Martin & Jameson

« Que t’en ai d’autre ou pas dans la cave m’importe peu, tu sais» dis-je en prenant une gorgé de mon propre vin «J’veux pas qu’tu finisses bourrée » reprenais-je en haussant les épaules «C’pas le but de notre soirée» d’ailleurs, en parlant de but, je reviens bien rapidement à nos moutons en lui demandant si elle eu la confirmation de la création de son compte par courriel. Elle me tend l’ordinateur et j’ouvre ledit mail. Je lis rapidement le continu puis clique sur le lien, lorsque Jameson reprends la parole. Je soupire très discrètement en l’écoutant retomber dans le sujet que nous venions de quitter et garde le regard rivé sur l’écran jusqu’à ce qu’elle ait finit de parler.

« yep c’est ça» lui dis-je en finissant par me tourner vers elle « Les flic sont arrivé et s’il s’est jeté dans la gueule du loup s’était surtout pour me protéger. Il a dit que moi j’étais encore clean, qu’ils ne me connaissaient pas et que je devais assurer mes arrières. Lui par contre ….il se sentait déjà … j’sais pas comment dire, mais je crois qu’il savait qu’un jour ou l’autre il allait se faire rattraper » je grimace un peu, tristement « Et ce jour à fini par arriver » j’hausse les épaules puis me recule contre le dossier du canapé et croise les bras, attendant que le site charge « Dis Jameson ?» finissais-je par demander en tournant mon regard vers elle « A ton avis, s’il s’est fait choppé par les flic, il risque combien de temps de prison … ?»

Ça m’inquiète quand même pas mal. Parce qu’au final, il n’y a pas que Yulin qui compte là. Non. Avec tout ce qui lui colle aux baskets à Kyte, il risque bien plus que seulement quelques mois de prisons. Surtout s’il s’est fait chopper en Chine quoi. Enfin. Je prends une profonde inspiration et fini par cliquer poser l’ordinateur à côté de moi pour me lever et allumer la télé. Je bidouille silencieusement quelques truc jusqu’à tomber sur Netflix et enregistre le nom d’utilisateur et le mot de passe de Jameson.

« Et sinon, tu ne m’avais pas dit que tu voyais un homme » je tourne mon regard vers elle, souriant malicieusement « C’est qui ? Et fais pas l’innocente, j’vois bien que les chaussures là-bas, dans le couloirs ne sont pas des chaussures de femmes …» j’arque un sourcil «Alors … ? » je lui ai bien raconter l’histoire avec Kyte que je gardais secrète depuis deux ans, elle peut au moins me raconter ça, non ?

©junne.

Martin & Jameson

Je sentais bien que Martin n’avait pas envie qu’on reparle de cette fameuse journée, deux ans plus tôt. Je ne savais pas si c’était parce qu’il avait peur qu’on se dispute à nouveau, ou parce que ça le hantait. Dans tous les cas, je décidai que ce n’était pas mon problème. Le plus important, pour moi, c’était de comprendre. De récolter des indices. J’avais besoin de savoir s’il y avait un espoir. Et, le cas-échéant, comment attaquer. Au final, mon gamin accepta de me donner plus de détail, et ma gorge se serra à nouveau alors que j’imaginais la scène. L’ignoble festival. Les flics. Kyte qui décide de se sacrifier dans un élan d’héroïsme mal placé. Et Martin qui se retrouve forcé de sauter dans un camion avec un bras en sang et des chiens terrorisés. J’ai secoué la tête avec un soupir.

- Je suis désolée que t’ai eu à vivre ça, gamin.

Ça, c’était mon instinct maternel qui revenait en force. Je trouvais que Kyte avait tiré sur la corde. Martin était devenu un excellent activiste, mais il n’était pas un mercenaire. Et dans le fond, il n’avait commencé tout ça que quelques années auparavant. Yulin, c’était gros. C’était trop, et trop tôt. Kyte aurait dû le savoir. Mon mentor était à côté de la plaque sur beaucoup de choses, mais il savait en général si vous étiez prêts ou non pour une mission. En cela, il était un excellent instructeur. Alors je ne comprenais pas comment il avait pu merder à ce point. Et pourquoi il avait décidé de se jeter dans la gueule du loup. J’étais perdue dans mes pensées, essayant de m’imaginer la scène, de comprendre son attitude. Je n’en suis sortie que lorsque Martin m’appela de nouveau, me demandant ce que Kyte risquait s’il était en prison. La perpétuité… ou la mort. La réponse resta bloquée dans ma gorge. Je ne sais pas pour quelle raison elle ne franchit pas mes lèvres. Pour ne pas que Martin se ronge de remords, peut-être. Ou parce que j’étais terrifiée par ces mots et ce qu’ils impliquaient. Que tant qu’ils restaient en moi, ce n’étaient que des craintes. Mais si je les exprimais, ils devenaient une réalité.

- Je sais pas. Ça dépend de ce qu’ils savent à son sujet.

J’ai soufflé, les yeux fixés sur une bougie qui dansait sur la table de mon salon. Une réponse évasive, certes, mais ça restait la vérité, en quelques sortes. Parce que la communication entre la Chine, le Canada et la Norvège n’était quand même pas optimale. Alors il y avait un espoir que les chinois ne connaissent pas ses crimes et chefs d’accusation passés. Mais dans ce cas, ça signifiait qu’aucun de ces pays ne chercheraient à le rapatrier pour le juger là-bas. Et qu’il croupissait probablement dans une piaule aux conditions sanitaires douteuses. Cette idée-là ne me plaisait pas du tout. Ma couverture duveteuse, la télévision, mon immense baraque, les chocolats. Tout me parut brusquement indécent. J’avais envie d’y foutre le feu avec cette flamme qui ondulait toujours. Comme si tout perdre me ferait moins culpabiliser d’être totalement inutile alors que Kyte était peut-être en train d’agoniser derrière les barreaux. Arrête-ça tout de suite ! Je me suis ordonné mentalement. Je ne pourrais pas lui être utile en m’effondrant. Alors j’ai mis ces émotions sous cadenas et j’ai relevé les yeux vers Martin. Ce soir, le film. Et le lendemain, je reprendrai les recherches. Ciblées, cette fois.

J’allais enfin me détendre à nouveau quand mon gamin a décidé de mettre son nez dans quelque chose qui ne le regardait pas, du tout. J’ai senti le sang quitter mon visage lorsqu’il s’est tourné vers moi, tous sourires, en me disant que je ne l’avais pas prévenu que je voyais un homme. Je crois que mes yeux se sont légèrement écarquillés car il me demanda de ne pas faire l’innocente et de lui donner plus de détails. Quand il me parla des chaussures dans l’entrée, j’aurais pu me gifler. J’avais pensé à planquer les affaires de toilette dans la salle de bain, son blouson et les DVDs de Leila, mais j’avais oublié ses putains de chaussures. Et du coup, je ne savais pas comment m’en sortir. Parce que je n’avais pas envie de mentir à Martin, de lui sortir le même mensonge que je sortais à tout le monde. Et à côté de ça, je ne pouvais pas lui dire la vérité. Parce que Phoenix risquait trop gros. Moi, je risquais trop gros. Au final, je ne sais pas trop combien de temps je suis restée, comme ça, à le regarder. Trop, probablement. Quand j’en ai pris conscience, j’ai détourné les yeux et me suis éclaircit la gorge.

- Je… c’est. Hum. C’est délicat. Et je ne suis pas à l’aise à l’idée d’aborder ce sujet avec toi.

J’ai répondu, en toute sincérité. J’espérais qu’il s’en tiendrait là. Qu’il ne me poserait pas davantage de questions. Mais quelque part j’en doutais. Ce n’était pas que Martin soit une fouine, bien qu’il avait un côté plutôt curieux, mais surtout qu’après la scène que je venais de lui faire sur honnêteté, il était totalement en droit d’attendre la même transparence de ma part. Et puis j’avais déjà gaffé l’autre soir, lorsque nous étions partis pour sauver les lapins du laboratoire. Il était pas con, mon gamin, aussi je me doutais que si ce n’était pas encore fait, il ne tarderait pas à relier les points dans sa tête.

- Tu préfères regarder quoi ? J’ai demandé en relevant la tête, un sourire aux lèvres (l’innocence incarnée). Plutôt film ou série télé ?

©junne.

Martin & Jameson

Je fais un petit signe de la main lorsque Jameson me dit être désolé que j'ai eu à vivre ça.  « ça va, c'est rien » par rapport à ce que doit vivre Kyte continuais-je dans ma tête. J'étais sur le point de le dire à voix haute mais je préfère ne pas le dire de peur de trop inquiéter Jameson. Ainsi donc je lui demande plutôt combien de temps Kyte risquerait de passer en prison. Sa réponse est évasive : ça dépend. De beaucoup, beaucoup de chose. Ça dépend de ce qu'ils savent sur lui, de combien ils détiennent d'informations etc. ça peut être beaucoup comme peu. Je sais que la communication entre la Chine et les pays de l'Europe et le Canada n'est pas la meilleure qui soit. Mais peut-être que l'un des pays d'origines de Kyte on voulut le faire rapatrier ? Je n'en sais rien.

Je décide donc de changer de sujet. Bien que je feins une concentration maximum sur la télé, je demande à Jameson, de manière détournée, à qui appartiennent les chaussures d'homme qui se trouvent à l'entrée. Elle se fige, me fixe et se tait. Longtemps. Trop longtemps pour être innocente. Je l'observe, la laisse reprendre ses esprits et souris à sa réponse.  « Pourquoi est-ce que je me doutais d'une telle réponse … ?» demandais-je en secouant la tête avant de soupirer doucement et me tourner vers elle  «Écoute, je t'ai avoué un secret que je gardais pour moi pendant deux ans. Tu peux bien m'expliquer ça, non ? » demandais-je en donnant un coup de menton vers l'endroit où se trouvent les chaussures.

En parlant de chaussures je remarque qu'Odin en a attraper une et la trimballe maintenant entre ses croc dans le salon. Je l'observe qui se pose sur le carrelage et qui commence à mâchouiller la semelle. Promptement, je me lève et lui arrache la chaussure de la gueule.  « Interdit» lui dis-je en me redressant. J'observe ladite chaussure et roule des yeux lorsque Jameson fait une veine tentative de changement de sujet.  « tatatata, Jameson, on se concentre sur le sujet !» dis-je comme un professeur qui reprendrais un élève qui a la tête dans la lune  «A qui appartient cette chaussure ? » lui demandais-je à nouveau en tendant la chaussure devant moi. J'aurais ma réponse. Ce soir encore.

©junne.

Martin & Jameson

Je ne sais pas trop à quoi je m’attendais, en espérant que Martin accepte de changer de sujet. En fait, c’était bien mal le connaître. Et vu ma réponse évasive, je sentais qu’il allait encore plus se douter de quelque chose. Et merde. Odin aussi, semblait assez curieux, puisque, intrigué par la gestuelle de son humain, il décida d’aller mâchouiller la semelle de mon fiancé fictif. Heureusement, Martin lui retira de la gueule avant qu’il ne fasse plus grave que de baver dedans. C’est Phoenix qui va être content… Evidemment, ma tentative de changement de sujet passa complètement à la trappe, et mon gamin ne se laissa pas manipuler. Ce fut à mon tour de rouler des yeux. Je me suis levée du canapé et j’ai attrapé la chaussure que Martin tenait entre ses mains.

- Tu sais, dans le fond ça ne te regarde pas vraiment, de savoir qui laisse traîner ses pompes chez moi.

J’ai répondu d’un ton léger avant d’aller la reposer sous le meuble dans l’entrée. J’ai profité du fait d’être en dehors de sa vue pour tenter de me recomposer. Et de me rassembler, surtout. Dans ma poitrine, mon cœur battait la chamade. Je ne savais toujours pas si j’allais lui dire la vérité et trahir la confiance de Phoenix, ou lui mentir et aller à l’encontre du principe d’honnêteté que nous avions l’un envers l’autre. Et pourtant, je n’avais plus que quelques secondes pour me décider. Bordel de merde, ma vie était plus simple quand je ne tenais à personne, j’ai juré mentalement. Je me suis relevé et j’ai essuyé mes mains contre mon jegging bleu marine avant de revenir dans la pièce.

- Alors que ton secret, lui, me concernait un peu directement, j’ai ajouté avec un sourire indulgent. D’autant que tu as mis deux ans avant de me le sortir. Donc disons que je pourrais te répondre d’ici... une dizaine d’années ?

J’essayais de garder le ton de la plaisanterie. Sauf que je voyais bien dans le regard de Martin que ça ne prenait pas. Il me connaissait, le bougre. Il savait que j’étais directe et que je ne mâchais pas mes mots, et forcément ça devait lui mettre la puce à l’oreille. Et puis il y avait aussi le fait que je ne lui parlais jamais de relations, pour la bonne raison que je n’en avais pas. La seule fois où il m’avait connue en couple, c’était avec Wyatt, et cette histoire s’était terminée quelques semaines avant que j’aille le récupérer dans une prison des Îles Féroé. Au final, j’ai poussé un profond soupir et me suis rassise à ses côtés sur le canapé. Je l’ai regardé un instant, débattant avec moi-même tandis que mon regard accrochait le sien, puis j’ai pris son verre de vin pour y tremper mes lèvres (et certainement y puiser un peu de courage). Je n’avais pas le choix, il fallait que ça sorte.

- Elles appartiennent à un homme que je fréquente depuis un petit moment.

J’ai commencé avec un soupir. Au final, j’avais décidé de lui dire la vérité… tout en choisissant mes mots de façon à lui faire imaginer un tout autre scénario. Celui que Phoenix et moi avions forgé. Notre coup de foudre, notre relation sérieuses et nos promesses de mariage. J’avais toujours eu un don avec les mots, il était temps que j’utilise ça dans ma vie personnelle. J’espérais que ça marche, parce que c’était la seule solution à laquelle je pouvais penser qui m’évitait de trahir l’un ou l’autre.

- Un mec vraiment bien, avec qui j’ai eu une aventure il y a des années. J’ai repris d’un ton légèrement nostalgique (absolument pas feint, à ma grande surprise). On s’est retrouvés par hasard il y a quelques temps, et ça a été comme une évidence. Quelque part, je ne l'avais jamais vraiment oublié, je m'en rends compte maintenant.

Toute la vérité, rien que la vérité. Du moins en partie. Parce que je me suis bien gardée de lui préciser que l’évidence à laquelle je faisais allusion n’était autre que notre arrangement fabriqué de toutes pièces, et une dette qu'il me restait à payer. En revanche, j'étais surprise (et sacrément perturbée) en réalisant que le reste était bien réel. Que le souvenir de Phoenix me hantait depuis des années. Et cette réalisation m'emmerdait sacrément. Parce que lui, il avait pas pensé à moi une seule seconde. Il avait Paige. Mais ça, je n'allais pas en parler à Martin. Ni de Leila, des services sociaux, ou du fait qu’il habitait chez moi depuis quelques jours. Non. Inutile de le noyer sous ces détails qui ne feraient que décrédibiliser mon histoire de romance à l’eau de rose. Parce que si Martin me connaissait un minimum, il saurait que je n’étais pas le genre de femme à emménager avec un mec aussi rapidement.

- Mais sa situation est un peu compliquée. Et comme il est plutôt du genre réservé, je n’ai pas vraiment envie de faire de faux pas en partageant des informations qu'il estime trop personnelles. Tu comprends ? Puis j’ai haussé les épaules et ouvert mes mains devant moi. Voilà, tu sais tout.

Ou presque...

©junne.

Martin & Jameson

Elle a raison. Ses fréquentations ne me regarde pas le moins du monde. En fait, c'est juste de la curiosité mal placée parce que Jameson ne m'a jamais parlé d'un homme dans sa vie. Encore moins un homme qu'elle fréquente. Mais, alors qu'en temps normal sa réponse m'aurait sûrement déstabiliser, aujourd'hui je parviens à ne rien montrer. Sans doute parce que dans le fond, je sais que j'ai un droit de connaître un peu plus de détail après le caprice qu'elle m'ait fait. Je ne réagis, donc, pas non plus lorsqu'elle me dit que mon secret, à moi, la concernait directement donc je pourrais limite attendre 10 ans avant d'entendre le sien. Je me contente de la regarder, intransigeant, alors qu'elle se lève pour me prendre la chaussure des mains. J'aurais put faire une blague et la lever au-dessus de ma tête, mais je n'en fais rien. Je laisse donc mon amie remettre la chaussure en place sous le placard de l'entrée puis revenir. Et là, s'asseyant et prenant une gorgé de mon vin, elle commence à parler.

Ainsi donc j'apprends qu'il s'agit d'un ancien amour, un mec 'vraiment bien', comme elle dit, qu'elle fréquentais il y a quelques années de ça. J'hoche la tête et souris en apprenant qu'ils se sont retrouvés il y a quelque temps et que ce fût comme une évidence. Ici, pourtant, l'évidence c'est que Jameson n'a pas finit son récit et qu'elle ne m'apprends qu'une infime partie de la vérité. Elle me donne alors plus d'explications quant au fait qu'elle soit resté aussi évasive : cet homme est plutôt du genre réservé et elle ne veut pas faire de faux pas en me disant quelque chose qu'il aurait voulut garder secret.

 « Ouais normal » dis-je en hochant la tête avec un sourire entendu. Même si je crève d'envie d'en apprendre d'avantage, je n'en ferais rien. J'ai moi-même gardé secret l'histoire avec Kyte pour protéger Kyte, comme Jameson qui protège ce mystérieux inconnu. Je fais, pourtant, une moue triste  «Moi qui pensais être le seul homme dans ta vie, je suis maintenant relégué au second plan ... » dis-je avec une amertume, bien évidement, jouée.  «Tu ne m'abandonneras pas pour lui, hm, pas vrai ? » demandais-je tristement. J'observe Jameson quelques instants puis éclate de rire  « Non je rigole va, j'suis content pour toi» dis-je en lui collant mon poing dans l'épaule  « Enfin, je peux être content pour toi ?» demandais-je brusquement en me calmant, bizarrement quelque peu incertain.  «Je suppose que oui mais … enfin j'espère que c'est le cas » j'hausse les épaules  «De toute manière tu me diras toute la vérité le jour où tu te sentiras prête à ton confier à ton fils » je lui fait un clin d’œil puis reporte mon attention sur la télé.  « Oh tien, The Walking dead … ça te dit ?» je me tourne vers Jameson  « Tu connais ? C'est un truc de zombie, mais pas que. Enfin y a une sacré histoire derrière et … j'adore moi.» je lui souris  « On regarde ça ? Ou tu veux plutôt regardé un film romantiiiiiique ?» demandais-je avec des étoiles dans les yeux. Ouais, j'ai trouvé un nouveau sujet sur lequel je vais pouvoir charrier mon amie.

©junne.

Martin & Jameson

J’aurais parié que je me serais sentie soulagée, si Martin acceptait mon histoire sans broncher. Aussi le sentiment de culpabilité qui s’empara de moi me pris de cours. Mais lorsque j’avais proposé cet arrangement à Phoenix, je connaissais les conséquences de mes actes. Que ça ferait de moi une fraude, et que la réalité de mon existence se mêlerait à la fiction de notre mensonge. Sur le moment, je m’étais simplement dit que j’étais la candidate parfaite, pour ne pas dire la seule. Une femme qui gagnait bien sa vie, célibataire, sans famille et sans histoires (sur le papier). Personne pour s’intéresser de trop près à ce changement de situation. Enfin, presque. Personne à l’exception de Martin. Et de Blythe. Mais connaissant ma sœur, elle n’en aurait strictement rien à foutre. Les relations humaines, c’était pas son truc. D’un hochement de tête sincère, j’ai remercié Martin pour sa compréhension. Je me disais donc que nous allions pouvoir passer à la suite, mais le visage de mon gamin s’est brusquement fait boudeur, alors qu’il s’inquiétait de voir un autre homme le « remplacer » dans ma vie. Surprise, j’ai froncé les sourcils et entrouvert la bouche, tachant de déterminer la part de vérité et de comédie dans sa voix.

- Tu seras toujours l’homme de ma vie. J’ai répondu avec un sourire taquin. Cela dit… il faudrait quand même penser à aller résoudre ton complexe d’Œdipe, gamin.

On s’est observés un instant, puis ça l’a fait marrer, alors je l’ai accompagné avec un petit rire. Au final, il m’a flanqué un coup dans l’épaule en me disant qu’il était content pour moi. Par réflexe, j’ai massé l’endroit où son poing avait touché ma peau et l’ai remercié d’un sourire que je voulais naturel et convaincu. En espérant que ça cache tous les doutes, les questionnements et autre sentiments parasites qui me bouffaient de l’intérieur depuis que « mon » biker blond avait refait surface. Sauf que j’étais clairement mauvaise actrice, parce que Martin me demanda si c’était approprié, justement, qu’il soit content pour moi. Et il avait l’air tellement incertain que ça m’a pas mal chamboulée, sur le coup.

- Euh, oui… Tu peux, évidemment. J’ai balbutié après un instant d’hésitation. Nul ! Comme je te disais, notre histoire n’est pas tout à fait simple. Mais je suis contente qu’il soit à nouveau dans ma vie.

J’ai fini par me reprendre. Encore une fois, je me suis efforcée de rester sincère. De dire le maximum de vérité sans compromettre notre couverture. Je ne savais pas si j’avais pris la bonne décision, en jouant sur les mots pour protéger notre mensonge. J’espérais juste que Martin ne m’en voudrait pas, s’il venait un jour à apprendre la vérité. Parce que j’étais certaine que je ne pourrai pas la lui cacher éternellement. Et d’ailleurs, il n’était pas dupe. Ça me rassura, quelque part. Peut-être parce que j’avais moins l'impression de le tromper, vu qu’il avait vu clair dans mon jeu. Ou alors parce qu’il venait aussi discrètement de me signifier qu’il ne m’en voulait pas et qu’il sera prêt à m’écouter si j’avais besoin de me confier davantage. J’ai hoché la tête et je lui ai donné un petit coup d’épaules.

- Ouai… fiston. Je l’ai taquiné avec amusement. Je te promets que t’en sauras plus si jamais je décide que cet homme devienne ton futur beau-père.

Et sur ce coup-là, je me sentais plutôt tranquille, parce que ça ne risquait pas de se produire. Phoenix et moi allions continuer notre mascarade le temps qu’il se reconstruise et que les services sociaux lui accordent définitivement la garde de sa fille. Ensuite, je feindrai une rupture et nous resterions amis – du moins je l’espérais. Je me suis laissée tomber en arrière dans le canapé avec un soupir et j’ai reporté mon attention sur la télévision. Un sourire se dessina peu à peu sur mes lèvres alors que Martin me proposa de regarder The Walking Dead… ou un film romantique. Là, j’ai pincé les lèvres et je l’ai frappé avec un coussin, mi amusée, mi horrifiée.

- Ton truc sur les zombies, ce sera très bien. J’ai dit en secouant la tête, un sourire aux lèvres. Les comédies romantiques, ça me donne envie de gerber.

J’étais tellement malchanceuse en amour que ce genre de films me faisaient m’arracher les cheveux. J’étais aussi horrifiée par le sexisme intégré de leurs caractères, les situations grotesques, la musique mielleuse et le scénario bidon. Normalement, les zombies, ce n’était pas trop mon trip non plus, mais j’avais entendu pas mal de bien de cette série. Sans compter que ça avait pour thème la survie, et ça, pour le coup, c’était carrément ma came. J’ai donc laissé Martin lancer le tout et j’ai ouvert la boite de chocolats. J’en ai mis un sous le nez de mon gamin pour qu’il l’attrape avec ses dents, puis j’en ai glissé un autre entre mes lèvres.

- C’est cool que tu sois là, j’ai dit en caressant distraitement la tête de Freyja sur mes genoux tandis qu’il lançait le film. Ça change de nos habituelles situations de rencontre ! J'ai ajouté avec un clin d’œil. Puis j’ai désigné sa cheville d’un signe du menton. En parlant de ça… comment tu survis avec ce bracelet électronique ?

©junne.

Martin & Jameson

J'éclate de rire lorsque Jameson me dit que je devrais soigner mon complexe d'Oedipe.  «Je sais pas pourquoi, mais j'oublie toujours à quel point tes réparties sont géniales » répliquais-je en secouant la tête. Au final, après que je lui ai donné un petit coup de poing contre l'épaule, je la félicite pour sa relation, demandant tout de même si je fais bien d'être content pour elle. Cette demande semble déconcerté Jameson, à tel point qu'elle hésite elle-même avant de répondre que, oui, bien sur que je peux être heureux pour elle. Elle reprend tout de même que leur histoire n'est pas facile ce qui ravive ma curiosité. Et je me fais vraiment violence pour ne pas creuser un peu plus le sujet. Elle m'en parlera quand elle s'en sentira capable. Quand ça se sera un peu plus officialisé avec mon futur beau père.  «Le mieux serait que tu me le présente à ce moment là. Quand il fera un peu moins le timide » je lui offre un sourire sincère. Elle peut me faire confiance. Et je crois qu'elle le sait, ça.

Dans tous les cas, je décide d'en revenir à notre sujet initial : Netflix. Je lui propose de regarder The Walking dead ou une comédie romantique. Fort heureusement, elle choisi les zombie car le romantisme la fait vomir.  «Je vois que de ce côté là nos goûts se ressemble » dis-je en lançant le premier épisode. J'attrape le chocolat qu'elle me met sous le nez puis prends une gorgé de vin.

Après quelques instants de silence, Jameson reprend la parole, disant qu'elle est heureuse que je sois là. Je tourne mon regard vers elle et souris, amusé.  «Oh que oui. Je crois qu'on ne s'est jamais vu à part pour faire des actions illégales ou alors pour aller manifester tout à fait passivement» j'hausse les épaules et grimace lorsqu'elle me demande comment je survie avec le bracelet électronique  «Eh bien … je survie, justement. C'est bel et bien le mot » je soupire  « J'suis pas enfermé, mais j'ai l'impression d'être totalement emprisonné. Je peux bouger partout en ville, mais je déteste rester plus de deux semaines à la suite dans une ville » je secoue la tête  «J'ai besoin de sortir, moi » je me penche en avant et me gratte un peu la cheville en dessous du bracelet  «Et mes cousins qui se sont bien foutu de ma gueule … bref, vivement qu'on le gagne ce putain de procès j'en peu plus moi »

©junne.

Martin & Jameson

La série commença, et j’ai éteins les lumières de la pièce. Une voiture remontait une route. Longtemps. Ça me donna le loisir de repenser à ce que Martin avait dit. Que si j’envisageais de faire de Phoenix son futur beau-père, je pourrai carrément le lui présenter. J’essayais de me représenter ce que ça donnerait, les deux ensembles. La perspective me fit sourire, parce que j’étais incapable de savoir s’ils s’entendraient. Sourire qui s’effaça légèrement lorsque je réalisai que cette incapacité était directement liée au fait que je ne connaissais pas Phoenix. L’homme qu’il était devenu. J’étais toujours hantée par l’homme qu’il était à vingt et un ans. Souriant, charmeur et un poil belliqueux. Et je peinais à le retrouver aujourd’hui. Trop de temps s’étaient écoulé. Trop de blessures s’étaient accumulées, aussi. Je me demandais si c’était pareil pour lui. S’il parvenait à voir Jaimie, son « hippie féroce », comme il m’appelait. Ou si elle était totalement masquée par l’avocate sévère que j’étais devenue. Et s'il se souvenait de Kyte. Comme je sentais ma gorge se serrer à nouveau, j’ai décidé de reporter mon attention sur l’épisode. Quand je générique s’est lancé, j’en ai profité pour dire à Martin que j’étais heureuse de le voir ici, dans une situation normale. Sa réponse m’amusa et m’interpella en même temps.

- Tu es certain qu’on ne s’est jamais vu « juste comme ça » ? J’ai demandé, en passant nos rencontres dans ma tête. Puis j’ai lâché un soupir. Merde, t’as raison. La seule fois où on a passé un peu de temps ensemble sans aller manifester, c’était sur les Îles Féroé, mais seulement après le carnage de leur flotte !

J’ai laissé échapper un petit rire. J’avais un bon souvenir de ces vacances. A la fois pour le feu d’artifice que nous avions créé, mais aussi pour les quelques jours de tourisme qui avaient suivi. J’étais aussi effarée de constater que Martin et moi ne nous voyons que dans des contextes d’activisme plus ou moins dangereux. Plutôt « moins », ces derniers temps, d’ailleurs, puisque je m’étais retirée du militantisme illégal pour la énième fois. Mais nous faisions quand même des manifestations contre les abattoirs et pour une législation plus sévère contre la pêche. Celles-là étaient tout à fait légales, et je ne les manquerais pour rien au monde. Quand je le questionnai à propos de son bracelet électronique, la joie de vivre quitta momentanément le visage de Martin. Je l’ai écouté se plaindre de son manque de liberté et de ses cousins qui se montraient moyennement compréhensifs. J’ai laissé un sourire compatissant étirer mes lèvres et j’ai affectueusement caressé son épaule.

- Allons, ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Dans quelques semaines, ce ne sera qu’un mauvais souvenir. Parce qu’on va gagner, fais-moi confiance la dessus. J’ai dit sérieusement. Je demanderai peut-être même des dommages et intérêts pour les violences que tu as subies la semaine dernière, au poste de police… et pour le port de ce bracelet ridicule.

J’ai ajouté avec un clin d’œil. J’avais pas mal avancé sur son dossier. Et pour cause, j’y avais consacré toute la semaine, faisant traîner mes autres affaires en cours. Je m’étais entretenue avec mon confrère chargé de représenter le laboratoire, et bien que ce dernier ait commencé notre entretien au summum de la confiance, je l’avais vu perdre sa superbe au fur et à mesure que je les réfutais. Sans nouvelles preuves, nous avions clairement l’avantage dans notre argumentation. Et j’étais bien placée pour savoir qu’ils n’en trouveraient pas davantage, puisque j’étais sur les lieux du crime cette nuit-là. La situation m’amusait, quelque peu. Du moins maintenant qu’elle était quasiment réglée. A l’écran, nos fiers policiers dézinguaient leurs premiers zombies quand je me suis tournée vers Martin, un sourire aux lèvres.

- Tu sais ce qu’on devrait faire ? Une sortie tous les deux. Quelque chose qui n’ait rien à voir avec l’écologie ou la condition animale, pour changer. La gay pride, par exemple. Ça te fera peut-être oublier ton « enfermement » l’espace de quelques heures.

J’ai proposé. Je me suis bien gardée de lui préciser que je cherchais moi aussi toutes les excuses possibles pour fuir ma demeure et les deux inconnus qui s’y étaient installés. Des inconnus que j’appréciais, certes. Mais quand on a été habituée à vivre seule pendant environ trente-six ans, la colocation s’avérait un challenge plutôt difficile.

©junne.