Code by Sleepy

Martin & Jameson

A mesure que le procès approchait, ma confiance augmentait. Je ne savais pas trop pourquoi, mais c’était toujours comme ça. Les stratégies s’engrenaient dans ma tête et s’appuyaient sur les lois et les vides juridiques que je connaissais par cœur. Elles étaient immuables, et je savais qu’une fois encore, elles ne me trahiraient pas. Même si cette fois, mon client était vraiment en tort. Mais même cette éventualité ne venait pas abattre ma détermination. Ce que Martin et moi savions importait peu, en fin de compte. Ce qui comptait, c’était ce que les jurés et le jugent penseront. Et je n’avais aucun doute quant au fait que la partie adverse n’avait pas assez de preuves pour accabler Martin. J’aurais aimé que mon gamin soit aussi détendu que moi. Hélas, ses craintes semblaient augmenter de façon proportionnelle à mon calme. Pour essayer de le détendre, je me suis rendue chez lui quelques soirs, afin de peaufiner notre stratégie, lui poser des questions tordues pour le préparer à tout. De vérifier que son alibi était bien en place. Malheureusement, nos séances préparatrices ne semblaient pas ôter sa nervosité. La veille du procès, je l’avais appelé pour essayer de le rassurer et lui conseiller de bien dormir. Il avait lâché quelques plaisanteries, mais je ne pouvais pas ignorer l’inquiétude dans sa voix, et ça me serra le cœur. Mais je savais qu’il se sentirait mieux le lendemain. Pas une seule fois je n’ai douté de notre victoire. Merde, c’était ma marque de fabrique. L’avocate imbattable à la barre. Je ne comptais pas que ça change aujourd’hui. Je me suis donc endormie sereine et réveillée en forme.

A 9h40, je suis arrivée au tribunal, parce que j’avais comme une intuition sur la potentielle avance de Martin. Et en effet, cela ne coupa pas. Quand j’ai débarqué, il faisait les cents pas devant le tribunal, la cravate en vrac et la gueule pareille. J’ai secoué la tête avec un soupir et je me suis approché de lui, répétant quelques paroles rassurantes tandis que j’arrangeais le nœud de sa cravate. J’ai passé une main dans ses cheveux pour dompter quelques mèches rebelles et je l’ai serré contre moi pour le rassurer. Quelques instants après, le juge nous a conviés à l’intérieur ainsi que l’avocat de la partie adverse et son représentant. Je leur ai serré la main froidement, me délectant de la nervosité de mon confrère. Le calme est retombé dans la salle, et sur Martin aussi, ce qui me rasséréna encore davantage. Au final, l’audience se passa exactement comme je l’avais envisagé. Le procureur a exposé les chefs d’accusation et nous avons plaidé innocent. S’en est suivi une bataille de soi-disant preuves et de réfutations strictes de ma part. Ensuite, la place fut faite aux témoignages et aux interrogations, avant que le jury ne s’écarte pour délibérer. Leur décision fut rapide, et prévisible. Martin était innocent des crimes dont il était accusé. Un sourire caustique aux lèvres, je suis allée serrer la main de mon confrère, non sans lui signifier au passage qu’il allait bientôt me revoir pour qu’on discute des dommages et intérêts qu’Unilever allait devoir reverser à mon client. Il bougonna qu’on s’entendrait à l’amiable sur cette problématique pour éviter un nouveau procès, ce qui me convenait amplement.

Ensuite, je suis revenue vers Martin, qui s’était rendu auprès du commissaire pour que ce dernier lui ôte enfin son bracelet électronique. Je l’ai remercié d’un signe de tête puis j’ai placé un bras dans le dos de Martin pour l’entraîner vers la sortie. Mon gamin ne se fit pas attendre et il s’élança presque en sautillant. Comme si le bracelet pesait une tonne avait et qu’il était soudain plus léger – ce qui devait être le cas, psychologiquement. Une fois à l’extérieur, il ne se retint pas plus longtemps et s’excita comme un chiot sur sa performance. Moi, je le regardais en avançant, un sourire léger sur mes lèvres. J’avais beau ne pas être surprise, j’étais heureuse de le voir plein de vie et libéré de ses anxiétés.

- T’as été parfait, j’ai dit avec bienveillance. Et je te rejoins sur ce point. La prochaine fois, tu feras plus attention, parce que si je dois revenir te chercher en prison, je te botte les fesses... tu sais que j'en suis capable !

J’ai ajouté avec un sourire taquin. Nous avions dépassé le tribunal depuis longtemps et les jurés comme les représentants de la partie adverse étaient rapidement remontés dans leurs voitures, aussi je savais qu’ils ne surprendraient pas notre échange. Mon sourire s’agrandit alors que Martin se retourna et se mit à marcher en arrière, ayant toujours peine à croire qu’il était libre. Ça me fit rigoler doucement et j’écartai les bras pour le récupérer alors qu’il se jeta littéralement sur moi. Je l’ai serré contre moi, fermant les yeux dans le creux de son épaule tandis qu’il me broyait les côtes. Au bout d’un moment, j’ai laissé échapper un grognement étouffé, parce que je commençais à avoir du mal à respirer. Il daigna enfin me relâcher et j’ai relevé un regard amusé vers lui. Comme il me tenait toujours les épaules, j’ai attrapé son visage entre mes mains et je me suis mise sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur son front.

- Tu as raison, allons fêter ça !

J’ai approuvé avec un hochement de tête. Lors de notre soirée Netflix, nous avions décidé que nous irions à la gay pride lorsqu’il serait libéré. Ça me semblait une idée à la fois amusante et lourde de sens, puisque les gens qui s’y rendaient étaient le plus souvent libres de préjugés. Et quoi de mieux que la gay pride pour mettre un peu de couleur dans nos cœurs, hein ? Sauf que moi, je n’étais pas très colorée, dans mes vêtements de tribunal.

- Mais d’abord, allons-nous changer… parce qu’il est hors de question que je porte ma robe de plaidoirie là-bas ! Les gens penseront que je suis un travesti déguisé.

J’ai dit avec amusement. Puis j’ai conduit Martin jusqu’à ma voiture et je l’y ai fait patienter tandis que je disparaissais dans les toilettes du parking avec un sac de change. Je me suis extirpée de ma toge et de mes talons et j’ai enfilé un jean ainsi qu’un débardeur framboise assez fluide, puis je me suis assise à la place du conducteur et j’ai mis le contact.

- C’est parti ! T’as envie d’aller où d’abord, les concerts ou bien le carnaval ?

Moi, je m’en fichais pas mal, les deux me convenaient. Grâce à une amie, j’avais aussi un pass VIP qui me permettait d’utiliser le parking des artistes et organisateur, et nous éviterait de marcher pendant trois plombes. En plus de nous donner accès à tout le festival.

©junne.

Martin & Jameson

J’ai haussé les sourcils avec amusement et jeté un coup d’œil dans la direction de Martin alors qu’il s’agitait sur son siège, tâchant de prendre une décision quant à notre programme. Apparemment, je lui avais posé une colle parce qu’il avait l’air de sérieusement se torturer avec ça, changeant d’avis toutes les trois secondes. Alors j’ai secoué la tête avec un petit rire amusé et reporté mon attention sur la route. Ma radio s’est mise en marche et Could Have Been Me des Struts s’est lancée alors j’ai augmenté le son, parce que j’adorais les paroles et la mélodie. Et je trouvais qu’elles collaient bien au décor et à l’ambiance. Je décidai volontairement de ne pas intervenir dans le choix de Martin. Pour moi, c’était sa journée. Il venait d’apprendre qu’il ne passerait pas les huit prochaines années derrière les barreaux et j’avais envie qu’il choisisse ce qui lui ferait le plus plaisir. Au final, il a opté pour le carnaval, puis les concerts, alors j’ai hoché la tête avec un sourire.

- Ça me semble parfait. J’ai dit avec un hochement de tête. Comme ça on pourra voir toutes les couleurs du carnaval et ensuite profiter des feux d’artifices avec les concerts.

Et, joignant le geste à la parole, j’ai bifurqué en direction de la gay pride. On roulait depuis quelques minutes lorsque Martin, increvable, décida de reprendre la parole, cette fois pour me proposer de partir en weekend avec lui. J’ai arqué un sourcil et jeté un coup d’œil dans sa direction, mi flattée qu’il pense à moi, mi septique quant à la véritable raison derrière ce weekend improvisé. Il dut lire cette réserve dans mon regard car il s’empressa de m’assurer qu’il n’y aurait pas d’action illégale à la clef. Alors j’ai laissé un sourire découvrir mes dents.

- J’espère bien, oui ! Que la dernière fois t’ai servi de leçon… on enrôle pas une activiste à la retraite sans faire cafouiller la mission…

Les semaines s’étaient écoulées, mais je me sentais toujours responsable de ce qu’il s’était passé l’autre soir. Si je n’avais pas mis autant de temps dans le laboratoire. Si je n’avais pas demandé à Martin de sortir en courant dans le couloir. Si je n’avais pas explosé le crâne du type… Beaucoup de dégâts auraient pu être évités. Y compris l’arrestation de Martin. Je mettais ces erreurs sur mon manque d’entraînement ces dernières années. Certains réflexes restaient, mais le corps ne suivait plus. Je croyais que je commençais à me faire vieille, tout simplement. Et j’étais bien plus efficace derrière un bureau à manier les lois que dans le feu de l’action, une arme à la main. Et pourtant… la sensation n’était pas la même. Arrête tout de suite, Jameson Winters ! Tu es une « mère de famille » respectable et tu ne peux plus te permettre ces conneries. De plus, Phoenix ignorait tout de ce versant de ma vie. Oh, il savait que j’avais eu une période militante un peu rebelle, à brandir des pancartes contre la chasse, puisque c’était ainsi qu’on s’était rencontrés. Mais il ignorait totalement mon passé outlaw et je n’étais pas certaine qu’il apprécie une telle découverte. Heureusement, Martin ne me proposait rien de tout ça. Le gamin avait compris la leçon. Non, ce qu’il voulait, c’était un weekend nature avec Odin, et moi, si je le souhaitais.

- C’est une excellente idée, et ça me ferait très plaisir. J’ai dit avec un sourire. Si tu amènes Odin, je suppose que Freyja est aussi la bienvenue ?

Comme un poste de sécurité approchait, j’ai ouvert la fenêtre côté conducteur et montré mon pass all access au bénévole qui me fit signe d’avancer. Un sourire satisfait aux lèvres, j’ai abandonné les routes bondées pour garer ma voiture sur le parking VIP.

- Tu pensais à quoi exactement ? J’ai demandé à Martin alors que je m’extirpais de l’habitacle. De la randonnée dans un parc naturel ?

Ce genre de vacances, c’étaient celles qui me plaisaient le plus. En revanche, j’avais un doute quant à nos préférences de literie. Bien qu’appréciant occasionnellement le fait de dormir dans une tente (au Canada, principalement), j’aimais aussi mon confort. Ces derniers temps, je m’étais rarement aventurée à réserver autre chose qu’un cinq étoiles. Qui vivra, verra. J'ai songé en remontant mon sac sur mon épaule. J'ai sorti un tube de rouge à lèvres rose antique de mon sac et l'ai tapoté contre les lèvres et sur mes joues, pour me donner un peu de couleurs. Puis je me suis approchée de Martin avec un sourire aux lèvres, le tube toujours dans la main.

- T'en veux un peu, pour avoir l'air plus festif ? J'ai demandé avec amusement.

©junne.

Martin & Jameson

Ça me faisait marrer, de voir la surprise de Martin chaque fois que je donnais un peu dans la luxure. En réalité, je ne réalisais même pas que mon style de vie pouvait surprendre. J’étais partie de rien, et j’étais prête à y revenir de nouveau. Voir même, je m’attendais à tout perdre un jour. Alors je profitais des avantages que ma position m’apportait tant que je pouvais en profiter. Parce que j’estimais que vu le travail que j’accomplissais, je le méritais. Ou quelque chose comme ça. Et comme je n’accordais aucune importance à ces privilèges, je les partageais avec plaisir. Le truc, c’est que pour une raison qui me dépassait totalement, ça mettait certaines personnes mal à l’aise. Phoenix, par exemple, m’avait littéralement interdit de lui acheter un costume pour les soirées guindées où il devait m’accompagner en tant que mon « futur époux ». Une interdiction que je ne comprenais pas, puisque j’avais largement les moyens de lui payer, tandis que lui peinait à nourrir sa fille. Mais je supposais que c’était une histoire de fierté, et je le respectais. De la même façon, j’aimais partir en vacance dans des hôtels luxueux, où des chefs me feraient un repas végan sur mesure et où des esthéticiennes pourraient me faire des massages à la demande. Pour autant, j’avais passé la plupart de ma jeunesse sous une tente, et je reconnaissais qu’il n’y avait pas mieux pour se connecter à la nature. Aussi j’ai hoché la tête, légèrement amusée de constater que Martin me voyait vraiment comme une bourgeoise accrochée à son confort. Puis je me suis rappelée que la première fois qu’il m’avait rencontrée, c’était en situation de survie dans la forêt amazonienne, donc qu’il savait forcément que je n’étais pas aussi précieuse qu'il y paressait, et qu’une fois de plus, il ne faisait que me taquiner.

- Je pense que je survivrai, j’ai répliqué avec un sourire entendu. En plus j’adore ce parc naturel. J’y amène souvent Freyja le weekend, mais je n’y suis jamais restée plus longtemps qu’une journée. Puis j’ai froncé les sourcils, réfléchissant. Vu les températures, ce serait quand même mieux d’amener une tente, au cas où. Tu en as une qu’on pourrait se partager ou il faut que j’en achète ?

Ça ne me dérangeait pas vraiment de me rééquiper façon camping. Après tout, quelque chose me disait que si je voulais partir en vacances avec ma « nouvelle petite famille », je pouvais faire une croix sur les hôtels de luxe. Hey, t’emballes pas, d’ici aux vacances scolaires, la situation de Phoenix se sera surement arrangée et vous n’aurez plus à faire ce jeu de rôle ridicule. Je me suis sèchement rappelée à l’ordre. Pour me changer les idées (il fallait que j’arrête de me torturer avec cette histoire), j’ai décidé de me « refaire une beauté ». J’allais m’attaquer aux jolies lèvres de Martin quand il mit ses mains devant son visage, comme pour se protéger. Une réaction qui m’amusa beaucoup… avant de me surprendre, quand il me lança tout naturellement qu’il était peut-être gay, mais pas une Drag Queen.

- Très bien.

J’ai soupiré, rangeant mon tube de la mort dans mon sac à main. Puis j’ai tendu mon bras à Martin pour l’entraîner vers la rue où se déroulait le carnaval, un peu plus loin. En marchant, je me suis demandée si j’avais déjà vu Martin avec un homme, ou avec une femme. Et je réalisai avec surprise que je n’étais pas certaine de connaître la réponse. Notre amitié était particulière. Je connaissais toutes ses réactions en situation d’urgence, son caractère, ses opinions politiques et son plat préféré. Je lui avais déjà arraché l'épaule, cogné la face, et gueulé dessus plus que nécessaire (et il me rendait bien la pareille). Mais j’ignorais des trucs basiques de sa vie. Comme où il bossait. Qui il fréquentait. Et son orientation sexuelle et romantique. En fait, on avait tout fait à l’envers. Et j’avais un peu envie de remédier à ça.

- Au fait, t’es vraiment gay ? Ou tu dis juste ça pour être dans le contexte ?

J’ai demandé avec un sourire. Je ne voyais pas l’intérêt de tourner autour du pot. Quand je quittai ma toge de plaidoirie, je préférais largement être directe. Surtout avec Martin.

©junne.

Martin & Jameson

Martin haussa les épaules, l’air peu préoccupé par ses préférences. Il m’expliqua aimer le corps des femmes mais trouver l’amour des hommes plus intenses. Dans ma tête, je me suis dit qu’il était peut-être homo-romantique mais bisexuel. Ou un truc dans le genre. J’ai incliné la tête à mon tour.

- Pour une fois, je ne vois pas en quoi ce serait sexiste. J’ai plaisanté avec un sourire. Quand ça touche aux courbes d’un corps et aux sentiments, chacun a ses préférences et c’est tout à fait normal. Moi, par exemple, j’ai beaucoup de mal avec les hommes aux cheveux noirs, poilus, et aux yeux sombres. C’est épidermique, je ne les trouve pas attirants sexuellement. Et je ne sais absolument pas pourquoi.

En fait si, je le savais, mais c’était quelque chose que je ne verbalisais jamais, parce que ça me forcerait à admettre des choses sur mon passé que je préférais enfouir. Dans le fond, le rapprochement était évident et ne demandait même pas de s’y connaître en psychologie. Mon premier petit ami était brun avec des yeux d’un bleu tellement foncé qu’ils semblaient noirs. Et cet enflure n’avait pas vraiment connaissance des mots « consentement » et « respect ». Quand j’étais parvenue à me défaire de son emprise, je n’étais plus la même, et il m’avait fallu des années pour me reconstruire. Sur certains aspects, j’étais encore marquée. Et je me doutais que ça expliquait un peu mon incapacité à construire une relation stable ou à éprouver des sentiments forts pour qui que ce soit. Le fait était que dès qu’un mec qui me faisait plus ou moins penser à lui m’approchait, je sortais les crocs, les griffes et le canif. Et comme je n’avais jamais parlé de ce problème à personne, il ne risquait pas de se résoudre tout seul. Mais en dehors de ces situations précises, je le vivais plutôt bien, alors je ne m’en faisais pas trop. Martin me raconta ensuite qu’il avait déjà eu des relations plus ou moins longues avec des personnes des deux sexes, mais pas grand-chose depuis qu’il était en Australie. Et ça remontait un peu. Cela dit, ce n’était pas moi qui le jugerais, n’étant pas une experte des relations, bien au contraire. Il conclut ensuite, rêveur, que le véritable amour lui tomberait un jour dessus et je me suis mise à sourire en le regardant tendrement. J’avais perdu espoir pour moi, mais je voulais bien croire que lui, ça lui arriverait, de rencontrer quelqu’un comme ça.

- J’en suis sûre, gamin. Et cette personne aura vraiment de la chance. Enfin… la plupart du temps, parce que tu peux quand même être très chiant !

Je l’ai taquiné en enfonçant mon indexe dans ses côtes. Comme ça, pour le faire chier. J’ai d’ailleurs laissé échapper un petit rire tandis qu’il se contorsionnait pour essayer de m’éviter, en vain. Puis il ajouta ne pas vraiment savoir s’il était gay ou hétéro, et ne pas en avoir grand-chose à faire. Quand il me parla de sa famille, je ne parvins pas à savoir si ça l’attristait ou pas, que son frère et sa sœur n’en aient rien à faire. Je décidai de laisser le bénéfice du doute et d’imaginer qu’ils se fichaient de son orientation sexuelle, mais pas du bonheur de Martin.

- Je vois. De toutes les façons, j’ai toujours trouvé ça un peu débile, ces labels. Si je devais essayer de définir ma sexualité avec des termes, je serais hétéro-romantique, pan et demi sexuelle. Et fluide. J’ai haussé les sourcils et laissé échapper un petit rire. Ça fait beaucoup, non ? Alors du coup je préfère ne pas me poser la question. Je sais que j’aime le corps des hommes un peu plus que celui des femmes. Mais je suis plus tendre avec elles, paradoxalement. Peut-être parce que pendant longtemps j’ai eu plus de respect pour les femmes, justement.

J’ai haussé les épaules, le regard fixé sur le carnaval que nous pouvions déjà apercevoir au loin. Autour de nous, des personnes plus ou moins déguisées nous dépassaient afin de pouvoir le rejoindre, et la musique parvenait déjà à nos oreilles.

- Mais je n’ai jamais eu de relations avec des femmes, sur la durée. J’ai eu quelques histoires avec des hommes, qui se sont plutôt mal finies. En fait, la seule qui m’a réellement convenue, ce n’était même pas une relation à proprement parler. Plus un plan cul… qui a duré près de six ans, avec des périodes de pause et d’autres plus actives. J’ai jeté un coup d’œil dans la direction de Martin et un rire nerveux s’échappa de mes lèvres. Tu dois trouver ça bizarre…

©junne.

Martin & Jameson

J’ai laissé échapper un petit rire quand Martin se perdit dans mes dénominations. Il ajouta que ça lui importait peu, mais je ne résistai pas à l’envie d’éclairer sa lanterne. Après tout, je m’étais assez emmerdée à me poser moi-même ce genre de questions pour ne pas être gênée à l’idée de les exposer.

- Ouai, c’est ce que je voulais démontrer. C’est le bordel quand t’essaie d’expliquer tes préférences de ce côté-là. Mais en gros hétéro romantique, ça veut dire que quand je pense à la relation amoureuse parfaite, j’ai tendance à me visualiser avec un homme. Pan-sexuelle, ça veut dire que dans les faits je peux être sexuellement attirée par les hommes comme par les femmes, du moment que j’établis une connexion forte avec elleux. Et demi-sexuelle, ça veut dire que je ne ressens pas l’attraction primaire, seulement l’attraction secondaire. Prends un bel homme, je serais capable de te dire qu’il est beau, mais comme une statue. Et j’aurais pas envie de me taper une statue. Par contre, supposes que cette personne ait une personnalité qui m’attire, je vais brusquement avoir envie d’elle. J’ai incliné la tête de côté, un petit sourire aux lèvres. Ça m’a souvent foutue dans des situations embarrassantes parce que ça me donne potentiellement et subitement envie de tringler des collègues ou des potes après des années de relation platonique.

J’ai enfoncé mes mains dans les poches et marché vers le festival. Je ne savais pas trop si c’était l’atmosphère qui voulait que je m’ouvre autant sur ma sexualité. Ou simplement parce que Martin s’était lui aussi ouvert sur la sienne. Un peu des deux, peut-être. Normalement, ces sujets me mettaient plutôt mal à l’aise. C’était le genre de trucs que je n’arrivais pas à aborder avec tout le monde. Mais Martin m’avait déjà confié son plus grand fantasme et moi mon aventure sexuelle la plus merdique, alors je supposais que ça créait des liens. Je lui ai donc expliqué rapidement mes précédentes relations et parlé de Zekh, un de mes amis les plus proches et aussi mon plan cul le plus régulier, que je venais seulement d’arrêter de voir depuis que j’étais censée être la petite amie fidèle de Phoenix. En en parlant, je me suis dit que ça pouvait sembler étrange, mais Martin me rassura sur ce point. J’ai secoué la tête avec un rire amusé quand il me prévint que plus rien de l’étonnait à mon sujet. Pourtant, je n’essayais pas de le troubler, au contraire. Au final, il décida que le mot « intéressant » lui paraissait plus approprié.

- Intéressant, d’accord. Ça me convient mieux en fin de compte.

J’ai acquiescé avec un sourire entendu. Il en conclu que j’étais bien dans ma peau et je décidai de ne pas relever, parce qu’il était plutôt loin du compte. J’avais plein de blocages à ce niveau-là (merci à ce connard avec qui j’avais découvert la sexualité). Et même si j’avais réussi à résoudre la plupart de mes problèmes avec Zekh, je savais que quelque part, il m’en restait pas mal. Sauf que j’étais pas prête de les travailler, puisque j’avais l’activité sexuelle d’une nonne ces derniers temps. Chose que Martin était bien évidemment loin de pouvoir deviner. Il attira à nouveau mon attention et sa petite bouille malicieuse ne me dit rien qui vaille. Il gonfla le torse et me demanda alors comment je réagirais si j’avais l’occasion d’avoir une nouvelle aventure avec une femme.

- Un plan cul tu veux dire, ou une véritable relation ? J’ai demandé. Puis, me rappelant que ça n’avait aucune importance vu ma situation, j’ai haussé les épaules. C’est pas vraiment comme si je pouvais me poser la question, de toutes les façons. Je ne suis pas censée être en couple libre alors il faudrait que je demande à Phoenix ce qu’il en pense avant toute chose.

Notez le choix du mot « censée » qui pouvait à la fois laisser planer le doute sur la véracité de cette relation, ou tout simplement les termes qui l'encadraient. Bon sang, comme j’aimais jouer avec la langue anglaise. Enfin, sauf quand il s’agissait de berner une des rares personnes en qui j’avais confiance, comme Martin. Mais c’était une autre histoire.

- Phoenix, c’est le nom du grand timide à la chaussure mâchouillée. J’ai expliqué, me rappelant que je ne lui avais jamais dit son nom auparavant. Puis j’ai soupiré et pincé mes lèvres, réfléchissant. Mais s’il n’était pas dans le tableau et que j’étais attirée par la femme en question, je n’hésiterais pas deux secondes avant de coucher avec elle. Une relation, c’est autre chose. C’est pas vraiment mon genre et j’aurais peur de tout foirer, comme à chaque fois. Alors je vois pas trop l'intérêt. Puis, réalisant ma gaffe : Enfin, c'est comme ça que je pensais jusqu’à très récemment, du moins.

J’ai ajouté avec un rire entendu, que j’espérais convainquant. Pour éviter de m’enliser davantage dans les méandres de mes relations fictives et mes fantasmes réels, j’ai décidé de reporter l’attention sur Martin.

- Et toi alors ? Tu m’as dit avoir un coup de cœur pour un ancien patient récemment. Tu aurais envie que ça mène quelque part, si tu en avais l’occasion ?

©junne.

Martin & Jameson

Je crois qu’au final, mon rattrapage était un peu à chier, parce que Martin m’a lancé un regard en coin qui ne me disait rien qui vaille. J’aurais voulu le relancer sur autre chose, mais il fut plus rapide, me demandant si Phoenix était mon premier grand amour. Là, j’ai senti mon cœur battre dans ma poitrine comme s’il cherchait à s’en échapper. Et je savais que c’était pas une réaction suintante de romantisme. C’était juste que moi, j’avais sérieusement envie de mettre les voiles. Parce que je savais pas comment répondre à cette putain de question. Même si je lui sortais la vérité. Et ça me perturbait, d’être paumée à ce point entre les trucs que je ressentais vraiment et ceux que je faisais semblant de ressentir. Alors j’ai pincé les lèvres et pris une inspiration.

- J’ai cru être amoureuse, une fois, avant lui. Mais c’était une illusion.

Je me suis entendue répondre, éludant subtilement sa question. Comme à chaque fois, je ne pouvais lui dire que la vérité. J’avais sincèrement cru que ce que Josh et moi avions, c’était de l’amour. Je m’étais tellement accrochée à cette idée que je m’étais interdit de penser à un avenir possible avec Phoenix. Et je l’avais laissé partir, treize années plus tôt. Malgré la connexion instantanée que nous avions eue. J’avais décidé d’écouter ma raison et d’ignorer mon cœur. Au final, j’ignorais si j’avais pris la bonne ou la mauvaise décision. Mais régulièrement, j’étais hantée par le souvenir de notre aventure, et le poids des « et si ? » qui tournaient en boucle dans ma tête. Martin m’arracha cependant à cette spirale de questionnements existentiels car il me demanda si Phoenix n'était pas boxeur. Je me suis un peu tendue sous l’effet de la surprise et j’ai jeté un coup d’œil dans sa direction.

- Si, comment tu le sais ?

J’ai demandé d’un ton légèrement trop défensif. J’avais beau savoir que Phoenix était plutôt connu en Australie (apparemment), je ne voyais pas trop comment Martin aurait pu faire le rapprochement. Alors il me répondit simplement qu’un de ses patients prenait des cours de self defense chez un ancien boxeur qui répondait à ce nom. Je trouvais que ça faisait quand même peu d’indices, mais Martin ajouta que le gamin l’avait décrit comme un blond plutôt sexy quand il se mettait torse nu. En fonction de ce que j’avais dit à Martin pour mon aversion des bruns, il avait dû faire la déduction. J’ai senti le rose me monter aux joues. J’avais beau ne pas être réellement en couple avec Phoenix, j’avais eu quelques aperçus de sa physionomie et je mentirais si je prétendais que ses muscles n’alimentaient pas mes fantasmes. Mais comme je n’avais pas du tout envie de me l’admettre, ou de laisser mon esprit traîner de ce côté-là, je me suis rapidement reprise.

- Je vois, j’ai dit avec un sourire taquin. Je dois admettre que ça correspond pas mal à sa description.

Puis, sautant sur l’occasion de changer de sujet, j’ai questionné Martin sur son patient. Celui qui lui avait tapé dans l’œil il y a quelques temps. Il m’avoua qu’il aurait adoré construire quelque chose avec lui, mais que malheureusement, le jeune homme avait déménagé à l’autre bout du pays, et que Martin n’avait aucune envie de tenter une relation longue distance. J’ai laissé échapper un petit rire amer.

- Je ne peux pas te blâmer. J’ai testé aussi, et c’est vraiment la merde.

Quoi que sur le moment, j’avais bien aimé ce vent de liberté. La possibilité de vivre ma vie tout en sachant que je pouvais sauter dans un avion pour retrouver les bras d’un homme qui me faisait me sentir bien. Sauf qu’au final il s’était trop attaché, et il avait voulu plus d’engagement de ma part, trop rapidement. Et comme à mon habitude, j’avais paniqué et pris la fuite. Lui, en avait profité pour couper les ponts… et je n’avais plus de nouvelles depuis. Martin continua ensuite, me taquinant sur l’éventuelle possibilité de séduire Phoenix lors d’un rencart. J’ai haussé un sourcil.

- Attention gamin, t’aventures pas trop sur ce terrain-là.

J’ai prévenu d’une voix calme, mais ferme. Et sur le coup, je ne savais pas du tout ce qu’il me prenait, parce que j’étais quasiment certaine de ne pas avoir réfléchit à mon rôle de petite amie avant de montrer les crocs. Et pourtant, je savais que Martin plaisantait. Peut-être que je savais que Phoenix traversait une étape difficile et que j’avais envie de le protéger. Ouai, ça devait être ça. J’ai haussé les épaules et secoué la tête avec un sourire.

- De toutes les façons, je crois qu’il est plutôt du genre hétéro qui ne se pose pas de questions. J’ai ajouté avec amusement. Puis j’ai reporté mon attention sur la pride qui se déroulait maintenant en face de nous. On ferait mieux de te chercher un rencart ici, plutôt. Et, promenant mon regard sur les hommes qui défilaient et regardaient le carnaval, j’ai continué : Je sais déjà que tu les préfères bruns, et de préférence avec un corps sexy… D’autres critères que je devrais prendre en compte avant de lancer le radar ? Je l’ai taquiné avec un sourire.

©junne.

Martin & Jameson

Au début, j’étais plutôt partie pour rigoler un coup, quand Martin me taquina sur un prétendu « cœur dégoulinant d’amour » qui se cacherait sous ma poitrine de femme « fière, forte et indépendante », comme il le disait si bien.

- J’irais pas jusque-là ! J’ai protesté avec un sourire amusé. Mais tu sais gamin, je suis plus toute jeune, et j’ai jamais gardé un homme trop longtemps. Alors forcément, ça me fait quelques expériences. Elles étaient juste… pas très intenses.

Plutôt fades, même. Et j’avais un peu un goût de cendres dans la bouche quand j’y repensais. Martin continua d’ailleurs sur sa lancée, m’avouant qu’il avait du mal à m’imaginer avec qui que ce soit, et mon rire finit par s’étrangler dans ma gorge. Il avait beau me dire de ne pas me vexer, ses remarques touchaient un point sensible. Parce que j’étais parfaitement consciente de cette distance que je mettais avec les autres. C’était une façon de me protéger. Personne ne pouvait me blesser si je ne les laissais pas approcher mon cœur. Et ce dernier était bien entouré d’une haute muraille de glace, que personne n’avais jamais réussi à faire fondre. Une muraille qui était encore bien haute aujourd’hui.

- Tu ne crois pas si bien dire, j’ai dit entre mes dents. C’est le premier reproche que me font les mecs que je fréquente. D’après mes ex, je ne leur ai jamais laissé de chance parce que je les tenais à distance. J’ai soupiré et haussé les épaules. Mais d’un autre côté, ils m’avaient jamais prouvé que je pouvais leur faire confiance non plus, alors je ne vois pas pourquoi j’aurais dû leur ouvrir mon cœur.

Laisser quelqu’un vous toucher, c’était vous rendre vulnérable. Et ça, je n’étais pas prête à le faire. J’avais ce mot en horreur, la vulnérabilité. Le sentiment, c’était pire. Alors après Josh, j’avais pas pu. Je m’étais renfermée comme une huitre, pour être certaine que plus personne ne pourrait m’atteindre comme il l’avait fait. Je savais que quelque part, je passais probablement à côté de quelque chose. Mais pour moi, c’était dérisoire. Parce que je préférais largement la vie de célibataire que j’avais actuellement que celle que j’avais subie avec Joshua. Enfin. La véritable vie de célibataire derrière ma fausse vie de couple. Evidemment. Parce que désormais, Phoenix faisait partie du décor, pour le meilleur et pour le pire. Et cette fière femme indépendante que voilà devait apprendre à faire quelques compromis. Comme croiser un mec tôt le matin dans sa cuisine. Voir ses enceintes abandonner le bon vieux rock pour s’adonner à un rap rythmé de temps à autres. La viande dans le frigo (de loin le pire), ou encore le désordre qu’une gamine de 10 ans révisant ses cours pouvait laisser dans le salon. Et pourtant, je réalisais que j’appréciais leur présence. Ma maison ne me semblait pas aussi vide qu’avant. Elle avait une vie. Notre arrangement était certes un peu étrange, mais c’est ce qui ressemblait le plus à une famille. C’est peut-être pour ça que j’avais réagi aussi brutalement quand Martin m’a taquiné, feignant de s’intéresser à Phoenix. Je ne voulais pas penser à une autre possibilité. Genre, le fait que je commençais sérieusement à avoir le boxeur dans la peau. En fait, c’est quand il s’est défendu en me tapotant l’épaule que j’ai réalisé avoir un peu exagéré.

- Fais gaffe, j’ai plaisanté sur un ton plus aimable. Je t’ai à l’œil.

Puis, pour lui prouver que je n’étais pas de mauvaise foi, je lui ai fait un clin d’œil et j’ai reporté mon attention sur le défilé, dans le but de lui trouver un petit ami qui ne soit pas Phoenix. A la base, c’était plutôt une diversion, mais je devais admettre que je me prenais au jeu. Aussi, quand Martin me demanda si j’étais sérieuse, je me suis contentée de hocher la tête et lui ai demandé de me donner plus de caractéristiques sur le type d’homme qui le faisait fantasmer. J’ai senti mes sourcils se redresser à mesure qu’il m’évoquait l’homme idéal, et un sourire immense étira mes lèvres. Parce que je venais de me raconter une blague à moi-même. Mais je ne pouvais pas la sortir tout de suite, parce que mon cœur se gonfla d’un quelque chose que je n’aurais su expliquer en voyant mon Martin, tout gêné, enfouir ses mains dans ses poches pour tenter de dissimuler son embarras. J’ai vaguement essayé de retenir l’épanchement qui menaçait de sortir, mais quand il est devenu tout rouge, j’ai su que je ne pouvais plus lutter.

- Mhon, t’es vraiment trop mignon !

J’ai dit en passant un bras autour de ses épaules. J’ai ébouriffé ses cheveux et collé un baiser sur sa joue, comme une mère bien chiante. Sachant que j’allais pas avoir de gosses, je me suis dit que j’avais le droit de me comporter comme ça une fois de temps en temps. Je l’ai laissé se débattre un peu, sans pouvoir retenir un petit rire sincère. Puis j’ai décidé d’apporter le coup final :

- Gamin, avoue-le. L’homme de ta vie, c’est Kyte, en fait. Je lui ai foutu un coup de coude dans les côtes, avec un grand sourire à la con sur la face. Grand, brun, de magnifique yeux bleus. Plutôt bien conservé pour son âge. Engagé, végan... Et en plus, ça lui arrive d'être attiré par les hommes ! Puis j’ai incliné la tête, une moue embêtée sur le visage. Mais comme il est pas là, va falloir qu’on trouve autre chose.

J’ai donc repris mon observation, passant au peigne fin les hommes qui nous entouraient. Malheureusement, j’avais peine à repérer le « gendre idéal ». Jusqu’à ce que mon regard se pose sur un grand brun plutôt mince aux yeux clairs et aux cheveux mi-longs. Il avait un style plutôt rock, et je me suis dit que ça ne pouvait que lui faire gagner des points. Alors j’ai tapoté l’épaule de Martin pour lui désigner ma trouvaille du menton.

- Là, je l’ai trouvé. Le type avec le tee-shirt rayé. Maintenant, je te défie d’aller lui parler.

J’ai ponctué ma phrase d’un grand sourire. Cap ou pas cap, c’est un truc que je faisais avec Kyte quand j’étais ado. On avait fait un bon nombre de conneries comme ça. Je crois même que je m’étais faite arrêter, le jour où il m’avait défiée d’aller refaire le portrait façon cubisme d’un mec qui maltraitait son chien dans la rue. Good times...

©junne.