Code by Sleepy

Martin & Jameson

Je crois que je n’avais jamais conduit aussi rapidement de ma vie. Mes doigts impatients tapotaient le volant de ma Tesla alors que nous fendions les rues de Brisbane à une allure à peine légale. Mais sur le moment, je n’en avais rien à foutre. La rage et l’inquiétude consumaient tout mon être depuis que Martin m’avait appelée quelques minutes plus. Martin. Mon gamin. Celui que j’avais traîné dans l’activisme à mes côtés alors qu’il n’était qu’un pauvre touriste en randonnée dans la forêt amazonienne. Celui que j’avais remis entre les mains de mon mentor, Kyte, lorsque j’avais décidé – pour la énième fois – de me retirer du militantisme illégal et violent tel que nous le pratiquions. Évidemment, aux côtés de l’ancien militaire, Martin n’avait pu que se radicaliser. Et aujourd’hui, il était en prison. Le contrecoup de notre petite aventure dans un laboratoire Unilever la semaine dernière. Et quelque part, je n’arrivais pas à m’ôter de l’esprit qu’il était là-bas par ma faute. Parce qu’il avait eu la malchance de croiser mon chemin en 2012. Mais aussi parce qu’il avait eu la mauvaise idée de faire appel à moi pour sa dernière mission, que je l’avais ralenti, et que cette expédition de sauvetage avait tourné au désastre. Ma gorge se serra alors que je passais en revue les preuves qui pourraient être retenues contre Martin. Nous n’avions rien à craindre des caméras de surveillance qu’Adaline avait désactivées, ni des empreintes digitales, puisque nous portions des gants. Le mec que Martin avait assommé pourrait reconnaître nos voix, mais c’était léger car nous portions une cagoule et il ne pourrait identifier nos visages. Et ça, c’était s’il sortait du coma. Il y avait peut-être d’autres détails, mais ils ne me revinrent pas à l’esprit pour l’instant. Ce qui m’amenait à penser que le plus crucial dans cette affaire reposait sur les facteurs humains : à savoir la capacité que Martin aurait à fermer sa gueule et rester impartial pendant toute la durée du procès. La mienne, aussi, parce que je ne pouvais pas flancher et avoir une attitude étrange. Et bien évidemment celle du gardien, qui pourrait nous être très fortement préjudiciable. J’ai garé ma voiture sur le parking et marché vers le garde du centre de détention d’un pas assuré.  

- Jameson Winters, j’ai dit d’un ton ferme en posant ma carte d’identité devant lui. Je viens représenter mon client Martin David-Lenny.

Il grommela quelque chose à laquelle je ne prêtai pas la moindre attention et me tendit un badge visiteur que j’accrochai à ma veste de tailleur. Puis j'ai pris la direction qu’il m’indiquait, où deux policiers m’attendaient, un mug de café à la main. J’ai avancé droit vers eux, mes talons claquant furieusement contre le dallage merdique des lieux. « Maître Winters, » m’accueilli l’un d’eux avec un sourire sarcastique et une poignée de main aussi molle que poisseuse – je le détestai automatiquement. « Vous avez été rapide... »

- Et vous terriblement lents, répliquai-je. Mon client est retenu dans vos cellules depuis hier soir et c’est seulement maintenant que vous lui laissez la possibilité de contacter son avocate ?

Mes yeux lançaient des éclairs. Je crois qu’ils ont compris que je n’étais pas là pour déconner parce qu’ils se sont redressés, remontant leurs épaules d’un geste défensif – probablement pour avoir l’air plus impressionnants. « Il avait à tout moment la possibilité de réclamer un avocat, mais il a décidé de ne pas le faire. » Tenta-t-il de se justifier, gonflant son torse de sa propre importance.

- Un oubli de sa part qui ne fait que plaider en sa faveur : mon client n’est pas un criminel, ni un professionnel du monde juridique et il ignore comment fonctionne notre système. C’est votre responsabilité – non, votre obligation, de lui faire part de ses droits avant de procéder à une interrogation en bonne et due forme.

Je les aurai crucifiés sur place. Il y eu un moment de flottement un peu gêné pendant lequel les acolytes réalisaient leur bourde peu professionnelle jusqu’à ce que l’un d’eux décide courageusement de m’escorter jusqu’à mon gamin. J’ai jeté un coup d’œil à la cellule dans laquelle il était retenu et j’ai secoué la tête.

- Pas ici. Vos cellules d’interrogation sont équipées d’un système d’enregistrement et mon client a le droit de s’exprimer librement en ma présence sans craindre que ses paroles ou ses gestes puissent être utilisés contre lui.

Il y eu un nouveau silence jusqu’à ce que le plus gradé des deux flics pousse un grognement et fasse signe à son collègue de s’occuper de Martin. Pendant que le policier entrait dans la cellule, le sergent m’accompagna dans une petite salle réservée aux réunions entre les avocats et leur client et me fit signe de m’installer. Je l’ai remercié d’un hochement de tête glacial puis l’ait interpellé alors qu’il s’apprêtait à quitter la pièce.

- Auriez-vous l’obligeance de nous apporter deux thé, une bouteille d’eau et quelques fruits ? Car je suppose que personne n’a pensé à donner de petit déjeuner à mon client ce matin, n'est-ce pas ? (Vu son expression, j'avais vu juste). Et une copie des accusations qui sont retenues contre lui, merci.

Grinçai-je, soulignant une nouvelle faute professionnelle de leur part. Pour moi, il était hors de question que Martin finisse derrière les barreaux. Surtout que vu les accusations, il risquait gros. Alors avant même d’en savoir plus sur l’affaire, je décidai de me comporter comme la représentante outrée d’un client innocent retenu contre son grès. Le policier revint bientôt avec les documents que je lui avais demandés ainsi que les boissons, une pomme et une banane – voilà qui n’allait pas ruiner le département. Il m’a ensuite prévenue que Martin arriverait d’ici une ou deux minutes alors je l’ai remercié d’un signe de tête et me suis plongée dans la lecture des charges en l’attendant.  

©junne.

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Martin & Jameson

Après quelques minutes, la porte s’est de nouveau ouverte pour laisser passer Martin. Je me suis redressée et j’ai dardé mon regard sur lui. J’étais en proie à un contraste étrange entre la distance réservée de mon langage corporel (que la décence professionnelle exigeait) et l’angoisse maternelle qui se lisait dans mon regard. Je me faisais un sang d’encre pour lui, mais j’étais aussi terrorisée à l’idée qu’il fasse un mouvement de travers. Un truc qui mette à la puce à l’oreille des policiers. Qui leur indiquerait que nous nous connaissions bien. Que j’étais dans le laboratoire avec lui ce soir-là. Mais il n’en laissa rien paraître. Juste un soupir de soulagement on ne pouvait plus naturel. Un bref sourire fier étira mes lèvres alors qu’il mettait gentiment les gardes dehors. J’avais eu tort de douter de lui. Martin avait été rodé par mes soins et ceux de Kyte. Il savait ce qu’il faisait. Une fois la porte refermée sur les deux incompétents, Martin s’est jeté à mon cou et j’ai resserré mes bras autour de lui avec force. Je n’ai pas répondu à ses remerciements, mais un petit rire nerveux s’échappa de mes lèvres quand il lâcha une plaisanterie sur ma Tesla.

- Tais-toi, crétin ! J’ai répliqué en lui donnant une petite tape à l’arrière du crâne sans pouvoir réprimer un sourire entre la tendresse et l’irritation. Tu m’as foutu une de ces frousses, gamin !

Au bout d’un moment, je l’ai laissé s’échapper de mon étreinte pour prendre place en face de moi. Il s’est immédiatement jeté sur la banane, ce qui me rassura, parce qu’il faisait peur à voir, avec ses traits tirés et ses yeux rougis par la fatigue. Je détestais l’idée que ces policiers aient pu le maltraiter, lui retirant son droit au sommeil, à la nourriture. Ça me faisait bouillir intérieurement. J’avais envie de sortir de la pièce et de leur découper les intestins avec mon couteau suisse. Mais ce n’était pas mon style, plutôt celui de Kyte. Alors je tâchai de me calmer en élaborant les points sur lesquels j’allais les incendier lors du procès. Martin termina sa banane et fini par me demander si je voulais connaître l’histoire, alors j’ai hoché la tête.

- Oui, compendieusement s’il te plait. J’ai déjà lu leur rapport mais je veux ta version des faits.

Parce que je savais que les policiers avaient tendance à omettre les détails qui ne les arrangeaient pas. Ils avaient décidé dans leur tête que Martin était coupable, et par conséquent ils allaient chercher à le prouver – au lieu de faire une enquête qui permettrait d’appréhender objectivement ce qu’il s’était déroulé ce fameux soir. J’ai froncé les sourcils quand Martin m’a appris que ça avait déjà commencé la semaine passée, lorsque des travailleurs du labo étaient venus l’agresser. J’avais une tonne de questions, mais j’ai gardé mes lèvres scellées, me contentant de prendre des notes sur un petit carnet. Je l’ai regardé se relever et poursuivre son récit, en venant au moment où les policiers s’étaient pointés chez lui pour l’arrêter comme s’il était le plus dangereux des terroristes. Ça me rappelait douloureusement une certaine période de ma vie. Je gardai les lèvres pincées, attendant la suite, et sentis un soupir de soulagement relâcher ma poitrine alors qu’il me confirmait n’avoir rien dit au policiers en dehors de quelques formules de politesse.

- Tu as bien fait.

J’ai dit d’un ton ferme. Puis j’ai soupiré, l’observant avec compassion alors qu’il me demandait s’il risquait de passer le reste de son année en prison. Mon cœur se serra. Oh, gamin, s’ils te trouvent coupable de ces crimes ce n’est pas la fin de l’année que tu vas passer derrière les barreaux, mais les six prochaines… La liste des accusations était lourde : effraction, vol, dégradation de matériel « d’utilité publique », agression avec tentative de meurtre non préméditée (même si ça, concrètement, c’était moi qui en était responsable pour avoir assommé le gardien). Et les leviers de négociation pour adoucir sa peine étaient très faibles. C’est pour ça que je partais sur une stratégie totalement différente.

- Rassures toi gamin, je ne les laisserai jamais t’enfermer.

J’ai répondu avec assurance. Une façon politicienne de lui répondre qui m’évitait de lui mentir tout en ne m’attardant pas sur la durée présumée d’une possible incarcération. Je me suis redressée sur ma chaise et me suis éclaircit la gorge.

- Bon, avant qu’on ne parle de stratégie, j’ai quelques questions à te poser pour voir ce qui est faisable : Est-ce que tu as porté plainte après que les types du labo t’aient agressé ? Quand ils sont venus te voir à la sortie du travail, qu’est-ce qu’ils t’ont dit, exactement ? Et toi, qu’est-ce que tu leur as répondu ? Concrètement, est-ce que vous avez parlé de ta présence sur les lieux du crime ? Et enfin, ta blessure au bras, est-ce que tu l’as faite soigner chez un médecin ? Si oui, officiellement, quand et comment t’es-tu blessé ?

©junne.

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Martin & Jameson

Encore une fois, j’ai écouté Martin me répondre sans jamais l’interrompre. Mes lèvres faisaient une mince ligne sur mon visage à mesure qu’il progressait dans son récit. Il me rassurait, mais pas non plus totalement. J’avais besoin d’une certitude claire et nette sur ce qu’il s’était dit entre lui et les types qui l’avaient tabassé. Parce que si jamais il avait dit quelque chose qui le plaçait sur les lieux du crime, et qu’un des enfoirés l’avait filmé sur son téléphone portable, alors l’argumentation que je préparais dans ma tête ne tiendrait pas. Quoi que…. Vu les blessures que Martin avait subies, je pourrai toujours plaider que mon client avait paniqué et avoué des trucs sans queue ni tête en espérant que les autres cessent de le tabasser. C’était bancal, comme argumentation, mais je ne doutais pas vraiment de ma capacité à convaincre les juges de sa « bonne foi ». J’ai secoué la tête avec un soupir. J’étais pas à l’aise. Bordel, je m’étais éloignée du droit criminel des années plus tôt, parce que j’avais préféré défendre les animaux et l’environnement. Mais Martin, je ne pouvais pas le laisser tomber, et je ne faisais confiance à personne d’autre pour lui éviter la taule. Sauf que pour faire ça, j’allais devoir bafouer mon principe premier : ne jamais mentir pour gagner un procès. C’était ma fierté, une règle que je suivais scrupuleusement depuis ma toute première affaire. Et aujourd’hui j’allais devoir y déroger. Parce que Martin était plus important que ce que mon intégrité morale. Et aussi parce qu’il était là-bas pour les bonnes raisons même si c’était légalement mal. Et que tant que la loi ferait défaut aux gens qui se battaient pour rendre le monde meilleur, j’allais devoir la contourner, la bafouer et la violer. Qu’il en soit ainsi.

- Bon, j’ai dit posément à la fin de son récit. Ce n’est pas très grave si tu n’as pas porté plainte, même si ça aurait été préférable. Le fait que tu sois allé à l’hôpital après l’agression nous permettra tout de même d’avoir des dossiers médicaux qui prouvent l’étendue du traumatisme que tu as subit. Je demanderai à mon assistante de contacter ton frère pour en obtenir une copie. Quant à nous, ce serait bien si on pouvait mettre la main sur cet Alejandro, qu’il puisse attester de la violence de cette agression. Tu as un moyen de le contacter ?

J’avais aussi l’espoir de pouvoir l’interroger pernicieusement, lui demander de me raconter la scène avec le plus de précisions possible. Le noyant dans les détails de ce qu’il s’était dit et fait dans le but de savoir si Martin avait avoué être allé au laboratoire à un moment.

- Mais oui, en dehors de ça, c’est suffisant.

J’ai pris une inspiration et j’ai posé mon bloc notes déjà noircit de détails et d’idées puis j’ai attrapé les dossiers que la police venait de me confier.

- Je vais t’exposer ce que la police sait. Le 19 juin 2016, deux individus portant des cagoules se sont introduits illégalement dans le laboratoire d’Unilever. Une femme, et un homme. Ils ont volontairement dégradé le matériel, volé des documents et des « petits cobayes ». Lorsque le gardien est venu pour les arrêter, il s’est fait « violemment agressé », a tenté de se défendre en utilisant son arme à feu, ce qui était de toute évidence une légitime défense puisque les criminels l’ont tabassé et « laissé pour mort ». Il est actuellement dans le coma et ne peut s’exprimer sur la question. Une circonstance atténuante pour l’agresseur de sexe masculin est qu’il a contacté les secours immédiatement, ce qui retire la thèse de la tentative d’homicide volontaire des charges.

J’ai relevé les yeux vers Martin, accrochant son regard.

- Et c’est tout. Ça peut te paraître proche de la réalité, mais ils n’ont rien. Ils jouent à la devinette. Merde, ils ne savent même pas combien on était ! C’est pour ça qu’ils t’ont gardé toute la nuit sans te proposer d’appeler un avocat. Ils avaient besoin que tu craches le morceau pour te connecter à cette affaire. Probablement pour que tu dénonces ta mystérieuse partenaire, aussi…

J’ai incliné la tête, un petit sourire désolé et reconnaissant sur mes lèvres. Je me sentais terriblement coupable de le savoir ici, les feux braqués sur lui et sa liberté en suspens, tandis que moi, j’étais à l’abri, dans mon costume d’avocate austère.

- Alors ce que je te propose, ce n’est pas d’essayer de leur expliquer pourquoi tu as fait ce que tu as fait et de le justifier. C’est de leur prouver… que ce n’était pas toi, ce mystérieux criminel. Je ne sais pas comment les mecs du labo t’ont retrouvé. Peut-être qu’ils t’ont vu traîner autour du building quand tu faisais ton repérage. Mais ils n’étaient pas là ce soir-là. Ils n’ont aucune preuve, que des suppositions. Tu vois où je veux en venir ?

©junne.

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Martin & Jameson

Le regard de Martin changea. Ce gosse était intelligent et voyait très bien où je voulais en venir. Et comme je le pressentais, l’idée était loin de lui plaire. Tous les deux, on avait été formés par Kyte. On avait appris la loyauté, le courage, la résilience, et un certain sens du sacrifice. Ne pas balancer un compagnon d’activisme. Serrer les dents et purger sa peine. Kyte et moi nous étions tous les deux retrouvés dans cette situation. Martin, pas encore. C’était la première fois qu’il se faisait arrêter et que des charges aussi lourdes pesaient sur ses épaules. Et je sentais bien que tout ça commençait à faire beaucoup pour lui. Alors quand je lui ai proposé de nier tout en bloc, ça lui a fait comme une décharge électrique. J’ai froncé les sourcils et je l’ai regardé se lever pour faire les cents pas. Son agitation m’inquiétait. Lui, il m’inquiétait. A dire qu’il ne savait pas mentir, que les procureurs sauront automatiquement qu’il se jouait d’eux. Bordel de merde. J’ai senti ma gorge se serrer. Pour lui, d’abord. Parce que je ressentais ce qu’il ressentait. Son angoisse, d’être placé dans une situation pareille alors qu’il voulait seulement faire le bien. La peur d’être démasqué, de tout faire foirer. Mais après, dire que je ne m’en faisais uniquement pour lui serait mentir. Parce que j’avais moi-même mes propres craintes qui commençaient à me bouffer les tripes. Celles qu’il panique totalement après quelques jours d’interrogation ou lors du procès. Qu’il me balance pour atténuer sa peine. Accepte un deal. Que toute cette merde retombe sur Phoenix et sa gosse. Et ce serait pas vraiment la faute de Martin. Parce que dans le fond, j'avais accepté de venir en connaissant les risques. Et c’était moi, la connasse qui avait frappé le pauvre type et qui l’aurait buté si mon gamin m’avait laissé faire.

- Martin…

Je l’ai appelé d’une voix douce, mais ferme, alors qu’il s’arrêtait près de la table pour ouvrir les boutons de sa chemise, la respiration courte. Et merde, il est en train de me faire une crise de panique, réalisai-je avec appréhension. Je me suis levée et j’ai contourné le bureau pour le rejoindre, plaçant une main sur son dos pour lui signifier ma présence, et, je l’espérais, le rassurer. Il a ouvert à nouveau les yeux, mais sa respiration n’avait pas l’air tellement plus calme. Ses pensées non plus, d’ailleurs, puisqu’il laissa échapper qu’il était foutu dans un excès de désespoir. Ça, pour le coup, ça m’a franchement énervée.

- Bordel de merde, reprends toi, gamin !

J’ai dit d’une voix sèche. J’ai placé mes mains sur ses joues, le forçant à me regarder. Il était un peu plus grand que moi, alors je devais incliner la tête pour sonder son regard. Et je le faisais avec autant d’intensité que si je cherchais à en aspirer tous les doutes pour l’en soulager.

- Je ne vais pas te laisser tomber, tu m’entends ? J’ai repris d’une voix plus douce, où perçait tout de même ma détermination. Alors promets-moi de ne pas te laisser tomber non plus. Tu ne peux pas flancher et paniquer. Sans preuves, ils ne peuvent rien contre toi. Et nous avons étés assez prudents pour qu’il n’y en ait pas davantage. Alors oui, je te demande de mentir. Pas pour te protéger ou me protéger. Mais parce que tu n’as rien fait de mal, et que la loi est tellement mal foutue qu’elle ne rendrait justice qu’aux oppresseurs.

J’ai soupiré et me suis légèrement écartée, sans pour autant rompre notre contact physique. Mes mains glissèrent sur ses épaules et j’ai secoué la tête avant de reprendre.

- Ce que faisait Unilever était illégal. Pense aux lapins que nous avons sauvés. Aux expériences que ces connards leurs faisaient subir en toute impunité. Et le mec que j’ai assommé, s’il avait pas décidé d’essayer de te tuer, il serait tranquillement chez lui à se goinfrer de chips devant sa série préférée. T’es réellement innocent, bon sang ! Alors s’il faut que tu passes cette petite aventure à la trappe pour que le marteau de la justice frappe les bonnes personnes, qu’il en soit ainsi !

©junne.

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Martin & Jameson

A mesure que je lui exposais calmement les faits, Martin parvint à se calmer petit à petit. Lui rappeler qui étaient les vrais coupables parvenait à l’aider à se déculpabiliser. A comprendre que si nous mentions, ce n’était pas pour planter un pieux dans le cœur de la justice, mais au contraire pour qu’elle soit faite. Pour que les véritables coupables soient condamnés, et pas un gosse aux idéaux en or et avec un grand cœur. Pas mon gamin ! Il s’est excusé et j’ai hoché la tête avec un sourire emplit de tendresse. J’avais vaguement conscience d’être totalement bipolaire dans les émotions que j’exprimais en sa présence. Il avait cet effet, me donnait envie de lui arracher la tête une seconde et de le dorloter la suivante. Et moi, ça me faisait franchement bizarre parce qu’en temps normal j’étais plutôt une femme taciturne et réservée.

- Te fais pas de bile, gamin.

J’ai répondu d’une voix douce tout en caressant ses joues parsemée d’une fine barbe. Je disais ça autant pour lui assurer que je ne lui en voulais pas pour sa crise de panique, que pour lui signifier qu’il devait arrêter de s’angoisse au sujet de cette affaire dans sa totalité. Il a baissé les yeux, puis quand son regard a de nouveau cherché à accrocher le mieux, une lueur poignante brillait dans ses prunelles. J’ai senti un sourire un peu triste étirer mes lèvres alors qu’il me promettait de ne pas me trahir. Parce qu’il m’avait tirée malgré moi dans cette action, et que je devais avoir des raisons importantes, même si je ne les lui avais toujours pas expliquées. Mon cœur se serra, et ma gorge aussi, mais je me forçai à lui répondre.

- J’apprécie ta loyauté. Mais je suis adulte, gamin, et c’est moi qui ai assommé cet enflure. Si jamais ils t’accusent à tort de ce crime et menacent de t'envoyer en prison, je me dénoncerai.

Tiens, c’était pas une si mauvaise idée pour lui mettre la pression, ça. Un sourire malicieux sur les lèvres, je me suis écartée et lui ai donné une petite tape sur l’épaule.

- Voilà qui devrait te donner une bonne motivation à ne pas perdre la face s’ils cherchent encore à t’interroger.

J’ai dit avec un petit rire. En réalité, je ne faisais pas vraiment la fière, mais l’ironie de la situation ne manquait pas de m’amuser quelque peu. J’ai regardé Martin s’installer de nouveau face à la table que j’ai contournée pour lui faire de nouveau face. J’ai gardé le silence un moment, le laissant lire le rapport de ses propres yeux.

- En gros, c’est un peu ça. Tu as le choix de décider ou non de t’exprimer pendant le procès. Le mieux, c’est que tu parles pour répondre aux questions qu’ils te poseront sur ton alibi. Mais si tu ne t’en sens pas la force, je le ferai à ta place.

J’ai rangé les dossiers et secoué la tête avec un soupir.

- Je ne sais pas combien de temps la procédure va prendre. Je pense que ça va être assez rapide, puisqu’on va plaider innocent et qu’une fois encore, ils n’ont aucune preuve. Ce qui risque de prendre le plus de temps, c’est la suite. Quand je vais les attaquer pour t’avoir maltraité cette nuit. Et quand on attaquera Unilever pour le comportement de ses employés qui t’ont tabassé la semaine dernière… et pour les expériences totalement illégales qu’ils pratiquaient avant que le mystérieux criminel n’entre chez eux par effraction.

En fin de compte, l’arrestation de Martin pourrait même carrément jouer en notre faveur pour détruire ce géant de l’industrie. Mais j’évitais trop de montrer ma réjouissance à cette idée, ça me paraissait presque indécent envers mon pauvre gamin. D’ailleurs j’ai réalisé que dans mon empressement, j’ai oublié de répondre à une de ses questions, et non des moindres.

- Oh et ne t’en fais pas pour cela. Bien sûr que tu ne vas pas être obligé de rester ici jusqu’au procès. Je vais payer ta caution dès maintenant et je te déposerai chez toi. Tu vas probablement devoir porter un bracelet électronique en revanche, donc il faudra que tu ais un comportement irréprochable jusqu’à ce qu’on te l’enlève.

©junne.

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Martin & Jameson

Je ne pus m’empêcher de ressentir une petite fierté en voyant le sourire malicieux qui se dessinait peu à peu sur le visage de Martin. Je l’avais sous-estimé, en me disant que je ne devais pas utiliser son arrestation pour faire tomber Unilever. Comme son « grand père », c’était un activiste jusqu’au bout des ongles.

- Bien sûr que je suis sérieuse gamin. On ne peut pas les laisser s’en sortir tranquillement et fermer les yeux. Ils sont coupables, et les vidéos ne manqueront pas de le montrer.

J’ai hoché la tête avec satisfaction lorsqu’il m’apprit que mes contacts allaient monter une vidéo et préparer les photos pour qu’elles puissent être utilisées et diffusées. Je savais comment ils travaillaient. Ils diront qu’une personne anonyme leur a transmis cette vidéo et que, horrifiés par les conditions de détention des animaux et les infractions du laboratoire, ils avaient décidé de la diffuser. Et forcément, en tant qu’avocate spécialisée dans le droit animal ET conseillère juridique du pauvre Martin David-Lenny, ce kiné sans histoires accusé à tort, j’aurais une place de choix pour décider de les attaquer en justice. Tout allait se dérouler à merveille, j’en étais persuadée.

- En revanche il faudra faire en sortes que les vidéos ne sortent pas tant que tu n’es pas jugé innocent. Ce serait trop louche sinon, tu comprends ? Gardes bien en tête que nous n’avons pas besoin de « faire pression » puisque tu es innocent. Tu n’étais pas là-bas ce soir-là.

Je me suis renfoncée dans ma chaise, croisant les bras alors que Martin s’horrifiait à l’idée de ne pas pouvoir partir en mer avec les Sea Shepherd la semaine suivante. J’ai froncé les sourcils, prête à lui dire qu’il était de toutes les façons hors de question qu’il se lance dans une mission comme ça avec sa blessure au bras, mais je me retins en réalisant que ça faisait juste mère un peu trop présente. D’ailleurs, il en vint tout seul à la même conclusion. Ensuite il m’avoua qu’il avait peur de s’ennuyer, comme il ne pouvait pas travailler ni faire des missions. J’avais oublié que son boulot était aussi physique.

- C’est qu’un mauvais moment à passer, gamin. Tu seras bientôt sur pieds. Puis j’ai incliné la tête, avec un sourire légèrement hésitant. C’est quoi… Netflix ?

J’avais entendu pas mal de monde en parler et je me demandais s’il s’agissait d’une nouvelle série télévisée. A vrai dire, je n’avais pas vraiment eu le temps de me renseigner. J’étais comme qui dirais – has been – de ce point de vue-là. J’avais quelques séries que j’adorais en Blu-ray et les regardais encore et encore en mangeant mes plateau repas végétaliens, la tête de ma chienne posée sur mes genoux. Enfin… jusqu’à ce que je n’habite plus seule dans ma maison, évidemment.

- Peut importe, me repris-je rapidement. Nous avons plus important à faire, comme préparer ton alibi. Tu as des idées ?

©junne.

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Martin & Jameson

J’ai secoué la tête avec un sourire amusé quand Martin me dit qu’il oubliait toujours qu’il n’était pas au laboratoire ce fameux soir.

- Tant que tu ne l’oublies pas le jour du procès…

J’ai commenté avec amusement. Dans le fond, j’avais confiance en lui. Maintenant que sa panique était passée, j’étais persuadée qu’il allait parfaitement jouer le jeu. Ce gosse avait du courage, c’était un des premiers trucs que j’avais remarqué quand il nous a suivis dans la forêt amazonienne pour s’enchaîner à un arbre. Du courage et la rage de vivre. Sans ça, il aurait pas tenu toutes ces années dans l’activisme. Et ces qualités étaient aussi celles qui allaient lui éviter de croupir dans une cellule. Et je ferai tout pour le soutenir dans cette épreuve. Pour m’assurer qu’on ne le foutrait pas en taule. Parce qu’hyperactif comme il était, il n’allait pas survivre à l’enfermement. On ne pouvait pas mettre des animaux sauvages dans des cages. Lui, c’était pareil. Il suffisait de voir comme la perspective de regarder « Netflix » l’emmerdait. D’ailleurs, il se chargea de faire mon éducation sur la chose – ou plutôt, de me traiter de vieille bique.

- Tiens ta langue, petit merdeux !

J’ai lâché tout en me redressant pour lui coller une petite baffe qu’il parvint à éviter. Merde, j’étais donc devenue trop prévisible. La prochaine fois, j’opterai pour lui écraser le pied. J’avais beau me sentir un peu vexée d’être comparée à un fossile des années cinquante, je ne pouvais empêcher un sourire indulgent de se dessiner sur mes lèvres. Ce gosse était pas croyable. Même dans cette situation, il trouvait le moyen de me sortir ses blagues vaseuses. Ça me rassura un peu sur sa condition mentale, il fallait l’admettre. Au final, il daigna m’expliquer ce qu’était ce fameux « Netflix », et j’ai hoché la tête, amusée lorsqu’il me précisa que c’était totalement légal

- Oh ! J’ai singé en écarquillant les yeux. Tu as raison, nous ne voudrions pas faire quelque chose qui soit contraire à la loi. Je lui ai fait un clin d’œil puis j’ai repris, presque guillerette. Ça a l’air intéressant, je suis sûre que la fille de-euh-ma voisine.... Ida. Va adorer. Tu pourras me montrer comment ça marche ?

Ma phrase avait l’air étrange, c’est le moins qu’on puisse dire. Le fait est que je me suis rattrapée à la dernière minute. Depuis quelques jours, j’avais pris l’habitude de parler de Phoenix à mes collègues, pour habituer tout le monde à l’idée que je m’épanouissais dans une relation stable – et donner plus de crédibilité à notre mascarade. Sauf que Martin, je ne lui en avais pas parlé, parce que je haïssais l’idée de lui mentir, et que pourtant, je ne pouvais pas lui dire la vérité. J’ai donc décidé de revenir sur un terrain plus professionnel et bien moins glissant : ses accusations et comment les contrer.

- Je crois que malheureusement ton ami Netflix ne sera pas un très bon alibi, gamin. Il faut quelqu’un qui puisse attester de ta présence, oui.

Je l’ai écouté me sortir le nom de deux personnes : son cousin que je ne connaissais pas, et une certaine Maddox. J’ai haussé un sourcil intrigué. Une nouvelle petite amie ? Si c’était le cas il ne m’en avait pas parlé. Et toi, connasse, tu lui as parlé de Phoenix ? Irritée par ma propre vanne envers moi-même, j’ai une fois de plus décidé de me concentrer sur la situation présente.

- Qui que tu choisisses, il faut que tu ais une confiance totale en cette personne. Parce qu’elle va se douter que si tu as besoin d’un tel alibi, c’est que tu traînes dans une affaire plutôt louche.

J’ai secoué la tête avec un soupir. Ce qu’il lui fallait, c’était des bikers. Des bon vrais motards avec les valeurs à l’ancienne de loyauté, honneur et respect. Des mecs et des nanas qui préfèreraient qu’on les écorche vifs plutôt que de trahir l’un des leurs. Sauf que ce genre de personnes étaient assez rare dans la vie de tous les jours. Il y avait Kyte, mais l’alibi serait encore plus louche que l’accusé… et de toutes les manières il était introuvable. Puis il y avait moi, mais je ne pouvais pas être son avocate et son ticket de sortie.

- Je sais pas, gamin. Tu la connais bien cette Maddox ?

Je ne savais pas pourquoi, mais cette option me tentait plus que l’autre. Peut-être parce que ce nom était celui d’une gamine à qui j’avais tenu autrefois. Une petite gosse de biker au caractère bien trempé et aux grands yeux de biche.

©junne.

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