How long will this take ? How much can I go through ? My heart, my soul aches, I don't know what to do. I bend, but don't break, somehow I'll get through 'cause I have you. And if I had to crawl will you crawl too ? I stumble and I fall, carry me through the wonder of it all is you see me through. ☆☆☆
C'était une journée comme les autres. Une journée d'été banale, un peu étouffante mais bien loin des chaleurs caniculaires de certaines années, un mercredi de vacances où il n'avait pas à se soucier de ses cours et où ABC n'avait pas besoin de lui, parce que durant cette semaine qui reliait Noël à la nouvelle année les gens n'avaient pas envie d'allumer leur télévision pour s'entendre dire que dans d'autres régions du monde la terre continuait de ne pas tourner très rond. C'était peut-être ça le souci, en fin de compte, difficile de se répéter inlassablement qu'il s'agissait d'une journée comme les autres lorsqu'il n'avait rien à faire et beaucoup trop de temps sur les bras pour s'empêcher de penser ... Et Hassan le savait bien désormais, qu'il n'avait pas pire ennemi que la petite voix dans un coin de sa tête. Qasim avait appelé à onze heures pile, à croire qu'il s'était donné un délai ou sciemment dit "n'appelle pas avant onze heures pour ne donner l'impression d'avoir une idée derrière la tête", mais Hassan n'était pas dupe ... et en même temps il ne lui en voulait pas. Son frère avait probablement besoin d'entendre le son de sa voix autant que lui avait besoin d'entendre la sienne, il y avait là quelque chose de rassurant là-dedans. Pourtant, lorsqu'Hassan avait raccroché après vingt bonnes minutes de conversation il avait eu la sensation que sa mélancolie avait doublé, et pas seulement parce qu'il enviait son frère de passer ces derniers jours de l'année loin de Brisbane et des souvenirs qui s'y rattachaient. Il fêtait Noël pour de vrai, impossible pour lui d'y échapper en passant ces derniers jours chez sa belle-famille, et lorsqu'ils les avaient eu au téléphone les deux petits n'avaient pas manqué de raconter en long, en large et en travers à leur oncle comme ils avaient été gâtés.
Soupirant en se laissant tomber au fond du canapé, Hassan avait lorgné du côté des cadeaux entassés près du meuble de la télévision, et qui attendaient toujours d'être emballés. Peut-être qu'il pourrait s'en occuper aujourd'hui, faire au moins quelque chose d'utile. Peut-être qu'il pourrait réparer le côté de la cabane un peu abîmé par la tempête, dans l'arbre du jardin, ça aussi ce serait utile. Machinalement ses doigts avaient fait défiler le répertoire de son téléphone jusqu'au Y, jusqu'à Yasmine ... Il l'avait vue trois jours plus tôt, les parents Khadji les avaient invités à manger le soir du réveillon de Noël, à défaut de le fêter ils aimaient en profiter pour rassembler leurs familles. En partie, du moins, Sohan n'était pas présent et Hassan avait cessé de se questionner pour savoir s'il s'agissait d'une invitation déclinée ou d'une non-invitation ... le résultat restait le même, il manquait quelqu'un à table. Tout le monde le savait, personne ne disait rien, et il en avait résulté chez Hassan une dose de culpabilité plus importante que les années précédentes. Il avait repensé à cette montre, et il ne s'était pas senti à sa place à côté de Yasmine, ce soir-là. Remontant le répertoire il avait presque senti ses doigts brûler en arrivant au S. Sohan n'avait pas répondu à son dernier SMS l'avant-veille, ce n'était pas inhabituel mais de façon un peu bête Hassan y avait vu un signe, ou un mauvais présage. Il était remonté encore un peu, atteignant le J et Joanne, et avait fini par abandonner son téléphone dans le canapé en soupirant. Il avait des choses à faire, et des choses auxquelles ne pas penser.
A force de tenter de dompter ses pensées il en avait même oublié de manger, juché sur le toit de la cabane du jardin, marteau à la main. La culpabilité lui revenait par vagues quand il repensait à la décision prise en ouvrant les yeux ce matin-là, ne pas aller au cimetière aujourd'hui parce que c'était un jour comme les autres, que ses parents y seraient toujours demain, dans une semaine et dans des années, et que ce n'était pas le genre d'anniversaire qui méritait qu'on le fête. L'après-midi était passée sans qu'il n'y prenne garde,finalement, et avant d'entendre la sonnette de l'entrée il n'avait même pas pensé à se demander quelle heure il était. Marteau en l'air, il était resté interdit un instant avant de lancer « Derrière, c'est ouvert ! » sans être certain que tant de désinvolture quant à l'identité du visiteur soit une excellente idée. Aussi rassurante que surprenante, l'apparition de Yasmine dans le jardin avait terminé de le convaincre de descendre de son perchoir. Le malaise ambiant qui semblait animer leurs conversations depuis leur retour à Brisbane n'avait pas disparu pourtant, et repris sa place à peine le brun descendu au pied de l'échelle « Tu ne travailles pas, aujourd'hui ? » Elle semblait passer sa vie à l'hôpital, depuis la tempête ... comme si elle essayait de compenser l'absence dont elle pensait devoir se faire pardonner aux yeux de dieu-sait-qui. « C'est Qasim qui t'a demandé de venir ? » La question lui avait échappé un peu maladroitement, avant qu'il ne tourne sept fois sa langue dans sa bouche. Il en savait son frère capable, et il savait aussi que cela partirait d'un bon sentiment ... Mais l'idée que Yasmine ne soit venue qu'en s'y sentant obligée le rendait un peu amer. Et fatalement un peu moins accueillant qu'il ne l'aurait souhaité.
True love doesn't happen right away; it's an ever-growing process. It develops after you've gone through many ups and downs, when you've suffered together, cried together, laughed together.
« Yasmine rentre chez toi. » Relisant pour la énième fois le dossier de son patient Yasmine n’avait même pas relevé les yeux, son esprit cherchant à trouver ce qui clochait. Quelque chose dans le comportement de cet homme la perturbait, au delà du fait que contrairement à la plus part des personnes présentent dans le secteur des grands brûler - sa présence ici ne soit pas du à la tempête mais à un incendie criminel, elle sentait en lui un certain malaise un tristesse latente… Et fatalement cet homme lui faisait beaucoup trop penser à Hassan ce qui ne faisait que de redoubler son inquiétude. Evidement elle avait eu beau lire le dossier en long et en large, le questionner longuement, sans doute assez longuement pour qu’il ne souhaite qu’une chose - qu’elle parte en vacance très loin de lui. La situation de l’homme semblait toujours lui échapper - et fatalement elle semblait faire un transfère, comme si en sauvant cet homme de ses démons elle pouvait se racheter d’être passé à côté de ceux qui hantait celui à qui ce patient lui faisait tant penser. « Yasmine ! » La cheffe hausse le ton cette fois la faisant relever les yeux. « Oui j’y vais… Juste deux minutes. » Elle sait qu’elle va se faire remonter les bretelles, que les heures supplémentaires qu’elle fait ne lui seront jamais payées, parce qu’elles sont tout bonnement interdites et qu’elle ne les badge de toute façon pas. Mais être ici l’empêche de penser au reste et à cette fichue culpabilité qui ne la lâche jamais vraiment depuis son retour et qu’elle déteste tant. « Deux minutes pas plus ! » Elle finit sa lecture soupirant lourdement. Tout son corps lui réclame du sommeil mais elle est bien incapable de dormir, son esprit trop occupé, elle transite entre l’hôpital et la maison de Jenkins qu’elle aide à retaper. Les gens ont besoin d’aide et elle besoin de s’occuper. Seul la soirée de Noel a su l’arrêter pour quelques heures, le temps de se poser avec une partie sa famille et de malheureusement ressentir un fois de plus le malaise ambiant entre Hassen et elle que ni l’un ni l’autre ne semblait vraiment vouloir aborder « Gardez un oeil sur M.Ablam d’accord ? Je crois qu’il ne va pas bien… » Elle sait bien que ses collègues ne s’en préoccupent pas autant, qu’à premier vu cet homme ne semble pas plus déprimé que les autres grands brûlés de l’unité - ses brûlures d’ailleurs sont loin d’être si graves… Mais ce mauvais pressentiment ne la quitte pas. Et même une fois sortie de l’hôpital, son esprit est incapable d’effacer les regards que l’homme lui lance parfois.
La douche semble quelque peu la défaire de l’odeur si spécifique qui règne dans le secteur des grands brûlés. Elle y reste plusieurs minutes, sans doute pour repousser un peu ce qui l’attend après. Elle sait ou elle doit se rendre - pas par devoir mais parce que c’est là qu’est sa place - qu’elle veut être près d’Hassan aujourd’hui, mais si habituellement Yasmine aurait pressé le pas aujourd’hui ses mouvements se font un peu plus lents. Elle met ça sur le coup de la fatigue, essaye de se convaincre que le malaise qu’elle ressent n’est que dans sa tête, qu’elle se fait des idées. Il n’y a pas de raison pour que les choses soient comme ça entre eux et elle se refuse d’accepter les accusations mensongères que son esprit semble parfois formuler à sa place. Une fois sortie de la douche elle remet le bracelet qu’Hassan lui a offert pour son anniversaire, caressant le bijou du bout des doigts en sentant un émotion étrange la saisir. Cette même émotion qui la prendra à nouveau devant la porte d’Hassan son doigt hésitant finissant tout de même par se poser sur la sonnette. « Derrière, c'est ouvert ! » D’un pas moins hésitant cette fois elle va retrouver Hassan dans le jardin, ce dernier perché en haut de la cabane un marteau à la main. L’imagine lui tire un léger sourire alors qu’elle met sa main au dessus de ses yeux pour l’apercevoir plus distinctement à travers le rayon du soleil. « Salut. » C’est tout ce qu’elle trouve à dire, en attendant qu’il ne vienne la rejoindre sur la terre ferme. « Tu ne travailles pas, aujourd'hui ? » Pinçant légèrement les lèvres elle ne sait dire si le ton de sa voix lui semble aussi froid parce qu’elle se fait des idées ou si c’est vraiment le cas. « J’ai fini mon service. Enfin… Je me suis fait mettre dehors plus exactement. » Elle sait que la révélation ne va sans doute pas le surprendre, c’est habituellement le premier à dire qu’elle bosse trop et que ce n’est pas sérieux.
« C'est Qasim qui t'a demandé de venir ? » La question l’a prend de court, créant quelques secondes de silence où elle reste d’abord sans voix, n’appréciant que moyennement le ton de sa voix, avant que ses sourcils ne se froncent alors qu’elle répond. « Je suis aussi contente de te voir… Et non Qasim ne m’a rien demandé. » Elle l’a pourtant bien eu au téléphone quelques heures auparavant, mais la connaissant sans doute trop bien, il n’avait même pas eu besoin de lui demander si elle allait passer le voir aujourd’hui. Jamais jusqu’à lors elle n’avait manqué la date. « J’avais juste envie de venir, mais si tu préfères être seul je peux rentrer. » Elle tente tout de même de prendre un peu sur elle, Yasmine sait que si il ne l’avouera sans doute pas, cette journée est tout de même une des plus dure de l’année pour lui et avec raison. « J’avais pensé passer au cimetière et je me disais que peut-être tu voudrais venir… » Elle n’est pas sûre que ça soit une bonne idée mais elle le fait assez peu souvent pour que cette journée mérite au moins un petit passage, un instant pour eux. Le malaise qui la prend quand elle parle avec Hassan n’a rien de comparable à celui qu’elle a pu parfois ressentir en sa présence au préalable et une fois de plus elle ne se l’explique pas vraiment. « Je peux aussi t’aider à réparer la cabane, j’ai appris pas mal d’astuces depuis que j’aide à reconstruire la maison de Jenkins, à ce rythme là je pourrais bientôt construire ma propre maison. » Tentant un sourire elle fait un pas un peu maladroit vers lui - comme si la simple idée de se rapprocher semblait d’un coup la gêner. Son corps semble vouloir prendre la fuite alors que son esprit refuse de répondre à ses instincts stupides qu’elle a elle même de la peine à comprendre.
Hassan n'attendait personne, et avec un peu de jugeote il aurait du n'avoir aucun mal à deviner l'identité de la personne qui sonnait à la porte : un Khadji, très certainement. Un des parents, sans doute, parce que Sohan n'avait encore jamais fait le trajet jusqu'ici depuis qu'Hassan avait emménagé, et que Yasmine semblait l'éviter ostensiblement depuis leurs retours respectifs ... A moins que ce ne soit lui qui l'évite ? Difficile de trancher. La surprise n'était pas feinte en tout cas, lorsque la silhouette de la jeune femme lui était apparue au bout du jardin, et sans grande surprise la première chose dont il s'était étonné, avant même le fait qu'elle soit venue le voir, c'était qu'elle ne soit pas à l'hôpital, tant elle semblait ces derniers temps y passer le plus clair de son temps, chose dont sa mère ne s'était d'ailleurs pas gênée pour se lamenter pas plus tard que lors du repas trois jours plus tôt. « J’ai fini mon service. Enfin … Je me suis fait mettre dehors plus exactement. » Malgré l'incertitude que lui inspirait involontairement la visite de Yasmine, sa réponse lui avait arraché un sourire amusé, légèrement narquois, tandis qu'il descendait de son perchoir et retrouvait la terre ferme. Un peu méfiant pourtant, il n'avait pas pu s'empêcher de voir dans sa présence un accord tacite entre elle et Qasim, se disputant continuellement le titre de celui qui couvait le plus Hassan, souvent sans même en avoir conscience. Suffisamment pour que le brun n'en soit de son côté devenu un peu paranoïaque. « Je suis aussi contente de te voir … Et non Qasim ne m’a rien demandé. J’avais juste envie de venir, mais si tu préfères être seul je peux rentrer. » Pinçant ses lèvres, se sentant soudainement un peu bête des conclusions hâtives qu'il avait tiré, il avait secoué légèrement la tête « Non, c'est juste que ... je veux pas que tu vienne seulement si tu t'y sens obligée. » Ou seulement parce qu'elle craignait qu'il fasse une connerie. Ce n'était pas à l'ordre du jour, peut-être pas pour les bonnes raisons, mais en tout cas ça ne l'était pas. « Excuse-moi. » Il avait l'impression de s'excuser sans cesse, mais pourtant de ne jamais toucher juste. De ne pas savoir mettre de mots sur ce qui provoquait chez lui ce sentiment de culpabilité qu'il trainait depuis un certain temps maintenant, et que son court passage en Algérie s'était contenté de mettre à vif.
Il était resté là, l'air un peu gauche et sans trop savoir quoi dire ou quoi proposer à Yasmine, jusqu'à ce qu'elle ne décide elle-même de prendre la parole et de lui faire savoir sur un ton quelque peu radouci « J’avais pensé passer au cimetière et je me disais que peut-être tu voudrais venir … » Détournant les yeux parce qu'il n'assumait pas entièrement sa propre décision, le brun avait fait non de la tête, et marmonné dans sa barbe de manière incompréhensible avant de réitérer un peu plus distinctement « Je ne vais pas y aller ... pas aujourd'hui. » Pas sûr qu'il ne finisse pas par le regretter un peu plus tard, mais il continuait de se persuader que tout ça n'était qu'un prétexte ... C'était un jour comme les autres, et non pas un anniversaire morbide qu'il n'avait aucune envie de fêter. « Mais tu peux y aller si tu veux ... je crois que tes parents comptent y aller aussi. En fin d'après-midi, quand il fera moins chaud. » Le père de Yasmine ne semblait en effet plus supporter aussi bien la chaleur qu'avant. « Je ne bougerai pas d'ici. » Autrement dit si elle voulait s'absenter libre à elle, elle le retrouverait toujours - presque - à la même place à son retour. « Je peux aussi t’aider à réparer la cabane, j’ai appris pas mal d’astuces depuis que j’aide à reconstruire la maison de Jenkins, à ce rythme là je pourrais bientôt construire ma propre maison. » Laissant finalement échapper un léger rire, il avait resserré sa main autour de son marteau « C'est ce que j'ai cru comprendre, oui. » De la bouche de Fatima, on s'en doutait, qu'il avait devinée sans mal comme étant partagée entre la fierté de voir une fois encore sa cadette donner de son temps et de sa personne, et l'inquiétude de la voir ainsi perchée sur un toit ou maniant des outils trop lourds. « J'avais fini ... Mais si tu es d'humeur à tâter du pinceau, il faut repasser une couche de vernis à certains endroits. » Il s'en serait sans souci occupé tout seul le cas échéant, mais si elle avait véritablement envie de s'occuper les mains - et peut-être l'esprit - ils iraient plus vite à deux. « Mais avant ça je meurs de soif ... tu veux boire quelque chose ? » Il avait ouvert la marche, et regagné la cuisine en passant par la baie vitrée en laissant Yasmine le suivre à sa guise. La balle préférée de Spike traînait près de la vitre, attendant désespérément que son propriétaire à quatre pattes réapparaisse ; Le temps commençait à être long pour Hassan aussi, sans son chien.
True love doesn't happen right away; it's an ever-growing process. It develops after you've gone through many ups and downs, when you've suffered together, cried together, laughed together.
En d’autres circonstances sans doute Yasmine aurait pu s’étonner du ton qu’Hassan avait utilisé avec elle – de cette soudaine surprise dans son regard quand il avait aperçu sa silhouette, mais pas aujourd’hui. Elle avait l’impression de ne plus avoir vu son ami depuis des semaines. Ils avaient pourtant passé tout un repas ensemble quelques jours auparavant mais ces quelques heures n’avaient pas suffi à repousser cette impression qu’il n’était plus là. Elle était sans doute toute aussi responsable que lui de la froideur de leurs échanges récemment, mais n’arrivait pas à mettre la main sur les mots qui auraient pu améliorer les choses. « Non, c'est juste que ... je veux pas que tu vienne seulement si tu t'y sens obligée. » L’envie de le contredire s’était faite ressentir mais quelque chose l’en avait empêché. Cette impression, sans doute, qu’il n’avait pas tout à fait tord – que si cette journée n’avait pas représenté quelque chose de spécial elle ne serait pas venue aujourd'hui – pas parce qu’elle avait besoin de s’assurer qu’il ne faisait rien d’idiot – contrairement à ce qu’il devait penser – mais parce qu’en ce réveillant ce matin il était la première personne à qui elle avait pensé – et celle qu’elle avait voulu voir. Mais quelque part, peut-être s’en était elle sentit l’obligation… Ou sans qu’elle ne s’en rende compte le simple son de la voix de Qasim avait fini par la mener ici – il avait toujours été très bon pour faire passer un message sans pourtant laisser filtrer un mots sur ses réelles intentions. « Excuse-moi. » Baissant à son tour le regard l’algérienne n’avait pas eu le courage de supporter le regard qu’il posait sur elle. « C’est rien… Je suis un peu fatiguée et peut-être trop sur la défensif aussi… Désolé… On a qu’à oublier ça d’accord ? » Tout ça, cet échange malaisant entre eux qui n’avait fait que de creuser le trou qui semblait déjà les séparer.
Finissant tout de même pas annoncer les raisons de sa visite Yasmine s’était laissée surprendre par la réponse de son ami – la façon dont il avait détourné les yeux et marmonné dans sa barbe un refus l’avait laissé sans voix. Encore plus quand il avait repris avec plus de conviction cette fois : « Je ne vais pas y aller ... pas aujourd'hui. » « Mais… » Elle n’avait alors su quoi répondre. Cette décision semblait tellement peu lui ressembler, comment pouvait-il rester chez lui, prétendre que ce jour n’était pas marqué au fer rouge, qu’il ne signifiait rien. C’était impossible, c’était idiot et presque égoïste de son point de vu… Ca n’était pas Hassan… Mais au final peut-être ne le connaissait-elle pas si bien. Peut-être avait il changé trop vite – il était devenu un homme différent avec son cancer, elle le savait et avait accepté la plus part de ses changements mais ses actions depuis quelques mois semblaient ne faire qu’accentuer cette impression qu’il devenait un étranger. Et les secrets, le mystère qu’il gardait sur la plus part des aspects de sa vie – ne partageant que des bribes d’informations parfois sans doute mensongères avec elle – ne faisaient qu’accentuer cette impression, provoquant chez elle, par vague, un triste qu’elle n’avait que peu souvent expérimenté. « Mais tu peux y aller si tu veux ... je crois que tes parents comptent y aller aussi. En fin d'après-midi, quand il fera moins chaud. Je ne bougerai pas d'ici. » Il semblait tellement sûr de lui qu’elle n’avait pu qu’hocher la tête, sentant son ventre se serrer légèrement à l’idée qu’il allait le regretter – qu’il allait ajouter ça à la longue liste des choses pour lesquelles il ne blâmait déjà. « D’accord… Comme… » Se raclant un peu la gorge pour trouver un peu plus de constance dans ses propos et laisser passer le léger choc que lui avait procuré sa réponse elle avait repris d’une voix plus assurée. « Comme tu veux… J’irais avec mes parents… » Etrangement pour elle aussi ce jour comptait – évidement elle était jeune quand Kaveh et Shahra avaient perdu la vie – et si elle se souvenait de l’affection qu’elle leur portait ce décès ne l’avait sans doute pas impacté aussi fortement que le reste de ses proches. Mais parce qu’elle aimait Qasim et Hassan chaque année elle allait sur la tombe de leurs parents et elle tentait de leur rendre hommage comme elle le pouvait.
Pour autant, avant que les températures ne tombent elle avait quelques heures devant elle – et était malgré tout décidée à les passer avec lui – si il acceptait sa compagnie. « C'est ce que j'ai cru comprendre, oui. » Le léger rire d’Hassan avait semblé la détendre pour quelques secondes, lui faisant oublier la conversation un peu houleuse jusque là. « J'avais fini ... Mais si tu es d'humeur à tâter du pinceau, il faut repasser une couche de vernis à certains endroits. » L’idée d’avoir quelque chose à faire et de ne pas se retrouver assis tous les deux sur un canapé au milieu de cette atmosphère étrange la rassurait un peu et elle avait vivement hoché la tête. « Oui… oui c’est parfait. » Toujours un peu incertaine Yasmine avait fini par sortir les mains des poches de son Jeans comme pour l’informer qu’elle était prête à passer à l’action. « Mais avant ça je meurs de soif ... tu veux boire quelque chose ? » Hochant une nouvelle fois la tête elle n’avait pas osé lui dire qu’elle venait de se descendre un thé frais et avait préféré le suivre jusqu’à la cuisine. En passant la baie vitrée, rapidement son regard s’était posé sur le salon, sur les meubles, les murs et elle avait senti son cœur se serrer. « Oh c’est… » Décoré… Sa maison n’était plus un chantier de cartons, tout semblait avoir trouvé sa place quelque part, parfaitement organisé, parfaitement pensé… Tellement loin de ce qu’elle aurait cru qu’Hassan voudrait… Ce qui une fois de plus lui avait donné l’impression qu’elle avait perdu le fil de sa personnalité. « Jolie… Enfin différent de… » S’arrêtant dans sa phrase de peur d’en dire plus elle en avait commencé une nouvelle tout aussi hésitante. « Enfin… Je ne savais pas que tu avais déjà trouvé le temps de tout déballer et de… » Une nouvelle fois sa phrase était restée en suspend. Une partie d’elle se sentait un peu blessé - beaucoup trop même sans doute. Sans l’avoir demandé réellement, en proposant son aide pour la maison elle avait espéré se sentir inclus dans ce changement que prenait la vie d’Hassan en rachetant cette maison. Elle aurait voulu être là, l’aider, elle avait même pensé stupidement qu’il ne le ferait pas sans elle… Stupide oui c’était comme ça qu’elle se sentait d’un coup alors qu’une déception poignante la saisissait. « Mais c’est bien tant mieux c’est… Vraiment chez toi maintenant. » Elle avait senti sa voix légèrement trembler et de peur qu’Hassan – qui était près du frigo - ne le remarque aussi elle avait ajouté rapidement derrière. « Un verre d’eau ça sera très bien pour moi. » Se détournant assez rapidement pour faire mine d’observer la décoration en espérant qu’il ne relève pas son trouble. Quelque chose semblait clocher ici, ne pas trouver sa place… et peut-être que c’était elle au final.
Hassan n'était pas certain de pouvoir dire si Yasmine passait beaucoup plus de temps qu'à l'accoutumé à l'hôpital, ou bien si c'était simplement une impression qu'il avait parce que lui-même subissait actuellement de plein fouet les vacances scolaires et l'absence de travail quotidien pour s'occuper l'esprit. Il était perdu entre cette envie récurrente d'être tout seul, qu'on le laisse tranquille, et la hâte que son frère et sa belle-sœur arrivent avec leurs enfants pour lui donner une véritable occasion de se changer les idées. Il y aurait pourtant quelques conversations sérieuses - trop - restées en suspend uniquement parce que les deux hommes estimaient devoir attendre d'être en face à face pour les avoir, mais Hassan s'y était presque résigné pourvu que janvier soit moins morose que décembre. Morose comme son humeur depuis le début de la journée, à tenter d'ignorer l'éléphant au milieu de la pièce, ou dans le cas présent le jour indiqué par le calendrier et les souvenirs qu'il faisait irrémédiablement remonter. Assez pour le laisser à fleur de peau et lui donner l'impression d'un reproche ou d'une agression à la moindre parole dirigée contre lui. Et pourtant, tandis qu'il tentait mollement de se justifier, c'était Yasmine qui s'excusait à son tour « C’est rien … Je suis un peu fatiguée et peut-être trop sur la défensive aussi … Désolée … On a qu’à oublier ça d’accord ? » et grattait un peu plus dans la culpabilité qu'il ressentait à son égard sans plus parvenir à en déterminer la cause première. « On est deux, alors. » Esquissant un vague sourire il avait secoué légèrement la tête pour acquiescer, avant d'ajouter « On oublie. Et ça me fait plaisir de te voir. » Il avait soudainement peur qu'elle s'imagine le contraire, alors que pourtant ce n'était pas un désir de ne plus la voir qui avait motivé l'éloignement dont il s'était rendu coupable ces dernières semaines ... C'était même le contraire, dans un certain sens. Mais c'était tellement compliqué à expliquer.
Mais son semblant de sourire à peine retrouvé s'était envolé à nouveau lorsque Yasmine avait évoqué la possibilité de se rendre au cimetière, mettant le doigt sur la résolution qu'Hassan avait décidé de prendre à son réveil ce matin, à savoir celle de ne justement pas s'y rendre. C'était comme une manière pour lui de se raisonner, de se persuader que cette journée avait simplement la signification qu'on voulait bien lui donner. « D’accord … Comme … Comme tu veux … » avait alors simplement balbutié Yasmine, visiblement un peu prise au dépourvu par sa décision « J’irais avec mes parents … » Suffisamment au dépourvu pour qu'en un instant, les résolutions d'Hassan en prennent un coup et qu'il en perde ses certitudes d'être en train de prendre la bonne décision « Tu penses que c'est une bêtise ? » avait-il alors questionné d'un ton incertain, mais en étant en revanche persuadé que si la réponse était effectivement positive, elle n'hésiterait pas à le lui faire remarquer. « C'est juste que ... » Avec hésitation toujours, il avait tenté de trouver les mots pour expliquer son choix, histoire qu'elle se rende compte qu'il ne s'agissait pas non plus d'un caprice de sa part « Ils seront toujours là demain, tu vois ... ? Et les jours suivants, ça changera pas. » Et cela faisait vingt ans que cela fonctionnait ainsi, accessoirement ... En vingt ans Hassan en avait passé, du temps, dans ce cimetière. Assez pour appeler par son prénom la femme qui venait chaque mardi soir déposer des fleurs sur la tombe de son époux. Assez pour avoir tenu des monologues entiers en se persuadant qu'au moins un de ses parents devait être en train d'écouter, quelque part ... et que si ce n'était pas le cas alors cela lui faisait au moins du bien à lui. Aujourd'hui cela ne lui ferait aucun bien, alors à quoi bon ? « J'ai juste envie d'arrêter de faire comme si c'était un anniversaire qui méritait qu'on s'en souvienne. » Fêter quelque chose que l'on avait perdu, au fond, il commençait à se questionner sur le sens que cela pouvait avoir ... C'était un peu comme s'il décidait de fêter l'anniversaire de son divorce. C'était le genre de souvenirs suffisamment douloureux pour qu'il n'ait pas envie de se donner des raisons de s'en rappeler.
Comme par volonté de changer de conversation pour en revenir à quelque chose d'un peu plus trivial, Yasmine avait fini par proposer son aide pour la cabane, et si Hassan avait terminé ce qu'il avait prévu d'y faire dessus ce jour-là, il avait proposé de s'attaquer au vernis ; La pluie n'était pas prévue pour les jours à venir, et à deux ils iraient plus vite. Et puis, pendant qu'ils feraient cela ils n'auraient pas besoin de chercher l'un ou l'autre une manière de combler le vide qui semblait s'installer dans la conversation dès qu'ils cessaient de se répandre en banalités. « Oui … oui c’est parfait. » Faisant fi de l'hésitation toujours présente dans la voix de la jeune femme, le brun avait laissé son marteau sur la table de jardin et d'abord proposé à boire tout en se dirigeant vers la porte vitrée de la cuisine. Lui mourrait de soif, et sentait bien à la chaleur de son crâne qu'il n'aurait peut-être pas du rester ainsi en plein soleil. « Oh c'est ... » Sortant déjà deux verres du placard, Hassan s'était retourné vers Yasmine tandis qu'elle reprenait « Joli … Enfin différent de … Enfin … Je ne savais pas que tu avais déjà trouvé le temps de tout déballer et de … » Parce qu'il avait presque oublié que sa maison ressemblait effectivement encore à un débarras la dernière fois que Yasmine y était venue, le brun était resté interdit un instant, poussant peut-être ainsi la jeune femme à se reprendre maladroitement « Mais c’est bien tant mieux c’est … Vraiment chez toi maintenant. » Et pourtant cela ne semblait pas être une si bonne chose, à l'entendre. A moins que ce ne soit qu'une impression qu'avait Hassan parce qu'il se sentait comme un gamin pris la main dans le sac après une bêtise. « Un verre d’eau ça sera très bien pour moi. » Le verre d'eau en question était déjà posé sur la table, chose qu'elle ignorait puisqu'elle tournait ostensiblement le dos. Buvant quelques gorgées de son côté, Hassan avait fini par tirer l'une des chaises de la cuisine vers lui pour s'y installer, et posé son verre à moitié vide sur la table. « Ouais, c'est ... c'est Joanne qui s'en est occupée. » Par culpabilité, sans doute, il avait baissé les yeux vers son verre d'eau, ravalant sa salive avec difficulté. « Je lui avais dit qu'elle pourrait passer en mon absence, si besoin, et ... enfin, je crois qu'elle a fait ça pour s'occuper l'esprit. » Cela ne faisait pas grand sens, dit ainsi, mais Hassan ne savait pas comment présenter les choses autrement, et réalisait un peu tard que contrairement à ce qu'il aurait pensé, le fait de se décharger de ce mensonge par omission qu'il entretenait depuis plusieurs mois ne le faisait absolument pas se sentir plus léger. « J'aurais du t'en parler avant, mais je ... j'ai jamais trouvé le bon moment. Je crois. » Et il craignait un peu sa réaction, surtout, qu'il imaginait à l'image de celle qu'avait eu Qasim quand il s'était résolu à lui en parler. Pas très bonne, donc.
True love doesn't happen right away; it's an ever-growing process. It develops after you've gone through many ups and downs, when you've suffered together, cried together, laughed together.
Parfois Yasmine avait l’impression de ne pas être à sa place au côté d’Hassan, peut-être parce qu’il semblait depuis des mois rejeter toutes les personnes qui l’entouraient - peut-être aussi parce qu’elle finissait par se demander si elle était assez forte pour être cette personne présente qu’elle voulait être. Pour continuer à forcer les murs qu’il semblait mettre entre eux. Parfois - comme en ce moment - ça lui semblait bien plus dur que d’autre. Sans aucun doute les propos sentiments qui la tenaient depuis la tempête n’y étaient pas pour rien et elle se rendait bien compte que l’état d’esprit d’Hassan n’arrangeait pas le sien. Mais au final l’iranien finissait toujours pas trouver les mots pour l’apaiser - un simple : « Ca me fait plaisir de te voir. » suffisant pour qu’elle efface ses doutes et laisse un léger sourire se glisser sur son visage. Ce n’était pas rien d’entendre ses mots, puisqu’elle avait l’impression désagréable en ce moment que sa présence au coté d’Hassan était toujours une nuisance et des minutes d’incertitudes que ni l’un ni l’autre n’arrivaient à vraiment apprécier. Elle avait voulu plus d’une fois percer l’abcès - mettre les choses à plat mais il lui semblait bien difficile de mettre le doigts sur les réelles raisons de ce malaise - comme si il était né d’un mal entendu dans une situation difficile.
La révélation d’Hassan avait pourtant bien vite fait disparaitre ce sourire laissant Yasmine dans une incompréhension palpable. Elle avait à peine tenté de le cacher - n’en aurait sans doute de toute façon pas été capable. « Tu penses que c'est une bêtise ? » Elle n’était pas dans sa tête - et dieu sait qu’elle avait parfois de la peine à suivre le raisonnement d’Hassan mais cette décision semblait sortir de nul part. « Je… Je crois que oui… » Baissant un peu le regard elle n’avait pourtant pas eu assez d’assurance pour le dire clairement. Elle ne s’en sentait pas vraiment le droit non plus - cette décision n’appartenait qu’à Hassan et au final ce n’était sans doute pas si important - c’était bien plus symbolique qu’autre chose mais c’était le genre de traditions auxquelles elle portait de l’importance et voir Hassan prêt à les balayer avait quelque chose de perturbant. « C'est juste que ... Ils seront toujours là demain, tu vois ... ? Et les jours suivants, ça changera pas. » Gardant le silence la jeune femme avait tenté de suivre son raisonnement ne répondant rien ce qui laissait sous entendre que cette explication n’était pas vraiment suffisante. « J'ai juste envie d'arrêter de faire comme si c'était un anniversaire qui méritait qu'on s'en souvienne. » Continuant de le dévisager avec incompréhension elle avait mis quelques secondes avant de finalement tenter de faire une phrase avec le flots de mots qui lui venaient en tête et qu’elle n’arrivait pas à associer ensemble. « C’est pas une question de mérite Hassan… Tu peux bien faire semblant que ça ne compte pas - ne pas aller au cimetière et rester cloitré chez toi en prétendant que c’est un jour comme un autre c’est… Ce n’est pas le cas. Ca ne le sera jamais… » Faisant un pas en avant pour réduire un peu la distance qu’ils mettaient entre eux depuis le début de cette conversation sa main était venue se poser sur le bras d’Hassan comme si un geste tendre pouvait atténuer l’impact de ses mots. « Je sais bien que tu portes ce deuil avec toi tous les jours… Et que c’est pas quelque chose de spécifique à aujourd’hui mais je crois que ça serait un erreur de prétendre que c’est pas un jour qui compte et de pas aller les voir aujourd’hui… Parce que ce jour a changé ta vie - pas comme tu le voudrais, sans doute pas d’une façon dont tu voudrais t’en rappeler mais… Refouler ses sentiments ça ne t’aidera pas… Ca ne les changera pas. » Pas besoin de préciser que c’était le genre de comportement qui avait fini par le mener à se jeter à pleine vitesse contre un arbre. Inconsciemment elle ne pouvait d’ailleurs pas s’empêcher de se dire que le 10 avril aurait pu devenir une de ses dates - une de celles qui auraient changé sa vie - celle où elle aurait pu perdre son meilleur ami - de moins ce qu’il semblait rester de son meilleur ami.
Résolu à changer de sujet et s’occuper un peu les mains en aidant Hassan, elle avait tout de même suivi son ami à l’intérieur pour qu’il se serve quelque chose à boire, ne s’attendant pas à se retrouver le souffle coupé devant une maison entièrement décorée. Peinant à cacher son trouble elle était volontairement restée de dos. « Ouais, c'est ... c'est Joanne qui s'en est occupée. » Son coeur se serrant un peu plus elle avait resserré ses bras contre elle refoulant les larmes qui lui montaient aux yeux. Elle se sentait idiote de réagir comme ça pour une simple décoration et ferma les yeux quelques longues secondes pour tenter de se contrôler et ne pas montrer la peine que cette simple action lui procurait. Elle savait bien que ce n’était pas contre elle - mais savoir que son ex-femme était venue chez lui - qu’elle avait refait sa décoration sans même qu’il ne lui ait dit un mot de ses retrouvailles la blessait encore un peu plus. « Je lui avais dit qu'elle pourrait passer en mon absence, si besoin, et ... enfin, je crois qu'elle a fait ça pour s'occuper l'esprit. » Restant encore silencieuse, pas prête à reprendre la parole Yasmine tentait de continuer à contrôler les sentiments qui l’envahissaient. Joanne était donc vraiment de retour dans la vie d’Hassan et depuis plusieurs semaines, mois peut-être même. Elle avait sans doute dormi ici, retrouvé une place dans la vie de son ami. Ca semblait tellement logique au fond - il ne l’avait jamais oublié - ça avait toujours été elle alors pourquoi cette soudaine déclaration la touchait tant ? Ils étaient amis et son rôle était sans doute d’être heureuse pour Hassan si cette relation retrouvé le rendait lui même heureux - mais elle en doutait au vu des récents événements. « J'aurais du t'en parler avant, mais je ... j'ai jamais trouvé le bon moment. Je crois. » Pinçant les lèvres elle avait fait quelques pas en avant comme pour regarder de plus prêt la décoration. D’un coup ça lui sautait aux yeux cette ressemblance avec ce qu’avait été la maison du couple à une époque. Est-ce qu’elle allait revenir habiter avec lui ? Depuis quand ? Pourquoi ne rien avoir dit ? En avoir fait un secret. Les questions se bousculaient dans sa tête sans qu’aucune ne sorte alors qu’elle ravalait sa tristesse pour finalement se retourné vers lui toujours silencieux articulant un presque inaudible « D’accord » alors pourtant que tout son corps semblait lui crier que non ça n’était pas d’accord. Attrapant le verre d’eau elle n’avait même pas pu l’emmener à ses lèvres, il lui semblait impossible de déglutir alors boire semblait hors de porté. « Enfin non je… Je ne comprends pas… Le bon moment pour me dire quoi Hassan ? » Elle fronçait un peu les sourcils laissant son visage décrire son incompréhension. Celle que tout ça ne méritait pas un tel silence. « Pourquoi en faire un tel secret ? » Ca semblait être bien plus encore que de simples retrouvailles et si Hassan n’avait jamais été très bavard concernant ses relations amoureuses elle ne comprenait pas ce silence… Et la situation ne lui plaisait pas plus - cette impression qu’Hassan ne lui parlait de ça que parce qu’il avait été pris la main dans le sac - que parce qu’il ne pouvait se résoudre à clairement lui mentir en la regardant dans les yeux mais que si il s’écoutait il aurait continué à faire de ses retrouvailles avec Joanne un autre de ses nombreux secrets à son égard. Continué de la tenir éloigné des choses qui semblaient pourtant compter dans sa vie.
Hassan ne s'était pas vraiment attendu à ce que Yasmine semble aussi dubitative quant à sa décision de ne pas mettre les pieds au cimetière aujourd'hui, bien que l'anniversaire – si tenté que l'on puisse l'appeler ainsi – était plus lourd de sens que les années précédentes. Hassan le voyait un peu comme une version alternative du coup qu'il avait pris au moral cinq ans plus tôt, aux quinze ans de la mort de ses parents, date après laquelle il avait officiellement commencé à avoir vécu plus longtemps sans ses parents qu'avec eux. Mais cette année il n'avait simplement pas la force, et avait l'impression que l'on accordait à cette date bien plus d'importance qu'elle n'était censée en mériter … Est-ce que c'était vraiment ce qu'auraient souhaité ses parents ? Et cela changeait-il réellement quoi que ce soit ? « Je … Je crois que oui … » avait malgré tout tenté d'opposer Yasmine, lorsqu'Hassan lui avait demandé son avis avec un brin d'incertitude. Elle "croyait", mais aux yeux d'Hassan cela avait la même valeur que si elle lui avait asséné un non plein d'assurance. Et tentant maladroitement de faire valoir ses raisons – qu'il estimait totalement légitimes – il n'avait pas réussi à la faire flancher « C'est pas une question de mérite Hassan … Tu peux bien faire semblant que ça ne compte pas – ne pas aller au cimetière et rester cloîtré chez toi en prétendant que c'est un jour comme un autre c'est … Ce n'est pas le cas. Ça ne le sera jamais … » S'attendant presque à un sermon dans les règles de l'art, Hassan avait accueilli avec un brin de surprise le pas en avant de Yasmine et la main qu'elle venait de poser sur son bras dans un geste rassurant « Je sais bien que tu portes ce deuil avec toi tous les jours … Et que c'est pas quelque chose de spécifique à aujourd'hui mais je crois que ça serait une erreur de prétendre que c'est pas un jour qui compte et de pas aller les voir aujourd'hui … Parce que ce jour a changé ta vie – pas comme tu le voudrais, sans doute pas d'une façon dont tu voudrais t'en rappeler mais … Refouler ses sentiments ça ne t'aidera pas … Ça ne les changera pas. » Parfois, surtout ces derniers mois semblait-il, le brun avait l'impression que Yasmine se mettait parfois à parler comme un psy. Ce n'était sans doute pas entièrement un reproche, au fond cela prouvait que la jeune femme savait dans la plupart des cas quoi dire et comment le dire … Mais cela donnait à Hassan l'impression que tous se liguaient contre lui. « Je sais mais … » Mais quoi ? Il ne savait même pas comment se justifier, bien sûr que refouler les choses n'était pas la bonne solution, c'était le genre d'argument qu'il aurait totalement pu utiliser s'il avait été à la place de Yasmine, mais c'était toujours beaucoup plus facile à dire qu'à faire. « Qasim n'est pas là, lui, et on sait tous les deux que ce n'est pas un hasard … J'arrive pas à savoir si je lui en veux ou si je l'envie. » Au fond il l'enviait bien plus qu'il lui en voulait, il comprenait, son frère avait beau parler de hasard du calendrier Hassan savait bien que s'il avait insisté ils auraient passé Noël ici à Brisbane, et réservé leur Nouvel An à la famille de sa femme. « Et puis ... » Baissant les yeux vers la main de Yasmine toujours posée sur son bras, et sans faire le moindre mouvement pour s'en dégager, il avait finalement avoué « Je n'y suis jamais retourné depuis mon … Depuis mon accident. » d'un ton honteux. Le suicide, dans la culture de ses parents comme dans bien d'autres, représentait véritablement une honte, et certains jours Hassan ne pouvait s'empêcher de se demander si de là où ils étaient son père et sa mère n'avaient pas décidé de le renier pour avoir ainsi craché sur l'un de leurs principes fondamentaux.
Noyer le poisson étant l'une des autres raisons pour lesquelles Hassan avait pris le chemin de la cuisine avec motivation, tous les deux avaient passé la porte fenêtre, Yasmine acceptant vaguement un verre d'eau avant que l'allure de la pièce principale n'attire son attention. Ce n'était pas non plus grand-chose, Hassan s'était séparé d'un certain nombre d'éléments de mobilier en quittant son appartement, majoritairement les meubles qu'il avait acheté un peu à la va-vite à son emménagement après son divorce et sur lesquels il n'avait pas été très regardant, persuadé que tout cela ne lui servirait pas longtemps. Mais avec le peu qu'elle avait trouvé entassé dans le garage Joanne avait néanmoins réussi à donner à la pièce de vie, la cuisine et le bureau derrière l'escalier un semblant d'allure et rendu le tout suffisamment accueillant pour que son ex-époux n'ait plus l'impression de vivre dans un squat ou un débarras. « D'accord. » C'était tout ce qu'avait répondu Yasmine lorsqu'Hassan avait fini par lui avouer à demi-mot la vérité, celle qu'il retenait depuis des mois par peur de sa réaction. Approchant de la table elle avait attrapé son verre d'eau sans le boire, semblant lutter et finalement ne parvenant pas à garder pour elle ses questionnements « Enfin non je … Je ne comprends pas … Le bon moment pour me dire quoi Hassan ? Pourquoi en faire un tel secret ? » Reposant son propre verre sur la table, et semblant tout à coup un peu mal à l'aise sur sa chaise, Hassan avait semblé chercher ses mots quelques instants. L'un de ses grands regrets avait été de voir que Yasmine et Joanne – littéralement les deux femmes de sa vie – n'étaient jamais réellement parvenues à s'apprécier, en dépit de l'affection qu'elles lui portaient toutes les deux. « J'étais pas sûr que … je savais pas trop comment tu le prendrais. » Sans pour autant avoir la moindre idée de ce que pourrait être sa réaction. Seule celle de Qasim lui servait de référence, et c'était sans doute là tout le problème, elle s'était avérée plus négative qu'Hassan ne l'aurait imaginé … On avait peine à croire qu'avant leur divorce Qasim se soit toujours bien entendu avec sa belle-sœur. « On s'est revus par hasard l'an dernier, en se croisant dans le hall de l'hôpital. Et quelques fois, ensuite, mais ça ne s'est pas très bien passé et je … je crois que j'ai voulu faire comme si rien ne s'était passé,. Oublier ça … ce qu'elle a pu me dire à ce moment-là. » Faire l'autruche à nouveau, « refouler » comme l'avait dit Yasmine juste avant, un échec le plus total quand on savait comment tout cela – Joanne, et le reste – s'était finalement terminé pour lui. « Après ça y'a eu mon accident, ça a été tendu entre toi et moi, et j'ai juste … eu peur. Que ça empire à nouveau les choses entre nous. Qasim n'a pas très bien réagi quand je lui en ai parlé. » Et si Qasim n'avait pas bien réagi en ayant pourtant apprécié Joanne jadis, Hassan se demandait bien comment la réaction de Yasmine aurait pu être meilleure. « Mais je … c'est quand même presque dix ans de ma vie. Et ça s'est arrêté tellement brutalement, alors je voulais juste … je sais pas. Faire les choses un peu mieux. Mais elle n'a plus vraiment de place pour moi dans sa vie, de toute façon. » Et peut-être lui non plus dans la sienne, dans un certain sens, c'était ce qu'il se disait pour tenter de se donner une contenance. Joanne avait fait son choix, elle était à Londres avec un homme qui ne la respectait pas, mais c'était ce qu'elle avait décidé. « Peu importe. Comme je t'ai dit une fois je t'ai toi … et puis Qasim, ton frère, tes parents. J'ai besoin de personne d'autre. » La gorge soudainement plus sèche que le désert su Sahara, il avait terminé son verre d'eau d'une seule traite, sans savoir à quoi s'attendre tandis que son regard se reposait sur Yasmine.
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Trop souvent Yasmine ne savait pas comment agir face aux surprises qu’Hassan pouvait lui faire. Totalement imprévisible il l’avait plus d’une fois mise devant des situations inattendues et son refus soudain d’aller au cimetière en faisait parti. Si elle tentait de comprendre ses arguments et de les comprendre l’impression que tout ça lui donnait était simplement qu’il était entrain de se dérober et de refuser d’assumer des sentiments qui certes, étaient compliqués - mais que d’une certaine façon il était légitime de ressentir et nécessaire sans doute pour aller de l’avant. « Je sais mais … » Sa main toujours posée sur le bras d’Hassan elle avait attendu une suite qui semblait ne pas venir - comme si il n’était plus sûr de savoir ce qu’il fallait dire. « Qasim n'est pas là, lui, et on sait tous les deux que ce n'est pas un hasard … J'arrive pas à savoir si je lui en veux ou si je l'envie. » Bien plus compréhensible que le reste de son explication, Yasmine semblait enfin desceller un part du problème et n’allait pas prétendre que l’absence de l’ainé Jaafari était un hasard. « Quasim et toi vous êtes différents… Il est à Sydney, avec sa femme, ses enfants,… Pas cloitré chez lui à refaire la cabane de son enfance dans la maison de ces mêmes parents qu’il ne va pas aller voir… » C’était sans doute un peu dangereux de s’aventurer sur ce sujet, rappeler sa solitude à Hassan, son attachement à cette maison à ses souvenirs, cette famille qu’il avait tant espéré mais qu’il n’avait pas aujourd’hui… Et pourtant c’était une vérité que tous les deux connaissaient et qu’il ne lui semblait pas utile de cacher. Malgré tout il n’était pas seul… Elle était là, même si il semblait parfois souhaiter que ça ne soit pas le cas. « Et puis ... Je n'y suis jamais retourné depuis mon … Depuis mon accident. » Sa bouche s’ouvrant légèrement pour laisser échapper un « oh… » entre l’étonnement et la confusion que lui procurait cette révélation elle était restée un instant silencieuse, cherchant le regard fuyant de son ami. Jamais elle n’avait pensé à ça - à la façon dont il gérait son suicide et ses parents qui n’étaient plus là… Touché par cet instant elle avait par instinct fait remonter sa main le long du bras d’Hassan pour finalement la poser sur sa joue, caressant du bout du pousse la barbe de quelques jours qu’il ne quittait jamais. « Il y a certains amours que rien ne peut détruire Hassan. » Et c’était sans doute le cas de l’amour qu’elle lui portait elle aussi. Alors elle voulait y croire - penser que peu importe ses erreurs les parents d’Hassan comprenaient de là où ils étaient - qu’ils savaient mieux que personne sans doute les raisons qui avaient poussé ce geste désespéré. Bien mieux qu’elle sans doute. Ses propres parents avaient pardonné ce geste à Hassan, elle aussi d’une certaine façon - même si il n’était pas tant question de pardon dans son cas mais bien plus d’acceptation, obligatoire pour pouvoir continuer à aller de l’avant. Finalement un peu plus hésitante, elle s’était encore approchée un peu de lui, sa main glissant dans sa nuque l’autre dans son dos elle lui avait offert une simple étreinte, rassurée de finalement sentir les bras du jeune homme se serre son corps elle avait murmuré quelques mots à son oreille. « Ca va aller… » Des mots sans doute bateau, qu’elle tentait pourtant de se répéter depuis des mois en espérant pouvoir y croire. Déposant un léger baiser dans sa nuque elle était restée encore quelques secondes contre lui avant que ne se détachant l’un de l’autre le sujet soit finalement balayé par un autre moins émotionnel.
Quelques secondes lui avaient été offertes à peine pour calmer les sentiments qui la prenaient - une courte période qui avait bien vite été coupée par la découverte de son appartement décoré et l’annonce que Hassan avait finalement fini par lâcher à demi mots. Laissant à Yasmine le temps de digérer l’information il était resté silencieux jusqu’à ce que finalement la jeune femme exprime son besoin de compréhension. « J'étais pas sûr que … je savais pas trop comment tu le prendrais. » Un peu étonnée de cette réponse elle n’avait pu s’empêcher de rétorquer à mi voix. « Et tu pensais que ça serait plus simple que je l’apprenne parce que je tombe sur ta maison redécorée par elle ? » Il n’y avait pas de colère dans sa voix… Juste une connotation un peu triste… Parce que c’était encore une des nombreuses incohérences qu’elle peinait à comprendre chez Hassan. « On s'est revus par hasard l'an dernier, en se croisant dans le hall de l'hôpital. Et quelques fois, ensuite, mais ça ne s'est pas très bien passé et je … je crois que j'ai voulu faire comme si rien ne s'était passé,. Oublier ça … ce qu'elle a pu me dire à ce moment-là. » Sentant un léger frisson la parcourir elle n’aurait su dire si c’était l’évocation de cette année de mensonges ou tout du moins de dissimulation qui lui faisait ça ou cette fin de phrase qui laissait deviner une vraie souffrance chez son ami. « Qu’est ce que… Qu’est ce qu’elle t’a dit ? » Un brin effrayé de connaitre la réponse à cette question elle sentait que le moment risquait de ne jamais se représenter et que si elle ne le saisissait pas pour poser la question elle resterait sans doute dans l’ignorance pour encore de longues années. « Après ça y'a eu mon accident, ça a été tendu entre toi et moi, et j'ai juste … eu peur. Que ça empire à nouveau les choses entre nous. Qasim n'a pas très bien réagi quand je lui en ai parlé. » Cette information l’avait un peu étonnée sachant que Qasim avait toujours apprécié Joanne, mais le côté grand frère protecteur de Qasim était bien plus fort que n’importe quel sorte d’affection qu’il pouvait porter aux autres.
« Mais je … c'est quand même presque dix ans de ma vie. Et ça s'est arrêté tellement brutalement, alors je voulais juste … je sais pas. Faire les choses un peu mieux. Mais elle n'a plus vraiment de place pour moi dans sa vie, de toute façon. » C’était donc ça l’histoire ? Est-ce que c’était ce qui le peinait ? Un autre homme dans la vie de Joanne ? Evidement elle ne pouvait s’empêcher de ressentir à nouveau cette déception profonde à l’égard de Joanne. Si elle ne l’avait jamais particulièrement appréciée la façon dont elle avait abandonné son mariage avec Hassan restait un vrai mystère pour Yasmine et une belle déception qui - elle le savait - avait eu son impact sur la suite de la vie d’Hassan. C’était en partie ce qui avait fait d’Hassan ce qu’il était aujourd’hui - un homme bien différent de celui qu’elle avait pu connaitre et dont elle était tombée très jeune amoureuse. « Je ne comprends pas vraiment de quoi tu avais peur ? Tout au plus j’aurais pu donner mon avis… Je ne me suis jamais attendue à ce que tu balayes ses dix ans de ta vie d’un coup… Je n’ai jamais pensé que tu l’avais fait d’ailleurs. » Bien au contraire, cette impression que Joanne était toujours présente bien après son départ était reste bien ancrée pendant des mois - des années maintenant. « Peu importe. Comme je t'ai dit une fois je t'ai toi … et puis Qasim, ton frère, tes parents. J'ai besoin de personne d'autre. » Sentant son coeur se serrer à ses derniers mots elle avait quitté la table pour lui tourner une fois de plus le dos le laissant cette fois sans doute un peu étonné. Il ne se rendait pas compte sans doute de la portée de ce qu’il venait de dire. « Oui… Je me souviens très bien de ces paroles… Tu les a prononcé la dernière fois que je t’ai vu… Avant que tu ne fasses ta tentative de suicide. » Se retournant pour lui faire face elle s’était mordue la lèvre inférieur assez fort pour s’empêcher de penser à autre chose. Prononcer les mots aussi clairement - sans passer par des subterfuges pour parler d’un pseudo accident lui procurait une sensation étrange. Mais il était sans doute temps qu’elle arrête de se cacher derrière les mots…
Si Qasim avait été là les choses auraient peut-être été différentes, lui aurait sans aucun mal réussi à trouver les mots pour le convaincre de venir, et au fond Hassan n'aurait eu aucune raison de refuser puisque son frère et lui auraient été dans le même bateau. Mais Qasim n'était pas là, il avait sciemment choisi d'ignorer cette datte lui aussi, en passant les fêtes de Noël dans sa belle-famille loin de Brisbane et des souvenirs que la fin d'année y faisaient inévitablement remonter … Et Hassan se sentait pris au piège dans une situation à laquelle lui aurait aurait eu envie d'échapper, mais sans que l'on lui en accorde la même légitimité qu'à son aîné. Même Yasmine avait argué « Qasim et toi vous êtes différents … Il est à Sydney, avec sa femme, ses enfants … Pas cloîtré chez lui à refaire la cabane de son enfance dans la maison de ces mêmes parents qu'il ne va pas aller voir … » Bien que ce ne soit sans doute pas le but recherché par la jeune femme, ses paroles avaient heurté Hassan, qui baissant les yeux en affichant un sourire morne avait secoué doucement la tête « Ouais, bah, on fait ce qu'on peut avec ce qu'on a … Et c'est pas mon divorce qui va m'aider à remplir cette baraque, alors je l'occupe comme je peux. » Même si cela voulait dire bricoler sur la vieille cabane de son enfance. Qu'il bricolait pour que ses neveu et nièce puissent en profiter, qui plus est. Au fond il savait bien que Yasmine essayait simplement de tenter de lui faire entendre raison et de lui prouver que son attitude n'était pas saine, mais tout ce qu'il y avait vu, lui, c'était la comparaison entre la vie bien ordonnée de Qasim, et le champ de bataille qu'était la sienne. Ce même champ de bataille qui l'avait poussé à faire une connerie, le genre de connerie qu'il n'assumait pas du tout face à la mémoire de ses parents, peu importe que tout cela n'ait d'importance que dans sa tête. Bien sûr ses parents n'étaient plus là et ne pourraient pas le chasser ou l'empêcher de revenir sous prétexte qu'il avait manqué à un des préceptes fondamentaux de leurs croyances … Mais la honte, en revanche, Hassan n'était pas certain de pouvoir l'affronter une fois sur place. « Il y a certains amours que rien ne peut détruire Hassan. » Il avait secoué la tête sans rien répondre, conscient qu'elle essayait de le rassurer mais pas pour autant convaincu de ce qu'elle avançait. Elle ne pouvait pas sincèrement croire à ce qu'elle venait de dire, alors que ses propres parents avaient décidé de renier leur fils aîné. Et si les parents Khadji reniaient leur progéniture pour ce qu'ils appelaient un pêché, quelle assurance Hassan avait-il que ses propres parents n'en auraient pas fait autant avec lui ? D'y repenser il avait senti un frisson lui parcourir l'échine, à moins que ce ne soit l'effet de la main de Yasmine contre sa joue avant qu'elle ne vienne le serrer un instant dans ses bras et lui murmurer à l'oreille « Ça va aller … » avec suffisamment de douceur pour que, à défaut d'en être entièrement convaincu, il s'en persuade quelques instants. Quand ses bras s'était refermés autour de Yasmine il s'était demandé ce qu'il ferait sans elle, une question de plus en plus récurrente et rendue douloureuse par l'évitement dont ils faisaient inconsciemment preuve l'un avec l'autre depuis leur retour en terres australiennes.
Il s'était senti un peu plus léger lorsque, répondant au sien, il avait déposé un baiser furtif sur son épaule avant de la laisser partir. Elle n'avait pas exigé de lui qu'il change d'avis et au fond c'était peut-être la meilleure technique à adopter pour espérer de lui qu'il cogite et finisse par – peut-être – revoir sa position quant au fait de l'accompagner au cimetière. A peine à l'intérieur pourtant le sujet lui était sorti de la tête tandis que les circonstances l'amenaient – un peu malgré lui – à révéler ce qu'il n'osait pas dire depuis plusieurs mois désormais. Il savait bien qu'un jour il lui faudrait l'avouer à la jeune femme, mais il n'avait cessé de se trouver des excuses et de repousser l'inévitable, inquiet de la réaction que pourrait avoir la brune et en même temps incapable de savoir pourquoi il craignait tellement sa réaction. « Et tu pensais que ça serait plus simple que je l'apprenne parce que je tombe sur ta maison redécorée par elle ? » Non, bien sûr que non. « Ça s'est fait comme ça, j'ai pas … ça m'est sorti de la tête. » Du moins à la longue. Une fois digéré son retour précipité, et les conséquences de la tempête en son absence, il avait retourné dans tous les sens la situation pour essayer de trouver comment amener la chose. Et puis finalement Yasmine et lui ne s'étaient pratiquement pas vus depuis, jamais chez lui, et Hassan avait simplement fini par totalement oublier la chose. Désormais au pied du mur, et n'ayant plus vraiment de raison de faire tant de mystère, il avait néanmoins fini par donner de maigres explications censées justifier sa volonté de garder le silence « Qu'est-ce que … Qu'est-ce qu'elle t'a dit ? » Avalant sa salive avec difficulté, la sensation d'avoir soudainement la gorge desséchée le laissant muet un instant, il avait resserré ses doigts autour de son verre mais pas été capable de continuer à soutenir le regard de Yasmine « Qu'elle était fiancée, et très heureuse sans moi ? » Plus heureuse qu'elle ne l'avait jamais été avec lui, peut-être, ou tout du moins c'était la sensation qu'il avait eu à l'époque, et savoir aujourd'hui que les choses n'étaient pas aussi roses que Joanne le lui avait assuré à ce moment-là ne rendait pas le souvenir de cette conversation moins douloureux. « Et je sais, c'est ce que je voulais pour elle … C'est pour ça que je suis parti. Mais … Je sais pas. Balayer neuf ans comme ça, aussi vite, construire en un an ce qu'avec moi elle a mis des années à construire … ? Je crois qu'à ce moment-là j'aurai préféré ne jamais la revoir, et ne pas savoir. » Parfois Hassan se demandait si les choses se seraient passées autrement si les médecins avaient eu raison, s'il n'avait pas survécu, et si Joanne avait fini par recevoir cette lettre qu'il ne lui avait finalement jamais donnée. Se serait-elle malgré tout laissée embobiner par Jamie, ou bien aurait-elle trouvé quelqu'un d'autre ? « Elle était enceinte, quand on a divorcé. » Devinant la question dans le regard de Yasmine tandis qu'il relevait les yeux vers elle, il avait ajouté « J'étais pas au courant. Et elle l'a perdu pas longtemps après. » Faisant nerveusement tourner son verre entre ses doigts il avait secoué la tête « Et le pire c'est que je crois qu'elle me l'a dit uniquement dans l'espoir que je me sente obligé de justifier notre divorce. » La conversation remontait à plusieurs mois et pourtant Hassan s'en souvenait toujours avec une précision douloureuse. La façon dont Joanne brandissait cela comme un étendard, l'honnêteté, et le fait qu'elle ne se soit pas posé une seule seconde la question des répercussions qu'une telle révélation pourrait avoir sur lui … Probablement parce que cela lui importait peu, à l'époque. Ne comptait que son obstination à obtenir la réponse à sa question, et rien d'autre. « Et je … » Ravalant les mots restés coincés au fond de sa gorge, au même titre que le mélange de larmes et de colère qu'il se refusait à laisser échapper, il avait repris « C'était probablement ma seule chance. D'avoir un enfant. Et je peux pas m'empêcher de me demander ce qui se serait passé si j'étais pas tombé malade, si j'avais pas décidé de divorcer … Peut-être qu'elle ne l'aurait pas perdu. Peut-être que … » Peut-être qu'il serait père à l'heure actuelle. Mais il ne l'était pas, et sur les mêmes recommandations que ces médecins qui ne donnaient pas cher de sa peau trois ans plus tôt il devait se faire à l'idée qu'il ne le serait sans doute jamais.
La logique aurait voulu qu'il se sente mieux de s'être déchargé de ces aveux, parait-il qu'on se sentait toujours plus léger après avoir avoué quelque chose que l'on gardait sur la conscience ou sur le cœur depuis une longue période … Hassan ne se sentait pas mieux. Au contraire, il avait l'impression de ressasser à nouveau les mêmes choses, et un jour comme aujourd'hui il n'aurait probablement pas eu besoin de ça pour ressasser. Et puis Joanne avait fait son choix, en partant à Londres. Celui d'accorder plus que crédit à l'homme qui l'avait frappée qu'à l'homme qui l'avait quittée, préférant être mal accompagnée que seule, à l'évidence. Il n'y avait plus rien qu'il puisse faire, et il était fatigué de se battre contre du vent. « Je ne comprends pas vraiment de quoi tu avais peur ? » avait fini par questionner Yasmine, l'incompréhension transparaissant jusque dans le son de sa voix. « Tout au plus j'aurais pu donner mon avis … Je ne me suis jamais attendue à ce que tu balayes ces dix ans de ta vie d'un coup … Je n'ai jamais pensé que tu l'avais fait d'ailleurs. » Parce qu'elle avait raison, il ne l'avait jamais, fait, jamais totalement. Mais Joanne l'avait fait, elle, avec beaucoup moins de mal qu'il ne l'aurait imaginé d'ailleurs … Pourquoi lui n'avait-il pas été capable d'en faire de même ? Et pourquoi continuait-il à sentir son cœur se serrer à cette idée, alors qu'au fond les personnes sur lesquelles il avait pu compter sans discontinuer étaient toujours les mêmes, et toujours présentes, elles ? Observant Yasmine quitter la table sans crier gare, Hassan était resté perplexe quelques secondes avant qu'elle ne se tourne à nouveau vers lui « Oui … Je me souviens très bien de ces paroles … Tu les a prononcées la dernière fois que je t'ai vu … Avant que tu ne fasse ta tentative de suicide. » Sans bien savoir si c'était ce dernier mot, le souvenir qu'elle pointait du doigt ou bien sa propre erreur, le brun était resté interdit, bégayant en silence quelques secondes avant de parvenir à articuler « Excuse-moi je … c'était pas ce que je voulais dire. » Ou pas ce qu'il voulait sous-entendre en tout cas, puisqu'elle semblait trouver une relation de cause à effet entre les deux événements. « Je sais que faut que j'arrête de me raccrocher à vous … Que je m'en sorte tout seul. Je le sais. » Et il essayait d'y travailler, majoritairement parce que son psy l'y obligeait et qu'il craignait que ne pas se montrer docile avec lui n'aggrave son histoire de délinquance routière, mais il essayait en tout cas. « Tout ce que j'essayais de dire c'est que si je le fais … c'est pour vous. » Pas pour qui que ce soit d'autre, et même pas pour lui-même … Simplement pour son frère, et pour les Khadji. Mais Yasmine avait raison, et elle était en droit de s'être lassée d'être celle dont on avait besoin … Hassan lui-même se lassait de cette sensation d'avoir continuellement besoin des autres, désormais. « Je vais … chercher de quoi vernir le bois. » Et surtout chercher une excuse pour échapper quelques instants au regard de Yasmine, traversant le salon pour rejoindre l'entrée puis la porte qui menait au garage. Peut-être était-elle effectivement venue de son plein gré aujourd'hui, mis Hassan avait comme l'impression que la prochaine fois il n'y aurait bien que l'insistance de Qasim ou Fatima pour la convaincre.
True love doesn't happen right away; it's an ever-growing process. It develops after you've gone through many ups and downs, when you've suffered together, cried together, laughed together.
Blessée ? Elle l’était sans aucun doute, même si il était difficile d’expliquer ce sentiment. Cette impression qu’il avait fallu peu à Joanne pour reprendre sa place dans la vie d’Hassan, celle qu’elle avait toujours eu. Alors qu’il évitait Yasmine et la recevait avec une certaine froideur chez lui – Joanne y avait été invitée, elle avait refait sa décoration, s’était appropriée cette maison qu’elle n’avait pourtant même pas connue du vivant des parents Jaafari, elle avait fait de ces lieux les siens et sans doute un peu égoïstement Yasmine trouvait ça injuste. Elle était là elle – depuis toujours – elle avait tenté de ne pas faiblir, de rester la personne sur qui Hassan pouvait compter – de parfois même mettre ses propres états d’âme de côté, elle était prête à tout donner pour Hassan et pourtant il semblait que sa place était toujours difficile à tenir, alors que pour Joanne les choses étaient bien plus simple. Il lui avait sans doute suffi de repointer le bout de son nez ? Avait-elle même exprimé le moindre regret ? Yasmine n’était même pas sûr qu’elle en ait eu besoin. « Ça s'est fait comme ça, j'ai pas … ça m'est sorti de la tête. » Levant un sourcil Yasmine l’avait regardé un peu interloqué. « Ca t’est sorti de la tête ? » Est-ce que c’était une blague ? Parce que c’était vraiment douteux comme sorte d’humour. « Tu vis dans cette maison Hassan… Comment ça peut te sortir de la tête ? » Comment ne pouvait-il ne pas voir – penser à elle à chaque fois qu’il posait les yeux sur l’agencement de sa maison ? C’était son cas à elle pourtant – elle ne voyait plus que Joanne dans cette maison. De quoi lui donner l’envie soudain de retourner dehors. Elle étouffait ici de toute façon.
La suite de la conversation pourtant lui avait fait oublier son propre malaise pour ne se concentrer plus que sur Hassan. Sentant un frisson lui parcourir l’échine alors que la voix de son ami lui répondait. « Qu'elle était fiancée, et très heureuse sans moi ? » Sentant une méchante nausée la parcourir Yasmine était pourtant restée fixe, sans faiblir, sans bouger elle avait continué de regarder Hassan sans savoir quoi faire maintenant. Elle avait voulu ses confidences elle les avait attendus pendant des mois et pourtant aujourd’hui qu’elle les avait – elle ne savait qu’en faire. « Et je sais, c'est ce que je voulais pour elle … C'est pour ça que je suis parti. Mais … Je sais pas. Balayer neuf ans comme ça, aussi vite, construire en un an ce qu'avec moi elle a mis des années à construire … ? Je crois qu'à ce moment-là j'aurai préféré ne jamais la revoir, et ne pas savoir. » Toujours silencieuse le regard de Yasmine se plongeait dans celui de son ami – seul soutien qu’elle savait lui apporter aujourd’hui. Il méritait tellement mieux que ça – tellement mieux que ce cancer qui était venu bousculer sa vie et lui avait enlevé une partie de ce qu’il était. « Elle était enceinte, quand on a divorcé. » « Qu-quoi ? » Sentant son cœur s’accélérer d’un coup elle n’aurait su dire ce qu’elle attendait maintenant comme suite. « J'étais pas au courant. Et elle l'a perdu pas longtemps après. Et le pire c'est que je crois qu'elle me l'a dit uniquement dans l'espoir que je me sente obligé de justifier notre divorce. » La douleur de cette révélation pouvait s’entendre dans sa voix – dans la façon dont il provisionnait son corps, parce qu’alors même qu’il se livrait, il semblait essayer de se protéger. « Et je… C'était probablement ma seule chance. D'avoir un enfant. Et je peux pas m'empêcher de me demander ce qui se serait passé si j'étais pas tombé malade, si j'avais pas décidé de divorcer … Peut-être qu'elle ne l'aurait pas perdu. Peut-être que … » Bouleversée par la conversation, les yeux de Yasmine s’étaient embués de larmes qu’elle se refusait pourtant à laisser couler – Si Hassan était capable de se maitriser, elle ne pouvait pas flancher. Laissant, d’une façon un peu incertaine, sa main glisser le long de la table elle était venue saisir celle de son ami dans la sienne – presque apeurée de rentrer dans son intimité à ce moment précis elle avait pourtant refermé sa main fortement sur la sienne. « Je suis tellement désolé Hassan… » Même son optimiste s’était refusé à le contredire. Peut-être Hassan ne serait-il jamais père – peut-être que les choses auraient pu être différentes et si au fond elle savait bien qu’ils ne referaient pas le monde avec des suppositions comme celles là, elle s’était contenté de l’écouter plutôt que de tenter de lui insuffler le moindre espoir - persuadé que ce n’était pas le moment et pas ce qu’il attendait ni ce dont il avait besoin.
Pendant quelques longues secondes – minutes peut-être le silence avait été total, sa main toujours fermement agrippée à celle de son ami Yasmine n’avait pas tenté d’en savoir plus. Evidement les questions se bousculaient dans son esprit – pourquoi ? quand ? Est-ce que c’était ça – cet événement qui l’avait finalement poussé à tenter de mettre fin à ses jours ? Elle ne le savait pas et savait maintenant qu’elle n’avait pas besoin de le savoir. Qu’elle n’avait pas besoin de tout savoir – juste d’avoir l’impression qu’il ne lui cachait pas l’intégralité de sa vie – qu’il ne la mettait pas dehors. Elle le sentait – ses mots étaient bien plus pour elle que pour lui – mais elle en avait tellement besoin et ce même si ils étaient meurtriers parfois.
La conversation avait finalement repris, Hassan prononçant ces quelques mots qui lui avaient d’un coup glacé le sang. Sa main quittant celle de son ami alors qu’elle sentait son sang se glacer et une boule se former dans sa bouche. Ces quelques mots elle ne les avait jamais oubliés – ils étaient le mensonge ultimes d’Hassan. Celui qu’il lui avait servi pour la rassurer alors que quelques jours plus tard il mettait volontairement sa voiture dans un arbre. Aujourd’hui ils n’avaient plus rien de rassurant – au contraire. « Excuse-moi je … c'était pas ce que je voulais dire. » Qu’est ce qu’il voulait dire alors ? Un autre mensonge pour lui faire gober qu’il allait bien – qu’elle n’avait pas à s’inquiéter ? Refermant ses bras sur elle même elle était resté de dos en fermant les yeux quelques instant pour tenter se calmer les battements de son cœur qui s’étaient affolé à l’idée qu’il ne reprenne sa voiture pour se mettre dans le premier mur sur sa route. « Je sais que faut que j'arrête de me raccrocher à vous … Que je m'en sorte tout seul. Je le sais. » Se retournant en entendant ses mots elle avait froncé légèrement les sourcils. « Qu’est ce que tu racontes ? » Elle n’avait pas l’impression qu’il s’accrochait à elle - loin de là puisqu’une fois sur deux son impression c’était qu’il la voulait dehors de sa vie pour être tranquille. « Tout ce que j'essayais de dire c'est que si je le fais … c'est pour vous. » Et c’était peut-être la raison première qui menait à son échec – parce qu’il n’était retenu que par ses personnes qui souffriraient trop de le voir partir – et ce n’était en aucun cas ce qu’elle voulait entendre. Parce que c’était pour lui qu’il devait le faire et personne d’autre. Parce que ça laissait sous entendre que ce qu’elle avait pensé être une période de rémission n’avait été que de courte duré – pour peu qu’elle ait même existé. « T’en a pas envie n’est ce pas ? D’être ici ? » C’était douloureux de poser la question et pourtant elle avait besoin de savoir – par ici elle n’entendait pas juste à Brisbane – bien qu’il lui avait semblé qu’au final Hassan était bien plus heureux loin d’ici – loin d’eux. Mais ici tout court - ici vivant.
« Je vais … chercher de quoi vernir le bois. » Hassan mettant fin à la conversation elle s’était en deux temps trois mouvements retrouvée seule dans cette maison qui lui semblait d’un coup bien étrangère. Quelques larmes coulant sur ses joues, elle les avait chassé d’un coup de main rapide respirant un bon coup pour reprendre un peu de constance. Finalement elle avait à son tour pris le chemin du garage. La lèvre encore tremblante, elle s’était approchée discrètement d’Hassan qui semblait chercher le fameux vernis et ne l’avait sans doute pas entendu. Sans trop réfléchir, elle était venue se glisser contre lui, le surprenant assez pour qu’il sursaute légèrement. Collant son torse au dos de son ami, son menton lui était venu se poser sur l’épaule d’Hassan alors que ses bras venaient l’entourer. Une main se posant sur son ventre et l’autre venant chercher avec la paume l’emplacement de son cœur, comme si elle espérait le sentir battre. « Ne me fuis pas Hassan… » Murmurant ses quelques mots à son oreille elle avait ensuite posé quelques secondes son front contre son omoplate en serrant les lèvres. Elle ne voulait plus faire ça – plus de cette fuite entre eux – de cette espace que rien pas même les mots ne semblait pouvoir briser. « Je n’en peux plus de ce fossé entre nous… Tu me manques tellement… » Parce que même là contre lui – elle ne le sentait pas toujours là – et que peut-être elle aussi n’y était pas – qu’elle n’osait plus se donner entièrement. Peut-être avaient ils mis trop de distance entre eux pour pouvoir ressentir encore cette relation si simple qui les avait lié pendant des années. Cette amitié sans aucun questionnement. « Je ne veux pas que tu te caches – pas que tu ai peur de mon regard ou de me dire les choses – parfois je n’aime pas les mots mais je suis pourtant heureuse de les entendre. » C’était un paradoxe sans doute inexplicable – parce qu’il ne pouvait pas lui dire ce qu’elle voulait entendre – parce que les mots seraient mensonge et elle ne voulait pas de ses mensonges… Et pourtant dieu sait comment elle aurait voulu qu’Hassan puisse les dire sincèrement. « Ce qui me fait le plus peur c’est que tu me dises seulement ce que tu penses que je veux entendre… » Et c’était l’impression que sa phrase lui avait donné – parce qu’elle n’était pas suffisante – pas même avec l’aide de ses parents et de Qasim – ils n’avaient pas suffi pour qu’il ait envie de vivre ce soir là et elle avait toujours l’impression de voir Hassan se balancer sur un fil bien trop fin – ce fil s’était eux, s’était ceux qui le maintenaient en vie mais il n’était pas assez fort pour supporter le poids de sa vie si on y rajoutait quelques kilos. Il n’était pas « suffisant ».
La vérité c'est qu'Hassan ne voyait déjà presque plus la décoration de cette maison, parce qu'il ne voyait plus rien. Il regardait, mais il ne voyait pas … Depuis son retour à Brisbane il avait l'esprit ailleurs, préoccupé. Une chose dont il ne s'était assurément pas vanté auprès de Yasmine, particulièrement pas dans l'état de malaise dans laquelle semblait s'être engluée leur relation ces dernières semaines. « Ça t'es sorti de la tête ? » avait-elle de son côté répété, incrédule « Tu vis dans cette maison Hassan … Comment ça peut te sortir de la tête ? » Il n'avait rien répondu, sans doute parce qu'il n'avait pas de réponse satisfaisante à apporter à la jeune femme … Silencieusement il avait donc haussé les épaules, avec résignation. Peut-être que cela ne lui sautait pas aux yeux parce que lui savait que tout cela n'était que temporaire, les meubles, l'agencement, Joanne avait réussi à faire en sorte que cette maison ressemble à quelque chose de vivable avec le peu de meubles et d'objets qu'elle avait eu sous la main, mais à terme Hassan comptait bien se débarrasser de tout ce mobilier hétéroclite et sans aucune ligne conductrice, acheté d'occasion et à la va-vite après son divorce pour agencer au minimum le petit appartement de Fortitude Valley dans lequel il avait emménagé. Le canapé, le meuble télé, la table de la cuisine, tous ces objets lui rappelaient malgré eux son divorce et la précipitation avec laquelle il avait eu lieu, la vitesse avec laquelle pouvaient être balayées plusieurs années de vie commune. Même la conversation avait fini par dériver là-dessus, fatalement, et tentant un peu maladroitement de mettre des mots sur la façon dont s'étaient déroulées ses premières conversations avec son ex-femme l'année précédente Hassan avait l'impression, lorsqu'il le disait à voix haute, que tout cela ne ressemblait qu'à une vaste comédie. A voix haute cela avait un côté faussement tragique, presque grotesque, et il en venait à se demander pourquoi malgré tout cela lui faisait tellement de mal. Et pourquoi il était visiblement incapable de tourner la page et de passer définitivement à autre chose après trois ans, alors qu'à Joanne il lui en avait fallu moitié moins. Et puisqu'il en était à faire preuve d'un peu d'honnêteté il s'était résolu à avouer ce qu'il n'avait encore dit à personne, pas même à son frère … Surtout pas à son frère, en réalité, parce que sans trop savoir pourquoi il était certain que la réaction de Qasim ne l'aiderait pas. Il avait cette tendance à vouloir compenser l'optimisme dont Hassan n'était plus capable par lui-même quitte à ce que cela sonne faux. « Je suis tellement désolée Hassan … » Répondant par un sourire triste, le brun s’était laissé faire lorsque Yasmine avait saisi sa main pour la serrer entre ses doigts. Elle était désolée mais elle n’avait pas à l’être pourtant, ce n’était pas sa faute … Elle-même le savait sans doute, et Hassan croyait deviner ce qu’elle avait voulu dire. Il lui en était reconnaissant.
Lorsque quelques instants plus tard elle avait retiré sa main il avait senti son cœur se serrer, et eu l’impression de ne pas être capable d’agir autrement qu’en gâchant au fur et à mesure tout ce qu’il tentait de réparer. Il de demandait si à force d’accrocs sa relation avec Yasmine n’en deviendrait pas un jour trop abîmée pour être raccommodée. S’il ne tirait pas trop sur la corde, et si un jour elle n’en aurait pas assez d’être devenue la personne dont il avait – trop – besoin. « Qu’est-ce que tu racontes ? » Elle ne voyait vraiment pas ? Pourtant c’était elle qui venait de le lâcher comme si tout à coup sa main s’était mise à la brûler tandis qu’il l’englobait maladroitement dans ces personnes dont il avait besoin. Il se savait injuste pourtant, d’avoir besoin d’elle et de la forcer à être là – au propre comme au figuré – alors que la place n’avait rien d’enviable. « T’en as pas envie, n’est-ce pas ? D’être ici. » La question lui avait glacé le sang, parce qu’au fond il était certain que la réponse que Yasmine attendait à cette question n’était pas la réponse qui lui était directement venue en tête. « Je … » Mentir encore ? Lui assurer que si, qu’elle n’y était pas du tout … Elle ne le croirait probablement même pas. Hassan savait que ses mensonges ne passaient plus désormais, et que la poudre qu’il jetait aux yeux de Yasmine ne suffisait plus à donner le change. Honteux, une boule douloureusement coincée au fond de sa gorge, la réponse lui avait échappé dans un murmure plaintif « J’essaye … je te jure que j’essaye. » après quoi il avait à nouveau baissé les yeux vers son verre, qu’il avait terminé comme pour tenter de faire passer par la même occasion le goût de l’amertume dans sa bouche.
Et comme souvent Hassan faisait l’autruche, incapable de se confronter au champ de ruines qu’il avait l’impression de laisser sur son passage, prenant la fuite au garage simplement pour ne pas avoir à lire déception ou agacement dans le regard de Yasmine lorsqu’elle se retournerait vers lui. L’ampoule du garage grésillait et éclairait à peine, et il s’était mis à chercher sur les étagères presque à tâtons le fond de vernis donné par Amjad lorsqu’il lui avait parlé quelques temps plus tôt de retaper un peu la cabane avant que Qasim et sa marmaille ne débarquent pour les vacances. Sa gorge s’était mise à le serrer de façon douloureuse tandis qu’il se refaisait mentalement le film de la discussion qu’il venait d’avoir avec Yasmine, l’aveu de l’existence fugace de cet enfant qu’il aurait pu avoir avec Joanne comme point culminant, et finalement la question de l’infirmière comme la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase de ce qu’il se sentait capable d’encaisser sans broncher. Tant et si bien qu’à peine la main mise sur les deux pinceaux qu’il cherchait il s’était interrompu un instant, ravalant ses larmes et essuyant d’un revers de bras celle qui avait malgré tout réussi à se frayer un chemin jusqu’à sa joue. Ce n’était pas des mensonges, il essayait vraiment, il aurait donné n’importe quoi pour que le sentiment qui lui sautait dessus le premier chaque matin à son réveil ne soit ni la tristesse ni la lassitude. « Ne me fuis pas Hassan … » L’arrivée de Yasmine sans qu’il ne l’ait entendue lui avait arraché un sursaut, et ses bras enserrant son torse avait réveillé la chair de poule sur ses bras malgré la chaleur étouffante du garage. « Je n’en peux plus de ce fossé entre nous … Tu me manques tellement … » Peut-être avait-elle senti sous ses doigts son rythme cardiaque accélérer légèrement, Hassan laissant finalement l’une de ses mains à lui remonter le long du bras de Yasmine et venir se poser sur la sienne avec fébrilité. « Je ne veux pas que tu te caches – pas que tu aies peur de mon regard ou de me dire les choses – parfois je n’aime pas les mots mais je suis pourtant heureuse de les entendre. Ce qui me fait le plus peur c’est que tu me dises seulement ce que tu penses que je veux entendre … » Lorsqu’une seconde larme était venue rouler contre sa joue Hassan l’avait chassée prestement de son autre main, et secoué légèrement la tête alors que ses mots eux restaient coincés au fond de sa gorge. Ce n’était pas tant les mots qu’il pensait qu’elle voulait entendre que les mots qu’il la pensait en mesure d’encaisser. Elle était solide pourtant, il le savait, les trois années qui venaient de s’écouler en étaient la preuve entre lui, son père, et même Sohan … Mais c’était encore et toujours la théorie de la goutte d’eau qui ferait déborder le vase, et Hassan ne se pardonnerait jamais d’un jour être celui qui ferait déborder le vase de Yasmine.
Happé par la sensation rassurante que provoquait la présence de Yasmine contre lui, Hassan était resté immobile et silencieux un moment, laissant à ses yeux le temps de se débarrasser du reste des larmes qu’il se refusait catégoriquement à verser, et sa gorge se dénouer suffisamment pour pouvoir en sortir le moindre mot. Attrapant les mains de la jeune femme entre les siennes pour lui faire lâcher prise, et s’était retourné vers elle et avait presque aussitôt entouré ses épaules de ses bras pour la serrer contre lui. « Je pensais que c’était ce que tu voulais … » avait-il soufflé d’un ton désolé. Qu’il s’éloigne, qu’il cesse de faire d’elle le centre de son monde maintenant que Qasim était loin et que Sohan s’effaçait sans qu’il ne sache plus bien comment et pourquoi. « Et tout à l’heure j’ai cru que … je comprends rien. » Elle lui demandait de ne pas fuir et pourtant elle s’était braquée à l’instant où il avait avoué la classer dans la catégorie de ces rares personnes dont il avouait avoir besoin, dont malgré tous ses efforts il ne parvenait pas à se passer, quand bien même cela devait relever pour eux plus du fléau que de la bonne nouvelle. « Mais tu as toujours l’air tellement déçue dès qu’on reparle de ce qui s’est passé en avril. De mon … de ma tentative de suicide. » Les mots lui avaient comme brûlé la langue, tant il se refusait à utiliser cette expression malgré qu’elle ne soit que pure vérité. « Et je te jure que j’essaye. J’essaye de toutes mes forces mais ça fonctionne pas, je me réveille toujours avec l’impression que ça n’ira jamais mieux et que je ne sais même plus ce que je fous là … je comprends pas ce qui cloche, ça me rend dingue. » Doucement, à mesure qu’il parlait, son étreinte sur Yasmine s’était desserrée et ses mains avaient migré de ses épaules jusqu’à sa taille, afin de pouvoir la regarder. À vrai dire il se forçait à la regarder dans les yeux, sans vraiment savoir si cela rendait plus difficile ou au contraire plus simple le fait de vider – un peu – son sac. « Y’a des moments où ça va … quand tu es là. Ou quand je passe chez tes parents, quand j’ai Qasim ou les enfants ou téléphone, quand j’arrête d’y penser deux minutes … Y’a des moments où j’ai presque l’impression que cette fois-ci c’est bon, que ça va durer. » Le genre d’euphorie passagère comme il en avait connu durant l’hiver, quand il avait racheté la maison et accepté ces quelques mois à Téhéran avec l’impression de reprendre sur de nouvelles bases. Mais ça ne durait pas, ça ne durait jamais. « Si vous êtes là ça va … mais je peux pas avoir sans cesse besoin des autres. Je peux pas t’obliger à répondre présente simplement parce que j’arrive pas à gérer le fait d’être tout seul, c’est injuste, et y’a un moment où tu finiras par vraiment me détester. » Bien que simple hypothèse cette pensée lui avait arraché un frisson, comme si même son corps préférait rejeter cette éventualité plutôt que de l’envisager. « Toi aussi tu me manques. » avait-il alors avoué, presque penaud « Mais j’ai l’impression de toujours tout gâcher. » Alors il refaisait marche arrière à chaque fois, incapable de trouver une manière mesurée d’envisager sa relation avec Yasmine et de trouver un juste milieu entre avoir trop besoin d’elle ou la repousser pour tenter de ne plus en avoir besoin du tout en soignant le mal par le mal.
Ne prenant conscience de tout ce qu’il venait de dire qu’après coup, maintenant qu’il ne pouvait plus revenir en arrière, Hassan avait retrouvé le silence et un certain malaise, sans doute un en partie perceptible. En avouant à Yasmine qu’il avait beaucoup trop besoin d’elle il craignait d’avoir scellé son sort et enclenché le fait qu’elle décide de s’éloigner pour de bon, et il attendait sa réaction presque comme un accusé attendrait sa sentence, seul face à celle qui faisait office de juge et de juré. « Pourquoi est-ce qu’on se sent obligés d’avoir toutes nos conversations sérieuses dans le noir ? » avait-il finalement questionné avec nervosité, conscient que cela semblait sortir de nulle part. C’était pourtant vrai, s’ils y réfléchissaient : le canapé-lit qui les avait finalement accueilli tous les deux, chez elle, cette maison encore dépourvue du moindre meuble et d’électricité, et même sa cave. Eux deux et l’obscurité, comme s’ils en avaient besoin pour pouvoir continuer à se regarder dans une glace malgré les confidences et les dérapages contrôlés survenus à chaque fois dans ces instants-là.
True love doesn't happen right away; it's an ever-growing process. It develops after you've gone through many ups and downs, when you've suffered together, cried together, laughed together.
Elle était consciente que sa question entrainerait une réponse qu’elle ne voulait pas entendre. Qu’elle était piège pour Hassan parce qu’il ne pouvait que mentir ou la décevoir et pourtant une partie d’elle avait besoin de s’assurer qu’il allait arrêté de lui raconter des cracks et assumer de ressentir ce qu’il ressentait - aussi dur que ça soit. « Je … J’essaye … je te jure que j’essaye. » secouant la tête un peu tristement elle était pourtant restée silencieuse face à cette révélation. Une partie d’elle soulagée qu’il ne tente pas de nier - l’autre se rendant bien compte qu’essayer n’était plus suffisant - que si ça ne l’avait pas été à l’époque il y avait des chances pour que ça ne le soit pas demain - après demain et que cette situation pouvait encore durer pendant des années… Qu’elle pouvait finir par devenir invivable - elle l’était peut-être déjà d’ailleurs - toute cette angoisse qui la saisissait quand elle pensait à lui et à cette avenir dont il ne voulait pas. Finalement Hassan avait pris la fuite - seule action qui était capable de finir une conversation entre eux en ce moment - quand elle s’était retournée, il n’était plus là et la froideur du lieu sans lui avait semblé lui glacer le sang. Assez pour qu’elle se décide finalement à le rejoindre.
Elle n’avait pas anticipé les gestes - elle même pas persuadée de savoir comme elle voulait pouvait ou encore devait réagir dans cette situation - elle avait laissé son corps la guider contre Hassan, ses bras l’entourer, sa tête se poser contre son omoplate pour humer son odeur alors que tout son corps en frissonnait. Serrant les lèvres quand elle s’était rendue compte qu’il essuyait une larme sur son visage tout en sentant se respiration se faire plus difficile. Quand elle avait fini de lui parler, elle avait laissé le silence les envelopper. Fermée ses yeux tout en gardant ses bras fermement accrochés à lui, elle lui avait laissé le choix du moment où il mettrait fin à cette étreinte. Finalement quand ce dernier était arrivé, elle l’avait accueilli avec un pointe de peur dans le regard - faisant face à nouveau à Hassan dans l’obscurité. « Je pensais que c’était ce que tu voulais … » Hassan étant venu l’entourer à son tour de ses bras puissant, elle avait niché sa tête dans le creux de sa nuque s’accrochant à lui avec encore un peu plus de ferveur pour lui assurer qu’il avait tord. « Et tout à l’heure j’ai cru que … je comprends rien. » Peut-être qu’elle aussi avait des réactions difficiles à décrypter elle s’en rendait compte - que toute cette situation la plongeait souvent dans un situation d’incertitude. Parfois certaine qu’elle devait être proche d’Hassan et ne pas le lâcher - parfois inquiète qu’elle ne finisse par aggraver les choses et le perdre pour de bon. Juger de la proximité possible de leur relation été devenu tellement compliqué qu’elle en oubliait parfois comme être l’amie d’Hassan avait été simple à une époque.
« Mais tu as toujours l’air tellement déçue dès qu’on reparle de ce qui s’est passé en avril. De mon … de ma tentative de suicide. » Relevant la tête pour essayer de capter son regard elle avait plissé légèrement les yeux en espérant le voir plus distinctement alors qu’il continuait de lui parler, ses mains glissant sur ses hanches - elle avait écouté chacun de ses mots avec attention - sentant son coeur se serrer quand il décrivait les sensations qui l’habitaient et qu’elle aurait voulu pouvoir faire disparaitre. « Toi aussi tu me manques. Mais j’ai l’impression de toujours tout gâcher. » Peut-être qu’ils étaient deux alors - que c’était leurs incapacités respective qui les avaient mené ici. « Tu as tord… Et au contraire de ce que tu sembles penses… J’ai ma part de responsabilité dans tout ça je le sais… » Elle aurait tellement voulu être plus capable pour lui. « Je me sens tellement perdue parfois… » Et ce genre de conversation ne l’aidait pas toujours à y voir plus claire. « Mais ce n’est pas de la déception Hassan… » Ou peut-être si un peu - mais le mélange de ses émotions étaient parfois bien dur à décrypter. « C’est de la colère… Pas contre toi, ou pas que… beaucoup contre moi-même… Je suis tellement en colère parfois, et encore aujourd’hui… Je sais bien que tu vas me dire que ce n’est pas ma faute mais c’est impossible de ne pas se sentir coupable après… ça… » Cette culpabilité avait grandi avec les mois - au point que parfois elle n’était plus sûr de savoir d’où elle venait et ce qui l’avait provoqué. Ce qui avait fait d’elle une de ses personnes capables de prendre les erreurs des autres pour en faire les siennes. Jusqu’à aujourd’hui elle n’avait d’ailleurs pas voulu clairement en parler à Hassan - parce que ça lui semblait égoïste de ramener ça a elle. « Je t’ai laissé faire Hassan… Je t’ai vu t’isoler de ceux qui comptaient pour toi et je n’ai rien fait pour t’en empêcher. Je t’ai laissé faire de nous les seules personnes qui te restaient… Peut-être parce que j’avais trop peur que tu me rejettes aussi si je m’y opposais… Peut-être parce que je pensais qu’on pourrait suffire… Que je pourrais suffire… Et c’était tout aussi injuste… Je t’ai regardé sombrer en croyant tes mensonges quand tu me disais que tout allait bien… Et aujourd’hui je suis même plus capable de dire si j’y croyais vraiment ou si j’avais juste peur de voir la vérité… » Parce qu’elle l’aimait, elle l’avait laissé faire d’elle une des seules personnes... Et rien ne l’effrayait plus que de penser que c’était cette amour pour lui qui l’avait poussé à accepter de le voir se couper des autres. « Et aujourd’hui même ça j’ai peur de t’en parler… Parce que c’est pas quelque chose que tu devrais prendre sur toi… Parce que t’as assez de chose à gérer sans doute sans te demander ce que chacune de tes actions peut avoir comme répercussion sur moi… Parce qu’aussi j’ai peur de te donner une bonne raison pour me rejeter… » Parce que chaque mot et chaque action semblait pouvoir créer la rupture. « Mais au final je me dis que j’ai pas du assez le montrer, que si j’ai accepté d’être cette personne alors j’aurais du faire plus… Beaucoup plus pour te montrer l’importance que tu as dans ma vie - à quel point je ne peux pas… Je ne veux pas vivre sans que tu sois au près de moi. Je veux que tu puisses partager mes joies et mes colères… Je veux être là pour les tiennes aussi… » Partager n’étant pas un mot choisi au hasard. Elle voulait retrouver son ami - celui qui était parti avec la maladie… Mais se savait une nouvelle fois égoïste de le penser - parce que Hassan ne le cachait pas pour lui faire du mal - il essayait et elle le savait… C’était juste pas assez. « Un partie de moi se dit que si tu avais su tout ça - si tu avais pu le sentir alors t’aurais pas agit comme ça… » Laissant un larme couler sur sa joue elle s’était rendue compte que ses mots l’avaient mené à une conversation qu’elle n’était pas sûre de pouvoir assumer aujourd’hui - ni lui. « C’est idiot… Je le sais que c’est idiot et sans doute un peu égocentrique… parce que je n’ai pas cette influence sur ta vie… Mais c’est plus fort que moi. » Tout comme une partie d’elle lui en avait voulu pour son voyage en Algérie. Ce n’était pas sensé - elle était sans doute même à peine capable de l’expliquer… Mais c’était bien là.
Ne tentant pas cette fois de faire disparaitre les quelques larmes qui coulaient sur ses joues elle avait continuer de tenir Hassan fortement - de peur qu’il ne lui échappe au final. Elle se rendait bien compte qu’elle avait bien trop pleuré en sa compagnie d’Hassan ses derniers mois - bien trop pour que quiconque puisse qualifier leur relation actuelles de saine. « Pourquoi est-ce qu’on se sent obligés d’avoir toutes nos conversations sérieuses dans le noir ? » Cette réflexion lui arrachant un léger rire elle avait laissé aller sa tête quelques secondes sur le torse d’Hassan pour ravaler les larmes qui lui étaient monté aux yeux en respirant un grand coup. « Parce que ça semble parfois plus simple de se toucher que de se voir. » De se voir vraiment. Et pourtant quand elle avait à nouveau relevé la tête pour plonger son regard dans le sien elle avait pu voir avec précision les contours de son visage qu’elle avait tant de fois désiré sans oser le confier. « Je ne suis pas sûre de savoir ce que je dois faire maintenant… Est-ce que tu attends de moi que je m’efface ? Est-ce que tu as besoin de cet espace ? Je le ferais si c’est ce dont tu as besoin… Mais je n’en ai pas envie. J’ai toujours voulu être là Hassan, tu ne m’as jamais forcé à rien, j’ai pris mes propres décisions… Je ne suis juste plus sûre d’être une aide parfois… » C’était déjà bien assez dur de vivre avec le fossé de leur relation quand il était proche d’elle alors loin… Elle n’arrivait même pas sereinement à l’imaginer.
Parfois Hassan y pensait, et l’envisageait comme une possibilité on ne peut plus sérieuse, le fait que ses proches – Qasim et Yasmine plus particulièrement – finissent par se lasser de ce mal-être qui l’animait et le rendait désormais si compliqué à suivre ou à appréhender. Que son frère en vienne à regretter que cette tentative de suicide ait été un échec, et que la jeune femme finisse par espérer que la prochaine fois serait la bonne. Il avait beau se raisonner en se répétant que ce n’était pas dans leur tempérament et que c’était probablement la dépression et le brin de paranoïa qui allait avec qui le faisait penser de cette manière cela ne changeait rien au problème … L’idée continuait de se tapir dans un coin de son esprit et de venir titiller sa conscience de temps à autres. Il savait que s'il finissait par perdre Yasmine pour de bon, un jour, il en serait probablement responsable et n'aurait personne d'autre à blâmer que lui-même. « Tu as tort … Et au contraire de ce que tu sembles penser … j'ai ma part de responsabilité dans tout ça je le sais … Je me sens tellement perdue parfois. » Il écoutait, avec attention et les sourcils légèrement froncés, conscient que l'opportunité de comprendre ce qui pouvait se tramer dans la tête de la jeune femme à propos de tout ça ne se représenterait peut-être pas une seconde fois. « Mais ce n'est pas de la déception Hassan … C'est de la colère … Pas contre toi, ou pas que … beaucoup contre moi-même … Je suis tellement en colère parfois, et encore aujourd'hui … Je sais bien que tu vas me dire que ce n'est pas ma faute mais c'est impossible de ne pas se sentir coupable après … ça … » Le brun n'y était pas du tout, en fin de compte, à mille lieux d'imaginer que la culpabilité puisse faire partie des choses que Yasmine portait avec elle par sa faute. La déception, l'impuissance, il s'était attendu à en entendre parler, mais qu'elle se sente coupable de quelque chose en revanche il avait la sensation de tomber des nues, et sa culpabilité à lui n'en était que décuplée. « Je t'ai laissé faire Hassan … » avait-elle finalement repris « Je t'ai vu t'isoler de ceux qui comptaient pour toi et je n'ai rien fait pour t'en empêcher. Je t'ai laissé faire de nous les seules personnes qui te restaient … Peut-être parce que j'avais trop peur que tu me rejettes aussi si je m'y opposais … Peut-être parce que je pensais qu'on pourrait suffire … Que je pourrais suffire … Et c'était tout aussi injuste … Je 'ai regardé sombrer en croyant tes mensonges quand tu me disais que tout allait bien … Et aujourd'hui je suis même plus capable de dire si j'y croyais vraiment ou si j'avais seulement peur de voir la vérité … » Il aurait aimé pouvoir lui donner tort, lui assurer qu'elle se trompait, mais au fond s'il était honnête avec lui-même il savait qu'elle disait vrai. Et il ne le lui reprochait pas, elle s'était voilé la face, tout comme lui. Ils n'étaient pas si différents, au fond.
Ses mains se resserrant autour de la taille de Yasmine comme s'il avait soudainement peur qu'elle s'évapore au moment où il avait justement la sensation de toucher du bout des doigts ce qu'il ne parvenait plus à cerner chez elle depuis des mois, il tentait maladroitement de trouver ses mots lorsqu'elle avait finalement repris « Et aujourd'hui même ça j'ai peur de t'en parler … Parce que c'est pas quelque chose que tu devrais prendre sur toi … Parce que t'as assez de choses à gérer sans doute sans te demander ce que chacune de tes actions peut avoir comme répercussion sur moi … Parce qu'aussi j'ai peur de te donner une bonne raison pour me rejeter … » Il avait secoué la tête, parce que non, jamais « Mais au final je me dis que j'ai pas du assez te le montrer, que si j'ai accepté d'être cette personne alors j'aurais dû faire plus … Beaucoup plus pour te montrer l'importance que tu as dans ma vie – à quel point je peux pas … Je ne veux pas vivre sans que tu sois auprès de moi. Je veux que tu puisses partager mes joies et mes colères … Je veux être là pour les tiennes aussi … » Incapable de le contrôler Hassan avait senti son cœur s’emballer légèrement « Une partie de moi se dit que si tu avais su tout ça – si tu avais pu le sentir alors tu n’aurais pas agi comme ça … C’est idiot. Je le sais que c'est idiot et sans doute un peu égocentrique parce que je n’ai pas cette influence sur ta vie … Mais c’est plus fort que moi. » Le nœud au fond de sa gorge était revenu, accompagné par celui dans sa poitrine tandis que Yasmine laissait échapper quelques larmes dont il se savait le coupable indirect. « Tu plaisantes ? » avait-il laissé échapper dans un murmure, et sans attendre de réponse « Yas’ tu n’as aucune idée de l’influence que tu as ... d’à quel point ton avis compte. Pourquoi tu penses que j’ai aussi peur de te décevoir ? » C'était à double-tranchant, il savait que cela mettait sur leurs épaules à tous les deux une pression supplémentaire, mais c'était aussi un gage de l'importance qu'elle avait à ses yeux. « Qasim et toi vous êtes … Je serais plus là, sans vous. Elle est à ce point-là, ton influence. » Et elle savait que ce n'était pas une façon de parler, qu'au pire de sa maladie, lorsque la fatigue et la lassitude lui donnaient envie de lâcher prise, ils n'étaient que deux à pouvoir le raisonner. « Mais à certains moments je me dis que tu me pardonneras jamais d'avoir changé, et je … Qu'est-ce qui se passera si je redeviens jamais comme avant ? » Est-ce que, lassée d'attendre, elle se défilerait ? Est-ce qu'il la perdrait pour de bon ? Sohan avait déjà pris les devants, lui. « J'aurai toujours besoin de toi, Yasmine. Maintenant, dans un an, dix ans ou même trente ans si je vais jusque-là … Même si je me comporte comme un abruti, même si parfois je dis ou te fais penser le contraire, j'aurai toujours besoin de toi. » Il y avait presque un brin de timidité dans sa voix tandis qu'il affirmait ce dernier point, certain pourtant de l'avoir déjà dit ou fait comprendre, mais soudainement beaucoup plus incertain quant au fait que cela soit réellement parvenu jusqu'à l'esprit de la jeune femme. « Mais tu sais, parfois … j'ai simplement l'impression que ça te fait plus de mal que de bien. Et je sais pas ce que je suis censé faire non plus. » S'accrocher en espérant que cela finirait par s'estomper, un jour, ou au contraire ignorer toute cette discussion et fuir maintenant pour leur éviter à tous les deux une fuite ultérieure et plus douloureuse encore … ? Il ne parvenait pas à trancher, et attendait peut-être de Yasmine qu'elle le fasse, au fond.
Pour l’heure, et sans doute un peu porté par l’absence d’hésitation dans la manière qu’avait la jeune femme de s’accrocher à lui, il avait déposé un baiser sur sa joue humide et enroulé ses bras autour de ses épaules pour la serrer contre lui, sans trop savoir si c’était elle qu’il tentait de consoler ou lui-même qu’il tentait de rassurer. Il la serrait contre lui comme il avait l'habitude de le faire des années plus tôt, pour consoler un de ses gros chagrins d'enfant, tout en sachant que cette fois-ci cela ne suffirait peut-être - sans doute – pas. La situation avait la saveur douce-amère du déjà vu, la quasi-obscurité, la proximité physique, un peu les larmes aussi « Parce que ça semble parfois plus simple de se toucher que de se voir. » Ce n'était rien d'autre que de la peur, alors ? Hassan n'avait rien répondu, pensif, mais avait cherché le regard de Yasmine en la sentant relever ma tête vers lui « Je ne suis pas sûre de savoir ce que je dois faire maintenant … Est-ce que tu attends de moi que je m’efface ? Est-ce que tu as besoin de cet espace ? Je le ferais si c’est ce dont tu as besoin … Mais je n’en ai pas envie. J’ai toujours voulu être là Hassan, tu ne m’as jamais forcé à rien, j’ai pris mes propres décisions … Je ne suis juste plus sûre d’être une aide parfois … » Secouant la tête par automatisme il avait tenté de chasser de la conversation cette éventualité. Qu'elle s'efface était peut-être une solution, qui sait, mais ce n'était absolument pas celle qu'Hassan avait envie d'adopter si on lui en laissait le choix « Ces deux derniers mois m'ont largement suffit. » La pointe d'amertume dans sa voix signifiait même qu'ils avaient été de trop … Il ne saurait pas dire s'ils avaient été bénéfiques à Yasmine, mais à lui en tout cas ils avaient fait plus de mal que de bien. « J'veux juste … que tu n'aies plus peur. De me dire ou de faire les choses. Si tu penses que je suis en train de faire une connerie ou que j'ai besoin que quelqu'un me remette les idées en place – et on sait tous les deux que parfois j'en ai besoin – je veux pas que tu te sentes obligée de ne rien dire parce que tu as peur que je te mette à la porte ou que j'aille me jeter sous un métro … » Les deux exemples semblaient extrêmes, sans doute parce qu'ils l'étaient, mais Hassan commençait à connaître la tendance de Yasmine à toujours imaginer le pire. « Le pire qui puisse arriver c'est que je fasse ma mauvaise tête pendant quelques jours avant d'admettre que c'est toi qui as raison, comme toujours. » La fin de sa phrase sonnant presque comme une tentative d'humour, la phrase elle n'en était pas moins chargée de sincérité et d'un certain sérieux « Je te promets que j'essaye d'aller mieux … en échange je veux juste que tu me promette d'arrêter de ménager. » Ses mains étaient revenues se glisser de chaque côté du visage de la jeune femme, et son regard s'était planté dans le sien avec sérieux « Et aussi que tu me promette de ne pas te sentir obligée de continuer à me supporter si je finis par te faire trop de mal … parce que si y'a bien une chose que je pourrais pas me pardonner c'est ça, et ça me rendrait encore plus malheureux que l'éventualité de te perdre. » Les yeux brillants à nouveau Hassan attendait qu'elle confirme, qu'elle acquiesce. Il avait besoin de savoir qu'elle le prenait au sérieux et qu'il pourrait l'avoir auprès de lui sans continuer à se demander sans cesse si elle n'était là que par obligation, ou comme il l'avait soupçonné à tort un peu plus tôt simplement parce que sa mère ou Qasim lui auraient demandé de faire un effort.
True love doesn't happen right away; it's an ever-growing process. It develops after you've gone through many ups and downs, when you've suffered together, cried together, laughed together.
Elle essaye de les retenir - ces larmes qui s’invitent au bord de ses yeux - mais c’est plus fort qu’elle, en face d’Hassan et alors que les mots sortent enfin elle ne se sent pas la force de combattre la peine qui l’habite parfois. Les difficultés qu’elle rencontre elle aussi depuis des mois maintenant et qu’elle n’a jamais osé partager. La culpabilité qui l’habite souvent mais qu’elle ne se sent pourtant légitime de ressentir. Ce mélange d’émotion qui semble tout embrouiller et rendre cet relation avec Hassan tellement plus compliquée que ce qu’elle n’était à une époque. « Tu plaisantes ? » Baissant un peu les yeux, elle avait secoué la tête sans vraiment savoir si il attendait une vraie réponse à cette question. « Yas’ tu n’as aucune idée de l’influence que tu as ... d’à quel point ton avis compte. Pourquoi tu penses que j’ai aussi peur de te décevoir ? Qasim et toi vous êtes … Je serais plus là, sans vous. Elle est à ce point-là, ton influence. » C’était rassurant et effrayant à la fois et pour une fois elle ne remettait pas une seconde sa parole en doute. La son de sa voix - la façon dont il la regardait tout transpirait cette sincérité qu’elle avait tant aimé chez lui avant qu’elle ne semble disparaître petit à petit. « Mais à certains moments je me dis que tu me pardonneras jamais d'avoir changé, et je … Qu'est-ce qui se passera si je redeviens jamais comme avant ? » Relevant les yeux elle avait froncé légèrement les sourcils avec pourtant un regard tendre. « Hassan… » Toute la complexité de leur relation se trouvait sans doute là - dans cette partie de lui qui s’était envolé, cette relation qui s’était vue contrainte d’évoluer et de changer. « Je sais que tu ne redeviendras jamais celui que tu as été… » Même si parfois elle se prenait à espérer, à rechercher celui qu’il avait été dans son enfance. « Du moins… Une partie de moi en est consciente et n’attend pas ça de toi… » Du moins elle n’attendait pas ça pour lui, même si cette personne lui manquait. « Je voudrais juste que tu continues à évoluer pour redevenir quelqu’un qui te plait… Quelqu’un avec qui tu es bien. » Sans doute étrange de parler de lui comme ça et un peu osé d’essayer de se mettre à sa place et de penser à sa place. Mais ce qu’elle souhaitait le plus c’était pourvoir regarder dans ses yeux et voir autre chose que cette tristesse latente - que cet ennui de la vie qui semblait le tenir. « J'aurai toujours besoin de toi, Yasmine. Maintenant, dans un an, dix ans ou même trente ans si je vais jusque-là … Même si je me comporte comme un abruti, même si parfois je dis ou te fais penser le contraire, j'aurai toujours besoin de toi. » Son coeur battait maintenant si fort dans sa poitrine que ça lui donnait presque le tourni et les larmes qui s'échappaient de ses yeux étaient maintenant un mélange entre l'émotion et la tristesse. « Mais tu sais, parfois … j'ai simplement l'impression que ça te fait plus de mal que de bien. Et je sais pas ce que je suis censé faire non plus. » Déposant sa main sur sa joue avec une tendresse presque timide elle avait posé avec plus d'assurance son regard dans le sien. « N’essaye pas de penser à ma place Hassan… C’est tout ce que tu peux faire. Laisse moi décider de ce que je peux encaisser ou pas. Je suis une grande fille je n’ai pas besoin que tu me protèges… Pas de toi en tout cas. » Pour le reste il en était parfois autrement et elle aurait sans doute toujours besoin de ses bras protecteur pour la rassurer.
C’était d’ailleurs là qu’elle s'était réfugiée pendant les quelques minutes qui avaient suivi. Se laissant bercer par le souffle d’Hassan alors qu’il la serrait tout contre lui. Comme une enfant dans les bras de son père elle s’était blottie contre lui pour sécher les quelques larmes qui coulaient encore sur ses joues aux creux de son étreinte réconfortante. Pourtant quand elle avait quitté ses bras un doute l’avait saisi. Et maintenant ? Qu’est ce que tout cela voulait dire ? Ou cette discussion les menait ? « Ces deux derniers mois m'ont largement suffit. » Un soupire de soulagement quittant ses lèvres, elles s’étaient fendues d’un léger sourire. « J'veux juste … que tu n'aies plus peur. De me dire ou de faire les choses. Si tu penses que je suis en train de faire une connerie ou que j'ai besoin que quelqu'un me remette les idées en place – et on sait tous les deux que parfois j'en ai besoin – je veux pas que tu te sentes obligée de ne rien dire parce que tu as peur que je te mette à la porte ou que j'aille me jeter sous un métro … » Son sourire avait disparu à cette simple idée, n’osant pas lui avouer que trop souvent c’était pourtant les craintes qui la saisissait. « Le pire qui puisse arriver c'est que je fasse ma mauvaise tête pendant quelques jours avant d'admettre que c'est toi qui as raison, comme toujours. Je te promets que j'essaye d'aller mieux … en échange je veux juste que tu me promette d'arrêter de ménager. » Ce n’était pas si simple elle la savait - sans doute pas plus simple que la promesse que lui venait de lui faire. Ses craintes elle ne les trimballaient pas pour rien - elle connaissait Hassan et sa tendance à culpabiliser et à décider pour peu de choses que s’éloigner était la bonne solution. Elle redoutait ce moment depuis toujours et à chaque mot de travers elle avait l’impression que c’était une bonne raison pour Hassan, assez pour qu’il s’imagine mille scénarios et décide de s’éloigner. « Je vais essayer… » Et elle allait le faire… « C’est promis » du mieux qu’elle le pouvait.
Les mains d’Hassan glissant sur son visage elle était venue saisir ses poignets avec tendresse, comme pour l’empêcher de se séparer d’elle. « Et aussi que tu me promette de ne pas te sentir obligée de continuer à me supporter si je finis par te faire trop de mal … parce que si y'a bien une chose que je pourrais pas me pardonner c'est ça, et ça me rendrait encore plus malheureux que l'éventualité de te perdre. » A nouveau son coeur s’était emballé alors qu’elle cherchait son regard dans la pénombre, son corps tremblant légèrement et sa respiration se faisant presque saccadée. « Ca ne fera jamais plus mal que de te perdre… » Elle en avait la certitude et ne pouvait lui faire cette promesse parce qu’elle se savait incapable de s’éloigner de lui. Parce que ça serait comme s’arracher un bras - perdre une partie d’elle. Malgré les difficultés et la douleur parfois, il restait Hassan et elle avait besoin de lui bien plus qu’il ne semblait vouloir le croire. Cette relation était loin - très loin d’être à sens unique. Les mains de son ami toujours sur son visage elle avait pourtant réduit la distance pour venir déposer un baiser à la lisière de ses lèvres, son coeur ratant un battement alors qu’elle en déposait un nouveau sur sa joue puis dans sa nuque avec de venir brièvement se blottir dans ses bras. Un étreinte brève mais suffisante dont elle s’était défaite en chassant rapidement les dernières larmes sur ses joues. « Bon on s’en occupe de cette cabane ? Le vernis ne va pas se faire tout seul. » Venant se poster à côté de lui elle avait attrapé ce qu’il avait commencé à préparer pour emmener le tout dans le jardin. Si l’instant avait été intense elle se sentait pourtant le coeur moins lourd et tout deux s'étaient rapidement mis en action pour déposer le vernis sur les recoins qui en avaient besoin - fonctionnant comme une vraie équipe ils avaient besoin de peu de mots pour se comprendre et le travail avait vite été accompli.
Un fois fini, tous deux s'étaiemt postés en contre bas pour observer la cabane qui regorgeait de souvenirs de leur enfance. « Je trouve ça super et un peu fou… L’idée que les enfants de Qasim vont venir ici et créer leurs propres souvenirs et que dans 20ans ils seront peut-être à notre place. Devant cette cabane à passer un coup de vernis. » Tournant le regard vers lui elle était venue plus délicatement attraper son bras laissant sa main glisser pour entremêler ses doigts aux siens alors qu’elle posait sa tête sur son épaule, le tout sans quitter la cabane des yeux. « Ca nous rajeunit pas tout ça. » Riant un peu elle s'était redressée. « Cette fois c’est moi qui meurs de soif. » Sans attendre son avis, elle l’avait tiré pour retrouver l’intérieur de la maison. Sa main quittant progressivement la sienne alors qu’elle refaisait face à cette décoration qui appartenait à une autre. Elle avait tenté pourtant cette fois de faire bonne figure - ce n’était que quelques meubles arrangés rien de très important - ça ne comptait pas. Et pourtant alors qu’elle venait de se servir son verre d’eau et qu’elle le faisait tourner dans ses mains elle n’avait pu s'empêcher de revenir sur un sujet qu’elle savait pourtant dangereux. Une pointe de jalousie la tenant sans doute, même si elle ne voulait pas l’avouer. « J’imagine que ça va mieux aujourd’hui… » Croisant son regard interloqué elle n’avait su cacher sa gêne. « Avec… Joanne… Enfin j’imagine que pour qu’elle refasse ta décoration et qu’elle… » Vienne dormir ici, s’approprier les lieux. « Enfin… Vous vous voyez souvent ? » Parfois elle se demandait comment Hassan ne pouvait rien voir - comment il ne pouvait pas comprendre les sentiments si profonds qu’elle ressentait pour lui. Était-elle si bonne actrice ? Ou lui tellement aveuglé que la simple idée d’imaginer quelque chose avec elle l’aurait fait éclater de rire ?
Regarder en arrière était un réflexe aussi involontaire qu’impossible à empêcher, un individu ne devait son identité qu’à cela après tout, les souvenirs et les événements qui avaient façonné son ressenti et sa façon de se comporter face au monde. Parfois, pourtant, Hassan aurait aimé en être privé. Cela allait bien plus loin que vouloir se délester d’éventuels mauvais souvenirs, la disparition de ses parents par exemple n’était pas quelque chose qu’il aurait souhaité sacrifier à son inconscient parce qu’aussi douloureux soit-il cet épisode avait façonné ce qu’il était devenu ensuite et avait influencé le cours de plusieurs de ses relations. Non, ce dont Hassan souhaiterait se débarrasser parfois c’était d’un tout, de sa palette de souvenirs et d’émotions dans sa globalité, de ce qui faisait sa vie avant et dont il se sentait aujourd’hui totalement dépossédé. Lorsqu’il fouillait dans ses souvenirs il savait que cette personne au centre n’était pas un étranger, que c’était lui, et pourtant de retour dans le présent il se sentait totalement le présent il se sentait totalement incapable d’agir et de raisonner comme cette personne qui avait un jour été lui. Ce lui qu’il regrettait autant qu’il le détestait en le rendant responsable de son mal-être actuel. « Hassan … » Le son de son prénom, murmuré par Yasmine, avait gagné avec le temps et ces derniers mois cette capacité à le rassurer autant qu’à l’angoisser. « Je sais que tu ne redeviendras jamais celui que tu as été … Du moins … une partie de moi en est consciente et n’attend pas ça de toi … » Et l’autre partie ? Foutue tendance à ne plus voir le verre qu’à moitié vide. « Je voudrais juste que tu continues à évoluer pour redevenir quelqu’un qui te plaît … Quelqu’un avec qui tu es bien. » Sans doute, c'était ce à quoi il aspirait lui-même au fond … Mais elle ? Elle ne répondait pas à la question, au fond. Quant à Hassan il finissait par en oublier que changer, quelles qu'en soient les raisons, était dans l'ordre des choses et que Yasmine et lui n'étaient pas plus susceptibles de se heurter aux conséquences de la maladie qu'à celles qui temps qui passait. Lui savait seulement que la jeune femme faisait partie de ces rares choses dont il ne voulait pas se passer, dont il ne pouvait pas se passer … aussi égoïste cela pouvait-il sembler. « N'essaye pas de penser à ma place Hassan … C'est tout ce que tu peux faire. Laisse-moi décider de ce que je peux encaisser ou pas. Je suis une grande fille, je n'ai pas besoin que tu me protèges … Pas de toi en tout cas. » La main de Yasmine contre sa joue avait amené à nouveau la chair de poule sur ses bras, ainsi qu'un mince sourire, un peu rassuré, un peu triste aussi, sans trop savoir pourquoi. « Parfois j'oublie que le petit monstre qui faisait son regard de chien battu pour grimper sur mon dos est devenue grande et forte. » Doucement, et parce qu'il s'apprêtait à aborder un sujet plus sérieux, le brun avait laissé le bout de ses doigts glisser contre une mèche des cheveux de Yasmine, et déposé un baiser sur son front.
Il se trouvait injuste de se reposer autant sur elle, au fond il savait que l'équilibre de leur relation en pâtissait … Il ne savait simplement pas comment inverser la tendance, et en même temps ne souhaitait pas en arriver à des extrémités telles que la chasser contre sa volonté. Yasmine avait raison, elle était une adulte, elle était capable de prendre ses propres décisions y compris le concernant … A moins qu'il ne se répète cela que pour se rassurer ? « Je vais essayer … » avait-elle en tout cas fini par admettre lorsqu'il avait tenté de lui faire promettre de cesser de se brider dans le simple but de les ménager lui et l'incompréhensibilité de ses réactions. « C'est Promis. » Bien qu'essayer ne soit en fin de compte pas un gage de réussite, le brun ne se voyait pas exiger plus que cette promesse qu'elle essayerait, et avait avait acquiescé d'un léger signe de tête. Quand à cette promesse qu'il aurait souhaité obtenir de sa part, celle supposée le rassurer sur le fait qu'elle ne se laisserait pas diminuer – peut-être même détruire – par les dommages collatéraux que sa dépression étaient en train de provoquer, malgré lui, chez son entourage … Elle n'était pas venue. Et le « Ça ne fera jamais plus mal que de te perdre … » ne lui en avait serré le cœur que plus douloureusement, comme un avant-goût de ce qu'il pourrait finir par lui inspirer, un jour. Avant la légèreté passagère de ses lèvres dérapant contre sa joue, d'un baiser pareil à ceux qui l'obscurité amenait avec elle, puis deux, avant qu'elle ne retrouve ses bras et qu'il puisse la serrer contre lui pour s'imprégner du vague sentiment de quiétude qu'elle était lors pratiquement la seule à pouvoir réveiller chez lui sans avoir rien besoin de dire … Juste en étant là, et en étant elle. « Bon on s'en occupe de cette cabane ? Le vernis ne va pas se faire tout seul. » C'était elle qui finalement était redescendue sur terre la première, séchant une dernière fois ses joues d'un revers de la main et prenant une posture volontairement enjouée qu'Hassan n'avait pas eu envie de contrarier « Va, si on fini avant six heures j'offre les glaces en ville ce soir. » avait-il simplement annoncé en quittant le garage à sa suite, décidé à ce que la soirée se révèle plus légère que l'après-midi.
S'il n'avait aucune certitude concernant sa capacité à tout terminer tout seul dans la journée, l'huile de coude de Yasmine associée à la sienne avaient permis d'en finir avec le vernis avant les six heures fixées par Hassan, les deux jeunes gens redescendant finalement pour retrouver la terre ferme avec la satisfaction du travail mené à terme. Prenant quelques instants pour souffler et reposer leurs muscles endoloris par les positions pas toujours confortables qu’impliquaient le maniement du pinceau, ils avaient relevé la tête vers leur œuvre, le brun croisant les bras en s'appuyant contre la table de jardin derrière lui « Je trouve ça super et un peu fou … L'idée que les enfants de Qasim vont venir ici et créer leurs propres souvenirs, et que dans vingt ans ils seront peut-être à notre place. Devant cette cabane à passer un coup de vernis. » Décroisant les bras quand Yasmine était venue attraper l'un des deux, pour finalement saisir sa main, il avait posé sa tête contre la sienne d'un air pensif « Elle a déjà survécu à vingt ans et la dernière tempête après tout … J'aime l'idée qu'elle puisse tenir vingt ans de plus. » Il aimait aussi l'idée de pouvoir être encore là pour le voir, dans vingt ans, mais n'avait pas jugé utile de le faire remarquer … Son côté superstitieux lui avait simplement fait croiser furtivement les doigts de son autre main, comme ça, comme s'il espérait tenir éloignée la malchance, tandis que Yasmine faisait remarquer « Ça nous rajeunit pas tout ça. » d'un ton rieur avant d'annoncer « Cette fois c'est moi qui meurs de soif. » Et les ramenant tous les deux à la place qu'ils avaient tout à l'heure, leurs deux verres vides toujours sagement posés sur la table de la cuisine. Lâchant sa main pour se servir un verre d'eau, Hassan en avait fait de même et pris quelques instants également pour se pencher au robinet et se passer un peu d'eau sur le visage pour se rafraîchir.
Plutôt qu'une chaise, Hassan s'était hissé pour s'asseoir sur le plan de travail de la cuisine, vidant son verre d'eau de moitié et reposant les yeux sur Yasmine, un brin pensive tandis qu'elle faisait tourner son verre entre ses doigts et faisait finalement remarquer « J'imagine que ça va mieux aujourd'hui … » Ayant l'air en suspens, Hassan avait attendu la suite d'une phrase qui ne venait pas, et questionné la jeune femme du regard pour faire remarquer qu'il ne voyait pas où elle voulait en venir. « Avec … Joanne … Enfin j'imagine que pour qu'elle refasse ta décoration et qu'elle … » Qu'elle quoi ? Au fond la blonde n'avait fait que cela, probablement comme elle aurait classé une bibliothèque par ordre alphabétique ou rangé un dressing par code couleur : pour s'occuper l'esprit. « Enfin … Vous vous voyez souvent ? » Yasmine n'approuvait pas. Elle tentait de prendre le ton de la conversation, mais Hassan lui pensait la voir se trahir à la façon dont elle hésitait sur certains mots, et dont elle triturait son verre au lieu de le boire « Pas trop, non. » Il se montrait hésitant, un peu fuyant … Il n'était pas certain que ce sujet de conversation passionne réellement Yasmine, et en même temps il ne parvenait pas à mettre le doigt sur la raison qui pourrait la pousser à remettre sur le tapis un sujet qu'ils avaient plus ou moins clos plus tôt dans l'après-midi. Est-ce que c'était un test ? Est-ce qu'elle tentait de savoir si elle parvenait à obtenir un peu d'honnêteté de sa part, maintenant ? « Je suis tombé sur elle par hasard dans le hall de l'hôpital, en fin d'année dernière. Je descendais de ton service, tu m'avais offert un café pendant ta pause. » Il ne savait pas pourquoi il trouvait ce détail pertinent. Il ne l'était probablement pas, mais c'était celui dont il se souvenait. « On s'en revus deux fois ensuite, pour essayer de … je sais pas, mettre les choses à plat. S'expliquer. » Ou plutôt Joanne avait réclamé des explications, et Hassan avait rechigné à les lui donner, si l'on voulait être totalement exact. « Après ça je lui ai dit que je préférais qu'on ne se voient plus. » Il avait haussé les épaules, un peu circonspect, et terminé son verre avant de tendre le bras pour le poser dans l'évier. La vérité c'est qu'il ne se sentait pas la force d'assister tel un spectateur muet au bonheur de la femme qu'il aimait avec un autre que lui. « Mais je crois qu'elle vit pas loin d'ici … Ou vivait, je ne sais pas. On s'est vaguement croisés une fois quand je sortais de chez tes parents, et elle passait devant la maison le jour où Priam m'a laissé sa voiture pour décharger mes derniers cartons ici, alors je lui ai proposé d'entrer deux minutes. » Maintenant qu'il s'entendait le narrer à voix haute tout cela semblait tellement informel, tellement loin des montagnes russes de ses émotions à chaque fois que son ex-femme et lui s'étaient retrouvés l'un en face de l'autre. « Finalement je crois qu'on a été plus honnêtes ce jour-là que toutes nos conversations précédentes réunies. » n'avait-il finalement pas pu s'empêcher de remarquer avec un peu d'amertume. « Elle a un fils … Je sais pas si je l'ai dit ? Il a quelque chose comme un an, un peu moins, je ne sais pas trop non plus. » Non, il ne l'avait pas dit, et même s'il savait qu'il n'avait pas à le prendre pour lui il ne pouvait s'empêcher d'avoir mal en y pensant, à ce fils qu'elle avait eu avec un autre, cet autre, et à cet enfant qu'elle n'avait pas eu avec lui. « Bref, ça se passait pas très bien avec le père, il … c'est pas un type bien, pas pour elle. Je crois qu'elle avait juste besoin de parler à quelqu'un … et moi je me sens un peu horrible qu'une partie de moi ait été soulagée de savoir que c'était pas le bonheur qu'elle m'avait venu les fois d'avant. » Il ne se sentait pas juste un peu horrible, en réalité, il avait honte de lui, il savait que c'était affreusement égoïste et que Joanne méritait d'être heureuse, même sans lui … Mais c'était plus fort que lui, il ne pouvait pas étouffer totalement sa jalousie, même s'il n'en était pas fier. « C'était juste avant que je parte pour Téhéran, j'avais prévu de laisser les clefs d'ici au voisin au cas où alors … je sais pas, je lui ai proposé de passer un peu ici si c'était trop compliqué chez elle, je voulais juste qu'elle ait un endroit où aller. Et j'ai cru que … » qu'il restait une petite étincelle chez elle, la même que chez lui peut-être. Cette minuscule étincelle qu'il avait pensé voir briller une fraction de secondes lorsqu'ils s'étaient embrassés, et à laquelle il avait bêtement tenté de s'accrocher les quelques fois où ils s'étaient revus ensuite. Il l'avait rêvée, sans doute … Bien sûr qu'il l'avait rêvée. « Je sais même pas ce que j'ai cru. Elle est à Londres avec lui, en ce moment. Ce qui fait probablement de moi le dernier des crétins. » Et pourtant, dieu sait qu'il avait vu la chute de cette histoire à sens unique arriver grosse comme une maison … Mais Hassan était têtu, et peut-être un brin naïf, assez pour avoir foncé tête baissée malgré tout. Et laisser maintenant Yasmine panser ses peines de cœur sans même réaliser qu'il était la cause des siennes.