retours rapides dans la cuisine sans rien faire de constructif. « Maman… » Elle voudrait lui dire de se calmer mais c’est peine perdue, sa mère est comme ça et elle sait bien que ses plaintes ne vont rien y changer. « Non, moi je sais que c’est une erreur. Ces médecins avec qui tu travailles sont des incompétents, je l’ai bien vu quand ton père a été hospitalisé. Ils ne savent rien ! » Elle ne veut pas voir – tout comme Yasmine n’a pas voulu voir pendant des mois le mal-être de son ami – qu’elle n’a pas voulu croire en tout cas à cette détresse qu’elle pouvait lire dans son regard. « Maman… Il me l’a dit… » Cette fois c’est plus fort qu’elle, elle s’agite, un peu plus encore levant les bras au ciel pour implorer un pardon qui n’est pas le sien. La mère de Yasmine ne comprend pas personne ne comprend… Pas plus Qasim et ce regard triste qu’il avait posé sur Yasmine à son arrivé, ce regard désolé – désolé de ne pas être là – désolé que son frère la rejette comme ça alors qu’il sait bien lui – il a compris depuis longtemps l’attachement de Yasmine pour Hassan. C’est peut-être le seul – sans doute et il ne dira rien pas même à elle. « Ce petit va venir manger ici – il va voir ce que j’en pense moi ! » Ca l’a fait sourire légèrement qu’elle traite encore Hassan comme si il était un enfant. « Je crois qu’on devrait être… Compréhensif… » Elle aurait voulu l’être elle le jour où elle est allée le voir à l’hôpital peut-être que ça aurait tout changé. Qu’il ne l’aurait pas repoussé de la sorte mais maintenant c’est trop tard et la douleur que ce geste à fait naitre en elle ne s’en va pas. « Je vais appeler Qasim. » La jeune femme hoche la tête cette fois – il sera trouver les bons mots lui c’est sur – il est le fils qu’elle a toujours voulu – celui en qui elle a confiance, celui qui ne l’a jamais déçu. Le rendez-vous est pris et déjà elle la sent cette boule qui remonte dans sa gorge. Elle c’est cachée ici – cachée chez elle – cachée au bout du couloir à quelques mètres de cette chambre qui lui était interdite pendant tout le long. Incapable d’être loin – effrayée de le savoir seul à tout moment. Mais Qasim était là lui – Hassan n’était pas seul et il n’avait pas besoin d’elle c’est ce qu’elle se répétait en boucle pour s’empêcher d’aller sonner chez lui et de le supplier de la reprendre. Elle était pathétique – pathétique et blessée ce qui était un mauvais mélange.
Son cœur s’était emballé quand la sonnette de l’entrée avait annoncé leur arrivée – une pointe d’angoisse la frappant alors qu’elle allait ouvrir la porte. « Qasim. » Elle avait pris l’homme dans ses bras pour le serrer contre elle – presque un peu trop fort comme pour compenser ce qu’elle ne pouvait plus donner à Hassan. Puis Yasmine avait salué le rester de la famille, les adorables enfants qui rentraient déjà en courant dans la maison alors que le regard de la jeune femme se posait sur Hassan. Il avait eu le droit à un hochement de tête discret – c’était tout ce qu’elle avait été capable de lui donner et il n’en avait pas fait mieux en retour. Durant le repas elle était restée silencieuse – répondant uniquement aux quelques questions de sa mère qui tentait à elle seule de tenir la conversation en place. Heureusement Qasim et sa femme l’aidaient un peu, alors que le père comme à son habitude était muré dans un silence respectueux et qu’Hassan et Yasmine semblaient presque absents. Personne n’avait parlé du geste d’Hassan, ou de l’absence de Sohan autour de la table. Ce n’était de toute façon plus un sujet de conversation depuis longtemps – tout le monde savait que l’invitation de sa mère n’était que fausse courtoisie et que de toute façon elle serait refusée. Tout le monde avait l’air de se dire que c’était mieux ainsi… Sauf Yasmine. Qui aurait bien eu besoin de la présence de son frère. « Le soleil a l'air d'être revenu, allons prendre le café dehors ? » Plus qu’une invitation c’était un ordre que tout le monde se savait incapable de refuser – bien qu’il traine une certaine pesanteur dans l’air. Ou alors Yasmine était la seule à le ressentir. « Je vais préparer le thé et le café. » Tout était une bonne excuse pour s’évader un instant. Reprendre son souffle loin de lui et ces regards qu’il ne lui adressait même plus. Partagée entre une joie intense de le revoir en bonne santé et un peine déchirante face à ce qu’il lui avait dit la dernière fois. Et dans son fort intérieur, elle remerciait sa famille d’être là et de combler la conversation pour elle. « Tu veux de l'aide ? » La voix d’Hassan l’avait sortie de ses pensées, un peu trop brusquement et elle avait manqué de lâcher la théière d’étonnement. « Hassan… Tu m’as fait peur… » Elle lui avait offert un léger sourire plus par politesse que par sincérité. « Oui, oui bien sûr… tu pourrais aller me chercher le thé ? Il est dans l’armoire du haut. » Hassan devait déjà le savoir – il était venu tant de fois ici. Mais c’était un moyen de meubler un peu la conversation. De ne pas juste lui demander de partir – comme il l’avait fait quelques semaines auparavant avec elle. « Je suis désolé. J'veux dire, je suis vraiment désolé. » Ses mots avaient stoppé son geste. Elle était restée quelques secondes dans cette même position – le geste en suspend alors que son corps s’était crispé. « Ce n’est rien… » Elle n’avait pas eu la force de le regarder. De se retourner vers lui pour prononcer ces quelques mots parce qu’alors il aurait vu clairement le mensonge dans ses yeux. Ce n’était pas rien – c’était horrible pour elle… Et la façon dont sa voix s’était perdue sur la fin en était la preuve.
Enfin son regard avait osé dévier sur lui alors qu’il attrapait le thé pour le lui tendre. Elle avait pourtant rapidement détourné le regard pour revenir à son occupation première. Posant la casserole d’eau sur le feu pour la faire bouillir. « Tu as l’air d’aller mieux… » Physiquement en tout cas c’était le cas, mais elle le savait dans le cas d’Hassan le physique n’avait jamais été le réel problème et elle était bien incapable de poser plus de questions sur le reste. Il avait été très claire quant à son envie d’être tranquille et si elle était partagée entre l’envie de lui botter les fesses en lui disant qu’il ne se débarrasserait pas d’elle et celle de partir très loin et de tenter enfin de l’oublier. Son choix était resté flottant dans une sorte d’entre deux où elle n’osait plus vraiment s’introduire dans sa vie mais continuait pourtant à harceler Qasim et Sohan pour qu’ils l’appellent et rapportent ensuite tout à la jeune femme. « Je vais m’en sortir maintenant tu peux… Tu devrais sortir, je suis sûr que ma mère veut profiter de vous deux au maximum. » Sa voix était si peu assurée qu’elle avait l’impression d’être à nouveau une gamine trop peu sur d’elle. Ses mots étaient pourtant réaliste, sa mère portant une affection toute particulière à Qasim et Hassan encore plus depuis que leurs parents étaient décédés.
Ce serait être malhonnête de la part d'Hassan que de prétendre qu'il n'avait pas songé à appeler Yasmine durant ces trois dernières semaines. Il y avait pensé, tous les jours, si ce n'était plusieurs fois par jour ... Parce qu'elle lui manquait. Plus encore que durant ces mois passés en Iran il y a quinze ans, parce qu'alors ils ne s'étaient pas quittés fâchés, et que Qasim et lui téléphonaient chez les Khadji au moins une fois par semaine. À bien y réfléchir c'était peut-être la première fois que Yasmine et lui restaient aussi longtemps sans s'adresser la parole, et maintenant seulement le brun prenait la mesure du manque que cela provoquait chez lui. Il se sentait bête, parce que c'était typiquement le genre de choses dont on ne prenait conscience que trop tard. Et pourtant il n'avait pas appelé. Parce qu'il ne savait pas quoi dire, parce qu'il se sentait bête, parce qu'il avait un brin de fierté un peu trop mal placé ... et parce qu'il avait peur qu'elle lui raccroche au nez, aussi. Il n'avait pas appelé et comme pour l'en punir cette invitation chez les Khadji était tombée de nul part, Hassan beaucoup moins enthousiaste que d'habitude maintenant qu'il devait assumer des actes que les parents de Yasmine n'accepteraient probablement pas mieux qu'elle. Mais le dîner s'était passé sans accros finalement, chacun ayant probablement à coeur de ne pas plomber l'ambiance, quand réussir à se réunir tous les huit devenait plus difficile avec Qasim qui vivait à plusieurs heures de route.
Entre deux oeillades angoissées le brun avait donc finalement trouvé le courage nécessaire pour ravaler sa fierté, un peu aidé il est vrai par le regard insistant de Qasim tandis que tout ce petit monde quittait la table pour rejoindre le jardin. En silence il avait suivi Yasmine jusque dans la cuisine, et décidé faute de mieux de lui proposer son aide pour le thé, pour se donner une contenance autant que pour se laisser quelques secondes supplémentaires pour trouver plus intelligent à dire. « Hassan … Tu m’as fait peur … » Son regard avait glissé sur elle sans qu'il ne fasse de commentaire, tandis qu'elle le regardait à peine et ajoutait « Oui, oui bien sûr … tu pourrais aller me chercher le thé ? Il est dans l’armoire du haut. » comme s'il n'avait pas déjà mis les pieds dans cette cuisine mille fois et que le thé était réellement le sujet de conversation brûlant du jour. Il était resté immobile, ravalant sa salive avec une pointe d'anxiété, avant de donner des excuses dont il n'était même pas certain qu'elles seraient prises au sérieux. Lui ne les prendrait pas pour argent comptant en tout cas, s'il était à sa place. Il avait patienté pendant ce qui lui avait semblé être une éternité, pendant qu'elle restait silencieuse et immobile, avant d'enfin lui accorder un « Ce n'est rien … » dans un souffle presque plaintif. Mais ce n'était pas rien. Parce qu'alors elle aurait relevé les yeux vers lui, fait quelque chose, et au lieu de ça elle laissait à nouveau sa place au silence.
Ravalant sa fierté autant que sa déception, il n'avait pas osé insister et s'était contenté d'ouvrir le placard pour attraper la boite de thé, la lui tendant en silence et tressaillant légèrement lorsque ses doigts avaient frôlé ceux de la jeune femme. Ce n'était donc pas des excuses qu'elle attendait, si tenté qu'elle attende quoi que ce soit de sa part dans l'immédiat. Mais alors quoi ? Qu'espérait-elle qu'il dise, ou qu'il fasse ? « Tu as l'air d'aller mieux … » Un frisson lui avait parcouru l'échine, et alors qu'il croisait son regard pour la première fois depuis le début du repas il n'avait rien pu lui offrir d'autre qu'un sourire teinté d'amertume. Ils savaient tous les deux que cela voulait dire tout et rien "aller mieux". « Le pneumo dit que j'ai eu de la chance, oui. » Il ne voyait pas l'intérêt de nier ou de jouer les innocents, il n'était pas naïf au point de croire qu'il n'avait jamais été l'objet d'une conversation entre Qasim et Yasmine, et son frère avait du se faire un plaisir - façon de parler - de rapporter à Yasmine l'épisode du pneumothorax le surlendemain de son admission, les menaces du médecin de le garder plus longtemps s'il ne promettait pas de se ménager et de s'en tenir au repos prescrit (et si Qasim ne promettait pas d'y veiller), et le fait que son frère soit sur son dos en permanence depuis. Personne ne lui faisait plus confiance, inutile de se leurrer. « Je vais m’en sortir maintenant tu peux … Tu devrais sortir, je suis sûr que ma mère veut profiter de vous deux au maximum. » Il avait attendu quelques secondes, espérant plus, ou autre chose ... mais non, elle le mettait à la porte, et rien d'autre. Il avait baissé la tête d'un air penaud, comprenant qu'il avait entaché leur relation et l'affection qu'elle lui portait de manière, si ce n'est irreversible, au moins indélébile. « Elle a meilleur temps de profiter des petits, elle ne les voit pas souvent. » Et dieu sait qu'elle les gatait autant que s'ils étaient ses propres petits-enfants. Laissant échapper un soupir résigné il n'avait pas osé insister, par peur de se faire congédier de manière beaucoup moins subtile la seconde fois, et glissant ses mains dans les poches de son jean il avait continué de fixer le sol en ajoutant « Je pensais pas ce que je t'ai dit la dernière fois, j'espère que tu le sais. J'aurais toujours besoin de toi. » Et qui en douterait, de toute manière. Il lui avait déjà dit, auparavant, s'il les avait elle, sa famille, et son frère, il n'avait besoin de rien d'autre.
Tournant les talons avant de se faire metre dehors une seconde fois, il avait rejoint le jardin en tenant d'ignorer les regards en coin que lui lançaient les autres occupants de la terrasse, comme s'ils attendaient de lui un rapport détaillé de ce qui s'était passé ou dit dans cette cuisine. « Yasmine arrive avec le thé et le café. » s'était-il contenté de commenter d'un ton morne, en prenant place sur le fauteuil de jardin le plus à l'ombre. Il observait les deux bambins s'amuser sur la balançoire qui avait jadis accueilli Sohan et Yasmine, Qasim et lui, mais même cela n'avait pas été suffisant pour lui arracher un sourire. Au contraire, sans crier gare le souvenir douloureux de l'une de ses dernières conversations avec Joanne lui était revenu en pleine figure, et il s'était surpris à se demander ce qui se serait passé si elle n'avait pas perdu l'enfant qu'elle portait au moment de leur divorce, s'il aurait joué dans ce jardin plus tard lui aussi, et grimpé sur cette balançoire comme son père bien avant. Quel âge aurait-il (ou elle, d'ailleurs) aujourd'hui, deux ans ? « ... -san ? » Il avait sursauté. « Je te demandais si ton déménagement avançait. Qasim nous a dit que tu avais presque terminé de débarrasser ton appartement ? Tu as trouvé quelque chose d'autre ? » Trouvé ? Il n'avait même pas vraiment cherché. Contrairement à ce qu'il avait assuré à Yasmine quelques semaines plus tôt il n'avait pas donné suite aux annonces qui lui avaient vaguement fait de l'oeil dans la gazette locale. « Pas encore, non. Mais je ... » L'arrivée de Yasmine, et Qasim qui s'était levé pour la délester de la théière, avaient évité au brun de devoir se trouver une quelconque justification et lui avaient permis de marquer une pause dans sa phrase. Le regard insistant de la mère de Yasmine poutant l'avait forcé à continuer, et sans trop savoir ce qui lui prenait il avait avoué « En fait on m'a proposé un poste de professeur. À Téhéran. » Il ne savait pas pourquoi cela lui avait échappé, la proposition datait du début de l'année et pourtant il n'en avait parlé à personne, pas même à son frère. Et il ne songeait pas véritablement à l'accepter, du moins il ne l'avait jamais envisagé sérieusement ... mais c'était comme si d'une certaine manière il essayait de jeter à la figure de Yasmine le fait que si elle ne lui pardonnait pas, il partirait. C'était puéril, il le savait, ce n'était pas sans raison qu'il évitait soigneusement le regard des autres convives, pour se concentrer de la tasse encore vide devant son nez.
C’était une sensation étrange que de ne plus vraiment être Yasmine et Hassan. Ils étaient encore eux mais ensemble plus les mêmes – comme si en fossé c’était crée en l’espace de si peu de temps que seul un tremblement de terre pouvait en être responsable. Elle avait tenté quelques mots du quotidien – ceux qu’on échange quand on ne se connaît presque pas. Des banalités sur un pseudo santé qu’elle ne lui connaît pas vraiment alors qu’il lui tend le thé. Que sa main frôle la sienne, lui rappelant d’un coup toutes ces sensations qu’il sait créer en elle – et la manière toute à fait contrôlée dont elle a appris à ne rien laisser paraître. « Le pneumo dit que j'ai eu de la chance, oui. » Elle ne dira rien de plus – elle connaît déjà son statut médical de toute façon, elle c’est renseignée et tous deux le savent. Il vaut mieux qu’il la laisse seule maintenant – elle sait bien qu’ils devront parler un jour. Mais pas ici – pas maintenant, elle ne s’en sent pas la force. Cette pensé la ramenant directement aux propos de son ami – à cette façon de justifier son geste qui n’en était pas une pour elle. Peut-être qu’à force d’essaye de lui donner un peu de sa force elle aussi avait perdu la sienne. Peut-être qu’il avait gagné au fond… Elle n’en était plus capable. « Elle a meilleur temps de profiter des petits, elle ne les voit pas souvent. » Il avait raison et Yasmine n’avait rien à ajouter. Gardant les yeux rivés sur l’eau comme si elle risquait à tout moment de créer une catastrophe. Comme si elle avait réellement besoin d’une telle attention. « Je pensais pas ce que je t'ai dit la dernière fois, j'espère que tu le sais. J'aurais toujours besoin de toi. » Ses mains sur le comptoir c’étaient un peu resserrées, ses lèvres pincées alors qu’elle n’avait pas osé lui adresser un regard. Elle l’avait sentie cette vive émotion qui avait transpercé tout son corps puis déjà, fait monter les larmes à ses yeux. Elles n’étaient pourtant pas tombées – et Hassan s’en était allé. Sans qu’elle ne sache dire si elle était rassurée ou effondrée. Sans cet homme dans sa vie elle avait l’impression que quelque chose se brisait en elle – qu’il lui manquait une part de ce qu’elle avait toujours été.
Elle avait été plus longue que prévue - comme si la simple idée de reposer son regard sur Hassan l’avait effrayé. Restant à regarder cette eau déjà chaude depuis longtemps sans trop savoir quoi faire. Ses gestes avaient finalement repris le déçu et elle ne doutait pas une minute que sa mère lui aurait fait remarquer sa lenteur si la phrase d’Hassan n’avait pas stoppé tout le monde dans son élan. « En fait on m'a proposé un poste de professeur. À Téhéran. » Son coeur c’était emballé – si vite qu’elle n’avait plus été sûre pendant une seconde que son sang continuait d’affluer partout dans son corps. Elle ne sentait que ce point douloureux dans sa poitrine - que ses mains tremblotantes. C’est le bruit assourdissant qui la fit revenir à elle. Décrocher son regard d’Hassan pour observer rapidement la tasser qui venait de se briser à ses pieds. Tout le monde la regardait maintenant –quelqu’un avaient peut-être même parlé elle n’en était pas sur. Elle se moquait bien d’avoir cassé une tasse ou d’être le nouveau centre d’intérêt parce que son regard à elle était rivé sur Hassan qui daignait enfin la regarder après la bombe qu’il venait de lâcher. « Quoi ? » Elle avait très bien compris les mots mais ne voulait pas en comprendre le sens. Son regard rivé dans celui d’Hassan ils semblaient avoir leur premier vrai échange depuis qu’il avait mis les pieds ici. « Yasmine ! La tasse. » La voix de sa mère avait pris le dessus sur le reste. Enfin elle avait suivi le regard de tous sur les morceaux de tasse qui jonchaient le sol. « Désolé. » On attendait d’elle qu’elle nettoie mais pour le moment elle était incapable de penser à autre chose qu’à cette révélation – qu’il avait lancé l’air de rien – comme si il n’avait aucune conscience de l’impact que cette dernière pouvait avoir sur Yasmine. Puis sans attendre plus d’information elle avait tourné les talons. Partant dans la cuisine d’un pas rapide - luttant contre l’envie de pleurer comme une gamine. Comment pouvait-il lui faire aussi mal avec de simple mot ? Comment pouvait-il penser à l’abandonner ici après ces mots si durs qu’il avait eu envers elle – alors même que quelque chose était cassé entre eux. Et pourquoi… Pourquoi acceptait-elle cette culpabilité qu’il faisait reposer sur ses épaules volontairement ou non.
Attrapant une balayette dans l’armoire elle avait entrepris le chemin retour sans grand enthousiasme quand levant les yeux - elle avait aperçu Hassan dans le couloir. Elle ne doutait pas une seconde que Qasim soit une fois de plus à l’origine de cette rencontre, mais Hassan ne semblait pas vraiment décidé et Yasmine avait accélérée un peu le pas comme pour lui passer à côté sans se laisser distraire par sa présence . « Je n’ai pas besoin d’aide. » Elle avait anticipé des mots qu’il n’avait même pas prononcé, en réalité, elle doutait qu’il soit vraiment là pour l’aider. Mais commençait à se demander quel était vraiment le but de sa présence à se diner. Puis passant proche de lui elle avait inspiré un grand coup - son odeur était alors venu se nicher dans le creux de ses narines lui rappelant à quel point cette éloignement lui faisait du mal. Elle avait fini par s’arrêter. Dans le couloir ils étaient encore à l’abris des regards et elle c’était retournée vers lui. « Est ce que tu vas accepter... Tu vas vraiment partir ? » Sa voix c’était faite un peu plus plaintive – laissant sa peur de le perdre se faire ressentir. Elle aurait voulu lui poser tellement plus de questions. Lui dire qu’il ne pouvait pas la quitter. Pas comme ça. Mais une certaine pudeur l’en avait empêchée et le souvenir de ce regard qu’il avait posé sur elle à l’hôpital. Elle n’était personne pour le forcer à rester.
Ce qui venait de se produire était une preuve supplémentaire, s'il en fallait une, qu'Hassan continuait de creuser sa mauvaise posture plutôt que de tenter d'aller mieux, sautant sur n'importe quelle occasion de se créer des soucis avec le projet inconscient de pouvoir avancer ensuite que rien ne s'arrangeait jamais. Oh il ne s'agissait pas entièrement d'un mensonge, il avait bel et bien reçu une proposition pour un poste d'enseignant à l'unviersité de Téhéran en novembre dernier. Proposition qu'il avait déjà décliné une fois trois ans auparavant, et dont il n'avait à cette époque également parlé à personne puisqu'il n'y avait même pas eu besoin d'hésiter à ce sujet ; À l'époque il était marié, et il était impensable pour lui d'imposer ce genre de changement de vie à son épouse, particulièrement quand on savait la place qu'était celle des femmes en Iran, encore aujourd'hui. Et pour autant, bien qu'il soit désormais divorcé l'éventualité d'accepter cette proposition n'avait jamais entièrement fait son chemin dans son esprit ... Et malgré tout il avait lâché cela comme un pavé dans une mare, sans réfléchir. Évitant soigneusement les regards dirigés vers lui et tressaillant en silence lorsqu'un bruit de vaisselle brisée avait suivi son annonce. Même les enfants avaient cessé de faire grincer la balançoire comme s'ils devinaient que l'instant était grave, et ce alors même qu'ils n'avaient pas écouté un traître mot de la conversation. Et pourtant l'instant n'était pas grave au sens strict du terme. Mais il menaçait assurément la tranquillité familiale, à cet instant.
Et en grand courageux qu'il était, en ce moment, Hassan n'avait plus bronché jusqu'à ce que Yasmine la première brise le silence d'un ton étouffé « Quoi ? » Mais il ne pousserait pas la plaisanterie jusqu'à réitérer sa phrase une seconde fois, il n'y avait pas de doute que Yasmine avait compris du premier coup. L'un et l'autre se scrutaient maintenant avec insistance, comme si cette conversation silencieuse avait plus de sens que les quelques mots vides qu'ils avaient échangé dans la cuisine. « Yasmine ! La tasse. » Difficile de savoir si c'était cette tasse ou la conversation qui donnait à la mère de la jeune femme cet air pincé, mais toujours est-il que marmonnant un vague « Désolé. » Yasmine avait saisi l'opportunité de disparaître à nouveau. Le silence avait perduré quelques instants et finalement Qasim avait pris la parole à son tour, d'un ton qu'on ne savait pas trop où placer entre reproche et curiosité « Tu ne nous en avait pas parlé. » Non, c'est vrai, et il le faisait maintenant. « Parce que je n'ai encore rien décidé. » Et là il s'en tenait à la stricte vérité, il n'avait pas pris de décision ... Parce que fut un temps le refus aurait été catégorique, mais aujourd'hui il ne savait plus vraiment. Encore plus maintenant qu'il venait de l'énoncer à voix haute. « Mais, tu es sûr que ce serait une bonne idée ? Compte tenu de la ... situation. » Est-ce que par situation elle entendait le fait qu'il avait essayé de se foutre en l'air pas plus tard que trois semaines avant, et qu'à l'autre bout du monde ils ne pourraient pas s'assurer qu'il ne recommencerait pas ? Sans doute. « Je ne dois donner ma réponse définitive qu'en août, de toute façon. » Il espérait ainsi clore le sujet et rattraper sa bourde, et comme si elle compatissait et tentait de lui filer un coup de pouce la femme de Qasim avait questionné « Qu'est-ce que fait Yasmine ? » et le père Khadji de renchérir de ton habituel ton un peu bourru « Je ne sais pas ce qu'elle a, ces derniers temps. » Oh, Hassan en avait bien une petite idée lui, et d'ailleurs se levant à son tour il avait décrété « Je vais voir si elle a besoin d'aide. » et avait quitté la table, les regards à nouveau rivés sur lui tandis qu'il rentrait dans la maison.
Passant une main lasse sur sa nuque, il avait laissé ses pas le conduire jusqu'au couloir menant à la cuisine, où la jeune femme arrivait elle en sens inverse et lui avait presque aboyé sans aucune patience « Je n’ai pas besoin d’aide. » Mais croyait-elle sincèrement qu'il s'agisse d'autre chose que d'une simple excuse ? Il n'y avait pas besoin d'être deux pour porter une pelle en plastique et une balayette. « Je sais ... » Il avait eu l'impression de la voir se défiler à nouveau, et machinalement il avait attrapé son poignet pour tenter de l'empêcher de filer. C'était vraiment ce qu'elle voulait désormais, que leurs discussions ne soient faites que de fuites en avant et de regards qui s'évitaient ? Elle s'était arrêtée, et le son de sa voix avait changé tandis qu'elle questionnait « Est ce que tu vas accepter ... Tu vas vraiment partir ? » Il se sentait bête d'avoir mis ce sujet sur le tapis, il n'avait pas réfléchis, et maintenant il prenait la mesure de la mauvaise idée que c'était. Et surtout d'à quel point cela envenimait une situation déjà compliquée vis-à-vis de Yasmine. « J'en sais rien. » Il avait lâché son poignet et baissé la tête « Mais je sais pas, peut-être que ... peut-être que ça serait mieux. » Il tentait de peser chacun de ses mots, pour tenter de rattraper le fait qu'il parlait sans réfléchir depuis tout à l'heure. Depuis bien avant, en fait. « Ça fait un an que je stagne ici et que je trouve pas ce qui cloche. Et je sais que ça te parait aberrant que je sache pas ce qui ne va pas, mais c'est le cas, et ça peut pas continuer comme ça ... » Il avait dégluti lentement, sentant sa gorge se serrer un peu tandis qu'il continuait « Avec Qasim qui me couve comme si j'avais le même âge que ses mômes, ta mère qui me regarde comme si j'étais en sucre, et toi qui ne crois plus un mot de ce qui sort de ma bouche. » Pendant un court instant le ton plaintif qui s'était immiscé dans sa phrase avait ressemblé à celui qu'elle avait utilisé en posant sa question, mais bien loin de réaliser qu'il y avait peut-être là la preuve que la situation leur pesait autant à l'un et à l'autre, Hassan avait raisonné autrement « C'est bien ce que tu voulais de toute façon, que je réagisse ? » et fini par soupirer d'un air las « Mais comme je viens de le dire à ta mère, je n'ai encore rien décidé. » Des tas de choses pouvaient encore se passer d'ici à ce qu'il soit dans l'obligation de donner une réponse, ce n'était pas comme s'il prenait l'avion la semaine prochaine. Il avait pincé ses lèvres un instant et gardé le silence, son regard scrutant celui de Yasmine à la recherche d'un indice, et enfin il s'était risqué de demander avec incertitude « Tu penses que je devrais refuser ? » Refuser pour de bonnes raisons, autre que le fait qu'elle ne lui faisait plus confiance et s'imaginait probablement qu'il sauterait sur la moindre occasion pour se foutre en l'air à nouveau. Ce n'était pas dans ses projets, à priori. Encore que s'il le disait pour ça non plus elle ne le croirait probablement pas sur parole.
C’était de la fuite – pure et dure et pourtant ça lui ressemblait si peu. Yasmine était une gentille fille pas le genre à faire des vagues – pas le genre à faire des scènes en public. C’était une amie fidèle, une de ces personnes qui peuvent donner l’impression qu’elles seront vous tenir debout. Elle avait tenté pendant longtemps avec Hassan, continué de lui répéter qu’elle serait là pour lui, toujours. Qu’elle ne l’abandonnerait pas. Et pourtant aujourd’hui elle le fuyait. Il n’y a avait pas de bonne raison à ce comportement – des raisons oui mais pas des bonnes parce qu’Hassan était une partie si importante de sa vie qu’elle n’aurait su expliquer ce qui la forçait à le rejeter à son tour. Peut-être le simple fait d’être blessée était suffisant. Blessée par les mots de son ami – son attitude qu’elle avait eu de la peine à reconnaître. Jamais elle n’était allée contre les choix d’Hassan, pas même le jours il avait préféré quitter sa femme plutôt que de lui avouer sa maladie. Elle avait trouvé ça idiot mais elle n’avait rien dit de plus – elle ne l’avait jamais trahi. Parce qu’elle était dans la confidence, parce qu’elle sentait que malgré tout il l’aurait toujours elle. Cette certitude semblait s’appauvrir de jour en jour… Et encore plus maintenant qu’il avait en tête de s’exiler loin de l’Australie.
« Je sais ... » Les mots avaient sonné creux à son oreille alors qu’elle n’avait qu’une idée en tête sortir de cette pièce. Mais quand la main d’Hassan avait trouvé son bras pour arrêter sa course un frisson c’était invité en elle. Ce contact il lui manquait tant, la tendresse des gestes qu’il posait sur elle, protecteur et doux. Elle en avait tant besoin – tant envie. Il ne pouvait pas la priver de ça en partant loin d’elle. Et sa question était sortie sans qu’elle ne calcule rien. « J'en sais rien. » Le contact était rompu tant le physique que le visuel puisque Yasmine avait baissé les yeux pas capable d’affronter le regard d’Hassan alors qu’il lui parlait d’un potentiel départ. « Mais je sais pas, peut-être que ... peut-être que ça serait mieux. » Sa lèvre inférieure tremblait alors qu’elle tentait de la retenir en serrant les lèvres le plus fort possible. Attendant la suite alors qu’une boule se nichait dans son ventre – l’angoisse s’installant petit à petit. « Ça fait un an que je stagne ici et que je trouve pas ce qui cloche. Et je sais que ça te parait aberrant que je sache pas ce qui ne va pas, mais c'est le cas, et ça peut pas continuer comme ça ... » Yasmine ne pouvait s’empêcher de se dire que si elle avait été une bonne amie il n’en serait pas là. C’était une culpabilité stupide et pourtant elle la suivait nuit et jour depuis qu’Hassan avait tenté de se faire du mal. Encore aujourd’hui elle avait envie de lui hurler qu’il était un idiot de penser à partir alors que son argumentaire avait pourtant du sens. Il était juste impensable pour elle de se retrouver ici sans lui. Plusieurs mois auparavant elle avait laissé passer sa chance de partir pour le soutenir et pas un seul jour elle ne l’avait regretté. Mais qu’allait-elle fait si il partait… Ce n’était jamais trop tard elle le savait bien et pourtant quelque chose la retenait toujours à Brisbane la ramenait ici… A la maison. Elle n’était juste plus sûr que la maison ait la même saveur sans Hassan pour l’habiter.
« Avec Qasim qui me couve comme si j'avais le même âge que ses mômes, ta mère qui me regarde comme si j'étais en sucre, et toi qui ne crois plus un mot de ce qui sort de ma bouche. » Fronçant légèrement les sourcils elle avait relevé son regard vers lui. « Hassan ce n’est pas… » Elle aurait voulu démentir mais la vérité était telle qu’il n’avait pas tout tord. Elle avait perdu la confiance qu’elle avait en lui à bien des égards. « C’est compliqué. » Quand est-ce que tout ça était devenu aussi compliqué d’ailleurs. Elle l’avait l’impression d’avoir fermé les yeux sur une vie simple pour les rouvrir sur le chantier qu’elle était maintenant. « C'est bien ce que tu voulais de toute façon, que je réagisse ? » Se mordant légèrement l’intérieur de la joue, elle n’avait pas su quoi ajouter. Comment lui dire qu’elle n’avait jamais pensé à ce genre réaction. Jamais imaginé que sa solution puisse être de s’éloigner de ceux qui l’aiment. « Je n’avais pas… Pensée à ça… » Comment aurait-elle pu ? « Mais comme je viens de le dire à ta mère, je n'ai encore rien décidé. » Il y avait eu un instant de silence. Seul leurs regards l’un dans l’autre semblaient être acceptés. Elle aurait pu dire bien des choses par ce regard mais il semblait muselé lui aussi. Parce que Yasmine avait peur – de beaucoup de choses. Et très souvent. Et Hassan était une de ses personnes dont elle n’avait jamais eu peur auparavant… C’était différent aujourd’hui.
« Tu penses que je devrais refuser ? » Ses mains jouant avec la balayette elle tentait de chasser le malaise qui venait de la saisir. Elle voulait être honnête avec lui tout en sachant que son opinion reflétait celle d’une amie inquiète pour lui et aussi pour elle-même. « Je ne sais pas… » Su ce point là au moins ils se rejoignaient. « C’est une décision que tu devrais prendre seule… » Ou avec sa compagne mais pas avec elle… Alors, elle prenait la fuite une fois de plus. Se dérobant devant une question trop difficile. Mais le regard d’Hassan continuait de la transpercer. Attendant plus… Il avait posé une question à laquelle il voulait de toute évidence une réponse. Il ne se satisferait pas de ci peu. « Si c’est pour fuir alors ça n’est pas une bonne idée. Tu ne trouveras rien de plus là-bas… Je ne crois pas que le problème soit Brisbane… Ni que tu seras plus heureux loin d’ici… » Le tout était de savoir ou se trouvait le problème et comment il pouvait le régler et c’était une toute autre question. « Etre loin de ceux qui t’aiment et qui tiennent à toi alors que c’est… C’est déjà si difficile pour toi. Je ne suis pas sûr que ça soit une bonne idée… » Ses mots reflétait cette fois la peur qu’elle avait encore de le voir faire une bêtise. Qasim avait beau lui assurer qu’il ne recommencerait plus elle se souvenait l’insistance avec laquelle Hassan lui avait promis que les choses iraient bien pour lui… Qu’il n’avait besoin de rien de plus pour être heureux. La façon dont il lui avait caché la vérité la masquant derrière des fausses paroles rassurantes. « Et puis… » Sa voix c’était cassée alors qu’à nouveau les larmes c’était invitées dans ses yeux. Elle avait attendu un instant avant de dire la suite espérant arriver à les faire fuir avant qu’elle ne dégouline sur ses joues. « Je ne veux pas que tu partes Hassan. » Sa voix plaintive avait annoncé la suite, les quelques larmes qui venaient couler sur ses joues. Mélange d’émotions bien trop fortes. Elle avait tenté de les chasser d’un revers de main bien consciente que dans ses mots il y avait une fois de plus un certain égoïsme. Elle ne voulait pas qu’il parte parce qu’elle avait besoin de lui… Bien plus qu’il n’avait besoin d’elle de toute évidence.
Extérieurement il donnait peut-être l'impression de ne pas avoir changé d'un pouce ces dernières semaines, d'en être toujours au même point et de se contenter de se laisser glisser sur la pente descendante. Quelque chose avait changé pourtant, et ça ses dernières discussions animées avec Qasim et Yasmine n'y étaient sans doute pas entièrement étrangères. Il ne saurait pas vraiment l'expliquer ou le quantifier, mais il sentait au fond de lui que les cartes avaient été redistribuées et que les données n'étaient plus les mêmes. Dans les faits pourtant cela ne changeait pas grand-chose, c'était une histoire de convictions personnelles et aux yeux de Yasmine et des autres il n'était toujours que l'imbécile qui avait égoïstement tenté de mettre fin à ses jours, et à qui on ne pouvait plus faire confiance. « Hassan ce n’est pas … » Pas quoi ? Pas ce qu'il croyait ? Il avait arqué légèrement un sourcil, comme pour lui faire remarquer qu'il n'était pas dupe. « C'est compliqué. » Pas tant que cela, en fin de compte. Et il était frusté de la situation bien sûr, parce que s'il n'avait jamais jusqu'à présent eu de raison de douter de la confiance de Yasmine il prenait maintenant conscience d'à quel point elle lui était précieuse ... Et pourtant il savait qu'il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même, qu'il méritait qu'elle réagisse ainsi. Mais il ne savait simplement plus trop ce qu'elle attendait de lui, ou ce qu'il était censé faire pour tenter d'inverser la tendance. Pas s'excuser, elle ne semblait pas vouloir de ses excuses, et pas tomber dans le radical non plus à en juger par la façon dont elle venait de réagir à son annonce, aussi peu fier en était-il avec les quelques minutes de recul qu'il avait dessus désormais « Je n’avais pas … Pensé à ça … » Il avait ouvert la bouche comme s'il s'apprêtait à répondre quelque chose, et finalement il n'avait rien dit. Il ne savait pas ce qu'elle attendait de lui, mais de toute évidence elle n'en avait pas la moindre idée elle non plus. La belle affaire.
Quant à lui, il passait par tous les questionnements possibles depuis quelques instants, car s'il n'avait jamais envisagé sérieusement cette proposition jusqu'à présent, le simple fait de l'avoir évoquée à voix haute lui donnait l'impression d'une perspective différente sur la question. Il y voyait du pour, et du contre, et en même temps le seul avis qu'il souhaitait réellement connaître à cette seconde c'était celui de Yasmine. « Je ne sais pas … C’est une décision que tu devrais prendre seul … » Peut-être qu'il devrait, en effet. « Mais on ne peut pas dire que ça me réussisse beaucoup, en ce moment. » Et là-dessus elle ne pouvait pas vraiment le contredire, aux vues de ce qu'avaient été ces dernières semaines. Et puis, ce qui l'intéressait à cet instant c'était son avis à elle, parce que peu importe la décision qu'il serait amené à prendre par la suite l'avis de Yasmine était toujours important à ses yeux. « Si c’est pour fuir alors ça n’est pas une bonne idée. Tu ne trouveras rien de plus là-bas … Je ne crois pas que le problème soit Brisbane … Ni que tu seras plus heureux loin d’ici … » Cette fois-ci c'était lui qui avait baissé la tête, et écouté les paroles de la jeune femme sans oser croiser son regard. « Etre loin de ceux qui t’aiment et qui tiennent à toi alors que c’est … C’est déjà si difficile pour toi. Je ne suis pas sûr que ça soit une bonne idée … » Pas une bonne idée pour lui, ou pas une bonne idée pour les autres personnes qui se trouvaient sous ce toit aujourd'hui ? Encore un peu amer malgré tout il était à deux doigts de poser la question lorsque Yasmine avait repris la parole « Et puis … Je ne veux pas que tu partes Hassan. » Est-ce que c'était cette phrase, qui l'avait soudainement rendu gauche et fébrile, ou bien est-ce que c'était ces quelques larmes qui s'étaient frayées un chemin sur les genoux de la jeune femme et qu'Hassan n'avait machinalement pas pu s'empêcher de venir essuyer du bout des doigts, la paume de ses mains venant se poser contre les joues de Yasmine « Hey. A t'entendre on croirait que si je pars c'est pour ne jamais revenir ensuite. » Caresser ainsi son visage, c'était le genre de gestes d'affection dont il n'était pas avare d'ordinaire mais qui aujourd'hui lui secouait un peu le cœur, après que Yasmine et lui aient passé la quasi-totalité du repas à faire semblant de s'ignorer. « Bien sûr que tout ce à qui et à quoi je tiens est ici, c'est pour ça que ça sera toujours ici, chez moi. » Et ça ce n'était pas une découverte tardive, il le savait déjà, les neufs mois passés à Téhéran quinze ans plus tôt avaient servi de ciment à cette certitude.
Ses mains avaient migré de ses joues jusqu'à sa nuque, Hassan un peu honteux d'être à nouveau la source des larmes de la jeune femme et malgré tout soulagé aussi, un peu, parce que s'il avait balancé son éventuel départ aussi brusquement c'était parce qu'une partie de lui avait vraiment eu peur. Peur de réaliser qu'il aurait à ce point gâché les choses qu'elle n'aurait eu que faire de le voir partir. Mais le procédé utilisé pour tenter de le vérifier n'en restait pas moins puéril, et le brun lui-même peinait à se reconnaître entre cela et son comportement de ces dernières semaines. « Écoute, je ... c'était pas très malin de ma part, de vous annoncer ça comme ça. » Ses mains avaient glissé à nouveau, pour se détacher de Yasmine cette fois-ci tandis qu'il baissait à nouveau la tête d'un air penaud, un sourire amer s'étirant sur ses lèvres tandis qu'il ajoutait « Il ne fait pas très bon être là pour moi ces derniers temps, je crois. » Parce qu'ils en avaient tous pris pour leur grade pour ce simple fait, Yasmine et Qasim les premiers. C'était comme si, à force de s'être tant répété que rien n'irait jamais mieux, il se sentait l'obligation de saboter inconsciemment tout ce qui aurait matière à lui prouver le contraire. Le psy qu'il voyait depuis peu avait mis un nom là-dessus, mais Hassan ne s'en souvenait plus. Il avait relevé la tête et croisé le regard de la jeune femme en s'y attardant « Mais ça ne veut pas dire que j'oublie ce qui est important et ce qui ne l'est pas. Et je te demande pas de me pardonner tout de suite parce que je sais que je t'ai pas traitée comme j'aurais du le faire, pas seulement aujourd'hui, ou y'a trois semaines, et même encore avant ça ... Mais si y'a qu'une chose, une seule, sur laquelle je te demande de me croire sur parole c'est que si j'acceptais ce poste, je dis bien si, ça ne serait pas pour fuir quelque chose, et encore moins pour vous fuir vous. » Fuir ce n'était pas ça, fuir c'était ce qu'il avait fait il y a trois semaines, et là il n'était pas question de ça. Il n'était plus question de ça. « Et encore-encore moins pour te fuir toi. » Il avait risqué un léger sourire, mais réprimé l'envie spontanée qui l'aurait d'ordinaire poussé à l'enlacer un instant ou à déposer un baiser sur sa joue, choses dont il n'était d'ordinaire pas avare mais qu'il pensait être malvenues dans le contexte actuel. Il avait simplement envie - et besoin - qu'elle efface de sa tête le moment où il lui avait craché au visage qu'il n'avait pas besoin d'elle, parce qu'il ne dupait personne et qu'il n'arrêtait pas de retourner cette phrase dans sa tête depuis qu'il avait eu le malheur de la prononcer. « On devrait ressortir, avant qu'ils se demandent ce qu'on fabrique. » Quoi qu'il y aurait eu fort peu de chances qu'ils soient en train de s'étriper. Ils restaient Yasmine et Hassan.
Et si Hassan partait ? La phrase raisonnait dans sa tête dans un écho monstrueux. Un avenir qu’elle n’arrivait même plus à imaginer. Elle avait pourtant déjà vécu sans lui pendant des mois et elle était encore là – parfois elle avait à peine de ses nouvelles pendant des semaines – et pourtant la perspective de le voir s’en aller aujourd’hui la rendait fébrile – inquiète… Tourmentée. Et l’envie de le sangler à une chaise pour qu’il ne bouge surtout plus était tentante. De cette façon elle le gardait en sécurité, proche d’elle, ne lui laissant plus l’occasion de mettre des barrières entres eux. « Mais on ne peut pas dire que ça me réussisse beaucoup, en ce moment. » C’est elle qui avait baissé le regard – comme si ce rappelle des douloureux événements passés l’avait directement renvoyé à cette nuit d’horreur qu’elle avait passé après l’accident d’Hassan, à ces mots si crus qu’ils s’étaient échangés. Semblant presque oublier cette amitié si forte qui les liait. Elle avait la sensation aujourd’hui encore que cette nuit avait aussi changé quelque chose en elle mais elle n’aurait su mettre le doigt dessus.
Quand ses derniers mots étaient sortis la larme était venue l’accompagner. Cette distance entre eux lui faisait bien plus de mal que ce qu’il ne pouvait sans doute imaginer – tout comme le rejette qu’il avait eu à son égare. Elle qui aurait tant voulu être cette personne sur qui le jeune homme pourrait se reposer – celle qui pourrait calmer ses démons. Elle n’avait fait face qu’à un nouvel échec, se qui la confortait un peu plus dans l’idée que jamais Hassan ne pourrait la voir comme elle le voyait depuis si longtemps. La main du jeune homme était pourtant venue se poser sur sa joue, effacer de son doigt délicat les quelques larmes qui avaient percé. Fermant les yeux elle s’était enivrée un instant de cette douce caresse. « Hey. A t'entendre on croirait que si je pars c'est pour ne jamais revenir ensuite. » C’était l’impression qu’il lui donnait. Celle de prendre la fuite pour ne plus jamais se retourner. Pour chasser Brisbane et les fantômes de son passé qui y rodaient. Yasmin avait déjà vécu ça auparavant, son meilleur ami d’enfant avait fait exactement la même chose quand il c’était retrouvé dans une situation délicate il avait fuit la ville pour ne plus jamais revenir, pendant neuf ans elle n’avait pas eu un mot – pas une lettre… Il lui était inimaginable que l’histoire se répète avec Hassan, elle en deviendrait folle. « Bien sûr que tout ce à qui et à quoi je tiens est ici, c'est pour ça que ça sera toujours ici, chez moi. » Les mots de l’homme la rassuraient et pourtant elle gardait toujours cette distance de sécurité – cette impression qu’elle ne savait plus si elle devait le croire ou non. C’est à ce moment là qu’elle comprit ce qui avait réellement changé… Elle n’avait plus cette confiance aveugle. Peut-être même qu’il avait raison, elle n’avait plus confiance du tout. Elle sondait son regard à la rechercher d’une étincelle, d’un cillement qui la mettrait sur la piste du mensonge. Mais rien ne se passait, Hassan continuait simplement de la fixer.
La main d’Hassan avait migré dans sa nuque lui arrachant un léger frisson qu’elle avait espéré discret alors qu’il continuait de lui parler. « Écoute, je ... c'était pas très malin de ma part, de vous annoncer ça comme ça. » « Non tu crois ? » Un léger rire nerveux était sorti de sa bouche alors qu’elle levait sa balayette se rappelant qu’il lui fallait encore aller ramasser les conséquences de cette révélation « Il ne fait pas très bon être là pour moi ces derniers temps, je crois. » Hassan avait rompu le contact, son air penaud revenant au galop alors que Yasmine hochait la tête de droit à gauche. « Arrête de t’auto-flageller Hassan… » Elle avait envie de le secouer et de lui dire que l’important c’était le futur, que c’était son seul moyen de réellement leur montrer qu’ils n’avaient pas tords de s’accrocher à lui – de croire en lui. Tout le monde semblait savoir qu’il en valait la peine sauf lui. « Mais ça ne veut pas dire que j'oublie ce qui est important et ce qui ne l'est pas. Et je te demande pas de me pardonner tout de suite parce que je sais que je t'ai pas traitée comme j'aurais du le faire, pas seulement aujourd'hui, ou y'a trois semaines, et même encore avant ça ... Mais si y'a qu'une chose, une seule, sur laquelle je te demande de me croire sur parole c'est que si j'acceptais ce poste, je dis bien si, ça ne serait pas pour fuir quelque chose, et encore moins pour vous fuir vous. » Hochant la tête elle avait écouté avec attention n’osant surtout pas le couper bien que l’évocation d’un possible départ lui reste toujours aussi douloureuse. « Et encore-encore moins pour te fuir toi. » A nouveau les larmes lui étaient montées aux yeux mais cette fois elle les avait chassées en secouant la tête un demi sourire sur le visage. Pour ne pas se laisser à nouveau submerger elle n’avait pas dit un mot. « On devrait ressortir, avant qu'ils se demandent ce qu'on fabrique. » Hochant légèrement la tête elle avait commencé à marcher en direction de la sortie Hassan derrière elle.
Sur le chemin elle c’était pourtant arrêtée se mordant légèrement la lèvres avant de se retourner vers Hassan et de le prendre dans ses bras. Elle l’avait serré si fort contre elle qu’on pouvait presque lire dans ce geste une nouvelle supplication qui lui demandait de rester. Elle avait tant besoin de lui – de ce contact. Sa tête était venue se nicher proche de sa nuque alors qu’elle s’enivrait de son odeur, se laissant bercer comme un enfant dans les bras de son père. « Tu m’as tellement manqué Hassan… » On aurait pu croire qu’ils ne c'étaient pas vu depuis des années – mes ses quelques semaines avaient été un vrai supplice pour Yasmine – tellement qu’elle était prêté à tout effacer – même si son subconscient lui était un peu plus retissant. « Tu es quelqu’un de magnifique Hassan - j’aimais que tu te vois comme je te vois… Vraiment… Er que tu puisses être heureux… A nouveau. » C’était ce qu’elle souhaitait le plus pour lui. Et elle aurait aimé pouvoir l’y aider mais tout le jours un peu plus elle avait compris son incapacité dans ce domaine. « Et si tu dois accepter ce travail pour ça alors… Je me ferais une raison… » Il avait le droit d’être un peu égoïste aussi – le droit de penser à lui avant de penser aux autres. Dans la limite de l’acceptable. Limite qu’il avait déjà dépassées une fois malheureusement. « J’ai juste… De la peine à imaginer ma vie ici… Sans toi… Ca a déjà fait un tel vide quand ton frère est parti. Vous comptez tellement pour moi… » Et lui encore plus que ça mais elle se savait incapable de lui dévoiler ses sentiments qui l’habitaient depuis si longtemps. Elle c’était un peu décollée de lui pour le regarder avec un sourire. Ca aurait été tellement égoïste de lui demander de rester pour elle – en plus de ça, si la réponse avait été négative elle ne s’en serait sans doute pas remise. « Maintenant on peut y aller. » Elle avait fait glisser sa main le long du bras d’Hassan pour venir chercher la sienne et l’attirer dehors avec elle main dans la main. Quand la mère de famille avait vu ce spectacle un sourire amusé c’était inscrit sur ses lèvres. « Pas trop tôt… » Pendant un instant Yasmine avait cru qu’elle parlait de la balayette mais elle avait bien vite reconnu le regard de sa mère. « J’ai cru que vous alliez faire vos têtes d’enterrement pendant toute la journée. » Un peu honteuse Yasmine avait lâché la main d’Hassan avait d’aller ramasser les bouts de tasse sur le sol. « En parlant de tête d’enterrement je sais que tu ne vas pas aimer ça Yasmine mais j’ai invité Damila à venir manger demain, avec son fils. C’est un bon parti, tu devrais venir, il va te plaire. » Evidement Yasmine le savait. Le sujet devait forcement venir sur le tapis, comme à chaque fois son célibat était la préoccupation première de sa mère. « On en parlera plus tard maman. » Sa réponse serait non et sa mère le savait c’est pour cette raison qu’elle abordait le sujet devant tout le monde. Une fois les débris ramassés Yasmine c’était éclipsée en cuisine pour se débarrasser des morceaux de façon à clore le sujet. Du moins elle l’espérait. Quand elle était revenue le sujet semblait avoir changé.
Il n'y avait pas que le physique, la santé, qui avait changé chez Hassan au cours de ces deux dernières années. Son caractère aussi avait fait les frais de tous les chamboulements survenus dans sa vie depuis ce jour où le médecin l'avait regardé d'un air grave et lui avait demandé de s'asseoir. Il avait perdu en insouciance et en spontanéité, mais gagné en cynisme et en pessimisme, deux choses dont l'ancien lui n'était pas réellement pourvu. Quant à sa spontanéité les seuls moment où elle refaisait surface semblaient pour l'heure être lorsqu'il y avait moyen pour lui de se créer des ennuis ou d'envenimer une situation, et c'est précisément ce qui s'était passé quelques instants plus tôt à table. Il avait lâché sa nouvelle non sans avoir conscience des chamboulements qu'elle représentait mais sans pourtant prendre le temps de penser aux réactions qu'elle pourrait susciter, parce qu'à ce moment-là il se foutait bien du type de réaction, il en souhaitait simplement une. Il avait besoin de voir si Yasmine était à tel point meurtrie que l'idée de le voir partir à des milliers de kilomètres d'ici ne lui ferait ni chaud ni froid, voir même si elle ne s’engouffrerait pas dans la brèche ... Même si c'était égoïste, même si c'était irréfléchi. La pire idée qui soit, en somme. « Non tu crois ? » Il avait ignoré le sarcasme tout en sachant qu'il le méritait, marmonné ce qui n'était pas tant des excuses qu'une espèce d'explication bancale, et se désolant probablement autant qu'elle de ne pas être actuellement la personne la plus facile à vivre qui soit « Arrête de t’auto-flageller Hassan … » Est-ce que c'était un reproche ? Ou alors simplement une demande, peut-être. Mais c'était plus facile à dire qu'à faire, parce qu'il avait beau se conduire comme un abruti il avait souvent pleinement conscience de ses actes. C'était même sans doute cela le plus frustrant, il avait conscience de faire n'importe quoi mais pour autant il se sentait comme poussé à agir de cette façon, malgré tout. Comme si une main invisible s'acharnait à lui remettre la tête sous l'eau dès qu'il tentait de l'en sortir.
Les mots ne lui manquaient jamais avant, ou rarement, mais maintenant il donnait l'impression d'hésiter sur chaque phrase et de peser chaque mot dès qu'il tentait d'avoir une discussion sérieuse et qui ne soit pas guidée par sa nouvelle impulsivité. Mais cela lui tenait à cœur maintenant, après avoir provoqué Yasmine inutilement, de mettre à plat le fait qu'il n'avait pas envie de la fuir. Et ce n'était même pas une question de volonté au fond, il ne pouvait pas la fuir, il avait réussi à se délester d'un tas de chose au fil des mois, des années, il avait renoncé à certaines activités qui lui tenaient à coeur, il avait renoncé à des projets, à des amis, il avait même renoncé à son mariage ... mais renoncer à Yasmine, et aux Khadji en général ? Il n'avait pas pu s'y résoudre. L'expression "être un pilier" n'avait jamais eu autant de sens que s'agissant d'eux puisqu'ils étaient, avec le frère d'Hassan, les conditions essentielles au fait qu'il ne lâche pas totalement prise. Et trois semaines plus tôt lorsqu'il avait pété un plomb ce n'était pas qu'il les avait oubliés, eux, mais plutôt qu'il semblait les épuiser et n'être plus qu'un épine dans leur pied, une épine dont ils se porteraient bien mieux lorsqu'elle ne serait plus là. Mais ça il ne savait pas vraiment comment l'exprimer, alors à contre contre cœur il s'était contenté de la pousser à rejoindre le jardin. Il s'était alors retrouvé pris au dépourvu lorsque, peu après avoir acquiescé, Yasmine avait fait volte-face pour venir se blottir contre lui « Tu m’as tellement manqué Hassan … » Il avait resserré ses bras autour d'elle avec instinct, la serrant contre lui avec autant de force que s'il craignait qu'elle disparaisse, l'une de ses mains glissant dans ses cheveux tandis qu'il murmurait « Toi aussi tu m'as manqué. » en tentant de contrôler le tremblement dans sa voix. « Tu es quelqu’un de magnifique Hassan - j’aimais que tu te vois comme je te vois … Vraiment … Et que tu puisses être heureux … A nouveau. » Il l'avait serrée un peu plus fort, embrassant son front du bout des lèvres presque pour s'excuser de ne pas pouvoir lui donner ce qu'elle demandait ; Il aimerait bien aller mieux, se sentir autre chose que continuellement triste. Mais ça n'était pas une question de volonté, c'eut été trop simple. « Et si tu dois accepter ce travail pour ça alors … Je me ferais une raison … J’ai juste … De la peine à imaginer ma vie ici … Sans toi … Ça a déjà fait un tel vide quand ton frère est parti. Vous comptez tellement pour moi … » Alors il ne partirait pas ... ? Elle avait beau dire qu'elle tenterait d'accepter le contraire il ne savait pas s'il se sentait le droit d'être égoïste en ne prenant pas en compte ses états d'âme à elle. Elle ne l'avait jamais laissé tomber, et c'était peut-être à lui de ne pas le faire, cette fois-ci. « Te tracasse pas pour ça. » lui avait-il soufflé en embrassant à nouveau son front « Et promis, quand j'aurais donné ma réponse tu seras la première au courant. » Il ne pouvait pas promettre plus, pour l'instant. Il ne voulait pas faire de promesse sans être certain à cent pour cent de pouvoir la tenir.
La laissant attraper finalement son bras puis finalement sa main, il avait acquiescé d'un hochement de tête lorsqu'elle avait décrété « Maintenant on peut y aller. » et avait suivi sans broncher jusqu'au jardin où, à nouveau, tous les regards s'étaient rivés sur eux à leur apparition, comme si leur incapacité à communiquer faisait office d'animation principale de l'après-midi. « Pas trop tôt … » s'était même permis de faire remarquer la mère de Yasmine avec son air en-dessous, celui qu'elle utilisait généralement lorsqu'elle se retenait de dire "je l'avais bien dit" mais en se retenant de ne pas le faire « J’ai cru que vous alliez faire vos têtes d’enterrement pendant toute la journée. » Lançant un regard entendu à Yasmine il avait fini par lâcher sa main et retourner s'installer à sa place. Il avait la sensation de peser deux fois moins lourd que tout à l'heure, allégé par les mots de Yasmine et la certitude qu'il n'avait pas gâché les choses de manière irréversible. Le répit pourtant n'avait pas duré bien longtemps puisque rajoutant « En parlant de tête d’enterrement je sais que tu ne vas pas aimer ça Yasmine mais j’ai invité Damila à venir manger demain, avec son fils. C’est un bon parti, tu devrais venir, il va te plaire. » l'air de rien, la mère de Yasmine venait d'effacer le timide sourire qui était revenu se frayer un chemin sur le visage du brun. Il avait beau savoir que ce n'était pas ses affaires et qu'il n'avait pas à s'en mêler, il ne cautionnait pas la manière dont les Khadji essayaient avec insistance de caser leur fille. « On en parlera plus tard maman. » La suivant des yeux tandis qu'elle disparaissait à nouveau à la cuisine il avait entendu la mère soupirer, avant de commenter avec désolation « C'est à croire qu'elle n'a pas envie de rencontrer quelqu'un. A son âge, pourtant ... il faudrait y songer. » Hassan avait pincé ses lèvres l'une contre l'autre, le nez dans sa tasse de thé, luttant contre l'envie de faire remarquer qu'il mieux ça que de se lier au premier venu. Et puis aussi cliché cela soit-il, aucun homme ne serait jamais à la hauteur de Yasmine à ses yeux, alors le moins qu'il demandait c'était au moins à la voir avec quelqu'un qu'elle aurait elle-même choisi. « Love, tu ne m'avais pas dit que Yasmine et toi accompagniez les petits au zoo, demain ? » Il y avait eu un instant de flottement, la femme de Qasim le regardant comme si elle s'apprêtait à lui demander d'où il sortait cela avant de se raviser « Oh heu, oui, les garçons doivent bricoler un peu à l'appartement, c'est mieux s'ils n'ont pas les enfants dans leurs pattes. » La bonne blague. Quoi qu'elle n'avait pas entièrement tort, l'appartement avait effectivement besoin d'un peu de travail si Hassan espérait récupérer sa caution lorsqu'il partirait, mais pas de là à avoir besoin que Qasim lui file un coup de main dans l'immédiat. « Eh bien, si vous vous liguez tous contre moi. » Levant les bras pour signifier son désespoir, la mère de Yasmine avait soupiré tandis que la concernée réapparaissait à nouveau « Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu sortais avec les enfants, صبية ? » Les yeux des trois Jaafari s'étaient rivés sur Yasmine comme pour la dissuader de ne pas jouer le jeu si elle souhaitait échapper au repas avec le gentil garçon que sa mère voulait lui mettre sous le nez.
Les enfants d'ailleurs, ayant visiblement entendu qu'il était question d'eux, avaient quitté la balançoire pour rejoindre la table en sautillant, la petite retrouvant les bras de son père tandis que son frère allait s'accrocher au bras de Yasmine « On va voir des dinosaures au zoo, diiiis ? » - « T'es bête, les dinos ça existe pas ! » Tirant la langue à sa sœur en guise de réponse, l'enfant avait provoqué le rire d'Hassan qui finalement avait du reposer sa tasse pour ne pas la renverser, le temps que ce fou rire sorti de nul part ne se calme. Le pire étant que cela faisait des semaines, ou plutôt des mois qu'il n'avait pas ri de cette façon, au point de ne plus être certain d'en être capable, et voilà que cela le prenait pour quelque chose qui, bien que mignon, ne méritait pas de l'amuser autant « Pardon, je crois que c'est nerveux. » s'était-il excusé, s'éclaircissant la gorge et se retrouvant pris d'une quinte de toux qui l'avait obligé à terminer ce qui restait de son thé, avant de reposer sa tasse vide sous la table. « La miss est fatiguée, je pense qu'on ne va pas tarder. » Et Hassan également, un peu, mais comme pour donner un peu plus de crédit à son père la fillette avait posé sa tête sur son épaule en réprimant un bâillement « Tu as besoin qu'on te raccompagne ? » Reposant les yeux sur Yasmine, il savait qu'il y avait des chances qu'elle reste encore un peu ici après leur départ, mais dans le cas où elle souhaiterait échapper à la conversation qui l'attendait avec sa mère il proposait, sait-on jamais. Peut-être parce qu'il avait lui-même envie qu'elle évite cette conversation.
Yasmine n’en doutait pas une seconde, sa mère avait probablement sorti un petit commentaire lors de son départ pour enfoncer un peu le couteau dans la plaie. Elle avait beau l’aimer du plus profond de son cœur parfois leur différences lui pesait lourd et si elle pouvait accepter les remontrances à son égard, l’attitude qu’elle avait envers Sohan la blessait profondément. Toute la famille se retrouvait meurtrie dans cette histoire mais elle savait sa mère incapable de faire un pas vers Sohan et de l’accepter tel qu’il est. Elle avait pris un temps considérable pour se débarrasser des bouts de tasse, plus que de raison, espérant que le sujet serait effacé lors qu’elle reviendrait à table. Et l’accueil qui l’attendait à son retour avait eu de quoi la surprendre. Sa mère levant les bras en l’air dans un signe de désespoir alors qu’elle l’apercevait. « Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu sortais avec les enfants, صبية ? » S’arrêtant d’un coup elle avait jeté au œil aux trois Jaafari qui la regardaient en tentant de lui faire passer un message de toute évidence « J’ai… Oublié ? » Elle n’était pas sûre de savoir où cette conversation la menait mais avait maintenant la certitude que quelques chose c’était joué dans son dos alors qu’elle était loin.
C’est l’intervention des enfants de Qasim qui commença à lui donner quelques pistes sur la situation, leur excitation était palpable et une simple moue avait semblé déclenché le rire d’Hassan. Personne n’avait compris ce qu’il y avait de si drôle… Mais il semblait évident que le tirage de langue n’était pas le seul facteur qui avait influencé ce rire et si l’incompréhension qui c’était d’abord lu sur le visage de Yasmine avait muté en un léger sourire qui accompagnait le rire d’Hassan. C’était bon de l’entendre rire… Elle avait presque oublié le son. « Pardon, je crois que c'est nerveux. » Leurs regards s’étaient croisés et celui de Yasmine s’était fait bienveillant alors qu’elle apportait sa tasse de thé à ses lèvres. La légère excitation du moment passé, une ambiance plus calme et presque hypnotisante c’était installée. Yasmine caressait les cheveux du jeune garçon qui était venu quelques secondes auparavant se pendre à son bras. Elle avait un vrai affection pour ses petits – ils étaient comme sa famille et elle se plaignait de les voire trop peu souvent. Ce qui la ramenait inexorablement au possible départ d’Hassan… Et si il acceptait ce job ? Et si il trouvait un femme ? Avait des enfants qu’elle ne verrait probablement pas grandir ? Cette idée lui brisait le cœur mais il était bien trop tôt pour y penser, Hassan lui avait fait la promesse de la tenir au courant et elle voulait croire qu’il tiendrait cette dernière. « La miss est fatiguée, je pense qu'on ne va pas tarder. » Tout le monde semblait en accord avec cette option, même Yasmine. Cette conversation avec Hassan et l’ambiance du diner avait semblé lui pomper une bonne partie de son énergie et elle savait que la conversation qui l’attendait maintenant avec sa mère n’allait pas non plus être de tout repos. Elle l’avait eu tant de fois que les mots semblaient gravés au fer rouge dans son esprit et pourtant rien ne semblait pénétrer dans la caboche de sa vieille mère. La vérité Yasmine la connaissait, c’était que sa mère ne voulait pas entendre, et sans doute pas accepter que sa fille unique et seule source de fierté puisse être si différente d’elle et de ce qu’elle aurait voulu la voir devenir. Et ce martelage commençait sans doute à porter ses fruits, Yasmine le savait elle n’était plus si jeune et se raccrochait depuis de trop nombreuses années à un homme qui ne la verrait jamais comme elle le voyait. Il était peut-être temps pour elle d’accepter qu’un autre homme puisse toucher son cœur… Même si elle ne savait pas comment y faire la place nécessaire.
« Tu as besoin qu'on te raccompagne ? » La proposition était tentante mais jetant un coup d’œil à sa mère elle c’était résignée. « Merci mais je vais rester encore un petit moment. » Il fallait qu’elle aide sa mère à ranger et qu’elle lui parle… Ou du moins qu’elle écoute. Gentiment toute la famille avait pris la direction de l’entrée, les aurevoirs avaient été plus chaleureux que les salutations. Du moins pour Yasmine et Hassan. Elle n’était pas sûre de savoir ce que cette discussion allait changer, si ils allaient être capable si facilement de retrouver ce qu’ils avaient avant l’accident d’Hassan. Mais elle espérait que les choses finiraient par se faire… Même si il leur fallait encore un peu de temps. « Rentrez bien, et faites attention à vous. » Promettant de se voir demain la femme de Qasim avait glissé les informations sur le Zoo à Yasmine qui avait opiné du chef en la remerciant silencieusement. Pour au moins cette fois elle échapperait à un de ses fameux diners arrangés.