C'était paradoxal en fin de compte, c'était lui qui avait tenté de commettre l'irréparable et finalement c'était Yasmine qui ne parvenait pas à passer à autre chose. C'était d'une vérité implacable, le fait que dans la mort et ce qui s'y rapportait ceux qui aimaient souffraient bien plus que celui qui subissait. Et en effet ce n'était plus tant d'avoir commis cet acte désespéré que de voir la jeune femme incapable de s'en remettre en laissant cela derrière elle, qui fendait le cœur du brun. Son orgueil s'en trouvait pincé lui aussi, tant tout dans le comportement et les mots de Yasmine trahissait la confiance qu'elle ne possédait plus en lui et que toutes ses tentatives ne suffisaient pas à restaurer. Quand il demandait combien de temps ils allaient ressasser ça il demandait en réalité combien de temps encore refuserait-elle de lui faire confiance, et loin de le satisfaire la réponse de Yasmine avait réactivé sa mélancolie.
« J’arrive pas à ne pas y penser Hassan … » Autrement dit elle n'arrivait pas à lui pardonner, en dépit de tout ce qu'il tenterait de dire ou de prouver. Elle continuait de craindre, d'avoir peur, et le brun lui prenait la mesure du fait que si lui avait le sentiment intérieur d'avoir progressé depuis avril, aux yeux des autres et de Yasmine en particulier il n'avait pas changé. Comme si ses efforts ne payaient pas.
« J’en parlerais plus … Je te le promets … » avait-elle pourtant fini par assurer, penaude, sans doute plus pour lui faire plaisir que par réelle envie. Soupirant légèrement, réalisant qu'il s'était peut-être exprimé de manière un peu trop brusque, il avait vaguement secoué la tête
« C'est pas ce que je dis, Yas' ... » Ou peut-être que si ... Il ne savait pas vraiment comment nuancer cela.
« Je sais que tu t'inquiètes, et je sais que ça part d'une bonne intention ... je te le reproche pas. Mais je sais plus quoi faire pour redevenir juste Hassan, et plus "Hassan qui a essayé de se foutre en l'air et à qui on ne peut pas faire confiance" ... » Parfois il se disait qu'il avait peut-être provoqué quelque chose d'irréversible, qu'elle ne le verrait jamais plus autrement qu'ainsi ... Et c'était peut-être encore plus insupportable que le geste en lui-même en fin de compte, le fait que Yasmine ne le désigne plus que comme ça.
Si la conversation avait jeté un froid, la révélation faite par la jeune femme ensuite avait pris Hassan au dépourvu, perdu entre la satisfaction qu'elle prenne enfin le risque de faire ce qui lui tenait à cœur depuis longtemps, et la crainte que ne soit amorcé le moment où elle lui échapperait, comme si ce moment était destiné à arriver un jour ou l'autre.
« Tu m’as convaincu Hassan … Je veux pas me réveiller un matin et me dire que j’ai loupé ma chance … Toi tu t’en vas … La santé de mon père est bien meilleure, Sohan … C’est Sohan mais il se débrouillera et ça va aller pour lui … » Il avait acquiescé silencieusement. Elle avait passé trop de temps à s'inquiéter pour tout le monde plutôt que de s'inquiéter pour elle-même, personne ne lui reprocherait de vouloir enfin inverser la tendance. Sentant pourtant à sa propre voix que sa sincérité risquait d'être remise en cause, incapable de cacher le coup que cela lui filait malgré tout au cœur, en repensant à leur précédente discussion et à l'aveu de Yasmine de ne pas être certaine de vouloir revenir le jour où elle partirait. Est-ce que c'était comme ça que les choses se termineraient ? Est-ce qu'à son retour Yasmine ne serait plus là, et lui passerait un jour le coup de fil fatidique où elle lui annoncerait qu'elle ne rentrerait pas ?
« J’ai pas parlé de permanent … C’est juste quelques semaines. Comme des vacances rien de plus … » Rien de plus. Il essayait de s'en persuader, agitant la tête et ignorant la chair de poule sur ses bras tandis que la main de Yasmine glissait contre sa cuisse.
« D'accord. » Ça n'estompait pas totalement sa crainte qu'elle change d'avis, ou remette les choses en perspective une fois sur place, mais pour le moment il tenterait de s'en contenter.
Il n'avait pas vraiment vu Yasmine se rapprocher avant qu'elle ne soit déjà tout prêt, assez pour que de sa cuisse sa main puisse aisément remonter sur son torse, son épaule et finalement sa nuque sans qu'il ne fasse le moindre geste de nature à l'en dissuader.
« Tu veux bien me prendre dans tes bras ? » Avait-elle vraiment besoin de demander ? Elle y était déjà avant même d'avoir terminé de justifier
« J’ai envie de profiter de toi un maximum avant que tu ne t’échappes. » Il l'avait attirée vers lui dans un sourire un peu triste, comme si malgré une décision de partir qu'il ne regrettait pas le temps qu'il lui restait à passer ici filait trop vite à son goût.
« Tu sais que je risque de toute façon de t'envoyer des messages tous les jours, et de compenser en te demandant de me parler de la météo, de ton chien, de tes patients, et de ce que tu as fait dans la journée ? Qui sait, tu m'auras peut-être encore plus sur le dos qu'ici. » Adoptant un ton volontairement taquin, il s'était laissé glisser sur la couverture avec elle sans la lâcher, laissant simplement ses doigts remonter le long de sa tête et jouer distraitement avec une mèche de ses cheveux. Il se sentait apaisé, quand Yasmine se blottissait ainsi contre lui, sans être certain d'en comprendre la raison ni certain que c'était véritablement raisonnable de sa part ... Aujourd'hui il ne se sentait pas l'énergie suffisante, de toute manière.
« Merci pour ce pique-nique … » Il avait baissé le regard pour croiser celui de Yasmine, sans cesser de jouer avec ses cheveux, et fendant son visage d'un nouveau sourire avant de déposer un baiser sur son front avec douceur
« Merci d'être toujours là. » Là aujourd'hui, mais surtout là de manière générale, de ne pas le laisser tomber même quand il agissait comme un imbécile. D'être là quoi qu'il arrive, en définitive.