Debra jeta un coup d’oeil pour la cinquantième fois à sa téléphone. Elle n’avait pas rêvé, ce sms venait bien d’elle, comme si après tout ce temps ça pouvait être normal. Bien sur, la première fois qu’elle avait vu le numéro s’afficher, Debra avait versé sa petite larme. Parce-que de toutes façons, ces derniers mois, elle pleurait pour tout et rien. Mais cette fois ci, c’était différent. Elle avait attendu un sms de cette sorte pendant des semaines et des semaines, avant de se dire qu’il n’arriverait jamais. Avant de se dire que finalement, d’être partie, ça n’avait rien changé et c’était passé inaperçue. Même ses parents avaient fini par arrêter d’appeler au bout d’un moment, pensant surement qu’elle faisait une nouvelle crise d’adolescence ou quelque-chose comme ça, que ça allait lui passer. Ca, elle pouvait le comprendre éventuellement. Mais qu’Eleanor ne chercher pas à la joindre plus que ça pendant tout ce temps ? Elle n’y avait pas pensé une seule seconde, elle s’était toujours dit qu’elle tenterait plus fort que ça, qu’elle serait là pour elle quoi qu’il arrive. Mais ça ne s’était pas fait, et qu’aujourd’hui elle lui demande de se retrouver dans ce petit café de Brisbane, c’était… Déroutant. Depuis combien de temps était-elle en ville ? Pourquoi surtout était-elle là ? Debra secoua la tête et tira une fois de plus sur son sweat. Elle allait finir par le déchirer à force de tenter de l’agrandir en tirant dessus. Elle ne voulait pas qu’Elea puisse par malheur voir un seul bout de ce ventre maudit. Non, surement pas avant qu’elle lui ait clairement expliqué pourquoi elle était là. Comment avait-elle su où elle était, d’ailleurs ? Elle ne l’avait jamais rappelé ou répondu à aucun de ses messages, Debra n’avait pas eu le temps de lui dire. Arrivant au café, elle s’arrêta d’avancer pendant quelques instants. D’où elle était, elle pouvait voir Eleanor de dos, assise à une table du café en terrasse. Elle aurait reconnu sa chevelure dorée n’importe où, depuis le temps qu’elle côtoyait la jeune femme. Inspirant profondément une dernière fois, elle parcourut les dernières mètres qui la séparait d’Elea. « Mieux vaut tard que jamais comme on dit, non ? » Debra leva un sourcil en direction d’Elea avant de s’asseoir sur la chaise libre en face d’elle. Et maintenant, elle attendait. Elle attendait de voir ce que sa soi-disant meilleure amie allait lui donner de convenables explications pour ne pas avoir été là pour elle alors qu’elle était au plus bas, voir si elle avait une bonne raison de ne pas s’être inquiétée plus que ça pour elle. Et puis, Debra savait qu’elle allait lui faire une remarque sur sa sale tronche. Depuis qu’elle était arrivée à Brisbane, Debra avait tendance à délaisser son apparence physique. De toutes façons, elle ne voulait pas que les gens d’ici apprennent à la connaître comme ça. Elle n’aimait pas la Debra qu’elle était ces derniers temps, elle voudrait que les gens de Brisbane, ville qui semblait prête à l’accueillir comme Dublin l’avait fait pendant ces vingt-six dernières années. C’était bien parti pour le moment, avant que Debra ne reçoive ce sms quelques heures plus tôt.
Ça fait mal de grandir, changer. Si on vous dit le contraire, c’est un mensonge. △
« Tu es sûre que tu ne veux pas que je reste ? » me demandait Tony en attrapant ma main par-dessus la table. Je lui serrais doucement la main, caressant celle-ci de mon pouce un peu distraitement avant de secouer négativement la tête, lentement. « C’est quelque chose que je dois faire seule. » ajoutais-je en jouant distraitement de ma main libre avec la cuillère de mon thé. « Tu sais, Debra et moi ça a toujours été compliqué. » C’était d’ailleurs un doux euphémisme, notre amitié était aussi jalonnée qu’un parcours de cross, je ne comptais plus les embûches qui s’étaient hissées entre nous. « De toute façon, elle ne restera pas si je ne suis pas seule. Je ne suis même pas sûre qu’elle vienne » soupirais-je. J’attrapais mon téléphone, lâchant la main d’Tony pour regarder une fois de plus le sms que je lui avais envoyé pour lui donner rendez-vous dans ce café-là. Debra ne m’avait pas répondu, mais le contraire m’aurait étonné. J’étais certaine qu’à cet instant précis, à seulement quelques minutes de l’heure du rendez-vous que je lui avais fixé, Debra n’était pas sûre de savoir si elle allait se décider ou non à me rejoindre. Voilà plusieurs mois que nous n’avions aucune nouvelles l’une de l’autre, une période anormalement longue, même pour notre amitié chaotique. J’avais pourtant essayé après quelques jours sans nouvelles d’elle, j’avais envoyé des sms qui étaient restés sans réponse, j’avais appelé plusieurs fois pour tomber à chaque fois sur la même boîte vocale. Et j’avais fini par laisser tomber, persuadée que c’était encore une des passades de Debra, une sorte de crise d’adolescence à retardement qui collait parfaitement au personnage qu’était ma meilleure amie. Puis peu à peu, restant toujours plus longtemps sans nouvelles d’elle, j’avais fini par céder et par aller voir ses parents pour lui demander si, eux, ils avaient des nouvelles de leur fille. C’était de cette façon que j’avais appris que Debra était partie pour l’Australie pour rejoindre son frère. La nouvelle m’avait fait un choc. J’avais toujours su que notre relation n’était pas parfaite, loin de là. En revanche je n’aurai jamais cru qu’elle aurait été capable de quitter le pays sans même m’en toucher un mot. Si pendant quelques temps ma fierté d’avoir été ainsi abandonnée m’avait empêché de prendre les mesures nécessaires pour la retrouver, l’inquiétude avait fini par faire le travail. Et voilà comment je me retrouvais à Brisbane dans un café à attendre une hypothétique visite de celle que j’appelais ma meilleure amie. Un nouveau soupir passait la barrière de mes lèvres. « Elle viendra. Elle n’a pas vraiment le choix. Tu as fait je ne sais combien d’heures d’avion pour la retrouver, elle te doit bien un café » disait-il, se penchant par-dessus la table pour embrasser mon front. « Si les choses avec Debra étaient aussi faciles, on ne serait pas à Brisbane pour aller la chercher » ajoutais-je dans un petit sourire, touchée par les efforts que faisait Tony pour essayer de me mettre un peu de baume au cœur. Il sentait bien que je redoutais cette entrevue, je lui en avais parler maintes et maintes fois durant le trajet. « Allez vas-y, il est l’heure. » ajoutais-je à l’intention d’Tony. Il acquiesçait, terminait son café et se levait pour venir m’embrasser. Puis il disparaissait, me laissant seule. Un serveur ne tardait pas à venir débarrasser la tasse d’Tony quand la voix de Debra me tirait de mes pensées : « Mieux vaut tard que jamais comme on dit, non ? » Elle arquait le sourcil, me regardant avant de s’asseoir sur la chaise où se trouvait Tony quelques instants plus tôt. Peu à peu le silence s’installait entre nous. Je ne regardais pas vraiment Debra dans les yeux, continuant de touiller mon thé qui ne contenait pourtant pas la moindre trace de sucre. « Tu veux rire j’espère ? » lançais-je finalement, mon regard venant à la rencontre du sien. J’observais Debra, ses joues creusées, les os de ses clavicules qui ressortaient pourtant plus qu’à l’accoutumée et pourtant ce ventre qui était plus épais qu’il ne l’avait jamais été chez la jeune femme. C’était imperceptible, un changement infime. Si j’avais côtoyé Debra régulièrement ces derniers mois, ce détail ne m’aurait peut-être pas sauté aux yeux. Mais là, il m’apparaissait évident. Je connaissais parfaitement ma meilleure amie, et ce ventre-là, elle ne l’avait jamais eu. « C’est pour ça que tu es partie ? » demandais-je alors, en baissant le regard sur la poche de son sweat, juste là où se trouvait le ventre arrondi par la grossesse de Debra. Pour sûr, elle n’avait pas envie que je remarque la chose, le sweat qu’elle portait en était clairement la preuve. Mais puisqu’elle n’avait pas l’air décidée à faire de cette entrevue de bonnes retrouvailles, je décidais d’attaquer le vif du sujet.
« Tu veux rire j’espère ? » La réaction - presque - spontanée d’Elles n’étonna pas Debra. Entre elles, ça avait toujours été ainsi, elles avaient toujours été très cash et c’était un mode de survie qui leur convenait pas trop mal. Elles s’en sortaient toujours en se serrant les coudes et en étant honnêtes et franches l’une envers l’autre. Enfin, presque, quand ça les arrangeait en tous cas. La jeune blonde en face d’elle finit par relever son regard vers Debra, et cette dernière se sentit comme passée aux rayons X. Ca faisait quelques mois qu’elles ne s’étaient pas vu, et bien que Debra était heureuse de revoir sa meilleure amie, cette rencontre était source de stress. « C’est pour ça que tu es partie ? » Ce fut comme si son coeur s’était arrêté de pomper pendant quelques instants. Comme s’il l’avait laissé la seule en plan, devant cette phrase qui pouvait être bourrée de sens que Debra elle même pourrait ne pas comprendre. Mais elle n’était pas si dupe que ça, elle avait vu la façon dont Eleanor l’avait regardé de haut en bas, elle avait compris en moins d’un coup d’oeil. Il avait fallu deux secondes, chronomètre en mains, à sa meilleure amie pour comprendre qu’elle couvait un petit être. Après plusieurs mois chez lui, son frère n’avait rien vu, comment était-ce possible qu’elle ait pu le voir elle ? Elle la connaissait extrêmement bien, mais ça louait Debra tout de même. Tirant machinalement sur son sweat comme si elle tentait de l’agrandir plus que possible, elle baissa le regard. « Tu parles de quoi là ? » Elle avait tenté de prendre une voix banale, de la femme blasée par la vie, mais elle n’était même pas convaincue elle même. Elles allait comprendre rapidement que c’était plus grave que prévu, puisqu’on pouvait presque entendre les sanglots dans la voix de Debra. Ca la faisait chier, elle ne voulait pas craquer après seulement quelques poignées de secondes à être assise en face de la jeune femme. Et puis, elle trouvait ça vache de sa part de commencer leur entrevue sur une phrase aussi révélatrice que celle-ci. Si Debra n’avait pas mise Eleanor au courant jusque maintenant, c’était qu’elle devait avoir une bonne raison. Et pourtant en lui posant cette question, Elea savait qu’elle plongeait la tête la première et droit dans le mur. « Je suis partie pour Ben, mes parents ont du te le dire ça, ils peuvent pas s’empêcher d’en parler j’suis sure. » Et voilà que le côté un peu drama et j’ai besoin d’attention ressortait de chez Debra. Ca avait toujours été le cas, entre ses parents et Elea. Elle se sentait inférieure dans toutes les situations qu’ils pouvaient tous les trois évoquer. Ses parents parce-que sa grande soeur était meilleure pour tout, et dans toutes les situations. Avec Elea, c’était cet esprit perpétuel de compétition qui la faisait se sentir inférieure. Elle tentait de le repousser depuis des années, mais rien n’y faisait. C'était aussi pour ça qu’elle n’avait pas donné d’avantage de nouvelles à Elea, car dans sa tête tomber enceinte c’était comme perdre la partie en cours du jeu. Choper un mec avant sa copine, c’était marrant. Tomber enceinte de ce dit garçon, ça l’était beaucoup moins. Elle finit cependant par relever le regard vers la jeune femme, un regard un peu noir sur les bords mais embué de tristesse et de solitude. « Qu’est-ce qui fait que tu sois venue ici, toi ? » Ca ne pouvait pas être aussi simple que simplement vouloir la revoir. Non, sinon elle aurait pris un avion depuis belle lurette. Ca devait forcément avoir un rapport avec elle et sa petite vie. Et malgré tout, Debra avait hâte de savoir parce-que raconter les potins autour d’un café avec Elea, c’était son passe-temps favori de retour à Dublin.
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Clairement, même si j’étais extrêmement contente de revoir Debra et de constater que tout allait bien pour elle, j’étais venue ici pour avoir des réponses et je ne comptais pas laisser à Debra la chance de se dérober comme elle savait si bien le faire. Alors qu’elle tentait de me renvoyer la faute dessus, je balayais sa remarque d’un revers, ne manquant pas de cette honnêteté qui caractérisait notre relation depuis des années. C’était une habitude que nous avions prise et si notre relation avait souffert de bien des choses, comme cette irrépressible instinct de compétition que nous exercions l’une contre l’autre, elle n’avait pas péché par hypocrisie. Alors que je l’observais, remarquant au passage sa silhouette amaigrie, son ventre rebondit me sautait aussitôt aux yeux et je ne tardais pas à lui demander si c’était ça la raison de son départ précipité. Je sentais Debra se crisper lorsqu’elle avait entendu mon commentaire et qu’elle avait compris à quoi je faisais référence. Nerveusement un peu, elle était venue tirer sur son sweat comme si cela allait camoufler ce que j’avais pourtant remarqué, fuyant aussitôt mon regard. « Tu parles de quoi là ? » demandait-elle, l’air désinvolte, du moins c’était ce qu’elle essayait de laisser paraître. « Tu sais bien de quoi je parle » répliquais-je alors d’une voix plus douce, comprenant bien qu’il y avait véritablement quelque chose qui clochait de ce côté-là. Je connaissais suffisamment Debra pour savoir que ce n’était pas en la braquant que j’obtiendrais quoi que ce soit d’elle. De toute façon, le regard triste de Debra et sa voix qui tremblait un peu m’avaient aussitôt fait décolérer. « Je suis partie pour Ben, mes parents ont dû te le dire ça, ils peuvent pas s’empêcher d’en parler j’suis sure. » ajoutait-elle, comme si elle essayait de se convaincre elle-même. Pour ma part, c’était tout vu : je savais maintenant que ce petit ventre était bien ce que j’avais soupçonné et que c’était là, la source du malaise de Debra. « Ils n’ont pas trop su me dire pourquoi tu étais partie » avouais-je à Debra, en la regardant. Après quelques minutes de silence, le regard de la brune finit par croiser le mien, yeux dans lesquels je parvenais aussitôt à déceler de la colère et une certaine détresse. « Qu’est-ce qui fait que tu sois venue ici, toi ? » me demandait-elle alors. Je levais les yeux au ciel, bien qu’un sourire en coin étirait mes lèvres. Elle ne changerait donc jamais. « Un soudain besoin de changer de coin pour faire du surf » dis-je alors, pour rentrer dans son jeu de Calimero. Mais face à son absence de réaction je me sentais aussitôt obligée d’ajouter : « A ton avis, qu’est-ce qui pourrait bien me motiver à aller au bout du monde ? » Si ce côté un peu Drama Queen chez Debra avait un certain charme, mais parfois c’était vraiment de trop. J’aurais aimé la rassurer, lui dire qu’être enceinte ce n’était pas le bout du monde, que je serais là pour l’accompagner dans cette épreuve, qu’on se serrerait les coudes toutes les deux. Mais je ne pouvais pas me résoudre à lui avouer que j’étais également enceinte. Non seulement parce que Debra se braquerait aussitôt, s’écriant à qui voulait bien l’entendre que je ramenais tout à moi, parce que je sentais bien également que cette grossesse non désirée était clairement une sorte de cauchemar pour elle tandis que moi, je me faisais doucement à cette idée, surtout maintenant que Tony était de retour à mes côtés. Mais c’était également parce que je n’arrivais pas à l’avouer à qui que ce soit en dehors de Tony, pas alors que ça ne faisait que deux mois et qu’à tout moment je pouvais perdre ce bébé. Peut-être lui annoncerais-je lorsque j’aurai atteint le premier trimestre. « Je me suis vraiment inquiétée pour toi, mais tu n’as répondu à aucun de mes appels, aucun de mes sms et mon email sont restés sans réponses eux aussi. J’ai cru que tu ne voulais plus de moi. » lui avouais-je alors, sentant bien qu’il fallait qu’on crève cet abcès. « Alors raconte-moi, un peu ta vie ici. T’as retrouvé Ben du coup ? »
« Tu sais bien de quoi je parle » Debra finit par baisser rapidement son regard, ne voulant pas qu’Elea ait la confirmation à sa question en captant ses émotions - elle était un livre ouvert pour la jeune femme et ce n’était pas évident tous les jours lorsqu’elle voulait lui cacher quelque-chose. Et même si elle avait enfin une occasion d’avouer clairement à Eleanor sa grossesse, cette dernière lui tendant une perche énorme, Debra n’arrivait pas à la saisir. Elle l’avait caché pendant tellement longtemps que ses mécanismes de défense avaient du mal à baisser leur garde. Elle préféra alors rapidement détourner la conversation sur la raison de l’arrivée d’Elea à Brisbane - car c’était littéralement à l’autre bout du monde d’où elle était censée habiter. « Un soudain besoin de changer de coin pour faire du surf » A cette réponse, Debra fit une petite moue à mi-chemin entre le sourire et la déception, hochant légèrement la tête. Car même si elle espérait secrètement qu’Eleanor soit venue pour elle, elle ne lui avait rien demandé et elle était peut-être réellement venue ici par plaisir, en mode vacances. Elle ne vit d’ailleurs pas que la jeune femme leva rapidement les yeux au ciel puisqu’elle évitait soigneusement de croiser son regard. « A ton avis, qu’est-ce qui pourrait bien me motiver à aller au bout du monde ? » « Tu aurais pu avoir besoin de vacances, qui sait. » Et le silence vint se réinstaller, tranquillement, comme un vieil ami entre les deux jeunes femmes. Et Debra n’aimait pas du tout ça. Avec Eleanor, il n’y avait de silence normalement. Et en temps normal pour se détendre, elle aurait bien sur allumé une cigarette - mais après les réflexions qu’elle s’était pris dans la tronche par Benjamin elle avait quelques scrupules à réussir à en allumer une maintenant. Et Elea la tuerait si elle faisait ça devant elle. « Je me suis vraiment inquiétée pour toi, mais tu n’as répondu à aucun de mes appels, aucun de mes sms et mon email sont restés sans réponses eux aussi. J’ai cru que tu ne voulais plus de moi. » Pour la première fois depuis qu’elle avait posé son cul sur la chaise, Debra releva les yeux pour regarder réellement son amie. Parce-qu’elle puisse oser dire ça, ça la peinait. Car malgré toutes les merdes qu’il avait pu leurs arriver, jamais Debra n’avait réellement tourné le dos à Eleanor. Oui, parfois elle lui avait dit qu’elle ne voudrait plus la voir, et ça lui était arrivé de la traiter de tous les noms. Mais pour autant, dès que son amie avait besoin d’elle, elle avait toujours été là - qu’importe comment se tenait leur relation au moment venu. « Sois pas idiot Elea… » Et même si Debra savait qu’elle avait pris la bonne décision en quittant Dublin pour venir se terrer à Brisbane, à l’autre bout de la planète d’où elle était originaire, la façon dont la jeune femme lui parlait commençait à lui briser le coeur. Car si elle n’avait pas donné de nouvelles, c’était pour une simple et bonne raison: elle n’avait n’arriver pas à gérer les nouvelles qu’elle apprenait. Et la dernière en date était beaucoup trop grosse pour que Debra en parle à qui veut comme du beau temps. « Alors raconte-moi, un peu ta vie ici. T’as retrouvé Ben du coup ? » Après quelques secondes d’hésitation et un long soupire, Debra finit par mieux s’installer dans sa chaise et par tenter de se débarrasser de cette envie de fuir qui ne la lâchait pas depuis qu’elle avait accepté le rendez-vous avec Eleanor. « J’aurai pu ne jamais le retrouver vu comment sa maison est paumée comme jamais, mais ouais, je l’ai retrouvé… Seul d’ailleurs, sa femme n’est toujours pas revenue. » Eleanor était au courant que Benjamin passait par une mauvaise passe avec sa femme, avant que Debra ne s’envole pour Brisbane, puisque c’était en partie l’excuse qu’elle avait utilisé pour dire à Ben qu’elle arrivait. « Et tu vas adorer la ville. La plage est bien mieux qu’à Dublin, voire même toutes les plages ensoleillées qu’on a testé pas trop loin de l’Irlande. » Elle allait enchainer quand elle se retint. Comme si c’était de trop si elle lui demandait ça alors qu’elle l’avait repoussé pendant des mois. Mais en même temps, elle ne pouvait pas faire comme si elle n’en avait rien à faire de la vie d’Elea. « Et toi lors, comment ça va ? »
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Debra se faisait plus fuyante que jamais, et je savais à cet instant précis que j’avais mis le doigt sur la raison de son départ précipité : sa grossesse qui n’était certainement ni attendue et encore moins désirée. Debra et moi étions étrangement semblables sur différents aspects, mais s’il y avait bien un aspect où nous divergions totalement c’était sur la question de la famille. Très tôt, j’avais rêvé de fonder une famille heureuse et épanouie, d’avoir des enfants et de les étouffer de mon amour. J’avais en effet, toujours souffert de ma situation familiale quasi inexistante entre un père qui avait toujours préféré se reconstruire une nouvelle famille plutôt qu’élever la fille qu’il avait déjà, et une mère qui n’en avait jamais été une, beaucoup trop centrée sur sa personne pour réellement s’intéresser à sa fille. Debra, elle, avait des parents géniaux et aimants qui avaient toujours fait du mieux qu’ils le pouvaient, et ce malgré le sale caractère de leur fille. Ca n’avait donc pas grand-chose d’étonnant qu’elle accueille sa grossesse comme un évènement funeste, là où j’y voyais une bénédiction. Malgré moi, j’avais soudainement la désagréable impression que ces grossesses quasi simultanées qui auraient dû nous rapprocher, allaient davantage nous séparer, si ce n’était déjà fait.
« Tu aurais pu avoir besoin de vacances, qui sait. » bougonnait Debra lorsque je lui demandais selon elle, la raison de ma venue à l’autre bout du monde. Je soupirais alors, un peu agacée qu’elle puisse autant douter de mon attachement envers elle mais je ne disais rien. Je connaissais suffisamment ma meilleure amie pour savoir que parfois, il valait mieux ne pas trop insister et que parfois, les choses mettaient tout simplement un peu de temps avant de lui apparaître comme elles étaient réellement. D’ici quelques jours, j’étais certaine que Debra comprendrait finalement que je n’étais pas venue ici pour parfaire mon bronzage. Le silence persistait entre nous et je décidais de le briser pour lui avouer qu’elle m’avait vraiment fait peur cette fois-ci. Et cette déclaration m’obtint le droit de recevoir mon tout premier vrai regard de la part de la brune. « Sois pas idiote Elea… » soupirait-elle et j’arquais un léger sourcil, un peu désabusée. Ne se rendait-elle pas compte de ce que ça faisait de ne pas avoir de nouvelles pendant plusieurs mois ? D’être obligée d’aller trouver ses parents pour savoir où est-ce qu’elle se trouvait à la surface du globe ? Visiblement pas. Finalement, je décidais de laisser tomber pour lui demander de ses nouvelles un peu.
Je m’inquiétais rapidement de savoir si elle avait retrouvé Benjamin. Je savais qu’il avait quitté Dublin plusieurs années auparavant, pour venir faire ses études ici, en Australie. Mais je n’avais pas trop suivi ce qu’il lui était arrivé par la suite. « J’aurai pu ne jamais le retrouver vu comment sa maison est paumée comme jamais, mais ouais, je l’ai retrouvé… Seul d’ailleurs, sa femme n’est toujours pas revenue. » Je ne pouvais m’empêcher de sourire en coin, car j’avais personnellement toujours eu du mal à imaginer Ben casé. « Tu sais, ça ne m’étonne pas tellement de sa part.. » En connaissant Ben, il était facile d’imaginer les raisons qui auraient poussé sa copine à mettre les voiles. « Et tu vas adorer la ville. La plage est bien mieux qu’à Dublin, voire même toutes les plages ensoleillées qu’on a testé pas trop loin de l’Irlande. » continuait Debra et j’hochais la tête. « Oui, j’ai déjà pu observer ça, j’aime beaucoup l’ambiance qu’il y a ici, l’énergie de la ville et la beauté de la plage » avouais-je. « Je pensais que j’aurai plus de mal à accepter le climat Australien et que l’Irlande m’aurait plus manqué que ça » Tony m’avait déjà fait faire un tour de l’Australie, pour me faire découvrir les merveilles de son pays et j’étais tombée sous le charme.
« Et toi alors, comment ça va ? » demandait alors Debra. Je me retenais alors de poser une main sur mon bas ventre, comme j’avais récemment pris l’habitude de le faire en songeant à ce petit être qui grandissait en moi. Je ne voulais pas dire à Debra que j’étais enceinte, pas maintenant alors qu’elle était aussi braquée concernant sa propre grossesse. Ca avait toujours été compétition entre nous deux et pour la première fois de ma vie, j’en étais lasse. « Eh bien, j’ai plaqué mon boulot de journaliste que j’avais à Dublin. J’en ai carrément marre de tout ça et j’ai vraiment envie de me consacrer à la mode et à la photographie. J’essaye de faire mon trou ici, de profiter de mon arrivée ici pour faire une sorte de renouveau professionnel. Sinon j’ai rencontré quelqu’un, quelques temps après que tu aies disparue. C’est un australien, originaire d’ici qui a accepté de revenir en Australie pour me suivre quand je lui ai dit que j’avais envie de te retrouver. Je crois que c’est peut-être le bon » avouais-je avec un sourire un peu niais que j’essayais de contenir. J’avais toujours eu peur que Debra constate à quel point, j’avais des rêves de petite fille, d’un amour éternel et puissant, capable de faire des miracles. « Il faudrait que je te le présente à ce propos » ajoutais-je en risquant un petit regard à l’attention de mon amie, histoire de tester sa réaction. « Et toi, alors en dehors de Ben et de la plage, tu as rencontré du monde ? » Je brûlais d’envie de connaître son quotidien, de rencontrer ses amis et de me faire une place dans cette nouvelle vie qu’elle s’était construite ici sans moi.
« Oui, j’ai déjà pu observer ça, j’aime beaucoup l’ambiance qu’il y a ici, l’énergie de la ville et la beauté de la plage. Je pensais que j’aurai plus de mal à accepter le climat Australien et que l’Irlande m’aurait plus manqué que ça » Debra eut un petit sourire - parce-que oui, il lui arrivait parfois de sourire même dans les situations qui ne la mettaient pas à l’aise; et puis là les deux jeunes femmes parlaient de banalités, et s’éloignaient du point de la conversation qui gênait Debra, donc c’était tout bon pour elle. « Bizarrement, on s’habitue toujours plus facilement au beau temps qu’au temps pourri. La pluie me manque pas moi en tous cas. » Et puis de toutes façons, depuis qu’elle était assez grande pour exprimer clairement son opinion, Debra avait toujours décrété qu’elle verrait du paysage quand elle serait plus grande. Il lui aura fallu une grossesse imprévue pour la faire bouger mais elle avait fini par effectivement partir définitivement de Dublin. Après quelques hésitations, Debra finit quand même par demander à Elea comment elle allait, elle. Ce qui était idiot car elle n’aurait jamais hésité auparavant. Comme quoi, cette grossesse changeait vraiment sa vie - et pas forcément d’une façon qui lui plaisait. « Eh bien, j’ai plaqué mon boulot de journaliste que j’avais à Dublin. J’en ai carrément marre de tout ça et j’ai vraiment envie de me consacrer à la mode et à la photographie. J’essaye de faire mon trou ici, de profiter de mon arrivée ici pour faire une sorte de renouveau professionnel. Sinon j’ai rencontré quelqu’un, quelques temps après que tu aies disparue. C’est un australien, originaire d’ici qui a accepté de revenir en Australie pour me suivre quand je lui ai dit que j’avais envie de te retrouver. Je crois que c’est peut-être le bon » Le visage de la jeune brune s’était levé, petit à petit, réellement vers son amie au fur et à mesure qu’elle parlait. Parce-que malgré son attitude je m’en foutiste et le fait qu’elle ait fait la morte pendant plusieurs mois, avoir de vrais nouvelles d’Eleanor lui faisait du bien. Surtout qu’elle lui en donnait des biens intéressantes, des nouvelles qui arrivaient à tirer avec force un vrai sourire des lèvres de Debra. Le premier vrai depuis qu’elle avait mis les pieds en Australie, on pourrait même dire - car les mois qu’elle avait passé avec Ben, elle les avait passé à lui cacher son ventre et à rester concentrée pour ne pas qu’il découvre de suite son secret. « Il faudrait que je te le présente à ce propos » « Attends attends là, ralentis deux secondes. » Elle avait ce regard malicieux de la fille heureuse pour son amie et en même temps moqueuse, chose qu’elle ne pouvait s’empêcher d’être aux côté de sa meilleure amie. « Miss Donovan se serait-elle assagie et rangée pour de bon ? Mais qui êtes-vous et qu’avez vous fait de ma meilleure amie ? » Et alors, plutôt fière il fallait avouer de sa moquerie, Debra fut prise d’un rire. Mais vous savez, pas celui forcé qu’on émet parfois pour faire plaisir à ses interlocuteurs. Non, celui ci était bien réel, venant du coeur - mais c’était aussi celui qui faisait mal à la tête lorsqu’il avait été trop longtemps attendu et qu’on s’était trop longtemps méfié du moment où il allait être là. Debra ria alors pendant une trentaine de secondes avant de reprendre son calme - et de reprendre beaucoup trop son sérieux d’un coup. « Excuse moi. Oui oui, bien sur, il faudra que je rencontre monsieur Parfait. » Elle fit un petit clin d’oeil à Elea avant que celle-ci reprenne la parole à son tour. « Et toi, alors en dehors de Ben et de la plage, tu as rencontré du monde ? » Debra s’installa alors un peu mieux dans son fauteuil de terrasse, hélant même le serveur pour commander une boisson - vu que les deux jeunes femmes semblaient être de mieux en mieux parties pour discuter réellement, tranquillement. Elle plissa alors légèrement les yeux, réfléchissant. « J’suis en train de me rendre compte que j’ai plus retrouvé d’anciennes connaissances que fait de nouvelles. A croire que tout le monde s’exile à Brisbane, Australie. Après je les comprends, le cadre s’y prête vachement… » Et alors qu’elle allait commencer à faire la liste à Elea des gens qu’elle avait retrouvé, en dehors de Ben, en parcourant Brisbane, le téléphone de la jeune femme se mit à sonner. Sourire malicieux aux lèvres, Debra attrapa le téléphone de son amie avant qu’elle n’ait le temps de mettre la main dessus - comme elle l’aurait fait si elles avaient été chez l’une ou chez l’autre, de retour en Irlande. « Qui c’est qui t’appelle ici ? Monsieur le Promis Parfait ? » Cependant, lorsque Debra descendit son regard sur l’écran du téléphone, elle riait beaucoup moins soudainement, toute trace de sourire ayant disparue comme par magie. Bordel. De. Merde.
Ça fait mal de grandir, changer. Si on vous dit le contraire, c’est un mensonge. △
Peu à peu, la conversation reprenait, comme nous avions l’habitude de le faire lorsque nous étions encore toutes les deux en Irlande, loin de tous ses soucis qui semblaient s’abattre sur nous désormais. L’ambiance tendue qui régnait auparavant entre nous, s’adoucissait peu à peu et je pouvais même constater que Debra laissait un peu tomber l’armure qu’elle s’était forgée pour me rencontre. « Attends attends là, ralentis deux secondes. » m’interrompait Debra avec un air un peu moqueur et amusé alors que je lui parlais de Tony, avec qui je filais le parfait amour. « Miss Donovan se serait-elle assagie et rangée pour de bon ? Mais qui êtes-vous et qu’avez-vous fait de ma meilleure amie ? » plaisantait-elle avant de se mettre à rire, visiblement très satisfaite de sa petite réplique. « Eh bien peut-être » répondis-je avec un petit sourire coupable avant de me mettre à rire. Debra avait loupé tellement de choses en quittant l’Irlande aussi brusquement et rapidement. « Excuse moi. Oui oui, bien sur, il faudra que je rencontre monsieur Parfait. » s’excusait-elle en arrêtant de rire. Quelque part, j’avais la sensation que de nous être séparées pendant un temps nous avait toutes les deux pousser à devoir grandir et mûrir un peu. Quelque part, je savais que mon rapprochement avec Tony était lié au départ de Debra. Je m’étais clairement sentie abandonnée après son départ et j’avais tenté de trouver quelque chose à me raccrocher. J’étais prête à parier que si Debra avait été dans le coin, je ne me serai pas aussi facilement attachée à Tony et j’aurai eu beaucoup plus de difficultés à lui accorder ma confiance et mon cœur comme je l’avais fait. « C’est arrivé un peu par hasard, je t’avoue que je ne m’y attendais pas réellement. C’était pas vraiment sérieux au début, puis au final on s’est rendu compte qu’on passait la majorité de notre temps ensemble. » lui expliquais-je alors, sans trop rentrer dans les détails. Je n’avais pas envie de bassiner Debra avec mes histoires de cœur et mon humeur légèrement cul-cul la praline quand j’en parlais. J’aurai largement le temps de rentrer davantage dans les détails, une autre fois, une fois que nous aurions toutes les deux repris notre marques vis-à-vis de l’autre.
Je détournais rapidement le sujet de ma petite personne pour rapporter mon attention sur elle. Je savais qu’il n’était pas temps d’aborder une fois de plus le sujet de sa grossesse et qu’il me faudrait faire preuve d’une grande patience pour réussir à lui tirer les vers du nez. Mais j’étais prête à patienter pour connaître les détails et les circonstances de sa grossesse, je me demandais également qui pouvait bien être le père et si elle avait pris la peine de lui annoncer la nouvelle. « J’suis en train de me rendre compte que j’ai plus retrouvé d’anciennes connaissances que fait de nouvelles. A croire que tout le monde s’exile à Brisbane, Australie. Après je les comprends, le cadre s’y prête vachement… » expliquait-elle. Je « Ah ouais ? Et qui est-ce que tu as… » avais-je commencé à lui demander, curieuse de savoir qui elle avait retrouvé ici et si je les connaissais moi aussi mais la sonnerie de mon téléphone retentissait me coupant net dans ma question. Debra aussi avait reporté toute son attention sur mon téléphone et s’était emparée de celui-ci rapidement, me laissant à peine le temps de voir que c’était Tony qui essayait de me joindre. Je le soupçonnais en effet de m’appeler pour s’assurer que ces retrouvailles avec ma meilleure amie que je redoutais tant se passait bien et éventuellement m’offrir une échappatoire en cas de problème. « Qui c’est qui t’appelle ici ? Monsieur le Promis Parfait ? » me lançait Debra avant de regarder mon téléphone. Je l’observais, amusée à l’idée de la voir répondre à Tony et je remarquais aussitôt son visage qui se transformait en observant mon téléphone. « Bah qu’est-ce qu’il y a ? » lui demandais-je, un peu inquiète. « Debra ? Pourquoi tu ne décroches pas ? » Sans trop attendre, je lui reprenais le téléphone des mains pour répondre. « Tony ? Oui ne t’en fais pas tout va bien. On se retrouve à l’appartement. » Je mettais rapidement un terme à notre conversation, soucieuse par l’attitude étrange de Debra. Qu’est-ce qui pouvait bien se passer dans sa tête. « Debra ? » me risquais-je pourtant, je savais bien au fond de moi que l’accalmie était terminée et que ma meilleure amie venait de se refermer comme une huître, mettant un terme à toute conversation entre nous.
« Ah ouais ? Et qui est-ce que tu as… » Alors le téléphone de la jeune femme sonna, et Debra se jeta dessus, ne laissant pas le temps à Eleanor de voir qui tentait de la joindre. Et Debra ne se serait pas arrêtée en si bon chemin si l’appel entrant n’avait pas été orné d’une photo, qui plus est d’une photo représentant quelqu’un qu’elle connaissait. Cet homme, elle l’avait déjà rencontré. Côtoyé. Embrassé - et plus si affinité. Alors, machinalement, la deuxième main de Debra commença à se porter vers sonnette - elle avait beau détesté ce petit être qui grandissait en elle, elle avait certains réflexes acquis depuis qu’il était là. Elle se retint d’ailleurs au dernier moment, juste avant que sa main ne touche son ventre, pour être sûre qu’Elea ne voit pas son geste et qu’elle lui confirme involontairement sa grossesse. Elle savait que sa meilleure amie savait, mais elle n’était pas totalement prête à lui confirmer. « Bah qu’est-ce qu’il y a ? Debra ? Pourquoi tu ne décroches pas ? » Elle arrivait à peine à ouvrir la bouche pour parler, le regard toujours fixé comme jamais sur cet écran de téléphone. Les paroles de sa meilleure amie paraissaient être dites à une distance beaucoup trop lointaine pour être réelle, comme si elle était dans une bulle qui diminuait tous les bruits alentours. Le téléphone lui fut ôté rapidement des mains par la jeune blonde qui répondit directement. « Tony ? Oui ne t’en fais pas tout va bien. On se retrouve à l’appartement. » A l’appartement. Sachant qu’Eleanor n’était venue avec personne d’autre que son monsieur parfait en Australie, l’homme que Debra venait de voir sur la photo se devait d’être lui, Tony. « Debra ? » « Je dois y aller. » Elle avait parlé beaucoup trop fort, beaucoup trop précipitamment, l’urgence la prenant de court. Elle fut d’ailleurs à deux doigts de se prendre la table dans le ventre lorsqu’elle se leva trop rapidement de sa chaise, n’ayant toujours pas compris qu’elle n’avait plus les mêmes dimensions pour passer partout comme elle le pouvait par le passé. Bordel. C’était un cauchemar. Pire que ce qu’elle aurait jamais pu imaginer. « J’ai oublié… Je… Dois rejoindre Ben. Désolée, je t’appellerai ok ? » Elle osa à peine jeter un dernier coup d’oeil à Eleanor. Non, elle n’y arriverait pas aujourd’hui. Elle venait de comprendre beaucoup trop de choses d’un coup, son cerveau n’avait pas été préparé à ce genre de nouvelles, alors celui de la jeune blonde ne devait certainement pas l’être non plus. Reprenant son propre téléphone qui était, jusque maintenant, posé face contre table, elle tira nerveusement sur son sweat avant de faire demi-tour et prendre le chemin menant vers sa voiture. Elle crut entendre vaguement Eleanor l’appeler derrière elle, mais elle n’y prêta aucune attention. Car si elle venait de bien comprendre, l’homme qui attendait dans l’appartement que sa meilleure amie occupait en ville, cet même homme là dont elle était définitivement amoureuse - ça se voyait à des kilomètres dans ses yeux -, était aussi l’homme qui avait réussi à lui faire ça. Cette fois ci, elle laissa sa main se porter à son ventre, une vague de nausées la prenant. Elle se retint de ne pas renvoyer le peu de déjeuner qu’elle avait eu plus tôt dans la journée, car ce n’était pas le moment. Les larmes commençait à couler sur son visage, et elle voulait pouvoir être seule dans sa chambre lorsque les sanglots commenceraient à se faire ressentir. Tous les plans impliquants de ne pas mettre au courant le père de son enfant au courant étaient en train de s’écouler. Si cet homme avec qui elle avait couché, plusieurs mois auparavant, était à Brisbane lui aussi et qui plus est au bras de sa meilleure amie, elle n’y échapperait pas. Elle ne pourrait pas ne pas le mettre au courant, puisqu’il allait finir par comprendre lui aussi - s’il se souvenait d’elle malgré les litres d’alcool dus à la soirée bien arrosée, six longs mois plus tôt.
Ça fait mal de grandir, changer. Si on vous dit le contraire, c’est un mensonge. △
Les comportements un peu étranges de Debra, je m’y étais habituée depuis le temps. J’étais capable d’interpréter la moindre de ses mimiques, le moindre haussement de sourcil, même ses silences trouvaient parfois des significations pour moi. Il fallait cependant croire que ces longs mois d’éloignement avaient causés plus de dégâts que ça dans notre relation puisque je me retrouvais incapable de comprendre ce qui clochait chez Debra à ce moment-là. Je la regardais fixer ce téléphone avec un air mortifié, sans parvenir à savoir ce qu’il se passait dans sa tête à cet instant précis. Et malgré mes apostrophes et mon insistance, Debra ne semblait pas réagir. Je lui arrachais alors doucement le téléphone des mains pour répondre à Tony et le rassurer quant au déroulement de ce rendez-vous tant redouté avec celle qui était ma meilleure amie depuis de nombreuses années maintenant. Je ne prenais pas trop le temps d’expliquer à Tony que tout se passait aussi bien que cela pouvait se passer compte tenu de la situation de Debra et je raccrochais un peu rapidement, bien trop préoccupée par l’état de la jeune femme. « Je dois y aller. » disait-elle aussitôt, catégorique. « Que… ? Quoi ? » bredouillais-je, un peu sonnée par sa réaction. « Mais on vient à peine de se retrouver ! » m’exclamais-je, dans l’incompréhension la plus totale alors que Debra bondissait sur ses pieds, manquant de renverser la table. « J’ai oublié… Je… Dois rejoindre Ben. Désolée, je t’appellerai ok ? » marmonnait-elle en fuyant délibérément mon regard. Était-elle seulement sérieuse ? Il fallait croire puisqu’elle attrapait aussitôt son téléphone avant de faire volte-face et de partir dans la direction par laquelle elle était venue un peu plus tôt. Je me levais à mon tour, toujours aussi abasourdie par son comportement et sans la moindre idée de ce qui venait de la faire flipper à ce point. Je jetais un coup d’œil circulaire autour de notre table, à la recherche d’une tête connue, de quelqu’un de suspect qui aurait pu l’effrayer, mais personne dans ce café ne semblait prêter attention à ce qu’il se passait entre elle et moi. Je déposais un billet sur la table avant d’attraper mon sac et mon téléphone et de suivre ma meilleure amie. « Debra ! Attends ! » Je lui courrais un peu après, mais elle avait déjà pris plusieurs mètres d’avance et j’avais la sensation que ma voix ne faisait que la faire accélérer. Je m’arrêtais alors brusquement dans ma course, les bras ballants, totalement déboussolée par ce qu’il venait de se passer. Je sentais déjà une boule se former au fond de mon estomac et je ne pouvais empêcher mon instinct de me dire que quelque chose de mauvais se préparait. Quelque chose qui faisait autant peur à Debra ne pouvait décemment pas être bon… Après être restée quelques instants immobile à regarder Debra disparaître de mon champ de vision, j’attrapais mon téléphone pour appeler Tony. « Allo Tony ? Tu es où ? » lui demandais-je aussitôt, et ma voix devait laisser transparaître mon désarroi parce qu’il s’inquiétait aussitôt de savoir comment j’allais. « Je te raconterai quand on sera rentrés. Tu es où ? » insistais-je, pressée de quitter cet endroit qui me mettait mal à l’aise. « D’accord, non, c’est bon je te rejoins. » Je raccrochais et me mettait alors en route pour le rejoindre, désemparée.