Je n’ai pas dit un mot pendant deux jours, dès mon retour de chez Thomas. Deux jours complets, où je n’ai fait que marmonner ou hocher de la tête. Le sommeil m’avait presque totalement déserté. Je savais Thomas terriblement mal, et lui n’étant pas là pour me forcer à aller bien, pour lui, je n’ai même pas essayé de lutter. Mon colocataire, et heureusement meilleur ami, a compris vite qu’il fallait me laisser tranquille avec mon nuage noir au-dessus de la tête. Il n’a pas cessé de me parler, bien évidemment, mais il n’a jamais cherché à percer ma bulle, à me forcer à me livrer. Il a respecté cela sans me laisser seul, et pour ça je ne lui ai pas encore dit à quel point je l’aimais mon petit frère. Je n’ai eu le courage d’expliquer entièrement la situation à Nathan qu’au troisième jour, lorsque nous nous sommes retrouvés pour manger le midi.

Et quelques heures plus tard, Thomas me demandait de l’héberger. En ce qui le concerne, nous étions toujours en contact. Il me donnait des nouvelles très souvent. Je ne lui ai absolument rien dit pour mon état. D’une façon assez fleur bleue, je dirais pourtant que ses petits messages m’aidaient à finir la journée. Même j’étais quelque part jaloux de le savoir avec son meilleur ami, de savoir qu’il était d’abord allé chercher du réconfort chez lui, je ne voulais pas l’accabler.

Finir le boulot a été très dur, tellement dur que je n’ai pas pensé à demander à Nathan si cela le dérangeait de prêter un bout de toit à mon amant. Je sais qu’il acceptera, de toute façon. En fait, lorsque je le préviens, c’est juste avant de sortir de la librairie en fin de journée. Et il me dit que l’australien est déjà là. Je me dépêche alors, l’esprit tournant à mille à l’heure, le cœur battant. J’espère de tout cœur que ça ira, qu’ils s’entendront, et que Nathan ne lui parlera pas de mon mal-être de ces derniers jours. Cependant, tant d’émotions est mal accepté par mon corps. Mes mains se mettent à trembler contre mon gré. Mais jusque-là encore, tout va bien. Le problème arrive vraiment lorsqu’en sortant du métro, la foule est soudainement trop dense, les couloirs trop petits, les bruits trop forts, l’air trop rare. Je sens la crise venir, et je n’hésite plus à courir pour sortir de là. Le bol d’air me calme à peine. Je n’ai cependant guère de temps à perdre et, encore fébrile, je prends la route de l’appartement qui est tout proche. La marche arrive à me détendre un peu. L’ascenseur me fait l’effet inverse.

La main tremblante, je peine à utiliser ma clé. Je jure dans ma barbe, parce qu’il le faut bien, souffle un bon coup, et ressaye. J’entre enfin, et claque la porte un peu plus fort que prévu derrière moi. Après avoir enlevé mes chaussures, je file directement dans la salle de bain, sans même faire attention aux deux qui sont dans le salon. Là, je me passe de l’eau bien fraiche sur le visage. Très cliché, mais ça aide. Je m’essuie rapidement le visage, puis je farfouille dans les médoc’, au cas où je trouverais un truc. Mais ça m’énerve davantage de ne rien trouver. Tant pis. Après un soupire, je ressors de la salle de bain. Le visage fermé, je rejoins Nathan est Thomas dans le salon. J’avise rapidement la situation puis me dirige vers Tom, comme attiré par un aimant. Là, la respiration encore un peu erratique, les muscles encore tendus, je me blotti contre lui sans même demander son avis, et dérangeant un peu son thé.

— Faites comme si j’étais pas là, j’arrive dans dix minutes, marmonnais-je en fermant les yeux, et en inspirant fortement. Je me force avoir de longues et profondes respirations, ce qui parvient à me calmer un peu. Vous parliez de voitures non ? demandais-je en ouvrant un œil. Je jette un rapide coup d’oeil à Nathan, ainsi qu’un faible sourire. J’te savais pas aussi viril Nath’. Sur ce, je me serre un peu plus dans les bras de Thomas, rassuré, inconsciemment, par sa présence à mes côtés.

Je ne pouvais faire autrement. Si je m’étais arrêté vers eux, Thomas aurait vu mon état, Nathan serait mort d’inquiétude – plus que d’habitude je veux dire –, et je n’aurais sûrement pas tenu, avec leurs yeux braqués sur moi. J’ai un peu bronzé depuis mon arrivée en Australie, autant que ma peau l’a permis, mais je crois avoir perdu quelques teintes tant je me suis trouvé pâle devant le miroir. Le passage par la salle de bain me fait, je crois, assez de bien pour finalement sortir et les affronter. Mais avant, avant de m’expliquer, de parler sérieusement, je fonce littéralement me blottir contre Tom. Je suis absolument certain que c’est ce qui marchera le mieux pour me calmer, et j’ai absolument raison. Je murmure de façon assez vague un petit message, et mon amant s’amuse à rentrer dans mon jeu, me disant avec douceur de ne pas trop « rester là-bas ». Ces petites attentions, les caresses de mon australien, ses quelques baisers tendres, me facilitent la tâche, alors que je me force à prendre des respirations régulières.

Serré tout contre mon amant, je reprends peu à peu du poil de la bête. Mes mains cessent petit à petit de trembler de façon alarmante, alors je m’autorise à desserrer un peu les poings. Ces quelques instants si précieux passent en silence. Retrouvant quelques neurones en état de marche, je ne peux m’empêcher de charrier Nathan sur sa virilité, étant donné qu’ils parlaient de voiture juste avant que je n’arrive. Ça aussi, ça me remet un peu d’aplomb. L’expression de Nathan est absolument merveilleuse, si j’avais plus de force j’aurais éclaté de rire. Mon sourire s’agrandit simplement, et reste là, plaqué sur mon visage, tandis que je referme les yeux et que j’écoute les deux autres s’expliquer. Lorsqu’ils se rappellent avec humour avoir discuté motos et joueurs de rugby, je relève immédiatement la tête vers Thomas, avec une moue.

— Rugbymen néo-zélandais ? Tuveuxdirequevousparliezetypessuper baraquésetbeauxgossesquiressemblentàtonmeilleurpotelà ? dis-je d’une seule traite.

Peu enclin à avoir un filtre, cacher toute ma jalousie est impossible. Une petite dose ne peut faire de mal de toute façon. Ensuite je me reblotti contre son torse, bien à ma place. Mais ça ne tarde pas avant qu’il ne me prenne par les épaules, toujours sans brusqueries, et me repousse assez pour pouvoir me regarder. Il s’enquiert de mon état, puis dégageant une mèche noire de mon regard, me demande ce qui m’est arrivé. Soutenant ses yeux clairs sans trop de mal au début, je fini par détourner et baisser les yeux, remerciant mes cheveux d’être plus longs pour me dérober un peu. Que lui expliquer ? Que j’ai traversé une mauvaise passe, courte de quelques jours mais intense... ? J’ai esquivé plusieurs crises d’angoisses ces derniers jours, celle-là m’a totalement prise au dépourvu.

— Ca va ouais, j’ai eu un... Une légère crise de panique en sortant du métro, y’avait du monde et tout. Mais c’était rien, j’suis sorti à temps, je l’ai évitée, pis ça va mieux maintenant, t’as pas à t’inquiéter, répondis-je tranquillement avec un léger sourire destiné à le rassurer un peu plus efficacement. Et je vais m’arrêter là. Nathan m’a déjà dit que le mieux serait vraiment d’en parler à fond avec Tom, qu’il comprenne ce que je vis, mais j’ai tranché la question d’un non catégorique. Je plante mon regard dans celui de Tom, en penche légèrement la tête sur le côté. C’est à mon tour de m’en faire pour lui, même si mon état ne s’y prête pas encore. Et toi... ? soufflais-je, prenant en compte le fait que par message, on ne peut pas tout dire.

Je me rappelle la dernière grosse crise, à l’hôpital. Celles de cet acabit sont rares, heureusement. Cette fois-là, c’est Nathan qui a su me réconforter ; d’une part car Tom était la cause même du déclenchement de cette crise, et d’autre part car il a l’habitude de me gérer ainsi. Néanmoins, aujourd’hui, c’est vers Thomas, que j’ai fui la dernière fois, que je vais me réfugier. Nulle parole n’est nécessaire maintenant, j’ai juste besoin de calme et d’un environnement où je me sens bien. Alors les bras de Tom sont tout désigner pour cela. Et mon amant se débrouille bien. Il n’a pas besoin de faire grand-chose, sa présence, ses caresses, me suffisent. Il déconne avec Nathan, ce qui me change les idées et me rassure sur leur relation. J’ai cru leur entente impossible depuis la dernière fois, cette fameuse nuit, mais heureusement je me suis trompé.

Ils évoquent leur précédent sujet de discussion, avant les voitures c’était les rugbymen. Secoué par une petite vague de jalousie, je me redresse mais mes paroles sont peu audibles. D’ailleurs, ne voyant pas où je veux en venir, Thomas croit tout bonnement que je demande si Scott en faisait, du rugby. Je fronce les sourcils, mes traits se tendent davantage, face à son rire. Mais je ne rajoute rien. Je suppose que Nathan a un peu mieux compris où je voulais en venir, lui, mais il ne dira rien. Je replace ma tête contre le torse de mon amant, de manière presque autoritaire. Je suis bien là, je vais y rester. Il m’entendra m’énerver et soupirer un autre jour. Le court silence ne s’éternise guère, j’ai à peine le temps de penser à autre chose, que Tom me prend par les épaules afin de me regarder. Il me demande les raisons de mon état. Ne pouvant affronter son regard pourtant si beau, je détourne les yeux, répondant en minimisant ma détresse. Je lui assure que je vais bien, que le pire a été évité, qu’il n’y a pas eu de réelle crise... Alors qu’en soi, si, un peu quand même. Il me croit, et je lui réponds de nouveau par un léger sourire alors que sa main caresse mes cheveux avec tendresse.

Je veux tout faire sauf l’inquiéter alors je ne tarde pas à retourner le sujet sur lui. Comment va-t-il, cet homme si cher à mon cœur ? J’ai certainement peur pour lui, pour ce qui peut lui arriver... Je ne fais pas attention à la présence de Nathan, de toute façon, il sait quasiment tout, et je lui fais une totale confiance pour garder ces secrets. Nonchalamment, il dit avoir connu mieux, mais qu’une que sa femme sera calmée, cela s’arrangera petit à petit. Comme il le dit, ses enfants sont en sécurité, c’est le principal pour lui. Je souris faiblement, me demande si, un jour, lorsque tout ceci sera terminé, nous aurons aussi un petit bout de chou à voir grandir, une petite famille... Un chien sera très bien pour commencer aussi, cela dit. Je secoue légèrement la tête pour revenir sur tête, rougissant presque de mes pensées. Je n’ai jamais douté de mon avenir avec Thomas, mais avoir ce genre de flashs, aussi « adulte », me ferait presque flipper. Je me reprends alors bien vite.

— Je vois ouais... Si tu, si t’as besoin de parler je suis là ok ? Enfin comme d’habitude mais le rappeler de temps en temps c’est bien, plaçais-je doucement, avec un léger sourire.

Je passe rapidement à la surprise, et à la suspicion, quand Thomas me demande soudainement de fermer les yeux. Je le regarde, incertain, et jette un coup d’œil à Nathan à la recherche de soutien. Thomas me demande sa confiance, alors je cède, et ferme les yeux, ne sachant à quoi m’attendre. Je soupire doucement, réfléchissant à ce qu’il pourrait me réserver. Je l’entends fouiller dans son sac, puis c’est un poids sur la tête qui me fait ouvrir les yeux. Mon regard se lève vers le haut, me faisant, inutilement, lever un peu la tête comme si ça allait m’aider un mieux voir. Je me retrouve affublé d’un chapeau, et sous le joyeux anniversaire de Thomas, je souris à m’en fendre les joues, mais aucun mot ne sort. Je prends alors le chapeau, et l’observe rapidement.

— Il est génial... soufflais-je alors que Tom me demande comment je le trouve. Il me dit alors avoir supposé que j’allais être sexy avec un chapeau, alors ça lui a donné l’idée de m’en offrir un. D’autant que d’après lui, je suis effectivement à mon avantage. Je rigole légèrement, alors qu’il vient m’embrasser. C’est parfait Tom, parfait, lançais-je. Merci !

Sur ce je viens entourer son cou de mes bras et vais l’embrasser en remerciement. Cela ne dure qu’un court instant, mais il a le même effet que tout autre baiser qui serait plus long. Je n’ai pas besoin de regarder Nathan pour connaître son état. Autant ne pas trop retourner le couteau dans la plaie. Moi aussi je ne suis pas très à mon aise lorsqu’il s’agit d’afficher ce genre de proximité intime. Mon meilleur ami prend alors mon chapeau, le détaille un peu, puis le met sur sa tête. Je fais une légère grimace.

— Mh, il me va bien mieux je suis sûr. Puis j’éclate de rire lorsque Nathan estime qu’il s’agit un peu de son cadeau aussi. Bien vite je vais lui reprendre mon présent, et reviens me caler contre le dossier du canapé. A moi. A moi, à moi, et encore à moi, lui tirais-je la langue comme gamin, en remettant le couvre-chef. Je jette un coup d’œil à Tom, et remarque qu’il ne comprend pas grand-chose. Nathan et moi on est né le même jour, alors il croit que mes cadeaux sont les siens aussi, mais c’est faux. Je me lève alors, et me dirige vers la salle de bain et son miroir. Je m’observe, un petit moment. C’est vrai que j’suis beau gosse dis donc ! lançais-je depuis cette pièce, avant de revenir dans le salon. Tu m’étonne que t’as craqué mon cher Thomas, merci encore, murmurais-je en le rejoignant, et en l’embrassant sur la joue.

C’est que je reprends du poil de la bête, je vais mieux et c’est infiniment plaisant. Je me sens bien, là, avec les deux hommes de ma vie. Pompeux mais tellement vrai. Cependant, il y a un sujet que nous devrons bien aborder. J’y ai réfléchi cet après-midi mais cela n’a rien donné de satisfaisant. En plus, je ne me rappelais plus de ce que Nathan m’avait dit, son programme de ces prochains jours, s’il allait ou non voir son frère, ou quelqu’un. En vérité, je n’ai que peu de souvenirs concrets de ces derniers jours, mais c’est un détail...

— Pour en revenir un truc un peu sérieux, on s’arrange comme pour dormir... ?

Je me remets assez aisément des suites de ma crise d’angoisse. Dans les bras de Thomas, j’arrive à me détendre correctement. La dernière fois il était la raison de ma crise, aujourd’hui ce n’est pas le cas, alors je suppose que ça joue énormément. De plus notre relation a évolué depuis lors, nous sommes amants, nous avons retrouvé une complicité et une intimité que je ne pensais plus à l’ordre du jour depuis longtemps. En plus, maintenant qu’Ida a découvert le pot aux roses, certes d’une façon horrible mais elle le sait à présent, ils vont divorcer. Tom avait prévu de le lui dire, de toute façon. Quoiqu’il en soit, notre perspective d’avenir est plus réjouissante aujourd’hui que lorsque je suis passé par la case hôpital au printemps.

Tom et Nathan plaisantent un peu, tout à l’air de plutôt pas trop mal se passé, alors ça aussi, ça me calme. Puis l’australien me demande des explications sur mon état, auxquelles je réponds en omettant quelques détails, puis c’est à mon tour de lui poser quelques questions. Après qu’il m’ait un peu parlé de sa situation, je lui fais savoir que je serais là pour parler, au besoin, comme toujours. Il m’en remercie puis change de sujet. Comme demandé par mon amant, je ferme les yeux. Puis je me retrouve avec un magnifique chapeau sur la tête. Passé la surprise, je le remercie plus que sincèrement. Je suis vraiment touché, je dois l’avouer. J’ai cru un instant qu’il avait oublié mon anniversaire, puisqu’il a coïncidé à peu près avec le retour d’Ida, et que sa vie était bien trop chamboulée pour que je m’impose. Lorsque nous nous embrassons, Nathan me pique mon cadeau et l’essaye. Mais quoiqu’il en pense, il me va mieux qu’à lui, et je n’hésite pas à le lui dire. D’un ton amusé, il réplique que c’est un peu son cadeau aussi mais, comme il me vient de Thomas, je suis particulièrement possessif, dans mon attitude et mes propos. Tout cela reste bon enfant, mais je sais que Nathan comprendra. J’explique rapidement à Tom, un peu perdu, pourquoi Nathan a eu cette réflexion.

Par la suite je me lève, désirant me voir avec ce chapeau sur la tête. Dans la salle de bain, je m’observe quelques longues secondes, m’admire même, avant de lancer, assez fort pour qu’ils m’entendent, que je comprends pourquoi il me trouve beau gosse. En revenant dans le salon, malgré l’expression innocente de Nath’, j’ai saisi ces derniers mots.

— Tais-toi Nathan, mes chevilles vont parfaitement bien, merci.

Puis je me dirige vers Tom et le remercie une nouvelle fois en déposant un baiser sur sa joue. C’est ensuite l’heure d’aborder les sujets sérieux et déplaisants. Je reviens m’assoir, normalement cette fois, pas affalé contre mon australien, et pose la question fatale : comment s’organise-t-on pour dormir. L’échange de regards entre les deux est silencieux, pourtant je crois que Nathan comprend la situation. De lui-même, il propose de prendre le canapé. Je dois avouer que je m’y attendais, Nath’ ne sera pas un obstacle, il acceptera de se sacrifier pour que nous passions une nuit ensemble, par contre je ne sais pas s’il a compris que l’hébergement allait s’éterniser un peu. Cela se confirme lorsque, après que Tom lui a demandé s’il était certain, il dit que ça ne durerait qu’une nuit. C’est à notre tour, à Thomas et à moi, d’échanger un coup d’œil. Et là, Nathan saisit la nuance. Une nuit ça ira, sûrement pas deux. Je ne dis rien tout d’abord, puis les laisse un peu se débrouiller.

— On pourra alterner, chacun votre tour sur le canapé... Jusqu’à trouver une solution, je sais pas encore laquelle mais bon... Un canapé-lit ça serait bien, y’en a des pas trop cher, et si on revend celui-là ça fera pas un trop gros trou dans notre budget, t’en pense quoi Nathan ? Sinon coller un matelas au sol, comme un futon. Puis je regarde Thomas. C’est un peu prématuré sans doute mais tu comptes faire quoi ? Te trouver un appartement ?

Il me répond, puis nous propose avec entrain de préparer le repas. Il a très faim, alors ça doit aussi le motiver. Je rigole légèrement, en indiquant la cuisine d’un large mouvement du bras.

— Mais fais-toi plaisir Tom, fais-toi plaisir, c’est pas moi qui vais t’en empêcher. Y’a tout ce qu’il faut normalement, et si t’as besoin d’aide on est là.

Thomas n’aurait sûrement pas pu mieux choisir en termes de cadeau. Et malgré tout ce qui s’est passé dans sa vie ces derniers temps, il n’a pas oublié. Le sourire sur mon visage en dit long sur mon ressenti. Nathan plaisante avec le chapeau, et dans la même veine, je marque ma possessivité. Puis, après être allé m’admirer dans la salle de bain, je reviens avec le vrai sujet : le dodo. Qui va prendre quelle place pour dormir. Pour nous laisser le lit, Nathan accepte et propose de lui-même de prendre le canapé. Nous lui expliquons bien sûr que ça ne sera pas pour une nuit, détail qu’il n’avait pas tout de suite compris. Je n’imagine pas le laisser dormir deux soirs de suite sur notre canapé. La seule solution qui m’apparaît est d’alterner. En revanche, je précise que les rondes se feront entre Nathan et Tom, hors de question que les deux se partagent le lit. Je reste un jaloux. C’est pour ça que la blague de Thomas ne passe absolument pas. Déjà Nath’ rougit comme une tomate. Moi, je regarde l’australien très fixement, en penchant un peu la tête sur le côté, presque blasé, d’un air de dire « t’es sérieux là, wahou que c’était drôle ». Message reçu, il grimace et s’excuse, ne trouvant d’ailleurs aucune raison justifiant ses paroles.

Changeant de sujet, je propose à Nathan de changer de canapé pour un convertible, ou en tout cas de réfléchir à une solution, histoire d’être préparés. De plus, les gens qui viendront dormir chez nous à l’avenir ne se retrouveraient pas sur un canapé pourri. C’est plutôt utile et pratique ces trucs-là. Mon meilleur ami réfléchit quelque seconde, étant d’accord avec mon idée, mais propose d’en parler d’avantage demain, pour ce soir Thomas prend le lit de toute façon. J’hoche simplement la tête, et laisse Tom le remercier. Peu après je demande à ce dernier ce qu’il compte faire par la suite. Il n’a visiblement pas eu le temps d’y penser vraiment, mais se trouver un appartement est la meilleure option. Il laissera la maison à Ida, pour les enfants, et surtout pour la petite qui reste fragile. J’écoute tranquillement, hochant parfois la tête, et notant tout ça dans mon esprit. Peut-être que... Non. Perdu dans mes pensées, je n’ai que peu de temps pour reprendre le fil de la conversation, mais je crois comprendre que Thomas ne veut pas nous gêner. Je secoue vivement la tête.

— Mais tu gênes pas ! T’en fais pas, on sera toujours heureux de te prêter notre toit. Enfin Tom... J’suis ton- copain, j’sais pas comment dire, mais bref, déjà de base j’suis ton ami, alors rien que pour ça je t’aiderais quoique tu me demandes. De toute façon si tu dérange trop on te dégage. conclus-je sur un sourire en coin marquant mon second degré.

Puis Thomas, en guise de remerciement, se propose de cuisiner pour le repas du soir. C’est avec un grand plaisir que Nathan et moi acceptons, jamais trop heureux ne pas avoir à faire à manger. Nous ne sommes pas maladroits en cuisine, mais ce n’est pas non plus notre passion. Donc, nous n’allions pas le refuser à Tom, si ça lui fait plaisir. Il ramène sa tasse de thé à la cuisine, et commence à y chercher des ingrédients pour le repas. Mon regard l’a suivi naturellement, cependant celui-ci revient se poser sur Nathan qui, penché un peu vers moi, me demande de lui signaler s’il est de trop. J’arque un sourcil, pendant qu’il m’explique que demain il travaille et que le jour d’après il a rééducation, avant de rire légèrement lorsqu’il finit par une requête. Ne pas faire de bruit. D’un ton tout aussi bas que le sien, je m’empresse de lui répondre.

— On essaiera, mais je peux rien te garantir mon petit Nathan... souriais-je, complètement versé dans le sous-entendu. Ceci dit, au fond, je ne sais trop si Thomas sera d’humeur. Cela fait plutôt longtemps que nous n’avons pas eu l’occasion de faire l’amour, et avec tout ce qu’il se passe, peut-être n’a-t-il toujours pas envie. Personnellement, ça commence à me peser lourdement cette distance forcée. Ça ira de toute façon, on va pas te virer, on compte pas non plus se rouler des galoches tout le temps. Mais toi si y’a un truc qui te gêne t’hésites pas, comme l’autre coup au karting, d’accord ?

Je lui offre un sourire puis je perçois Thomas pousser un juron. Je me redresse, regarde vers la cuisine, puis me lève. Je dis à Nathan que je m’en occupe, et me dirige vers la pièce. Subitement je me mets à réfléchir au film que nous pourrions regarder ce soir.

— Essaie de rien casser, lancais-je en arrivant dans la pièce. Tu cherches quelque chose en particulier ?

Thomas n’était pas prévu au programme. Moi je savais qu’il viendrait un peu squatter, si ça n’avait tenu qu’à moi, il serait venu dès le début. Mais Nathan vient de l’apprendre et, au vu de sa gentillesse extrême, ça ne le gêne pas outre mesure. Il propose même de prendre le canapé pour ce sir, ce dont je lui serais très reconnaissant. Pas besoin de mots pour qu’il devine ce que je souhaite. Tom a, lui, peur de nous déranger, ce qui est une hérésie de penser cela. Je le lui dis très clairement, avant de lui assurer que nous nous ne gênerons pas s’il vient à « déranger » de toute façon. Il rit et avoue ne pas douter de cela. Puis il propose de faire le repas de ce soir, ce à quoi nous ne trouvons rien à redire. Il se dirige donc vers la cuisine avec sa tasse de thé et nous l’entendons commencer à farfouiller dans la cuisine.

Nathan en profite pour me glisser tout bas de ne pas faire trop de bruit cette nuit. Sans pour autant être certain que nous coucherons ensemble – même si j’en meurs d’envie, Tom pourrait avoir ce genre de trucs nulles appelés remords –, je réplique en plaisantant que je ne peux rien garantir à mon meilleur ami. Suivant le mouvement du sous-entendu, il soupire, disant qu’il n’a plus qu’à ressortir ses boules quies. Je rigole, tout en essayant de garde le volume plutôt bas pour que cela ne parvienne pas aux oreilles de Thomas. Ensuite je lui répète une nouvelle fois de me prévenir si quelque chose l’indispose, ce qu’il essayera de faire, j’en suis persuadé. Sinon cela se transformera en ressenti néfaste, et on sait tous comment cela se termine.

Un bruit de tasse brisé me fait vivement tourner la tête vers la cuisine. Je signifie silencieusement à Nathan que je m’en occupe, et me lève pour rejoindre mon amant dans la cuisine. Je commence par lui demander d’éviter de casser des trucs, si possible. Seulement le mal est fait, il me présente la tasse BB-8 en deux morceaux. Une tristesse s’affiche sur mon visage. Mais je n’en veux pas à Thomas, ce genre d’accident arrive. En colocation avec Nathan, surtout. De toute façon son air profondément désolé suffit.

— Oh, dommage... Enfin c’est pas grave... Laisse la en vue, qu’on pense à faire quelque chose, dis-je tranquillement.

Je réfléchis déjà à l’idée de la recoller, mais bien vite, d’autres pensées viennent envahir mon esprit. Je demande à Thomas si je peux l’aider à trouver quelque chose en particulier, sans aucune arrière-pensée. En s’avançant vers moi, il me répond tout aussi naturellement qu’il cherche l’amour, et me demande si je ne l’ai pas trouvé. Je rigole légèrement, amusé, et le laisse m’attirer à lui. Je pose mes mains sur ses épaules.

— Idiot, bien sûr que je l’ai trouvé, t’as même été le premier au courant, dis-je doucement.

Puis nous sombrons dans de nos moments « connexion ». Juste, nous sommes là, le regard plongé dans celui de l’être aimé, à savourer l’instant présent. Tom caresse doucement ma joue, alors que je ferme délicatement mes paupières. La suite nous la connaissons tous les deux ; nos lèvres se joignent avec une tendresse infinie. Notre baiser devient graduellement plus passionné, mais je sens bien que quelque chose réfrène l’envie de mon amant. Alors que personnellement, ce baiser ne m’a donné que plus envie de me retrouver dans ses bras, de me serrer contre son corps, de dévorer sa peau... C’est à contre cœur que je me sépare de mon australien, et je l’écoute, redevenu sérieux, me demander où se trouve le riz. Il a déjà mis la main sur quelques autres ingrédients. J’hoche la tête et me dirige vers le tiroir qui contient notamment les pâtes et donc, le riz. Je lui sors un paquet un peu entamé, mais il en reste largement pour trois.

— Si tu veux de l’aide on est là avec Nathan ok ? Et pareil, si t’as besoin de quoique ce soit, demande, dis-je en souriant. Je lui indique encore où se trouve les casseroles et compagnie, et rapidement comment marche nos plaques. On reste dans le salon de toute façon, ajoutais-je avant d’aller l’embrasser sur la joue. Je sais que tu nous feras un bon petit truc.

Puis je le laisse se débrouiller comme un grand, et rejoins Nathan dans le salon. Nous tombons d’accord sur un petit jeu vidéo à lancer, et nous patientons donc.

Au revoir la tasse BB-8... En arrivant dans la cuisine après avoir entendu un bruit suspect, je suis immédiatement déçu de voir la tasse fendue, brisée en deux morceaux. Mais je n’en veux pas à Thomas, ou plutôt disons que je masque le léger énervement qui me possède, et essaie de trouver une solution. Peut-être qu’avec de la colle, ce genre de truc... Car aucun morceau ne manque. Je préfère passer bien vite à autre chose, ce qui se transforme en un moment à deux presque dégoulinant de guimauve. Toutes ces émotions négatives s’effacent vite sous les lèvres de mon amant et ce baiser que nous partageons, remplacées par un désir enflammé. Cependant, je perçois bien une retenue chez Tom, ce qui me déprime de nouveau. Je ne connais pas ses raisons, mais si Ida est impliquée, c’est que ce n’en est pas une bonne. Il l’a trompé avec moi, ils sont séparés, quel pouvoir a-t-elle encore pour l’empêcher de céder ? Nous ne nous sommes pas vus depuis trop longtemps déjà.

Soit. Je m’énerverai un autre coup. Revenu difficilement à la réalité, je montre où se trouve le riz, comment fonctionne les plaques, puis rappelle à Thomas que nous sommes là s’il a besoin d’aide. Il m’assure que tout ira bien, et m’embrasse une nouvelle fois. Sur ce je pars tranquillement vers le salon pour rejoindre Nathan. Nous décidons d’un petit jeu sympa à faire à deux. Devant mon absence de conversation, mon meilleur ami ne cherche pas à me faire parler, et nous jouons en silence. Seuls la bande son du jeu, et quelques commentaires de notre part, et parfois à l’égard de Thomas pour prendre des nouvelles, viennent troubler le calme de l’appartement. Je jette parfois des regards au chapeau que Tom m’a offert, posé sur la table basse, et me surprend à avoir hâte d’être enfin, totalement, officiellement, avec lui. Vivre avec lui. Ne plus avoir l’autre dans les pattes, ne plus avoir son ombre sur notre relation... Quel rêve.

Une odeur monte délicieusement de la cuisine, et signale la fin de la préparation du repas. Thomas commence à installer la table lorsqu’il nous appelle pour venir manger. Il propose de nous installer dans le salon mais, suite à un regard avec Nathan, et à mon haussement d’épaules, mon meilleur ami affirme que nous allons le rejoindre. Ainsi, alors que l’australien termine d’apporter les derniers éléments tel que l’eau et les verres, nous nous installons à table. Je marmonne la formule de politesse d’usage en réponse à celle de Thomas, puis nous commençons à manger. Nathan est le chargé de commentaires : après avoir fait remarqué que ça avait l’air très bon, il affirme après une bouché que ça n’a pas que l’air. Un peu amusé, il souligne qui ni moi ni lui ne serait capable d’en faire autant. Puis il le remercie. Mon regard navigue entre eux deux, et au sourire de Tom, je devine que celui-ci n’est pas serein. Ses traits sont quelque peu forcés. Je ne cherche même pas la raison de cet état d’esprit, et continu de garder le silence un petit moment. Tout en mangeant, je cherche un sujet de conversation...

— C’est vrai que c’est super bon... Faudrait qu’on s’améliore Nath’. On salut le livreur de pizza par son prénom, et on n’a même plus à préciser nos commandes quand on appelle, je crois qu’il faut qu’on commence à se poser des questions... lançais-je avec un léger rire. En même temps, étant allergique aux tomates, je commande toujours des pizzas particulières, à force, on me reconnait quand je passe commande. Je reprends une bouchée avant de continuer à parler. Un coup ils nous ont même appelé car ça faisait longtemps qu’on n’avait rien commandé, ils s’inquiétaient.

Encore une histoire amusante. J’essaye de passer outre ce qui ressemble à de la gêne chez Tom. Je ne vois pas ce qui a pu causer un changement chez lui. Je n’ai notamment pas été plus proche de Nathan ou quoique ce soit, donc la jalousie me parait une réaction démesurée... Néanmoins le diner se passe bien, nous discutons, plaisantons, rions... Après le plat chacun se prend un dessert, yaourt ou fruit, et tout se termine dans le calme. Avec Nathan nous débarrassons la table, et je programme le lave-vaisselle comme d’habitude. Ensuite je me redresse et m’étire, et jette un coup d’œil à Thomas avant de le rejoindre.

— C’était délicieux, merci, soufflais-je un sourire tendre.