Elio jouait avec mes nerfs et j'avais l'impression qu'il y prenait un malin plaisir. Je restais silencieuse. J'essayais de cacher mon malaise tant bien que mal. Mais comment ne pas être déstabilisée ? Je me retrouvais dans une situation que j'avais voulu éviter. Je ne voulais pas être confronté à Elio et quand je l'avais vu en arrivant, j'avais souhaité qu'il ne découvre jamais qui j'étais. C'était raté. Elio avait tout compris. Je détournais mon regard de lui et je me remettais au travail. Non, je n'allais pas avoir cette conversation maintenant. J'espérais qu'Elio soit assez mature pour retourner à son travail et laisser de côté cette histoire. On allait pas régler nos affaires de famille ici tout de même. Enfin, de toute façon, il n'y avait rien à régler. Notre père était un connard, il s'était fichu de nous pendant des années. Fin de l'histoire. Mais j'étais certaine qu'Elio allait me tomber dessus quand les invités seraient partis.
La soirée poursuivait son cours et je me remettais au travail. Je me déplaçais dans la salle, prenant des photos sur le vif. C'était toujours les plus belles. Je ne loupais aucun des événements importants de cette soirée. Le fait de faire ce que j'aimais me permettait de calmer un peu ma nervosité. Je me concentrais sur ce que j'avais à faire, oubliant un peu Elio. Tout c'était enchaîné à une vitesse folle et bientôt, la salle commençait à se vider. Le traducteur revenait vers moi après que les derniers invités soient partis.
« Oui. »
Répondis-je à sa première question. La soirée s'était bien passée (si on oubliait qu'Elio était là). J'avais réussi à prendre les photos que je voulais. Je m'étais assurée que tous les invités figurent sur les clichés. J'espérais que l'organisatrice serait contente de mon travail. En tout cas, je pensais avoir bien bossé (et ce malgré les circonstances). Elio brisait le silence qui s'était installé entre nous et je posais mes prunelles bleues sur lui.
« Tu te donne trop d'importance. »
Lançais-je avec froideur. Il pensait vraiment que j'avais fait exprès de venir ici pour observer la bête curieuse ? Il était loin du compte.
« On m'a proposé un job, j'ai accepté et ça n'a absolument rien à voir avec toi. Et je n'avais pas l'intention de te dire quoi que ce soit. On a le même géniteur et après ? C'est pas pour autant que je vais m'intéresser à toi ! »
C'était même tout l'inverse. Elio n'était pas responsable des actes de notre père, mais il représentait sa trahison. Je n'étais pas prête à accepter ce demi-frère dans ma vie.
Attendre que les derniers invités ne quittent la salle n’avait pas été si simple. Si le travail m’avait occupé pendant le reste de la soirée, cette histoire n’était jamais vraiment sortie de ma tête. Me laissant un sale gout dans la bouche alors que je serrais les dents assez fort pour que ma mâchoire commence à me faire mal. J’étais finalement retourné voir Kara tentant d’abord de parler d’autre chose en lui demandant si tout était allé pour elle. « Oui. » Une réponse directe et assez froide pour que ça me donne le courage de continuer sur ma lancée. « Tu te donne trop d'importance. » Ouvrant un peu la bouche j’avais laissé un léger rire sortir de ma bouche, sa froideur me glaçant presque le sang. « Celle que ton frère m’a donné. » C’était bien sa famille qui avait commencé. Kael qui était venu me trouver dans ce bar pendant des semaines. Comme si il voulait décider si je méritais ou non de savoir la vérité - d’être traité comme un humain. J’avais encore de la peine à digérer tout ça, mais ce soir ce n’était pas la question. Il était question de Kara, de cette demi-soeur dont la ressemblance avec Leah était frappante, même troublante.. Tellement que lui parler aussi sèchement m’était presque douloureux.
« On m'a proposé un job, j'ai accepté et ça n'a absolument rien à voir avec toi. Et je n'avais pas l'intention de te dire quoi que ce soit. On a le même géniteur et après ? C'est pas pour autant que je vais m'intéresser à toi ! » Je l’avais peut-être bien mérité, mais pourtant à cette réflexion j’étais resté plusieurs secondes sans rien dire. Encaissant la dureté de ses mots. Comme si tout ça n’avait aucune signification pour elle alors que ça me torturait l’esprit depuis des semaines. « C’est si simple que ça alors. » Moi j’avais tant de questions - tant de rancoeur aussi. « Tant mieux… Pour toi ! » Le ton un peu sec je n’avais trouvé rien de mieux à rajouter restant silencieux alors que je la regardais ranger ses affaires. Peut-être qu’on avait rien de plus à se dire au fond. Moi je n’avais rien à dire, j’étais déçu, et perturbé, et j’aurais voulu poser des millions de questions encore mais elle semblait n’avoir aucune envie de me parler, d’y répondre et je ne pouvais pas le faire pour deux… Je n’avais ni la force, ni l’envie.
J'étais rarement aussi froide avec les gens. Mes propos étaient peut-être durs à entendre, mais Elio l'avait cherché. Puis, je n'avais aucune envie de faire des efforts avec lui. Je trouvais prétentieux de croire que j'étais venue ici juste pour le voir. Je n'aimais pas sa façon de s'adresser à moi et j'aimais encore moins les paroles qui suivaient. Je soupirais légèrement. Encore une fois, Elio était à côté de la plaque.
« Redescends sur terre. Kael voulait juste comprendre et voir de ses propres yeux l'autre famille. »
Je détournais mon regard de lui et je commençais à ranger mon matériel. Je ne comptais pas m'éterniser ici. Le silence s'était de nouveau installé entre nous jusqu'à ce qu'il le brise. Elio semblait croire qu'il était le seul a être affecté par la situation. Non, les choses n'étaient pas si simples. J'avais du mal à accepter tout ça. Il ignorait combien j'avais souffert de l'absence de notre géniteur et combien cette trahison avait blessé notre famille. Mais je refusais de parler de ça avec lui. Il représentait le mensonge de notre père. Ce qui me tuait c'est que c'était nous « l'autre famille ». Notre père avait déjà sa famille à Brisbane quand il avait rencontré notre mère. Il avait déjà une femme et deux enfants. Notre mère n'avait pas été une aventure de passage puisqu'il lui avait fait six enfants. Il avait voulu cette famille aussi, même si il ne l'avait jamais assumé.
« Tu ne comprends vraiment rien... C'est loin d'être une situation facile à encaisser. Mais je n'ai pas envie d'en parler avec toi. Tout ce que je vois quand je te regarde, c'est que notre père s'est bien foutu de notre gueule. »
Répondis-je en soutenant son regard. Puis, je refermais mon sac photo après y avoir mit mon appareil et mes différents objectifs. Je le mettais sur épaules et je reportais mon attention sur Elio.
« Alors, tu m'excuseras, mais on a rien à se dire ou à faire ensemble. »
Je n'attendais même pas qu'il réponde et je commençais à avancer en direction de la sortie. J'avais déjà salué l'organisatrice avant qu'Elio ne me tombe dessus. Je lui transmettrais les photos d'ici peu, après les avoir un peu retravaillé sur mon ordinateur.
Je me demande depuis combien de temps Kara est au courant - pourquoi elle est elle aussi venue à Brisbane ? J’ai tellement de questions et pourtant pas le courage de les poser quand elle me regarde de cette façon. Cette froideur presque glaciale qui me fait grimacer alors qu’elle utilise un ton cinglant pour me parler. « Redescends sur terre. Kael voulait juste comprendre et voir de ses propres yeux l'autre famille. » C’est donc tout ce que je suis… L’autre famille. Une tache noir dans un paysage familial sans doute bien plus heureux que celui que j’ai connu. Ils sont plusieurs pour se soutenir - pour s’aimer alors qu’il ne me reste apparemment que le souvenir de ma soeur et ses deux jeunes garçons dont j’ai la garde aujourd’hui. « Tu ne comprends vraiment rien... C'est loin d'être une situation facile à encaisser. Mais je n'ai pas envie d'en parler avec toi. Tout ce que je vois quand je te regarde, c'est que notre père s'est bien foutu de notre gueule. » Nous nous regardons tous les deux dans les yeux, une sorte de combat de regard pour lequel nous n’aurons de toute façon pas de gagnant. « Je suis pas responsable… » C’est tout ce que je trouve à lui répondre alors qu’elle baisse le regard. Que je n’ai pas demandé cette situation plus qu’elle mais que ce n’est pas pour autant que j’ai envie qu’on fasse comme si je n’existais pas. Après elle ne veut rien savoir de moi c’est son choix - je ne crois pas que je puisse y faire grand chose même si je trouve ses mots durs et que je n’ai pas l’impression de mérité d’être relégué a la place d’erreur du paternel. Je suis une personne moi aussi.
Elle finit de ranger ses affaires et je ne la retiens pas. Je n’ai d’ailleurs rien à lui dire. Sa position est très claire à mon sujet et je ne suis pas le genre à aller me rouler a ses pieds pour la supplier de me donner du crédit. De toute façon sa ressemblance avec Lea rend tout contact avec elle encore plus douloureux alors elle a sans doute raison mieux vaut-il s’en tenir là. « Alors, tu m'excuseras, mais on a rien à se dire ou à faire ensemble. » J’avais continué de la fixer en silence pendant plusieurs secondes. Mes expressions laissant transparaitre un mélange d’émotion à son égard. « Au revoir alors… » Je n’allais clairement pas la retenir. de toute façon elle était déjà entrain de me tourner le dos pour partir. Un long soupire était sortie de ma bouche alors qu’elle passait la porte pour sortir de la salle… Putain comment mon père avait-il pu foutre un tel merdier dans nos vies ?