C'était étrange de discuter de quelque chose qui avait fait fondre en larmes Joanne un petit peu plus tôt dans la journée. Mais elle avait eu grand besoin de ces pleurs, ce besoin de se décharger de tout ce qu'elle regrettait et de ce qui n'existerait jamais. Ca l'avait allégé, et ça lui permettait entre autre de discuter à nouveau de ces petits détails - quoi que la robe avait une place particulière dans ce genre d'événements - sans trop de chagrin ou de peine. Jamie avait envie, peut-être même besoin de savoir comment il aurait pu la voir arriver à l'autel. Dans cette tenue, il aurait pu deviner la moindre de ses courbes, le sens du détail de la robe faite sur mesure, aprécier la naissance de son cou dépourvu de tout bijou. Joanne trouvait cette robe parfaite, mais elle n'allait jamais la mettre, bien malheureusement. Le bel homme venait même à s'imaginer de lui-même la coiffure qu'elle aurait pu avoir. Pour une fois, c'était lui qui semblait parfaitement rêveur en s'imaginant la scène. Même s'il ne la regardait pas, Joanne pouvait deviner des étoiles dans les yeux, juste pour le plaisir de rêver et de donner des détails à cette chimère proche de la perfection. Jamie riait même nerveusement lorsqu'elle évoqua brièvement la seconde partie de la soirée. Une nouvelle surprise pour lui qu'il aurait très certainement beaucoup apprécié, autant pour l'admirer que pour la déshabiller ensuite. Il confessa ensuite qu'il n'avait toujous pas trouvé le costume pour son mariage. Ca ne la surprenait qu'à moitié. Jamie était un homme exigent et particulièrement perfectionniste de nature. Alors comment pouvait-il l'être pour son propre mariage ? Ca l'aurait rendu insupportable pour les employés se chargeant de la cérémonie et du reste des festivités. "Je t'imaginais en gris. Dans un trois pièces. Peut-être que tu aurais exigé un détail particulier qui aurait fait ce costume celui du mariage et qui ne pouvait pas vraiment être porté en dehors de cette occasion. Peut-être une broderie au niveau de la poche, des boutons de manche particulier, je n'en sais rien... Mais je me disais que tu allais certainement aller chercher dans le détail et pas dans ce qui pouvait être flagrant pour tout le monde." Peut-être qu'elle avait faux sur toute la ligne, mais l'imagination débordante de la jeune femme l'avait mené jusqu'à cette conclusion. Elle sourit, à cette image. Oui, ce mariage aurait été parfait. Suite à quoi, Jamie demeura bien silencieux. Il était à nouveau temps d'une certaine confession que Joanne n'aurait certainement jamais voulu entendre. Elle restait très longuement muette après ses paroles, ne sachant comment réagir face à cette nouvelle. Joanne était toujours prêt du feu. "Tu as annuler le mariage, tu as préféré rompre avec moi, et malgré tout, tu voulais me donner ces bijoux ?" demanda-t-elle avec douceur, perdue dans l'incompréhension. Ces bijoux avaient certainement encore plus de valeurs qu'elle n'aurait pu se l'imaginer au moment où elle les avait reçu. Jamie n'aurait certainement pas lésiné sur les moyens pour ces cadeaux de mariage. Joanne sentait son coeur se serrer dans sa poitrine à cette idée. Elle ne savait plus quoi penser de ces bijoux. Mais penser à Noël ne faisait que tout empirer. Il n'avait rien à gagner, à tout même offrir ces cadeaux valant une fortune. La jeune femme finit par s'asseoir juste à côté de lui, sur le bord du canapé. Elle posa délicatement ses doigts sur sa joue afin de faire tourner son visage en sa direction. "Pourquoi as-tu tenu à me les offrir malgré... tout ? Tout ce que tu penses et ce que tu m'as dit, malgré ton séjour raté en Angleterre, malgré mes cadeaux ratés... Encore une fois, tu ne me devais rien, mais tu as quand même voulu me les offrir... alors pourquoi ?" Sa voix était douce, et pas accusatrice. Elle cherchait juste à comprendre pourquoi tant de générosité à son égard malgré tout ce qu'il a voulu cracher sur elle - dont des menaces de retirer la garde de son fils. Il n'y avait désormais plus que le feu qui éclairait le séjour dénué de mobilier. La petite blonde l'observa longuement, toujours ses doigts qui effleuraient sa joue. Au bout de longues minutes, elle finit par se lever. "Je vais voir si je peux te trouver une couverture et un oreiller." dit-elle en filant dans les chambres. Elle prit l'un des oreillers de la suite parentales et trouva un autre plaid, dans une autre chambre, un peu plus grand que celui que Jamie avait trouvé. Elle le rejoignit dans le salon. "Ca devrait faire l'affaire." dit-elle en le posant à côté du canapé pour qu'il puisse les utiliser lorsqu'il en aura besoin. Joanne se rapprocha à nouveau du foyer, songeuse. Les sujets de conversation pour tuer le temps venaient à grandement manquer. "Je vais peut-être aller me coucher. Toutes ces émotions m'ont épuisée."
I'm not in love so don't forget it. It's just a silly phase I'm going through. And just because I call you up Don't get me wrong, don't think you've got it made. I'm not in love, no no, it's because..
Le silence qui suit ma confession est peut-être plus lourd que le fameux poids de la vérité qui me semblait déjà de moins en moins tenable. Je n’aime pas mentir, ni omettre des faits, manquer de sincérité va à l'encontre de cette nature sur-émotive qui est malheureusement la mienne, et pourtant ce sont des pratiques auxquelles je suis obligé de m’adonner pour, par exemple, le travail, et actuellement pour survivre à la vie sentimentale -ou ce qu'il en reste. Néanmoins, à quoi bon maintenir une fausse vérité dont le voile pourrait être levé sans provoquer de grands maux ? Du moins, je crois que cette version des faits, la vraie, ne peut pas blesser. Elle peut surprendre et attrister, et peut-être que Joanne ne voudra plus de ces bijoux qui lui ont été offerts, ce dont je ne la blamerais pas, mais elle ne peut pas provoquer la création d'une plaie supplémentaires, n’est-ce pas ? Et puis est-ce qu'il n’est pas mieux que la jeune femme puisse prendre toute la mesure de la véritable valeur de ces cadeaux ? Car ce n’est pas tant leur prix qui importe au final, même si leur valeur pécuniaire dépasse l'imagination de la petite blonde, c’est leur valeur sentimentale qui leur confère une beauté supplémentaire, une signification, une symbolique. Je ne doute pas que Joanne en prenne conscience, et ce qui la surprend, c'est la volonté que j'ai eue malgré tout de savoir ces objets en sa possession, malgré le mariage annulé, la rupture et nos coeurs brisés. « Oui... » Il fallait qu'elle les ait quand même. Mais alors que la jeune femme attend une explication, je me retrouve bien penaud, à ne pas savoir quoi dire. Qu’elle s'installe à côté de moi, pose une main sur ma joue et tourne mon visage vers elle ne fait qu'augmenter ma nervosité. Est-ce qu'il n’existe donc pas d'actes irrationnels à ses yeux pour qu'elle soit persuadée qu'il existe une justification pour tout ? « Parce que… Je... » Son regard bleu en attente de réponse n'aide en rien. Et dire que je pourrais tout expliquer dans un baiser. « Je ne sais pas. » je souffle, abandonnant l'idée de traduire mes pensées en grande littérature. Ce sera imparfait et elle n’y comprendra sûrement rien, mais si Joanne veut une explication coûte que coûte, elle en aura une. « Ils donnent une petite idée de ta valeur… de ce que tu représentais pour moi. » Ma petite Lady, régnant sur mon coeur. « Je ne dis pas ça pour t'accabler ou que tu voies ces cadeaux comme des punitions... c'est juste la vérité. Ils signifiaient quelque chose d'important pour moi. Et tu devais les avoir, c'est tout. » J'ai le regard triste et je n’y peux pas grand chose. Elle n’est pas la seule pour qui ce mariage est un rêve tombé à l'eau. Et au dehors, la pluie continue de marteler, de noyer l'endroit même où nous nous serions dit oui, de nettoyer la terre et les murs de notre présence, afin que cet endroit nous oublie et que nous voulions l'oublier. Joanne décide de me trouver de quoi m'aider à passer une nuit avec un minimum de confort. Elle revient avec un plaid et un oreiller qui feront bien l'affaire pour ce soir. Je la remercie d'un signe de tête, les lèvres scellées depuis mes aveux. J'ai l'impression de lui avoir confié un peu de l'amour qu'il me reste pour elle et que je n'aurais jamais dû révéler. De m'être trahi. Quand elle suggère d'aller se coucher, je ressens un certain soulagement. « Va te reposer. Bonne nuit. » je murmure. La jeune femme quitte le salon. Avant de chercher le sommeil également, je ravive un peu le feu. Ce sont ses crépitements qui me bercent. Il ne faut que peu de temps avant que l'obscurité derrière mes paupières happe ma conscience. Il me semble me réveiller plus tard, tiré de mon sommeil par la présence de Joanne. Mes yeux secs tombent sur sa petite silhouette à l'angle d'un mur, n’osant pas approcher. Mais puisque je suis réveillé, elle effectue quelques pas vers moi, s’assoit sur le canapé, et s'y allonge, glissée sous le plaid, blottie contre moi, ses pieds nus à la recherche de chaleur, son oreille collée à ma poitrine dans laquelle mon coeur commence à battre la chamade. Mes doigts se glissent dans ses cheveux et les caressent délicatement pour l'endormir. Mais l'un contre l'autre, dans le silence, près du feu, nos lèvres sont victimes de leur terrible attraction naturelle ; elles glissent l’une vers l'autre, seconde après seconde, centimètre par centimètre, jusqu'à se rencontrer et de joindre dans un baiser délicat, timide, craintif. Le suivant, et celui d'après, sont plus francs. Ce petit corps se colle un peu plus au mien. Je la serre tendrement. Mes mains frôlent la peau de son dos sous le tissu qui le couvre pour y retrouver cette chaleur, cette douceur. Et lorsque nos visages se détachent juste un instant, quand j'ouvre les yeux pour l'admirer, la jeune femme a disparu. Évaporée. Je me redresse et la cherche du regard tout en sachant qu'elle ne sera pas là, qu'elle ne l'a jamais été. Le salon est plongé dans l'obscurité, le feu est éteint. Il ne reste sur mes lèvres que les sensations fantômes d'un baiser rêvé.
Joanne était dans une totale incompréhension. Quel intérêt Jamie pouvait-il bien voir en lui offrant ces bijoux, tout aussi magnifiques les uns que les autres ? Y avait-il encore une valeur sentimentale ? A quoi tout ceci rimait-il ? La jeune femme avait tant de questions et si peu de réponses et elle savait d'avance qu'elle n'aurait pas bien plus d'explications en questionnant le beau brun. Ce dernier balbutiait, ne savait que faire de sa langue et de sa bouche. Il était bien incapable d'aligner le moindre argument pour justifier son geste qui aurait laissait perplexe bien du monde s'il en avait parlé. Il voulait qu'elle possède ces bijoux. Il les avait conservé tout ce temps après l'annulation du mariage. Joanne se disait qu'il aurait préféré peut-être les balancer quelque part, les jeter, les oublier tant ces pierres précieuses reflétaient un rêve et un coeur brisés. Il ne parvenait pas à finir ses phrases et avoir ce regard bleu et doux posé sur lui ne lui rendait certainement pas la tâche plus facile. Elle s'était installée alors à ses côtés, espérant que cela lui laisse le temps de se retourner et de trouver quoi dire. Jamie semblait d'autant plus perturbé par cette petite marque d'affection de la part de son ex-fiancée. Il ne savait pas. C'était alors sur un simple coup de tête, une envie passagère totalement inexpliquée ? Joanne adorait les choses qui ne s'expliquaient pas, mais lorsqu'il s'agissait de sentiments et d'actes entre deux êtres, il devait forcément y avoir une explication. Une petite idée derrière la tête, une petite intention. Il voulait faire comprendre au travers de ces bijoux ce qu'elle était pour lui, sa valeur, bien que même ces bijoux là ne lui auraient certainement pas suffi. Il avait toujours eu du mal à lui montrer combien il l'aimait. Il y avait les cadeaux innombrables, le sexe à défaut de pouvoir faire des déclarations comme elle pouvait le faire. Joanne ne savait pas vraiment quoi dire à ces révélations. C'était plus fort qu'elle, elle voyait tout de même ces bijoux comme étant une punition. Même si elle les trouvait magnifique, elle les aimait tant. Elle lui sourit faiblement avant de se lever et de songer à se coucher. Joanne n'aurait jamais songé que dormir dans un lit dépourvu de drap pouvait être aussi inconfortable. La couverture sentait la poussière et le matelas lui semblait être poisseux. Par contre, elle devinait que sa tête était posée sur l'oreiller de Jamie. Elle reconnaissait l'odeur de Jamie, celle de ses cheveux. Les yeux rivés sur l'extérieur, elle peinait à bien trouver le sommeil. Daniel lui manquait beaucoup aussi. Peut-être qu'elle avait fini par s'assoupir, elle ne saurait pas trop dire si c'était le cas ou non. Mais elle finit par se réveiller en sursaut et se mit assise sur son lit. Fichue insomnie. La jeune femme finit par se lever, et ouvrit discrètement la porte de la chambre. Elle espérait qu'il y ait encore un peu de feu, et qu'elle pourrait s'y réchauffer. Mais il n'y avait plus rien dans le foyer. Ses pas étaient feutrés, on entendrait plus facilement une petite souris plutôt qu'elle. Elle remarquait que Jamie était également réveillé. Malgré le peu d'éclairage venant de l'extérieur, elle devinait sa silhouette. La petite blonde, tout en silence, s'installa à nouveau sur le rebord du canapé, le regard rivé sur lui. Elle repensait à ces bijoux qu'il lui avait offert malgré tout. Tout ce qu'elle représentait à ses yeux. Toujours silencieuse, elle posa sa main sur sa joue d'un geste lent et délicat. Son pouce caressait ensuite délicatement sa peau. Il voulait tout de même qu'elle ait en sa possession ces bijoux, elle ne comprenait pas. Peut-être qu'au contraire, ça prouvait tout son sens. Lui qui était le premier à dire de vouloir cette séparation, qui se montrait si distant avec elle au point de la faire croire qu'elle le révulsait. Mais Joanne était bien incapable de deviner que tout ce stratagème n'était en fait qu'une raison pour lui de se persuader qu'il ne ressentait plus rien pour elle. C'était totalement l'inverse. "Je n'arrive pas à dormir." souffla-t-elle tout bas. "J'ai fait un rêve étrange... et la pluie aussi." Bien qu'il pleuvait un peu moins, c'était toujours un tel vacarme pour elle. Ses jambes étaient toujours bien découvertes. Joanne le fixait ensuite dans le noir, bien silencieusement. Au bout d'un moment, Joanne se demandait si elle était en train de rêver. Elle était si proche de lui, et il ne la rejetait pas. Elle continuait de caresser sa joue sans dire mot. Ses doigt finirent par se glisser dans ses cheveux jusqu'à ce qu'elle réalise que ce n'était pas tout à fait correct de montrer autant de proximité - à dire vrai, elle ne savait même pas quelle mouche l'avait piqué pour se montrer si proche de lui. Elle finit par joindre ses mains sur ses genoux et baissa la tête, un brin gêné. Malgré tout, les mots ne semblaient pas avoir leur place à ce moment là, aussi embarassant pouvait-il être.
I'm not in love so don't forget it. It's just a silly phase I'm going through. And just because I call you up Don't get me wrong, don't think you've got it made. I'm not in love, no no, it's because..
Impossible de qualifier proprement la sensation qui m'envahit au moment où j’ouvre les yeux et me retrouve seul. Le feu a disparu, sa chaleur aussi ; dans le monde réel, l'air est frais et me réveille avec un frisson. Au lieu du silence et du crépitement dans l'âtre, la pluie tombe encore et fait résonner dans le salon son tambourinement métallique sur les tuiles du toit. Le tout est plongé dans le noir, une obscurité perturbant tous les sens. Il n’y a qu'une faible lumière extérieure pour animer les meubles d'une ombre à l'allure peu rassurante. Autant dire que dans pareil environnement, la solitude vous saute à la gorge. Je ne sais pas si je suis déçu de comprendre que tout ceci était un rêve, que Joanne n’a jamais été là. Que ce baiser était une illusion, peut-être un souhait refoulé traduit dans le monde imaginaire. Déçu ou soulagé. C’aurait été une erreur, terrible erreur. Délicieuse erreur. Je peux encore sentir ces lèvres invisibles sur les miennes. Je les pince à la recherche d'un goût qui n'existe pas. Je ne peux que constater que le canapé est vide, et ce coup au coeur m'attriste tant. J'espère que ce genre de rêve n'arrivera plus jamais, que mon imagination ne me narguera pas plus. Ce serait une torture que je ne pourrais pas supporter. Une manière de souligner à la fois toutes mes erreurs, et tout ce que j'ai perdu. De raviver cette flamme que je m'efforce de rendre aussi morte que les braises froides dans la cheminée. Alors que je ne l'ai pas entendue approcher, je ne sursaute pas en voyant Joanne apparaître. J'ai senti qu'elle n'était pas loin avant qu'elle me soit visible dans l'obscurité, et sa présence, comme un reste de l'autre monde, flottait déjà dans l'air. Elle reprend sa place près de moi sur le canapé. Est-ce encore un rêve ? Je n'arrive pas à déterminer si le fait qu'elle déclare ne pas pouvoir dormir suffit à me faire comprendre qu'il s'agit de la réalité. “Moi aussi.” je murmure. Je pourrais aisément mettre cela sur le compte de l'inconfort du canapé, mais je ne dis rien de plus. La jeune femme, elle, avoue être dérangée par la pluie et un curieux rêve. “Quel genre de rêve ?” je demande, curieux, intrigué. Cela ne peut pas être plus bizarre et malaisant que le mien. Le réel se brouille à nouveau lorsque la petite blonde dépose sa main sur ma joue. Un toucher tendre, presque affectueux. Je ne comprends pas pourquoi elle agit ainsi, ce que cela signifie. Elle n’est pas supposée vouloir se montrer tendre avec moi. Elle ne devrait même pas vouloir avoir le moindre contact physique avec moi, pourtant c'est la seconde fois qu'elle caresse ma joue de la sorte. Redressé, appuyé sur mes bras, mon visage est trop près du sien en comparaison avec la distance que nous sommes supposés garder. Si je peux sentir la chaleur de son souffle sur la peau, c'est que je devrais créer de l'écart, me rallonger par exemple. Je ne bouge pas. Au contraire, électrisé par le furtif passage de ses doigts dans mes cheveux, je suis paralysé, envoûté. Happé par son regard, impossible de m'en défaire, si ce n’est pour admirer un instant ses lèvres. Un instinct plus cohérent reprend soudainement le dessus, et c'est une nouvelle douche froide ; Joanne met fin à tout contact, physique ou visuel. Je ne sais que penser de tout ceci. Est-ce un simple moment de nostalgie provoqué par ces rêves de mariage qui hantent ces lieux, ou sont-ce nos véritables sentiments qui se montrent sous couvert d'obscurité nocturne ? Mon esprit est court-circuité par les mirages de cette cérémonie telle que je l'imagine dans une autre réalité où nous serions bel et bien faits l'un pour l'autre, et dans les images de ce rêve aux sensations si authentiques qu'il est difficile de croire que la caresse de sa bouche n’a jamais existé. Et mon coeur, perdu, ne sait pas sur quel rythme battre. Si je lui vole un baiser, est-ce que cela sera si grave que ça ? Bien sûr que oui, ne sois pas idiot. Tous ces derniers mois auraient été une comédie pour rien. Cela ne serait qu'un immense bond en arrière, un retour à la case départ. Qu'importe à quel point je le veux, je ne peux pas. Je dois me contenter de ce court rêve, et du goût de ses lèvres tel que je m'en souviens. Délicatement, je dégage la vie sur les traits délicats de son visage en glissant ses cheveux blonds derrière son oreille. Je frôle son cou et son épaule, eux aussi follement tentants. Je l’admire encore longuement, silencieux, envoûté. “Tu devrais retourner dormir. Au moins essayer…” j'articule tout bas dans un souffle, une main posée sur les siennes, redoutant autant son départ que sa présence à mes côtés. Il doit bien rester quelques heures de sommeil à capturer, et quelques occasions de se faire happer par un nouveau rêve cruel.
Ressentir la présence de l'autre en approche ou non était comme un sixième sens. Joanne l'avait déjà ressenti avec Hassan, mais cela lui semblait être bien plus accentué lorsqu'il s'agissait de Jamie. Elle ne savait pas expliquer pourquoi elle avait voulu se retrouver dans la même pièce que lui, là, juste à côté. Comme si elle faisait abstraction de toute ces fois où il la rejetait, où il l'insultait sans mâcher ses mots. C'était sans mot qu'elle s'était installée près de lui. Elle ne sentait pas le poids de la fatigue sous ses yeux, ses paupières n'avaient plus envie de se clore. Ca faisait encore partie de ces instants en dehors du temps, qui étaient parfaitement inexplicables. Ca arrivait beaucoup à Joanne ces derniers temps. Elle avait certainement besoin de ce détachement à la réalité bien que la sienne semblait s'enjoliver avec son nouvel emploi et un avenir certain, après avoir appris qu'elle obtiendrait une somme importante suite à la vente de la maison où ils se trouvaient. Ils peinaient tous les deux à dormir, et avaient tous les deux fait un rêve bizarre. Curieux, Jamie voulait savoir ce que l'inconscient de Joanne avait voulu lui montrer. Elle rit nerveusement. "C'était vraiment bizarre." souffla-t-elle tout bas. "Il y avait toi,moi... Nous étions ici." Elle haussa les épaules. "Ca paraît un peu bête, dit à haute voix." Au lieu de donner des détails, elle préférait porter sa main sur sa joue. Il ne semblait pas être contre cette marque d'affection, quoique déroutée par ce geste. Il ne devait plus s'y attendre de sa part, pas après tout ça. Leur visage était anormalement proche l'un de l'autre. Joanne avait pris un certain temps avant de se rendre compte que son geste était peut-être trop déplacé pour lui, alors elle avait arrêté et avait sagement posé ses mains sur ses genoux. Après un instant de silence, c'était à lui de faire un geste doux à son égard. Joanne comprenait quelque part qu'elle avait peut-être une certaine emprise sur lui. Du moins, l'idée lui traversa la tête, que ce soit possible. Alors, de manière volontaire, elle pencha légèrement la tête du côté où Jamie avait fait glissé l'une de ses mèches de cheveux, juste pour avoir un contact supplémentaire avec ses doigts. Elle fermait les yeux quelques secondes. Et encore un long silence, lui ne voulait certainement pas se défaire d'un contact physique avec elle. Joanne regarda sa main. "Je n'ai plus vraiment sommeil." lui confessa-t-elle avec un sourire gêné. "C'est bizarre aussi, de dormir ici. Ca éveille quelques souvenirs, et puis ce rêve..." Elle soupira. Joanne avait bien trop de quoi penser pour songer à fermer les yeux et à poursuivre sa nuit. "Je n'ai pas réussi à fermer l'oeil de la nuit, avant mon premier jour au Queensland Museum. Nouveau boulot, nouvel endroit, Daniel à la crèche pour une journée entière..." Elle rit nerveusement, une nouvelle fois. D'un côté, elle était soulagée de le confier une journée entière auprès de professionnels qu'elle connaissait et côtoyait déjà. "Tu es sûr que tu ne veux pas finir ta nuit dans la chambre ? Ca ne me gênerait pas de rester ici, à ta place. J'aurai une plus grande pièce pour faire les cent pas si le sommeil ne vient vraiment pas." Elle rit doucement, tentant de plaisanter. A vrai dire, Joanne ne lui laissait pas vraiment le choix, elle tira sur l'un de ses bras pour qu'il se lève. Ses doigts croisés avec les siens, elle l'emmena jusqu'à la chambre. "Tu n'auras aucun prétexte de te plaindre de maux de dos, demain, comme ça." lui chuchota-t-elle avec un regard amusé, le connaissant bien. "Je ne te laisse pas vraiment le choix." Joanne oubliait qu'il aimait qu'elle ose imposer sa volonté, il avait toujours trouvé que ça le rendait plus sexy, plus plaisante. Joanne osait un peu plus s'exprimer entre temps, bien qu'il y avait encore beaucoup de pensées qu'elle gardait pour elle. Mais on devinait qu'elle fonçait un peu plus. "Allez, va te coucher, tu en as besoin." dit-elle en le poussant délicatement pour qu'il recule d'un pas. Elle en oubliait ses jambes toujours dénudées, ce t-shirt à peine assez long pour recouvrir son fessier. Joanne n'avait pas vraiment envie de se retourner sur le moment, qu'il reste toujours dans son champ de vision. Il y eut à nouveau ce petit moment suspendu dans l'air, où ils se regardaient. Peut-être de haut en bas, peut-être droit dans les yeux à se poser bien des questions. Et ce coup-ci, ils ne pouvaient pas accuser l'alcool de quoi que ce soit, il n'y en avait pas. "Et toi ? C'était quoi, ton rêve ?"
I'm not in love so don't forget it. It's just a silly phase I'm going through. And just because I call you up Don't get me wrong, don't think you've got it made. I'm not in love, no no, it's because..
Il n’y a rien de plus bizarre que de dormir ici à vrai dire. C’est bien à cause de cette sensation que j’ai décidé de vendre la maison de Logan City. A cause des souvenirs, de l’odeur de Joanne sur l’oreiller, et du vide, froid, à chaque réveil dans une chambre où je l’abandonnais généralement encore endormie. Je pouvais aller voir Daniel, sans un bruit, voir s’il était éveillé et en train de jouer silencieusement dans son lit, ou s’il serrait encore son doudou avec les yeux clos. Lui non plus n’était plus là, mais sa présence, elle, flottait dans l’air comme un fantôme. Il y a dans cette maison-ci bien d’autres fantômes. Des journées dans le jardin sous le soleil, des après-midis passés à imaginer la cérémonie du mariage, où seront accrochés les lumières, où sera installée la piste de danse, ce qu’il y aura sur le buffet. Des moments rares où l’avenir sonnait comme une évidence. Nous nous sommes bien trompés. Mais cet amour-là dort toujours dans les murs, dans les fibres, dans le sol. Il laisse s’échapper des murmures qui nous soufflent que ces souvenirs aussi, c’était nous. Qu’il en reste quelque part. Il suffit d’écouter son cœur palpiter sensiblement au moindre regard échangé, la respiration trembloter. Joanne ne m’a pas dit grand-chose de son rêve, si ce n’est que nous étions tous les deux ici, et même si cela ressemble au mien, sur le moment, je n’effectue aucune connexion. Je suis simplement surpris d’avoir ma place dans son imagination, la nuit. Je reste certain qu’elle n’a pas songé à moi de la même manière que j’ai songé à elle. Impossible. Elle ne m’aime plus après tout. Et puis, ces réminiscences ne proviennent sûrement pas de vrais sentiments. Ce n’est pas nous, c’est la maison. Cette fichue maison. Je demeure silencieux, assez nerveux, tandis que Joanne me raconte sa nuit avant son premier jour de travail. Je comprends bien l’angoisse qu’elle a pu ressentir, et je lui adresse un sourire compatissant. Je dormais peu, moi aussi, à mon arrivée à Brisbane ; mon esprit curieux et aventurier ne suffisait pas à combattre la peur liée à cette nouvelle vie à l’autre bout du monde. « Les grands bouleversements s’accompagnent toujours d’un certain manque de sommeil. » dis-je tout bas, de peur que ma voix porte jusqu’à la chambre où dort Jeremy. Lui ne doit pas manquer de sommeil, je ne tiens pas à bousiller une seconde voiture en une semaine. Puis Joanne me propose d’échanger nos lits. Qu’elle prenne le canapé, du moins, et moi la suite parentale. « Non, vraiment, je préfère rester là. » La jeune femme n’écoute pas, et quitte à se montrer brusque, me tire du sofa. Je pourrais très bien l’arrêter et me défaire de sa petite poigne, mais d’une part la crainte d’effectuer un geste brusque, et de l’autre la fatigue m’inspirant une belle vague de flemme, je me laisse faire en protestant mollement. « Joanne… » Mon dos est le cadet de mes soucis, ce sont les souvenirs dans cette chambre qui m’effraient comme un enfant tremble à l’idée qu’il y ait un monstre sous son lit. La petite blonde, n’a cure de mon avis. « Je vois ça. » je marmonne avec un petit rire. Elle m’éjecte dans la chambre, et je me résigne à y rester bien malgré moi, amusé par son adorable force de mouche et son petit air déterminé. Le sourire s’efface lentement, pendant ce moment de flottement. Mon cœur bat un peu plus vite encore. Faut-il lui avouer mon rêve ? Lui avouer en toutes syllabes qu’elle m’embrassait, dans mon sommeil, ne me paraît pas être une bonne idée. Elle ne doit pas s’imaginer que c’est ce que je veux –l’est-ce ? « C’était… » Je cherche un bon mensonge, mais rien ne me paraît crédible. Une seule issue ; « Je ne sais plus. Je ne me souviens plus. Sûrement rien d’intéressant. » J’hausse les épaules avec cet air de « tant pis » trop innocent pour être vrai. Au pire, Joanne saura que je cache quelque chose, mais pas quoi. Je soupire –je souffle plutôt, dans l’espoir de calmer mon rythme cardiaque, ce tambourinement qui me rend si nerveux. « Bonne nuit. »» je murmure, puisqu’il n’y a rien d’autre à dire, la main sur le battant de la porte, prêt à la refermer lorsqu’elle aura regagné le salon. Pas avant. Cela ressemble à un jeu adolescent, savoir qui raccrochera le téléphone en premier, ou dans ce cas, qui rejoindra son lit. Mais ça ne sera peut-être pas moi. Je ne bouge pas, le regard constamment planté dans le sien. Incertain quant au fait de vouloir qu’elle parte la première.
Un rêve, c'était quoi ? L'interprétation de certaines pensées oubliées, de l'objet de convoitise, des pires appréhensions, d'un désir refoulé. L'éventail de possibilités était large. C'était un domaine que l'on pouvait difficilement étudier. Certains disaient être capable d'interpréter les rêves, mais comment pouvaient-ils le prouver ? C'était si abstrait, venant d'un esprit pourtant bien réel, d'un cerveau muni de neurones dont le mécanisme était scientifiquement expliqué. La frontière entre l'abstrait et le concret, la réalité et l'imaginaire, étaient alors bien fines, et pourtant, peu de personnes croyait en ces faits paranormaux. On n'aimait pas les légendes, les choses inexplicables. Quand il y en avait, les scientifiques se contentaient de dire que ce n'était pas vrai, parce que ce n'était pas possible, qu'ils ne parvenaient pas à l'expliquer. Pourtant l'amour entre elle et lui était bien réel, même s'il était inexplicable. Personne ne parvenait à savoir d'où venait ce si fort magnétisme, cette envie perpétuelle de revenir vers l'autre et de s'accrocher bien plus que chacun ne pouvait le penser. Personne ne les voyait ensemble, les voyait incompatible. Parce que ce n'était pas normal, pas raisonnable. Ils devaient chacun rester dans leur monde, se trouver chacun une moitié capable de leur correspondre. Joanne avait préféré entraîner Jamie hors du canapé, bien déterminée à ce que ce soit son tour, de dormir dans la chambre, sur quelque chose de bien plus confortable. Il semblait être totalement réfractaire, peu motivé par cette idée. Elle ne comprenait pas vraiment pourquoi il s'y opposait, ne se doutant pas une seule seconde qu'il ne voulait tout simplement dormir dans la pièce où il lui avait fait tant de fois l'amour, où les murs, matelas et le sol même étaient imprégnés de cette passion incontrôlable. Il ne voulait pas ressasser ces souvenirs là. La petite blonde désirait tout de même en savoir plus sur son rêve à lui. Si c'était une appréhension, une angoisse, un objet de convoitise, un désir refoulé. Le bel homme hésita longuement, semblant réfléchir à trouver ces mots, ou à trouver quelque chose d'autre peut-être. Tout ça pour finalement dire qu'il ne s'en souvenait pas. Joanne fronça légèrement les sourcils, bien perplexe par cette réponse. Il dissimulait quelque chose, elle en était persuadée. "Ca te reviendra plus tard, peut-être." lui répondit-elle avec un sourire, en haussant légèrement les épaules. Autant lui faire croire ce qu'il voulait. Et voilà, il était temps d'aller tenter de dormir. Mais ni lui ne semblait vouloir fermer la porte, ni elle de partir s'allonger sur le canapé au salon - ou d'aller devant l'une des fenêtre afin de regarder la pluie continuer de tomber si le sommeil ne voulait pas d'elle. Ils s'interrogeaient tous les deux du regard, à tenter de deviner qui partirait le premier. Joanne ne comprenait pas pourquoi il attendait. Elle pensait qu'il n'avait plus de sentiments pour elle, il l'avait montré jusqu'ici. Alors pourquoi cette retenue ? Cette envie qu'elle ne parte pas ? Joanne le ressentait, que, quelque part, il voulait qu'elle reste plantée là. "Bonne nuit." dit-elle finalement avec un sourire discret. Joanne avait encore pris quelques minuts avant de se décider de faire un premier pas en arrière, puis un deuxième, avec une certaine lenteur. Jusque là, elle lui faisait toujours face. C'était avec cette même lenteur qu'elle pivota doucement ses talons pour lui faire dos, et elle retournait dans le salon, sans la moindre envie de dormir. Elle s'était tout de même allongée sur le canapé, les yeux rivés sur le plafond. Il fallait admettre que ça faisait quelques jours que Joanne avait cette envie là. Une envie de plaisir. Certains se demanderaient pourquoi elle avait un petit peu rejeté celles d'Hasssan, si elle le voulait aussi. Mais elle avait certains principes. D'ailleurs elle ne savait même pas pourquoi elle y pensait à ce moment là. Certainement l'aura qui continuait de planer dans cette maison où il n'y avait que de l'amour, pendant un temps. Joanne soupira longuement. Ses jambes étaient pliés, et ses pieds étaient sur le canapé. Elle n'avait même pas pris la peine de se recouvrir. L'air las, elle n'attendait que le temps passe, que le ciel ne s'éclaircisse pour annoncer un départ imminent. Mais ça ne venait pas. Toujours la même obscurité, toujours la même pluie, toujours les mêmes fantômes. C'était certainement la nuit la plus longue qui pouvait exister, à croire que certains voulaient qu'elles ne se terminent jamais. Les mains derrière la tête, elle tentait alors de se distraire, de penser à ce qu'elle ferait avec Daniel le lendemain, à son programme de la semaine qui suivait. Mais rien n'y faisait. La nuit ne semblait pas avoir bougé d'un pouce.
I'm not in love so don't forget it. It's just a silly phase I'm going through. And just because I call you up Don't get me wrong, don't think you've got it made. I'm not in love, no no, it's because..
« Est-ce que tout le m- » « Shhh ! » Jeremy me fait signe de me taire avec un vif signe d'encourageant à réduire le volume sonore de ma voix -sans vraiment faire attention à un détail, qu'il s'adresse à son patron, mais j'avoue que sur le moment cela ne me choque pas moi-même, pas plus que la soudaineté de son intervention. Et cela fait son effet, je me tais immédiatement, l'air hébété, les yeux ronds comme des billes et la respiration coupée dans son élan un court instant. Le jeune homme m'indique ensuite le canapé d'un signe de tête ; mon regard se pose dessus et comprend immédiatement pourquoi le silence est de mise. Joanne dort encore comme un ange. Elle s'est assoupie sans se couvrir du plaid, alors elle s'est recroquevillée sur elle-même, ayant sûrement froid. Ses cheveux en bataille barrent son visage mais ne le cachent pas ; on devine, à travers ses mèches blondes, les doux traits de son visage, et cette adorable expression qu'elle a lorsqu'elle s'assoupit, un peu boudeuse, pourtant paisible. Je souris en la voyant ainsi. Je la connais bien assez pour savoir qu'elle s'est endormie très tard, pour ne pas dire très tôt ce matin. Elle a des insomnies tenaces, et lorsqu'elle est venue me voir dans la nuit, elle ne semblait pas prête de retrouver le sommeil de si tôt, elle était même bien plus énergique que moi quand elle m'a escortée jusqu'à la chambre, insistant pour que je dorme sur un vrai matelas. J'admets que mes membres lui en sont reconnaissants, même s'il n'a pas été facile de se lasser gagner par l'obscurité de la nuit dans cette pièce. Je me suis surtout répété que je ne serai pas plus avancé le lendemain si je ne dors pas et si je passe toutes ces heures à ressasser. Cela n'aurait franchement servi à rien, et je serais à peu près dans le même état que la jeune femme ce matin -au détail près que je suis particulièrement doué pour m'arracher de mon lit contre mon propre gré. Il a fallu me persuader de ce détachement émotionnel vis à vis de ce lieu, et je crois bien que cela a eu un effet thérapeutique. J'ai l'impression que les fantômes ne rôdent plus autour de moi, et que leurs murmures ont cessé. Je me dis que nous avons été ici au mieux de ce que nous pouvions être, et que ces bons souvenirs appartiennent à un passé qu'il n'est pas si honteux que ça de chérir. Nous avons eu des rêves, qui resteront des rêves, et comme d'autres, nous les avons sacrifiés pour le mieux. Je mets mon rêve de la veille sur le compte de ces souvenirs qui ont éveillé une vague de nostalgie, l'envie de renouer avec ces moments de bonheur ; mais aujourd'hui, dans l'état actuel des choses, répondre à ce genre de tentation ne nous apporterait rien de bon. Ni à elle, ni à moi. Mais ce fut agréable de flirter avec cette électricité dans l'air, je sais que Joanne l'a senti aussi. Cette tension retenue, cette attente d'une possibilité, les bribes de ce magnétisme qui était si fort autrefois. Tout cela, comme nos rêves, comme tout le reste, n'existait pas. La maison nous laisse ce petit goût au bord des lèvres et nous a rappelé les espoirs qu'elle avait nourri, c'est son au revoir. Aujourd'hui nous pouvons tourner cette page-là aussi. C'est donc en émettant le moins de bruit possible que je récupère ces affaires que j'étais initialement venu chercher et que je dépose un à un ces cartons dans le coffre de la voiture -préalablement sortie du garage par Jeremy. Mes allers et retours finissent bien entendu par réveiller Joanne, mais nous la laissons prendre tout son temps pour émerger, quoi que nous ayons tous hâte de rentrer dans nos foyers respectifs. « Nous partons dès que tu es prête. » dis-je tout bas, sans la brusquer, avec un petit sourire. Il n'y a malheureusement rien ici pour prendre un petit-déjeuner, mais nos pourrons faire un crochet par la boulangerie du bourg au-dessus de laquelle vit l'agent immobilier pour leur acheter quelques unes de ces viennoiseries que nous aimions manger le dimanche matin lors de nos week-ends coupés du monde. L'air est humide dehors et les cailloux de l'allée encore mouillés, mais les nuages ont disparus et les routes sont dégagées. Je jette un dernier coup d'oeil aux jambes nues de Joanne avant qu'elle aille s'habiller. De cette maison, j'emporte avec moi un seul fantôme, un souvenir qui n'existera pas ; ce moment très précis où, alors que le ciel commence à s'obscurcir et que toutes les guirlandes lumineuses tendues entre les arbres sont allumées dans le jardin, après qu'elle m'ait dit oui, et que je lui ai glissé la bague au doigt ; alors que les invités, et même la chaise vide de mon frère, attendent cette fameuse première danse, je dépose sur la tête blonde de la petite Lady ces fleurs en pierres précieuses qui font scintiller ses yeux, et je la couronne reine du monde.