Le vent souffle gentiment sur la plage encore déserte. Bientôt cependant les familles arriveront pour envahir le sable de parasols trop larges et de serviettes trop grandes. L’illusion de sérénité disparaitra pour laisser place au joyeux bazar d’un week-end ensoleillé au bord de l’océan. Les grains dorés balayés viennent s’échouer sur les jambes découvertes de la jeune maman dont la peau encore humide les agrippe. Distraite, elle regarde le trader et Oliver qui glissent sur leurs petites planches. Leurs paroles lui parviennent, lointaines, floues, étranglées par le ressac léger des vagues azures. Elle ne cherche cependant pas à les capter distinctement et se rassure de ce brouhaha et de ces rires à moitié noyés dans les flots.
Son regard capte celui de Gauthier moins d’une fraction de seconde avant qu’il ne détourne les yeux. Ce bref échange lui rappelle les fois où, presque instinctivement, elle se retournait vers lui et qu’elle sentait ses prunelles sur sa nuque ou sur son visage. Il tournait alors toujours la tête brusquement, comme coupable. Cette fois cependant, elle remarque le léger sourire qui vient étirer ses lèvres et elle y répond. C’est l’exclamation soudaine de son neveu qui arrache ce contact furtif. La seconde d’après, le petit garçon patauge rapidement hors de l’eau et s’approche de la jeune femme en trottinant rapidement. À l’approche de son nouvel ami, Gabriel se débat un peu pour s’échapper de l’étreinte maternelle, des pancakes toujours plein la bouche. Dans un rire, Elisabeth le laisse s’échapper et se redresser.
Oliver demande avec toute la politesse du monde de quoi grignoter et l’avocate lui tend avec une risette le tupperware. Dans son dos, Gauthier arrive, ayant récupéré serviettes et planches abandonnées au bord de l’écume dans la précipitation de se remplir le ventre. Avec une patience toute maternelle, Elisabeth écoute le petit garçon lui conter ses exploits et s’autorise même un haussement de sourcil agréablement surpris à chacune de ses exagérations enfantines. Un air de complicité passe sur ses traits à la mention de ses talents de cuisiner ainsi que de ceux de son oncle.
« Je suis même certaine que ça devait même être le meilleur gâteau du monde, » confirme-t-elle, bienveillante. « Il faudra me montrer comment vous faîtes pour que je puisse m’améliorer, d’accord ? Comme ça je pourrai vous refaire des pancakes un peu meilleurs ! »
Cuisinière lambda, Elisabeth ne peut pas affirmer que l’art de manier poêle et casseroles fait parti de ses talents. Daniel lui a pourtant souvent raconté l’intérêt tout particulier que porte son meilleur ami pour la pâtisserie et sa passion dans l’exercice de mitonner des petits plats. Un hobby qui certains ne connaissant pas le brun considéreraient comme étant étrange et ne collant pas à sa personnalité. Elle même n’a jamais goûté un plat préparé de sa main. Avec un sourire mutin, elle observe le trader lever les yeux au ciel.
« Appelle moi Elisabeth. Même Eli, si tu préfères. Ce « Madame Elisabeth » me fait penser à la Reine d’Angleterre, » rit-elle en s’imaginant un instant habillée avec un des tailleurs si spéciaux de la cheffe de la monarchie anglaise.
Une fois repus, les deux garçons se dépêche de retourner à l’eau, laissant une nouvelle fois Gauthier et l’avocate en tête à tête. Après un court moment de blanc où tous les deux restent immobiles à observer les deux garnements, il finit par se tourner vers elle pour lui tendre la main. Elle hésite quelques secondes avant de la saisir. Le contact de sa main encore glacée par les minutes passées dans l’océan et de la sienne déjà brûlante de soleil la fait frissonner.
« Je suis un peu rouillée, » lui répond-t-elle comme pour s’excuser avec un haussement d’épaules. « Ça fait longtemps que je ne me suis pas vue nager aussi. »
Elle se redresse et époussette sa robe pleine de sable avant de la retirer et de la jeter en boule sur un coin de serviette.
Ils abandonnent derrière eux glacière, rabane et parasol et durant un moment, alors qu’ils s’approchent de la mer et que l’océan lèche déjà leurs pieds, Elisabeth ne se rend pas compte qu’elle n’a pas retiré ses doigts des siens.
« Ne t’inquiète pas, » lui affirme-t-elle. « Je suis un peu à fleur de peau moi aussi… »
Elle reste là, avec de l’eau jusqu’aux chevilles, à contempler ses orteils déformés par les reflets irisés de l’eau transparentes avant de s’accroupir pour mouiller sa nuque. Leurs mains ne se lâchent qu’à cet instant. L’eau glacé dans sa nuque dorée la fait grimacer de surprise. Elle finit par lever les yeux vers lui.
« Que diras-tu de laisser tout ça de côté pour l’instant ? Profitons de la plage et nous en reparlerons plus tard. »
Elle ne souhaite pas que les deux enfants ressentent le malaise des adultes ni les tensions entre eux. D’un pas décidé, elle s’avance au creux des vagues et ne peut retenir un cri de s’échapper de sa bouche lorsque l’eau gelée lui fait rentrer instinctivement le ventre.
« J’avais oublié qu’elle était si froide ! » s’écrie-t-elle en s’esclaffant alors que les deux enfants s’approchent d’elle, malicieux. « Oh, vous n’oseriez pas ? »
Les mains en coupe, elle se doute que les polissons vont s’en donner à cœur joie, malgré son faux air de maman mécontente. Elle plonge rapidement et disparaît sous la surface en un clignement d’yeux. Les paupières fermement jointes pour éviter l’eau de mer de s’y infiltrer, elle entend les exclamations étouffées d’Oliver et Gabriel qui la guette. Il n’en faut pas plus pour l’aider à la guider. Elisabeth surgit dans un nuage de gouttelettes derrière son fils avant de l’attraper et de le jucher sur ses épaules. Il rit aux éclats.
« Nous n’attendons que vous, sir Hazard-Perry, » le défit-elle d’un ton pompeux. « Sauf si monsieur est trop frileux ? »
L’eau froide lui picote la peau encore quelques secondes avant de s’habituer au changement brutal de température. Ses yeux moqueurs ne quittent pas la silhouette de Gauthier.
Il aurait sans doute fallu peu de choses pour qu’entre Elisabeth et Gauthier les choses se passent autrement. Un meilleur ami différent, une rencontre différente, des mots plus clairs ou des idées moins confuses peut-être. Mais au final tous ces événements entre eux les avaient mené à ce moment là – cette impression d’être au pied du mur et en même temps de ne pas trouver d’autres issues. Elle avait raison, les choses n’avaient jamais vraiment été dites, cette histoire jamais vraiment finie, ni commencée d’ailleurs. Et pourtant il doutait que les mots puissent à eux seuls arranger la situation. Ils avaient crée quelque chose de fragile – sans doute s’étaient-ils aussi un peu détruit eux même en se perdant dans le corps de l’autre, en se touchant comme ils avaient osé le faire, sans gêne comme si, leur corps étaient faits pour se retrouver. Alors quand la main d’Elisabeth attrape là sienne il sent se picotement caractéristique, cette enfin de plus encore, toujours, même si il n’en a pas le droit. « Je suis un peu rouillée, ça fait longtemps que je ne me suis pas vue nager aussi. » Il sourit presque tristement parce qu’il sait à quel point elle aime ça. Ou du moins aimait. « Et bien c’est l’occasion. » Leurs doigts ne se quittent pas, pendant quelques instants sans doute trop longtemps pour que ça ne veuille rien dire, pour que ça soit un geste anodin, il laisse son regard se perdre dans les courbes de son corps, ce corps qu’il a tant désiré qu’il retrouve à nouveau à moitié dénudé. Quand le regard d’Elisabeth croise le sien il le détourne rapidement presque honteux alors que leur pieds touchent l’eau.
« Ne t’inquiète pas, je suis un peu à fleur de peau moi aussi… » C’est peut-être ce qui aurait du le dissuader de tenir cette conversation. Parce qu’il était incapable d’être simplement une oreille attentive dans cette situation. Parce qu’il n’était pas plus capable de réconforter une personne ou de trouver les mots justes pour Elisabeth. Pour redevenir un ami… « Que diras-tu de laisser tout ça de côté pour l’instant ? Profitons de la plage et nous en reparlerons plus tard. » Est-ce que l’idée lui plait ou est-ce qu’elle l’effraye ? Il ne saurait le dire mais en tout cas il hoche la tête. « Oui… Profitons de la plage. » Il n’est pas sur d’avoir envie de tenir la suite de cette conversation un jour – jamais, mais de toute évidence il n’y échappera pas. Il n’est pas sûr non plus de savoir ce qu’elle cherche, ce qu’ils peuvent se dire aujourd’hui.
Elisabeth s’élance avant lui dans l’eau. « J’avais oublié qu’elle était si froide ! » Il l’observe jouer avec les garçons, pendant quelques instants il ne bouge pas, contemplant ce spectacle avec un sourire un peu amusé. Il n’est pas sûr de savoir y trouver sa place alors il reste en retrait jusqu’à ce qu’à nouveau son regard croise celui de la blonde. « Nous n’attendons que vous, sir Hazard-Perry, Sauf si monsieur est trop frileux ? » Un mince sourire se dessine sur ses lèvres alors que tous les trois le regard maintenant. Quelque instant encore il reste immobile, comme hésitant. « C’est bien mal me connaitre de penser ça. » Il s’élance dans l’eau attrapant son neveu au passage pour le jeter un peu plus loin dans l’eau son rire raisonnant délicieusement à ses oreilles. Cette fois il s’approche d’Elisabeth, l’air malicieux. « On dirait que tu as oublié de quoi sir Hazard-Perry était capable quand on le provoquait. » Pourtant avant qu’il n’arrive à sa hauteur elle a déjà disparu sous l’eau et c’est son fils qu’il prend en otage. Le petit garçon un peu frileux semble avoir disparu pour faire place à un rire sonore et un amusement nouveau. Oliver saute d’ailleurs sur le dos de Gauthier au même moment. La bataille s’en suit pendant plusieurs minutes avant qu’enfin Gauthier ne réussisse à saisir Elisabeth par la taille. « Tu n’es plus aussi rapide qu’à l’époque on dirait. » Il rit un peu avant de la jeter sur son épaule elle aussi.
Une fois les garçons à bout de souffle tous deux s’en vont continuer leur château de sable, fini la bataille retour au silence entre les adultes. Dès que les rires des enfants se taisent, Gauthier sent à nouveau le poids du moment le tenir. « On nage un peu ? » Elle hoche la tête et tous deux s’éloignent en crawle. La nage permettant d’éviter les sujets les plus compromettants. Pendant quelques minutes encore ils se laissent bercer par les vagues avant de revenir là où ils ont pieds. Pendant encore plusieurs minutes le silence semble être la seule chose qui puisse exister entre eux, aucun des deux adultes ne dit rien l’un à côté de l’autre le regard vers les deux garçons qui jouent sur la plage. La main de Gauthier frôle celle d’Elisabeth dans l’eau et un long frisson le parcourt. « Elle est pas si chaude… » C’est tout ce qu’il trouve comme excuse, même si il y plusieurs minutes maintenant que son corps c’est habitué à la température. A nouveau le silence s’installe et si Gauthier n’est normalement pas de ces hommes qui fuit le silence avec Elisabeth il lui semble presque lourd à cet instant. Dans le silence des vagues la voix de l’homme fini par se faire entendre. « Est-ce que… Tu crois que j’ai eu tord de partir ? » Il n’ose pas le regarder. Presque honteux d’avoir osé poser la question et pourtant plus d’une fois elle lui est venu à l’esprit. Qu’est ce qui se serait passé si il ne s’était pas éloigné, Si il n’avait pas simplement pris le large et refusé tout sentiment naissant il y a 4ans en arrière ?
En un battement de cil, la conversation déplaisante a été balayée et s’est enfuie au large, emportée par les embruns. Elisabeth sait pertinemment qu’elle reviendra, comme la marée, mais pour l’instant, elle décide de suivre le conseil donné par Gauthier à la lettre. Profiter. Car depuis son retour à Brisbane, son esprit a toujours été occupé par ces sentiments troubles, nuages sombres dans son ciel bleu. Elle ne s’en rend véritablement compte que maintenant alors que pour la première fois depuis des mois, il lui semble que le sourire lui vient plus naturellement, qu’elle ne se force pas et surtout, que cette bonne humeur vient teinter ses yeux de joie. D’entendre son fils s’esclaffer en s’accrochant à son cou, de le voir si épanoui et radieux la comble. Ce qu’elle avait le plus craint en quittant Londres était de perturber Gabriel. Or, malgré son caractère réservé et craintif, elle voit aujourd’hui qu’il a facilement adopté la vie australienne sans trop se poser de questions, un miracle à cet âge-là où les questions font parties du quotidien.
Gauthier lui rend son sourire. Oliver devient la victime de son esprit farceur alors que son oncle s’amuse à le jeter au creux des vagues, en prenant toutefois garde que le petit garçon ait toujours pieds. Gabriel gigote sur les épaules de sa mère en s’écriant que lui aussi veut faire comme son nouvel ami. L’avocate n’a pas le temps de le faire descendre qu’il bondit dans l’eau. Distraite un instant, la jeune femme ne se rend pas compte que le brun s’est rapproché comme un requin de sa proie. Les deux adultes se jaugent quelques secondes du regard. Elisabeth haussa un haussement de sourcil de défi lorsqu’il fond sur elle avant qu’elle ne disparaisse une nouvelle fois sous l’eau. Malheureusement pour lui, elle est dans son élément et à ce jeu, elle est intimement persuadée de sa victoire. Elle remonte à la surface dans une nuée de bulles et assiste, attendrie, à un tableau presque irréel. Gabriel est dans les bras de Gauthier, le suppliant en riant pour qu’il le jette dans l’eau et Oliver, accroché à son dos. Le trader fait mine de se débattre et la scène rappelle à Elisabeth un film qu’elle avait vu étant enfant. Godzilla, lorsqu’il est attaqué par les hommes après avoir détruit la ville.
Les enfants finissent par délaisser leur proie et Gauthier s’approche tranquillement de la blonde, mine de rien, avant de la saisir par les hanches, malgré ses protestations. Peut-être s’est-elle surestimée, finalement.
« Alors c’est ainsi que vous traitez les dames, Sir ? » rit-elle alors qu’il la jette sur son épaule. « Quel gentleman ! »
Elle tente de se contorsionner, de se retourner pour chercher son regard, mais impossible de se redresser. De dos, Gauthier ne voit pas les garçons quitter le champ de bataille pour regagner la plage. La blonde prend une mine outrée.
« Alors c’est comme ça ? On abandonne la demoiselle en détresse ? »
Au bord de l’eau, elle aperçoit Gabriel qui lui adresse un petit signe de la main. Elle le lui rend, les lèvres ourlées d’un sourire. Le brun finit par la relâcher et lui propose de nager, ce qu’elle accepte dans un hochement de tête. Une nouvelle fois, elle se laisse aller en le suivant tranquillement. Sa respiration se calme instinctivement et les battements de son cœur s’apaisent au rythme familier de ses bras et de ses jambes accompagnant l’eau. Elle ne met pas bien longtemps à vider son esprit qui ne répond bientôt plus que machinalement aux commandes de la respiration et des gestes, depuis bien longtemps enregistrés dans son subconscient.
L’accalmie est de courte durée puisque finalement, l’un comme l’autre se rapprochent de la plage, désireux de garder un œil sur les garnements qui construisent des châteaux de sable. La pointe de ses pieds heurte le sable doux et alors que ses bras font des ronds dans l’eau, sa main effleure celle de Gauthier et tous deux font mine de rien. Pourtant elle voit dans son regard le trouble que ce simple contact fait naître, probablement le même qui la fait serrer les dents. Elle rabat ses cheveux mouillés en arrière et s’enfonce dans l’eau jusqu’à ce que son menton disparaisse. Si le trader frissonne, elle aussi. Mais elle n’est pas sûre, comme il le soulève, que cela soit à cause de la température de l’eau. Un silence bercé par le clapotis des vagues demeure quelques minutes entre eux alors qu’au loin, les voix fluettes d’Oliver et Gabriel retentissent.
Lorsque Gauthier finit par briser l’atmosphère mutique par une nouvelle question, Elisabeth reste la bouche fermée, à le regarder alors qu’il semble presque gêné de le lui demander. Elle ne sait pas quoi lui répondre. A-t-il bien fait de partir ? Elle n’en sait rien. S’il était resté en Angleterre, cela aurait-il réellement changé quelque chose ? Elle aimerait penser que non. Qu’elle aurait épousé Daniel de toute façon. Et qu’ils se seraient naturellement éloignés. Un peu comme aujourd’hui. Après tout, n’a-t-elle pas accepté d’épouser son mari avant de connaître le désir de départ de Gauthier ? Cependant, elle sait au fond d’elle qu’elle se persuade. S’il avait demeuré… Peut-être aurait-elle abandonné Daniel à l’autel pour retrouver ses bras à la fois familiers et étrangers. Peut-être.
« Il n’y a pas que nous dans l’équation, » finit-elle par lui répondre. « Tu me l’as dit, tu es aussi partie pour ta sœur… Pour Oliver. »
Un maigre sourire se dessine sur ses lèvres. Elle ferme les yeux et inspire profondément avant de rouvrir les paupières.
« Si tu es heureux aujourd’hui, c’est que tu as bien fait. Regretter les décisions passées… ça ne sert à rien. Nous en sommes là où nous en sommes et il faut voir de l’avant, pas vrai ? Même si je t’avoue qu’il m’arrive d’y penser, d’imaginer… Si nous n’avions pas fait ces choix-là. Si tu étais resté, si je ne m’étais pas mariée… J’imagine que nous ne le saurons jamais. »
Elle finit par secouer la tête, moqueuse et dubitative.
« Je parle comme un mauvais magazine de psychologie féminine, hein ? »
Il voudrait dire que ce n'était que comme ça, que ça n'a pas compté, qu'il a à peine repensé à elle mais ça serait se leurrer. Il en a connu des femmes d'un soir, pas tant que ça, pas si souvent mais quand même et ses histoires étaient à des kilomètres de ce qu'il a vécu avec Elisabeth, parce que, qu'ils le veuillent ou non, ils ont une histoire, ils avaient une histoire et ils en auront toujours une demain même si c'est parfois dur de mettre des mots sur leur situation. Alors là, au milieu des vagues, il se laisse aller à poser les questions qu'il n'a jamais osé poser, celles qui ont parfois tourné si longuement dans son esprit qu'il aurait voulu pourvoir les chasser d'un coup de marteau, celles qu'il n'a jamais partagé avec personne, la pudeur le faisant reculer à chaque fois qu'il avait l'audace d'y penser. Il n'a parlé de ce moment d'égarement avec Elisabeth à personne, pas même à elle jusqu'à aujourd'hui. Parce que quelque part il voulait sans doute un peu le garder pour lui, parce qu'en parler rendrait aussi la trahison plus réelle et qu'il la peur de chasser la douceur de ce souvenir pour qu'il ne devienne plus qu'une grossière erreur le prenait aux tripes. « Il n’y a pas que nous dans l’équation, tu me l’as dit, tu es aussi partie pour ta sœur… Pour Oliver. » Le regard de Gauthier ne quitte pas le rivage, accroché à ce dernier comme si il était son seul ami il reste droit le visage fermé presque un peu strict comme si cette façade avait le pouvoir de le protéger. « Je suis partie principalement pour eux. » Il continue d'essayer de s'en convaincre, de refuser l'idée qu'il l'a fait pour lui aussi, pour elle, pour se protéger d'une histoire qui ne pouvait pas avoir d'issue positive. Parce qu'au final quelqu'un devait souffrir et il n'était ni prêt à être le bourreau ni à être la victime. « Mais ça n'était pas ma question. » Elle a esquivé il le sait bien.
« Si tu es heureux aujourd’hui, c’est que tu as bien fait. Regretter les décisions passées… » Heureux il ne sait pas si il l'est vraiment, si c'est la façon dont il définirait son état d'esprit, ça semble lui coller si mal à la peau: le bonheur. Il n'est pas malheureux c'est une certitude, il avance dans la vie et il se débrouille pas si mal, mais le bonheur le vrai ça semble comme un concept un peu intouchable. Un état qui est réservé aux rêveurs, lui il a les pieds sur terre il vit avec pragmatisme, un peu sans doute parce qu'on ne lui a jamais rien appris d'autre. « ça ne sert à rien. Nous en sommes là où nous en sommes et il faut voir de l’avant, pas vrai ? Même si je t’avoue qu’il m’arrive d’y penser, d’imaginer… Si nous n’avions pas fait ces choix-là. Si tu étais resté, si je ne m’étais pas mariée… J’imagine que nous ne le saurons jamais. Je parle comme un mauvais magazine de psychologie féminine, hein ?» Il sourit vaguement restant pourtant encore silencieux. Peut être qu'il s'attendait à autre chose, sans doute aussi qu'elle a raison. « Je n'ai pas de regret Elisabeth, on est bien ici ma famille et moi. J'ai juste l'impression parfois d'être parti comme un voleur. Comme si rien n'avait d'importance pas même ce que mes proches pouvaient ressentir. » Tout c'était enchaîné si vite. La priorité étant d'emmener Théo loin de leurs parents, loin de l'Angleterre, ni Charlie ni Gauthier ne semblaient s'être posés beaucoup plus de questions. « Pas que toi ou Daniel… Il y a aussi Connor... » Connor étant le petit dernier de la famille, encore mineur quand ses frères et soeurs étaient venus s'installer en Australie, ils l'avaient laissé en Angleterre avec leur parents et une grande sœur bien trop distante pour être un réel soutien, ce qu'il avait - à n'en pas douté - vécu comme un abandon. Gauthier ayant toujours été une sorte de figure paternel pour ses frères et sœurs l'abandon n'avait été que plus marqué encore et depuis presque quatre ans maintenant Connor lui infligeait un silence presque radio ne répondant que vaguement et peu souvent à ses messages et ses appelles. Une punition que Gauthier vivait avec douleur même si il gardait ses peines silencieuses, tentant de garder la tête haute et de ne pas avoir de regret malgré tout. « Mais pourtant… Ca avait de l'importance et c'est sans doute la raison première qui m'a poussé à ne pas poser de question. C'était plus facile de ne pas savoir. » Avec le temps cette facilitée choisie à l'époque avait fini par se muer en questionnement silencieux de son esprit mais il avait appris à vivre avec.
Finissant par tourner enfin le regard vers Elisabeth il avait conclu, en esquissant un léger sourire. « Je devrais sans doute y aller... Théo a prévu d'amener Oliver acheter des vêtements cet après-midi elle va me faire la peau si je le ramène à la maison à pas d'heure. » Pourtant il n'avait pas bougé comme pour contredire ses propres paroles, restant là, à la regarder espérant pouvoir étendre les secondes, bien conscient qu'il n'avait au fond de lui aucune envie de la quitter. Surtout quand il n'avait aucune idée de quand il la reverrait
Le visage fermé et glacé de Gauthier est offert à la plage, ses yeux sont fixés sur les deux enfants qui jouent encore dans le sable, emmitouflés dans leurs serviettes éponges trop grandes. Ses yeux n’ont pas besoin de la fixer pour qu’Elisabeth ressente la pression de ses iris bleues sur elle. Malgré le vent soufflant tranquillement et le ressac des vagues, les rires qui résonnaient quelques minutes auparavant semblent bel et bien envolés. Sans être pesante, l’atmosphère n’en est pas moins dérangeante. L’avocate en vient presque à redouter le son de la voix grave du meilleur ami de son époux. Va-t-il briser le silence ? Ou préfère-t-il conserver ce mutisme que la blonde a depuis longtemps associé à son visage. Elle a conscience qu’il a tendance à économiser ses mots, ne parlant que lorsqu’il le juge nécessaire. Aujourd’hui, cependant, parler est devenu nécessaire. Devient nécessaire. Ils le savent tous les deux. Ils savent aussi qu’ils se blessent eux même et l’un et l’autre en s’obstinant à chercher à s’expliquer. Mais ils ne peuvent plus faire machine arrière. Ils ne peuvent plus rebrousser chemin. Les faits sont là, étalés devant eux et les ignorer serait la pire des idioties.
Dans sa réponse soudaine, un mot fait tilter la jeune mère. Principalement. Il est parti en Australie, loin de tout ce qu’il connaissait principalement pour sa sœur et son enfant. Principalement. Il a également fui à cause d’elle. Même si cette partie était infime face à l’urgence de la situation de sa cadette, il ne la renie pas. Au fond d’elle même, Elisabeth sait qu’une réaction définitive a été leur seule chance de salut. Comment auraient-il pu s’éviter par la suite ? Comment se seraient déroulés les quelques mois avant le mariage ? Se seraient-ils ignorés ? Se bornant à leurs relations amicales devant la nuit fatidique, faisant mine de rien ? Elle ne sait pas comment elle aurait réagi. Elle l’ignore et c’est cela qui l’effraie. Mais effacer ses lèvres sur les siennes, ses mains dans le creux de ses reins… Encore aujourd’hui, il lui est impossible d’oublier. Gauthier lui fait remarquer qu’elle a évité l’interrogation, sans toutefois en demander plus. À cela, elle ne peut que soupirer avec un triste sourire. Qu’aurait-elle pu lui répondre ? Elle n’en sait rien. Dans cette histoire, elle est sûrement aussi déboussolée que lui.
Pensif, il semble réfléchir à sa notion du bonheur. Son demi rictus las lui en arrache un nouveau alors que ses mains font des ronds dans l’eau azurée. Il n’a pas de regret. L’entendre dire cela la soulage presque d’un poids et elle sent ses muscles engourdis par la nage et par des années de silence se détendre.
« Quelques fois, j’ai moi aussi l’impression d’être partie comme une voleuse, » dit-elle dans un murmure.
Elle n’est pas partie physiquement comme le trader a pu le faire. Non, elle s’est enfuie en acceptant la demande en mariage de Daniel. En tournant le dos au brun, refoulant les sentiments qui commençaient à la faire douter, les enfermant à double tour au creux d’elle même, en espérant qu’ils ne rejaillissent jamais. Mais le destin semble vouloir se moquer d’elle. Se moquer d’elle ou lui faire ouvrir les yeux.
La mention de Connor laisse apparaître un air de souci sur le visage de la blonde. Elle ne connaît pas très bien le petit dernier de la fratrie, mais le départ soudain de ses aînés n’a pas dû le laisser insensible. Inconsciemment elle se rappelle de Nina et Leah, de leurs regards lorsqu’elle leur a annoncé qu’elle partait étudier en Angleterre, laissant ses sœurs adoptives derrière elle. Evidement, elles savaient alors à l’époque qu’Elisabeth allait finir par revenir un jour. La famille n’était pas brisée. Elle ne sait pas si elle peut en dire autant des Hazard-Perry. La moue distante de Gauthier la dissuade de demander des nouvelles de son petit frère. Peut-être n’en a t-il pas.
« Je ne voudrais pas être responsable de ta mort, » finit-elle par rire. « Je ne pensais pas ta sœur si féroce. File ! Nous allons finir par attraper froid à barboter. »
Elle laisse derrière elle l’océan et invite le brun à la suivre. Un frisson, dû au froid, mais également à un soudain sentiment de vide lui arrache un grelottement. Il va partir. Ils retrouvent les deux garnements que la nage semble avoir fatigués. Gabriel accueille sa mère avec un long bâillement.
« Nous n’allons pas tarder non plus, pas vrai ? »
Le petit acquiesce. Elisabeth le prend dans ses bras et dépose un baiser sur son front encore mouillé. Elle reste quelques secondes immobile, à regarder Gauthier.
« Peut-être que… tu pourrais venir manger à la maison un soir ? Un de mes espions m’a dit que tu avais un don pour la pâtisserie. »
Elle glisse un regard complice à Oliver.
« Ne te sens pas obligé, bien sûr, » lui dit-elle, avenante.
Car elle ne peut pas se résoudre à tourner les talons avec un froid « à bientôt », en ne sachant pas quand ce « à bientôt » sera.
Il y a de la lâcheté dans leurs gestes, dans leurs échanges dans leur passé. Une lâcheté plus ou moins assumée aujourd'hui. « Quelques fois, j’ai moi aussi l’impression d’être partie comme une voleuse, » Toujours ce silence qui revient entre eux, son regard quitte la rive pour se poser sur Elisabeth perçant et persistant, il espère peut être y lire des réponses aux questions qu'il n'ose pas poser. Il pourrait prétendre qu'il n'a pas compris pour en entendre plus, comme si les mots pouvaient soigner son être, mais il se contente du silence parce que tous les deux savent ce que ça veut dire, tous les deux savent que la fuite était la solution pour eux parce que le reste était insoutenable... Machinalement Gauthier regard son poignet cherchant la montre que son frère et sa sœur lui ont offert pour son anniversaire, mais elle n'est pas à son poignet, inquiète que l'eau et le sable l'abîme il s'en est défait avant de se lancer sur la plage et si il ne connaît pas l'heure il a pourtant la sensation qu'il est temps pour lui de partir. Peut être que les mots ont fini par l'apeurer ou simplement qu'ils lui manquent. « Je ne voudrais pas être responsable de ta mort, je ne pensais pas ta sœur si féroce. File ! Nous allons finir par attraper froid à barboter. » Rapidement ils retrouvent les deux garçon qui bien que fatigués ne semblent pas vouloir se quitter. Le regard de Gauthier vient parfois se perdre sur les courbes d'Elisabeth mais il tourne le regard assez vite pour qu'elle ne s'en aperçoive pas. Du moins pas tant qu'il ne le souhaite pas.
« Peut-être que… tu pourrais venir manger à la maison un soir ? Un de mes espions m’a dit que tu avais un don pour la pâtisserie. » Un sourire se glisse sur ses lèvres alors qu'il regarde son neveu qui à son tour a levé la tête en attente de sa réponse. Il ne dira rien mais son simple regarde suffit à dire qu'il veut être de la partie et revoir son nouvel ami, pourtant le sourire de Gauthier se mue en une expression plus dur, la légèreté du moment lui échappant d'une coup, d’ailleurs Elisabeth ne semble pas passer à côté, rajoutant plus timidement. « Ne te sens pas obligé, bien sûr, » Il s'approche un peu de ses affaires qu'Oliver à amener près de celle d'Elisabeth pendant qu'ils nageaient, attrapant son pantalon sans répondre de suite. Il se retourne finalement sur elle presque surprise de la voir si proche. « Je ne sais pas Elisabeth… » Quelque part ses retrouvailles lui font peur. Ce qu'il pourrait dire, faire, ressentir. Ici sur la plage la fuite semble si simple il peut prendre de la distance il peut prétendre que quelques chose est plus intéressant au loin ou dans le ciel. Un repas chez elle, avec elle... C'est autre chose. « Je ne sais pas si c'est une bonne idée… » Il déteste le regard qu'il fait naître chez elle, s'en veut presque d'être trop dur alors qu'elle tente de s'ouvrir à lui. Il fouille dans la poche de son pantalon pour en sortir son porte monnaie et une carte de visite qu'il lui tend de manière bien trop professionnel pour la situation. « Si tu as besoin de quoi que ce soit tu peux me joindre à ce numéro. N’importe quand… » C'est comme une porte ouverte, une façon de ne pas partir sur un refus. Il n'a d'ailleurs même pas vraiment dit non, il ne sait pas quoi en penser. Un peu machinalement il se rapproche d'elle passant une main sans doute trop hasardeuse sur la chute de ses reins et un baiser rapide sur sa joue. Le contact, aussi court soit-il, lui procure un frisson presque électrisant et déjà il a prit de la distance. « A bientôt. » Oliver attrape sa main lui son sac dans lequel il a rangé soigneusement ses affaires. Tous deux marchent dans la direction opposée à Elisabeth. Oliver parle mais le trader l'écoute à peine son esprit est encore comma parasité, cette étrange sensation ne le quittant pas.