Mes yeux s'ouvrent une première fois vers sept heure, par habitude. Lorsque le corps prend un rythme, il s'en défait difficilement, et parfois, la sonnerie du réveil n'est même plus nécessaire. Mais il n'est que sept heures, et rien ne m'attend aujourd'hui, rien qui ne donne envie de se lever, pas de travail, pas d'obligation, alors que je me rendors. Je m'éveille une nouvelle fois à neuf heures. Puis à dix heures. Et à partir de là, mon corps refuse de dormir à nouveau. Moi qui avais espéré sombrer pour toute la journée afin qu'elle passe rapidement et que je n'y pense pas. Il n'est que dix heures. Qu'importe. Sur le flanc, je tourne le dos à Joanne. Comme une masse à peine vivante, je ne bouge pas, on devine ma respiration grâce au drap qui se lève et s'abaisse sur mes épaules. Je ne suis même pas certain d'avoir répondu à son bonjour. J'étais déjà silencieux la veille. Un silence progressif qui s'était installé jour après jour depuis le début de la semaine, de même qu'un besoin d'être seul. Oh, je me suis tenu à sa menace. Je ne la touche pas, je dors en t-shirt, et puisqu'elle m'a vraiment exaspéré, je vais même plus loin et ne lui donne pas d'autre marque d'affection que quelques baisers sur la joue. C'est elle qui a voulu jouer à ça. Je dirais que mon temps avec Daniel se compte en petites dizaines de minutes depuis lundi alors que mon temps dan l'atelier se compte en dizaines d'heures et en nuits entières. Il s'inquiète dès qu'il sent de la peine chez quelqu'un, je ne voulais pas lui imposer cela. Dix heure et une minute. Les secondes passent comme des années. Ma tête reste vissée sur mon oreiller, lourde comme du plomb. Comme tout mon corps, enfoncé dans le matelas, impossible à mouvoir. Une enveloppe sans force, et bien vide. Complètement vide. Il y a un stade de la peine, généralement après avoir vidé toutes les larmes de votre corps, où arrive un flottement, le néant, cette fameuse sensation de vide. Plus rien n'a d'importance dans cette réalité douloureuse, les pensées sont noyées, autant que les sens et les émotions. On ne ressent plus rien. On ne fait qu'écouter les lourds battement de son coeur nous assurant que malgré cette absence de tout qui nous en ferait douter, l'on est toujours bien envie. Dix-heure et deux minutes. Cette journée va être infinie. Le programme ? Laisser ce vide m'envahir, ne rien faire d'autre que respirer, et rester là, à attendre que le temps passe, en me fichant de tout. M'enfoncer dans cette léthargie morbide aussi profondément que possible, car c'est dans ce néant que je ne ressent ni amour ni peine, et c'est ce dont j'ai besoin en ce moment. Je ne veux pas qu'on me touche, je ne veux pas que l'on me parle. De toute manière, je ne répondrai pas. Je n'ai pas faim. Je suis là sans l'être. Avec de la chance, je vais me rendormir. J'y arrive, deux fois. D'abord en fin de matinée, ce qui me permet d'échapper au déjeuner. Puis au milieu de l'après-midi. Au final, je perds la notion du temps, et les minutes n'ont plus d'importance. Je regarde à travers la fenêtre, et je constate l'avancée de la journée aux couleurs dans le ciel. C'est ce qu'il y a de plus apaisant. Je sais que mon sommeil n'est que cauchemars, mais je ne me réveille pas et j'y reste piégé jusqu'au bout. Je sais que si je laisse le vide s'en aller, ça ne sera que pire. Parce que mon cerveau se mettra à penser, et qu'il n'y a qu'une seule chose à laquelle je peux penser aujourd'hui. Oliver. Parfois, son nom remonte à la surface, comme un murmure. Et l'écho le grossit, l’amplifie, jusqu'à ce que le murmure devienne un cri strident qui fait vibrer mes os et provoque de silencieux torrents de larmes. Un torrent qui cesse lorsque je m'endors. Alors viennent des cauchemars. Et c'est un cycle qui se répète toute la journée, dans un silence de mort.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
JChacun tenait ses positions et personne ne semblait vouloir hisser le drapeau blanc. Ils se parlaient à peine, ils se touchaient même à peine. L'un comme l'autre ne faisait que de très rares signes d'affection. Joanne restait figée et se tenait bien à ce qu'elle avait dit, respectant à la lettre son abstinence. Cela ne semblait pas trop gêner Jamie, qui suivait même la même manière de penser en s'habillent plus que de coutume pour dormir la nuit. Il passait même si peu de temps avec son propre fils, préférant largement s'isoler dans l'atelier à faire dieu sait quoi. Joanne était bien trop occupée à s'occuper de Daniel et des chiens, elle ne s'accordait pas vraiment de moment de répit. Jamie lui tournait constamment le dos dans le lit, et elle aussi d'ailleurs. Comme ce matin là. Où il ne semblait être qu'une masse vide de vie. L'heure du matin avançait, et il ne semblait pas vouloir se lever. Joanne s'était levée vers huit heures, quand Daniel s'était levée. Elle lui donnait le biberon en bas, avec les chiens qui n'étaient pas loin, tout contents de voir deux de leurs maîtres. Mais le petit semblait ne pas aller très bien ce matin. Il avait les joues toutes rouges et il était facilement de deviner qu'une de ses petites dents lui faisait des misères. Joanne lui donnait alors du paracétamol adapté pour le bébé et elle le ber à longuement afin qu'il se calme. Elle parvenait tout de même à jouer un peu avec lui, mais il fallait lui donner une nouvelle dose au moment du déjeuner. Il ne mangea que très peu. Après l'avoir longuement bercé, elle l’allongea dans son berceau, Daniel était épuisé. Joanne en profita pour prendre une douche, mais elle dut passer par la chambre pour récupérer des affaires. En passant, elle vit les joues humides de son fiancé. Bien qu'ils étaient fâchés, ça lui faisait mal au cœur de le voir pleurer. Mais Joanne se dit qu'il ne voudrait certainement pas qu'elle le touche. Elle s'habillait dans la salle de bains, mais se décida tout de même à revenir auprès de lui d'un pas hésitant. Elle s'accroupit et l’observa pour constater qu'il s'était endormi en larmes. C'était le seul moyen de s'apaiser, avec un tel chagrin. Joanne trouvait que c'était triste, ça lui faisait un petit pincement au cœur. Joanne n'avait d'autres choix que de surpasser leur tension pour lui apporter un peu d'affection. Elle ne pouvait pas le laisser comme ça. Très délicatement elle caressa sa joue du bout de ses doigts. Elle effleurait à peine sa peau, s'attendant à ce qu'il dégage sa main brusquement. Mais il ne bougeait pas. Joanne le regardait d'un air attentionné, et, très progressivement, elle finit par glisser ses doigts dans ses cheveux, toujours avec une énorme délicatesse. C'était étrange de se dire qu'ils s'étaient à peine parlé pendant toute une semaine, mais que c'était amplement suffisant pour créer le manque de la personne aimée. Ils restaient figés sur leur position, mais malgré tout ça, même s'ils étaient fâchés, il y avait toujours ce magnétisme qui opérait. Joanne ne saurai dire s'il l'ignorait ou s'il dormait, son visage était impassible. Mais elle continuait, sans trop savoir moi pourquoi. Peut-être qu'il attendait juste qu'elle cesse, peut être qu'il voulait qu'elle continue, elle n'en savait rien. Parfois, elle se demandait pourquoi est-ce qu'ils se disputaient autant, bien que leur dernier véritable et intense éclat commençait à remonter. Mais elle se demandait pourquoi chacun s’obstinait à tenir tête, à faire parfois même le parfait contraire de ce que l'autre demandait, poitevine y avait-il ces sortes de défis à charge de revanche. Elle ne trouvait pas l'origine de ce qui était probablement un besoin. Au bout d'un moment, elle bit légèrement froncer les sourcils, comme si son toucher l’agaçait. Résignée, Joanne retira sa main de ses cheveux et comptait se relever pour le laisser tranquille et seul.
Peut-être que j’aurais dû vivre mon agonie du jour dans l’atelier. C’est le lieu où je me sens le plus en paix et en sécurité lorsque l’être aimé me tourne le dos comme c’est le cas en ce moment. Et pour quelles raison. Quelle petite bataille mesquine et inutile. A cet instant, tout semble bien futile. Et rien n’a de place dans mon crâne vide. Sauf peut-être les images qui tournent en boucle, toujours les mêmes. Même les années ne les ont pas altérées, tout est clair comme du cristal, tout se déroule avec une incroyable précision et ce jusqu’au moindre détail. C’est un mélange de souvenirs et d’imagination. Au centre de tout ceci, la culpabilité. Le sentiment d’avoir tout le malheur du monde sur des épaules qui ne sont pas assez larges. Je suis un joli mirage, avec ma taille, ma carrure, mon air assuré, ma fierté, mes réussites, ma petite famille. La réalité est là. La vérité, c’est cette masse misérable, concentré de peine et de haine sans âme qui git au milieu de l’apparente perfection de son existence. S’ils savaient, eux tous, s’ils voyaient ça. Peut-être qu’ils diraient que c’est bien fait, que tout méfait mérite une sentence à la hauteur. La mienne est de traîner comme un boulet accroché à mon pied le souvenir tragique de cette nuit-là, les murmures de ceux qui m’ont donné la vie souhaitant me la reprendre. La culpabilité. Ca ne semblait pas si difficile l’année dernière. Une déprime passagère, un jour vraiment sans, et la douleur passée sous silence pour n’inquiéter personne. Dieu sait que quand je me permets de penser, quand je m’endors, je me vois souvent au bout d’une corde, et pour moi, personne ne sera désolé. Mais cela fait vingt ans aujourd’hui. Un anniversaire funèbre qui n’aura ni gâteau ni bougie. Une journée macabre qui n’inspire que la mort. Des heures et des heures de vide infini pour se replonger dans ces minutes qui ont tout fait basculer. Et se demander pourquoi lui, et pas moi. Les caresses de Joanne entre mes cheveux semblent lointaines. Je les sens, mais pas tout à fait ; je les devine, agréables et apaisantes. Je suis trop éveillé pour être endormi, mais trop léthargique pour être tout à fait éveillé. Je pourrais être fiévreux, malade, mais il n’en est rien. Difficile de se tirer de cet état, cela donne l’impression de tenter de sortir d’un coma. Je ne me sens pas capable de mouvoir mes membres, mais je m’éveille. Je peine à ouvrir les yeux. Le soleil n’est plus si haut, ses rayons pénètrent d’autant plus dans la chambre et m’éblouissent. Mes paupières me laissent à peine entrevoir le visage flou de Joanne en contre-jour. Je peux quand même deviner l’éclat de ses yeux bleus posés sur moi. Il y a plus de tendresse dans son regard actuellement qu’il n’y en a eu depuis bien des jours. Mes yeux clignent plusieurs fois pour la voir plus nettement. Elle était sur le départ, mais elle s’est ravisée. Faisant fi de l’amertume, j’esquisse un minuscule sourire au coin de mes lèvres, sûrement le plus grand effort depuis le début de ma journée de léthargie. Ma gorge est sèche, serrée, mes cordes vocales me semblent anesthésiées, et mon corps douloureux jusqu’au fond de mes poumons qu’elle trouve bien trop goudronnés et noircis. Pourtant à travers ma bouche entrouverte, je lui souffle juste un « Hey », si bas qu’il en est sûrement inaudible, malgré les grésillements caverneux de ma voix. Je bouge à peine, tente de m’étirer, d’agir juste un peu comme un être vivant. « Comment ça se passe, en bas ? » je demande, sans trop savoir ce qu’il serait normal de dire d’autre à ce moment-là. La vie continue juste sous le plancher de la chambre, avec Daniel, les chiens, la fondation.
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Pendant que Joanne caressait tendrement ses cheveux, elle se demandait pourquoi il était dans cet état. Serait-ce leur dispute, qui remontait déjà à plusieurs jours de ça ? Il n'avait pas de fièvre, il ne semblait pas être malade. Sa léthargie permettait à la jeune femme de réfléchir et de tenter de mettre le doigt sur ce qui n'allait pas. Qu'est-ce qui pouvait lui donner si peu envie de se lever et de profiter de cette journée. Mais ce qu'elle savait, c'est que c'était un jour où il fallait baisser les armes et ravaler sa fierté pour prendre soin de eux qui en avaient besoin. Elle parvint même à lui arracher un faible sourire qu'elle lui rendit tendrement. Elle se rapprocha à nouveau de lui lorsqu'il lui adressa la parole. "Les chiens s'amusent dans le jardin. Daniel est au lit, il n'est pas très bien aujourd'hui." lui dit-elle tout bas, pour ne pas trop perturber le silence de la pièce. "Je pense qu'il fait les dents, il avait de la fièvre, et il n'était pas de très bonne humeur. Il a accepté la sieste bien volontiers." Autant le rassurer de suite. Et ce fut en pensant le nom complet de Daniel que Joanne trouvait ce qui n'allait pas. Ca ne se résumait qu'en un mot : Oliver. Elle se souvint de son discours au gala à Londres, où il disait qu'il l'avait retrouvé au bout d'une corde un cinq septembre. Une bien triste date d'anniversaire, d'autant plus que cette année-là, c'était un nombre rond. Joanne finit par s'asseoir par terre, caressant la joue de Jamie avec affection. "Tu n'as à te soucier de rien, je m'en occupe." lui chuchota-t-elle. Elle restait quelques minutes avec lui ainsi, à l'observer avec amour, et à effleurer la peau de son visage, ou glisser ses doigts dans ses cheveux. "Je vais aller te préparer un peu de thé." C'était la seule idée qui lui vint en tête sur le moment. Elle l'embrassa sur le front avant de se dépêcher d'aller à la cuisine. Elle ne voulait pas le laisser seul ce jour-là, elle ne savait pas vraiment expliquer pourquoi. La jeune femme remontait quelques minutes plus tard et déposa le thé sur la table de nuit. Ses mains avaient un peu chauffé avec la tasse qu'elle avait transporté. Elle passait ses mains sur ses bras, sur son visage. "Dis moi si je peux faire quoi que ce soit pour toi." Elle finit par s'allonger sur le lit et se mettre derrière lui. Collée à lui, elle passait son bras autour de sa taille pour déposer sa main sr la sienne et croiser ses doigts avec. Elle déposait parfois quelques baisers dans sa nuque. Ils n'avaient pas été aussi proches physiquement l'un de l'autre depuis plusieurs jours. Mais il devait savoir qu'il n'était pas tout seul, en ce funeste jour. Elle avait tout le temps de s'occuper de Jamie tant que Daniel était au lit. "Je peux te faire couler un bain, si tu veux." suggéra-t-elle, parlant toujours à voix basse. "Ou te faire un massage, tu n'auras pas à bouger du lit comme ça." Peut-être qu'ils ne voulaient rien faire, mais Joanne tenait à lui partager ses propositions, se disant que quelque chose lui donnerait un peu envie. "Ou nous pouvons tout simplement rester là. Si tu préfères rester, je peux partir." Elle lui laissait le choix, c'était à lui de voir s'il avait la moindre envie, à moins qu'au fond, il cherche à être poussé. En dehors de cela, Joanne restait silencieuse et poursuivait ses caresses. Parfois, elle chantait vraiment tout bas Love me Tender, et se blottit un peu plus contre lui. Elle le sentait tout crispé, tout tendu. Elle savait qu'elle ne pourrait jamais comprendre sa tristesse, la peine qu'il pouvait ressentir. Elle ne savait pas ce que c'était de perdre son propre frère, surtout avec une relation aussi fusionnelle. Elle ne pouvait pas lui lancer les phrases basiques telles que je te comprends, ou je sais ce que tu ressens."Si tu as envie de hurler, hurle, si tu as envie de pleurer, pleure. Je suis là pour t'écouter et être avec toi." Il fallait qu'il extériorise ses peines, son chagrin. Joanne était bien placée pour savoir cela, comme elle était très mal placée pour exécuter ce précieux conseil.
Aucune envie de vivre, d’être éveillé, de parler, d’être humain aujourd’hui. Mais il le faut bien, il le faut toujours. Se montrer plus fort qu’on ne l’est, prendre sur soi. Alors j’ai ouvert les yeux, articulé quelques mots. Je pensais que Joanne repartirai aussitôt. Après tout, nous nous parlons à peine depuis des jours, en froid, limitant les signes d’affection au strict minimum. Et ce doit être ainsi jusqu’au mariage ? Quel enfer deviendra cette maison. C’est une longue négociation qui ne mène à rien. La jeune femme reste. En dehors de la poussée dentaire de Daniel, la vie se poursuit pour tout le monde. Le temps n’est ralenti que pour moi. Parce qu’il faut me torturer à chaque minute de chaque heure qui passe. Il faut que cette journée soit la plus longue possible, et si elle l’est assez, alors peut-être que le diable qui s’amuse avec mon esprit parviendra à me faire perdre la raison et replonger dans tous mes démons. Je me demande si après cette nuit, je resterai vide pour toujours. Peut-être que j’ai déjà sombré de nouveau, peut-être que je me sens aussi dévitalisé parce que c’est ce qu’Oliver est. Réduit à néant. Faute de savoir quoi faire du cadavre qui lui sert de fiancé, Joanne quitte la chambre avec l’idée de faire du thé. Je ne prends pas la peine de la retenir, même si je sais que je n’en boirai pas une goutte. Je ne veux rien avaler, je m’en sens incapable. J’ai l’impression qu’il se passe une heure avant qu’elle ne revienne, aux petits soins. Cela sonne presque faux. Elle m’en veut, elle ne veut pas être tendre avec moi. Elle se force parce que ça ne va pas, parce que c’est une date importante qui mérite une trêve. Et après ? Le même cirque reprendra. C’est de l’hypocrisie. Je parie qu’elle est désolée. Qu’importe… Je la laisse s’allonger sur le lit sans plus réagir, et même glisser un bras autour de moi pour m’étreindre. J’écoute sa voix d’une oreille. Je n’ai envie de rien du tout. Rester là et attendre que la journée passe me convient parfaitement. « Tu le devrais partir, je ne suis pas de bonne compagnie aujourd’hui. » je murmure. Elle le prendra sûrement mal, comme toujours. Joanne ne comprend jamais que je ne dis pas ça pour me débarrasser d’elle, mais pour son bien. Elle a mille fois mieux à faire que d’essayer de repêcher cette loque humaine. « Je n’ai besoin de rien. » dis-je dans un souffle. Pleurer, hurler, cela me viendra tout seul si j’en ai besoin. Ce n’est pas quelque chose que je maîtrise, les larmes déferlent d’elles-mêmes sur mes joues. Il n’y a rien de honteux dira-t-on pour me rassurer, mais ça l’est, et c’est misérable, pitoyable. « Ca va passer. » Forcément. Peut-être pas demain, ni le jour suivant, mais petit à petit, et dans quelques temps il ne restera plus de traces de cette journée. Du moins, c’est ce que j’espère. Je l’espère tellement. Cette année, au fantôme de mon frère s’ajoute celui de mon père, et je parie que Marie s’ajoutera bientôt au tableau. Je les vois au pied du lit, me regardant avec mépris, et répétant encore et encore que tout est de ma faute. Mon esprit est embourbé dans des réflexions sans fin, il n’avance pas et ne se fait pas une raison. C’est un disque rayé, et il me chante en boucle le même refrain de la même chanson. Tout est de ta faute. « Est-ce que tu t’es déjà haï ? » je demande après un moment de silence –long ou court, je ne saurais pas le dire. Elle me dira que oui, comme la fois où elle a brisé le miroir, et toutes celles où elle s’est jetée sous l’eau froide, mais ce n’est pas de ça que je parle. Ca, ce sont des appels à l’aide de quelqu’un qui veut être sauvée et qui peut l’être. « Pas juste un moment où ça ne va pas. Vraiment de la haine. L’envie de te faire souffrir, puis d’en finir, parce que c’est tout ce que tu mérites. » Je ferme les yeux et vois mes pieds au-dessus du sol. Et tantôt cette image me soulage, tantôt elle me terrifie.
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Jamie était un corps inanimé, dépourvu de toute vitalité, de toute âme. Il ne voulait rien être ce jour-là, il ne voulait plus exister, être transparent aux yeux de tout le monde. Il devait peut-être repenser à toute cette haine déversée sur lui pendant tant d'années. Il devait aussi se rejouer constamment la scène où il avait toruvé le corps suspendu de son grand-frère, où le jour de ses funérails. Et même en pensant, il semblait vide. Il n'y avait plus aucune lueur dans ses yeux, il n'y avait plus rien, mis à part ce beau vert qui caractérisait ses iris. Il restait totalement neutre aux attentions de sa fiancée, que ce soit pour le thé ou le fait qu'elle vienne s'allonger auprès de lui et l'étreindre. On pourrait presque croire qu'il n'en avait pas envie, que ça ne lui faisait strictement rien, mais la jeune femme ne lui en tenait pas rigueur. "Qu'importe, si tu es de bonne compagnie ou non, je reste avec toi." lui répondit-elle doucement, bien qu'il ne répondait à aucun de ses gestes de tendresse. Bien qu'elle se doutait qu'il ne voulait pas vraiment d'elle. Joanne se disait qu'il ne croyait peut-être pas en ses gestes de tendresse, surtout vu comment était leur vie de couple depuis quelques jours. Jamie ne voulait rien, n'avait envie de rien, ni besoin de quoi que ce soit. Il comptait bien faire passer cette journée, et les suivantes, à ne pas manger, ni boire, et à peine dormir. Oui, ça allait passer, mais en combien de temps ? Un jour, une semaine, un mois. Il pourrait avoir besoin de jours et de semaines pour se remettre de cette horrible journée. Joanne restait auprès de lui à le câliner, se fichant bien qu'il y croit ou non. Le temps s'allongeait, et le nombre de minutes sans le moindre échange de mots s'agrandissait de plus en plus. Jusqu'au moment où c'était lui qui repris la parole. Elle fronça légèrement les sourcils en entendant la question de son fiancé. Elle ne répondit pas, et il donna quelques détails de la définition de se haïr. "Non, pas vraiment, non..." souffla-t-elle tout bas. Pas au point de vouloir se suicider, du moins. Mais elle connaissait la réponse de Jamie à cette question. Il se haïssait à ce point là, elle le savait. "On se l'est promis, Jamie. De ne pas s'abandonner. Pas comme ça, ni autrement." reprit-elle tout bas après avoir redressé sa tête pour espérer voir une quelconque expression sur le visage de son fiancé. "Ce n'est pas ce que tu mérites. Tu continueras à te reprocher absolument tout parce que ta famille a toujours voulu te le faire croire." Il avait eu droit à son propre lavage de cerveau, ce qui aboutissait à une sorte d'autodestruction, d'automutilation permanente. "Mais regarde ta famille à toi maintenant, celle que tu as construite. Pense à Daniel. C'est notre plus belle réussite, tu ne trouves ? Tu ne penses pas que c'est une preuve largement suffisante pour continuer de vivre et d'exister. Que son épanouissement engendrera le tien ? En le voyant, tu as toujours envie de te mettre sous un jet d'eau brûlant, ou à te blesser dans un moment de colère ?" Peut-être qu’en ce jour, la réponse serait positive, parce qu’il ne voyait qu’Oliver. Il ne voyait que cette corde et cette pierre tombale, il se voyait aussi être son frère, tenter de lui ressembler au maximum pour espérer récolter un minimum d’amour auprès de ses parents. C’était un échec à chaque fois, mais Jamie réessayait tout de même, se raccrochant à une cause perdue. La voix de Joanne avait été douce, en aucun cas accusatrice ou comme si elle lui donnait une leçon de morale. Elle continuait de déposer de temps en temps un baiser dans sa nuque, très affectueusement. Elle espérait qu’il ne voit pas trop Oliver en elle ce jour-là, il lui disait de temps en temps qu’ils se ressemblaient beaucoup sur certains points. Joanne venait à se demander si sa présence n’était pas de trop, s’il ne fallait pas qu’elle parte parce qu’elle était en train de le faire souffrir par sa simple présence. On entendit quelques grésillements dans le babyphone; Daniel commençait à émerger. “Est-ce que tu veux voir un petit peu Daniel ?” lui demanda-t-elle tout bas. Si sa réponse était négative, elle serait contrainte de le laisser tout seul pour s’occuper de leur enfant, ce qui n’était pas quelque chose qui la réjouissait beaucoup.
Mon regard est profondément désolé, bordé de larmes désespérées. Je ne trouve pas la moindre issue à toutes ces pensées. J’entrevois le spectre du mal qui a pu ronger ma fiancée, et le mien me dévore tout doucement au fil des heures que je regarde passer. Elle ne l’entend pas, mais dans mon crâne, tout est ignoble et pourrit à vue d’œil. J’aimerais voir les choses autrement, garder mon éternel optimisme, mais j’en suis incapable. Tout est si sombre et si triste aujourd’hui. J’ai l’impression que rien ne peut m’empêcher de tomber dans ce puits sans fond. Je prends de longues secondes avant de répondre, je veux retourner la question dans tous les sens, encore et encore, jusqu’à trouver une issue plaisante, sauf que je tourne en rond. Daniel est une réussite, c’est vrai. Un bébé parfait. Qu’est-ce qu’il en sera quand il sera plus grand ? Adolescent, puis adulte ? A quel point sera-t-il malade comme tous les autres hommes de sa famille ? A quel point aura-t-il souffert de mon instabilité ? De la relation trop houleuse de ses parents ? J’ai failli à ma parole en ayant Daniel, en voulant fonder une famille. Une preuve que personne ne tient parole, jamais. Personne ne tient ses promesses, encore moins celle que l’on se fait à soi-même. Toute cette folie aurait pu mourir avec moi. Je fais tout pour être un père présent pour lui, mais peut-être que le mieux serait que je ne sois pas là. Je me souviens du jour où nous nous sommes disputés ici même avec Joanne, quand nous étions séparés, quand elle me menaçait de m’empêcher de voir notre fils, quitte à utiliser tous les témoignages prouvant ma violence pour que je ne l’approche plus jamais. Elle aurait eu raison. Est-ce qu’elle ne voit pas que l’histoire de répétera forcément ? A cause de ce qui me ronge, il est absolument impossible que nous passions notre vie ensemble sans que je lève encore une fois la main sur elle. Ce sera peut-être pire que la dernière fois. Peut-être sur Daniel aussi, un jour. Je pourrais m’infliger tout et n’importe quoi pour éviter ça. Peut-être que je devrais reprendre le traitement, me laisser anesthésier comme un animal enragé. Peut-être qu’il y a une autre solution permanente au problème, plus radicale. Mes yeux implorant le pardon de Joanne finissent par se fermer ; je me retourne, me blottit contre elle et cache mon visage qu’elle déteste sûrement. « Oui. » je souffle, la gorge serrée. Si je devais passer à l’acte, ça serait pour lui d’ailleurs, et pour elle, pour que tout le monde soit en paix. Je ferais n’importe quoi pour eux, je donnerai ma vie, elle n’a pas d’importance. C’est elle qui compte, seulement elle. Daniel n’a pas besoin de moi, mais de sa mère, oui. Tout comme elle a cessé d’avoir besoin de moi lorsqu’il est arrivé dans nos vies. Le grésillement dans le babyphone me donne un coup au cœur. Je savais que Joanne allait me proposer de le voir un peu, moi qui l’ai à peine pris dans mes bras de toute la semaine. « Non. Il ne doit pas ressentir tout ça. » Le petit ne fera que s’inquiéter. Les bébés sont sensibles aux émotions de leur entourage, aux parents encore plus. Il ne doit pas se sentir mal à cause de moi. Je parie qu’il ne se demande même pas où je suis passé où pourquoi nous nous sommes à peine vus depuis quelques jours, les bébés n’ont pas la notion du temps. Et puis, tant que maman est là. Mais peut-être que cela me ferait du bien de le voir un peu. L’avoir près de moi une poignée de minutes afin de cesser de couler. « Ou juste un peu. » je corrige tout bas. Juste pour qu’il n’oublie pas que je l’aime plus que tout. Joanne quitte donc la chambre et va récupérer Daniel. Elle réapparaît très vite avec notre fils dans les bras, et le dépose tout près de moi, entre nous deux. Le visage tout près du sien, je caresse ses joues ou son petit ventre rebondi. « Mon petit bonhomme… Ne m’en veux pas. » Je ne suis pas à la hauteur en ce moment, si je l’ai été un jour. Je reste ainsi un long moment, silencieux, les yeux fermés, laissant Daniel jouer avec cette main si grande pour ses petits doigts. De temps en temps, il me touche le visage, sûrement pour que je le regarde, mais je ne réagis pas. Ennuyé, le petit se plaint, et a finalement faim. En temps normal, je me serais levé pour m’occuper de son biberon. Sûrement le sait-il et s’en sert-il pour que je m’occupe enfin de lui. Mais je ne réagis pas plus, laissant à Joanne le soin de s’en charger. « Prends-le avec toi. » Il est resté assez longtemps. « Papa t'aime fort. » je souffle en déposant un baiser sur sa joue avant que la jeune femme ne l'emporte. Une fois partis, une fois que les pas de Joanne ne résonnent plus dans l'escalier, je trouve furtivement un restant de force pour me lever et verrouiller toutes les portes menant à la chambre.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Jamie devait certainement avoir une idée de ce que l'esprit de sa fiancée était capable de faire. Il suffisait d'un petit rien, d'un détail, d'un mot, d'un événement, pour que tout s'amplifie et intoxique la moindre idée. Ca les transforme, les modifie pour faire en sorte que ça ronge au possible. Ainsi se développe une certaine paranoïa, altérant gravement la manière de percevoir l'environnement qui l'entourait. Rien n'était plus pareil, et tout semblait être conçu pour faire encore plus glisser vers les enfers, sans un seul moment de répit, pas même durant la nuit. Pour Jamie, c'était malheureusement son frère, malgré tout l'amour qu'il lui portait, qui l'emmenait aussi bas. Ce n'était pas volontaire de sa part, il avait certainement du se dure qu'il ne s'en remettrait jamais, mais elle espérait que l'aîné soit là pour voir ce qu'il a fait du nouveau Lord Keynes. Joanne ne lui en tenait pas rigueur; Oliver avait toutes les raisons du monde d'attenter à sa vie. Mais la société reprochait souvent aux suicidaires leur côté égoïste, parce qu'ils ne pensaient pas aux dommages collatéraux. Jamie en était un. Sa fiancée aimerait savoir ce qui lui traversait la tête sur le moment, mais elle savait qu'il n'allait pas vouloir en parler. Ce n'était même pas la peine d'essayer, il ne voudrait rien dire, ni rien entendre d'ailleurs. Il était indécis à l'idée de voir leur fils. Jamie se retourna et se blottit rapidement contre sa belle, dissimulant son visage en le collant à son torse. Joanne l'entoura de ses bras, et lui caressa les cheveux, embrassant parfois son cuir chevelu. Il ne voulait peut-être pas la voir, mais il voulait son étreinte. Après quoi, elle fila dans la chambre de Daniel. Elle l'allongea entre eux deux, il était ravi d'avoir ses deux parents pour lui. Le père de famille espérait que leur enfant ne lui en veut pas, d'avoir été si absent durant la semaine passée. Il ne s'était pas vraiment occupé de lui, il s'en était à peine soucié. Au bout de quelques minutes, voyant qu'il ne parvenait pas à faire réagir son père, Daniel se manifesta avec mécontentement. Jamie demanda, presque sous la forme d'un ordre. Joanne prit le bébé dans ses bras. Elle en profita pour le changer avant d'aller au rez-de-chaussée. Elle fit une petite promenade avec les chiens, permettant à Nunki et Sirius de se repérer. Et lorsqu'elle rentra, elle emmena Daniel à la piscine. Il adorait tellement l'eau, il était tellement à l'aise. La jeune maman restait longuement avec lui, ayant emmené quelques jouets avec elle. Daniel s'amusait à les attraper à la surface de l'eau. Ou alors il se blottissait contre sa mère et elle se promenait dans la piscine, en l'embrassant ou en lui parlant de diverses choses. Elle ne sortit qu'une fois que le petit commençait à avoir froid. Elle l'enveloppa alors dans un grand drap de bain. Et ils restaient sur la chaise longue en attendant de bien sécher -surtout Daniel, avant de songer à rejoindre la salle de séjour. Les chiens jouaient tranquillement dehors, Milo était ravi d'avoir deux nouveaux petits compagnons de jeu. Joanne donna le goûter à Daniel, il aimait toujours autant les compotes. Elle lui racontait quelques histoires, en tendant parfois l'oreille pour espérer entendre un bruit quelconque à l'étage, mais rien. Elle se sentait si inutile et démunie, par rapport à lui. C'était ainsi jusqu'au soir, l'heure du dîner. S'occupant de Daniel en priorité, elle lui donna le biberon. Le petit était heureux d'avoir sa mère rien que pour lui, avec cet après-midi rempli de jeux et d'amusement après une matinée laborieuse. C'est pourquoi la petite blonde le coucha assez tôt. Ce ne fut qu'après qu'elle se préparait à manger. Elle monta ensuite à l'étage, et tenta d'ouvrir la porte discrètement, supposant qu'il dormait. Surprise que la porte soit close, elle espérait qu'il avait laissé celle de la salle de bain ouverte, mais il semblait avoir penser à tout. "Jamie, est-ce que tu veux manger quelque chose ?" demanda-t-elle au travers. Mais pas de réponse, elle soupira. Elle ne pouvait rien faire de plus. Assez dépitée, elle ne trouva que du réconfort en prenant Daniel dans ses bras alors qu'il dormait profondément. Elle l'emmena avec lui dans la chambre d'amis. "Je suis certaine que Papa ira mieux demain." lui dit-elle dans un murmure, tentant surtout de le persuader à elle-même. Allongée sur le côté, elle l'embrassait régulièrement sa tempe. "Il ira mieux demain, oui." Pas moyen de trouver le sommeil, alors continuait de le câliner inlassablement, avec malgré tout un petit pincement au coeur à l'idée de ne rien pouvoir faire à Jamie. "Tout ira bien." ajouta-t-elle, en ayant un petit chagrin.
Je me demande si Joanne fera un jour enfoncer la porte pour me sortir d'ici. Si elle fera quoi que ce soit pour m'arracher à cette léthargie. Elle semble préférer respecter mon souhait de me laisser mourir pour aujourd'hui. Peut-être même demain. Elle me laisse dans cette agonie, cette lente auto-destruction. Peut-être qu'elle n'enfoncera jamais la porte, qu'elle me laissera mourir là, parce qu'elle sait au fond que j'ai raison. Elle n'a pas besoin de moi, ni elle, ni Daniel. Je les empoisonne lentement. Au milieu de la nuit, vers les premières heures du matin semble-t-il, je quitte le lit. Je me redresse très lentement, tous mes membres étant lourds et engourdis. Mon dos est raide et douloureux. J'ai un lourd mal de crâne qui débute du bas de ma nuque jusqu'à mes tempes et mon front, qui me semble cette fois véritablement plus chaud. Debout, j'ai l'impression de traîner mes propres jambes pour avancer. Je me rends dans la salle de bain ; je n'ai pas besoin d'allumer de lumière, celle de l'extérieur suffit, et je connais ma maison par coeur après tout. Et comme ça, je n'ai pas besoin de me voir dans les multiples reflets de la pièce. Je me fais couler un bain, et je me promets qu'après ça, j'irai un peu mieux. L'eau est juste assez chaude. J'ai attrapé mon rasoir et j'en ai retiré une lame, juste pour la sensation de l'avoir entre les doigts. De contrôler cette fine frontière entre la vie et la mort, parce qu'il n'y a plus rien d'autre que je ne contrôle en ce moment. Et c'est rassurant. Assez fascinant aussi. Le bras appuyé le long du bord de la baignoire, je laisse la lame frôler, glisser sur sa peau, faisant des arabesques aléatoires. Parfois, elle me coupe, plus ou moins profondément. Parfois je coupe intentionnellement. Rien de grave, juste des rais ici et là, comme des griffures de chat, jusqu'à ce que le bras en soit couvert et que la chair pique un peu. Mais je pourrais faire plus. Je pourrais ouvrir ce bras, et fermer les yeux, m'endormir, et partir. J'aurai la nuit pour moi seul et pour toujours. Je pourrais être comme Oliver, et avec lui. Je me demande dans combien de temps on me trouverait. Quand est-ce que Joanne s'inquiétera vraiment pour moi, entrera et me trouvera là. A cette idée, je laisse la lame tomber par terre et immerge mon bras dans l'eau, grimaçant de douleur. Mais à quoi est-ce que je pensais ? Un bain de sang doit être bien pire qu'un corps au bout d'une corde. Elle serait au moins aussi traumatisée que moi, et je serai à mon tour le fantôme qui rôdera autour d'elle, qui la hantera. Elle aurait cette vision là pour toujours derrière ses paupières. A quoi est-ce que tu penses là, Jamie ? Est-ce que je veux donner raison à ceux qui me traitaient de fléau, en prouvant toute ma lâcheté et en faisant définitivement du mal à tout mon entourage par ce genre de geste ? Je ne peux pas faire ça à Joanne, ni à Daniel. Je ne peux pas partir de cette manière. J'ai promis. Je me passe de l'eau sur le visage pour me réveiller, puis je sors de la baignoire. J'allume enfin la lumière de la salle de bains. Mes yeux prennent de longues secondes pour s'habituer. Pour amorcer un retour à la civilisation, je nettoie toutes mes petites plaies et bande mon avant-bras. Je reconstitue mon rasoir, et le passe tout à fait normalement sur mon visage. J'ai toujours une allure de zombie, mais de zombie rasé. N'ayant plus sommeil, je ne compte pas me recoucher. Je m'habille d'une simple chemise noire et d'un jean, et puisqu'il n'y a pas mille possibilités de choses à faire à une heure pareille, je quitte la maison pour aller sur la plage. J'enfouis dans le sable et confie aux vagues mes idées les plus noires. Je rentre vers huit heures, quand Daniel ne tardera pas à se réveiller. J'ai le temps de préparer le petit-déjeuner, comme si cela allait me rendre pardonnable. Qu'importe, j'ai envie de gaufres, et je meurs de faim. Quand Joanne descend avec le petit, l'odeur de la pâte encore chaude a embaumé tout le rez-de-chaussée, et une belle pyramide de gaufres trône sur une table garnie.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
La nuit n'avait pas été des plus réparatrices, mais avoir Daniel à ses côtés la rassurait. Elle avait sa chaleur, son odeur auprès d'elle. Chacun des deux s'échangeait une sensation de sécurité. Le père de famille n'allait pas bien, mais il fallait se serrer les coudes. Mais pendant toute la nuit, elle n'était pas tout à faire sereine. Une impression étrange qui la prenait un peu aux tripes et qui lui donnaient des haut-le-coeur. Elle serrait Daniel contre elle dans ces cas là. Elle se réveillait le matin, en sentant son fils s'agiter un peu contre elle, lui offrant un des beaux sourires dès qu'elle ouvrit les yeux. Elle l'embrassa à plusieurs reprises et le câlina pendant de longues minutes avant qu'elle songe à se lever afin de l'habiller et de changer. Joanne n'avait même pas mis de pyjamas, elle avait les mêmes vêtements que la veille. Elle descendit les escaliers à pas feutré, se disant que Jamie dormait encore et qu'il avait de toute façon besoin des silences. Elle fut particulièrement surprise en sentant une odeur qui était attirante. Bouchée bée, Joanne constata la table du petit-déjeuner prête, avec une pile de gaufres en son centre. C'était un décalage parfait avec ce qui s'était passé la veille. La jeune femme avait l'impression d'avoir loupé un épisode, peut-être plusieurs même. Daniel s'enthousiasmait beaucoup de voir son père, alors que la mère ne comprenait pas vraiment tout ce qui pouvait se passer. Jamie portait une chemise noire, elle n'avait pas l'habitude de le voir avec un haut foncé - ou peut-être qu'elle n'y avait pas prêté plus attention que cela jusqu'ici. Mais il était normal qu'il veuille porter cette couleur là, même le jour après ce triste anniversaire. Il restait tout aussi silencieux, statique. Il avait le visage marqué, on pouvait deviner qu'il n'avait pas beaucoup dormi - ou mal dormi. Mais il s'était rasé, il avait pris soin de son apparence tout de même. On ne savait pas combien de temps s'était écoulé alors qu'ils se regardaient. Peut-être qu'ils voulaient se cerner, voir où chacun en était après cette nuit. Joanne finit de faire le tour de la table pour s'approcher de lui. Elle posa l'une de ses mains au niveau de la nuque de Jamie et se mit sur la pointe des pieds afin de pouvoir l'embrasser longuement et amoureusement. C'était la seule chose qu'elle pouvait et avait envie de faire. Peut-être que les tensions allaient revenir plus tard, peut-être qu'il y aura une sorte de réconciliation. Daniel était bien content de se retrouver tout contre son père. A la fin du baiser, Joanne enlaça son fiancé, restant toujours sur la pointe de ses pieds. Sa main massait sa nuque, ou caressait tendrement ses cheveux. Joanne restait longuement ainsi, tout contre lui. Elle ne pouvait pas lui demander si ça allait, elle se doutait déjà de la réponse. Il lui fallait certainement plusieurs jours avant de retrouver le Jamie de tous les jours, celui qu'elle connaissait. "Je te demande pardon." finit-elle par lui dire tout bas. "Je n'ai pas été correcte avec toi ces derniers jours." Finalement, c'était elle qui s'en voulait. Ca lui faisait un peu mal au coeur d'admettre qu'elle ne le ferait pas changer d'avis concernant Hannah, ou sa consommation de tabac. Elle se demandait s'il allait désormais fumer devant elle sans le moindre remord. S'il allait complètement se moquer des regards qu'elle pourrait lui lancer à ces moments là. Joanne restait ainsi contre lui jusqu'à ce que Daniel se manifeste pour qu'il ait son biberon du matin. Elle s'éloigna de son fiancé avec un sourire particulièrement discret avant d'aller à la cuisine et de préparer d'une main le biberon. Joanne s'installa ensuite à table pour nourrir son enfant, qui avait bon appêtit. Une fois repu, elle le mit dans sa chaise haute avec les peluches afin qu'il puisse s'amuser. Le petit déjeuner était assez silencieux, Joanne ne savait pas ce qu'elle pourrait dire afin d'engager une quelconque conversation. Elle ne savait même pas si elle pouvait véritablement parler. Alors elle mangeait, avec un petit appétit sans dire un mot, regardant parfois Jamie, lui souriant de temps en temps. Elle avait à nouveau envie de l'embrasser.
Sur le moment, personne ne sait vraiment comment agir -à part Daniel, qui agit en bon petit garçon et sourit à toute occasion. Je n'ose rien dire ni rien faire, je me sens particulièrement coupable, et je ne suis pas certain de mériter le moindre pardon à cet instant -même armé d'une pile de gaufres. Pourtant Joanne approche, et enfreignant cette pseudo règle consistant à ne pas se montrer de signe d'affection, elle m'embrasse avec amour et une infinie tendresse. Je colle un peu plus mes lèvres aux siennes, n'ayant pas envie de laisser ces quelques secondes m'échapper. Puis je passe mes bras autour d'elle et de Daniel pour les étreindre, déposant de temps à autre un baiser au sommet du crâne de ma fiancée. Les heures de la veille étaient glacées, cette chaleur m'avait cruellement manqué. « Je ne l'ai pas été non plus. » je réponds tout bas. Ni avec elle, ni avec Daniel. J'étais bien trop absorbé par ma douleur. Aujourd'hui, je m'efforce de ne pas emporter ma famille dans cette douleur. Je fais partie de ceux qui n'ont pas le droit à ce genre de longs moments de faiblesse. Nous nous mettons à table. Daniel a droit à son biberon, et à quelques petits bouts de gaufre pour nous accompagner par la suite. « J'essayerai de retourner au travail demain. » dis-je au milieu du silence. Cela sonne comme un cheveu sur la soupe dans cette atmosphère étrange, mais je ne voulais pas non plus rester tout le petit-déjeuner sans rien dire. Je me suis fait porter malade pour pouvoir avoir un ou deux jours de deuil sans me soucier de la radio, j'ai bien fait comprendre que j'étais bien trop souffrant pour répondre au téléphone ou aux mails, et je me dis que ma tête de six pieds de long ne fera douter personne de mon état. Néanmoins, je ne veux pas rester à la maison plus que nécessaire. La vie continue, le temps ne s'est pas arrêté. Alors j'y retournerai demain, même si ce n'est que l'après-midi et pour assurer l'émission. Il faudra que je me repose aujourd'hui, en tentant d'être un peu actif. Ne plus être le cadavre que j'étais hier. Prendre soin de Daniel. D'ailleurs, une fois le petit-déjeuner terminé, je me lève et le tire de sa chaise haute pour aller dans notre petit salon pour un peu avec lui. Il tient bien assis face à moi, et nous faisons un peu de musique avec l'un des jouets que Madison qui a offert. Il est décidément très mélomane. Cela le fait beaucoup rire de voir qu'il peut faire du bruit en appuyant sur des boutons, et qu'il décide lui-même des sons qu'il émet selon ce qui lui plaît le plus. Parfois, il est très concentré, ou il prend des pauses pour mâchouiller vigoureusement son anneau qui soulage ses gencives. Au bout d'un moment, il estime que son doudou est bien trop loin de lui. Alors il se penche en avant et me met sur le ventre pour ramper comme il a pris l'habitude de faire pour se déplacer. Mais cette fois, en poussant sur ses orteils, il parvient à s'appuyer sur ses genoux et ses mains. Il glisse, tombe sur le côté, se remet en place, avance un peu et glisse à nouveau, mais l'idée est là, et il compte bien atteindre sa peluche de cette manière, sur ses quatre pattes. J'ai les yeux brillants et rougis en le regardant faire. Je ne l'assiste pas, il a toute la volonté nécessaire pour faire ces deux petits mètres, même si cela lui prend du temps. Je laisse une fine larme rouler sur ma joue en réalisant qu'à une étincelle de lucidité près, je ne serais pas là en train de voir mon fils déterminé à avancer à quatre pattes, mais là-haut -plus haute que le simple étage de la maison, bien plus haut, tout en baignant dans l'eau rougeoyante. Une fois parvenu à attraper son doudou, et fort fier, je prends Daniel dans mes bras. « C'est encore laborieux, mon coeur. Mais c'est très bien quand même. Bravo, bonhomme. Je suis tellement fier de toi. » Je le serre tout contre moi, un peu recroquevillé, adossé au canapé, et dépose quelques baisers sur sa tête. Non, Joanne a raison, Daniel suffit comme raison de vivre, et l'épanouissement de ce foyer fera le mien. Il pose ses petites mains sur mes joues et m'observe avec attention. Il pousse un petit cri, comme une question, soucieux. « Papa n'est pas triste, ne t'en fais pas. » Mais il ne peux pas encore comprendre les nuances de larmes, pour lui cela n'est que synonyme de peine ou de mécontentement. Un jour il saura ce que sont les larmes de soulagement et de joie comme celles-ci. Il comprendra que l'on peut être ému à ce point pour les meilleures raisons du monde. Comme découvrir à quel point il est important de vivre. « Je t'aime fort. » je murmure en le faisant se blottir contre moi. Non loin de nous, mon regard se pose sur Joanne. Je lui souris, d'abord discrètement, puis de plus en plus. « Et j'aime fort maman aussi. »
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Pourquoi fallait-il qu'il y ait régulièrement une atmosphère étrange au sein de cette maison ? Un malaise, qui était pourtant à chaque fois si différent. Difficile de ne pas perdre les pédales avec de tels changements d'humeur, et d'ambiance. Du moins, Joanne ne s'en sortait pas. Il lui était souvent compliqué de se redéfinir sa propre place. Ce fut finalement Jamie qui reprit la parole, partageant son souhait de retourner au travail le lendemain. Il avait pris conscience que la vie devait suivre son cours, mais elle ne s'attendait certainement pas à ce que ce soit aussi rapide. Joanne but une gorgée de jus d'orange - son fiancé avait particulièrement bien garni la table du petit-déjeuner. "Permets-toi peut-être une grasse matinée, peut-être ?" suggéra-t-elle timidement. "Tu as besoin de sommeil..." Une vraie nuit de sommeil. Reposante, ressourçante, si cela était encore possible pour lui de dormir ainsi. Le petit-déjeuner se poursuivait toujours silencieusement. Soudainement, Jamie se leva pour prendre Daniel dans ses bras et l'emmena avec lui dans le petit salon. Joanne se chargea alors de débarrasser la table et de faire du rangement pendant que son fiancé passait du temps avec leur enfant. Elle souriait en entendant Daniel rire et s'amuser avec ses jouets. Une fois qu'elle avait fini de tout mettre en ordre, elle s'approcha lentement du petit salon, en gardant tout de même un certaine distance. Appuyée contre le mur, elle les regardait ensemble. Daniel constatait des larmes sur les joues de son papa, et cela l'inquiétait. Jamie lui expliquait que ce n'était pas des larmes de tristesse. Le coeur de joie se pinça on ne peut plus agréablement lorsqu'elle vit un sourire sur le visage de son fiancé. Pas un sourire forcé, juste pour faire plaisir. Non. C'était comme s'il se rendait compte du bonheur qu'il avait autour de lui, qu'il sortait du noir, enfin. La jeune femme s'installa à côté de lui et caressa délicatement sa joue. Elle l'embrassa longuement, pendant que Daniel restait bien blotti contre son papa. "Je t'aime, Jamie." dit-elle au bord de ses lèvres, entre deux baisers. "De tout mon coeur, de toute mon âme." Ils retrouvaient peu à peu les brides de leur relation après cette semaine des plus étrange. "Ne l'oublie jamais." Ils passaient un long moment sur le canapé, à s'amuser de l'enthousiasme de Daniel. Joanne le chatouillait parfois, il s'effondrait de rire, perdant systématiquement son équilibre. Leur bébé était adorable. A midi, Jamie eut l'envie de donner à manger à Daniel, voulant certainement rester dans ce bain d'amour. Il avait de la chance, c'était le jour des haricots. Joanne avait hâte de varier davantage son alimentation. Elle comptait démarrer la semaine suivante à intégrer d'autres légumes, des féculents, de nouveaux fruits. La jeune mère avait surtout hâte de se mettre aux fourneaux pour faire toutes ces nouvelles recettes pour les petits pots. Jamie voulait même l'emmener à la sieste, le bercer un peu, l'avoir encore dans ses bras. Curieuse, Joanne monta tout de même à l'étage pour regarder d'un oeil discret son fiancé bercer son fils avec des chansons qu'il murmurait. Une fois qu'il avait fermé la porte de la chambre derrière lui, Joanne l'enlaça. Elle se blottissait le plus contre lui, voulant également sa part de câlins et d'attention. "Je n'ai pas été à la hauteur hier. Je ne l'ai jamais vraiment été. Mais sache que je t'aime Jamie. Je ne t'abandonnerai jamais, je te l'ai juré." Elle prit délicatement son visage entre le sien, son nez caressait tendrement l'arête du sien. "Qu'as-tu envie de faire ?" lui demanda-t-elle, déterminée à reprendre ensemble le cours de leur vie. "Nous pourrions peut-être nous baigner à la piscine, ou juste lézarder dans le jardin, ou dans le salon... Tout ce que tu voudras. Profitons de ce qu'il nous reste de cette journée avant que la vie ne reprenne vraiment comme elle l'était." C'était peut-être l'occasion de se retrouver, de renouer.
Quoi qu'il se passe sous ce toit, l'amour n'en a jamais quitté ses murs. Qu'importe la teneur de l'air, les drames qui s'y jouent, impossible pour ce sentiment de s'en échapper, ou mieux encore, de ne pas être le centre, le coeur même des événements. Il a imprégné chaque fibre de chaque meuble de cette maison, chaque molécule dans l'atmosphère. Il se condense ici, éclate, vibre ici. On ne peut rien contre ça. On ne peut pas complètement se détourner l'un de l'autre. Cet reprend le dessus, et nous ramène auprès de l'élu de notre coeur et de notre âme. Il suffit d'un baiser pour le rappeler. Alors on ne l'oublie jamais. Je retrouve un peu ma petite famille, et un léger sourire. Juste de quoi montrer que je vais mieux qu'hier. Les jeux, les rires, les regards mettent du baume au coeur. C'est une journée presque normale qui ravit Daniel. Lui qui ne me voit jamais autant en semaine. Il s'endort, repus des aventures de la matinée, parti pour recharger les batteries pour plus d'émotions cet après-midi. En attendant, je me retrouve face à face avec Joanne. En quelques heures, nous avons échangé plus d'affection qu'en une semaine. « Tu as fait ce que tu as pu. Et il n'y avait pas grand-chose à faire. » dis-je alors qu'elle s'est blottie dans mes bras. Seul le temps doit faire son œuvre. « Nous pourrions profiter du jardin, oui. » je réponds ensuite, moins convaincu à l'idée que la vie reprendra complètement son cours normal d'ici demain. Nous passons quelques heures dans l'herbe. Les yeux fermés, je sens chaque brin qui me frôle, la brise légère et agréable, la discrète caresse du soleil sur la peau de mon visage. Je ne me concentre que sur ma respiration, celle de Joanne, et celle du monde autour de nous. C'est apaisant, c'est si tranquille. Je ne suis pas bavard. Je n'ai pas de pensée à partager, rien qui ne soit pas lugubre, et du reste, je me sens toujours particulièrement vide. Bien sûr que je pense toujours à Oliver, furtivement, de temps en temps. J'essaye de me souvenir du son de sa voix, mais je n'y arrive pas. Je ne m'en rappelle plus. Elle ne résonne plus dans mon esprit, plus depuis longtemps, et c'est comme si ma mémoire l'avait effacée. C'est un écho lointain. Même dans mes souvenirs les plus précieux, sa voix est un facteur inconnu. Je sais comment elle n'était pas. Mais pas quelle était sa sonorité exacte. C'est si déprimant, quand ce genre de détail s'évapore, et l'on sait qu'ils s'en vont pour toujours. On ne s'en souviendra plus jamais, c'est terminé, envolé. C'est comme d'autres détails qui peuvent sembler sans importance ; je ne me souviens plus de ses mains, ni de sa manière de marcher, mais je sais qu'il était habile au piano, et qu'il ne manquait pas d'une certaine forme de prestance qui l'empêchait d'être aussi discret qu'il l'aurait voulu partout où il allait. Comme Joanne. Cette manière d'attirer le regard malgré soi. Elle n'aimerait pas que je lui dise des choses pareilles en ce moment précis, et d'ailleurs je pense qu'elle n'apprécie pas de manière générale que je la compare à lui. Je réfléchis ainsi un long moment, et j'avoue que cela est fatiguant. C'est plus en quelques minutes que ce que mon cerveau a pu penser pendant toute la journée d'hier. J'essaye de songer à autre chose, au travail par exemple, mais je n'y parviens pas. C'est toujours le même sujet qui revient, même s'il a déjà été traité sous toutes les coutures. Je parviens à me changer un peu les idées pendant l'après-midi, à force de jouer avec Daniel et les chiens. Sirius et Nunki ont retrouvé toutes les forces et sont devenus des complices de choix pour les bêtises de Milo. Ils débordent tous d'énergie, et j'ai bien du mal à les suivre. Le calme ne revient qu'après le dîner. Je passe un long moment à lire des histoires à Daniel, à lui chanter quelques chansons, et il en demande toujours plus. Il est couché tôt, terrassé par une soudaine douleur aux gencives qui lui arrachent de grosses larmes de crocodile et une petite poussée de fièvre. Le médicament le fait tomber de sommeil, alors il s'endort comme un loir. Je ne compte pas traîner non plus. Comme Joanne l'a dit, j'ai besoin d'une nuit complète, et la précédente a été courte. Pendant un instant, alors que je devais me changer pour aller au lit, une fois tous les boutons de ma chemise ouverts, je me rend compte que je ne pourrai pas cacher mon bandage et mes blessures à ma fiancée. Aucun moyen que cela lui échappe. Elle est juste à côté, elle se change aussi. Après un soupir, je me décide à retirer mon vêtement. « S'il te plaît, ne m'en veux pas. » dis-je tout bas, honteux. Pourtant elle aurait toutes les raisons de m'en vouloir, et de me traiter d'égoïste. Je ne l'imagine pas comprendre, elle qui ne s'est jamais haï à ce point.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Faire ce qu'elle avait pu. Mais ce n'était toujours pas assez. C'était assez frustrant pour Joanne, elle qui pensait enfin parvenir, peu à peu, à être celle qui parviendrait à soulager ses peines et à apaiser ses colères. Mais c'était impossible lorsqu'il s'agissait d'Oliver. Celui-ci restait et demeurerait à jamais au dessus d'absolument tout. Elle espérait tant pouvoir en faire plus, et sur le moment, tout ce qu'elle trouvait était de lui suggérer quelques idées, lui proposer de faire ce dont il avait envie. Il optait alors pour le jardin, pour s'y reposer sous un temps assez radieux. Allongés dans l'herbe, ils ne se parlaient pas. Jamie avait certainement bien des choses à penser - ou rien du tout. Joanne était à court de sujet de conversation et restait tout aussi silencieuse. Tant qu'il était bien là, allongé dans le jardin à profiter du temps agréable, c'était tout ce qui comptait. Le temps passait bien plus rapidement qu'elle ne l'aurait pensé. Daniel s'était réveillé de la sieste, et Jamie continuait de se changer les idées en jouant avec lui, ou avec les chiens. Les deux plus jeunes étaient méconnaissables comparé au jour où Joanne les avait trouvé. Ils avaient gagné en force et en énergie, ils débordaient de joie de vivre et semblaient très bien s'entendre avec leurs nouveaux compagnons. La jeune femme était surtout spectatrice, se réjouissant de voir Jamie allait un peu mieux. Elle espérait tout de même que ce n'était pas un de ses masques, qu'il avait par exemple l'habitude de porter durant les soirées. Elle espérait que ce n'était pas un mensonge. Mais le bébé devait être mis au lit tôt, ses petites dents lui faisaient beaucoup de misère depuis la veille. Peu de temps après, le père de famille voulait également aller se reposer, comptant passer une grosse nuit de sommeil. Joanne ne se sentait pas particulièrement fatiguée, mais elle l'accompagna tout de même. Elle se déshabillait afin de pouvoir mettre ensuite sa nuisette. Jusqu'à ce que Jamie retira sa chemise et énonce une phrase qu'elle ne comprit qu'en le regardant. Son coeur rata plusieurs battement lorsqu'elle vit les bandages sur l'un de ses avant-bras. Dans le fond, il n'était pas difficile de savoir ce qu'il avait fait, mais Joanne était incapable de l'accepter pendant plusieurs secondes, ce qui expliqua son silence pendant de longues secondes. Après quoi, elle se dit que ce n'était pas possible, que ce n'était peut-être absolument pas ce qu'elle pensait. Peut-être qu'il s'était coupé autrement, qu'il s'était accidentellement brûler. Dans un mouvement de panique, elle lui retira frénétiquement le bandage. Ses mains tremblaient, elle avait quelques difficultés par moment. Certaines coupures semblaient superficielles et aléatoires, d'autres, faites avec beaucoup plus de détermination, et à un endroit particulièrement stratégique pour ceux qui veulent mettre fin à ses jours de la manière la plus sanglante qui soit. C'était une vision d'horreur pour Joanne, ça la rendit extrêmement malheureuse sur le coup. Elle plaça l'une de ses mains devant sa bouche alors que ses yeux apeurés regardaient les marques de son avant-bras, sans même cligner. Elle sentit son coeur s'affoler, chaque bouffée d'air lui était insupportable, très douloureux. Elle sanglota, et un sentiment de honte et de culpabilité l'envahissait, parce qu'elle n'avait rien vu venir. Absolument rien. "Tu as préféré le rejoindre lui que de rester avec nous ?" demanda-t-elle, la voix tremblante, alors que ses iris bleus, humides et rougis, se levèrent vers lui. Ce n'était pas qu'elle lui en voulait, c'était différent. Mais la peine que Joanne ressentit sur le moment était indescriptible, il ne pouvait pas comprendre. "Nous sommes si dérisoires que ça, à tes yeux ?" Joanne était tellement triste. Elle s'installa sur le bord du lit, sentant ses jambes faiblir. Elle se sentit soudainement suffoquer, la pression de cette découverte mettait tout son poids sur sa cage thoracique l'empêchant de respirer. Il fallut de très longues secondes de difficultés à respirer avant qu'elle ne se décide à ouvrir le tiroir de la table de nuit pour prendre un de ses cachets. Il s'était laissé plongé dans sa propre maladie, alors pourquoi pas ? C'était sa réflexion sur le moment. "Tu... Tu avais promis, Jamie." dit-elle plus bas le regard baissé, alors qu'elle continuait à hoqueter. Ses doigts se torturaient entre eux, assez vivement. "Tu avais promis." Et son chagrin reprit de plus belle. La confiance qu'elle avait pour lui se lésa beaucoup. Ce n'était peut-être que passager.
Un long silence s'installe, le temps que Joanne réalise ce que j'ai fait. Son regard ne quitte pas le bandage, et même si son esprit ne veut pas l'accepter, elle finira face à la réalité de mon geste, et alors je me rend compte que cela va la blesser bien plus que je ne l'aurais voulu. Mais ça, sur le moment, je n'y avais pas pensé. Je ne pensais à rien, rien du tout. La jeune femme s'approche et je ne cherche même pas à esquiver sa poigne ; elle saisit mon bras et défait le bandage pour voir de ses propres yeux les dégâts, toutes les plaies qui rayent ma peau. Cette vision est insupportable même pour moi. Je ne me souviens pas de ce qui m'est passé par la tête à ce moment là. C'était comme une absence, mais j'étais bien conscient. La fascination du pouvoir de vie ou de mort, nourrie par toutes les idées noires ayant macérée tout la journée, avait guidé ma main. Et maintenant je me sens comme l'homme le plus idiot, égoïste et inconscient qui soit sur Terre. Je suis sûr que Joanne aussi. Mon regard se détourne d'elle, je ne supporte pas de la voir si malheureuse par ma faute. Je serre les dents, je sens son regard bleu se poser sur moi et me marquer un fer le mot trahison sur le visage. Non, je n'ai pas pensé que je préférais être avec Oliver plutôt qu'avec ma famille. Mais une partie de moi voulait arrêter toute cette peine, alors que l'autre répétait que Joanne et Daniel n'avaient pas besoin de moi. « Ce n'est pas ça... » je murmure. Je ne peux pas plus expliquer. Je ne pense pas qu'elle comprendrait de toute manière. Elle est trop occupée à enfoncer le couteau, m'accabler et me faire ressentir plus de honte. Voilà, je suis le mauvais père et le fiancé indigne. Et elle va me détester pour ça, pour avoir été tenté de les abandonner. Mon regard se pose sur la jeune femme lorsqu'elle croit que je n'accorde pas de valeur à tout ce que j'ai. « Quoi ?! Non ! » Elle ne peut pas être plus éloignée de la réalité. Ils sont tout pour moi. Mais je ne suis qu'un outil pour la peine et la discorde. Les larmes de Joanne sont insupportables à voir. Elle n'arrive même plus à respirer et suffoque. A chaque fois qu'elle hoquette de chagrin, mon coeur se fend un peu plus. Des larmes viennent aussi border mes yeux. Moi qui pensais que je ne pouvais pas me haïr plus. « Est-ce que tu crois que je ne le sais pas ?! » je finis par exploser, hurlant presque plus fort que je ne l'aurais voulu. Oui j'avais promis, oui j'étais proche de briser cette promesse. Pas besoin de me le rappeler. Je me sens déjà assez lâche et monstrueux comme ça. « Et je ne l'ai pas fait, d'accord ? Je suis toujours là ! » Ca ne semble pas avoir son importance à ses yeux à ce moment. Le niveau sonore ne désemplit pas. Au moins, ma voix couvre les pleurs de Joanne et je n'ai pas à les entendre. « Et pourquoi tu penses que je suis là ? Pour vous ! Pour toi, pour Daniel. » Parce que quand tout était dérisoire, quand plus rien n'avait vraiment d'intérêt ou de sens, eux, ils en avaient. Penser à eux m'a fait revenir à la raison. Et je me suis rappelé ma promesse. Mais visiblement, il était déjà trop tard. Le geste était fait. Je fais les cent pas dans la chambre, tous les muscles tendus et essayant de ne pas frapper dans quoi que ce soit pour me punir un peu plus de ma bêtise. Ou pour faire taire Joanne. J'ai envie d'hurler, encore plus fort, mais je ne le dois pas. « Laisse couler, Joanne. » je siffle entre mes dents serrées alors que j'approche du bandage tombé par terre pour me ramasser. Mes membres tremblent, entre cette immense peine qui ne me quitte pas et cette rage contre moi. En remettant le bandage autour de mon bras, j'espère réussir à me calmer. « Ce sont… des égratignures. Ca disparaîtra vite. » dis-je tout bas pour m'en persuader. Sauf que ce genre de geste marque aussi l'esprit.