Martin & Jameson

Une fois de plus, j’ai senti un sourire attendri me fendre le visage alors que Martin accepta d’aider « sa maman avec la technologie ». J’ai hoché la tête silencieusement, me faisant une joie de ce moment « mère-fils » que nous allions partager (loin du danger, pour une fois). Et comme la bonne maman poule que j’étais, je me demandais déjà si j’allais cuisiner un repas à lui apporter ou si nous allions simplement commander des pizzas véganes. Ensuite, il a dit qu’on formait une belle famille et j’ai laissé échapper un petit rire amusé.

- Ça tu peux le dire, gamin.

Je trouvais ça marrant, quelque part, comme l’activisme avait fait de nous une véritable famille. Bien plus réelle et soudée que celle dans laquelle j’étais née. Inconsciemment, Kyte m’avait rapidement traitée comme sa fille et il était le seul homme que je considérais comme mon père. Puis j’avais pris Martin sous mon aile, projetant toute ma frustration à n’avoir jamais eu d’enfants sur ses épaules. Ce dont il ne semblait pas se plaindre, au demeurant. Cependant, c’était la première fois que je l’entendais me désigner comme sa mère et je devais avouer que ça me faisait quelque chose.

Il me parla ensuite de Maddox et je fus instantanément rassurée par son ton. Il ne laissait pas de place au doute, il lui faisait vraiment confiance. Ensuite, il m’expliqua qu’elle était la fille d’un ami d’un dénommé K-quelque chose et mon cœur eut un raté. Kyte ? La fille d’un ami de Kyte ? J’ai froncé les sourcils. Ça ne faisait aucun sens. Pourquoi ne prononcerait-il pas le nom de mon mentor devant moi ? A moins qu’il n’ait plus de précisions sur ce qui était arrivé à ce hippie hargneux, et qu’il refuse de partager ces informations. Et ça, ça m’emmerdait sévère, parce que ça signifiait que les nouvelles étaient difficiles à encaisser. Mais Martin ne me ferait pas ça. Non, sa loyauté allait d’abord à moi avant Kyte, non ? Trois ans plus tôt, je n’en aurais pas douté. Mais depuis que je m’étais retirée de l’activisme, les deux hommes de ma vie s’étaient rapprochés. Et aujourd’hui, je n’en étais plus si sûre. Ils seraient bien capables de vouloir de la jouer macho arriérés voulant protéger la pauvre femme sensible que j’étais supposée être. D’autant que Kyte avait bien une amie dont la môme était nommée Maddox. Une adorable petite brune à la peau couleur café. Martin continua cependant, me sortant de cet enfer de questionnement pour y apporter les réponses, bien malgré lui. Parce qu’après un rapide calcul mental, je réalisai que ma Maddox avait exactement le même âge que la sienne, et qu’elle venait aussi du Canada. Et comme dirait ma douce Robin : le hasard n’existe pas, c’est le destin qui place les bonnes personnes sur ta route. Et dans notre cas, il semblerait que le destin ait encore frappé.

- Merde… Maddox ! j’ai soufflé à voix basse, en me passant une main sur le front. Évidemment que tu peux lui faire confiance, gamin. Elle te soutiendra sans poser de questions.

Je n’avais pas vu la gosse depuis une bonne dizaine d’années. La dernière fois, c’était lors d’une action au Canada. Après avoir manifesté, Kyte et moi avions été accueillis par son club de motard, et pour moi c’était un peu comme de retourner à la maison après de longues années. Maddox était une toute jeune adolescente mais elle avait le même feu que lorsqu’elle était enfant. Elle était très proche de son père, qui lui avait inculqué ses valeurs dès son plus jeune âge. En somme, pour ce genre d’alibi, une gosse de biker était presque aussi bien qu’un biker tout court. J’ai soupiré de soulagement et m’apprêtait à me relever – dossier bouclé – quand je réalisai que j’en avais totalement oublié d’abattre ma fureur sur Martin. Je me suis donc rassise sur ma chaise et j’ai dardé un regard noir sur mon gamin. J’aurais pu lui poser toutes les questions avec lesquelles je venais de me torturer l’esprit, mais je réalisai que, dans les faits, seule la réponse à l’une d’entre elles m’intéressait. Alors j’ai décidé de la lui poser directement.

- Martin. Dis-moi la vérité. Est-ce que tu as une idée de l’endroit où se trouve Kyte ?

Je n'ai volontairement pas posé une question plus précise. Je respectais le droit de Kyte à disparaître sans m’en indiquer l’adresse. Je savais que c’était une façon de me protéger. Mais j’avais besoin de savoir si au moins quelqu’un savait comment le joindre. Comment il allait. Merde, ça faisait deux ans que mon paternel n’avait pas donné de nouvelles. Deux ans que je me rassurais à coup de « t’inquiète pas grande, dans pas une semaine il va apparaître à l’endroit où tu t’y attends le moins et tu sauras que tu t’es rongée les sangs pour rien. » Sauf que c’était jamais arrivé. Et je trouvais ça bizarre. Parce qu’avant, même quand je ne le voyais pas, Martin me disait qu’il l’avait croisé en revenant d’une action dans un pays étranger. Mais depuis deux ans, rien. Mon gamin ne prononçait presque jamais son nom. Et c'était franchement louche.

©junne.

Code by Sleepy

Martin & Jameson

J’ai senti un sourire énigmatique étirer mes lèvres tandis que Martin me dévisageait avec autant de questions sur les lèvres que dans les yeux. Quand il me demanda comment je savais qu’on pouvait faire confiance à Maddox, j’ai incliné la tête en haussant légèrement les sourcils.

- Parce la loyauté, c’est inscrit dans son sang. Puis j’ai hoché la tête, plus sérieuse. Ouai, je la connais gamin. Je l’ai quasiment vue naître.

Mais il était inutile de nous attarder davantage là-dessus. Nous aurions tout le loisir de parler de Maddox lors de notre soirée « Netflix » ou sur le chemin du retour dans la voiture. Ce qui m’inquiétait davantage, maintenant, c’était de mettre les choses au clair sur mes doutes concernant Kyte. Quand je me suis rassise, Martin m’a imitée immédiatement, comme s’il se doutait que je risquais de lui remonter les bretelles. Ma question était simple, sans équivoques. Je ne lui demandais pas de me dire où se trouvait Kyte, juste s’il avait une idée de ce qui était arrivé à mon mentor pour qu’il disparaisse ainsi des radars. Au moment où je la posais, j’ai vu les traits de mon gamin se liquéfier. Puis il s’est repris et m’a bafouillé qu’il n’en avait pas la moindre idée. J’ai soutenu son regard quelques secondes, les lèvres pincées en une mince ligne. Ça, il ne plaisantait pas : pour mentir mal, il ment vraiment mal. Et il allait falloir remédier à ça pour son procès. Car je savais que Martin me cachait quelque chose. C’était évident. Il tenait énormément à Kyte, autant que moi. S’il n’avait réellement pas eu de nouvelles depuis tout ce temps, il serait venu me demander si à tout hasard, mon mentor ne m’avait pas contactée moi. Ce qui était déjà arrivé plusieurs fois par le passé, Kyte étant aussi irrégulier qu’imprévisible dans ses prises de contacts. Hors là, Martin se contentait d’éviter la question, et de me balancer quelques paroles qui se voulaient rassurantes. J’ai secoué la tête et froncé les sourcils, ne cherchant même pas à cacher mon irritation.

- Tu te plantes, gamin.

J’ai répliqué, un brin sèchement. Je ne savais pas trop pourquoi, mais Martin s’était mis en tête que Kyte était cette machine de résistance inébranlable. Comme s’il ne voyait que ses forces et pas ses fêlures. Et pourtant, putain, il en avait. Mais je soupçonnais Kyte de jouer les héros quand Martin était à ses côtés. Mon gosse le connaissait comme cet activiste des tranchées qui survivait à tout avec presque rien. Qui continuait quels que soient les obstacles qu’on dressait en travers de son chemin. Et quelque part, il y avait un fond de vérité là-dedans. Mais c’était aussi une putain de façade. Mais comment le saurait-il ? C’était pas mon gamin qui avait dû ramasser ce vieux chacal à la petite cuillère après qu’il ait merdé lors d’une action. Ni lui qui avait essuyé la gerbe et la morve de son visage pour qu’il puisse respirer, la fois où il avait décidé de s’assommer à la gnôle et aux médocs pour oublier son PTSD. Ou qui se réveillait au milieu de la nuit pour lui caresser les cheveux tandis qu’il trempait les draps de sueur et de larmes, en proie aux démons de son passé. Mais j’allais pas lui dire tout ça. Parce que si Kyte avait voulu que Martin connaisse cette partie de lui, il la lui aurait montré. Alors j’ai fermé ma gueule, quitte à passer pour la « femme fragile qui se fait du souci pour rien. » Contrairement à mon mentor, j’avais rien à prouver, je savais qui j'étais.

J’ai regardé Martin se relever et mon attention s’est tournée vers le garde qui décida de faire son entrée. Je me suis redressée, chassant toute trace d’amertume, de colère et d’inquiétude de mon visage. Le masque de « Maître Jameson Winters » était de retour en un quart de seconde. J’ai tendu la main à Martin, un sourire poli et réservé sur les lèvres, et lui ai fait une poignée de main brève mais ferme.

- Le plaisir est pour moi, monsieur David-Lenny. Ne vous inquiétez pas, nous règlerons rapidement ce malentendu.

J’ai répondu avec un sourire professionnel. C’est le moment que le garde à choisi pour donner son petit grain de sel à notre échange. «T'aurais dû choisir un autre avocat, t'as pas les moyens de te payer celui-là. » J’ai croisé les bras, observant Martin lui répondre avec une certaine insolence qui me fit légèrement sourire. En revanche, ça amusa beaucoup moins le garde, qui décréta qu’il était temps de ramener Martin dans sa cellule. Et ce avec une agressivité totalement déplacée.

- Pas si vite.

j’ai dit d’une voix sèche. Sans me presser, j’ai rangé les documents dans mon sac et me suis à nouveau approchée d’eux, de façon à pouvoir planter mon regard dans celui de notre ami excès de zèle.

- J’ai cru comprendre que mon client pouvait être relâché sous caution. Comme ce n’est certainement pas dans vos cordes, merci de m’indiquer auprès de qui régler cette formalité... Et de relâcher votre emprise sur son bras, cela va de soi.

J’ai incliné la tête avec un petit sourire caustique et j’ai posé ma main sur l’épaule de Martin, l’encourageant à sortir de la pièce où nous nous trouvions. Puis nous avons suivi la direction indiquée par le garde ronchonnant et j’ai pu signer les papiers et payer sa caution.

- Avez-vous besoin que je vous raccompagne quelque part, monsieur David-Lenny ?

Je lui ai demandé tout en remettant les documents entre les mains du sergent.

©junne.

Code by Sleepy

Martin & Jameson

Martin n’a pas tout de suite pu me répondre, parce que le sergent s’est empressé d’engager la conversation avec lui. Maintenant que lui et ses acolytes avaient réalisé que leur prisonnier ne ferait pas appel à un avocat commis d’office, ils avaient à nouveau décidé de traiter Martin comme un être humain. Un criminel, certes, mais c’était déjà mieux par rapport aux traitements qu’il avait subi cette dernière nuit. Sans répondre aux flatteries du policier, je l’ai observé sortir sa petite vanne en haussant un sourcil septique. Quel humour de merde. J’allais rassurer mon gamin quand l’autre se mit à rire bêtement à sa propre blague tout en précisant qu’il s’agissait d’une plaisanterie. J’ai discrètement levé les yeux au ciel, impatiente. Je n’aimais pas les flics. Je ne leur avait pas accordé la moindre confiance depuis que Kyte m’avait ouvert les yeux sur leur nature, quand j’avais quinze ans. Depuis, ils n’avaient fait que m’emmerder et me mettre des bâtons dans les roues, que ce soit dans ma vie de militante ou dans ma carrière professionnelle. Et pourtant, je devais composer avec eux plus que n’importe quelle personne sur terre. Le paradoxe. L’homme s’est agenouillé aux pieds de Martin et a trifouillé sa cheville pendant un temps qui me sembla incroyablement long, avant de se relever, le torse gonflé d’une fierté déplacée. Je supposais que ça devait le faire bander, de savoir qu’il avait arrêté un « dangereux criminel » et qu’il avait désormais passé une sorte de laisse autour de sa cheville. Triste con.

- Merci, sergent Whitman. Au revoir.

Je l’ai salué, tenant la porte ouverte à Martin afin qu’il puisse quitter le bureau. Je l’ai laissé passer devant moi et je l’ai refermée derrière nous, emboitant le pas de mon gamin tandis qu’il se dirigeait vers le parking. Un court instant, j’oubliai la colère sous-jacente que je ressentais toujours à son égard, parce qu’il me faisait marrer à baisser la voix comme si ce que nous faisions était totalement illégal.

- Tu sais gamin, il n’est pas rare qu’un avocat ramène son client en voiture quand il vient de déposer sa caution. J’ai répondu avec un clin d’œil tout en appuyant sur la clef pour ouvrir ma voiture. Allez, monte.

Je me suis installée au volant et j’ai mis le moteur. Les accords de Crashdïet ont ampli l’habitacle, et les paroles du chanteur ont amené un sourire sur mes lèvres. Breaking the chainz. La chanson tombait plutôt bien avec la situation puisque nous allions nous libérer de la contrainte d’une loi mal rédigée pour faire respecter la véritable justice. A mesure que la voiture progressait dans les rues, en direction de l’appartement que Martin occupait, j’élaborais silencieusement nos futures stratégies dans mon esprit. Et ma colère s’évanouissait peu à peu. Pour autant, je ne lâchais pas le morceau. J’étais persuadée que Martin me cachait quelque chose sur la disparition de Kyte. Un détail important. Et si ce détail pouvait nous permettre de le retrouver, alors j’allais le cuisiner. Ultérieurement.    

©junne.