Elle a le sourire Yasmine – parce que son service est fini – parce qu’aujourd’hui l’un de ses patients préférés est rentré chez lui. C’est toujours un déchirement mais aussi une grande joie pour elle. Et entre les deux elle choisit le bonheur parce que c’est plus léger – parce que c’est ce qui lui donne l’envie de revenir tous les jours et de se donner à fond dans son travail. Elle sourie en marchant jusque chez elle, la nuit est tombée depuis longtemps sur la ville mais la rue est déserte. Ce chemin elle le connaît par cœur parce qu’elle le prend tous les jours – à la prochaine intersection un des lampadaires est défectueux, mais bien vite l’éclairage va redevenir agréable. « T’es bien mignonne toi… » Elle sursaute. L’homme discret se rapproche d’elle. Elle ne l’avait pas vu. Il lui fait peur, le regard qu’il pose sur elle – la façon dont il s’approche sans retenue. « Qu’est ce qui te fait sourire comme ça m’a jolie ? » Elle a perdu le sourire maintenant. L’haleine de l’homme sent l’alcool. Déjà il lui attrape le bras. « Vous me faites mal… » Elle n’aime pas la violence, elle voudrait que les choses se passent bien et essaye de retirer son bras sans le brusquer . « J’aimerais rentrer chez moi, lâchez moi s’il vous plait. » C’est peine perdue, l’homme resserre un peu plus son étreinte en l’envoyant valser contre le mur pour prendre le dessus sur elle. Sa main baladeuse va toucher son corps sans retenue et elle n’arrive plus à bouger. Paralysée par l’action qui a été trop vite elle sent juste cette main qui tente de se faufiler sous son T-shirt. Elle doit se reprendre elle le sait réfléchir. Elle n’est pas une victime – elle ne l’est plus. Ca fait des années qu’elle prend des cours d’autodéfense c’est le moment de s’en servir. Le coup de genoux qu’elle donne à l’homme est puissant assez pour le déstabiliser et lui laisser le temps de se défaire de son étreinte. Elle court – vite sans regarder derrière elle mais elle entend ses pas qui la suivent. Il n’y a pas de code pour rentrer dans son immeuble et quand elle s’y engouffre pour monter les escaliers la menant chez elle, elle se déteste d’avoir pensé que c’était sans importance.
La porte claque et elle reste contre, le souffle court les larmes au bord des yeux. Il lui semble entendre du bruit dans le couloir. Est-ce qu’il est là ? Est-ce qu’il l’a suivi ? La main tremblante elle essaye de sortir son téléphone alors qu’elle se laisse glisser contre la porte se recroquevillant sur elle même. Sa trachée lui brûle – tout son corps en faite et c’est sans réfléchir qu’elle compose le numéro. Pourquoi Hassan ? Elle n’aurait sans doute pas de réponse à donner c’est le premier qui lui vient en tête. Depuis le souper chez sa mère ils ne se sont pas revus et elle ne sait ce qu’il faut en penser mais à cet instant précis elle oublie tout ça. La tonalité du téléphone qui sonne la rassure un peu… « Je t’en prie, réponds… Réponds…. » Sa vois est tremblante, peu assurée, alors qu’elle tente de ravaler un sanglot ne voulant pas se laisser emporter bêtement par ses émotions. Pourtant c’est la panique qui la submerge. Puis enfin la voix D’Hassan au bout du combiné. Elle sent qu’elle lâche d’un coup et aucun mot ne sort pendant plusieurs secondes. Ce qui semble inquiéter son ami. « Hassan… » Son ton est plaintif, alors qu’elle resserre un peu ses jambes contre elle. « Viens s’il te plait… » En temps normal elle ne lui parlerait pas comme ça. S’inquiéterait de savoir si il est accompagné, libre, si il peut mais c’est sa crainte qui prend le dessus d’un coup. « Je crois qu’il m’a suivi… Il y a un homme… » Elle se donne l’impression d’être paranoïaque. « Il est devant ma porte… » Elle espère se tromper. « Il a... » Elle se revise directement les mots se perdant dans sa gorge.« S'il te plait... » Elle ne peut pas en dire plus, rien d’autre ne sort et elle raccroche assez rapidement. Posant sa tête entre ses genoux qu’elle a replié contre elle. Tout bruit lui semble suspect. Si la lucidité ne lui avait pas manqué elle aurait sans doute appelé la police mais la seule chose qu’elle désire à ce moment précis c’est sentir la présence rassurante d’Hassan auprès d’elle. Elle l’attend, incapable de calmer ses angoisses toute seule. Elle pense à cet homme qui l’a touché, elle se sent sale et il est peut-être encore là…
Certains soirs, et de plus en plus souvent ces derniers temps, Hassan avait comme la sensation d'avoir regressé. Pas du point de vue de son état psychologique fort heureusement, celui-là tendait à s'améliorer doucement mais sûrement bien qu'il n'y ait pas encore de miracle, mais du point de vue de son rythme de vie. Il prenait la mesure de ce à quoi ressemblait la vie d'adulte célibataire, et s'il ne la prenait que maintenant c'était tout simplement qu'il n'avait jusque-là jamais eu l'occasion de s'y confronter. N'avoir aucune autre contrainte que son chien concernant son rythme de vie, ses allers et venus, et la manière dont il occupait son temps libre, ce n'était pas quelque chose auquel il avait été habitué par le passé parce qu'il avait migré d'une colocation avec Qasim à une vie de couple avec Joanne, sans entre deux. Et finalement, après quelques mois houleux, quelques semaines à tenter de se remettre à flots et un peu de recul il pouvait le dire avec certitude : la solitude n'était définitivement pas faite pour lui. A une époque il se serait probablement incrusté chez Sohan pour la soirée, mais maintenant que le jeune homme avait une colocataire Hassan n'osait plus vraiment débarquer à l'improviste. Sa manette de playstation à la main il complétait donc à merveille le tableau de l'adulte en pleine crise d'ado à retardement, occupé à tenter de dépasser la bagnole qui lui faisait des queues de poisson scandaleuses depuis les deux derniers tours de course et l'empêchait pour l'instant d'espérer terminer sur la première marche du podium.
En entendant son portable vibrer il avait d'abord pensé ne pas répondre, il ne pouvait pas gagner cette course et parler au téléphone en même temps, une chose après l'autre, mais après quelques fractions de secondes il avait songé à l'éventualité qu'il puisse s'agir de Qasim, et dieu sait que depuis sa tentative de suicide son frère avait tendance à péter un plomb dès qu'Hassan ne répondait pas au téléphone. Activant le mode pause il avait tendu le bras pour attraper son téléphone au pied du canapé, étonné de ne pas y trouver le nom de son frère mais celui de Yasmine. La manière dont elle avait prononcé son prénom seule avait suffit à lui faire comprendre que quelque chose clochait, mais c'est véritablement en entendant « Je crois qu’il m’a suivi … Il y a un homme … Il est devant ma porte … » que son sang s'était glacé. Yasmine n'était pas le genre qui criait au loup sans raison, pas le genre à paniquer simplement parce qu'elle "croyait avoir vu" une ombre derrière elle. Pour qu'elle se mette ainsi dans tous ses états c'était qu'il s'était réellement passé quelque chose, et Hassan avait envoyé valdinguer sa manette de playstation et bondit hors de son canapé avant même qu'elle ait terminé sa phrase. Il aurait aimé pouvoir la garder en ligne avec lui mais Yasmine avait raccroché à peine avait-il répondu qu'il arrivait. Enfilant à la va-vite un pull par dessus son tee-shirt et sa paire de baskets il avait composé le numéro de la police tout en attrapant ses clefs sur la table. Il avait pris sur lui de ne pas s'agacer devant l'apparent manque de réactivité de la personne qu'il avait au bout du fil, acceptant non sans une certaine impatience de fournir ses coordonnées avant que ne lui soi confirmé qu'un véhicule se rendrait sur place.
De tous les occupants de l'immeuble, celui de l'appartemet B du deuxième étage était l'un des seuls avec qui Hassan avait sympathisé depuis un an qu'il vivait là. Il avait un Jack Russel noir et blanc, et une fille de huit ans qu'il accueillait chez lui un week-end sur deux, et qu'Hassan avait déjà gardée quelques heures pour dépanner. Aujourd'hui c'était lui qui avait besoin d'être dépanné, et l'inquiétude palpable sur le visage d'Hassan aidant il avait accepté de lui prêter sa voiture. Le brun se faisait peu à peu au fait de ne pas avoir remplacé la sienne, il s'apercevait chaque jour un peu plus qu'il pouvait très bien s'en passer dans l'immédiat, mais ce soir il se rendait compte que tout cela avait ses limites. C'était la première fois qu'il mettait les pieds derrière un volant depuis son accident, et en d'autres circonstances il se serait sans doute laissé gagner par une légère angoisse mais à cet instant seul comptait le fait de rejoindre Toowong aussi rapidement que possible, même pied au plancher. Bon augure ou pas, Hassan avait été alpagué par deux types en uniforme alors qu'il s'apprêtait à entrer dans l'immeuble de Yasmine, et à défaut d'avoir mis la main sur le bon gars on ne pourrait pas leur reprocher de ne pas avoir essayé. Après explications l'un des deux avait insisté pour monter en compagnie d'Hassan, ce dernier dubitatif mais laissant finalement faire tandis que sa mésaventure avec son propre voisin lui revenait en mémoire ; Dieu sait face à qui il tomberait une fois sur le palier.
Personne, pourtant. Et pas d'autre bruit que le grésillement de l'ampoule qui attendait d'être changée depuis des lustres et à laquelle pourtant personne ne touchait. L'agent de police dans son sillage, Hassan avait fait quelques pas jusqu'à la porte de Yasmine, appuyant sur la sonnette une fois, puis deux, et se décidant finalement à frapper en n'obtenant pas de réponse « Yasmine ? » Il était presque certain qu'elle était là, qu'il y avait quelqu'un de l'autre côté de la porte. A moins que ce ne soit simplement son imagination ? « Yasmine, ouvre. C'est moi. » Il avait la gorge sèche, et la sensation de sentir son cœur battre dans ses tempes. Lançant un regard impuissant vers le policier, Hassan hésitait entre se rassurer de voir que la porte était restée close, et s'angoisser à l'idée qu'il puisse se tramer quoi que ce soit de l'autre côté de cette porte. Il s'apprêtait à frapper à nouveau lorsque finalement le verrou avait claqué, et la porte ouverte sur la silhouette de Yasmine vers qui il avait instinctivement tendu la main.
Menant les mains à ses oreilles Yasmine avait tenté de dissiper les bruits qu’elle entendait et qui l’angoissaient plus que de raison. Tout son corps tremblait à la simple idée que l’homme puisse trouver un moyen de s’introduire chez elle et de finir ce qu’il avait commencé. Vainement elle tentait de libérer son esprit, repensant à des instants joyeux, à des moments de bonheur. Un bonheur qu’elle était elle-même entrain de vivre quelques secondes auparavant quand l’homme avait fait son apparition, venu de nul part. Il lui semblait que même en s’isolant du monde elle continuait d’entendre ses pas arpenter le couloir ce qui ne faisait que de lui intimer la conviction qu’elle était entrain de devenir folle. Pendant de longues minutes elle était restée dans cette même position, coupée de monde et recroquevillée derrière sa porte avant que la sonnette ne la fasse sursauter. Levant la tête elle n’avait pas osé faire un bruit, bien trop apeurée même sa respiration c’était coupée de peur qu’on ne puisse détecter sa présence. Une nouvelle fois le son c’était fait entendre démontrant un intérêt de la part de la personne derrière la porte. Elle avait fermé les yeux fortement priant pour que ce ne soit pas lui – qu’il s’en aille. Mais les coups frappés sur sa porte n’avaient fait que la rendre plus inquiète encore alors qu’elle se levait cherchant une arme de défense contre ce fou furieux. « Yasmine ? » La voix d’Hassan résonant à ses oreilles elle avait stoppé son mouvement pour sentir un soulagement sans nom l’envahir. C’était pourtant prudemment qu’elle c’était approchée de la porte n’osant pas l’ouvrir de suite. « Yasmine, ouvre. C'est moi. » Son cœur s’emballait au simple son de sa voix. Faisant glisser sa main jusqu’à la poignée elle avait stoppé son mouvement sur cette dernière, l’inquiétude revenant l’attraper. Et si l’homme était juste derrière Hassan, et si il lui faisait du mal. Elle était idiote de l’avoir embarqué là dedans, la vie d’Hassan était assez compliquée comme ça, il en avait assez bavé pour qu’elle ne rajouter pas ça à sa liste de problèmes. Elle c’était pourtant résignée à ouvrir la porte, le besoin de le savoir proche d’elle prenant le dessus.
Son regard avait vaguement croisé celui d’Hassan, elle n’avait vu que lui – cette main qui se tendait dans sa direction et qu’elle avait attrapé avant de se jeter à son cou comme pour tenter de se camoufler dans ses bras. Elle c’était serrée si fort contre lui que dans d’autre circonstances elle aurait sans doute eu peur de le blesser, les séquelles de son accident n’étant probablement pas toutes guéries. Hassan avait resserré ses bras autour de son corps tremblant et il lui semblait que ce simple geste avait su calmer ses mouvements. « Mademoiselle ? » Arrachée à sa bulle protectrice elle avait ouvert les yeux pour notifier la présence de deux policiers qui lui semblaient sortis de nul part. Se séparent d’Hassan son regard était venu flirter avec le sol. Elle avait pourtant gardé sa main dans celle de l’homme pour continuer de sentir sa présence. « Vous pouvez nous dire ce qui c’est passé ? » Le policier avait sorti son calepin lui donnant l’impression qu’elle allait subir un interrogatoire. Elle avait alors regardé Hassan comme si il détenait la réponse à cette question ou du moins était le seul capable de lui indiquer que répondre. Aucun son n’était sorti de sa bouche alors que son regard se posait à nouveau sur les deux officiers. « Je crois que quelqu’un m’a suivi, alors que je rentrais du travail. » Serrant la mâchoire elle avait détourné le regard, cherchant la présence discrète de l’homme qui l’avait accosté et pouvait potentiellement se cacher un peu partout. « C’est tout ? » Le ton était réprobateur indiquant un certain mécontentement d’avoir été dérangé pour ça. Et face à ses regards inquisiteurs et de jugement elle n’avait rien pu dire de plus. Seul le silence avait parlé pendant plusieurs secondes alors qu’elle serrait la main d’Hassan plus fort dans la sienne. « Oui. » Il lui était impensable de raconter à ses deux hommes comme son agresseur l’avait touché, les choses qu’il avait murmurées à son oreille.
Elle se sentait tellement salie et coupable aussi. Parce qu’elle aurait du être capable de le repousser plus vite, capable de le voir venir, qu’elle n’aurait sans doute pas du porter cette robe qu’elle c’était achetée peu de temps auparavant. Elle aurait du écouter sa mère qui lui rabâchait sans cesse qu’elle devait plus se couvrir. Pourtant elle n’était pas indécente loin de là mais dans l’esprit de la jeune femme tout semblait se mélanger si bien que la peur de se faire juger avait pris le dessus l’empêchant de dire la vérité. « Très bien, nous allons encore faire un petit tour pour vérifier qu’il n’y a personne. Vous pouvez nous dire à quoi il ressemble ? » La main de Yasmine avait lentement lâché celle d’Hassan pour venir se glisser proche de son torse alors qu’elle croisait les bras sur ce dernier dans une attitude de défense à peine cachée. « Un peu plus grand que moi, la cinquantaine avec les cheveux grisonnant il a un manteau noir et il… Je pense qu’il a bu. » Elle en était sur même – elle avait senti son haleine si proche de sa bouche. L’étonnement des policiers face à la description lui avait fait serrer un peu plus les bras contre son torse. Ils semblaient un peu suspicieux d’un coup mais n’avait pas fait d’autres commentaires avant de les quitter. Yasmine était restée droite comme un piquet les bras croisés sur le torse à les regarder partir. Quand ils étaient sortis de son champs de vision elle avait senti un nouveau frisson la parcourir et les larmes lui monter aux yeux alors qu’elle se retournait vers Hassan. « Merci d’être venu. » La voix tremblante de la jeune femme laissait deviner son mal être bien qu’elle tente de retenir les larmes vagabondes qui poussaient le chemin vers la sortie.
Hassan n'était pas sans savoir que Yasmine avait déjà eu un souci tel que celui-ci par le passé, à vrai dire il connaissait même suffisamment ses horaires pour que cette "mésaventure" reste dans un coin de sa tête et qu'il n'ait jamais l'esprit totalement tranquille en la sachant rentrer chez elle à pieds si tard le soir. Ce n'était pas sans idée derrière la tête qu'il avait plusieurs fois suggéré l'idée qu'elle passe son permis de conduire, mais elle ne s'y était jamais résolue et le brun n'avait pas insisté plus, n'ayant pas envie qu'elle s'imagine qu'il tentait de la pousser à faire quelque chose dont elle n'avait pas envie. Mais il n'y avait donc rien d'étonnant à ce que son sang n'ait fait qu'un tour lorsqu'il avait répondu au téléphone et entendu la voix plaintive avec laquelle elle lui avait demandé de venir ; Yasmine avait toujours peur de déranger, quand bien même ce n'était pour ainsi dire jamais le cas, et si elle se montrait si catégorique ce soir-là ce n'était donc probablement pas sans raison. C'était en tout cas suffisamment sérieux pour qu'Hassan n'ait pas besoin de poser plus de questions avant de bondir hors de son appartement. Il n'avait plus le droit de rouler en voiture, son permis avait été provisoirement suspendu - une bonne chose, selon Qasim - mais à cet instant Hassan se foutait royalement de risquer d'aggraver sa situation judiciaire, et ce serait aussi mentir que de prétendre qu'il avait scrupuleusement respecté les limitations de vitesses sur le trajet. Et tout ce qui comptait en définitive c'était qu'il soit arrivé à destination presque aussi vite que l'équipage de police dépêché sur place après son appel, emboitant le pas du brun après qu'il ait décliné son identité et indiqué qu'il montait chez Yasmine.
Les secondes qu'elle avait laissé passer avant de se décider à ouvrir la porte lui avaient semblé durer des heures, et ayant eu tout le loisir de se faire des films et de s'imaginer tout un tas de scénarios atroces - parce qu'Hassan tendait désormais toujours à s'imaginer le pire à propos de tout - le brun n'avait pu retenir le soupir de soulagement qui avait quitté ses lèvres lorsqu'il avait constaté qu'elle était en un seul morceau. Son soulagement pourtant n'avait pas duré lorsqu'elle s'était jetée à son cou et qu'il avait pu la sentir trembler comme une feuille entre ses bras, et sursauter quand enfin elle avait remarqué la présence du policier un peu en retrait derrière eux. « Vous pouvez nous dire ce qui c’est passé ? » Sentant la main de Yasmine glisser le long de son bras il avait resserré ses doigts autour des siens « Je crois que quelqu’un m’a suivi, alors que je rentrais du travail. » La formulation n'était pas la même que lorsqu'il l'avait eu au téléphone, à moins que ce ne soit le ton qu'elle employait qui était un peu plus mesuré ? « C’est tout ? » Le policier semblait dubitatif, Hassan lui simplement persuadé qu'elle ne disait pas tout, encore plus lorsqu'il l'avait entendue répondre « Oui. » de ce ton un peu sec qui ne lui ressemblait pas. Pas de mauvaise volonté non plus, pour autant, le policier avait repris « Très bien, nous allons encore faire un petit tour pour vérifier qu’il n’y a personne. Vous pouvez nous dire à quoi il ressemble ? » Il avait lâché sa main un peu à regret et écouté sa réponse avec attention comme s'il s'attendait à reconnaitre la description, et ce alors même qu'il n'avait croisé personne en arrivant ici. « Un peu plus grand que moi, la cinquantaine avec les cheveux grisonnant il a un manteau noir et il … Je pense qu’il a bu. » Un rictus contrarié était passé sur le visage d'Hassan mais il n'avait rien dit, se contentant de poser une main sur l'épaule de Yasmine tandis que le policier les saluait et que le brun le gratifiait d'un « Merci de vous être déplacé. » en le suivant des yeux jusqu'à ce qu'il ait quitté le palier.
Yasmine n'avait rien dit de plus et se contentait de se tenir raide comme un piquet, Hassan sentant les muscles de ses épaules se relâcher d'un seul coup une fois qu'ils avaient été seuls sur le palier et qu'elle s'était retournée vers lui. « Merci d’être venu. » Soucieux, il avait secoué légèrement la tête et reposé ses deux mains sur les épaules de la jeune femme avec douceur « Tu m'appelles, je viens. Y'a même pas de question à se poser. » Et il se sentait particulièrement le devoir de le rappeler après ces derniers mois, parce qu'il y avait eu trop de coups de téléphone filtrés, de mots dits sans les penser et de tentatives pour la repousser, pour qu'au final il se rende à ce qui était pourtant d'une évidence indiscutable : il pouvait renoncer à beaucoup de choses, mais pas à elle. « Viens. » La laissant passer devant il était entré dans l'appartement à sa suite et avait verrouillé la porte derrière eux, le visage défait et les yeux brillants de Yasmine lui apparaissant plus distinctement à la pleine lumière de la pièce. « Yas' tu es sûre que ... il ne s'est rien passé d'autre ? » Il avait posé la question de manière un peu hésitante, n'ayant pas envie qu'elle s'imagine qu'il remettait sa parole en doute, mais certain de la connaître suffisamment pour sentir qu'il y avait quelque chose qu'elle ne disait pas. « Mais tu as vu, il n'y avait plus personne sur le palier, alors qui que ce soit il est parti. » Avec un peu de chance il aurait même vu la voiture de police tourner dans le quartier, et serait dissuadé de faire une quelconque ânerie supplémentaire. « Tu veux que je reste ici, ce soir ? » Pour la rassurer elle, certes, mais pour se rassurer lui aussi, en toute honnêteté.
Yasmine n’était pas de ceux qui condamnent les gens sur une mauvaise action. Quelque part en elle, elle avait la conviction qu’il y a avait du bon dans chacun même quand il était recouvert par un couche de mauvais. C’est pour ça que la première fois qu’elle c’était faite agressée pour son sac à main, des années auparavant, elle avait tenté vainement de retrouver son agresseur. Pas pour le punir mais dans l’espoir un peu naïf qu’elle pourrait l’aider. L’agression avait été plus violente dans les mots et la façon dont il avait attrapé son sac pour l’en délester l’avait un peu secouée. Mais pourtant ce n’était rien comparé à aujourd’hui… Elle pouvait difficilement imaginer pire intrusion que celle de sentir les mains d’un homme inconnu sur son corps, sur sa poitrine. C’était important pour elle – peut-être trop même. Elle avait passé tant d’années à se préserver pour l’homme qui serait le bon. Tant d’années où la certitude que seul son mari pourrait la toucher de cette façon. Elle avait rompu cette promesse quelques années auparavant pour un homme qu’elle pensait aimer. Ca avait été une vrai déception mais c’était son choix de laisser son petit ami de l’époque rentrer dans cette intimité qui lui était si proche. Aujourd’hui un homme avait violé cette intimité. Certes il n’avait fait que la peloter vaguement par dessus son T-shirt ce que bien des femmes auraient sans doute acceptées plus facilement… Mais pour Yasmine c’était une histoire bien plus sérieuse. D’ailleurs, la main d’Hassan sur son épaule l’avait d’abord fait sursauter – ce contact inattendu qu’il avait engagé avec elle, puis reliant ce touché à celui de son ami elle c’était détendue en regardant les policiers partir. La deuxième main d’Hassan était alors venue se poser sur son épaules. « Tu m'appelles, je viens. Y'a même pas de question à se poser. » Yasmine avait esquissé un léger sourire. Sans doute plus pour tenter de le rassurer lui que parce que ces mots lui avait fait du bien à elle. Malgré les événements des dernières semaines Yasmine avait continué de penser qu’Hassan serait toujours là pour elle. C’était peut-être un peu naïf mais elle n’avait jamais pu réellement se résoudre à l’idée de le perdre. Même quand il avait prétendu ne plus vouloir d’elle. Peut-être parce qu’elle savait son besoin de lui bien trop présent… Pas uniquement dans ce genre de moment où avec la peur il semblait exacerbé. C’était permanent chez Yasmine. Hassan était l’une des personnes avec qui elle voulait partager ses joies, ses peines, ses colères… Peut-être même la personne avec qui elle avait le plus envie de les partager. C’était aussi sa définition de l’amour – un amour qu’elle lui portait depuis de trop nombreuses années dans le silence le plus total. Si Hassan ne voyait rien c’était aussi parce que jamais elle n’avait tenté de le lui montrer.
« Viens. » Elle était passée en première dans l’appartement alors qu’il la suivait prenant soin de verrouiller la porte après eux. Elle en était reconnaissante bien que le bruit du verrou lui ait étrangement donné envie de vomir. « Yas' tu es sûre que ... il ne s'est rien passé d'autre ? » Tournant un regard un peu apeuré vers lui elle avait laissé le silence s’installer un instant. Elle se savait incapable de lui mentir sans qu’il ne le voit – c’était comme ça depuis toujours. Depuis son enfance où déjà il était capable de voir à sa tête quand elle avait fait une bêtise, quand c’était elle qui avait caché les jeux à son frère qu’il cherchait partout. « J’ai seulement eu peur… » Détournant le regard elle avait été incapable de soutenir celui qu’il posait sur elle. Remontant ses mains le long de ses bras elle avait tenté de se réchauffer un peu, ayant d’un coup très froid. « Mais tu as vu, il n'y avait plus personne sur le palier, alors qui que ce soit il est parti. » Elle se sentait maintenant idiote de l’avoir dérangé pour rien – pour se néant qui c’était produit quand il était arrivé accompagné de deux policiers. « Oui… Il est parti. » Elle avait pourtant jeter un regard inquiet vers la porte, ce qui n’avait pas échappé à Hassan. « Tu veux que je reste ici, ce soir ? » « Non je… » Stoppant sa phrase elle avait avancé un peu dans le salon avec l’impression que même ses jambes avaient de la peine à la porter. Resserrant plus fort encore ses bras contre elle, ne sachant trop contre quoi elle tentait de se protéger. « Ca ne te déranges pas ? » C’était plus l’inquiétude de l’embêter encore qui lui faisait peur. Elle n’avait pas envie d’être cette fille faible qu’elle voyait dans le reflet du miroir – celle qui avait besoin de lui et pourtant c’était le cas. La simple perspective qu’il parte et la laisse seule ici lui serrait l’estomac. « Je vais préparer le canapé… » Elle n’avait même pas proposé son lit. Connaissant assez Hassan pour savoir que jamais il n’accepterait de prendre son lit et de la laisser dormir sur le canapé. C’était aussi pour ce genre de comportement qu’elle l’aimait. Il se déplaçait au bon milieu de la nuit pour elle – ne posait pas plus de questions et acceptait un vieux sofa comme récompense.
Rapidement le canapé avait été préparé. Jetant un regard à sa montre elle c’était aperçue qu’il était tard – très tard. Déjà même quand elle l’avait appelé en panique. Il dormait peut-être même déjà. Après lui avoir proposé quelque chose à boire elle c’était éclipsée avec un simple bonne nuit. Le silence lui était lourd, elle détestait lui cacher la vérité mais même en sa simple présence elle n’avait pas su se livrer. Après avoir enfilée son pyjama elle c’était elle même glissée dans son lit mais le sommeil était introuvable. Elle ne faisait que de passer et repasser les événements dans sa tête pendant de longues minutes. Quelques larmes coulant sur ses joues. Comme une enfant apeurée elle avait fini par se lever pour se rendre au salon. N’osant même pas allumer la lumière de peur de troubler le sommeil de son ami. Pourtant arrivé proche du sofa elle avait murmuré son nom… « Hassan… ? » Il lui avait répondu mais elle avait été incapable de dire si c’était la voix d’un homme endormi ou si lui aussi était encore éveillé. « Je suis désolé je ne… Je ne voulais pas te réveiller. Je n’arrive pas à dormir, je fais que de penser à…. A ca… Est ce que… Je peux rester un peu avec toi ? » La scène n’était pas sans lui rappeler ses cauchemars d’enfants. Ces moments où elle allait se réfugier vers son père, il prenait toujours grand soin de ne pas réveiller la mère qui l’aurait sans doute renvoyé dans sa chambre. C’était leur petit secret, des moments d’intimités avec son père, volés dans le creux de la nuit. Elle avait parfois l’impression que c’était les seuls auxquels elle avait le droit. Aujourd’hui elle se donnait l’impression d’être redevenu cette enfant apeurée… Elle qui la pensait loin derrière. Depuis qu’elle avait réussi à avoir son propre appartement elle c’était toujours donné l’impression qu’elle s’en sortait très bien toute seule… Du moins jusqu’à aujourd’hui. Alors qu’elle venait quémander un peu d’attention à Hassan, elle aurait voulu lui dire la vérité qui lui brulait la gorge mais une partie d’elle avait peur qu’il ne comprenne pas. C’était idiot… C’était Hassan… mais son rationnel n’était pas dans le meilleur des états.
Si Hassan avait craint un très fugace instant de s'être un peu emballé pour rien et d'avoir lui-même surestimé la situation, l'attitude véritablement angoissée de Yasmine avait suffit à le persuader du contraire. Il aurait été prêt à mettre sa main à couper qu'il y aurait plus à en dire que ce qu'elle avait bien voulu livrer au policier, pour autant il n'avait pas fait de réflexion sur le moment, et avait attendu que tous deux aient regagné l'appartement - qu'il avait pris soin de fermer à clef derrière eux - pour se risquer à poser la question en espérant qu'elle se montre un peu plus loquace. Le regard fuyant, pourtant, elle s'en était tenue à « J’ai seulement eu peur … » et bien qu'encore moins convaincu que précédemment Hassan n'avait pas osé insister. Elle ne voulait rien dire, ou tout du moins pas à lui et il ne pouvait pas l'y forcer, pas plus qu'il n'avait envie de la brusquer. Tentant donc simplement de la rassurer - et donc de se rassurer - en se montrant pragmatique, il l'avait regardée murmurer « Oui ... il est parti. » tout en lançant un oeil à demi-convaincu vers la porte d'entrée. Il peinait à comprendre pour quelle raison l'éventualité peu probable qu'un inconnu s'introduise dans son appartement était soudainement devenue aussi angoissante pour elle. Pa suffisamment pourtant pour qu'il se heurte à autre chose que son refus prévisible lorsqu'il avait proposé de passer la nuit là, au « Non je … » succédant de façon beaucoup plus prévisible un « Ça ne te déranges pas ? » que la manière dont elle croisait les bras avec angoisse rendait presque plaintif. Faisant à nouveau un pas vers elle il s'était néanmoins retenu de poser ses mains sur ses épaules compte tenu du sursaut que cela avait provoqué chez elle quelques minutes plus tôt « Je ne te le proposerais pas si c'était un souci. » s'était-il donc contenté de répondre d'une voix calme, haussant les épaules. Et puis, leur dispute à l'hôpital mise à part, il doutait qu'elle soit capable de se remémorer une seule occasion par le passé où il ait pu sous-entendre qu'elle était une source de dérangement. Elle n'en était jamais une. « Je vais préparer le canapé … » Il avait acquiescé d'un signe de tête, et suivi aussi sec pour l'aider puisqu'il n'était pas question qu'elle prépare le lit d'appoint toute seule alors que c'était lui qui dormirait dedans.
Quoi que, dormir était un bien grand mot. Le sommeil d'Hassan était déjà une vaste comédie lorsqu'il était chez lui, mais il devenait à fortiori d'autant plus catastrophique dès lors qu'il se trouvait ailleurs que dans son appartement. Avant les somnifères l'aidaient un peu, mais lorsqu'Hassan avait changé de psy ce dernier avait manqué sauter au plafond en découvrant l'association hasardeuse à laquelle s'était livrée l'ancienne en mélangeant somnifères et anti-dépresseurs qui ne pouvaient en aucun cas faire bon ménage. Il avait hésité à rallumer la lumière et à se trouver une occupation, un bouquin à lire ou même un reste de vaisselle à faire, mais craignant de faire du bruit et de perturber le sommeil de Yasmine il y avait renoncé, calant son bras derrière sa nuque en observant le plafond en espérant finir par s'endormir. Il écoutait chaque bruit avec attention comme s'il s'attendait lui aussi à ce que quelqu'un soit embusqué devant la porte d'entrée, et avait tourné la tête vers la silhouette de Yasmine se dessinant dans la pénombre « Hassan … ? » Il avait roulé sur le côté pour lui faire face, et s'était redressé légèrement « Je suis désolé je ne … Je ne voulais pas te réveiller. Je n’arrive pas à dormir, je fais que de penser à … À ça … Est ce que … Je peux rester un peu avec toi ? » Pendant un quart de seconde il s'était souvenu d'une Yasmine beaucoup plus jeune, qui à grand renfort de supplications avait obtenu de pouvoir elle aussi camper au fond du jardin avec Sohan et lui, et qui finalement apeurée par les bruits inhérents à la nuit était venue se réfugier près d'Hassan dans la tente en lui faisant promettre de ne pas le répéter à Sohan, par peur qu'il n'en profite pour se moquer d'elle. « Je ne dormais pas. » Pas la peine donc qu'elle se tracasse à ce sujet. « Viens. » Chuchotant, il s'était un peu décalé pour lui laisser une place et s'était calé de manière à pouvoir à la fois ménager la douleur latente dans sa cage thoracique et accueillir la jeune femme entre ses bras. Il l'avait sentie hésitante sans savoir comment l'interpréter, de même que la chair de poule qu'il avait senti sur ses bras aurait pu être du froid ou de la peur sans qu'il ne sache lequel des deux reflétait la réalité. « Qu'est-ce qui t'a fait si peur ? » Il avait murmuré, un bras se resserant autour de ses épaules et son autre main carressant doucement les cheveux de la jeune femme pour essayer de calmer son angoisse, comme on bercerait un enfant après un cauchemar. « Qu'est-ce que tu me dis pas ... ? » Avec qui que ce soit d'autre il aurait eu peur peut-être de se monter la tête tout seul, mais il connaissait trop bien Yasmine pour ne pas être certain que quelque chose clochait, qu'il y avait plus que ce qu'elle avait bien voulu dire. Il ne savait simplement pas ce qui la retenait, si elle ne mettait pas de mots sur ce qui la tracassait, ou même si c'était à lui qu'elle ne voulait rien dire. Est-ce qu'il avait à ce point entaché la confiance qu'elle avait en lui ?
Les jambes tremblantes Yasmine avait fait un pas de plus dans la pénombre, son souffle était irrégulier et son cœur s’emballait frénétiquement alors qu’elle se rapprochait d’Hassan. Même chez lui quelque chose semblait l’apeurer sans qu’elle ne comprenne d’où lui venait cette hantise passagère. Elle savait pourtant à quel point ce soir elle avait besoin de lui. « Je ne dormais pas. » Un peu rassurée, elle avait fini par articuler le reste de sa demande avec une légère gêne, mais pas assez présente pour la pousser à faire demi tour et retourner dans le silence de sa chambre. Ses yeux s’habituant à l’éclairage elle pouvait maintenant deviner plus distinctement la silhouette d’Hassan sur le canapé. « Viens. » Elle c’était approchée pour venir se poser sur le canapé un peu hésitante elle avait regardé cette place qu’il lui avait libéré sans trop savoir quoi faire. Finalement sa main avait glissé jusqu’à lui, la chaleur de son torse la rassurant elle était venue se blottir dans ses bras et elle s’était laissée apaiser par ce contact. La tête posée sur le haut de son torse il lui avait semblé que le souffle lui revenait d’un coup, au creux de ses bras elle se sentait enfin en sécurité. Si proche de lui, il ne pouvait plus rien lui arriver. Cette pensée la ramenait indéniablement à la possibilité de son départ. Hassan ne lui ayant toujours pas fait part de sa décision concernant le poste qu’on lui proposait à Téhéran, et il lui semblait que ce silence était le reflet d’un certain désir de la part de son ami. Désir qu’elle ne voulait pas brimer plus qu’elle ne l’avait sans doute déjà fait lors de leur première conversation. « Qu'est-ce qui t'a fait si peur ? » Pinçant les lèvres elle c’était contentée de serrer un peu plus ses bras autour d’Hassan, prenant quand même soin de ne pas compresser des endroits douloureux. Ses yeux s’étaient fermés pour empêcher toute larme d’oser se frayer un chemin vers la sortie. « Tellement de choses… » La vie en général lui semblait avoir quelque chose d’effrayant. Ca avait toujours été le cas mais cette frayeur c’était amplifiée au fil des années. Son travail à l’hôpital n’aidant sans doute pas. Elle était bien placée pour savoir que les mauvaises choses n’arrivaient pas toujours aux plus mauvaises personnes et le cancer d’Hassan avait été la première et plus douloureuse vérification de cette hypothèse. Mais au final il était encore là, sur ses deux jambes. Quelque chose avait changé en lui c’était indéniable et Yasmine doutait qu’il redevienne un jours le Hassan d’avant mais ça ne l’empêchait pas de continuer à l’aimer de plus profond de son cœur.
« Qu'est-ce que tu me dis pas ... ? » Un frisson lui avait parcouru l’échine en entendant la question d’Hassan, prostrée dans le silence Yasmine avait fait remonter sa main jusque dans le cou du jeune homme pour sentir sa peau contre la sienne. Espérant vainement que ce geste lui intimerait le silence même si il y avait peu de chance. Comme une enfant elle se laissait bercer par les caresses tendres d’Hassan et calait sa respiration sur la sienne, pour faire revenir le calme dans son esprit. « J’ai froid… » Pourtant la température de la saison n’expliquait pas cette soudaine sensation et la couverture d’Hassan à peine dépliée en était la preuve. Il l’avait d’ailleurs aidée à la remonter sur elle même si le plus efficace était encore la chaleur du corps d’Hassan. Après ça, le silence c’était installé à nouveau, pendant de longues minutes durant lesquelles Hassan n’avait plus posé de questions. Si on omettait les caresses délicates de sa main dans ses cheveux on aurait presque imaginé qu’ils s’étaient endormis. Mais ni elle ni lui ne semblaient trouver le sommeil tout deux tracassés par leur propre démons. « J’aurais pas du mettre cette robe… » Les mots avaient fini par traverser ses lèvres bien qu’avec un peu de peine. « Ma mère m’avait prévenu mais j’ai pas voulu… Je pensais que j’étais pas provocante. » Aujourd’hui elle avait la certitude de s’être trompée. Celle que sa mère avait raison depuis le début et qu’elle ne pourrait jamais en parler sans qu’on ne se rende compte qu’une part de la faute lui incombait. « Tu vas rester avec moi ce soir, n’est ce pas ? Peu importe ce que je te dis ? » Cette peur qu’il l’abandonne était encrée si profondément en elle qu’elle c’était à peine rendu compte de son existant. Il était plus ou moins évident qu’elle faisait écho à cette séparation qu’ils avaient connue quelques semaines auparavant quand il lui avait refusé l’accès à sa chambre et tout contact avec lui. Parce qu’il n’avait pas aimé ses mots, son attitude ou quelque chose en elle de toute évidence. Il y a avait cette peur mais aussi celle qu’il s’énerve et ne décide de faire justice lui même. Yasmine n’en pouvait plus de le retrouver blessé, il avait fait bien assez de séjour à l’hôpital ses derniers temps elle refusait d’être la raison d’une fracture de plus sur sa longue liste. « J’ai du lui envoyer des mauvais signaux et il a cru que je voulais… qu’il pouvait… » Tout était d’un coup si confus dans sa tête. Quelque part une partie d’elle savait que ce que cet homme avait tenté de faire était mal mais elle n’arrivait pas à imaginer qu’il ait pu lui sauter dessus sans raison. « Mais là façon dont il a posé ses mains sur moi c’était… J’ai jamais voulu ça je te le promets… C’était sale. » Tout son corps était pris d’un frisson en évoquant à nouveau ce moment. Elle n’était pas sûr d’être claire mais redoutait tellement la réaction d’Hassan que son discours semblait se découdre au fil des mots alors qu’elle resserrait sa main sur son t-shirt comme pour l’empêcher de fuir.
S'il ne s'était pas posé de question au moment de venir il ne s'en était pas posé plus au moment de proposer de rester. A la fois parce qu'il savait que si elle le voulait elle n'oserait pas le demander, et parce que lui non plus n'était pas tranquille à l'idée de la laisser toute seule alors que son angoisse crevait les yeux. C'était son angoisse à elle qui créait celle d'Hassan, habitué depuis toujours à s'imprégner comme une éponge des émotions des gens qui lui étaient chers. Alors non, bien sûr qu'il ne dormait pas, et bien sûr qu'elle pouvait rester là, le brun l'accueillant à côté de lui et resserrant ses bras autour d'elle avec la seule frustration de ne pas pouvoir faire plus pour calmer l'angoisse qui semblait la ronger. Et malgré un vague sentiment de familiarité il ne fallait pas s'y tromper, les choses avaient changé et eux aussi, il n'était plus question de deux enfants se consolants de chagrins passagers ou de peur enfantines, mais de deux adultes englués dans des peurs et des angoisses plus profondes, assez pour que l'un comme l'autre peinent à trouver les mots adéquats pour en parler. C'était peut-être pour cette raison, le « Tellement de choses … » murmuré comme une réponse bateau et qui pourtant semblait aussi criant de vérité. Elle avait changé, elle aussi. Elle avait perdu en insouciance et bien que ce soit le lot de chacun, à un moment donné, Hassan aurait évidemment préféré qu'elle soit épargnée et constitue l'exception. D'autant plus qu'il se savait avoir au moins une part de responsabilité là-dedans. Mais elle ne répondait pas à la question, continuait de faire la sourde oreille aux tentatives du brun pour tenter de lui faire dire ce qu'elle avait sur le coeur. « J'ai froid … » Lui n'avait frissonné qu'en sentant ses doigts glisser le long de son cou, mais tirant sur la couverture pour la remonter et couvrir totalement les épaules de Yasmine, il avait resserré un peu son étreinte autour d'elle et fait glisser une main contre l'un de ses bras pour tenter de la réchauffer un peu.
Il n'avait plus rien dit, gageant que Yasmine était probablement venue là pour tenter de trouver le sommeil plus sereinement, et pas pour qu'il tente de lui tirer les vers du nez. Lui savait que c'était peine perdue pour son propre sommeil, mais caressant les cheveux de la jeune femme et calant leur respiration l'une sur l'autre il se satisferait amplement du fait que Yasmine, elle, parvienne à s'endormir. Il y avait même cru l'espace d'un instant, paupières closes, lui-même apaisé par son souffle régulier et sa tête posée contre son torse, rouvrant les yeux lorsque la voix de la jeune femme s'était à nouveau manifestée dans un murmure « J’aurais pas du mettre cette robe … » Cette robe ? Quelle robe ? Peut-être plus ensommeillé qu'il ne l'aurait pensé il s'était demandé un instant s'il n'avait pas loupé un bout de conversation « Ma mère m’avait prévenu mais j’ai pas voulu … Je pensais que j’étais pas provocante. » Il avait froncé les sourcils, et baissé la tête pour tenter d'apercevoir le regard de Yasmine malgré la pénombre « Yas' de quoi tu parles ? » Les secondes passant il commençait en réalité à en avoir une petite idée, mais cela lui paraissait tellement saugrenu. Yasmine, provocante ? « Tu penses vraiment que ce type t'a suivie à cause de la robe que tu portais tout à l'heure ? » Laissant glisser la main qui caressait jusque là ses cheveux, il s'était appuyé sur son coude pour se redresser légèrement, ignorant le regain de douleur dans a cage thoracique. Comme si elle craignait de croiser son regard Yasmine avait gardé sa tête enfouie contre son cou « Tu vas rester avec moi ce soir, n’est ce pas ? Peu importe ce que je te dis ? » Il avait desserré son étreinte autour des épaules de la jeune femme seulement pour pouvoir se redresser totalement, accueillant à nouveau Yasmine entre ses bras avant qu'elle n'ait le temps de s'imaginer que son geste avait valeur de réponse négative à sa question « Je bouge pas d'ici. Et à part si c'est toi qui me demande de partir, y'a rien qui me fera changer d'avis. » Là-dessus il était catégorique, et la pointe d'angoisse dans sa voix ne tenait qu'au fait qu'il se faisait tout un tas de scénarios dans sa tête quant à ce qu'elle pourrait à se point craindre de lui révéler. « Tu peux tout me dire, je reste là. Et ça ne sortira pas d'ici. » Et ça à une époque elle le savait, avant qu'il ne gâche tout et n’entache ce qui les liait tous les deux elle n'en aurait jamais douté.
Laissant sa tête glisser contre celle de Yasmine avec douceur il avait déposé un baiser furtif sur sa tempe, s'accrochant à elle presque autant qu'elle s'accrochait à lui, les secondes qu'elle passait à conserver le silence lui semblant durer des heures jusqu'à ce qu'elle reprenne enfin la parole d'une voix étouffée « J’ai du lui envoyer des mauvais signaux et il a cru que je voulais … qu’il pouvait … Mais là façon dont il a posé ses mains sur moi c’était … J’ai jamais voulu ça je te le promets … C’était sale. » Ses muscles s'étaient raidis, et elle devait à coup sûr avoir remarqué comme les battements de son cœur avaient accéléré d'un seul coup « Shhht. » Laissant sa main glisser le long de son dos et remonter jusqu'à sa nuque il avait secoué légèrement la tête sans pour autant se détacher d'elle « Bien sûr que tu n'as pas voulu ça, personne n'a dit que c'était de ta faute ... » Il parlait à voix tellement basse qu'il lui fallait parler tout proche de l'oreille de la brune pour être certain qu'elle l'entende « C'est pour ça que tu n'as rien voulu dire au policier ? » C'était comme si toutes les pièces du puzzle s'emboitaient désormais, l'arrière-goût amer qui venait à la bouche d'Hassan redoublant maintenant que son esprit n'arrivait plus à s'empêcher d'imaginer ce que Yasmine venait de dire « Est-ce que ... est-ce qu'il a ... ? » Il n'osait pas terminer sa phrase, tant l'idée lui paraissait insupportable, tant le fait que l'on s'en prenne à Yasmine le brûlait dans sa chair. Il en venait presque à regretter le fait que ce type ne soit pas derrière la porte, tant finalement l'envie de lui refaire le portrait le démangeait. « Mais ce n'est pas ta faute, d'accord ? Je veux que tu te sorte cette idée du crâne. » Il avait desserré un peu son étreinte à nouveau, juste de quoi la pousser à relever la tête et pouvoir la regarder dans les yeux « T'es pas responsable du fait que ce type ait bu et ne sache pas se conduire décemment ... et c'est pas important, la robe que tu portais. » Et à cet instant précis, lui qui n'oserait jamais juger la mère de Yasmine tant elle avait fait pour son frère et lui, il lui en voulait terriblement d'avoir mis ce genre d'idées dans la tête de Yasmine « Mais je t'assure que tu n'avais rien de provoquante. Et quand tu t'es vue dans le miroir ce matin je suis sûr que tu t'es trouvée jolie, et tu as eu raison parce que tu l'étais, t'étais belle ... mais c'est absolument pas une excuse pour que qui que ce soit s'en prenne à toi. » Il n'y en avait aucune de toute manière, une excuse valable pour qu'on s'en prenne à elle, c'était juste ce taré qui n'avait pas les idées à la bonne place.
Il n’y avait pas si longtemps que Yasmine avait commencé à s’accepter et à accepter la société dans laquelle elle vivait. Pendant des années elle avait couvert presque chaque parcelle de son corps, imaginant sans doute se protéger de quelque chose, ou se préserver pour quelqu’un qui en valait la peine. Son esprit torturé entre les idées bien tranchées de sa mère et tout ce qui se passait autour d’elle, dans ce pays si éloigné des traditions de ses parents. Puis avec le temps et les rencontres une partie d’elle avait su s’ouvrir, toute une nouvelle vision du monde c’était offerte à elle et Yasmine avait saisi l’opportunité pour devenir une femme. Elle n’était pas sûre qu’Hassan ait vu le changement, qu’il ait été capable de la voir réellement changer mais elle, elle l’avait senti, et sa mère aussi, ce qui ne lui avait pas vraiment plu. Cependant Yasmine était encore très loin d’égaler Sohan en matière de déception familiale. C’était peut être sa chance. Pourtant, malgré les progrès qu’elle semblait faire chaque jour, l’événement de cette soirée semblait la faire régresser. Blottie dans les bras d’Hassan elle sentait bien que toutes ses convictions se faisaient la malle, créant un chaos inégalé dans son esprit. « Yas' de quoi tu parles ? » Son discours était décousu, comme si elle espérait le voir lire entre les lignes. Qu’Hassan lui donne cette chance de ne pas avoir à le dire à haute voix bien qu’une partie d’elle en ressente le besoin. « Tu penses vraiment que ce type t'a suivie à cause de la robe que tu portais tout à l'heure ? » Une partie d’elle en était persuadée. Qu’est ce que cet homme aurait pensé d’elle quelques années auparavant ? Qu’elle était étrange, un peu décalée mais aussi tellement moins sur d’elle. Cette pensée aurait du l’accompagner dans son cheminement, lui apporter une réassurance, elle c’était sortie de là toute seule, cette fois elle n’avait eu besoin de personne. Mais Yasmine pensait plutôt à cette faiblesse dont elle faisait preuve à l’instant – presque incapable de parler, recroquevillée dans les bras d’un homme pour se protéger d’une menace qui n’existait même plus. Au fond elle n’avait peut-être pas changé, elle avait juste tenté de s’en persuader. Et Hassan n’avait pas été dupe, ou si il l’avait été est ce qu’il n’allait pas partir une fois que ce voile serait levé ? Son esprit divaguant l’avait mené à le questionner avant d’oser en dire plus. « Je bouge pas d'ici. Et à part si c'est toi qui me demande de partir, y'a rien qui me fera changer d'avis. Tu peux tout me dire, je reste là. Et ça ne sortira pas d'ici. » A une époque peut-être, la question de Yasmine n’aurait même pas été utile, la présence de Hassan dans sa vie lui semblant d’une évidence absolue. Et même si elle n’avait pas réellement voulu se l’avouer il y avait une brisure entre eux – qu’ils tentaient doucement de colmater. Avec la douceur dont ils savaient tous deux faire preuve et qui le ressemblait tant. « D’accord… » Sa voix à peine audible elle n’avait pourtant pas engagé plus loin la conversation pendant de longues secondes. Peut-être même des minutes. Hassan avait glisser un baiser sur sa tempe lui proférant un sentiment de protection intense qui avait fini par l’inciter à en dire un peu plus, livrant les mots un par un comme si ils lui brulaient la gorge.
Elle avait senti cette raideur soudain, cette excitation qu’il avait tenté de canaliser, sans doute de peur qu’elle n’imagine qu’il allait fuir. Ne sachant comment l’interpréter, son propre rythme c’était accéléré attendant la réaction d’Hassan avec un poids si lourd sur le cœur qu’il semblait l’étouffer. « Shhht. » Bercée par sa caresse elle n’avait pour autant pas défait son emprise. « Bien sûr que tu n'as pas voulu ça, personne n'a dit que c'était de ta faute ... » Dans sa tête pourtant sa petite voix ne cessait de lui intimer que c’était le cas. « C'est pour ça que tu n'as rien voulu dire au policier ? » La lèvre tremblante elle avait mis quelques instants à répondre à cette question bien que la réponse semble toute écrite maintenant qu’elle avait lâché un bout de la vérité. « J’avais peur qu’ils ne comprennent pas, qu’ils me jugent, j’aurais pas pu supporter leurs regards si ils avaient pensé… Pensé que je pouvais le vouloir ou le provoquer… Et… ma mère ne doit surtout pas le savoir. » C’était d’un coup ce qui avait semblé le plus important, que Fatima n’apprenne jamais. Parce qu’alors tout devrait changer Yasmine le savait, elle donnerait à sa mère l’exemple ultime. « Est-ce que ... est-ce qu'il a ... ? » La suite de la question était restée en suspend, d’une façon assez explicite pour que Yasmine imagine tout ce qui pouvait passer par la tête d’Hassan. « Non, je… Je suis partie avant qu’il… » Ca lui semblait si sale à raconter, peut-être plus encore parce que c’était Hassan, parce qu’elle ne voulait pas qu’il ait cette image d’elle et de cet homme ignoble qui n’aurait jamais du la toucher. « Avant qu’il ne remonte ses mains, sous la robe. » Des mots à peine audibles, sans doute proféré avec une honte plus que palpable qui lui donnait envie d’aller se frotter le corps à l’acide pour enlever la moindre trace qu’il pouvait rester de cet homme. « Mais ce n'est pas ta faute, d'accord ? Je veux que tu te sorte cette idée du crâne. » Même les mots d’Hassan ne semblaient pourtant pas assez puissant pour permettre à son esprit de chasser cette idée. « Pourquoi alors ? Pourquoi il a fait ça !? » Sa voix c’était faite plus coléreuse cette fois laissant place à la révolte qui grondait en elle, le tremblement de sa voix toujours aussi présence qui laissait présager une crise de larme incontrôlable.
« T'es pas responsable du fait que ce type ait bu et ne sache pas se conduire décemment ... et c'est pas important, la robe que tu portais. Mais je t'assure que tu n'avais rien de provoquante. Et quand tu t'es vue dans le miroir ce matin je suis sûr que tu t'es trouvée jolie, et tu as eu raison parce que tu l'étais, t'étais belle ... » Les mots tendres avaient touché son cœur, ce n’était pas la première fois qu’Hassan lui faisait un compliment mais cette fois il avait une saveur différente de la bouche de l’homme. « …mais c'est absolument pas une excuse pour que qui que ce soit s'en prenne à toi. » Bien que censés et prenant le chemin de son esprit, les mots d’Hassan n’avaient pas eu un impact aussi puissant qu’il l’aurait sans doute voulu. Yasmine ne cessant de se demander comment les choses se serraient déroulées si elle avait été moins jolie. Pourtant elle avait volontairement décidé de ne plus en parler. « Merci… » Il y avait tant de raisons pour le remercier, sa présence ici, ses mots, son contact réconfortant, cette façon qu’il avait d’être lui simplement. Se redressant un peu elle voulu déposer un baiser sur sa joue. Elle ne saurait dire si c’était une envie refoulée, un simple dérapage ou la pénombre qui l’avait empêché de visualiser correctement, mais son baiser s’était déposé bien trop proche des lèvres de Hassan, à la lisère de ses dernières, elle avait senti cette sensation étrange que procurait le contact de ses lèvres, même sur une surface si infime. Ce contact la troublant au plus haut point, elle était pourtant restée au dessus de lui quelques secondes tentant de trouver son regard dans la pénombre. « Promets moi que tu ne le diras à personne. » Elle ne savait pas vraiment si cette phrase s’adressait uniquement à son agression, ou alors à ce moment qu’elle venait de lui voler peut-être de façon involontaire, ou simplement ce contact qu’ils échangeaient, tous deux couchés dans son canapé. Ce n’était sans doute pas le type de relation qu’elle devrait avoir avec un homme, et même si ses parents connaissaient leur amitié réciproque, il y a fort à parier qu’ils n’auraient pas approuvé le comportement de Yasmine ce soir, cette façon dont elle se blottissait contre lui… Dont elle avait besoin de lui.
Hassan se sentait totalement impuissant face à la détresse de Yasmine, incapable de trouver les mots qui feraient suffisamment mouche pour chasser l'angoisse qui semblait la ronger en silence, alors qu'elle se refusait à mettre des mots sur ce qui lui causait tant de tracas. Il la serrait dans ses bras faute de pouvoir faire plus, et avait déposé un baiser sur sa tempe comme pour compenser le fait de ne pas savoir quoi dire ... et sans se douter que c'était, au moins en partie, ce qui l'avait finalement convaincue d'en dire un peu plus. Hassan pourtant avait peiné à remettre de l'ordre dans ses explications un peu brouillon, questionnant sur ce qu'il ne comprenait qu'à demi-mot, et promettant sans laisser la moindre place à l'hésitation que ce qu'elle lui dirait ne sortirait pas d'ici ; Que si ce n'était pas à lui particulièrement qu'elle souhaitait cacher quelque chose, elle n'avait pas à craindre que ses dires sortent de cette pièce et de cette conversation. On pourrait croire qu'il s'aventurait en terrain glissant, parce qu'au fond il promettait sans savoir, mais au fond il n'arrivait pas à imaginer une seule raison pour laquelle ce qu'il venait de promettre puisse être remis en cause ... Il n'y avait rien ou presque qu'il soit véritablement capable de refuser à Yasmine. Et s'il n'était pas convaincu du bien fondé du silence de la jeune femme face aux policiers il parvenait à comprendre son point de vue « J’avais peur qu’ils ne comprennent pas, qu’ils me jugent, j’aurais pas pu supporter leurs regards si ils avaient pensé … Pensé que je pouvais le vouloir ou le provoquer … Et … ma mère ne doit surtout pas le savoir. » Il avait secoué légèrement la tête, négativement. Il aurait aimé pouvoir lui dire que sa mère se soucierait bien peu des circonstances et uniquement de savoir que sa fille allait bien, les relations tendues qui subsistaient entre les Khadji et leur fils était bien la preuve que certaines choses étaient difficilement acceptables à leurs yeux.
Il n'y avait rien qu'il puisse refuser à Yasmine mais il n'y avait également rien qui lui soit aussi insupportable que l'idée qu'on s'en soit pris à elle, aussi la question qui lui brûlait les lèvres n'était pas parvenue à franchir entièrement la barrière de ses lèvres ; Comme si en le disant à voix haute il craignait d'augmenter les chances que la réponse soit "oui". « Non, je … Je suis partie avant qu’il … Avant qu’il ne remonte ses mains, sous la robe. » Il aurait probablement du se sentir - un peu - soulagé, mais en réalité il n'avait que ravalé sa salive avec difficulté sans parvenir à ravaler la colère qui était venue en même temps. Colère dirigée principalement contre ce type pour qui il valait mieux qu'il ne revienne pas traîner dans les environs, mais aussi un peu sur l'influence que les réflexions de Fatima avaient eu sur la vision qu'avait Yasmine de la situation. « Pourquoi alors ? Pourquoi il a fait ça !? » Il avait secoué la tête à nouveau, son souffle glissant contre la joue de Yasmine et ses doigts, eux, glissant dans ses cheveux bruns. « J'en sais rien. Mais peu importe ... Le fautif c'est lui, pas toi. Seulement lui. » Poussé par il ne savait quel réflexe inconscient il avait déposé un nouveau baiser sur sa joue, et laissé le bout de son nez frôler sa tempe avec douceur. Il se demandait si ses mots auraient la moindre influence, et il se désolait de ne pas en être certain parce qu'il ne voulait pas que Yasmine ait cette vision biaisée des choses. Qu'elle s'imagine que vouloir être jolie était une mauvaise chose et ne pouvait mener qu'à cela, à attirer des détraqués qui pour sûr ne voyaient pas, eux, ce qu'il y avait de joli chez elle. Ce qu'Hassan lui-même ne s'autorisait pas toujours à remarquer parce qu'une partie de lui craignait que ce ne soit pas convenable dans la position qui était la sienne.
La sentant bouger un peu entre ses bras il avait desserré son étreinte, cherchant après son regard dans la pénombre et pensant l'avoir trouvé au moment où il l'avait entendue murmurer un « Merci ... » timide. Presque aussi timide que ses lèvres dérapant à la commissure des siennes, sans qu'il ne sache si cela tenait plus de la maladresse et du manque de visibilité ou d'autre chose mais pourtant troublé de la même manière. Mais ça aussi, il était à peu près certain que ce n'était pas convenable, et plutôt que de se risquer à se poser des questions il avait laissé sa main glisser le long de son dos et son bras enserrer sa taille pour la garder contre lui. « Promets moi que tu ne le diras à personne. » Il était resté interdit, incertain l’espace d'un instant quant à ce à quoi "le" faisait référence, auto-censurant ses propres désirs de divagation en concluant qu'elle ne faisait références qu'aux confidences qu'elle venait de lui faire. Quoi d'autre. « Promis. » avait-il alors soufflé en calant à nouveau sa tête sur l'oreiller et en la laissant caler la sienne contre son torse. « Essaie de dormir. Je reste ici. » Il ne savait pas si elle y parviendrait, lui en tout cas avait peu d'espoir de réussir à fermer l’œil ... Et pourtant, lorsqu'enfin il avait sombré à son tour, il était à peu près certain que contre lui Yasmine s'était déjà laissée gagner par la fatigue. Et bien qu'il n'oserait jamais l'avouer, c'était sans doute de ne pas dormir seul qui, pour une fois, lui avait permis de trouver le sommeil.
Pour quelques heures du moins, l'aube pointant à peine lorsqu'il avait ouvert les yeux, et son cerveau nécessitant une seconde ou deux d'ajustement pour se rappeler d'où il était, pourquoi, et avec qui. S'extirpant du canapé-lit aussi précautionneusement que possible pour ne pas réveiller Yasmine, il était resté assis sur le bord un instant, attendant que ses idées se remettent dans le bon sens et observant la jeune femme du coin de l’œil. Ce serait mentir que de dire qu'elle semblait dormir paisiblement, mais elle semblait au moins un peu moins à cran que la veille, et assez incertain quant au fait que cela subsiste une fois sortie du sommeil il avait renoncé à la réveiller et préféré prendre le chemin de la salle de bain. Il avait besoin d'une douche, et tant pis s'il sentait la cerise en utilisant le gel douche de Yasmine. Les cheveux encore humides il avait rejoint la cuisine, mis la bouilloire à chauffer, et s'était finalement mis en tête de partir à la recherche des ingrédients dont il avait besoin pour venir à bout de l'idée qu'il avait eu sous la douche. Et voilà comment il avait regagné le salon, déposant sur la table basse le plateau où se bousculaient la théière, deux tasses, le pot de confiture, le sucre et une assiettes de crêpes. Elle arguerait sûrement qu'elle n'avait pas faim, mais ce n'était pas ce qui découragerait Hassan, un peu du genre papa poule lorsqu'il s'agissait de vous nourrir, de vous donner une couverture ou une écharpe supplémentaire ou de vous invectiver à prendre une aspirine. Pour l'heure il s'était contenté de s'asseoir sur le bord du matelas et de laisser glisser ses doigts contre sa joue, pour tenter de la tirer du sommeil en douceur.
Sa culpabilité avait laissé place à une certaine colère sans doute bien plus adaptée à la situation. Une partie d’elle se demandant encore ce qu’elle avait bien pu faire pour mériter ça, l’autre pourquoi des hommes se permettaient ce genre de geste en sachant pertinemment qu’ils faisaient du mal. « J'en sais rien. Mais peu importe ... Le fautif c'est lui, pas toi. Seulement lui. » Elle aurait voulu que son raisonnement soit aussi claire que celui d’Hassan, que ne raisonne pas en elle cette certitude qu’elle y était pour quelque chose. Une partie d’elle aurait d’ailleurs voulu retrouver cet homme, tenter de comprendre, mais elle doutait que cette rencontre n’arrange son état d’esprit, bien au contraire. Pour le moment la seule personne capable de la calmer et de la rassurer était Hassan et il avait tenu son rôle sans montrer aucune faiblesse. Pas même à cet instant où le baiser de Yasmine avait légèrement dérapé sur ses lèvres, induisant un silence étrange entre eux pour quelques secondes avant qu’elle lui fasse promettre de garder le silence. « Promis. » Rassurée, Yasmine était venue reprendre sa place entre ses bras, sa tête posée sur le torse d’Hassan elle pouvait pleinement le sentir respirer, sentir sa chaleur et cette certitude qu’il était bien là avec elle, que rien ne pourrait lui arriver. « Essaie de dormir. Je reste ici. » Yasmine n’était pas habituée à dormir avec quelqu’un, pourtant ce soir la présence d’une personne proche d’elle la rassurait. Il lui avait pourtant fallu de longues minutes avant que son corps ne se décontracte vraiment, la respiration d’Hassan lui permettant de se concentrer sur autre chose, elle la suivait, l’écoutait, devinait son corps si proche du sien avec la certitude qu’il ne fuirait pas. Finalement le sommeil était venu l’emporter. Dire que son sommeil avait été réparateur serait mentir, les rêves étaient venus l’emporter, des formes étranges volants devant ses yeux, ce n’était pas vraiment un cauchemar, pas vraiment une histoire, juste ses ombres qui semblaient planer sur elle sans qu’elle ne puisse les identifier.
C’est la contact de cette main sur sa joue qui avait tirée Yasmine du sommeil avec douceur, elle avait ouvert les yeux pour découvrir Hassan assis sur le bord du lit un demi sourire au lèvre. Il lui avait fallu quelques secondes pour que les événements de la veille lui reviennent en tête faisant à nouveau naitre une boule dans son ventre. Venant cherche la main du jeune homme avec la sienne elle l’avait apportée vers sa bouche pour y déposer un baiser. C’était sans doute un moyen de le remercier. D’être encore là de prendre soin d’elle avec tant de douceur. « Salut… » Elle s’était relevée avec lenteur recroquevillant ses jambes contre elle dans un geste de protection alors qu’elle jetait quelques regards aux alentours. Elle avait fini par reposer les yeux sur Hassan lui offrant un mince sourire. Puis sa main était venue se poser sur sa joue pour caresser sa barbe naissante. « Tu piques. » Elle avait ri un peu, aimant étrangement ce contact. Sa main avait fini par le quitter pourtant pour venir entourer ses jambes. « Tu as dormi un peu ? » Elle c’était endormie avant lui et de toute évidence réveillée après ce qui ne lui permettait pas de penser qu’il ait pu trouver le sommeil. Finalement son odorat avait semblé se réveiller à son tour et elle avait tendu un peu le cou pour observer la table. « Tu as fait le petit déjeuner ? » Un peu étonnée et émue elle avait déplié lentement ses jambes ce qui démontrait d’une certaine manière qu’elle se détendait. « Tu n’aurais pas du… Tu en as déjà fait beaucoup… » Puis surtout elle n’avait pas faim, pas du tout son ventre encore noué par les événements de la veille. Pour autant après les efforts fournis par Hassan elle n’avait pas osé le lui dire, et elle le connaissait assez pour savoir qu’il allait insister. Hassan était probablement une des seules personnes avec sa famille qui avait été mis au courant lorsque dans son adolescence – dépassée par la pression familiale – Yasmine avait presque cessée de s’alimenter. Elle savait donc qu’il allait veiller avec une attention toute particulière à ce qu’elle mange ce matin, même si pour le moment cette idée ne faisait qu’accentuer ses nausées. « Je crois que j’ai besoin d’une douche avant… » Elle ne voulait pas le vexer et si c’était en partie un moyen de repousser le moment du déjeuner il y avait aussi cette partie d’elle qui continuait de se sentir sale. Elle c’était déjà douchée le soir précédant, frottée plus que de raison mais cette première douche n’avait pas suffi à lui donner l’impression qu’elle c’était débarrassée des marques de l’homme qui l’avait touché. Déposant un baiser rapide sur la joue d’Hassan elle s’était éclipsée dans la salle de bain. Sous la douche elle avait frotté son corps pendant de longues minutes qu’elle avait pourtant fini par écourtées bien consciente qu’Hassan l’attendait dans cuisine. L’épreuve de l’habillage lui avait semblé tout aussi compliquée. Elle était restée devant son armoire à regarder ses habits sans savoir quoi faire – la peur continuant de lui nouer la gorge. Elle avait opté pour un pantalon un peu ample qu’elle n’avait plus mis depuis de longues années et un pull basique qui couvrait ses bras et son décolleté. De toute façon elle reprenait le travail dans quelques heures et retrouverait ses habits de fonction. Quand enfin elle était réapparue Hassan était toujours là – il l’attendait pour le déjeuner. Jetant un regard à la table elle avait annoncé enfin sa pensée un peu honteuse. « Je n’ai pas très faim tu sais… » Elle savait qu’elle n’y échapperait pas, et un partie d’elle se sentait l’envie et le devoir de faire honneur aux crêpes qu’il avait tout spécialement préparé pour eux.
À défaut d'être paisible, avoir trouvé le sommeil aurait au moins permis à Yasmine de se reposer un peu, et de mettre un début de distance entre elle et les événements de la veille. Craignant d'ailleurs de lui faire peur en troublant son sommeil de manière trop brusque, il avait fait son possible pour l'en tirer de la façon la plus douce possible, laissant ses doigts glisser avec précaution contre sa joue jusqu'à ce qu'elle ouvre enfin un oeil, puis deux, l'air encore ensommeillé. « Salut … » Esquissant un léger sourire quand elle avait saisisa main pour y déposer un baiser, il avait resserré un moment ses doigts autour des siens avant de se décaler pour la laisser s'asseoir. « Tu piques. » avait-elle alors fait remarquer avec une pointe d'amusement, Hassan laissant échapper un rire à son tour avant de répondre « Va falloir t'y faire, parce que ma barbe commence à me manquer un peu. » Sa joue avait appuyé un peu contre la main de Yasmine, comme un chat face à une caresse appréciable, avant qu'elle ne rompe le contact pour venir entourer de ses bras ses propres jambes. « Tu as dormi un peu ? » Il avait agité doucement la tête pour répondre affirmativement « Je crois même que j'ai dormi un peu plus que ces derniers jours … » avait-il même hasardé à demi-mot, sans aucune intention pourtant d'avouer que c'était probablement de ne pas dormir seul qui avait cet effet-là. Il n'avait pas envie que ce soit mal interprété, et puis il se sentait un peu ridicule de dépendre de la présence de quelqu'un pour dormir mieux. Comme un môme qui aurait besoin d'une veilleuse.
Laissant passer les quelques secondes nécessaires à son total réveil, Yasmine avait quitté la couverture et finalement déplié ses jambes tout en remarquant la présence du plateau sur la table basse. « Tu as fait le petit déjeuner ? Tu n'aurais pas du … Tu en as déjà fait beaucoup … » Il avait vaguement levé les yeux au ciel, comme si ce qu'elle venait de dire relevait du non-sens le plus total. Il n'avait rien fait de spécial, il s'était même senti particulièrement impuissant face à la détresse de la jeune femme la veille au soir, et il avait fait le petit déjeuner comme il l'aurait fait n'importe quel autre jour s'il s'était levé en premier. « Et encore, je sais aussi faire la vaisselle et passer l'aspirateur, j'suis carrément bon à marier. » s'était-il alors contenté de railler avec gentillesse, cherchant bien plus à provoquer un sourire chez la jeune femme avec n'importe laquelle de ses bêtises, qu'à faire de l'esprit. « Je crois que j’ai besoin d’une douche avant … » avait-elle en tout cas fini par avouer, pour en revenir au petit déjeuner. N'insistant pas tandis qu'elle déposait un baiser sur sa joue, provoquant chez lui un sourire léger, il l'avait suivie des yeux tandis qu'elle quittait la pièce, un peu soucieux.
Profitant de cet intermède pour défaire et plier les draps, ainsi que pour replier le canapé et lui rendre sa fonction première, il s'était servi une tasse de thé et s'était levé à nouveau, déambulant dans la pièce. Observant d'un air pensif les titres de quelques bouquins rangés sur une étagère, s'arrêtant quelques instants à la fenêtre pour observer les gens qui passaient en dessous sans pouvoir s'empêcher de songer à la possibilité que l'agresseur de Yasmine traîne toujours dans les parages ... Mais c'était peu probable, il cuvait probablement quelque part. Sa main finalement avait saisi le cadre posé sur le meuble près de la télévision. Il devait avoir plus ou moins seize ans sur cette photo, et Yasmine à peine neuf ou dix. Il chevauchait le vélo qu'il s'était offert après avoir passé l'hiver à distribuer des journaux avant d'aller en cours, et Yasmine souriait assise sur le porte bagages ; Qasim faisait le fier avec son sweat-shirt de l'université, et Sohan portait sa planche de skateboard en camouflant à moitié le genou écorché sous son short, vestige d'une chute survenue quelques jours avant la photo. « J'ai l'impression que c'était il y a des siècles. » avait-il commenté, un brin pensif, tandis que Yasmine réapparaissait. Il n'avait pas fait le moindre commentaire mais il voyait bien ce qu'elle tentait de faire, avec les vêtements qu'elle avait choisi, et cela le désolait un peu.
Reposant le cadre à sa place, il avait laissé sa tasse de thé vide sur la table basse, s'installant à nouveau sur le canapé tandis que son regard glissait à nouveau vers Yasmine. Elle semblait dubitative, hésitante, et après quelques secondes en effet elle s'était résolue à avouer « Je n’ai pas très faim tu sais … » Est-ce qu'Hassan en était surpris ? Non, pas vraiment. Cela ne l'avait pas empêché pourtant d'arborer un air faussement déçu tandis qu'il répondait « Dire que j'espérais réussir à t'amadouer ... je les ai faites avec amour, quand même. » Du moins il avait eu un mince espoir, sans ignorer non plus que Yasmine était au moins aussi têtue que lui. Lui faisant signe de venir s'asseoir à côté de lui, il avait employé malgré lui ce ton que l'on destinait aux enfants lorsque l'on espérait les persuader de faire quelque chose qu'ils n'avaient pas envie de faire « Tu me promets de manger un peu à midi ? Bois au moins quelque chose alors ... » C'était un peu la façon insidieuse dont se manifestait les tracas de Yasmine, elle perdait facilement l'appétit. Et s'il pouvait parfaitement le comprendre il savait aussi que parfois il suffisait de se forcer un peu pour retrouver un semblant d'appétit ... La jeune femme ne se gênait d'ailleurs pas pour utiliser cet argument, lorsqu'il était question de lui. « Tu travailles, aujourd'hui ? Il faudra que je repasse chez moi rendre la voiture que j'ai emprunté, mais je peux te déposer avant si tu veux. » Si cela pouvait la rassurer un peu, surtout. Parce qu'à la manière dont elle jetait parfois une oeillade vers la porte on devinait bien que malgré les plusieurs heures qui étaient passées elle continuait de craindre qu'il soit là quelque part, à l'attendre dans un coin, alors qu'il était probablement loin.
En oubliant les circonstances de la soirée précédente c’était plutôt doux de se réveiller au côté d’Hassan, de sentir la chaleur de sa main sur sa peau, son contact si doux est trop éphémère. « Je crois même que j'ai dormi un peu plus que ces derniers jours … » C’était une révélation plutôt étonnante Yasmine n’ayant pas eu vent depuis longtemps des problèmes de sommeil de son ami, bien qu’elle se doutait bien qu’ils ne s’étaient pas envolés d’un claquement de doigts. « Tu peines toujours à dormir ? » Elle aurait sans doute pu le deviner aux cernes fréquentes sous ses yeux mais la distance qu’ils avaient mis entre eux récemment ne l’avait pas poussée à aller chercher les confidences. Elle avait juste tenté de maintenir la flamme de leur amitié qui avait manqué de s’éteindre. Rapidement son regard s’était posé sur le petit déjeuner qu’Hassan avait préparé pour eux deux un léger sourire se frayant un chemin sur son visage, touchée par l’attention bien que son ventre ne soit pas réellement du même avis. « Et encore, je sais aussi faire la vaisselle et passer l'aspirateur, j'suis carrément bon à marier. » Elle avait rie à cette remarque n’osant pas relever le fait qu’il l’était vraiment… Du moins dans ses yeux. « Et bien je ne sais pas ce que j’attends alors… » Un sourire amusé sur les lèvres elle s’était permise cette petite boutade bien qu’une partie de ses propos ne soient pas si éloignés de la vérité. « J’ai des draps à repasser aussi, ça rentre dans ta liste de compétences ? » Amusée, elle s’était légèrement détendue avant de quitter la pièce pour se rendre à la salle de bain et se décrasser comme elle le pouvait.
Elle était revenue vers Hassan le plus rapidement possible, espérant ne pas l’avoir fait patienter. Ce n’est qu’une fois sous la douche qu’elle s’était rendue compte qu’il avait sans doute mieux à faire que de la baby-sitter toute la matinée. « J'ai l'impression que c'était il y a des siècles. » A peine entrée dans la pièce Yasmine l’avait vu pensif, le cadre photo à la main, elle c’était lentement avancée vers lui se plaçant derrière lui un peu sur sa gauche et posant sa tête sur l’épaule d’Hassan pour observer un instant la photo de leur enfance. « Tu te souviens de ce vélo ? Je l’adorais… J’avais même réussi à te convaincre de mettre des autocollants de fleurs dessus pour le rendre encore plus beau. Tu devais vraiment beaucoup m’aimer pour accepter. » Rigolant un peu elle avait laissé son doigt glisser le long du cadre un peu mélancolique. « Je suppose que ça n’a pas du faire monter ta cote auprès des filles. » Un sourire amusé sur les lèvres elle avait finalement retourné son regard vers la table ne sachant comme expliquer à Hassan que même si son attention la touchait son estomac n’était pas prêt pour ça. « Dire que j'espérais réussir à t'amadouer ... je les ai faites avec amour, quand même. » La mine désolée, elle était venue se glisser au côté d’Hassan. « Je pourrais les manger un peu plus tard, ça n’est jamais perdu. » Il avait peu de chance que l’appétit lui revienne aussi facilement et que d’ici quelque heure elle s’enfile une pile de crêpes mais c’était une jolie utopie.
« Tu me promets de manger un peu à midi ? Bois au moins quelque chose alors ... » « D’accord. » Elle s’était servie une tasse de thé, l’eau avait eu le temps de refroidir et était maintenant à la température idéale pour Yasmine qui n’avait jamais aimé boire trop chaud. Finalement sa main était aussi allée chercher un crêpe, l’appétit n’était toujours pas revenu et elle doutait de réussir à la finir, mais une partie d’elle voulait sincèrement le remercier pour ce qu’il avait fait pour elle la nuit dernière et ce matin et faire honneur à son déjeuner. « Tu travailles, aujourd'hui ? Il faudra que je repasse chez moi rendre la voiture que j'ai emprunté, mais je peux te déposer avant si tu veux. » « Je reprends dans une heure et demi, mais si tu peux me déposer avant c’est parfait pour moi. J’ai quelques dossiers à finir de remplir. Et… Ca me changera les idées. » Elle avait tenté un sourire qui se voulait rassurant alors qu’elle croquait dans sa crêpe au sucre, une minuscule morse qui avait de la peine à descendre. « Elle est très bonne. » Elle avait beau peiner, sa remarque n’était pas pour moins vrai, le gout était délicieux. Un léger silence s’était installé, mais ce n’était pas pesant, juste un de ceux que peuvent partager deux amis, avant que Yasmine ne reprenne la parole. « Tu te souviens de Lochlan ? » C’était peut-être une question un peu idiote, Hassan avait fait partie de sa vie depuis si longtemps qu’il était impossible qu’il ne se souvienne pas de celui qui avait été son meilleur ami et son premier petit ami. Hassan avait d’ailleurs plus d’une fois servie d’excuse à Yasmine qui refusait de parler de sa relation à ses parents, sachant pertinemment qu’ils ne l’accepteraient pas. « Je l’ai revu… Il est revenu il a quelques semaines avant ton... accident. » Elle n’avait jamais eu l’opportunité de lui en parler depuis. « Je l’ai croisé devant l’hôpital c’était… inattendu et il devait venir manger à la maison le soir suivant… Mais il n’est jamais venu. » Yasmine avait pressenti cette nouvelle fuite, sentant dans le regard de Loch’ que revenir dans cette ville qui avait abrité cette famille qu’il avait perdu était trop dur pour lui. « Je me demandais Hassan… Quand tes parents sont morts est-ce que toi aussi tu a pensé à quitter définitivement Brisbane… comme pour effacer leur souvenir ? » C’était une question sans doute un peu étrange mais Yasmine ne savait rien de ce qu’on pouvait ressentir quand on perdait un parent, elle avait manqué de le vivre avec son père et la simple idée de le perdre lui donnait des palpitations encore aujourd’hui.
Les problèmes de sommeil d'Hassan lui étaient tombés dessus presque en même temps que sa maladie, aidés par sa santé en vrac et le fait de chercher machinalement Joanne à côté de lui en oubliant qu'il ne l'y trouverait plus. Et si au sortir de son hospitalisation prolongée il avait fini par céder aux sirènes des somnifères pour tenter d'estomper la fatigue extrême que son sommeil déréglé provoquait, il était désormais forcé de faire sans. On ne livre pas deux batailles à la fois, avait prétexté son nouveau psy, et bien qu'Hassan ait pris la résolution de faire preuve d'un peu plus de bonne volonté à l'égard de celui-ci qu'à l'égard de la précédente, il avait malgré tout du prendre sur lui de ne pas lui faire remarquer qu'on voyait bien que ce n'était pas lui qui dormait trois heures par nuit dans les bons jours. A la question de Yasmine « Tu peines toujours à dormir ? » le brun s'était donc contenté de hausser vaguement les épaules, et de déposer un baiser furtif sur sa tempe avant de se servir une tasse de thé. « Ça passera. Et ce n'est pas le sujet. » avait-il rabroué gentiment, forçant un début de sourire sur ses lèvres. Pas plus ça que le fait qu'il ait fait le petit déjeuner, ce qui en soit n'avait rien d'extraordinaire, et lui avait donné matière à glisser une plaisanterie pour tenter de faire dédramatiser Yasmine. « Et bien je ne sais pas ce que j’attends alors … J’ai des draps à repasser aussi, ça rentre dans ta liste de compétences ? » Laissant échapper un léger rire, Hassan avait fait mine de réellement considérer la proposition en commentant avec amusement « Ne me tente pas, ou tu vas me voir débarquer avec mon fer à repasser un de ces jours. » Et tandis qu'elle quittait finalement la pièce pour rejoindre la salle de bain, il était resté pensif.
Après avoir replié le canapé il avait attrapé sa tasse de thé et déambulé dans le salon pour patienter, ses yeux tombant finalement sur la photo encadrée près de la télévision et dont il s'était saisi pour l'inspecter plus en détails. La mère de Yasmine se plaignait souvent à une certaine époque de ne pas avoir beaucoup de photos d'eux quatre réunis, et à en juger par l'âge de ce cliché elle avait probablement raison ; Elle avait même d'autant plus raison que compte tenu des griefs qui liaient actuellement Sohan et ses parents l'occasion ne risquait pas de se représenter dans un avenir proche. « Tu te souviens de ce vélo ? Je l’adorais … » Elle était venue poser sa tête contre son épaule « J’avais même réussi à te convaincre de mettre des autocollants de fleurs dessus pour le rendre encore plus beau. Tu devais vraiment beaucoup m’aimer pour accepter. Je suppose que ça n’a pas du faire monter ta cote auprès des filles. » Il avait laissé échapper un rire, avant de reposer le cadre à sa place initiale « C'est parce que déjà à cette époque tu savais y faire pour que je n'arrive pas à te dire non. » Le sourire légèrement amusé, il avait posé brièvement sa tête contre celle de Yasmine et ajouté d'un ton gentiment moqueur « Mais mon meilleur plan pour augmenter ma cote auprès des filles, c'était quand même toi ... moi et le vélo c'était un peu ridicule, mais moi le vélo et toi, alors là je faisais un carton. » Et malgré son air de plaisanter, il n'en était pas moins sérieux « J'avais officiellement la petite sœur la plus mignonne du quartier ... Mais ne le répète pas à Sohan, c'était un peu moche de ma part de m'approprier son rôle juste pour faire mon Don Juan. » L'humeur soudainement un peu plus légère, Hassan était retourné s'installer sur le canapé Yasmine à sa suite.
Mais il n'en avait pas pour autant oublié ni les événements de la veille, ni son espoir de faire avaler quelque chose à la jeune femme avant qu'elle ne parte travailler. Probablement parce qu'il savait que si elle ne le faisait pas elle ne mangerait rien de la journée. Elle était plus têtue qu'il n'y paraissait, pourtant, assurant d'abord « Je pourrais les manger un peu plus tard, ça n’est jamais perdu. » sans échapper pourtant au fait qu'Hassan lui fasse promettre de manger quelque chose le midi. Et s'il ne croyait que moyennement à son « D'accord. » il avait malgré tout décidé de s'en contenter cette fois-ci. Au lieu de ça il avait proposé de la déposer à l'hôpital avant de rentrer ; Il se disait que peut-être elle ne voudrait pas faire le trajet seul cette fois-ci, au moins le temps de constater par elle-même qu'elle ne risquait plus rien « Je reprends dans une heure et demi, mais si tu peux me déposer avant c’est parfait pour moi. J’ai quelques dossiers à finir de remplir. Et … Ça me changera les idées. » Il avait acquiescé d'un signe de tête, la laissant attraper une crêpe et tenter de la manger sans que son manque d'entrain puisse passer inaperçu « Elle est très bonne. » avait-elle pourtant tenté timidement, mais reposant sa tasse sur la table avant de se caler à nouveau dans le canapé Hassan avait fait remarquer avec douceur « Ne te rend pas non plus malade, si tu n'as pas faim. » conscient de s'être jusque là peut-être montré un peu trop autoritaire dans sa volonté de lui remplir l'estomac.
Se laissant à nouveau gagner par le silence, Hassan avait eu la désagréable impression que le soleil était en train de lui retomber dessus, et ce alors que l'heure n'était plus vraiment propice pour cela. Secouant vaguement la tête pour chasser cette impression, il avait intercepté l'air soucieux de Yasmine mais pas eu le loisir de la questionner à ce sujet puisque c'était finalement elle qui avait repris la parole. « Tu te souviens de Lochlan ? » S'il s'en souvenait ? Lochlan était probablement à Yasmine ce qu'Ella était à Hassan, ou tout du moins le brun l'avait toujours vu comme tel ... et avec ce brin de méfiance qu'Hassan avait toujours réservé à celles et ceux que Yasmine laissait rentrer dans un cercle suffisamment proche pour qu'en souffrir soit un risque. Le brun en tout cas avait hoché la tête en guise de réponse. « Je l’ai revu … Il est revenu il a quelques semaines avant ton ... accident. Je l’ai croisé devant l’hôpital c’était … inattendu et il devait venir manger à la maison le soir suivant … Mais il n’est jamais venu. » La révélation avait provoqué chez Hassan nombre de sentiments pas toujours compatibles. Content pour Yasmine puis finalement agacé par la conclusion, et donc la déception qui s'en était suivie pour la jeune femme « Je me demandais Hassan … Quand tes parents sont morts est-ce que toi aussi tu a pensé à quitter définitivement Brisbane … comme pour effacer leur souvenir ? » Il se sentait un peu pris au dépourvu, comme souvent lorsqu'il était question de ses parents, mais avait pourtant répondu sans vraiment d'hésitation « C'est pas vraiment comparable ... j'étais plus jeune. Et puis j'avais Qasim et vous, c'est pas comme si je m'étais retrouvé tout seul. » Et sans doute que la disparition de ses parents aurait été beaucoup plus compliquée à gérer s'il n'avait pas eu cette famille au sens large sur laquelle compter. C'était peut-être ce qui avait manqué à Lochlan. « Mais quand mes parents ont choisi Brisbane pour émigrer, je crois qu'ils avaient espoir qu'on grandisse et qu'on vive ici mon frère et moi. Et ça a déjà été assez compliqué pour Qasim entre la vente de la maison, les papiers à remplir pour que je puisse rester vivre avec lui ... Je ne pense pas que déménager lui ait traversé l'esprit. » Quant à Hassan il aurait probablement suivi son frère quoi qu'il en soit, désireux de ne pas être une source de tracas pour lui, conscient qu'hériter de la garde d'un adolescent de quinze ans n'était probablement ce qu'il avait prévu du haut de ses vingts ans à peine. « Mais je suis sûr que Lochlan avait ses raisons. Chaque situation est différente. » Cela n'empêchait pas Hassan d'avoir une certaine rancœur vis à vis de la peine qu'il avait causé à Yasmine, mais il pouvait comprendre le raisonnement ... particulièrement à la lumière des décisions qu'il avait eu à prendre ces deux dernières années lui aussi, en divorçant, en se délestant de bon nombre de relations qui pourtant lui tenaient à cœur. « Peut-être qu'en retombant sur toi il a eu du mal à assumer son départ ? Mais s'il sait où tu travailles maintenant, peut-être qu'il reviendra quand il se sentira prêt. » Il préférait parler au conditionnel pour ne pas donner l'impression de vouloir l'abreuver de faux espoirs, mais prendre la fuite une fois ne signifiait pas qu'on ne puisse pas trouver le courage d'aller de l'avent plus tard.
Les yeux rivés sur la photo un sourire était venu se nicher sur le visage de Yasmine. Parfois elle se posait la question de ce qu’aurait été leur relation si Hassan et elle ne s’étaient pas connus si bien et depuis si longtemps. Hassan aurait-il su voir en elle plus que cette petite fille qu’il avait toujours un peu considéré comme ça sœur ? Il n’y avait pas de réponse à ce genre de questionnement mais face à ces vieux souvenirs seules la certitude qu’elle n’effacerait ça pour rien au monde était bien présente. Hassan avait fait partit de ceux qui avaient façonné sa vie, sa personnalité. Il l’avait soutenu et épaulé tant de fois qu’il lui était impossible d’imaginer une enfance sans la présence des deux frère Jaafari à ses côtés. Et ce genre de souvenirs, elle n’était prête à les échanger contre rien – même pas une histoire d’amour avec celui qui avait toujours eu toute la place dans son cœur sans qu’elle n’ose l’avouer. « C'est parce que déjà à cette époque tu savais y faire pour que je n'arrive pas à te dire non. » Un sourire amusé avait fait son apparition sur les lèvres de la jeune femme, son bras remontant pour venir attraper celui d’Hassan dans une légère caresse alors qu’il appuyait sa tête contre la sienne. Ces moments de tendresses avaient ponctué la vie de Yasmine d’une douceur que seul Hassan savait lui donner. Peut être aussi parce qu’il était l’une des seules personnes sur cette planète dont elle se permettait d’être aussi proche. « J’ai ma botte secrète… » A vrai dire elle n’en avait jamais eu besoin, un simple regard suffisait généralement pour rallier Hassan à sa cause. « Mais mon meilleur plan pour augmenter ma cote auprès des filles, c'était quand même toi ... moi et le vélo c'était un peu ridicule, mais moi le vélo et toi, alors là je faisais un carton. » « Tu es sérieux ? » Comme quoi même après des années il était encore capable de l’étonner et de lui faire ouvrir les yeux sur bien des choses. « J'avais officiellement la petite sœur la plus mignonne du quartier ... Mais ne le répète pas à Sohan, c'était un peu moche de ma part de m'approprier son rôle juste pour faire mon Don Juan. » Leurs rires s’étaient mêlés dans ce moment de complicité avant qu’elle ne mette une petite tape sur son bras « Et tu n’as pas honte d’avoir utilisé une pauvre petite fille fragile comme moi de la sorte ? » Evidement elle n’avait jamais eu à s’en plaindre et les quelques traces de glace au chocolat sur son visage, que l’on pouvait voir en observant la photo, en étaient bien la preuve. Elle avait d’ailleurs pleuré pendant plusieurs heures quand le porte bagage avait rendu l’âme, ce que sa mère avait jugé bon d’appeler une bonne excuse pour arrêter de faire les pitres. Et tout naturellement en repensant à cette époque elle se prit à rêver à ce moment où cheveux au vent elle laissait Hassan pédaler à toute vitesse sur son vélo pour l’emmener où bon lui semblait. Elle serrait sa taille avec ses petits bras et rien d’autre n’existait que ce moment de bonheur. « J’aimerais en refaire… » Elle avait levé son regard vers lui un peu malicieux. « Du vélo avec toi ! Jamais je n’ai su pédaler aussi vite que tu le faisais. Je disais toujours à Sohan que c’était comme voler. Il était très jaloux. » Un sourire complice sur le visage elle s’était détachée un peu de lui. Il y avait fort à parier qu’aujourd’hui Hassan n’aurait plus la même vigueur, mais l’idée ne restait pas pour le moins charmante.
Un peu mélancolique elle avait tout de même entrepris de le suivre pour se poser face au déjeuner. L’étape représentait quelque chose de moins facile pour elle, et si Hassan ne lui avait pas forcé la main Yasmine avait tout de même eu envie de faire honneur à ses crêpes. « Ne te rend pas non plus malade, si tu n'as pas faim. » Comme si elle avait attendu son feu vert, Yasmine avait délaissé ce qu’il restait de sa crêpe pour attraper sa tasse et boire une gorgée de thé. C’est peut-être le silence, ou les quelques remémorations de son passé qui lui avaient remis Lochlan en tête mais c’est sans cris et gare qu’elle avait amorcé le sujet. Bien consciente qu’elle se lançait là dans une conversation un peu moins joyeuse. Revoir son ami lui avait procuré un plaisir sans nom qui avait rendu aussi rude la chute que son absence avait provoqué le jour suivant. Elle avait eu beau se préparer à la possibilité qu’il ne vienne pas, pendant plusieurs minutes elle avait continué d’espérer avant d’enfin se rendre à l’évidence. Son retour aussi vif fut il avait tout de même remuer beaucoup de questions en elle. Des questions qu’elle ne s’était jamais posée avant – peut-être parce qu’elle était trop jeune. Ou qu’il ne lui avait jamais semblé que la conversation s’y portait. Peut-être que c’était encore le cas aujourd’hui et pourtant elle avait peu hésité avant de questionner Hassan. Peut-être parce que comme avec un pansement, il valait mieux l’arracher d’un coup sec. « C'est pas vraiment comparable ... j'étais plus jeune. Et puis j'avais Qasim et vous, c'est pas comme si je m'étais retrouvé tout seul. Mais quand mes parents ont choisi Brisbane pour émigrer, je crois qu'ils avaient espoir qu'on grandisse et qu'on vive ici mon frère et moi. Et ça a déjà été assez compliqué pour Qasim entre la vente de la maison, les papiers à remplir pour que je puisse rester vivre avec lui ... Je ne pense pas que déménager lui ait traversé l'esprit. » Yasmine n’avait que de vagues souvenirs de cette époque, comme si elle avait occulté ces moments où la douleur de sa famille et des gens qu’elle aimait le plus n’était pas supportable pour une enfant de son âge. Elle n’avait que de vieux souvenirs, parfois un peu flou alors pourtant qu’elle devait déjà avoir 7 ou 8ans. Et que certaines autres facettes de cette époque étaient encore très claires dans son esprit. « J’adorais cette maison… » C’est à tâtons qu’elle avait abordé le sujet cette fois comme si elle craignait de brusquer Hassan. « La maison de tes parents… Enfin la votre. J’adorais venir chez vous je trouvais cet endroit tellement accueillant. On s’y sentait de suite bien. » Elle l’avait toujours préféré à chez elle, où sa mère entassait des babioles un peu partout. Elle n’avait jamais su expliquer si c’était la maison, la décoration, ou le fait que cette maison appartienne au Jaafari. Après la morte des parents d’Hassan elle n’y avait plus jamais remis les pieds et pourtant la tentation d’aller sonner à la porte était toujours présente quand elle passait devant la bâtisse. Même si sa peur d’être déçue l’empêchait toujours de passer à l’acte.
« Mais je suis sûr que Lochlan avait ses raisons. Chaque situation est différente. » C’est avec le temps uniquement qu’elle l’avait compris. Un peu plus encore quand il était revenu si brièvement dans sa vie et qu’elle avait croisé son regard. « Il a beaucoup souffert. » Comment pourrait-il en être autrement. Ce qui n’avait pourtant pas empêché Yasmine de passer par une phase de colère – certes rapide – quand elle l’avait revu. « Peut-être qu'en retombant sur toi il a eu du mal à assumer son départ ? Mais s'il sait où tu travailles maintenant, peut-être qu'il reviendra quand il se sentira prêt. » Haussant un peu les épaules Yasmine avait reposé sa tasse sur la table. « Je crois qu’il ne reviendra pas… » C’était peut-être l’évidence depuis toujours au final. « Cette ville est trop pleine de souvenirs. » Et malheureusement pour elle, elle en faisait partie. Ces souvenirs qu’il avait préféré fuir en même temps qu’il avait quitté Brisbane. « En parlant de départ je… » La transition était un peu saugrenue mais le sujet lui brûlait la langue maintenant,, l’histoire de Lochlan lui semblait étrangement faire un parallèle avec celle de Hassan. « Tu ne m’en a pas reparlé, de ton choix pour ce poste. » Il faut dire aussi qu’ils s’étaient peu vus depuis. et avant que l’homme ne prenne la parole elle avait enchainé. « J’ai réfléchis… Et je crois que j’ai eu tord, de réagir comme ça… Je crois que si tu sens que c’est ce qu’il te faut tu devrais partir… Vraiment. » Elle avait posé sa main sur son genou se tournant vers lui avec un sourire sincère. Cette histoire l’avait beaucoup travaillé et ce depuis des semaines maintenant. « Je ne voudrais pas que tu restes pour de mauvaises raisons. » Et par là elle entendait elle. Cette complainte d’enfant qu’elle lui avait servi en lui disant que son départ serait dur pour elle, avec le recule elle voyait bien l’égoïsme de ses propos et au vu des récents événement elle avait peur qu’Hassan se base là dessus pour prendre une décision. Il en était bien capable et l’idée qu’il puisse un jour le regretter par sa faute lui était insupportable.