“ oh, oh, when i was younger, oh, oh, should have known better and i can't feel no remorse, and you don't feel nothing back oh, oh, got a new girlfriend, he feels like he's on top and i don't feel no remorse, and you can't see past my blinders oh, ophelia, you've been on my mind girl since the flood oh, ophelia, heaven help a fool who falls in love ” ▬ • ▬
Il est tôt, c'est un dimanche matin. Les rayons du soleil illuminent progressivement la chambre d'Ophelia, la réveillent. La belle s'étire dans ses beaux draps clairs, elle maugrée quelque chose d'incompréhensible et se frotte les yeux avant de les ouvrir, pour de bon. Elle soupire, le regard perdu dans le vide, patiente quelques secondes encore, avant de se décider à se lever. Lentement, elle traverse la pièce, enroule ses longs cheveux blonds dans un chignon négligé et rejoint la cuisine, où elle se sert une tasse de café. Robin dort encore, et sa colocataire elle, ne sait pas trop quoi faire. Des mois qu'elle ne s'est pas levée si tôt .. Ophelia regarde autour d'elle, les mains enroulées autour de sa tasse fumante. Elle réfléchit un instant, avant que l'idée lui vienne : ce matin, elle visitera les environs.
Elle se lève, attrape une pomme et la mange sur le chemin de la salle de bain. Là, elle se prépare à la va-vite avant de sortir, son sac sur l'épaule. Elle se dit qu'elle rejoindra le parc de la ville, pour profiter de la nature. Qu'elle pourra s'y asseoir, ouvrir son dernier livre et continuer sa lecture, seule. Lorsqu'elle arrive pourtant, Newfarm Park n'est pas vide. Quelques enfants jouent çà et là, des parents les surveillent et d'autres font leur jogging matinaux. Ophelia les regarde, amusée. Elle s'avance encore, et s'assoie enfin lorsqu'elle trouve l'emplacement parfait. Ce n'est qu'une fois installée, son livre sur les genoux, qu'une personne s'approche et s'arrête net devant elle. Ophelia hésite, puis lève les yeux. Son cœur s'arrête. Elle se serait attendu à tout, sauf à ça. A tout, sauf à lui.
J’aurais pu prévoir un plan comme je savais si bien le faire d’habitude, j’aurais pu tout calculer au millimètre près, à la seconde ou à la minute même. Mais je n’avais rien fait, du moins je n’avais pas encore étudié un plan concernant la poursuite d’un bonheur inexistant, concernant la rencontre forcée avec Ophélia, qui était, on ne va pas se mentir, mon but depuis que j’avais quitté le grand îlot. Mon esprit divaguait alors que je me contentais de remettre le dernier bouton de ma chemise, j’étais comme ça, je boutonnais toujours ma chemise jusqu’au bout. Ça me donnait un air de coincé et alors, n’était-ce pas ce que j’étais ? Caleb me regardait de ses grands yeux étincelants, il connaît le programme de la journée et sait qu’il va pouvoir jouer avec les autres enfants. Le déménagement a été dur pour lui, brutal et je m’en voulais toujours de l’avoir arraché à cette vie qu’il connaissait par cœur ou presque. C’était dur pour moi, très horrible de lui infliger ça, moi qui le couvais peut-être un peu trop depuis le départ de sa mère, mais il le fallait. Je me tournais vers Caleb qui restait accroché dans son parc, j’entendais alors frapper à la porte, la nounou. L’après-midi était planifiée de la sorte à ce que je puisse me détendre au parc tout en regardant Caleb s’amuser avec la nounou, pour voir également si elle allait faire l’affaire pour le garder convenablement. Directement le parc quelques minutes plus tard après avoir fermé mon appartement. Les mains dans les poches de mon long manteau, j’observais attentivement le petit blond vénitien déambuler et sourire aux autres enfants. Bordel qu’est-ce que j’étais content d’avoir ce petit bout dans ma vie. Soudain, une silhouette attirait mon regard et mon cœur se figeait. Un rictus pendu à mes lèvres, je me dirigeais discrètement vers elle. Finalement, la rencontre allait avoir lieu plus tôt que je ne le pensais… « Bonjour Ophélia. »
Paf, tout s'arrête. Il lui semble que son cœur ne bat plus, que son cerveau se vide de toutes pensées. Elle ne voit plus rien autour, il n'y a que lui. Ezeckiel. Aussi beau que le jour où elle l'a quitté. Il dégage toujours la même chose, cette aura, ce mélange de grandeur et de prestance qui a toujours fasciné la jeune femme. Ophelia ne dit rien. Elle reste interdite, les yeux figés sur ceux de son mari, la bouche entrouverte. Bonjour Ophélia. Elle savait bien que ce moment arriverait un jour, qu'il la retrouverait et qu'elle serait confrontée à ce qu'elle a fait. C'était sous-jacent, inévitable, et pourtant elle n'a jamais pensé que ça arriverait si tôt, et encore moins ici. Eze .. Elle tente de prononcer son prénom, mais aucun mot ne sort véritablement de sa bouche. Elle ne sait pas quoi faire, quoi dire. Il n'y a aucun modèle à suivre dans ce genre de situation, aucune formule préparée, rien. Rien de ce qu'elle pourra dire ne sera assez bien, et rien ne pourrait jamais excuser ce qu'elle a fait, Ophelia le sait pertinemment. Comment tu m'as retrouvé ? Elle pense qu'il est là pour elle, pour elle uniquement. Qu'Ezeckiel n'aurait jamais quitté l'Irlande et déraciné leur fils pour une raison autre que celle de la retrouver elle. Et d'ailleurs, c'est en pensant à leur fils, à Caleb, qu'Ophelia recommence à prendre conscience de son environnement et à ressentir à nouveau quelque chose. Une pique lui traverse le cœur. Caleb. Sa respiration s’accélère, son regard se détourne d'Ezeckiel pour balayer le parc avec frénésie, à la recherche du petit bout qu'elle a abandonné. Elle le retrouve vite, il est un peu plus loin, en train de jouer avec une jeune femme. Les cheveux blonds vénitien, le regard rieur. Elle le reconnaîtrait entre mille. Son cœur se serre davantage : elle n'aurait jamais imaginé que le revoir lui ferait aussi mal.
Un souvenir du passé du temps où j’étais le plus heureux des hommes, du temps où je pensais que tout allait bien se passer même si ce fabuleux temps semblait me filer entre les doigts à une vitesse folle sans que je ne puisse faire quoi que ce soit, mais n’était-ce pas ça l’amour, le bonheur, au final ? On a peur qu’il défile trop vite et pourtant on est euphorique dès que les instants s’inscrivent sur nos tableaux de souvenirs. Un sourire amusé naissait sur mes lèvres, la retrouver n’était qu’un but dans ma vie, un parmi tant d’autres et pourtant c’était celui qui m’avait enlevé le plus de nuits aux bras de Morphée. « Tu oublies que je suis doué pour ça. » Mes yeux se mettaient à se faire bercer par des larmes salines, bordel qu’est-ce que cette situation pouvait craindre. Comment pouvait-elle penser qu’un jour ou l’autre elle m’échapperait complètement ? J’étais un marié désespéré, un père tourmenté et pourtant j’avais juste l’impression d’être un de ces psychopathes qui ne lâchent pas leurs victimes, un de ces mecs horribles que je traque sans arrêt. « Tu as l’air en forme. » Je savais qu’elle l’avait remarqué, qu’elle venait de poser les yeux sur lui et cette sensation me faisait tout aussi mal qu’elle. Je me retournais l’espace d’un instant tout en la gardant dans mon champ de vision, je ne voulais pas qu’elle m’échappe. Un sourire naissait sur mais lèves alors que j’observais Caleb se tordre de rire sur une balançoire gentiment poussée par sa future nourrice. Les mains toujours dans les poches. Je me retournais alors de nouveau vers Ophélia, elle semblait souffrir et je pourrais être rancunier, un fin calculateur pour qu’elle en bouffe encore plus. « Il va bien, il est très intelligent et souriant. Il vit seulement mal ton départ. Son esprit divague un peu trop, comme le mien… » Comme le mien qui n’avait jamais cessé de penser à toi.
Tu oublies que je suis doué pour ça. Bien sûr qu'il l'a trouvé, c'est évident. A cause de ses talents, et aussi et surtout parce qu'Ophelia ne peut tout simplement pas échapper à sa situation. Vivre loin de tout, loin de ses problèmes pour toujours est trop beau, improbable. Les règles du karma sont inviolables : une mauvaise action vous revient toujours en pleine gueule. La belle observe son fils. Il rit aux éclats, sa voix est cristalline, enjouée. Elle a à peine changé, à peine mûrit. C'est à ce moment précis qu'Ophelia réalise à quel point il lui a manqué. Pendant tous ces mois, elle a souvent pensé à lui, tous les jours. Elle a voulu le voir, savoir comme il allait, mais jamais elle n'a ressenti un besoin viscéral d'être à ses côtés, de le toucher, de jouer son rôle de mère. Jamais, jusqu'à maintenant, alors qu'il est trop tard et qu'elle se sent trop coupable pour faire un geste vers son fils. Il va bien, il est très intelligent et souriant. Il vit seulement mal ton départ. Son esprit divague un peu trop, comme le mien… Ezeckiel a remarqué le désespoir de sa femme, il sort des mots qui la touchent en plein cœur, qui lui font plus mal encore. Difficilement, la belle relève la tête et regarde son mari. Ses yeux sont embués de larmes et bientôt, se sont de grosses gouttes qui perlent sur ses joues. Je voulais pas .. je voulais pas .. l'abandonner. Elle se sent mal, incroyablement mal. Tu le sais, hein, Ezeckiel ? Que je l'aime, qu'il est .. Qu'il est tout pour elle. Les mots ne passent pas la barrière de ses lèvres. Elle ne peut pas, elle n'a plus ce droit à présent, elle le sait très bien. Ezeckiel ne comprendrait pas ce qui l'a poussé à partir, et il ne saisirait pas non plus en quoi ce départ n'a rien à voir avec l'amour qu'elle porte à son fils. Du moins, c'est ce qu'elle pense. Son esprit divague ? Tu penses qu'il .. qu'il se rend compte, qu'il .. que ça l'affecte .. Bien sûr qu'il s'en rend compte, même s'il est si jeune. La question est bête, c'est une vaine tentative pour se rassurer. Je voulais pas .. mais je .. je pouvais pas .. Ses joues rougissent, elle est morte de honte.
J’me contentais de baisser la tête, de recevoir chacune de ses paroles incertaines comme des coups de poignards en plein cœur. Cette femme, la seule que j’avais aimée, n’était même pas capable de m'adonner une vraie raison, un truc qui tient la route quant à sa disparition. Tout aurait été plus simple dans ce cas pourtant, ça aurait été plus facile pour moi afin de tourner une bonne fois pour toute la page, mais si elle-même ne comprenait pas pourquoi elle avait fui, comment pourrais-je suivre un tel manège ? Je serrais les poings dans ma veste, ma mâchoire se contractait et d’un coup j’avais envie de tout envoyer valser, cette haine, cette rage en moi qui ressemblait à un démon que je n’arrivais pas à apprivoiser, n’avait qu’une envie, sortir au grand jour. Mais je me radoucissais presque en voyant des larmes salines couler le long de ses joues blanches de poupée. « J’le suppose. » Tout était perdu pour moi, elle ne m’aimait plus, c’était un fait, mais même si ça m’achevait à petit feu, j’pouvais l’encaisser, je pouvais survivre, le petit en revanche… J’me contentais de hausser les épaules et de baisser la tête, si elle l’aimait, pourquoi elle n’avait pas joué son rôle ? Je n’étais pas prêt à être un père, encore moins un père célibataire… Je soupirais, était-elle si ignorante ? « Bien sûr qu’il s’en rend compte, il te réclame tous les soirs, ton absence se répercute sur absolument tout ce qu’il fait. » Je revoyais mon fils avec le regard étincelant, regard qui en une fraction de seconde basculait dans une noirceur certaine, une absence, quelque chose d’à la fois vide et troublant. Il faut croire qu’il tient ça de son père qui a désormais le même regard… Je la regardais, elle semblait toujours désemparée et moi, qu’est-ce que je pouvais faire dans tout ça ? Le pire, c’est que j’avais envie de la consoler, de lui dire que tout irait bien mais… ce n’est pas moi et je devais me forcer, après tout c’était elle qui avait fait une grosse connerie, je ne devais pas ramper devant elle pour m’avoir… non nous avoir fait souffrir.
La mâchoire d'Ezeckiel se contracte, ses poings se serrent. Il y a sur son visage un air contrit qu'elle connait par cœur, une colère à peine dissimulée à laquelle elle a souvent eu droit, durant les derniers mois de leur vie commune. J’le suppose. Ophelia pleure à chaudes larmes. Elle évacue enfin toute la tension et les regrets qu'elle a accumulés au cours de ces derniers mois. Bien sûr que partir n'a pas été une décision facile, mais ça a été une décision nécessaire, pour sa survie. Ezeckiel voit surement ça comme de la lâcheté, elle, elle se dit plutôt qu'elle est partie pour le bien de tous, pour que son fils ne vive pas avec une mère qui mourrait à petit feu. Bien sûr qu’il s’en rend compte, il te réclame tous les soirs, ton absence se répercute sur absolument tout ce qu’il fait. Ophelia retient sa respiration quelques secondes. Elle essaye de se contenir, de réprimer un autre sanglot. Qu'est-ce que .. qu'est-ce que tu lui as dis ? Pour expliquer son absence, pour justifier qu'elle n'est pas là et qu'elle ne reviendra pas. Il faut que tu comprennes que ça n'a pas été un choix facile, que ça a été extrêmement dur mais que je devais partir. Ce n'était pas un caprice, ni un abandon irréfléchi, je devais .. Je pouvais plus Ezeckiel, tu le sais. Souviens-toi des derniers mois, des disputes .. Je ne pouvais pas rester. Ils ont atteint leur limite et ne pouvaient plus continuer. Partir, ça a été la seule issue qu'elle a su trouver.
Qu’est-ce que je pouvais bien faire ? Ses larmes coulaient, encore et encore. Mon envie de la consoler était présente, tout autant que mon envie de la secouer et de lui poser plein de questions. Je regardais les enfants traverser en riant derrière elle, je ne pouvais poser davantage mon regard sur son visage qui se tordait d’une douleur psychologique. « Des tas de choses, il a beau être très intelligent, il ne peut pas encore tout comprendre. C’est un peu comme le père Noël, j’essaye de le faire patienter comme je le peux. » J’aurais pu lui dire que sa mère est morte ou qu’elle l’avait abandonné lâchement mais je n’avais pas eu envie de briser ses envies, ses rêves et puis après tout je n’étais pas aussi cruel. Je lui racontais simplement que maman était partie en voyage, qu’elle rencontrait des personnes formidables qui le faisaient rêver à cet âge, plus pour très longtemps c’est sûr, mais pour l’instant je m’en servais. J’inventais à ma femme une vie féerique et pleine de rebondissement et petit à petit mon cœur s’était fané, quelque part, ces histoires me permettaient de penser à autre chose que les faits qu’elle était en train de faire par exemple. « C’est un abandon, rien de plus. Tu m’as abandonné, je peux m’en remettre, je peux vivre avec, pas lui. » Une de mes mains sortait de ma poche pour venir pointer du doigt le jeune garçon qui était mon fils, toujours rieur et insouciant. Je me mordais la lèvre inférieure, qu’est-ce qu’il allait bien pouvoir faire sans sa mère ? Je n’étais pas assez compétent pour lui apporter tout l’amour dont il avait besoin.
Des tas de choses, il a beau être très intelligent, il ne peut pas encore tout comprendre. C’est un peu comme le père Noël, j’essaye de le faire patienter comme je le peux. Elle l'imagine inventer des histoires pour expliquer son absence, et les raconter, encore et encore à Caleb pour le faire patienter. Elle imagine son fils espérer, inlassablement, voir les mères des autres enfants et se demander quand reviendra la sienne. Le cœur d'Ophelia se serre un peu plus encore. Tout ça lui rappelle ces émissions qu'on voit parfois à la télé, où l'on montre des enfants qui ont mal tourné, qui ont grandi au sein d'une famille dysfonctionnelle, avec un parent absent et qu'ils n'ont jamais cessé d'attendre .. jusqu'à comprendre enfin qu'il ne reviendrait pas. Certains auront une partie du cœur vide à tout jamais, et l'espoir stérile de pouvoir revoir un jour le parent disparu. D'autres nourriront pour lui une haine dévorante et insatiable, mais dans les deux cas, le départ d'un proche aura foutu en l'air une partie de la vie de ces jeunes gens. Ophelia n'a pas envie que son fils fasse partie de ces enfants-là. Elle ne l'a jamais voulu, c'est juste qu'elle n'a pas trouvé d'autre solution .. Le belle se tait. Elle a envie de répondre qu'elle ne reviendrait pas, que le faire patienter ne sert à rien et pourtant, elle se tait. Elle est minable, honteuse face à Ezeckiel, la meilleure chance de se repentir est de ne rien répondre à ces mots-là. C’est un abandon, rien de plus. Tu m’as abandonné, je peux m’en remettre, je peux vivre avec, pas lui. Cette fois, son mari s'agite. Il sort la main de sa poche, pointe du doigt leur enfant qui joue un peu plus loin. Je savais pas quoi faire d'autre Ezeckiel, il faut que tu le comprennes. Il fallait faire quelque chose, et je n'ai pas trouvé de meilleure solution. J'en pouvais plus, j'étouffais. J'ai jamais voulu de cette vie au fond, et tu le sais. J'ai besoin d'être libre et je me suis retrouvée enfermé en Irlande, mariée et mère, sans aucune possibilité d'évolution. Je mourrais à petit feu là-bas, je suffoquais et tu voulais pas l'entendre ! Il fallait que ça change ! Je voulais pas de cette situation, j'en pouvais plus ! Cette fois, le ton monte légèrement. Ophelia tente de défendre l'indéfendable, de s'expliquer du moins, comme si c'était réellement possible.
Elle réfléchissait, ça se voyait et j’étais plutôt satisfait qu’elle sorte de ses retranchements. Elle avait l’air si calme, si paisible sur ce banc, personne ne pourrait croire qu’elle avait abandonné quelques mois plus tôt son mari et son fils. « Ce n’était pas la bonne solution. Au lieu de venir m’en parler tu as fui, lâchement. On ne part pas comme ça Ophélia, pas dans la vraie vie. Si tu ne voulais pas te marier avec moi, il fallait le dire et si jamais tu ne voulais pas d’enfant, rien ne t’obligeait à le garder ! » Ma voix était montée crescendo, dans un accès de colère tous mes membres commençaient à se raidir. Une jeune maman se tournait vers nous et nous observait en silence quelques secondes qui paraissaient éternelles. Je soufflais et je fermais les yeux un instant, ça me faisait mal ce que je venais de dire. Je tournais machinalement la bague sur mon doigt à l’intérieur de ma poche, Ophélia ne pouvait pas le voir mais moi je savais, je savais que je n’avais jamais réellement réussi à enlever cette alliance. Chaque fois que je l’ôtais de mon doigt et que je la posais, j’avais l’impression d’être Frodon appelé par l’anneau, c’était stupide. Je me raclais la gorge et je reprenais avec un ton plus calme. « J’aurais pu t’aider, on aurait pu en parler, c’est tout ce que j’ai à dire. Tu as fait un choix, pour toi ce n’est peut-être pas le mauvais. Ce qui est mauvais c’est ta façon de faire. » Je savais qu’elle ne reviendrait pas et à vrai dire je ne savais pas si j’avais la force de me battre pour lui. Désormais il n’y avait plus que mon fils, c’était le plus important dans ma vie, lui et rien d’autre.
Et ça ne tarde pas : passé le choc et les pleurs, se sont les reproches qui pleuvent. Les doigts d'Ophelia se crisent sur le banc sur lequel elle est assise. Les reproches d'Ezeckiel lui paraissent injustes. Tu te fous de moi Ezeckiel ? Sérieusement ?! Toutes ces disputes, c'était quoi, sinon des preuves que ça n'allait pas ? Tu me connais mieux que quiconque, tu sais que je suis pas faite pour vivre enfermée dans une putain de vie traditionnelle ! Je t'ai épousé parce que je t'aimais, c'était un gros pas en avant pour moi et je l'ai fais parce que je pensais que ça serait différent des autres mariages ! J'pensais pas qu'on arrêterait de voyager, j'pensais pas qu'on oublierait nos rêves ! Caleb est arrivé trop vite et ça nous a cloué au sol un peu plus. J'pouvais plus, c'était trop, trop d'un coup, et me dit pas qu'on pouvait ne pas le garder parce que tu sais très bien que c'est faux ! Elle pense qu'il n'aurait jamais voulu qu'elle avorte, et elle, elle voulait lui faire plaisir, une partie d'elle voulait se lancer dans l'aventure. Elle ne pensait pas que ça serait si lourd et si pesant. Tu m'as menti, c'est toi qui m'a coincé dans cette vie plan-plan de merde en Irlande ! Et ensuite, t'as prétendu que tout allait bien et t'as pas voulu ouvrir les yeux pour voir combien ça n'allait plus, c'est tout, alors ne me dit pas que j'ai fui et que tu ne l'as pas vu venir ! Ophelia y va de son lot de reproches et de haine. Tout ressort, elle se croit retournée des mois en arrière, quand sa seule occupation était de s'engueuler avec son mari et de souffrir à cause de sa vie suffocante. J'en pouvais plus. J'aime Caleb, mais qu'il reste avec toi était la meilleure solution. Quant à savoir si elle aime Ezeckiel, elle ne le sait pas. Ses sentiments pour lui sont couvert par une épaisse couche de haine et de remords. Non, c'est faux. Tu ne me comprenais pas, tu ne voulais pas comprendre. Ça aurait été un dialogue de sourd qui n'aurait mené à rien. Et puis, quelles auraient été les solutions ? Divorcer ? Elle ne le veut pas. Déménager ? Elle aurait été obligé de rester en Irlande pour la garde alternée de leur fils, ça n'aurait que déplacé le problème. Partir loin ? C'est ce qu'elle a choisi, et la meilleure option à ses yeux.
« Tu ne comprends pas. Je ne rejette pas le fait que ça n’aille pas, seulement lorsque l’on hurle, ça devient complexe de parler afin de régler des choses. J’aurais pu t’aider et même si tu n’en voulais pas de cette aide, ça ne t’autorisait pas à disparaître dans un souffle, en une fraction de seconde ! Est-ce que c’est réellement ma faute si on a tout arrêté ? Non, tu es tombée enceinte je te signale, un enfant ça brise des rêves, ça en crée des autres. Bien sûr,’on aurait repris cette vie, juste après que Caleb soit assez grand, j’avais même prévu de… » Ma voix se brisait, bien sûr que j’avais fait des plans sur la comète, c’est d’ailleurs ce que je faisais tout le temps lorsque je pensais à Ophélia. Je fermais à nouveau les yeux puis je reprenais, mes lèvres commençaient à trembler à cause du stress. « Je ne voulais pas fonder de famille, je n’étais pas prêt. Mais je t’aimais. Tu crois que c’était facile le mariage pour moi ? Non, certainement pas. Arrête de dire que je t’ai menti, arrête de vouloir tout me mettre sur le dos car c’est toi qui es partie comme une lâche ! Tu as abandonné ton fils bordel ! » Je la pointais du doigt et mes paroles se faisaient un chemin entre mes dents, sifflant dans ce froid d’hiver. Ma respiration se faisait à la fois lourde et haletante, j’étais prêt à exploser, à devenir incontrôlable parmi ses enfants. Bordel, parfois j’oubliais presque que j’étais bipolaire et parfois incontrôlable. Je me mettais à rire en entendant ce qu’elle venait de dire. Elle avait abandonné son fils et à l’écouter, ce n’était rien, juste un fait et gestes sans importance. Je trépignais sur place et j’adressais un regard à mon fils. Mon regard n’était plus étincelant mais plutôt sombre, perdu. « On procède par étapes dans ce genre de situation. On divorce, on déménage, on s’arrange. On ne disparaît pas, surtout lorsque l’on a un enfant, c’est tout ce que j’ai à dire. » J’enfouissais, mes mains dans mes poches. Je n’avais plus rien à lui dire, j’allais exploser dans le cas contraire.
Elle hausse les épaules dans un geste désinvolte. Trouver une solution, l'aider .. et puis quoi encore ? Ophelia n'y croit pas une seule seconde. Il n'y avait rien d'autre à faire que de partir, là voilà la vérité. Elle avait joué les petites épouses parfaites assez longtemps, et elle avait enfin dit merde à tout au moment où elle n'en pouvait plus, plus son plus grand bien, et celui de Caleb par la même occasion. C'était mieux pour lui de vivre sans mère, qu'avec une mère qui s'auto-détruissait à petit feu. Oh allez, et puis quoi encore ! lance-t-elle, sur la défensive. Attendre quoi, qu'il ait cinq ans, dix ans ? C'était toujours ça de trop. Le fait est qu'ils se sont rendus tributaire d'un petit garçon à vie en ayant Caleb, et qu'à cause de ça Ophelia perdait sa liberté pour toujours. Sa naissance avait été la goutte d'eau de trop. Prévu de .. quoi, dis moi ? Elle est curieuse d'entendre ce qu'il a à dire, de savoir si ça aurait pu changer les choses, même si elle n'y croit pas du tout. Ezeckiel tremble, il est mal et elle le voit pertinemment. Pourtant, sa détresse ne l'attendrit pas, bien au contraire. Ophelia a toujours détesté voir la faiblesse des autres. QUOI ?! Dire qu'il n'a pas voulu fonder une famille est de trop. Bien sûr qu'ils n'ont pas prévu Caleb, il est arrivé comme ça, un accident, mais pourtant personne n'a émis une objection quant à son arrivée. Et t'as pas pensé me le dire plus tôt ?! Au lieu de prétendre que ça allait et que tout irait bien ? J'étais pas prête à être enchaînée si jeune et à avoir un enfant et tu le savais ! Putain, tu le savais Ezeckiel ! Et bon Dieu arrête de te dédouaner de tout ! Bien sûr que mon départ est de ma faute, mais arrête de faire comme si t'y étais pour rien ! C'est comme ça qu'elle le voit. Ils se lancent la balle, pour voir qui des deux à le plus tort. Ce qui la tue le plus, c'est cette impression qu'Ezeckiel rejette toute responsabilité quant au départ de sa femme. Autour, quelques adultes les regardent de loin, mais personne n'ose approcher. Caleb, lui, joue toujours avec sa nourrice, il ne voit pas ce qui est en train de se passer et n'a pas non plus vu sa mère. Ezeckiel s'emporte davantage. Son regard s'assombrit, ses gestes deviennent plus incisifs et menaçants. Il est bipolaire, et elle le connait assez pour savoir que ses colères sont légendaires parfois. Dommage pour lui, la belle fera tout pour se défendre et s'il faut exploser sur place, elle n'hésitera pas une seule seconde. Elle l'aurait fait d'ailleurs, mais étrangement, elle se radoucie plutôt lorsqu'il parle de leur mariage. Je voulais pas divorcer, je ne le veux toujours pas d'ailleurs. C'est le comble du paradoxe, et à ce titre, c'est du Ophelia tout craché. Elle a beau détester la prison qu'est son mariage, il n'en reste pas moins une petite étincelle d'espoir au fond d'elle, qui lui dit que peut-être, ils pourraient encore faire les choses différemment et rendre leur union vivable.
« Je… rien. Laisse tomber. » Je ne voulais pas lui dévoiler ce que j'avais prévu pour nous, ce que nous aurions pu faire, c'était trop dur. Caleb était une excuse, mais en même temps ce n’était pas totalement faux. Il était trop petit et j’étais surement trop protecteur pour vouloir faire le tour du monde en sa compagnie. J’aimais terriblement cet enfant, tout autant que j’aimais Ophélia, malheureux comme j’avais pu l’être en étant plus jeune, j’avais tout fait pour les protéger, peut-être un peu trop même… Caleb était le second amour de ma vie, n’y voyez rien de sale ou malhonnête bien sûr mais j’étais capable de franchir toutes les frontières pour cet enfant. « Et moi alors ? Je n’étais pas trop jeune certes, mais je n’étais pas prêt. Je n’étais pas prêt à t’aimer, ni à me marier avec toi et encore moins un enfant, pourtant je l’ai fait ! » Je ne tentais pas de me dédouaner, de refouler des émotions, non je tentais de me justifier, de lui faire comprendre que j’étais peut-être fautif pour certaines choses mais je n’étais en rien la raison de sa fuite, car oui c’était une fuite, non un départ, un geste lâche et incontrôlé qui faisait du mal autour de lui, ce n’était rien de plus. Ma bi-polarité avait toujours été incontrôlable, chaque jour elle me bouffait un peu plus. Lorsque je bossais, lorsque j’étais concentré, c’était à ce moment-là que ma maladie me lâchait le plus, même si je savais que je pouvais partir en vrille à tout moment, étrange pour un comportementaliste n’est-ce pas ? Il y avait une autre chose capable de me calmer : Ophélia. Je revoyais au sein de mon crâne une des nombreuses disputes où j’envoyais tout valser, où je hurlais. J’avais beau être violent dans mes faits et gestes même dans mes pensées, il y a bien une chose que je ne faisais pas : lever la main sur elle ou Caleb, c’était quelque chose d’impensable. Lorsque j’étais énervé de la sorte, il suffisait juste qu’elle pose ses mains sur mon visage, son front contre le mien et qu’elle berce mes lèvres avec les siennes et je redescendais, ouais Ophélia était un calmant à mes yeux, même si je lui en voulais, parce que je l’aimais trop. Mais aujourd’hui, je n’étais plus certain de quoi que ce soit. Mes yeux scrutaient son doux visage que j’avais tant aimé. Je n’en revenais pas. « Que… quoi ? Mais pourquoi tu… » La colère avait laissé place au doute et je sentais mes jambes flancher. Je m’attendais à tout sauf à ça.
Je… rien. Laisse tomber. Ophelia hausse à nouveau les épaules, agacée. Le fait qu'il la fasse mariner l'énerve au plus haut point, mais pourtant elle n'insiste pas davantage. La belle connait assez bien Ezeckiel, elle sait pertinemment que ça ne servirait à rien. De toute façon, les esprits sont bien trop échaudés et la conversation trop pleine de reproches pour parler du passé de cette façon-là. Et moi alors ? Je n’étais pas trop jeune certes, mais je n’étais pas prêt. Je n’étais pas prêt à t’aimer, ni à me marier avec toi et encore moins un enfant, pourtant je l’ai fait ! Sans prévenir, elle lâche un petit cri outré, les yeux grands ouverts fixés sur Ezeckiel. Alors pourquoi m'avoir demandé en mariage ?! Enfin merde, ça n'a aucun sens ce que tu es en train de me dire ! C'est honteux, j'en reviens pas que tu dises ça, c'est du foutage de gueule ! Ce n'est pas elle qui a lancé le sujet mariage, pas elle non plus qui les a coincé dans une vie morne et routinière. Tout ça, elle estime que c'est de sa faute à lui, et le fait qu'il nie tout en bloc et se fasse passer pour une victime l'énerve encore plus. Tu sais quoi ? Ça sert à rien de parler de ça, tu comprends pas. Tu veux pas comprendre. Elle soupire, exaspérée. La seule chose qui fait baisser le ton de la conversation d'un cran, c'est l'évocation directe de leur mariage, et la possibilité d'un divorce. Parce que .. parce que t'épouser était un choix conscient, mûrement réfléchit. Ce n'est pas une demande que j'ai acceptée à la va-vite, j'y ai beaucoup réfléchit, et j'ai pris un engagement, devant toi, devant nos familles. Je croyais que notre mariage serait différent, certes, mais au début j'ai fait une promesse et j'ai juré de m'y tenir. J'veux pas divorcer. répète-t-elle. Rares sont les promesses qu'elle a fait, mais Ophelia est de celles qui tiennent toujours parole. Pour Caleb ce n'était pas pareil, je ne l'ai pas choisi, il est arrivé, et c'est tout. Elle ne le regrette pas, malgré tout. Elle l'aime comme personne, elle donnerait sa vie pour lui .. Mais l'avoir n'a pas été une décision, comme celle de s'unir à Ezeckiel pour toujours. Pourquoi tu es là, à Brisbane ? Qu'est-ce que tu comptes faire ? demande-t-elle finalement, plus douce. Après tout, ils n'ont pas abordé le sujet. Peut-être qu'il est simplement là pour la retrouver et l'accabler de reproches, ou peut-être qu'il est là pour la forcer à reprendre son rôle de mère.
Accueil
