Evidemment que j’avais une faim de loup. C’était monté progressivement et j’avais à présent l’impression de manger bien plus que je ne le devrais. Mais après tout, mon gynécologue m’a bien confirmé que cela serait normal et que tout ce qui me paraît d’habitude anormal, je n’avais pas besoin de m’inquiéter. Bon, bien sûr, je pouvais toujours l’appeler ou même les urgences pour en être sûr. C’est ce que je risquais malheureusement de faire. Même si à côté de ça, je n’allais pas me déranger pour lire un maximum d’information avant de déranger n’importe qui et de me plaindre comme j’ai toujours eu l’horreur de faire. Je me suis sentie un peu défaillir quand Gabriel me répondait que je venais de lui offrir le plus beau cadeau de sa vie. N’en rajoutait-il pas un peu trop ? Je me sentais un peu mal à l’aise, mais ça me faisait plaisir en attendant. C’est que je n’avais pas prévu ce genre de cadeau, pas avec lui, et je me sentais fautive pour ça. J’avais très certainement rosie des joues avant qu’on ne se mette en quête d’un fameux resto qu’il me paierait. Je ne tardais pas à en trouver un tout à fait convenable et pas hors de prix non plus et on nous installait à une table pour deux. Les cartes sous le nez, je commençais à choisir quels plats pourraient me satisfaire. C’est alors que le brun me posait la question que je redoutais tant. Je restais un instant le regard sur la carte, tout en réfléchissant, en ayant totalement perdu le fil des plats et menus. Je relevais enfin le regard pour le plonger dans le sien, et sincèrement je lui répondais tout en haussant légèrement les épaules Un peu des deux je suppose. Mais il est clair que si je suis là c’est pour te laisser la chance d’élever cet enfant … Je ne savais pas trop si tu serais partant. Lui confiais-je alors que mon regard avait du mal à rester figé dans le sien. Je finissais par contempler de nouveau ce qui me servait d’échappatoire.

Cet enfant n’était clairement pas attendu, autant par moi que par Gabriel. Certes, j’espérais vivement avoir un enfant, et ce, depuis le lycée, je sais que j’en ai toujours voulu. Mais pour ce qui est de Gabriel, je n’étais pas vraiment sûr que cela soit son désir. Après tout, dans nos rencontres, rien ne m’indiquait qu’il voulait fonder une famille. Ou alors ça a échappé à ma vigilance. Ce qui est bien fort possible. Mais cette histoire, celle que nous avons, est loin de me rassurer. En effet, cela n’était pas vraiment prévu qu’on se revoit un jour, encore moins avec ce petit fœtus qui vient de nous deux, de notre relation, aussi complexe soit-elle. Alors forcément, il se posait lui aussi des questions. Seulement je ne pouvais pas être en mesure de lui dire ce que je voulais exactement. Et c’est bien la première fois que cela m’arrive. Une chose était sûre, je ne voulais plus élever cet enfant seul. C’est une bonne chose. Lui répondais-je simplement quand il me disait vouloir être père et qu’il apprécierait ça surtout. C’est qu’il doit se sentir prêt d’une certaine manière. Le serveur arriva alors pour prendre nos commandes et je mis du temps avant de me décider, ne faisant même pas attention à l’impatience qui gagnait ce servant. Une salade nordique, c’était parfait. Je commandais forcément une bouteille de vin rouge pour aller avec ce repas. Je ne demandais pas à Gabriel s’il en voulait, ayant bien trop l’habitude de prendre au minima une bouteille à chaque repas en restaurant. Le serveur reprenait les cartes et je me sentais comme dénudé, mise à nue sous son regard, alors qu’il me gênait d’une manière bien déstabilisante. Est-ce que ça allait être bizarre entre nous ? Voilà sa question, et voilà que je ne comprenais pas vraiment où il voulait en venir Plus bizarre que maintenant ? Je n’en sais rien. Le mieux serait de pouvoir bien s’entendre. Oui, bien s’entendre c’était le bé-à-bas n’est-ce pas ? Le reste coulerait de source. Il fallait juste que je prenne l’habitude de tout partager avec lui. Mais sache que je ne souhaite pas te mettre de côté, je ne veux pas que cet enfant grandisse sans son père. Les formalités viendraient par la suite, naturellement, je suppose. Ou plutôt je l’espérais.

Pour bien s'entendre, il fallait que je m'en donne les moyens, il fallait que je fasse tout pour que ça se passe bien, mais quelque chose me disait que c'était qu'une question de volonté et que j'allais y arriver. Mais Gabriel mit le doigt sur quelque chose d'assez important pour moi. Je regardais instinctivement autour de moi, et me mis à paniquer le temps d'un instant. Je soufflais un bon coup, fermais les yeux et tout en retournant le regard vers le brun, je les ouvrais et lui répondais Tant pis pour les « on dit », je n'ai plus vraiment le choix. Était-ce vraiment que je n'avais pas le choix ? Non, bien sûr, je l'avais décidé avant même que je ne vienne l'accoster dans la rue. Mais encore une fois, parler en toute transparence, j'avais vraiment du mal. Je lui disais tout de même que je voulais un père pour cet enfant. D'abord parce que Delilah m'avait bien fait comprendre qu'avoir de l'aide pouvait vraiment être utile. Mais surtout parce que je ne voulais plus élever cet enfant seul, parce que je voulais que cela soit une raison suffisante pour continuer de le voir sans me poser dix milles questions à la seconde. Les plats arrivèrent alors, en même temps que la bouteille, que le serveur prit le temps d'ouvrir devant nous. Quand il me fit goûter le contenu et que cela me brûlait les papilles, je comprenais que mes habitudes pouvaient me trahir. Je me fis servir un bon petit verre, mais ce serait le seul. Tant pis pour le reste de la bouteille si Gabriel n'en voulait pas. Cela faisait à peine une journée que je savais que j'étais enceinte, les vieilles habitudes reprennent bien vite les devants. Heureusement, bien avant d'apprendre que je ne pouvais pas être enceinte plus de deux mois, je m'étais renseigné sur le vin, et un verre de temps en temps n'allait pas faire de mal à mon bébé. Mon addiction risquait d'en pâtir, mais le manque pas vraiment présent. Je remarquais surtout que Gabriel ne me faisait aucune remarque, surtout qu'il pourrait très bien le faire. Mais non. Et j'appréciais. Bon appétit. Lui répondais-je simplement en commençant les hostilités. Le brun me demandait alors si j'avais fait ma première échographie. Je finissais ma bouchée et lui répondais Oui, hier. Je me croyais malade, j'avais pourtant fait un test, mais rien n'était apparut. On m'a fait une écho et voilà. Il était là. Mais j'ai pris rendez-vous avec ma gynéco pour dans deux semaines. Oui, cette écho sera l'officiel, la première, celle où on pourrait vraiment apercevoir le fœtus. Tu es le bienvenu bien sûr. Lui signifiais-je alors, tout de même assez gênée de proposer ça à Gabriel.

L’idée d’avoir cet enfant avec lui était étrange, parce que j’étais autant contente que déçue. Ce n’était pas ce à quoi je m’attendais, mais j’ai comme l’impression qu’au fond, je me battais avec moi-même pour me dire que si, c’est bien ce que je voulais. Les faits sont là à présent, et j’ai plutôt intérêt à l’accepter. Peu importe les « on dit » comme je le signifiais au beau brun, que mes amies l’acceptent ou non, je voulais juste élever parfaitement cet enfant. Et pour ça, je me devais d’être en paix avec moi-même. Bien sûr, cela ne sera jamais le cas, et le travail pour y arriver serait bien trop grand à fournir. Mais le fait de devoir cacher la vérité ou l’erroné, ce n’est clairement pas mon but. Je fronçais alors les sourcils à la proposition de Gabriel et lui répond du tac au tac Je dirais la vérité. Si je suis là avec toi, si tu es au courant pour cet enfant, ce n’est pas te cacher par la suite. Lui répondais-je en secouant légèrement la tête. Je me détendais par la suite en parlant des rendez-vous que j’avais eu et que j’allais avoir chez la gynéco. Il était évident que j’en propose au moins un à Gabriel, c’est son droit. Il me demandait alors de le tenir au courant et surtout il me proposait de venir me chercher avant. Je ne savais pas vraiment quoi répondre, ce n’était pas vraiment utile qu’il le fasse, mais certainement qu’il tenait bien plus à moi que je ne pouvais l’imaginer. J’haussais alors les épaules, l’air indifférent et lui répondais Si tu veux. Le serveur ne tarda à arriver avec nos plats et me suis mis à demander des nouvelles de son travail, parce que passer tout un repas à parler que de cette vie qu’on allait passer ensemble avec cet enfant. Faut dire que ça me terrifie et je ne suis pas vraiment très à l’aise avec cette idée Ca en est où alors de tes affaires ?

Cette situation était assez gênante pour moi. Parce que malgré le fait que j’assume de passer ce déjeuner avec Gabriel, j’avais un peu de mal à ne pas penser aux futurs « on dit » sur ce fameux rendez-vous. Qui au final n’en est clairement pas un. Moi-même je dois sûrement me poser la question de savoir si c’en est vraiment un, où on va se retrouver avec cet enfant. Voilà une situation que je n’arrive plus du tout à avoir le contrôle. Autant dire que je n’apprécie guère. Seulement je me sens bien à chaque fois que je suis en sa présence, et j’aime bien quand il parle. Je n’ai pas envie de passer tout le repas à parler de notre futur proche, je ne sais même pas comment il pourrait être. Ca me prendrait bien trop la tête, et puis le sujet principal était déjà dit, alors à quoi bon trop anticiper ?! Je préférais davantage qu’il me parle de ses dernières nouvelles, faire comme si de rien n’était. Mais je me retrouvais bien vite confuse face à ses dires. Je sentais même mon cœur se serrer, tellement me serrer que j’avais une envie soudaine de me lever et de partir en gueulant. Mais je me retenais, il fallait que je prouve à tout le monde, et surtout à moi-même, que je n’étais pas jalouse, que je pouvais le laisser me parler des femmes qu’il rencontre autant qu’il veut. Mais voilà qu’il me demandait ce que je ferais. Bien sûr, je pouvais lui répondre de deux manières différentes. Soit lui fournir une réponse honnête sans une once de jalousie, soit lui communiquer le fait que je n’appréciais pas du tout ça. Je mis alors du temps à répondre Je ne la vendrais pas. Et je ferais en sorte que mon arrière-boutique soit bien fermée à clé. Oui c’était un peu cash, un peu froid, un peu extrême, et non je pensais au fond qu’il devrait la vendre, ça ferait plus d’argent, mais en même temps s’il veut l’exposer, il aura tout un tas d’autres offres. Je n’étais tout de même pas sûr que ma jalousie ait bien été cachée, alors je souriais du mieux que je pouvais, sentant que c’était extrêmement difficile. Je finissais par reporter le plus naturellement possible, mon attention sur mon assiette, en continuant de manger.

Quelque chose me disait que ma volonté de cacher ma jalousie était accomplie. Seulement j'avais davantage réussi à l'agacer et à le vexer plus qu'autre chose. Mais après tout, n'était-ce pas ce que je voulais ? Très certainement, si. Alors pourquoi est-ce que je me sentais mal tout à coup. J'avais envie de lui expliquer, j'avais envie de me rattraper, j'avais envie de lui dire de vendre cette toile, de passer plus de temps avec moi, mais rien n'y faisait, je m'en mordais la langue et rien ne sortait. Je me contentais de finir à mon tour mon assiette. Je n'avais à peine pris qu'une goutte de vin. Je me sentais nauséeuse. Il valait mieux que je rentre oui, parce qu'il allait vouloir s'occuper de moi, faire en sorte que j'aille bien, et j'allais de nouveau me laisser aller et tomber dans ses bras. Non, il fallait que je sois plus forte, et avec cet enfant qui arrivait dans nos vies, j'avais intérêt à me préparer pour ne plus succomber à cette tentation qu'il émanait. Mais je ne ressentais même plus l'envie de trouver un homme qui me conviendrait, m'ennuyer avec, alors qu'il ne me servirait plus à rien, maintenant que cet enfant grandi en moi. Non, je n'ai plus besoin d'aucun homme. Je pourrais toujours me servir de Gabriel si j'ai besoin, mais je sens mon cœur se serrait rien qu'à cette idée. Il vaudrait très certainement que j'aille voir ailleurs, pour le bien de mon cœur et de ma vie sociale. Gabriel me demandait si je voulais un dessert, et rien qu'à l'idée de prendre du sucré, je me sentais encore plus nauséeuse. Non, ça ira, merci. Je me levais alors, faisant bien attention pour ne pas avoir la tête qui tourne et disais au beau brun Il faut que j'y aille. Merci pour le repas. Bien sûr que j'allais le recontacter pour l'échographie, c'était tellement évident pour moi, que je suis partie comme ça, sans rien de plus. Une fois arrivée chez moi, il est sûr et certain que je vais passer un certain long moment aux toilettes. La grande joie.