Hassan écoutait, sentait Joanne s'agiter de manière presque imperceptible sous ses doigts tandis qu'elle se délestait de ce qu'elle avait sur le cœur, et il se demandait : comment parvenait-elle à verbaliser tout cela ? Comment réussissait-elle à mettre ainsi des mots sur ses angoisses, sur ses doutes, sur ses regrets ... Comment parvenait-elle à faire, avec un naturel déconcertant, ce que lui était bien incapable de faire ? Il essayait pourtant, il savait que c'était ce que son psy attendait de lui, et plus encore il savait que c'était ce que Yasmine ou Qasim attendaient de lui, avec leur besoin de comprendre ce qui avait bien pu lui passer par la tête pour se dégrader au point de ne plus accorder de valeur à sa propre vie. Il était là, à se poser toutes ces questions, et comme un écho il avait entendu la blonde questionner avec tristesse « Comment fais-tu pour ... éviter de ressasser ? De se dire que c'est comme ça, et que l'on ne peut rien y faire. Je n'y arrive pas. » Ses doigts avaient glissé contre ses joues avec douceur pour en estomper les larmes qui y roulaient, et le visage d'Hassan lui s'était fendu d'un sourire un peu triste tandis qu'il agitait doucement la tête « Je ne suis simplement pas trop mauvais comédien, visiblement. » avait-il simplement soufflé, reprenant devant son air interrogateur « Je ne fais que ça, ressasser. C'est bien ce qui me donne tant de mal à avancer ... » Et s'il donnait l'impression du contraire, c'était probablement uniquement parce qu'il était plus facile d'avoir une vision objective d'autrui que de soi-même, et de voir de la lumière au bout du tunnel pour les autres tout en pensant sa propre situation dépourvue de toute solution.
Hassan n'avait pourtant pas grand pouvoir, il faisait avec ses petits bras d'homme qui avait quitté le cercle proche de Joanne depuis deux années et demi et qui ne s'y sentait plus ni la place ni la légitimité. Il n'avait pas de solution miracle à lui apporter et ne pouvait que fouiller dans ses souvenirs à la recherche de quelque chose ou de quelqu'un qui soit susceptible de lui apporter le réconfort dont elle semblait avoir besoin, et pour lequel il ne se sentait plus vraiment qualifié. Elle lui faisait penser à lui, à cette période d'entre deux où l'euphorie des premières semaines avait cédé à sa place à la morosité d'une existence à laquelle il ne trouvait plus ni sens ni solution. Elle avait besoin d'une ancre, de quelqu'un qui sans trop en dire trouverait les mots adéquats pour lui garder la tête hors de l'eau, et en tête de liste il y avait la grand-mère, à Perth, la solution la plus adaptée aux yeux du brun. « Elle est ... Elle est plus là. » Son cœur s'était pincé, et ses sourcils froncés tandis qu'elle continuait avec de nouveaux sanglots dans la voix « Elle est décédée la semaine dernière. Elle avait un cancer des poumons, et elle a préféré vivre avec plutôt que de se laisser tuer à petit feu par de la chimiothérapie. Elle ne voulait pas qu'on la considère autrement, alors elle n'en avait parlé à personne. » Ce satané cancer, toujours lui. Baissant les yeux, se sachant dans une position qui ne lui permettait pas de faire le moindre commentaire à ce sujet, et Joanne n'ayant de toute manière pas besoin de l'entendre dire qu'il comprenait bien trop le raisonnement de la vieille femme pour lui jeter la pierre. « Je comptais retourner là-bas, pour récupérer quelques affaires qui lui appartenaient et qui me sont chères. Avant que mes parents ne mettent la maison en vente. » Balbutiant, et la gorge un peu serrée, Hassan avait laissé ses mains glisser le long des épaules de Joanne « Je suis désolé Jo', je ... » Il ne savait pas, oui. Il ne voulait pas verser du sel sur ses plaies non plus, mais ça elle le savait sans doute ... Alors que pouvait-il dire ? Rien. Il n'avait rien dit et s'était contenté de l'attirer contre lui à nouveau, déposant au passage un baiser sur le sommet de son crâne, entre ses cheveux blonds.
Apprendre la mort de la grand-mère de Joanne l'attristait, bien sûr, Hassan avait eu un certain attachement pour elle sans doute aidé par le fait que lui-même n'avait jamais eu de grands-parents. Ses parents ne leur en avaient même jamais parlé, comme pour tout ce qui concernait leur vie avant d'avoir du fuir leur pays les Jaafari faisaient régner une certaine omerta. Mais le sentiment qui prédominait c'était l'inquiétude, de savoir Joanne finalement coupée de toute oreille suffisamment attentive pour qu'elle puisse se confier ou se délester de ce qui pesait sur ses épaules. Il se demandait comment elle en était arrivée là, à faire ainsi le vide autour d'elle, et les raisons précises qui pouvaient se cacher derrière le départ de Sophia. Hassan, bien qu'incapable de se séparer de Khadji, avait certes fait le vide autour de lui mais c'était un choix, une décision qu'il avait pris en connaissance de cause ... et qu'il regrettait un peu parfois, c'est vrai, maintenant que ses problèmes de santé étaient en sommeil. « T'es pas toute seule. » avait-il à nouveau murmuré, un bras se fermant autour de sa taille et son autre main glissant entre ses cheveux avec légèreté. « Je sais que c'est pas idéal, parce que je t'ai déjà fait défaut, mais ... j'ai jamais eu à cœur autre chose que de savoir que tu allais bien. Alors si je peux faire quoi que ce soit pour t'aider, je te dois au moins ça. » Elle serait en droit, pourtant, de douter de sa sincérité. C'était lui qui en l'épousant avait fait une promesse de "toujours" qu'il n'avait finalement pas été capable de tenir, créant entre eux une brèche impossible à colmater. Se laissant anesthésier par le souffle de Joanne butant contre son cou, il avait baissé les yeux lorsqu'elle avait relevé la tête vers lui, n'avait pas bronché lorsque ses mains avaient glissé contre sa nuque, s'était laissé faire lorsque son front était venu se poser contre le sien. Elle leur faisait du mal, ils se faisaient du mal en laissant leur faiblesse prendre l'ascendant sur leur raison, et Hassan avait l'air grave en laissant son nez glisser contre celui de la blonde. « Q'est-ce que tu vas faire ? » La question était posée à voix basse, la proximité ne nécessitant pas de parler pus fort pour se faire comprendre. Il ne savait pas vraiment quel sens donner à cette question, ce qu'elle allait faire à propos de son fiancé, ce qu'elle allait faire à propos d'elle-même, ce qu'elle allait faire concernant son besoin de prendre un peu de recul, et même ce qu'elle allait faire là, tout de suite, à provoquer à nouveau la proximité qu'il avait mollement fait cesser tout à l'heure.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Hassan était dans le même état qu'elle, en fin de compte. Il lui avoua qu'il n'arrivait pas non plus à tirer un trait sur tout ce qui s'était passé, et qu'il ne portait finalement qu'un masque. Ca lui ressemblait bien, il n'était pas du genre à inquiéter ses proches - si il la considérait encore comme étant une personne proche. Et avec tout ce qu'il avait vécu, il ne parvenait pas à relancer sa vie, à trouver un objectif, ce qu'il pourrait faire des cartes qu'on lui avait donné. Joanne était désolé pour lui, qu'il stagne depuis si longtemps, sans vraiment trouver d'issue. Ils étaient tous les deux dans une situation bien compliquée, le noir absolu. Hassan espérait que la grand-mère de Joanne puisse aider cette dernière à se revigorer et à trouver un semblant d'espoir dans son avenir. Mais il ne pouvait pas savoir que Molly n'était plus de ce monde. Et il dit les seuls mots que l'on pouvait dire en apprenant ce genre de nouvelles. Il était désolé. Oui, Joanne l'était aussi, d'ailleurs. La seule chose qu'il était encore capable de faire, à défaut de trouver des mots de réconfort, était de l'approcher de lui pour l'embrasser tendrement sur le front. C'était étrange, tous ces petits gestes d'affection qui revenaient peu à peu, comme une vieille habitude. C'était des réflexes, des gestes qui, pendant une longue période, se répétait à longueur de jounée. Joanne avait son coeur serré dans sa poitrine. C'était une impression qu'elle vivait quotidiennement et qui devenait peu à peu insupportable. Hassan finit par passer un bras autour de sa taille, son autre main préférant se loger dans ses cheveux. Joanne le regarda dans les yeux, les siens étaient à nouveau bordés de larmes. Doucement, elle secoua négativement la tête. "Tu es sur le point de partir de l'autre côté du monde pour pouvoir justement t'éloigner de tout ça. T'éloigner de moi. Tu ne seras pas là." lui dit-elle tout bas, la voix éreintée, sans aucun ton accusateur. C'était juste la vérité. Si elle ne le connaissait pas, elle pourrait se dire qu'il se fichait un peu d'elle en lui disant ça, alors qu'il allait bien partir pendant plusieurs mois, peut-être même plusieurs années à Téhéran. Cela aurait pu être vu comme une solution facile, mais Joanne le connaissait trop bien pour savoir qu'il était tout à fait honnête avec elle. "Tu ne me dois rien, Hassan." ajouta-t-elle. "Il faut avant tout que tu penses à toi, quand tu seras là-bas." Elle savait qu'il allait tout de même s'inquiéter pour elle, encore plus en sachant dans quel était il la laissait derrière. C'était plus fort que lui. Il ne la rejetait pas lorsqu'elle se rapprochait à nouveau de lui. Une fois que son front était posé contre le sien, Hassan posait une question dont Joanne n'avait pas de réponse. Elle baissa à son tour les yeux. "Que veux-tu que je fasse ?" Elle haussa les épaules. "Après, je vais aller chercher Daniel à la crèche, je vais jouer avec lui, lui donner à manger, le baigner, lui raconter une histoire et le mettre au lit." Le rituel de tous les soirs qui lui permettait d'avoir l'esprit occupé. "Et après... Je .... Je laisserai le temps passer." Comme elle le faisait à chaque fois qu'elle était seule. "En général, je reste quand même debout jusqu'à ce que Jamie soit rentré à la maison, j'ai ... peur qu'il lui arrive quelque chose." C'était assez contradictoire, comme pensée, en sachant que Jamie lui avait fait. "Quoi que je puisse faire... Ce sera une bêtise. Je ne sais pas faire grand chose d'autres, vraisemblablement." Elle eut un rire forcé. Joanne laissa glisser ses mains jusqu'à ses épaules. "Comme... le baiser de tout à l'heure, je .... c'était une bêtise, et je t'ai fait du mal." Joanne ne se prenait pas en compte. Elle avait une moindre estime d'elle, elle se fichait même d'elle. "Je te demande pardon." dit-elle, la voix tremblante. "J'ai été égoïste d'avoir été tentée et... de l'être encore." Joanne s'en voulait. Elle se frottait des yeux. "Je me sens encore plus horrible d'abuser de ton temps et de ton affection. Je suis ridicule." Joanne commençait à se dire qu'il serait peut-être préférable qu'elle reste effectivement isolée. C'était la seule solution décente qui lui venait en tête. "Je devrais peut-être te laisser tranquille. Tu n'as pas besoin de ma tristesse, ni de ma piètre présence. J'aurais préféré être de meilleure compagnie, vraiment. J'espère que tu me pardonnes aussi pour ça."
Hassan avait beau se dire que c'était le fait d'avoir été ainsi pris au dépourvu et de ne pas avoir réellement eu l'intention de recroiser la route de Joanne avant son départ - et donc son retour - pour Téhéran, au fond il savait bien que cela n'aurait rien changé. Qu'ils avaient trop vécu en parallèle pour que n'importe laquelle de leur conversation ne leur donne pas l'impression qu'il manquait quelque part un chapitre majeur pour continuer à être tous les deux sur la même longueur d'onde, comme ils l'avaient pourtant été pendant tellement d'années par le passé. Assurément parce qu'elle avait changé, lui aussi, changé tous les deux de manière irréversible et peut-être plus entièrement compatible. Il tenait à elle pourtant, ce n'était pas plus une surprise qu'un secret, et c'était un état de fait qui ne changerait probablement jamais. C'était ce qu'il avait tant bien que mal tenté de lui faire comprendre en assurant qu'elle pourrait toujours compter sur lui, avançant cela comme une généralité qui n'avait pas valeur à s'estomper dans le temps, mais plus terre à terre la blonde avait écouté cette promesse à la lueur de leur situation actuelle « Tu es sur le point de partir de l'autre côté du monde pour pouvoir justement t'éloigner de tout ça. T'éloigner de moi. Tu ne seras pas là. » Alors rien n'avait véritablement changé, en fin de compte. Du moins c'était ce qu'elle semblait insinuer, comme si elle lui reprochait inconsciemment un comportement qu'elle trouverait récurrent. « Tu ne sais pas pourquoi je pars, Joanne. » Peut-être s'imaginait-elle à tort que leur divorce, moins bien cicatrisé pour lui que pour elle, était encore un point majeur de ses décisions ... mais ce n'était pas le cas. Pas pour ce genre de décisions en tout cas, et au fond il avait déjà prouvé que pour s'éloigner de Joanne il n'avait jamais eu besoin de quitter Brisbane. « Et je ne pars pas indéfiniment. Tu as toujours mon numéro, tu peux m'appeler à n'importe quelle heure si tu as besoin de parler à quelqu'un, en attendant. » Ce n'était pas beaucoup, et ce n'était pas non plus l'idéal ... Mais c'était tout ce qu'il pouvait lui proposer dans l'immédiat, et surtout cela semblait déjà être plus que ce qu'elle avait actuellement. « Tu ne me dois rien, Hassan. Il faut avant tout que tu penses à toi, quand tu seras là-bas. » Il avait éludé son regard en même temps que le sens profond de sa réflexion, et s'était contenté d'assurer « Je ne suis pas en train d'essayer de me donner bonne conscience. Je sais ce que j'ai à faire là-bas, et je le ferai ... mais je ne m'en vais pas pour oublier que j'ai une vie ici, c'est même tout le contraire. » Alors cela invalidait totalement le conseil qu'elle lui donnait en lui demandant de penser à lui. Il pensait déjà à lui en partant, mais tout cela au fond ce n'était qu'une manière pour lui remettre en perspective ce qui avait de l'importance ou non concernant la vie qu'il menait à Brisbane. C'était comme s'éloigner d'un dessin pour avoir une vue d'ensemble, et savoir ce qui devait être gommé, modifié, peaufiné.
Il avait soupiré à nouveau, doucement, à moins que ce ne soit elle qui ait soupiré. Il ne savait pas vraiment, il s'était presque habitué au fait de ne pas - de ne plus - savoir quoi faire de son existence et de se retrouver totalement démuni face à une question aussi simple que celle qu'il venait de poser à Joanne. Il était plus surpris de réaliser qu'elle ne semblait pas beaucoup plus assurée au moment d'y apporter une réponse elle aussi « Que veux-tu que je fasse ? Après, je vais aller chercher Daniel à la crèche, je vais jouer avec lui, lui donner à manger, le baigner, lui raconter une histoire et le mettre au lit. Et après ... Je ... Je laisserai le temps passer. » Il y avait tellement de monotonie dans sa voix, elle donnait l'impression d'effectuer ces tâches avec précision comme pour tenter de conserver un minimum d'emprise sur son quotidien. « En général, je reste quand même debout jusqu'à ce que Jamie soit rentré à la maison, j'ai ... peur qu'il lui arrive quelque chose. » Il n'avait pas commenté, se gardant bien de faire remarquer que la réciproque ne semblait pas aussi évidente, à vue de nez. « Quoi que je puisse faire ... Ce sera une bêtise. Je ne sais pas faire grand chose d'autres, vraisemblablement. » De la même manière qu'il n'avait pas bronché lorsqu'elle était venue passer ses mains autour de sa nuque, il n'avait rien dit non plus lorsque s'en détachant un peu elle les avaient laissé redescendre jusqu'à ses épaules « Comme ... le baiser de tout à l'heure, je ... c'était une bêtise, et je t'ai fait du mal. » Sans doute. C'était une bêtise, et si elle lui avait fait du mal en le provoquant Hassan s'en était fait lui-même également en ne la repoussant pas immédiatement. « J'ai été égoïste d'avoir été tentée et ... de l'être encore. » N'assumant pas suffisamment pour oser demander à quoi encore faisait référence, il s'était contenté de secouer doucement la tête tandis qu'elle reprenait « Je me sens encore plus horrible d'abuser de ton temps et de ton affection. Je suis ridicule. Je devrais peut-être te laisser tranquille. Tu n'as pas besoin de ma tristesse, ni de ma piètre présence. J'aurais préféré être de meilleure compagnie, vraiment. J'espère que tu me pardonnes aussi pour ça. » Elle aurait probablement compris qu'il n'y avait nul besoin d'excuser ou de justifier sa tristesse, s'il avait lui-même été capable de verbaliser comme elle la mélancolie qui le rongeait depuis des mois et s'accrochait à lui comme un coquillage sur un rocher. Mais Hassan ne savait pas mettre de mots là-dessus, au grand damne de Yasmine, au grand damne de Qasim. « C'est moi qui te demande pardon. Je pensais t'éviter d'être malheureuse en m'éloignant de toi, et je réalise qu'au bout du compte tu ne l'es pas. » Alors à quoi bon ? C'était comme si tout cela n'avait aucun sens, leur divorce, sa maladie, le bonheur factice qu'elle lui avait jeté au visage ces derniers mois et auquel il avait cru par désespoir.
Alourdi par ce constat, chamboulé par les mots et les actes de la jeune femme, Hassan s'était détaché d'elle à nouveau et lui avait tourné le dos quelques instants pour s'approcher du téléphone et se saisir d'un post-it et d'un stylo sur lequel il avait rapidement griffonné le numéro d'Enzo. « Tiens, c'est le numéro d'une de mes connaissances, il travaille pour la police. On n'est pas en excellents termes en ce moment, mais c'est quelqu'un de confiance. Appelle-le de ma part si tu te sens en danger, ou si tu as le moindre souci ... il t'aidera. » Ce n'était pas un mauvais bougre, Enzo, c'était même un gars sûr, quand bien même sa dernière entrevue avec lui n'avait pas laissé à Hassan un souvenir très plaisant, acceptant mal d'être injustement considéré comme un criminel pour ce qu'il estimait n'être qu'une petite bêtise. « Et si ... si vraiment tu ne te sens pas en sécurité chez toi, je vais laisser les clefs d'ici au voisin du 24, alors ... enfin, je sais que cette maison ressemble encore un peu à un no man's land, j'ai pas vraiment le temps de m'occuper de l'emménagement avant mon retour, mais ça reste un toit au-dessus de la tête. » Ce n'était pas tant de culpabilité que de crainte qu'Hassan tentait de lui offrir des alternatives, la crainte de ce qui serait susceptible d'arriver à Joanne durant son absence à la fois concernant les sautes d'umeur de son fiancé, mais également la crainte de ce désespoir latent qu'il pensait avoir perçu dans son regard et qu'il ne connaissait que trop bien, pour en avoir lui-même été victime.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Joanne avait cette énorme appréhension, qu'Hassan parte à nouveau. Il y avait effectivement comme un sentiment de déjà-vu. Une fois que les papiers de divorce étaient signés, il avait complètement disparu. Même s'il lui avait avoué la raison de leur séparation, elle ne savait pas où il était allé, s'il avait quitté Brisbane ou pas. Cette fois-ci, elle savait quelle était sa destination. Et quand bien même, ça l'angoissait énormément. Malgré les circonstances, ils avaient fini par se rapprocher. Ils n'avaient peut-être pas retrouvé leur complicité d'avant, mais une bride, un semblant qui avait manqué à Joanne. "Alors, dis-moi pourquoi." lui répondit-elle, les yeux brillants. Il fut un temps où ils n'avaient aucun soucis pour se confier l'un à l'autre. Où chaque parole confié soulageait et apaisait peut-être un tension qui n'avait pas lieu d'être, si tension il y avait. Elle venait de s'ouvrir à lui, d'apprendre quelque chose qu'elle aurait certainement préféré gardé pour elle jusqu'à attendre que les bleus ne disparaissent, et faire comme si de rien n'était. Joanne ne comprenait pas pourquoi son ex-mari se montrait réfractaire de lui dire pourquoi il voulait tant quitter Brisbane pendant quelques temps. Il jugea bon de lui rappeler qu'elle pouvait l'appeler n'importe quand si elle en ressentait le besoin. "Je ne voudrais pas te déranger pendant tes heures de cours." dit-elle tout bas d'un air gêné. Elle n'aurait aucune idée de ses horaires, et il la connaissait suffisamment pour savoir que c'était bien son genre, de ne pas oser appeler de peur d'interrompre un de ses cours. Cela rappelait à Joanne ces quelques fois où elle s'immisçait dans l'amphithéâtre lors de la dernière heure de cours d'une journée pour Hassan, juste pour le plaisir de l'écouter et de le rejoindre près de son bureau une fois que tous les étudiants étaient partis. Joanne était perplexe lorsqu'elle l'entendait dire qu'il ne partait pas pour oublier. "Mais... on se parlera toujours quand tu reviendras ?" demanda-t-elle. Elle haussa timidement les épaules. "Je sais que nos rapports ne sont pas au beau fixe depuis que nous nous sommes retrouvés, mais..." Joanne fit une courte pause, tentant de trouver correctement ses mots. "J'aimerais toujours faire partie de ta vie, même si je en arrière-plan, ou juste une ombre." Elle s'en contentera, et elle respecterait avant tout son choix.
La question d'Hassan était une colle, et pourtant, elle avait largement trouvé moyen d'y répondre. Il ne l'avait pas interrompu une seule fois. Tout ce qu'il demandait était le pardon de Joanne. Elle avait l'impression qu'ils commençaient enfin à comprendre qu'aucune de leur manière de faire depuis leur divorce n'avait été correct, pour l'un comme pour l'autre. Ils voulaient se voiler la face de dix ans de vie commune, mais cela était impossible. Désormais, tout ce qu'ils voulaient, c'était le pardon de l'autre. Joanne se mit à le regarder avec énormément de tendresse. Elle prit son visage entre ses mains et parvint à esquisser un léger sourire. Elle caressait ses joues avec ses pouces, et ne quittait pas un seul instant son regard. "Je te pardonne, Hassan." dit-elle tout bas, en toute sincérité. Ils avaient tous les deux fait des erreurs, il serait hypocrite qu'elle n'accepte pas ses excuses. Joanne comptait l'enlacer, mais le beau brun s'éloigna alors d'elle. Prise de court, elle se retrouvait là, penaude, sans savoir quoi faire de ses bras qui finirent par tomber le long de son corps. Il revint quelques secondes auprès d'elle après quelques secondes, en lui tendant un post-it avec un numéro de téléphone. Elle sentit son coeur battre à toute allure lorsqu'elle apprit que ce bout de papier lui permettait de contacter quelqu'un de la police. Non, elle ne ferait jamais ça à Jamie, elle ne voulait pas qu'il ait des ennuis. Il était déjà bien connu des services de police. Le dénoncer pour ça ne serait qu'un coup de grâce, et elle se le refusait. Enfin, il finit par lui proposer de trouver refuge dans sa maison. Elle lui en était si reconnaissante. Son voisin, celui du vingt-quatre, c'était Saul. Elle l'avait vu il y a peu de temps en compagnie d'une autre femme qui n'était pas son épouse. "Je serai certainement tentée de tout déballer et d'emménager ta maison pour ton retour." lui dit-elle avec un rire nerveux. Si elle venait à se réfugier ici, elle n'aurait pas aimé que les pièces soient restées vides. Elle aurait voulu qu'il ait un lit décent dans lequel dormir une fois qu'il serait de retour à Brisbane. "J'espère que tu ne m'en voudras pas, si jamais je suis trop tentée de faire un peu de rangement." Ca occupait aussi bien ses journées, de mettre un peu d'ordre. Mais sa maison à elle était déjà dans un état parfait, il n'y avait pas grand chose à faire. Elle trouverait refuge non seulement en allant ici, mais en s'occupant l'esprit en faisant un peu de mettre tout en ordre dans cette maison encore bien vide. Et dire qu'ils auraient pu très vivre ici ensemble, lorsqu'ils étaient mariés. Joanne passa ses bras au-dessus de ses épaules pour pouvoir l'enlacer fort contre elle. "Merci pour tout, Hassan. Merci." lui dit-elle dans l'oreille. Elle le gardait longuement dans ses bras, avant de lâcher son étreinte pour pouvoir le regarder. Oui, elle souriait, et c'était vrai. C'était libérateur pour elle d'avoir su se confier à quelqu'un, et de retrouver un certain lien avec Hassan. "J'espère sincèrement que tu trouveras ce que tu cherches à Téhéran." Il allait lui manquer, c'était certain. Elle venait de se trouver une ancre, mais il était sur le point de partir. C'était injuste à ses yeux. Et même si elle allait être tentée de l'appeler, elle n'aura personne auprès d'elle physiquement pour l'épauler quand elle en aurait besoin, elle allait forcément finir par se noyer. Mais elle ne lui en voulait pas pour ça, il venait déjà de faire beaucoup pour elle, rien qu'en lui proposant de venir dormir ici si elle ne se sentait plus en sécurité. "Contacte-moi aussi, si tu as besoin de parler, ou si tu as besoin de quelque chose. Même si ce n'est que pour me raconter tes journées alors que tu as besoin de partager tout ça avec quelqu'un." Elle posa l'une de ses mains sur sa joue. Elle espérait tellement qu'il trouve sa voie là-bas, qu'il revienne avec une piste à suivre. Elle préférerait que ce soit lui, qui s'en sorte, quitte à ce que ce soit elle qui reste dans la pénombre de la dépression jusqu'à la fin de ses jours. Il était bien plus méritant à ses yeux, c'était évident.
L'opportunité de cet emploi temporaire n'était qu'une excuse au fond, une excuse tombée au bon moment et saisie au vol par Hassan d'abord pour de mauvaises raisons (provoquer une réaction chez Yasmine devant l'impasse que constituait la brouille qui les avait séparés quelques moi plus tôt), et finalement en y voyant le positif qu'il pourrait en tirer. On ne pouvait pas décemment espérer faire le point sur quelque chose en ayant le nez dessus, il fallait trouver une vue d'ensemble, et en prenant le large c'était sur sa vie toute entière que le brun cherchait à avoir une vue d'ensemble. Trouver des réponses à des questions dont les mots lui manquaient pour être en mesure de les formuler à voix haute à qui que ce soit. Et de sa voix fluette pourtant Joanne parvenait à lui demander l'impossible. « Alors, dis-moi pourquoi. » Un sourire triste s'était étiré sur ses lèvres, presque résigné de l'entendre tenir un discours similaire à celui de Yasmine. « Ce n'est plus ton rôle. » Posséder la clef de ses doutes et de ses angoisses, ce n'était plus son rôle et là-dessus Hassan ne faisait que payer le prix de ses propres décisions. Il proposait les alternatives à sa portée, tentait d'offrir à Joanne ce qu'il était en mesure de lui offrir, mais alors c'était elle qui se défilait, murmurait « Je ne voudrais pas te déranger pendant tes heures de cours. » comme autant d'excuses qui n'avaient de sens que si l'on tentait de s'en persuader. Il avait secoué la tête, comme si tenter d'insister ne mènerait à rien et ne la ferait pas changer d'avis. Elle espérait sans doute un peu qu'il regrette sa décision de s'en aller, voir même qu'il la remette en cause, mais rien n'y ferait. Il estimait avoir le droit à cela pour une fois, prendre une décision uniquement en fonction de lui, être un peu égoïste. « Mais ... on se parlera toujours quand tu reviendras ? Je sais que nos rapports ne sont pas au beau fixe depuis que nous nous sommes retrouvés, mais ... J'aimerais toujours faire partie de ta vie, même si je en arrière-plan, ou juste une ombre. » Il avait souri avec douceur, avec tristesse un peu aussi sans doute, et laissé ses doigts glisser furtivement contre la joue de Joanne. « T'as jamais cessé d'en faire partie. » Et qui en doutait, au fond. « Mais je ne sais même plus où te placer dans tout ça, maintenant ... et pas simplement toi, mais tout le reste aussi. C'est en partie pour ça que j'ai accepté ce poste à l'étranger. » En partie, parce que s'il était question de timing et d'opportunité la situation qui le prenait actuellement à la gorge à Brisbane n'était pas sa seule et unique motivation. Simplement la seule qu'il accepte d'admettre à autrui.
Pour la première fois depuis une éternité il avait un projet tangible et auquel il arrivait à penser autrement qu'avec mélancolie et incertitude. La question qu'il avait posé à Joanne il en avait lui-même la réponse, là où la blonde elle semblait n'en avoir que par résignation. Elle s'excusait de son propre désespoir et lui s'excusait d'avoir eu d'autres espoirs pour elle en la laissant, et de s'être trompé. « Je te pardonne, Hassan. » Mais il ne se pardonnait pas, lui. Et se résignait presque, en voyant que les mots de Joanne ne le faisaient pas se sentir mieux, pas même un peu. Au silence et au regard fuyant qu'elle avait eu au moment de s'emparer du numéro d'Enzo, Hassan avait compris que jamais elle ne l'utiliserait ; Que peut-être même elle froisserait le post-it dans sa paume à peine dehors et le jetterai dans le caniveau ou la première poubelle qu'elle trouverait. Leela all over again. Elle avait cessé de faire la sourde oreille à sa seconde proposition, plaisantant même nerveusement en répondant « Je serai certainement tentée de tout déballer et d'emménager ta maison pour ton retour. » Le rire plus léger d'Hassan s'était estompé tandis qu'elle rajoutait plus sérieusement « J'espère que tu ne m'en voudras pas, si jamais je suis trop tentée de faire un peu de rangement. » Secouant d'abord la tête avec certitude il avait objecté « Te sens pas obligée, je te le propose pas pour ça. » Il proposait pour qu'elle décompresse un peu si d'aventure elle en avait besoin durant son absence, pas pour qu'elle n'use sa fatigue à faire quelque chose dont il devrait s'occuper lui même. Mais face au regard insistant de la blonde il avait fini par adhérer avec une pointe de résignation « Si ça te fait plaisir. » Une chose était certaine en tout cas, elle avait beaucoup plus de talent que lui pour ce genre de choses, il aurait suffit qu'elle voit l'agencement douteux de son ancien appartement pour s'en rendre compte.
La laissant s'attacher à nouveau à ses épaules il avait fait glisser sa main contre son dos avec douceur, et laissé sa joue frôler celle de Joanne tandis qu'elle murmurait presque timidement « Merci pour tout, Hassan. Merci. » Il n'était pas certain des raisons pour lesquelles elle le remerciait, pas plus qu'il n'était certain de véritablement le mériter, aussi il n'avait rien répondu et s'était contenté de secouer doucement la tête lorsqu'elle avait ajouté « J'espère sincèrement que tu trouveras ce que tu cherches à Téhéran. » Il espérait aussi, pour son bien à lui mais aussi pour celui des questions auxquelles il souhaitait apporter des réponses concernant son histoire familiale et celle de son frère. Des questions qu'il ne poserait jamais s'il ne les posait pas maintenant, et n'en cherchait pas les réponses tant qu'il en aurait l'occasion. « Contacte-moi aussi, si tu as besoin de parler, ou si tu as besoin de quelque chose. Même si ce n'est que pour me raconter tes journées alors que tu as besoin de partager tout ça avec quelqu'un. » Il ne pensait malgré tout pas en être encore là. À jouer le rôle de celui qui faisait comme si de rien n'était, comme s'il pouvait encore parler de tout et de rien avec Joanne sans que son simple souvenir ne le fasse se consumer de l'intérieur en repensant au désespoir qui avait suivi après leur divorce. À toutes ces lettres écrites justement pour faire "comme si" ... Comme si elle était encore là, comme s'il pouvait toujours lui raconter les peines, les peurs, tout le négatif qui se bousculait dans sa tête durant ces heures, ces jours, puis finalement ces semaines cloîtré entre les murs de l'hôpital. Quelque chose s'était brisé, par sa faute, chez lui et chez elle aussi sans doute ... quelque chose qu'un après-midi, quelques larmes et un baiser au goût de nostalgie ne suffisaient pas à réparer. « Je t'appelerai pour prendre des nouvelles. » avait-il finalement décrété, conservant leur étreinte encore quelques secondes avant de la lâcher « Fais attention à toi, promis ? » Il avait embrassé son front une dernière fois, en toute bienveillance, et suivi les pas dela jeune femme tandis qu'elle se dérobait en direction de la porte d'entrée. Il aurait presque proposé de la raccompagner, par acquis de conscience, mais prenant le dessus sa paranoïa quant à l'éventualité que Jamie les voit ensemble et que la situation de Joanne en soit aggravée l'en avait dissuadé.