Martin & Jameson

A la base j’avais parlé de Kyte pour taquiner Martin, ne me doutant pas deux secondes du fait qu'il puisse avoir la moindre attirance à son égard. A dire vrai, je ne voyais pas Kyte « comme ça ». J’éprouvais un amour fort pour lui, mais différent. Parce qu’il avait pris un rôle de père dans ma vie, à une époque où j’en avais désespérément besoin. Et à une époque où je ne regardais pas les hommes de cette façon-là, non plus. C’était venu beaucoup plus tard. C’est donc avec en haussant un sourcil intrigué que j’ai vu mon Martin se mettre à bafouiller des trucs sans queue ni tête avant de décider d'opter pour la plaisanterie : il voulait son sosie et rien d’autre. J’ai fait une petite grimace.

- Ça, gamin, ça risque d’être difficile à trouver parce qu’il a quand même une gueule assez spéciale. Vaut mieux qu’on le retrouve tout court. J’ai dit avec un sourire. Et qu’on trouve quelqu’un pour faire l’affaire en attendant.

Je gardais le ton de la plaisanterie. D’une part, parce que je n’avais pas envie de sombrer dans une nouvelle crise de désespoir à me demander où mon mentor pouvait bien se trouver. De l’autre parce que je ne pensais pas sérieusement que Martin ait un crush sur Kyte. Ça me paraissait un peu aberrant. S’il était mon père, il était comme son grand père. Et puis dans tous les cas, ça pouvait sembler étrange, mais je ne voulais pas d’un mec comme Kyte pour Martin. Il était trop… tout. Et pas assez stable. Je me suis donc mise en tête de trouver un autre candidat qui pourrait faire l’affaire. Quand je le vis, je défiai Martin d’aller l’aborder. Ce dernier l’étudia quelques secondes, sembla hésiter, puis accepta de relever mon challenge. J’ai hoché la tête avec un sourire à la fois fier et excité. Parce que j’avais pas joué comme ça depuis des années, et que j’avais l’impression que Robin (ma coach d’amusement) approuverait. J’ai donc regardé Martin remettre fièrement sa veste de costume sur ses épaules et s’avancer vers le bar avant de revenir vers le type pour lui offrir une boisson. Bien joué gamin ! Je l’ai encouragé mentalement. Sauf que l’enflure accepta la boisson et évinça Martin. J’ai froncé les sourcils. C’était nul. Evidemment, il n’était pas obligé de discuter avec quelqu’un s’il n’en avait pas envie. Mais là, c’était juste impoli. Et inutilement dégradant.

- T’as bien fait de lui reprendre la bière !

J’ai encouragé Martin alors qu’il revenait vers moi, le sourire aux lèvres. Il avait l’air de prendre sa « déception amoureuse » bien mieux que moi. Le fait était que je n’aimais pas la méchanceté gratuite. A fortiori lorsque mon gamin en faisait la cible. J’ai donc pris la bière qu’il me tendait et dardé mon regard vers le joli brun qui regardait le carnaval un peu plus loin. Et un bref sourire caustique étira mes lèvres.

- Nan. Je te vengerai avant.

J’ai dit en prenant la bière qu’il me tendait. Et, sans plus attendre, je suis allée droit vers le type. Je l’ai abordé avec un grand sourire, lui demandant s’il était dans un groupe de rock avant de me présenter. Il me répondit en bombant le torse, ravi de m’expliquer que oui, il jouait dans un petit groupe local. Bingo. Evidemment, je n’en avais jamais entendu parler. Mais je feignis de les avoir vu une fois dans un petit club local dont j’avais oublié le nom et qu'il ne manqua d'ailleurs pas de me le rappeler, se gonflant de sa propre importance. Extérieurement, je jouais la femme séduite. Intérieurement, je jubilais : c’était vraiment trop facile. Touchez l’égo d’un connard narcissique et vous l’aurez dans votre poche. Ça, c’était un truc utile que ma relation avec Josh m’avait appris, pour le coup. Comme il était plutôt réceptif, je décidai de devenir un peu tactile, lui proposant de boire dans ma bière tout en plaisantant au passage que je ne devais pas être la première à flirter avec lui. Ce à quoi l’enflure me répondit mot pour mot avec un grand rire : « Non en effet ! Seulement j’aurais aimé que ce soit plus des jolies gonzesses comme toi. Tu peux pas savoir le nombre de tarlouzes qui m’abordent depuis ce matin ! On est pas tous pédés merde ! Moi je viens juste pour les lesbiennes. D’ailleurs, si t’as une copine et qu’elle veut découvrir un homme… » J’ai senti un sourire carnassier étirer mes lèvres. Je crois que quelque part, c’était un peu le signe que j’attendais avant de passer réellement à l’action. La preuve que ce type était une sous merde et mériterait l’humiliation qui allait suivre. Et là non seulement j’avais la preuve que c’était un connard, mais en plus il cumulait le bonus « sexiste » et « homophobe ». J’ai donc repris la bière encore remplie aux trois quarts de ses mains et je la lui ai lentement renversée sur la tête, sans me départir de ce sourire froid. Et comme il entreprit de gueuler en m’insultant, comme la toute petite merde qu’il était, je l'ai crucifié d'un regard j’ai fait claquer ma main sur sa joue avec une force qui le déstabilisa assez pour le faire taire instantanément. De haut en bas. Comme Phoenix m’avait appris treize ans plus tôt.

- Si c’est pour insulter les femmes et les homosexuels, tu ferais mieux de te tirer de ce festival, baltringue.

J’ai dit d’une voix forte, car il fallait bien que les curieux qui cherchaient à comprendre la raison de notre agitation l’entendent. D’ailleurs, ma remarque provoqua une vague de choc dans les rangs, et quelques autres personnes, appuyèrent mes paroles, poussant le type à disparaître dans la foule sans demander son reste. Les poings sur les hanches, je l’ai regardé s'éloigner et suis revenue vers Martin avec la satisfaction d’une tâche accomplie.

- Pas de bière pour moi au final, mais je crois que ça valait le coup.

J’ai dit avec amusement. Ça me faisait du bien de me lâcher un peu avec Martin. Jusqu’alors, il ne m’avait connue qu’en militante concentrée, avocate efficace ou « maman devant Netflix ». Là, pour la première fois, il voyait la Jaimie que j’avais été avant de me ranger. Et moi aussi, d’ailleurs. Parce que ça faisait longtemps que je ne m’autorisais plus ce genre de réactions.

- Prêt pour un nouveau challenge ? J’ai demandé à Martin avec un grand sourire. J’ai regardé autour de nous pour chercher l’inspiration, jusqu’à ce que mes yeux se posent sur le carnaval en lui-même. Je te défie d’aller dans la parade et d’y faire un mini strip-tease. Comme je ne suis pas garce, t’as le droit de garder ton pantalon. Mais la veste et la chemise doivent partir.  

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J’étais un peu surprise que Martin accepte mon défi sans broncher. Peut-être que la bière lui avait donné des ailes. Ou encore, il commençait à se lâcher en ma présence. A me voir autrement que comme sa maman un peu sévère. Je préférais, quelque part. J’ai récupéré son gobelet et je l’ai regardé s’éloigner vers un groupe qui dansait en périphérie du défilé officiel. Et là, il m’a pas mal impressionné, parce que je le trouvais vachement confiant, avec ses mouvements sensuels. Il en profita pour choisir un partenaire et se déshabilla pour lui, sous le regard enjoué de quelques hommes autour. S’il avait voulu trouver un plan cul dans ce groupe, j’étais persuadée que Martin n’aurait pas eu à chercher plus loin. Il se lança d’ailleurs dans une danse assez torride avec l’homme qu’il avait choisi et termina en l’embrassant avec passion. C’était étonnant, de voir ça, parce que je n’aurais jamais imaginé Martin dans un contexte de séduction. Encore moins avec un homme. Et je trouvais ça marrant de le voir se lâcher totalement. Quand il est revenu vers moi, j’ai applaudi, un grand sourire aux lèvres.

- C’était grandiose.

J’ai approuvé avec un signe de tête tandis qu’il se rhabillait, visiblement fier de son coup. Il n’attendit pas une seconde de plus pour me lancer un nouveau défi. Son regard s’arrêta sur un groupe de jeunes femmes plus belles les unes que les autres. Il me demanda de les rejoindre et d’embrasser la rousse. Un vrai baiser sensuel. J’ai pincé les lèvres en la regardant. Dans le fond, ça ne me posait aucun problème d’aller goûter aux lèvres pulpeuses de la superbe jeune femme. J’avais moins de mal à être tactile et tendre avec les femmes qu’avec les hommes. En revanche, j’étais censée être en couple. Et j’étais pas certaine que ce genre de trucs ne soit pas considéré comme « tromper ».

- Tu fais chier, gamin.

J’ai soupiré en secouant la tête. Je l’ai regardé, puis j’ai regardé la rousse à nouveau. Oh et puis merde ! Je ne suis pas réellement en couple avec Phoenix, donc je ne trompe personne. J’étais aussi persuadée que Martin ne rencontrerait jamais mon boxeur, et que par conséquent, personne ne pourrait corroborer cette petite aventure lesbienne sur le coup d’un pari.

- Bon, tiens moi ça.

Je lui ai rendu nos deux bières vides et me suis approchée du groupe de femmes. Pour ne pas perdre de temps, je suis allée directement vers la rousse. J’ai complimenté sa superbe chevelure et sa peau pâle, qui me rappelaient l’Irlande. Pour marquer le coup, j’ai forcé mon accent Leprechaun. J’avait remarqué que ça me donnait souvent des points, pour draguer. Et sur ce coup, j’avais un peu de chance, parce que ma jolie rousse semblait plutôt ouverte à la gente féminine. Elle complimenta ma poitrine (ce qui, étrangement, me dérangeait vachement moins lorsque ça venait d’une femme que d’un homme) et j’en a profité pour me pencher à son oreille pour lui expliquer que mon pote m’avait donné le pari de l’embrasser, et que ça tombait bien, parce que j’en avais franchement envie. Je savais pas draguer subtilement. Le flirt, c’était une zone d’ombre pour moi. Quand je voulais quelqu’un, je demandais cash. Souvent, ça fonctionnait. Aujourd’hui aussi. Elle rejeta sa tête en arrière et un rire cristallin s’échappa de ses lèvres. Puis elle a attrapé mon visage et déposé un baiser sur ma bouche. Ses lèvres étaient douces, contre les miennes. Je lui ai rendu son baiser, remontant une main le long de sa nuque tandis que l’autre se logeait dans le creux de sa hanche. Puis je me suis écartée, plantant mon regard dans le sien. Comme elle ne fit pas le moindre geste pour s’écarter, je l’ai embrassée de nouveau, écartant ses lèvres du bout de ma langue, jusqu’à m’y engouffrer, traquant la sienne. Elles ont dansé un long moment, l’une avec l’autre, tandis que son corps se pressait contre le mien. Après, je me suis écartée, et j’ai caressé sa joue avec un sourire. Elle serra ma main dans la sienne et j’ai quitté leur groupe avec un clin d’œil, avant de revenir vers Martin.

- Défit relevé. J’ai marmonné, sans pouvoir m’empêcher de sourire pour autant. Bon sang, qu’elle était sexy. Content ?

J’ai secoué la tête et j’ai entraîné Martin vers le bar, sortant un billet de ma poche pour nous commander deux nouvelles pintes. J’ai pris ma bière et bu quelques gorgées, sondant a foule à la recherche du prochain pari que j’allais donner à Martin. Puis finalement, j’ai décidé de lui laisser plus de liberté. J’ai senti un sourire étirer mes lèvres alors que je reposais mon regard sur lui.

- Ok, les règles sont simples. Tu as dix minutes. Tu vas où tu veux, tu fais ce que tu veux, mais tu reviens avec le numéro de téléphone d’un mec ou d’une nana qui te plait. D’accord ?
        

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Avant même de se lancer dans la mission que je lui avais confié, Martin renchérit à nouveau, me défiant cette fois de revenir avec trois numéros de téléphones et des « selfies » en tant que preuves. J’ai froncé les sourcils et ouvert la bouche pour protester, mais ce sale môme s’éloignait déjà, bravant la foule avec autant de détermination qu’un hobbit prêt à détruire un anneau magique au Mordor. Enfin, je croyais, parce que je n’avais toujours pas vu ce film supposé être culte. Passons. J’ai croisé les bras et secoué la tête avec un soupir, regardant vaguement la foule des gens qui défilaient ou discutaient autour de moi. Je n’avais aucune envie de relever son défi. J’étais censée être en couple, merde ! Aller embrasser une jolie rousse, ça passait encore, parce que c’était un évènement isolé. Mais courir après plusieurs personnes et décrocher leur numéros de téléphone, ça poussait le truc trop loin, je trouvais. Le rendait beaucoup plus visible. Et pour couronner le tout, je n’avais pas la moindre foutue idée de ce qu’était une putain de « selfie ». J’ai levé les yeux au ciel, aussi amusée qu’irritée. Les jeunes et leur vocabulaire incompréhensible.

J’ai tranquillement fini ma bière, travaillant sur une attitude hostile pour tenir à distance d’éventuels dragueurs. Malheureusement ça ne suffisait pas vraiment. L’alcool, la chaleur, l’ambiance festive… tout était réuni pour que des mecs bien lourds décrètent le moment comme opportun pour aller draguer une nana. Au final, j’aurais pu avoir des numéros de téléphone facilement, si j’étais rentrée dans leur jeu. Mais c’était plus fort que moi. Je détestais me faire aborder de la sorte. Alors je les évinçais de mon attitude glaciale. Ce qui me surprit un peu, c’était que deux de mes « prétendants » me proposèrent, l’air de rien, de devenir mon esclave. Je me suis demandé si ça se lisait sur mon visage, que j’aimais bien dominer au lit, ou si c’était un pur hasard. Au final, j’ai décidé que je j’en avais rien à foutre, et je me suis tournée vers le bar pour commander un whisky - puis un deuxième. Je me suis dit qu’il me faudrait au moins ça, pour supporter ces rencontres en attendant le retour de Martin. Ce petit emplafré se faisait bien attendre, d’ailleurs. J’ai jeté un coup d’œil à mon téléphone portable et pour constater que ça faisait au moins un quart d’heure que mon gamin avait disparu en quête de l’âme sœur. Mais qu’est-ce qu’il fou, bordel ? Je commençais à me demander s’il ne s’était pas perdu, fait kidnapper, ou s’il n’avait pas tout simplement fui avec le futur homme de sa vie, quand je le vit apparaître devant moi.

- T’en as mis un temps !

J’ai protesté tout en m’écartant pour lui faire une place à mes côtés contre le bar. Il s’excusa et m’expliqua avoir parlé avec un type qui semblait cumuler tous les malheurs du monde (et je me suis demandée où il avait été le trouver). L’histoire me fit un pincement au cœur – surtout le coup du chien - et j’ai hoché la tête, compréhensive. J’étais prête à lui dire que dans ce contexte, je comprenais qu’il n’ait pas pu accomplir sa mission, ce qui m’aurait permis de lui avouer que j’avais pas été meilleure de mon côté. Sauf qu’à ma grande surprise, Martin sortit un bout de papier de sa poche et me l’agita sous le nez. J’en revenais pas. Je savais pas si j’admirais sa détermination ou si je trouvais ça franchement limite, qu’il ait quand même cherché à séduire un mec dans un tel état de détresse mentale.

- T’es pas croyable ! J’ai dit, sans trop savoir si j’étais plus impressionnée ou désapprobatrice. Vu ce que ce pauvre gars vient d’endurer, t’as quand même pas mal intérêt à l’appeler après ça…

Il me demanda ensuite si j’avais accompli ma mission et je lui ai lancé un regard blasé, haussant les sourcils avant de me réfugier dans mon whisky. J’ai terminé mon verre (le deuxième) d’une traite avant de le faire glisser sur le bar, puis j’ai fait signe au barman de m’en resservir un.

- Si la mission était de parvenir à évincer rapidement quelques mecs sans leur refaire le portrait alors ouai, j'ai réussi. J’ai répondu en me retournant vers Martin. La drague, c’est vraiment pas mon truc. J’irais même jusqu’à dire que ça m’emmerde profondément. En plus, je suis pas sûre que ce soit hyper fair-play pour le mec qui m’attend à la maison.

J'ai expliqué, sautant sur l'excuse. Après tout, la situation avec Phoenix était assez pesante pour que je ne puisse pas en profiter de temps en temps à mon avantage, non ? J’ai donc haussé les épaules et prit une gorgée de mon nouveau verre. J’étais encore parfaitement sobre, et j’avais un peu envie de disparaître dans la brume rassurante de mon whisky, même si je ne savais pas trop pourquoi.

- Donc je suppose que tu as gagné. J’ai conclu avec un sourire. Tu veux boire quelque chose et profiter encore un peu du carnaval, ou t’as envie qu’on aille vers le festival pour les concerts ?
        

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La réaction de Martin me fit sourire. Je trouvais ça marrant, qu’il me répète souvent que si je n’existais pas, il faudrait m’inventer. Ça me faisait me sentir spéciale, quelque part. Et ce n’était pas un sentiment que je ressentais habituellement. Bien sûr, je savais que dans mon job, j’avais une grande utilité pour faire avancer la condition animale et protéger l’environnement. Mais à titre personnel, je n’avais pas grand monde qui tenait à moi. Ou le sentiment que je manquerais à leur vie s’il m’arrivait quelque chose. Kyte disparaissait toujours pendant des mois ou des années, et quand on se voyait, on ne parlait plus trop à cœur ouvert, ces dernières années. Blythe, je savais que j’avais son affection et sa loyauté, mais elle n’était pas vraiment du genre à les exprimer. Alors Martin… il me faisait du bien. Il faisait du bien à tout le monde, d’ailleurs. C’était le genre de mec à détendre l’ambiance en plein milieu d’une mission grâce à ses réflexions (qu’il le veuille ou non). Et là, de l’entendre me dire qu’il venait de proposer un road trip au pauvre garçon qu’il venait de rencontrer, rien que pour lui changer les idées, ça ne faisait que confirmer ce que je pensais déjà. J’ai senti un sourire tendre (et un peu fier), étirer mes lèvres et je lui ai (maternellement) caressé la joue.

- T’es vraiment un mec bien, j’ai dit avec un hochement de tête. Peu importe si tu l’as dragué ou pas. T’as son numéro et c’était le deal, alors t’as gagné. Puis, mon sourire s’est fait quelque peu malicieux. En plus, je voulais surtout que tu rencontres une nouvelle personne, et sur ce point de vue-là, on peut dire que la mission a été un véritable succès.

Et plus encore, puisqu’ils avaient d’ores et déjà un programme très agréable pour se revoir. J’espérais qu’il s’agisse d’une belle rencontre. Que l’oisillon perdu s’avère être un homme bien avec qui Martin pourrait construire une belle amitié, ou plus si affinité. J’ai donc haussé les sourcils et levé mon verre comme pour trinquer à ce joli résultat et je l'ai porté à mes lèvres. L’alcool avait déjà réduit la sensibilité de mes muqueuses et je ne sentais plus la brûlure du whisky. Ce qui signifiait que je n’allais pas tarder à devenir guillerette, d’après ma propre échelle d’appréciation. Mais pour l’instant, j’étais encore douloureusement sobre. Je n’étais donc pas contre l’idée de boire un peu plus avant d’aller faire la fête.

- Ça me va, j’ai répondu joyeusement. Puis, voyant qu’on buvait tous les deux la même chose, j’ai sorti un billet de ma poche et fait signe au barman. Eh, tu veux pas plutôt nous vendre la bouteille, ça t’évitera de devoir gérer nos verres toutes les cinq minutes. Puis, comme il hésitait, j’ai ajouté : je te l’achète au double de son prix et tu gardes la différence pour toi.

Ce coup marchait à chaque fois, alors je ne fus pas surprise de le voir disparaître derrière le bar pour nous filer une bouteille de Sullivans Cove emballée dans du papier kraft. Il nous demanda de nous éloigner un peu, pour protéger ses arrières, je supposais. J’ai donc attrapé la bouteille et fait signe à Martin de me suivre. On a marché quelques mètres, bravant la foule, jusqu’à atteindre une petite colline de verdure où plusieurs groupes étaient déjà installés pour boire et parler. C’était parfait, de là, nous pourrions boire et discuter tranquillement tout en profitant de la vue du carnaval. J’ai posé mes fesses à même le sol et tendu la bouteille à Martin avec un sourire. Ce dernier la prit et, à ma grande surprise, me demanda de lui parler de Phoenix. Merde, cette histoire le travaillait sérieusement. Pour m’aiguiller, il ajouta qu’il voulait en savoir plus sur son caractère et me demanda s’il devait s’inquiéter pour moi ou pas. Un instant, je me suis demandée si sa question avait un rapport avec ma consommation d’alcool, et j’avais envie de le rassurer en lui expliquant que ça faisait une dizaine d’années que je buvais comme un trou, mais j’avais peur que ce soit encore plus louche. Alors au lieu de ça, j’ai lâché un soupir et j'ai repris le whisky de ses mains. Le temps de réfléchir. Parce que quand on me demandait de parler de Phoenix, j’aurais pu vous le faire pendant des heures. Seulement, l’homme que j’aurais décrit était celui que j’avais connu treize ans plus tôt. Car j’ignorais presque tout de celui qu’il était devenu. Cette pensée me noua la gorge, et je décidai de la desserrer avec une nouvelle lichette de liqueur.

- Non, clairement tu n’as pas à t’inquiéter, gamin. Je l’ai rassuré avec un sourire chaleureux. C’est un homme droit, loyal et courageux. Comme on en trouve plus vraiment. J’ai secoué la tête avec un petit rire, une lueur amusée dans le regard. C’est pas pour rien que je l’appelais « prince charmant » quand je l’ai rencontré, il y a une dizaine d’années.

Bon, de nos jours le surnom était moins évident, mais je savais qu’il avait encore cette âme chevaleresque, quelque part, sous les cendres. C’était pas un truc que la vie pouvait vous prendre.

- Il est plutôt discret, facile à vivre. Mais à côté de ça, il n’hésite pas à s’imposer quand il le faut. Freyja l’adore et il le lui rend bien. Bon, après il est carniste. Personne n’est parfait…

Mes lèvres esquissèrent un léger rictus et j’ai pris une nouvelle gorgée de mon breuvage. La viande dans le frigo, ça me hérissait sévère. L’odeur quand il la cuisinait, pareil. Mais je perdais pas espoir qu’il perde cette fâcheuse habitude…
        

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Le truc qui avait l’air de surprendre Martin, dans cette histoire, c’était que je sois capable d’être en couple avec un type qui mangeait de la viande. J’ai haussé les sourcils et un rire franc s’échappa de mes lèvres alors que je reprenais une gorgée de mon whisky.

- Honnêtement, ça me surprend autant que toi. Je ne dirais pas que c’est la situation idéale, et je t’avoue que j’évite de lui rouler une pelle juste après un repas… J’ai dit avec un demi-sourire. Mais tu sais gamin, les hommes vraiment bien, ça ne court pas les rues. Et faut avouer que je suis particulièrement difficile en la matière, plus toute jeune, ni spécialement jolie ou facile à vivre. Alors quand Phoenix a débarqué sur le pas de ma porte, j’allais pas lui cracher dessus parce qu’il a pas encore compris qu’il peut se passer de son steak. J’ai pris une nouvelle gorgée de whisky. Je ne suis pas née végane et toi non plus. Alors je ne perds pas espoir de voir Phoenix le devenir à son tour.

J’ai ajouté avec un clin d’œil tout en rendant la bouteille à Martin. J’avais beau ne pas réellement être en couple avec Phoenix, nous avions tout de même une certaine intimité (feinte) et une proximité réelle. Sentir la viande cuire dans ma cuisine me rendait physiquement malade, mais j’essayais de ne pas trop le montrer, pour ne pas le braquer. Alors j’œuvrais plus en fourbe, en cuisinant des petits plats véganes pour lui et sa fille, soulignant les bénéfices d’une alimentation végétale sur la santé, l’environnement et les animaux. Je sentais qu’il était ouvert à l’idée, mais que ça n’avait pas encore germé dans son esprit. Mais je l’aurai à l’usure, j’en étais certaine. Après tout, j’avais un don pour l’argumentation, ou je n’en aurais pas fait mon métier !

Martin décida finalement que ça ne l’intéressait plus et me questionna brutalement sur la musique. J’ai haussé les sourcils, amusée par ce revirement et j’ai hoché la tête quand il me demanda si je n’étais pas plutôt du genre rock. Il a enchaîné directement en me parlant de musique mainstream et d’électro et j’ai à nouveau opiné. En revanche, quand il m’a demandé si je jouais d'un instrument, j’ai secoué négativement la tête.

- Nan, on peut pas vraiment dire ça. Je dois connaître trois accord de House Of The Rising Sun à la guitare et l’intro de Nothing Else Matters. Mais même quand je m’y essaie, c’est difficile de les reconnaître.

J’ai plaisanté avec un petit rire. J’aurais adoré être douée en musique, parce que ça me transportait vraiment. C’était Zekh qui m’avait appris, un jour où j’étais restée à traîner chez lui après nos ébats. J’avais pas trop osé toucher à sa guitare, au début, honteuse d’être aussi nulle face à un musicien accomplit. C’était tout moi, je ne supportais pas de ne pas savoir faire quelque chose. Au final, je m’étais prise au jeu et on avait chanté ensemble sur ces deux chansons. Mais ça remontait à des années plus tôt et je n’avais pas gratté de cordes depuis. Clairement, Martin avait les mêmes « prédispositions » que sa mère (moi, donc), puisque sa tentative au violon s’était soldée par une menace de mort de la part de son frère. J’ai éclaté de rire à sa remarque. Autant parce que je le trouvais vraiment drôle que parce que je réalisais qu’il devenait franchement ivre. C’était probablement ce qui le poussait à parler autant, d’ailleurs. J’ai pris la bouteille de whisky (pour le rattraper un peu), mais je commençais à peine à me sentir plus « libérée » et guillerette. Le sourire de Martin s’est effacé lorsqu’il me parla de son père et j’ai légèrement froncé les sourcils. J’oubliais parfois qu’il avait perdu ses parents dans un terrible accident. Pour lui qui les aimait, ce devait être une expérience traumatisante et ça avait dû laisser ses marques en, quelque part. J’ai posé ma main sur son épaule, mais il s’est rapidement repris alors j’ai hoché et la tête et lui ai rendu la bouteille.

- Qu’ils soient cool ou pas, je peux t’assurer que tu vas t’éclater sur tous les concerts. Une intuition...

J’ai plaisanté avec amusement. Rapport à sa consommation d’alcool et son état d’ébriété. Je me demandais s’il allait nous refaire un strip-tease ou s’il se contenterait de hurler des paroles sans queue ni tête sur les chansons. Impossible de savoir, je ne l’avais jamais vu autrement que sobre, puisqu’il m’avait empêchée de me mettre une mine lors de nos soirées Netflix, et que le reste du temps, nous nous voyions en mission. Quelque part, j’avais hâte. J’ai repris la bouteille et pris une gorgée. Après le jeu des défis, je décidai inconsciemment de passer à celui des vérités. Probablement parce que Martin m’avait posé bien trop de questions sur Phoenix et que je souhaitais me venger.

- Dis gamin, Il est comment pour toi l’homme idéal ? Ou la femme, d’ailleurs... Il y a des caractéristiques qui te font particulièrement fantasmer ou que tu recherches chez quelqu’un ?

Je voulais un peu lui changer les idées, aussi. Parce que j’avais l’impression que sa mine s’était assombrie.
        

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Comme en attestait sa réponse, Martin était totalement à côté de ses pompes. Et moi, ça me faisait bien rire sous cape, de le voir reprendre très sérieusement qu’il savait s’amuser partout où il allait, sauf en tribunal. Mais quelque part, je lui admirais un peu sa joie de vivre. J’étais pas le genre de nana qui passait son temps à se fendre la pomme. Même quand j’étais ado. Je m’étais toujours pris la tête pour tout un tas de trucs. Les moments où j’avais été réellement insouciante se comptaient sur les doigts d’une main. Mon enfance dans la banlieue de Dublin, à courir dans les dunes et les docks avec Kylian. Mes excursions dans les rocheuses Canadiennes, seule ou en compagnie de ma grand-mère amérindienne. Mon road trip avec Phoenix, treize années plus tôt. C’était un peu triste, je trouvais, parce qu’il s’agissait aussi des rares périodes de ma vie où j’avais été foncièrement heureuse. Pas que j’étais malheureuse le reste du temps, mais juste plus… sérieuse. Rangée. Dure. Froide.

Comme je n’avais pas envie de m’éterniser là-dessus, j’ai relancé Martin sur l’homme de ses rêves, parce que ça m’intéressait pas mal de savoir quels traits de personnalité l’attiraient. Je notai au passage qu’il ne me parla pas de femme, je supposai donc que quelque part, il était plutôt gay avec une tendance hétéro que l’inverse. Ou peut-être juste aujourd’hui – passons. Il commença à énumérer les traits, et ça m’étonna un peu de voir qu’il cherchait avant tout une personne pour le calmer. Un homme compréhensif qui respecterait ses principes. Au final, l’homme de sa vie, c’était pas Kyte du tout, pour le coup. Mais je décidai de ne pas en faire la remarque. Martin finit par avouer que lui aussi pourrait être avec un carniste du moment qu’il n’aurait pas à cuisiner son steak.

- Exactement !

J’ai approuvé avec un petit rire. Enfin, il décida qu’il voulait aussi un peu un rebelle, contre le système, spontané et actif. En effet, je le voyais difficilement avec quelqu’un d’oisif.

- De toutes les façons, pour te supporter au quotidien, faut avoir un minimum d’énergie.

Je l’ai taquiné en lui donnant un petit coup dans le coude. J’ai attrapé la bouteille que Martin me tendait et j’ai pris une longue gorgée pour l’alléger. Puis je l’ai refermée et foutue dans mon sac avant de me relever.

- Allez viens, je t’emmène aux concerts tant que tu peux encore marcher.

J’ai plaisanté avec un sourire amusé. Je me suis penchée vers Martin et j’ai attrapé ses mains, le tirant pour l’aider à se remettre sur ses pattes. Il tanguait un peu, mais j’estimais qu’il n’était pas assez bourré pour ne pas pouvoir marcher jusqu’aux concerts. Et là-bas, il finirait bien par dessaouler. Non ? Qu’importait, nous verrions bien. Bras dessus, bras dessous (pour l’équilibre), je l’ai entraîné vers la partie concert du festival. Vu la musique qui s’en échappait déjà, nous ne pouvions pas la louper. J’ai senti mon cœur s’emporter joyeusement en reconnaissant un groupe que j’aimais bien et dont je connaissais quelques chansons. J’ai embarqué Martin avec un peu plus d’entrain et me suis frayé un chemin dans la fosse. Le soleil se couchait derrière les scènes, et c’était absolument magnifique. J’ai profité de quelques chansons, avec mes poumons qui s’emplissaient de l’air frais de la nuit, et mon âme de musique, puis je me suis tournée vers Martin, un sourire malicieux aux lèvres.

- Gamin, t’as déjà fait un crowd surfing ?

Ouai, c’était un défi. Le nouveau morceau bougeait pas mal et les gens s’agitaient partout autour de nous. Du menton, j’ai désigné deux types assez costauds à quelques mètres sur notre droite, qui avaient déjà balancé un mec sur la foule quelques secondes plus tôt. Pour ma part, je faisais souvent ça quand j’étais ado. C’était Kyte, la plupart du temps, qui me balançait sur les autres. J’aimais bien (sauf les mains baladeuses des mecs dans la fosse). Mais je n’avais pas fait un truc aussi con ni aussi marrant depuis une éternité. Et je comptais bien m’octroyer une seconde de fun grâce à l’aide de ces deux types aux épaules bien carrées. J’ai donc sorti ma bouteille de whisky et j’en ai pris une longue gorgée avant de la tendre à Martin.

- Tu prends des forces et on se lance tous les deux. Si on demande à ces mecs là, ils nous feront la courte échelle pour nous jeter sur les autres.

        

©junne.

Code by Sleepy

Martin & Jameson

Aussitôt dit, aussitôt fait. Martin et moi nous sommes élancés vers les deux hommes un peu plus loin. Sans grande surprise, mon gamin s’est tout naturellement dirigé vers le brun, tandis que j’ai porté mon dévolu sur le blond. Il était pas mal, avec sa grosse barbe de hipster et sa chemise à carreaux, mais sur le coup, je n’y ai pas vraiment fait attention. Il fallait croire que ça cramait mon radar, de feindre la relation stable avec un homme, parce que depuis que je jouais à ce jeu avec Phoenix, je ne regardais plus personne. Le grand blond s’est mis à genoux pour que je grimpe sur ses épaules et il s’est redressé. Un court instant, j’ai eu une pensée émue pour ses cuisses et ses fessiers, parce que je n’étais pas vraiment hyper légère. Mais il n’avait pas l’air de s’en plaindre. Voir même, il ne m’a pas lâchée tout de suite, alors j’ai pu profiter un instant du morceau depuis mon perchoir. C’était plutôt sympa. Et ça, pour le coup, je ne l’avais jamais fait. Cependant, je commençai à être un peu mal à l’aise quand le blondinet, visiblement ravi d’avoir une nana sur ses épaules, commença à devenir légèrement trop familier en me caressant les cuisses. Aussi, j’étais ravie que Martin finisse par grimper sur les épaules de son pote et me demande si j’étais prête.

- Plus que jamais !

J’ai dit un peu rapidement. J’ai tapoté sur le crâne de mon porteur et me suis penchée pour lui expliquer qu’il allait falloir qu’il me lâche, maintenant. Il le fit avec un grand sourire aux lèvres, et je me suis laissée tomber sur la foule en délire. Rapidement, des mains agrippèrent mes hanches, mes bras et mes jambes pour me soutenir et me faire avancer vers la scène. Moi, je sentais l’adrénaline et l’excitation monter dans ma gorge, exactement comme lorsque j’étais ado. J’ai repéré Martin à côté de moi et je suis parvenue à lui attraper la main pendant un moment, mais la foule nous a bientôt séparés et nous sommes partis dans deux directions totalement différentes. Sur le coup, je n’en avais pas grand-chose à faire. Tout ce qui comptait était l’instant présent. Les lumières, la musique, le soleil qui se couchait derrière les scènes, les hurlements de la foule qui se mêlaient à mes cris de joie. Mon cœur qui tambourinait dans ma poitrine. Mon corps qui sautait et replongeait parmi la foule tel une barque secouée par les vagues. Putain, comme l’action me manquait. L’insouciance. Je m’étais créé une vie bien trop sérieuse pour moi-même. Et j’avais ces moments, comme maintenant, où je demandais ce que je pouvais bien y foutre. La foule a fini par m’emporter sur le devant de la scène, et un type de la sécurité est monté devant les barrières pour me rattraper au vol. Le pauvre avait l’air beaucoup moins excité que moi, alors je l’ai remercié d’un sourire poli. Ensuite, j’ai profité de me retrouver sur le devant pour chercher Martin, mais je ne parvenais pas à le voir. Le mec de la sécurité m’a aboyé de dégager, mais je lui ai montré mon pass all access, aussi il n’eut d’autre choix que de me lâcher la grappe. J’ai donc profité de mon accès VIP pour me rendre backstage et grimper sur le côté de la scène. De là, je pouvais prendre plus de hauteur. Une main en visière devant mes yeux, j’ai fini par apercevoir Martin un peu plus loin, en compagnie d’un groupe que je n’avais jamais vu. Des amis à lui, peut-être ? Apparemment non, car ils s’éloignèrent, le laissant seul.

- MARTIN !

J’ai crié en sautant de la scène, sous le regard horrifié du responsable de la sécurité. Il se tourna dans ma direction, mais comme il ne me voyait pas, j’ai levé la main pour lui faire signe, trottant vers lui. Lui, il me regardait béatement, un sourire absent sur les lèvres. Je ne savais pas s’il en avait conscience, mais il était bourré comme un coin. Et ça me faisait pas mal marrer (surtout maintenant que je l’avais retrouvé). Il a passé un bras autour de mes épaules, et moi j’ai attrapé sa taille, autant parce que dans l’euphorie du moment, je n’avais rien contre un contact physique que pour le retenir. Parce qu’il avait quand même l’air pas mal bancal.

- T’es sûr que tu veux pas aller t’assoir cinq minutes plutôt ?

J’ai proposé avec un sourire (très légèrement moqueur) sur le coin des lèvres. Qui ne tentait rien n’avait rien. Personnellement, j’aurais pu profiter des concerts un long moment encore, mais j’avais un peu peur de perdre à nouveau Martin dans la foule. Et vu l’état dans lequel il était, je ne comptais pas le perdre des yeux.

- Tiens, on pourrait aller faire un tour dans la grande roue, comme ça on profitera des concerts, du festival et du carnaval tout en même temps avec un point de vue en hauteur. En plus, ça devrait bientôt être l’heure des feux d’artifices. T’en dis quoi ?
        

©junne.

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Martin & Jameson

Un bref sourire étira mes lèvres lorsque Martin accepta de grimper sur la grande roue. Bien. Assis en hauteur, il aurait largement le temps de dessaouler et moi je pourrai profiter un peu du festival sans devoir me demander où il était et s’il était encore en vie. Je l’ai donc suivi vers le guichet, ricanant sous cape en le voyant tanguer. Le pauvre bougre était totalement ravagé. Moi, je savais que j’étais bourrée. Mais disons que je gardais un certain contrôle sur la situation. Sur mon corps, aussi. Je ne me laissais jamais aller totalement. Ramenez ça au sang Irlandais qui coulait dans mes veines, ou peut-être à ma consommation excessive de whisky, plutôt. Arrivés aux pieds de la grande roue, j’ai acheté deux billets et j’en ai tendu un à Martin. L’idée de payer ne lui traversa même pas l’esprit. Et moi, je ne savais pas trop si c’était juste parce qu’il était défoncé ou parce qu’il me considérait tellement comme sa mère qu’il trouvait ça normal que je dégaine la carte bleue partout où nous allions. Dans tous les cas, ça ne me dérangeait pas. Je préférais même plutôt ça que d’être en compagnie d’un mec qui refusait de me laisser payer. Ça hérissait franchement la féministe indépendante en moi.

J’ai suivi l’employé du festival et me suis installée dans la nacelle, Martin en face de moi. Et là, ce fut le drame. Un instant, il était sagement assis, les mains sur ses genoux, souriant à la cantonade. Et l’instant suivant, il se contorsionnait dans tous les sens, paniquant à haute voix. Le problème, c’était que la roue s’était déjà lancée, et nous commencions à prendre de la hauteur. J’ai froncé les sourcils et me suis redressée pour le décrocher à la barrière et le forcer à rester en place. Déjà qu’il n’était pas stable sur ses pattes…

- Hey, calmes-toi, j’ai dit d’une voix légèrement inquiète. Qu’est-ce qui t'arrive, gamin ?

Et là, il tourna sa gueule d’ange insupportable vers moi et, avec un de ces sourires à la con dont il avait le secret, m’avoua qu’il avait horriblement le vertige et qu’il détestait les grandes roues. Bordel de merde. J’allais lui demander pourquoi il avait jugé intelligent d’accepter ma proposition avec enthousiasme quand il me devança, avouant qu’il n’en avait pas la moindre foutue idée.

- T’es pas croyable. J’ai soupiré en secouant la tête, un sourire au coin des lèvres. Restes donc en place et arrête de t’agiter, parce que sinon tu vas faire bouger la nacelle et paniquer encore plus.

Je lui ai donc conseillé. J’hésitais un peu entre hurler de rire et m’énerver. Gueuler aux mecs d’arrêter la roue pour sauver Martin, ou me foutre de sa gueule pour être aussi flippé. En d’autres termes, l’alcool m’attaquait pas mal le cerveau, à moi aussi. Comme j’hésitais toujours sur la décision à prendre, la roue s’est brutalement arrêtée, déclenchant plus encore la panique de Martin.

- Hey ! J’ai dit d’un ton plus ferme, pour attirer son attention. Détends-toi gamin. J’ai attrapé ses mains, le forçant à lâcher la rambarde (et c’était pas facile, parce qu’il s’y agrippait comme à une bouée de sauvetage). Là, je me suis penchée en avant, et j’ai plongé mon regard dans le sien. Tu ne risques rien. Tu m’entends ? La roue va s’arrêter régulièrement pour que les gens puissent monter et descendre des nacelles. Une fois qu’on sera en haut, elle fera deux ou trois tours sans interruption, et ensuite on pourra redescendre. Je te promets qu’il ne t’arrivera rien. Inspires et expires lentement, et ne regarde pas en bas. Concentres toi plutôt sur un truc agréable. Je sais pas, l’océan qu’on voit au loin, ou le feu d’artifice au-dessus des scènes. D’accord ?

J’ai relâché ses mains et me suis réinstallée en arrière, appuyée contre la rambarde de protection en métal blanc. J’essayais de montrer le bon exemple, en agissant de façon cool et détendue. Sauf que je ne l’étais pas totalement. Parce que quelque part dans un coin de ma tête, je n’évacuais pas l’idée selon laquelle il serait capable de vouloir s’échapper de la nacelle pour mettre fin à son supplice, et que j’allais devoir le suivre dans une séance d’escalade bourrés sur des tubes en taule à 30 mètres du sol.  
        

©junne.