❝ when nothing goes right, go left ❞ CHARLIE & JANIS
Il fait incroyablement chaud aujourd’hui, quelle ironie pour un automne grandissant. Enfin, nous sommes en Australie, je devrais le savoir. Mais je suis une personne qui a énormément de mal à allier la chaleur et le travail. Pour moi, les deux sont incompatibles. Bloquée devant mon miroir, je ne sais pas quelle tenue choisir. Je ne veux pas être vulgaire et porter quelque chose de trop court, et je ne veux surtout pas m’encombrer de tissus inutiles qui me rendront plus exécrable encore. Je soupire, essaye quelques hauts pour finalement opter pour un débardeur très léger, voire presque transparent, qui laisse deviner mes dessous d’un blanc immaculé. Je choisis ensuite de l’assortir d’une jupe crayon assez courte de couleur noire, en sachant parfaitement que le soleil va sans nul doute me chauffer le derrière. Mais dans l’ensemble, c’est un bon compromis. J’attrape un petit-déjeuner au passage, salue Joy qui traîne dans le salon et prend la direction de la radio. Mes longs cheveux blonds, attachés en une haute queue-de-cheval, ressentent déjà la chaleur du soleil, et je prie intérieurement pour ne pas faire d’insolation avant d’arriver au bureau. Ce serait la goutte d’eau. C’est donc après quinze bonnes minutes de marche et un trajet de bus éreintant que j’arrive dans les locaux (sur)climatisés de la radio. Je salue la jeune fille à l’accueil et m’élance d’un pas assuré vers les ascenseurs. Je souffle un grand coup, je suis enfin à l’abri de cette chaleur assommante. En espérant que Jamie ne me donnera pas l’occasion d’avoir d’autres types de coups de chaud cela dit… Je prends mes quartiers dans mon petit bureau, adjacent à celui de mon supérieur et commence à consulter mes mails lorsqu’il vient m’interrompre. « Bonjour Janis. Quand tu auras fini avec l’emploi du temps de la semaine, passe dans mon bureau. Je dois te parler de quelque chose. » J’arque un sourcil et secoue la tête, sceptique. Je continue alors mes tâches de la matinée et me rend dans son bureau après une bonne heure de travail, comme convenu. Il me reçoit, un large sourire aux lèvres et m’explique que nous devons attendre quelqu’un d’autre avant qu’il ne m’explique de quoi son plan (machiavélique, j’en suis sûre) retourne. Nous discutons alors du weekend passé, comme de bons vieux amis, et nous faisons interrompre par la fameuse personne, toquant à la porte. Je me retourne et manque de m’étouffer, prise soudainement d’une quinte de toux impromptue. Non, je ne peux pas le croire. Ma tête jongle entre Jamie et… Charlie avec frénésie. Est-ce que je suis en train de rêver? Mon patron se relève pour accueillir le brun et l’invite à s’asseoir sur la chaise à côté de moi. Je lance alors un regard circonspect en direction du stagiaire. Qu’est-ce qu’il peut bien faire ici? Et surtout, quel est mon rôle dans tout cette situation? Jamie prend la parole: « Voilà, je vous explique: j’ai été assigné à un projet, mais je n’ai malheureusement pas le temps de le réaliser. Alors j’ai décidé de le déléguer à deux de mes poulains. Oui, vous. » Il laisse échapper un léger rire. « J’aimerais que vous travailliez ensemble. Charlie en tant que rédacteur, et Janis en tant que… bras-droit. » Il tourne la tête vers moi. « Tu connais parfaitement mon style, mes goûts, et surtout ce que je déteste. » Je secoue la tête, contente de voir qu’il me trouve quelques qualités. Mais bon, cela signifie que je vais devoir me coltiner Charlie, et ça me fait déchanter tout de suite. « Voilà les détails du projet. » Il nous tend deux dossiers nous expliquant les attentes de la boîte, enfin, ce que j’interprète comme ses attentes personnelles plutôt. Le projet est une série de mini-capsules concentrées sur la jeunesse Australienne, qui passeront durant la matinale de la radio. Nous sommes chargés de la rédaction de ces capsules et nous devons surtout trouver les meilleure idées à mettre en avant. J’écarquille les yeux. Durée du projet: un mois. Les capsules doivent être prêtes pour mi-juillet. Un mois à me coltiner Charlie, un mois à devoir probablement passer des heures supplémentaires dans les locaux avec lui, un mois de stress et de nervosité. Mon dieu, pourquoi ai-je signé? Jamie nous indique qu’il a réservé une salle de réunion expressément pour nous et nous invite alors à brainstormer tout de suite. Toujours décontenancée, je suis Charlie, qui semble aussi surpris que moi. Nous pénétrons dans la pièce et déposons les dossiers sur la table. Je prends ensuite ma tête entre mes mains et soupire. « Mais quelle galère! » je m’exclame en faisant la moue. « C’EST PAS POSSIBLE. » Oui, je pète littéralement les plombs. Un véritable coup de chaud, tout ce dont je n’avais pas envie. « Fin, c’est pas contre toi… » Un peu quand même. « … mais comment on va faire putain? » Je n’ai jamais ressenti pareille pression.
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Perdu dans mes pensées, je regardais par la fenêtre de la salle de pause, une tasse de thé à la main. Au loin, j’apercevais la mer et la ligne d’horizon qui accaparaient mes pensées depuis plusieurs minutes désormais. Je me souvenais à quel point je n’avais pas été sensible au charme de Brisbane à mon arrivée. Londres, son agitation, mon cocon doré et l’université d’Oxford me manquaient. J’étais incapable de voir la beauté singulière qu’avait Brisbane et la vision de la mer ne semblait pas accrocher mon regard plus que ça. Pourtant, c’était moi qui avait pleinement et consciemment choisi de quitter l’Angleterre et ma jeunesse dorée pour les terres australiennes. J’aurai pu laisser Gauthier et Théodora partir seuls, sans moi, élever cet enfant donc nos géniteurs avaient honte. Mais Londres sans mon frère et ma sœur à mes côtés aurait eu une bien étrange saveur. J’étais issu d’une famille de cinq enfants et bien que cela ne se faisait pas réellement, j’avais mes préférences dans ma fratrie. Malgré nos chamailleries d’enfants, dû à la proximité de nos âges, Théodora restait la sœur dont je n’aurai su me passer, quant à Gauthier, malgré son côté paternaliste que j’avais du mal à digérer, je savais pertinemment que sans lui nous aurions tous grandi sans amour. Mon petit frère, le plus jeune de nous tous était trop jeune pour que j’ai réellement pu tisser des liens avec lui, mes liens avec Ollie étant aujourd’hui plus profonds que ceux qui m’unissait à mon benjamin. Quant à ma grande sœur, à vrai dire, je m’en fichais un peu, elle était un peu dans son monde. Un sourire nostalgique étirait mes lèvres lorsque je songeais à ma famille, car malgré l’incapacité de mes parents à nous élever, nous avions, entre frères et sœurs, passé de sacrés bons moments. Suffisamment pour que jamais l’idée de rester à Londres sans Théo et Gauthier ne se soit réellement fait une place dans ma tête. Et aujourd’hui, je ne regrettais pas ce choix. Si parfois Londres me manquait, Brisbane était réellement l’endroit où je me sentais chez moi et libre. J’avais recommencé une vie ici, une vie qui me plaisait. Brisbane était un peu le symbole du changement qui avait opéré en moi, doucement mais inexorablement. Malgré tout et bien que ce soit assez difficile à croire, je m’étais assoupli avec les années et mes attitudes d’anglais snob étaient de moins en moins fréquentes et flagrantes. Le lâcher-prise australien avait sans doute peu à peu raison de moi. C’est alors qu’une voix me tirait de mes pensées, je faisais volte-face pour me retrouver face à un employé que je ne connaissais pas. « Pardon tu disais ? » Je n’avais pas entendu ce qu’il m’avait dit et me retrouvais obligé de le faire se répéter. « Jamie te cherchait. Rendez-vous dans son bureau d’ici une petite heure. » répétait-il. « Tu sais ce qu’il me veut ? » demandais-je alors, intrigué d’être convoqué de cette façon dans le bureau du rédacteur en chef. « Aucune idée non » Il haussait les épaules vaguement pour accompagner ses paroles. « Merci quand même » ajoutais-je alors qu’il disparaissait comme il était venu. Je terminais mon thé et décidais donc de me remettre au travail le temps de savoir ce que Jamie me voulait.
A l’heure convenue, je me dirigeais donc vers le bureau de Jamie. Je frappais brièvement avant de pousser la porte. Je m’arrêtais dans mon mouvement, jetant un regard à Jamie, puis à Janis, avant de revenir sur Janis. « Je ne voulais pas vous interrompre » Je m’apprêtais à refermer la porte lorsque celui-ci indiquait que c’était bon et qu’il souhait nous voir tous les deux. Aussitôt Janis, dans toute sa splendeur et avec sa demi-mesure habituelle manquait de s’étouffer dans une quinte de toux. Je levais les yeux au ciel, petit geste qui m’échappait presque malgré moi avant de me rendre compte que j’étais devant Jamie et que ce n’était pas forcément le lieu pour nous laisser aller à nos chamailleries habituelles. Je me reprenais alors, décidant d’ignorer Janis qui continuait de tousser pour me concentrer sur Jamie. Je m’installais sur le fauteuil qu’il m’indiquait aux côtés de Janis avant qu’il ne commence son explication sur la raison de notre présence à tous les deux dans son bureau. « Voilà, je vous explique: j’ai été assigné à un projet, mais je n’ai malheureusement pas le temps de le réaliser. Alors j’ai décidé de le déléguer à deux de mes poulains. Oui, vous. » disait-il avant de se mettre à rire un peu, comme s’il savait à quel point les choses étaient compliquées entre Janis et moi. J’ignorais le côté sadique de notre rédacteur en chef mais cela me tirait presque un sourire. « J’aimerais que vous travailliez ensemble. Charlie en tant que rédacteur, et Janis en tant que… bras-droit. » continuait-il. Je peinais alors à contenir un sourire assez fier, qui, pour sûr, ferait vriller Janis. J’aimais particulièrement l’idée de me dire que Janis serait plus ou moins sous mes ordres, enfin qu’elle serait mon bras droit mais que je resterai le rédacteur de la chose. C’était assez flatteur finalement de savoir que Jamie me faisait confiance de ce point de vue-là et puis si, en prime, Janis pouvait être mon bras droit, c’était la cerise sur le gâteau. Moi qui avait peur de m’ennuyer lors de ce stage, enfermé pendant un mois en compagnie de Janis, j’aurai largement de quoi me distraire. « Tu connais parfaitement mon style, mes goûts, et surtout ce que je déteste. » ajoutait-il à l’attention de Janis qui secouait la tête, visiblement satisfaite. « Voilà les détails du projet. » terminait-il en tendant à chacun d’entre nous un dossier qui expliquait ce qu’il attendait de nous. Je parcourais les documents rapidement, feuillant le dossier grossièrement avant que Jamie ne prenne congé de nous en nous envoyant en salle de réunion, lieu de nos prochains rendez-vous quotidiens avec Janis.
Pour le coup, c’était une bonne surprise pour moi mais la jeune blonde, elle, semblait prendre la chose avec beaucoup plus d’anxiété. A peine arrivés dans la salle de réunion, nous déposions les dossiers sur la première table qui se trouvait sur notre chemin et je me tournais vers Janis qui semblait désabusée. « Mais quelle galère ! » s’exclamait-elle dans une moue. Pour ma part, j’étais plutôt satisfait de l’aspect journaliste de la chose, des capsules sur la jeunesse australienne, c’était un projet dément dans lequel je me voyais déjà me donner à fond. En revanche, je commençais sérieusement à m’inquiéter de la façon dont nous allions apprendre à travailler ensemble avec Janis. Pour le coup, c’était un peu quitte ou double. Dans le meilleur des cas, nous arriverions à surpasser nos différents et à parvenir à une entente cordiale qui nous permettrait de travailler efficacement et dans de bonnes conditions. Dans le cas contraire… Je ne donnais pas cher de nos peaux. Je nous connaissais suffisamment pour savoir que si aucun de nous ne faisait d’effort, c’était la guerre assurée et pour sûr, le projet en pâtirait sévèrement et Jamie nous massacrerait. « C’EST PAS POSSIBLE. » s’écrait alors Janis à deux doigts d’une crise de nerfs imminente. Je levais les yeux au ciel : ce n’était pas gagné. Lequel de nous deux consentirait en premier lieu à faire un pas vers l’autre pour tenter d’améliorer nos échanges ? Il n’y avait malheureusement pas Oliver à disposition pour jouer les médiateurs et apaiser nos mœurs. « Fin, c’est pas contre toi… » disait-elle, sûrement après m’avoir vu lever les yeux au ciel. « Bien entendu. » répliquais-je avec ironie, sachant pertinemment que j’étais en grande partie la cause de son anxiété. « … mais comment on va faire putain ? » continuait-elle de s’exciter, à tourner dans la pièce comme un lion en cage. A contrario, j’étais très serein, tel l’anglais moyen que j’étais. Je m’étais assis sur une table, l’observant aller et venir devant moi en se lamentant. Je la laissais vider son sac quelques instants avant de me décider à intervenir. « Et si tu te calmais d’abord ? » lui proposais-je avec un petit sourire en coin. « Respire un bon coup » Je me levais, pour ouvrir une des fenêtres qui se trouvait là pour apporter un peu d’air à la blonde. Il fallait qu’elle se calme parce que, pour sûr, dans un tel état nous n’irions pas loin. Je me décidais alors, à défaut d’essayer d’apaiser les tensions, de mettre sur le tapis quelque chose qui ferait oublier à Janis ce projet qui la faisait paniquer. « Je suis déçu. » dis-je alors en plantant mon regard dans le sien, ne pouvant empêcher un léger sourire d’étirer le coin de mes lèvres. « J’aurai préféré le tee-shirt Bob l’Eponge. » glissais-je alors. Je n’étais pas prêt à réellement proposer à Janis de faire la paix (ça n’allait quand même pas être à moi de faire preuve de sympathie envers elle alors que c’était elle qui me devait des comptes !), néanmoins, je pouvais parfaitement consentir à l’idée d’essayer de surfer sur l’effet Oliver, qui nous permettait de nous parler sans nous entretuer.
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Je perds complètement mes moyens. Non seulement Jamie me confie l’un des plus gros travaux qu’il m’ait été donné de faire DE TOUTE MON EXISTENCE, et pour couronner le tout il a décidé de m’affubler du diabolique Charlie. Et bien que notre dernière rencontre – qui ne remonte pas plus loin qu’avant le weekend – n’ait pas été des plus déplaisantes, je sais que c’est une toute autre ambiance qui nous attend au bureau. Il ne faut surtout pas qu’il croie que je vais me montrer aimable, voire même gentille à son égard, car il est et restera toujours un monstre d’arrogance à mes yeux. Il ne mérite ni ma sympathie, ni mon temps. Mais quand on a pas le choix, on a pas le choix paraît-il. Dommage que cette fois-ci le petit Ollie ne soit pas là pour détendre l’atmosphère, parce que je suis littéralement sur le point d’irradier tout sur mon passage, le grand et magnanime Charlie Hazard-Perry en premier… quoique cette perspective peut sembler intéressante après tout. Assis, le regard amusé et les coudes posés sur le bureau en face de lui, il me lance: « Et si tu te calmais d’abord ? » Je passe mes deux mains dans mes cheveux. J’aimerais les tirer de toute mes forces, mais me faire du mal n’arrangera rien. « Respire un bon coup » Je lui lance un regard noir. « Facile de dire ça. » Il se relève alors pour aller ouvrir une des fenêtres. « Ne viens pas me dire que ça te stresse pas! » Il balaie ma remarque d’un revers de la main et vient se poster en face de moi, un sourire étirant ses lèvres. « Je suis déçu. J’aurai préféré le tee-shirt Bob l’Eponge. » Je soupire, me déride et laisse échapper un semblant de rire. Un semblant, je dis bien. « Là j’ai plutôt envie de me foutre en boule dans mon lit avec ce fichu tee-shirt… » Je croise les bras et plonge mes yeux dans ceux de Charlie, pour essayer de sonder son esprit. Est-ce qu’il est heureux de la situation? Il ne montre rien, absolument rien. Ni même de l’animosité à mon égard, et ça me perd. Je souffle. « En tout cas, ne crois pas que je serai sous tes ordres! » Je tape mon coude contre le sien, la proximité entre nos deux corps étant moindre. « Je serai ‘ton bras droit’, ton égale quoi. » je mime les guillemets avec mes doigts et me retourne alors, pour aller prendre le peu d’air frais de l’atmosphère Australienne près de la fenêtre. La tentative est vaine puisqu’il fait une chaleur massacrante dehors. Charlie n’a pas cillé, toujours aussi magnanime et imperturbable. Je me retourne pour lui jeter un nouveau coup d’oeil. « Bon ça va. » Je me rapproche de lui à nouveau. « Je suis calmée. » J’opine de la tête et vais ensuite m’installer sur l’une des chaises. Je croise mes jambes. Ma jupe crayon remonte légèrement mais je n’en tiens pas rigueur. « Par quoi on commence? » Je lance un regard interrogateur en direction de mon très cher partenaire, avant de poser délicatement mes avant-bras sur le bureau.
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Clairement, je ne savais pas trop ce que ça allait donner ce projet que nous devions réaliser tous les deux avec Janis. Au final, je pouvais avouer sans trop de peine que je ne connaissais pas réellement la jeune femme et qu’il était probable que les idées préconçues que j’avais à son égard soient au final erronées. Peut-être aurais-je une bonne surprise, comme j’en avais eu une en constatant qu’elle s’entendait parfaitement bien avec les enfants lors de notre rencontre sur la plage en compagnie d’Oliver. Il n’était pas totalement impossible que Janis soit quelqu’un d’appliqué et de sérieux dans son travail. Néanmoins, je commençais réellement à me poser des questions quand j’observais Janis en proie à une crise de panique avant même que nous ayons réellement commencé à travailler. Je l’enjoignais alors à se calmer et elle me gratifiait d’un regard noir. « Facile de dire ça. » répliquait-elle, pendant que j’ouvrais les fenêtres pour lui permettre de respirer un peu plus facilement. « Ne viens pas me dire que ça te stresse pas ! » s’exclamait-elle finalement en me regardant. Je faisais un vague geste du revers de la main, désinvolte. « Pas vraiment non. On n’a pas encore commencé » déclarais-je alors, ne comprenant vraiment pas comment Janis pouvait se mettre dans un tel état avant même d’avoir entamé le boulot. Je finissais par me poster face à elle et en l’observant un sourire étirait mes lèvres. Je lui disais alors que j’étais déçu de ne pas la voir porter le tee-shirt que je lui avais acheté quelques jours auparavant sur le bord de la plage pour remplacer celui qu’Oliver lui avait taché. Janis se mit alors à rire, du moins à faire quelque chose qui s’en rapprochait plus ou moins vaguement. « Là j’ai plutôt envie de me foutre en boule dans mon lit avec ce fichu tee-shirt… » disait-elle presque boudeuse. « Fichu tee-shirt ? » m’exclamais-je. « Ouuuh ça fait mal » plaisantais-je en posant ma main sur mon cœur pour lui signifier que j’étais très déçu de la façon dont elle traitait le cadeau que je lui avais fait. Qui avait dit que les anglais ne savaient pas plaisanter ? Je relevais les yeux vers Janis et celle-ci me fixait, cherchant visiblement à me provoquer en duel. Malheureusement pour elle, jusqu’ici c’était toujours moi qui avait remporté les duels de regards que nous nous lancions. Elle finissait par soupirer, n’ayant visiblement par réussi à lire dans mon regard ce qu’elle était venue y chercher. Je me surprenais alors moi-même à sourire un peu. Clairement, au fond de moi, cette situation m’amusait grandement. Rendre chèvre Janis était jusqu’ici mon passe-temps favori depuis que j’avais débuté mon stage et j’étais ravi que Jamie me donne une occasion de plus de lui faire péter un plomb. « En tout cas, ne crois pas que je serai sous tes ordres ! » s’écriait-elle en me tapant le coude avec le sien. « C’est ce qu’on verra » répliquais-je en lui rendant son coup de coude, décidé à la taquiner aujourd’hui. « Je serai ‘ton bras droit’, ton égale quoi. » disait-elle et je pouffais un peu de rire en la voyant mimer des guillemets avec ses doigts. Mais je reprenais rapidement mon sérieux et hochais brièvement la tête. Personnellement, je me connaissais : il y avait intérêt à ce que Janis aille dans mon sens, sinon ça ne le ferait pas. Et lorsqu’il s’agissait de rendre la vie dure à quelqu’un, j’étais plutôt doué. Si pour qu’elle soit un peu plus disposée à suivre mes idées et à adopter ma vision des choses, je devais accepter qu’elle soit mon égale ou tout du moins qu’elle le pense, c’était un sacrifice qui en valait largement la chandelle. Je la regardais s’éloigner pour aller prendre l’air frais de l’extérieur et revenir presque aussitôt près de moi. « Bon ça va. » disait-elle en s’approchant de moi de nouveau. Je la fixais du regard, sans un mot. « Je suis calmée. » avouait-elle finalement et j’hochais la tête avec un petit sourire en coin, satisfait. Je la regardais s’installer sur une chaise, croiser ses jambes et laisser sa jupe remonter légèrement. Je ne pouvais empêcher un sourire amusé de s’imprimer sur mes lèvres un instant. C’était presque fascinant, de la voir se mouvoir dans la pièce, sensuellement et pleinement consciente de ses atouts. En revanche, ce qui restait amusant c’était qu’elle puisse encore croire qu’après toutes ses années, alors que je devais bien être le seul type de l’université de Brisbane sain d’esprit à ne pas être tombé dans ses filets, que tout ce cirque parviendrait à m’amadouer. Certes sa beauté ne m’échappait pas, il aurait fallu être aveugle pour que cela soit le cas, mais elle ne m’impressionnait pas non plus, au grand désespoir de Janis, j’étais prêt à en mettre ma main à couper. « Par quoi on commence ? » me demandait-elle en posant ses avant-bras sur le bureau. Visiblement, elle attendait après moi. Je me relevais alors et me dirigeais vers le tableau blanc qui se trouvait dans la salle de réunion. J’attrapais un marqueur et écrivais sur le tableau : jeunesse australienne. « Que dirais-tu d’un petit brainstorming ? » lui proposais-je alors, en me retournant pour la regarder. « Donne-moi les premiers mots qui te viennent à l’esprit lorsque je te dis jeunesse australienne. » lui demandais-je alors. Je l’écoutais et griffonnais sur le tableau les idées que Janis me lançait au fur et à mesure de ses pensées. L’intérêt de tout ceci étant qu’en nous focalisant sur notre sujet et le boulot que nous devions produire, nous avions bien moins de chances de nous chamailler. « Dis-moi, t’es originaire d’ici ? » lui demandais-je finalement, non pas que la réponse m’intéressait personnellement mais je songeais tout à coup qu’il pourrait être intéressant d’avoir deux points de vue différents : celui d’une native d’Australie et celui d’un expatrié, comme moi.
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Je ne sais pas vraiment ce que ce travail va donner. Mais étant donné nos positions divergentes sur à peu près tous les sujets de l’univers, je doute que cela donne quelque chose de bien. Je peux toujours espérer que nous puissions être complémentaires, mais cela relèverait honnêtement de l’exploit, et je ne sais pas si une telle idée me ravirait au fond. Enfin, je vais devoir prendre sur moi, et pas qu’un peu. Et c’est sans compter sur sa suffisance et son petit sourire en coin qui vont de pair avec sa supériorité supposée… Non, vraiment, il commence déjà m’insupporter. Je lui signale alors clairement que nous devons travailler sur la même longueur d’onde, lui rappelant ce que Jamie nous a dit quelques minutes auparavant. « C’est ce qu’on verra » Il me rend mon coup de coude et s’amuse encore une fois de mon comportement. Je me demande s’il se moque continuellement de ma personne, ou si je suis réellement une source de distraction pour lui… Mais dans les deux cas, je ne m’en réjouis pas. J’ai l’impression d’être une potiche, pire même, une véritable idiote lorsque je me trouve en sa présence, peut-être parce que je n’arrive pas à me détacher du souvenir de notre première rencontre. Et de ma stupidité, sans doute. J’ai comme le sentiment que mon image auprès de lui n’a pas évolué, qu’elle a même plutôt régressé je dirais même. On ne peut pas plaire à tout le monde come on dit… Alors je prends ma respiration, je souffle un grand coup et viens m’installer sur l’une des chaises en face du bureau en chêne massif. Je signale au brun que je suis prête, calmée, et lui demande par quoi il souhaiterait commencer. « Que dirais-tu d’un petit brainstorming ? » Je secoue la tête et me redresse un peu plus encore, me donnant l’air d’avoir littéralement une barre me traversant le dos. Charlie se relève quant à lui, et se dirige vers le tableau blanc, avant d’attraper un marqueur. « Donne-moi les premiers mots qui te viennent à l’esprit lorsque je te dis jeunesse australienne. » Je passe ma main sous mon menton et réfléchis l’espace d’un instant, avant de débiter d’une voix assurée: « Bière, sorties, clubs de sport, université, plage, surf… » Je m’arrête, remarquant que Charlie a véritablement du mal à suivre, et je laisse alors échapper un léger rire. « Désolée, les brainstormings me mettent toujours dans cet état. » Je me détends, et laisse légèrement reculer ma chaise de bureau. « Dis-moi, t’es originaire d’ici ? » me demande alors l’anglais. « Oui, enfin, je suis née à Sydney. Mais je suis Australienne, ouais. » Je passe ma main dans mes cheveux. « Ca doit te changer de l’Angleterre d’ailleurs, non? La plage, le soleil…» Le sourire en coin, je poursuis: « …et les jolies filles. » Je voulais ajouter un ‘comme moi’ mais je me suis retenue, loin de moi l’idée de paraître aussi suffisante que lui. Et puis, je ne me considère pas forcément comme étant une divinité terrestre non plus.
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Quelque part, il y avait eu une certaine évolution de notre relation avec Janis, aussi infime soit-elle. Si elle avait commencé par une totale indifférence de ma part, qui avait débouché sur de l’aversion de sa part, aujourd’hui, je ne pouvais pas dire que je me fichais totalement de Janis. Je ne l’appréciais pas nécessairement, ne la connaissant au final pas assez pour pouvoir me prononcer d’une quelconque façon. Néanmoins, quand avant je ne remarquais même pas lorsqu’elle passait dans le même couloir que moi, aujourd’hui j’étais forcé d’admettre que je lui portais une certaine attention. Certes, je ne lui vouais pas le même intérêt que la majorité des hommes de Brisbane, préférant la pousser dans ses retranchements plutôt que d’essayer de la séduire. Je devais avouer que j’aimais la voir s’énerver, c’était quelque chose qui aurait pu m’occuper des heures. Quand bien même il serait très difficile pour moi de me retenir toute la journée de la taquiner, il allait falloir que je prenne sur moi pour le bien de notre projet. Nul doute que nos sources de conflits allaient être nombreuses sans que j’ai besoin d’en rajouter une couche supplémentaire. Je proposais alors un brainstorming à Janis une fois qu’elle était calmée et qu’elle s’inquiétait de savoir par quoi on pouvait bien commencer. Une fois devant le tableau, marqueur à la main, je demandais à Janis de me donner tous les mots qui lui venaient à l’esprit lorsqu’elle pensait à jeunesse australienne. A ma grande surprise, Janis démarrait au quart de tour, me bombardant littéralement d’idées : « Bière, sorties, clubs de sport, université, plage, surf… » Elle semblait si inspirée que je peinais à avoir le temps d’écrire toutes les idées qu’elles me donnaient sur le tableau blanc. Tout à coup, elle se stoppait et je l’entendais rire dans mon dos un peu. Je sourirais, amusé à mon tour, avant de me tourner pour la regarder et lui demander d’un simple regard la raison qui l’avait poussé à s’arrêter en si bon chemin. « Désolée, les brainstormings me mettent toujours dans cet état. » disait-elle, visiblement bien plus détendue que quelques instants plus tôt. « Je vois, les brainstormings excitent madame. C’est bon à savoir » dis-je dans un sourire en coin, à peine dissimulé alors que je jetais un coup d’œil à tout ce que je venais d’écrire sur les conseils de la blonde. Avec un marqueur d’une autre couleur, j’ajoutais les idées qui me venaient une à une : boîte de nuit, drague, cinéma, bibliothèque, Lacrosse. C’est alors qu’une idée me venait : celle d’essayer peut-être d’étudier le problème avec deux points de vue différents celui des natifs et celui des expatriés. « Oui, enfin, je suis née à Sydney. Mais je suis Australienne, ouais. » répondait Janis lorsque je lui demandais si elle était originaire d’ici. J’allais lui parler de mon idée lorsqu’elle prenait la parole de nouveau. « Ca doit te changer de l’Angleterre d’ailleurs, non? La plage, le soleil…» disait-elle avec un sourire en coin. « C’est certain » répondis-je. « …et les jolies filles. » ajoutait-elle finalement. Un rire franc m’échappa alors, un de ceux que Janis n’avait certainement jamais vraiment entendu. « Les jolies filles, comme toi c’est ça ? J’espère pour le reste des australiennes qu’elles ont un meilleur tempérament que le tien, parce que sinon ce n’est pas gagné pour elles » Je venais m’asseoir sur le bureau qui se trouvait le plus proche de moi, à quelques mètres de Janis seulement. « A vrai dire, les anglaises sont assez délurées. Elles gagneraient à s’habiller selon la mode australienne, certes mais je n’ai jamais eu trop à me plaindre. Surtout pas à Oxford, il y avait pas mal d’étrangères » répondis-je alors à Janis dans un petit sourire. « Mais indépendamment de ça, ma vie à beaucoup changé oui, depuis que j’ai quitté Londres, notamment avec l’arrivée d’Oliver. Mais le soleil et la plage, c’est un gros avantage, je ne pourrais pas le nier » avouais-je. C’était certainement bien là que je parlais à Janis de ma personne, bien trop occupé d’habitude à essayer de trouver une façon de la faire enrager ou de la remettre à sa place. « Je pensais qu’on pourrait essayer de comparer un peu nos visions des choses, entre toi la native et moi l’expatrié. Les différences de point de vue pourraient être intéressante à relever. » lui dis-je alors, désireux de ne pas trop m’attarder sur ma personne et de revenir à un sujet un peu plus banal : le boulot. « On pourrait aussi faire quelques micros trottoirs afin de récolter l’avis des autres jeunes. » ajoutais-je finalement. Je griffonnais sur le tableau blanc quelques notes à ce propos afin de ne rien oublier, toujours très consciencieux lorsqu’il s’agissait de boulot.
❝ when nothing goes right, go left ❞ CHARLIE & JANIS
Je ne sais pas pourquoi les brainstorming me mettent dans cet état, mais une chose est sûre: je deviens incontrôlable lorsque cela arrive. Charlie en est tout perdu, le pauvre, ça ne doit pas souvent lui arriver. Je dois bien avouer qu’il est irréprochable, professionnellement parlant, parce qu’au niveau de sa personnalité et de ses manières c’est définitivement autre chose. Je n’ai entendu que des propos élogieux à son sujet, que ce soit de la part de Jamie – qui a dû lui demander quelques papiers par-ci par-là – ou bien même de son maître de stage en général. Comment ça, je m’intéresse à lui? Ce n’est pas de ma faute si tous les commérages sont tournés sur sa personne, et je suis loin de les alimenter (pour une fois). Je me contente d’écouter, de retenir et d’observer, malgré moi, son efficacité. Je peux même dire que j’éprouve une certaine admiration de sa rigueur, mais cela est vite contre-balancé par la haine viscérale que j’éprouve envers lui. Ou plutôt envers son arrogance, son égo mal-placé. Et même s’il s’est montré aimable ces derniers temps, je sais qu’il faut se méfier de l’eau qui dort. Du serpent qui sommeille. Bref, je sais qu’il n’attend que la parfaite occasion pour me mordre. « Je vois, les brainstormings excitent madame. C’est bon à savoir » Mes joues rosissent légèrement et je baisse la tête sur mes mains, posées à plat sur le bureau. Il me demande alors si je suis née ici. Je ne comprends pas bien s’il veut parler de Brisbane, ou de l’Australie en général, donc je lui explique de manière un peu brouillon que je suis Australienne de souche, mais que je suis née à Sydney. Ville qui ne me manque absolument pas, soit dit en passant. Je me laisse même aller à une petite plaisanterie sur l’Angleterre, et son contraste assuré avec son équivalent Océanien. « Les jolies filles, comme toi c’est ça ? J’espère pour le reste des australiennes qu’elles ont un meilleur tempérament que le tien, parce que sinon ce n’est pas gagné pour elles » Je soupire. C’est reparti pour un tour. J’aurais peut-être dû chronométrer le temps que l’on a mis sans se chamailler. « Parce que tu crois que t’es agréable? » je lui lance en levant les yeux au ciel. Il vient alors se poster sur le bureau non loin de lui, toujours en me regardant avec ce sourire railleur au coin des lèvres. « A vrai dire, les anglaises sont assez délurées. Elles gagneraient à s’habiller selon la mode australienne, certes mais je n’ai jamais eu trop à me plaindre. Surtout pas à Oxford, il y avait pas mal d’étrangères » Je ne cille pas en l’écoutant débiter son monologue. « J’ai pas vraiment envie de savoir combien de filles tu t’es tapé, étrangères ou non. » je murmure en levant une nouvelle fois les yeux au ciel, me demandant même s’ils ne pourraient pas se décoller de leurs orbites à force. Enfin, le tableau de chasse du grand Charlie est le cadet de mes soucis, et de mes intérêts surtout. « Mais indépendamment de ça, ma vie à beaucoup changé oui, depuis que j’ai quitté Londres, notamment avec l’arrivée d’Oliver. Mais le soleil et la plage, c’est un gros avantage, je ne pourrais pas le nier » Je finis par lui lancer un minuscule sourire, parce que je suis d’accord sur ce dernier point. Uniquement ce dernier point. Il poursuit: « Je pensais qu’on pourrait essayer de comparer un peu nos visions des choses, entre toi la native et moi l’expatrié. Les différences de point de vue pourraient être intéressantes à relever. On pourrait aussi faire quelques micros trottoirs afin de récolter l’avis des autres jeunes. » Je m’avance un peu plus sur le bureau et secoue la tête. « Oui, pourquoi pas. Ca pourrait être pas mal. » Je finis par ramener mes bras et les croise devant ma poitrine. « Tu pourrais peut-être te renseigner auprès des étudiants erasmus pour le côté 'expatriés' ? Je faisais partie de l’association à l’université avant, je peux te filer des numéros de téléphone. » La belle époque, en y repensant. Les étudiants erasmus étaient tellement… faciles. Trop faciles. « On devrait aussi faire des recherches statistiques, sur le nombre de jeunes expatriés par exemple, de jeunes venant étudier ici, ou du nombre de jeunes tout court… » Il secoue la tête, visiblement d’accord avec moi. « T’attends quoi pour prendre note? » finis-je par lui lancer de manière un peu abrupte.
When I first met you, I honestly didn't know you were gonna be this important to me. △
Au fond, je me devais bien d'admettre que je n'étais pas réellement mécontent de travailler avec Janis sur un tel projet. Bien que j'avais du mal à savoir où tout ceci allait nous mener et ce qui faisait que je n'étais pas particulièrement déçu de devoir fonctionner en équipe avec elle, contre toute attente. Certes l'opportunité de pouvoir l'embêter à longueur de journée était alléchante, mais ce n'était pas non plus comme si j'allais pouvoir me permettre de réellement la pousser dans ses retranchements puisque mon avenir à ABC serait fortement conditionné par nos résultats et que par conséquent, il valait mieux que je fasse en sorte de ne pas me la mettre complètement à dos. Si j'avais pendant longtemps été persuadé que Janis se fichait un peu de ce boulot et qu'elle ne prenait pas réellement son rôle d'assistante à cœur, mon opinion sur le sujet était progressivement en train de changer. L'enthousiasme dont elle faisait preuve lors du brainstorming que je lui avais proposé me faisait rire en même temps qu'il me rassurait un peu : je n'allais donc pas être obligé de me farcir tout le travail pendant qu'elle se vernirait les ongles. Et puis de toute façon, ayant appris à connaître un peu plus Jamie, je me doutais bien que ce n'était pas le genre à s'entourer d'incapables procratinateurs. Si Janis était toujours là, c'était donc qu'elle était d'une utilité quelconque. En revanche, là où je n'avais aucun doute c'était que devoir faire équipe tous les deux fixaient clairement l'évolution de notre relation. Si tout se passait bien et que nous arrivions à ne pas nous entre-tuer tous les jours (il était cependant inévitable qu'il y ait des désaccords et des conflits entre nous à en juger par nos sales caractères) il était fort probable que nous arrivions à enterrer pour de bon la hache de guerre et qui savait ? Peut-être même à devenir amis. En revanche, si aucun de nous deux ne faisait d'efforts pour tenter de ne pas braquer l'autre sans arrêt, j'étais prêt à parier que l'un de nous, voire même nous deux, en venions à un point de non retour dont les conséquences pourraient être relativement funestes. Après un brainstorming plus qu'efficace, grâce aux idées de Janis (ce qui m'embêtait un peu de devoir le reconnaître, pour être totalement honnête) je venais à lancer une petite pique sur le caractère de Janis en rebondissant sur l'une de ses remarques précédentes. Sa réaction ne se faisait évidemment pas attendre : « Parce que tu crois que t’es agréable? » Elle levait les yeux au ciel avec agacement alors que je souriais en coin, un brin moqueur. « Non, mais moi je suis anglais » rétorquais-je alors qu'elle soufflait un peu. J'enchaînais rapidement, pour répondre à sa précédente remarque que les anglais étaient assez délurées dans leur genre et qu'à Oxford, je n'avais pas été en mal de compagnie. « J’ai pas vraiment envie de savoir combien de filles tu t’es tapé, étrangères ou non » répliquait-elle, agacée et désabusée une fois de plus ce qui me faisait rire. J'ajoutais rapidement, sans trop savoir pourquoi d'ailleurs, que ma vie avait bien changé, ce qui était la stricte vérité. Je n'avais pas spécialement que Janis se conforte dans la fausse idée qu'elle se faisait de moi. Du moins, oui, j'avais été ce type au tableau de chasse assez conséquent, qui prenait tout le monde de haut et était persuadé qu'il valait mieux que tous les autres, qui ne se souvenait, la plupart du temps, pas du nom de la fille qui partageait son lit au petit matin avant qu'il ne lui demande de dégager sans la moindre cérémonie. Mais j'avais changé, l'Australie m'avait légèrement adouci, j'avais compris que peut-être certaines personnes méritaient que je leur accorde le bénéfice du doute. C'était Oliver qui avait eu le plus d'effet sur moi, je m'étais assagi et j'avais diminué de façon conséquente mes fréquentations nocturnes, n'y trouvant que peu d'intérêt au final.
Me rendant soudainement compte que je n'avais besoin en rien de me justifier face à Janis, qui était pire que moi dans ce domaine j'en étais sûr, je changeais de sujet. Je revenais aussitôt sur notre travail et sur la raison qui m'avait poussé à poser la question qui avait fait dériver la conversation. Je trouvais intéressante l'idée d'élargir notre travail selon deux aspects, confronter deux visions des choses pour voir s'il y avait des divergences d'opinions et sur quels aspects. « Oui, pourquoi pas. Ca pourrait être pas mal. » acquiesçait Janis et j'étais un peu étonné qu'elle accepte aussi facilement ma proposition, non pas parce qu'elle n'était pas intéressante mais uniquement parce qu'elle venait de moi. « Tu pourrais peut-être te renseigner auprès des étudiants erasmus pour le côté 'expatriés' ? Je faisais partie de l’association à l’université avant, je peux te filer des numéros de téléphone. » enchaînait-elle avant que je n'aies eu le temps d'ajouter quelque chose. Je souriais en coin, amusé à l'idée que Janis me propose son aide, et encore plus à l'idée qu'elle pense que je puisse en avoir besoin. Je ne doutais pas un instant que Janis avait une connaissance, disons approfondie des étudiants étrangers, mais en étant moi-même un, je connaissais suffisamment de monde pour pouvoir me passer de l'aide de Janis. « Je devrais pouvoir faire ça sans avoir besoin de numéros de tes prétendants » répondis-je un peu durement, sans trop savoir pourquoi j'étais agacé que Janis essaye de me mettre en contact avec ses aventures passées. « On devrait aussi faire des recherches statistiques, sur le nombre de jeunes expatriés par exemple, de jeunes venant étudier ici, ou du nombre de jeunes tout court… » répliquait Janis, ramenant notre objectif au premier plan. Je l'écoutais, sans trop réagir, réfléchissant à ce qu'elle venait de dire de mon côté. J'étais en train de chercher où nous pourrions avoir facilement accès à ces informations quand elle m'interpellait : « T’attends quoi pour prendre note ? » Je la regardais, un sourcil arqué. « Je ne suis pas ta secrétaire à ce que je sache » répliquais-je avec un calme olympien avant de lui lancer le stylo pour tableau blanc. Pour qui se prenait-elle au juste ? Les mains dans les poches, je venais m'adosser au bureau qui se trouvait juste à côté du tableau. « On devrait aller faire un tour à l'université, avec les dossiers d'inscription, il est fort probable qu'ils aient des statistiques de ce côté-là. » dis-je alors, à Janis. De nouveau, l'ambiance était tendue entre nous. L'accalmie n'aurait pas duré bien longtemps parce qu' à nouveau nous nous agacions l'un l'autre. Clairement renfrogné suite à la remarque que venait de faire Janis, j'avais décidé de mettre un terme à mes efforts pour rester sympathique avec elle. Peut-être les autres avaient-ils l'habitude de la traiter en princesse mais ce n'était pas du tout mon genre, il était temps qu'elle commence à le comprendre. Je restais là, sur mon bureau sans bouger, attendant qu'elle se décide à prendre des notes si elle voulait en avoir et à me donner un avis sur la proposition que je venais de faire, la fixant d'un œil torve. Je jetais un coup d'oeil à ma montre un instant avant d'ajouter : « On pourrait même y aller maintenant avant la pause de midi » proposais-je. Enfin, si je laissais paraître que je prendrais son avis en compte, j'avais personnellement décidé que nous irions là-bas aujourd'hui et pour son bien, Janis avait intérêt à accepter.
❝ when nothing goes right, go left ❞ CHARLIE & JANIS
Je me demande où notre collaboration – si je puis appeler cela ainsi – nous conduira. Parce que là, c’est loin d’être gagné. Je sais que je vais devoir mettre ma fierté, et mon irrépressible envie de lui répondre d’une manière désagréable de côté, pour le bien de notre mission. Et puis, je n’ai pas vraiment envie de m’attirer les foudres du saint-patron Jamie, déjà qu’il semble pas mal sur les nerfs avec l’arrivée de son mioche et les magazines people qui s’acharnent sur sa personne… Pour mon intérêt – et peut être aussi pour l’intérêt de Charlie, même si je m’en fiche – il faut que nous en mettions plein la vue. Aussi bien à Jamie qu’à toute la rédaction d’ABC. Nous avons comme cette mission implicite de prouver que la jeunesse est compétente, intéressante, voire même passionnante. Et ce n’est pas en nous mordant l’un l’autre que nous y arriverons, c’est une certitude. Mais ce n’est que le premier jour, je peux quand même sortir les griffes, non? Juste un peu. Je lance alors sans vergogne que je n’ai nullement envie de connaître le panel de demoiselles ayant pu jouir du lit king size du gentleman Hazard-Perry, ce qui lui tire une nouvelle fois un roulement d’yeux. Satisfaite, je me réinstalle un peu mieux sur ma chaise de bureau et l’écoute changer de sujet sans ciller. Je lui propose ensuite la piste des étudiants erasmus. Il y en a un bon nombre en Australie, beaucoup cherchant l’eldorado au bout du monde, ou la tranquillité, quelque part où ils peuvent redorer leur image, ou se faire une nouvelle réputation. Mon expérience avec ces étudiants est très variée. J’en ai connu un bon paquet, surtout des garçons, des relations éphémères, vouées à l’échec, où les deux parties savent à quoi s’attendre. Je me suis beaucoup amusée avec eux, à apprendre un bout de leur culture. Certains d’entre eux m’ont invité à leur rendre visite, quelque part en Allemagne, aux Etats-Unis, en Espagne, voire même en Russie. Mais mon envie d’ailleurs n’est pas encore bien définie, et puis revoir ces garçons chez eux, dans leur environnement, sans filet, ce serait un peu comme me jeter dans la gueule du loup. Alors j’évite. Je coupe les ponts, j’avance, je fais mon bout de chemin. Et je sais qu’il y a de quoi faire à Brisbane, indéniablement. « Je devrais pouvoir faire ça sans avoir besoin de numéros de tes prétendants » Evidemment, il a compris que la nature de ma relation avec la plupart de ces étudiants n’a pas été des plus sage… Je lève les yeux au ciel à mon tour et reporte mon attention sur lui, le fixant sans ciller. « Tu vas avoir du mal à trouver un jeune homme qui n’est pas passé sur le corps magnifique de la déesse Janis, tu sais… » Je pouffe de rire. « J'dis ça, j'dis rien bien entendu. » Je me mords l’intérieur de la joue, en espérant qu’il comprenne le second degré. Je ne suis pas comme ça, du moins je ne pense pas que profiter un tant soit peu de sa jeunesse puisse être comparé aux agissements d’une nymphomane assoiffée, si? Je reprends mon sérieux et lui indique ensuite que nous pourrions peut-être envisager le côté statistique du sujet, lui parlant de toutes les données que nous pourrions utiliser. Voyant qu’il ne réagit pas forcément de la manière dont je le souhaite, je lui lance d’un air sec qu’il pourrait se mettre à prendre note. « Je ne suis pas ta secrétaire à ce que je sache » Son sourcil arqué me tire un soupir, et il me lance le stylo que j’attrape au vol d’un air blasé. « On devrait aller faire un tour à l'université, avec les dossiers d'inscription, il est fort probable qu'ils aient des statistiques de ce côté-là. » Je hausse les épaules. Et voilà, c’est reparti pour un tour. On ne peut pas avoir une conversation civilisée, dénuée de piques ou de sourires moqueurs pendant plus de deux minutes. Ce projet promet. Je finis par me lever et me diriger d’un pas assuré vers le tableau, créant une première colonne que j’appelle “statistiques”. Je note toutes les pistes que nous avons envisagé, celle qu’il venait de me lancer en dernier. « On pourrait même y aller maintenant avant la pause de midi » Je me retourne, faisant valser mes longs cheveux blonds dans mon dos et le regarde d’un air insistant, avant de me dérider et de simplement secouer la tête. « Ok, très bien, allons-y. » L’air pesant de la ville ne va pas me faire du bien, c’est une certitude, mais je sens le besoin de sortir de cette tour d’ivoire, et notre projet en est la meilleure excuse. Je dépose le marqueur sur le bureau et Charlie se redresse pour m’emboîter le pas.