Quoi de plus frustrant que cette impression que la complicité qui les avait liés pendant si longtemps tous les deux était là, tout proche, et pourtant devenue hors d’atteinte. Comme si un seul petit grain de sable était venu enrayer la machine et continuait de se frayer un chemin sans se laisser stopper. La solution existait pourtant, sans doute, tout mettre à plat une bonne fois pour toutes, mettre carte sur table et tenter de trouver une solution à cette déferlante de sentiments et d’émotions dont ils ne savaient plus que faire … Mais comment mettre cartes sur table, et surtout comment s’en relever, quand la moindre tentative rouvrait des blessures et faisaient couler des larmes ? Hassan avait encore la volonté – naïve, peut-être – de penser que la chose était possible, mais ce soir … ce soir ne semblait pas encore être le bon moment. Pas alors que les reproches de Martin se mêlaient à ceux de Yasmine et aiguisaient leurs nerfs déjà à fleur de peau, rendant toute discussion raisonnable presque impossible. Même la demande qu’il venait de formuler n’avait été accueillie que par un « Je n’aurai plus à m’en mêler, vraiment ? » symptomatique de la confiance que Joanne n’avait plus en lui, et dont rien de ce qu’il disait ne semblait suffisant à lui faire revoir ses certitudes. « Vraiment. » avait-il pourtant assuré, ne laissant pas les incertitudes de Joanne déteindre sur lui. « Promis. » Il n’imaginait pas Yasmine avoir agi autrement que par impulsivité, tout comme il ne l’imaginait pas revenir à la charge s’il lui demandait de ne pas le faire … Au fond il aurait même pu ne rien demander à la blonde et en parler quand même à Yasmine, tout en étant certain que les choses n’iraient pas plus loin. Il n’avait simplement plus envie de s’emmêler dans ce genre de pratiques à double-tranchant. « Comme tu voudras. » La réponse, ou plutôt le ton de profonde résignation avec lequel elle avait été donnée ne lui plaisait pas, l’impression d’avoir Joanne par la contrainte ne lui plaisait pas ; Toutes deux lui donnaient l’impression que la blonde voyait cela comme un abandon ou un désaveu de sa part, quand en réalité il n’en était rien. Et faute de trouver les mots adéquats pour l’expliquer le brun avait tenté de chasser le malaise de son ex-épouse en essuyant du bout de doigts la larme venue rouler contre sa joue, y déposant un nouveau baiser chargé de la même douceur que ces baisers que l’on donnait aux enfants après un cauchemar ou un bobo.
Ayant presque oublié que la main de Joanne était toujours serrée autour de la sienne, il s’était laissé entraîner sans résistance tandis qu’elle les menait à nouveau vers la cuisine, ne lâchant finalement qu’à regret ses doigts tandis qu’elle reprenait « Je vais … aller préparer ces cocktails. Je ne voudrais pas que tu te dessèches. » Hassan se demandait si elle avait conscience du fait qu'il ne s’agisse que d'un prétexte, du fait qu’au fond il se fiche bien d’étancher sa soif éventuelle et n'ait eu à cœur que de tenter de donner une nouvelle direction à la conversation, ou à la soirée. « Ce n'est finalement qu’un savant mélange de fruits, mais tu devrais aimer, je pense. Promis, ce n'est pas un punch quelque peu alcoolisé. » Son visage se fendant d’un léger sourire, il avait suivi la jeune femme jusqu'au canapé en commentant « Je suis sûr que même avec douze ans de plus j’aurai trouvé l’erreur toute aussi mignonne. » Parce que c’était ainsi qu’il s'en rappelait au fond, non pas comme d’un impair mais comme de la mignonnerie d’une erreur ayant servi à briser la glace dans cette première discussion en tête-à-tête un peu maladroite. « Merci. » avait-il en tout cas ajouté d’un ton plus sérieux à propos du cocktail, tandis que leurs verres s’entrechoquaient brièvement pour trinquer en silence. Elle avait raison, ce n’était rien de plus qu’un savant mélange de fruits, et le palais habitué d’Hassan était à même de reconnaître même les moins marqués, mais cela n’en demeurait pas moins une réussite. « Désolé, je … Je n'ai rien de très passionnant à te raconter. Les jours se ressemblent beaucoup, rien de très palpitant. » s’était-elle finalement excusée, après un silence qu’elle devait avoir jugé un peu trop long. « Tu m’as quand même dit dans tes derniers messages que tu avais retrouvé un boulot dans un musée. » avait-il alors objecté d’un ton doux « C'est plutôt une bonne nouvelle, non ? » Ou peut-être pas ? Il lui avait pourtant semblé dans ses messages que la perspective d’avoir retrouvé un emploi, même temporaire, dans sa branche la ravissait. Appâté par l’odeur de nourriture qui trônait maintenant sur la table basse, l’un des deux chiens de Joanne était venu renifler à proximité, dissuadé par un geste de la blonde de tenter de croquer quoi que ce soit. « Tu aurais presque pu amener ton chien, je pense qu’ils auraient bien joué ensemble, tous les trois. Ils sont tous bien jeunes. » Pas en reste, le second animal était venu réclamer des caresses à son tour, Hassan posant son verre sur la table pour glisser ses doigts dans le pelage du chien sans risquer de renverser le contenu de son verre « J’ai déjà pensé quelques fois à en prendre un deuxième, même si maintenant il a un jardin je me dis que le temps doit être un peu longues pour Spike quand j’enchaîne l’université avec ABC ou avec l’hôpital. Mais il a un peu pris l’habitude d’être le centre de l'attention, je ne sais pas s’il accepterait d’avoir un congénère dans les pattes à longueur de journées … » Si l’on avait un jour dit à Hassan qu'il envisagerait d’avoir un second animal, lui qui sans l'insistance de son frère n’en aurait même pas eu un seul, le brun ne l'aurait pas cru. Et pourtant force était de constater qu’il s’était profondément attaché à son animal. « Je me demande comment l’idée d'en avoir un à nous ne nous a jamais effleuré. » avait-il alors confié d’un ton pensif. Peut-être parce que ni l’un ni l'autre n’en avaient alors jamais eu auparavant et ne savaient par conséquent pas ce qu’ils manquaient.
Ayant obtenu leur dose de caresses et d’attention, les deux chiens s’étaient finalement couchés, l’un sous la table basse – un plaisir auquel il n'aurait probablement plus accès lorsqu’il aurait atteint sa taille adulte – et l'autre aux pieds de sa maîtresse. Récupérant son verre Hassan l’avait porté à ses lèvres avant de poser à nouveau les yeux sur Joanne, laquelle avait à son tour levé la tête « Tu … » L’expérience le poussant à se méfier désormais lorsqu'elle employait ce ton avec lui, il avait attendu avec appréhension qu'elle rassemble ses mots et reprenne « Tu me manques, Hassan. » Laissant son palpitant s'emballer un instant il n’avait pas cherché à l'interrompre, attendant le mais, ou à défaut la suite « Ta présence, ton sourire, ta voix, ton affection … tout me manque. C'est pour ça que je tenais vraiment à ce que tu vienne. Pour que tu sois là. Et je me suis dit – et peut-être que c'est totalement faux, je n'en sais rien – que c’était peut-être réciproque, peut-être un tout petit peu. Je me suis dit qu'on apprécierait tous les deux de parler de tout et de rien de nouveau, peut-être même de s’avouer des choses qu’on ne pouvait dire à personne d’autre, te connaître tel que tu es maintenant. Renouer, en somme. Je parais assez bête de le dire à voix-haute, non ? » Non ? « Non. Au contraire. » Reposant à nouveau son verre, désormais vide, il l’avait laissée reprendre « Je voulais vraiment que tu sois là, et … tu es là. C’est tout ce qui compte, alors … merci d’avoir accepté de rester. J’espère maintenant vraiment que mon cocktail et mon chili valaient le coup. » Bien que lui arrachant un sourire, la plaisanterie avait amené la réponse d’Hassan sur un ton plus sérieux « Sans doute. Mais ce n'est pas pour eux que je suis resté. » Mais ça il osait espérer qu’elle puisse déjà s’en douter. Avec un brin d’hésitation il avait fini par saisir la main de la blonde, l'enfermant entre ses deux mains à lui avec douceur « Écoute, je … Je sais bien que c’est pas facile, parce qu’on n’a jamais été dans l’affrontement avant, et que ça amplifie l’impression qu’on sera plus jamais capables de se comprendre … Mais que je ne sois pas toujours d’accord avec toi, ou que je me mette en colère, ça ne change rien. Ça ne va pas subitement faire disparaître l’affection que j’ai pour toi, ou remettre en cause le fait que si tu as besoin de moi je serai là. Que si tu as besoin de parler, de n’importe quoi, je suis là. » Usant d’un brin de tendresse, il avait remis une mèche de cheveux blonds derrière l’oreille de Joanne et laissé le bout de ses doigts glisser contre sa joue. « Il s’est passé trop de choses en trois ans pour qu’on ne s’oppose sur rien … c’est comme ça. Ça ne veut pas dire que le jeu n’en vaut pas la chandelle, du moins je ne pense pas. » Elle avait le droit de le contredire, et si tel était le cas alors il s’inclinerait … Mais lui était intimement persuadé que si l’incompréhension faisait pour l’instant partie de leurs obstacles il ne tenait qu’à eux d’essayer de le surmonter. « Parle-moi. » avait-il lancé dans un murmure, ayant inconsciemment réduit un peu l’espace entre eux sur le canapé, ses doigts serrant à nouveau ceux de Joanne comme pour tenter à nouveau de la convaincre qu’il ne comptait pas fuir si elle ouvrait la bouche.
Try not to understand our feeling and would it ever go away
Impossible de prévoir quelle serait la réaction de Yasmine une fois qu'Hassan mettra le sujet de cette altercation sur la table. Mais pour Joanne, il était certain que cela ne présageait rien de bon. Peut-être que la brune n'allait pas revenir directement vers Joanne pour lui remettre les points sur les i, mais qu'allait-elle penser de la petite blonde ? Peut-être qu'elle se serait exaspérée à l'idée qu'elle ait pu en parler à Hassan, qu'elle penserait qu'elle espérerait l'avoir ainsi dans son camp en étant la première à aborder le sujet. Les idées allaient bon train dans la tête de Joanne, et aucune d'entre elle n'était positive pour elle. Ce n'était pas non plus son but, de s'immiscer dans la relation entre Yasmine et lui, mais il semblerait que ce soit déjà trop tard. Il était évident que la brune ait des sentiments pour lui. Peut-être que le manque de confiance de Joanne envers lui ébranlait ce dernier, mais elle ne pouvait pas faire autrement. Malgré tout, Hassan voulait faire en sorte qu'elle ne doute pas de sa parole en le lui promettant, qu'elle ne subirait plus aucune répercussion suite à cette discussion à venir. Une promesse, encore. On lui en avait fait beaucoup, aucune d'entre elles n'avait été respecté. Une promesse d'amitié avec Sophia, une promesse d'amour en se mariant avec Hassan, des promesses de son frère, sa soeur, ses parents, des promesses de Jamie. Peut-être n'était-elle pas mieux, elle ne pensait pas être meilleure que les autres, loin de là. A l'heure actuelle, que valait une promesse ? Joanne se tenait de ne plus en faire –mis à part à elle-même – comme elle ne se permettait de plus faire grand chose ces derniers temps. Elle se résignait à l'idée qu'il aille lui en parler, sachant quelque part qu'il allait le faire, qu'elle lui donne son accord ou non. Joanne n'avait plus envie de parler de tout ça. Hassan tentait d'apaiser cette nouvelle petite tension en essuyant les larmes de la petite blonde qui coulaient le long de ses joues. Et un doux baiser une fois que sa peau était sèche. Elle se demandait comment il parvenait à rester aussi tendre et affectueux avec elle, malgré tout. Joanne n'avait bien évidemment pas compris qu'il avait tout simplement cherché à sauver les meubles de cette soirée en tentant de leur faire penser à autre chose. Une fois que tout était prêt, Joanne avait fait une petite référence à cette soirée à l'université qui avait été un premier tournant dans leur relation. Hassan était sûr qu'il aurait tout autant été gentiment amusé par cette attention quelques années plus tard. Joanne sourit à cette remarque, sans ajouter de commentaires. Elle n'avait d'ailleurs pas grand chose à dire et s'en excusa auprès de lui. Elle avait l'impression d'être une hôte peu recommandable, à accumuler les fausses notes. Lui n'avait pas oublié qu'elle avait obtenu un emploi, même temporaire. "Oui, plutôt." répondit-elle avec un léger sourire, quoiqu'un peu triste. "C'est pas la même ambiance qu'au Museum of Brisbane. J'ai envie de croire qu'on va me prendre par la suite, mais ça reste un contrat à durée déterminée. Et le fait que les collègues savent que je ne suis sûrement là que pour quelques mois... j'ai l'impression qu'ils ne veulent pas vraiment s'attacher, tu vois ? Il y en a une avec qui je m'entends bien, qui m'a bien accueillie et avec qui je suis quasiment tous les jours, mais je suis juste la remplaçante." Joanne aurait du s'y attendre. "Mais ça me fait du bien de sortir de la maison, de me replonger dans les coulisses d'un musée, ça m'avait beaucoup manquée. J'avoue que je suis toujours en contact avec mon supérieur du Museum of Brisbane, j'aimerais beaucoup y retourner." Elle savait qu'elle voulait travailler dans cet endroit là depuis qu'elle était à Brisbane, elle s'y rendait à la moindre nouvelle exposition. Les chiens avaient fini par les rejoindre, attirés par la nourriture. "Je pense que ça peut être une bonne idée, que tu en prennes un deuxième. Pour lui, pour toi. Ca fera peut-être un peu de mal à son égo mais je pense qu'il remarquera tout de suite les points positifs de ne pas être seul des journées entières. Enfin moi j'ai l'impression que Nunki et Sirius sont très heureux de s'avoir l'un l'autre. Ca n'empêche pas les petites jalousies de temps en temps, mais ils sont très complices tous les deux, et avec Daniel aussi." lui conseilla-t-elle. La décision finale devait être prise pour Hassan, il avait bien le temps d'y réfléchir. Joanne sentait son coeur se serrer lorsqu'il se demandait pourquoi ils n'avaient jamais songé à prendre un animal de compagnie lorsqu'ils étaient ensemble. Joanne avait pourtant grandi avec des animaux tout du long, elle aurait du y penser. Au fond, elle avait la réponse à sa question, mais elle n'avait pas la force de la dire à haute voix : ce qu'ils voulaient pour agrandir leur famille, ce n'était pas un chien, ou un chat, c'était un enfant. C'était tout ce qui leur manquait avant que le cancer d'Hassan ne vienne foudroyer leur couple. Et oui, tout ça lui manquait. Elle avait du mal à trouver les mots, sous la crainte de la réaction de son ex-mari. Lui ne la trouvait pas ridicule en tout cas. Elle se demandait s'il la pensait sincère, s'il finissait par croire sa version à elle des faits. Joanne aurait pu croire qu'il soit resté par dépit, peut-être par obligation, elle n'en savait trop rien. Mais il disait que c'était bien pour elle qu'il était resté, et non pour tout ce qu'elle avait préparé. Le bel homme prit délicatement l'une des mains de Joanne entre les deux siennes. Il avait toujours fait preuve d'une grande sagesse, d'un tel détachement par rapport à tout ça, alors qu'il était en plein dedans. "Je...J'ai horreur de ça. Te mettre en colère, ou triste, ou te décevoir. Et depuis qu'on se revoit, je ne fais que ça." lança-t-elle tristement, le regard bien bas. Peut-être avait-il effectivement encore beaucoup d'affection pour elle. Mais il avait parlé de parenthèse tout à l'heure, et donc, qu'une fois cette soirée passée, ils seraient techniquement en froid de nouveau. Joanne ne se voyait pas l'appeler et lui demander de l'aide ou un peu de compagnie si la rencontre précédente s'était terminée sur une mauvaise. Elle ne se le permettrait jamais. Difficile pour elle de faire la part des choses et de penser comme lui. Que les tensions ne changeaient rien aux sentiments qu'ils avaient pour l'un l'autre. "Je n'aime pas le fait qu'on n'arrive plus à... Enfin qu'à chaque fois que tout semble aller mieux, il y a un truc qui se passe et qui chamboule tout. Je veux dire, la dernière fois, c'était bien, ça s'était bien terminé. Et entre temps il y a eu ça et... j'ai l'impression que c'est toujours le même cycle, que c'est interminable. Tout ce que je voudrais, c'est en voir le bout, parce que... ça m'épuise. Qu'au moment où j'ai un peu d'espoir pour quelque chose, pour nous, il y ait un nouveau coup dur." Et à la longue, c'était aussi un facteur de la fatigue constante de Joanne. "J'ai l'impression d'être testée en permanence, je ne sais pas en quoi je dois faire mes preuves. Qu'est-ce que je dois faire ?" se demanda-t-elle. "Et à force, je commence à croire que finalement, c'est que la nouvelle moi qui pose problème, dans tout ça. Peut-être que c'est moi que l'on devrait arrêter de fréquenter." ajouta-t-elle avec un sourire amer. Après avoir replacé une mèche de cheveux derrière son oreille, Hassan lui caressait tendrement la joue. "Je n'aime pas quand on est en désaccord." Oui, ces trois dernières années les avaient radicalement changé tous les deux. Mais s'il y avait bien une chose sur laquelle la jeune femme n'avait absolument pas changé, c'était le fait qu'elle avait horreur des conflits. Elle les fuyait, ou elle se pliait afin d'écourter au possible ces moments qu'elle vivait toujours particulièrement mal. Ca la touchait bien plus que ça ne le devrait, toute personne la connaissant depuis longtemps savait qu'elle prenait ce genre d'instants bien trop à coeur. Hassan avait aussi laissé comprendre qu'il ne perdait pas espoir pour eux, quoi qu'ils puissent devenir tous les deux. Malgré tout, il y croyait. Il s'était rapproché d'elle, logeant la main de Joanne dans la sienne. Il ne demandait que ça, qu'elle se confie à lui comme elle le faisait toujours lorsqu'ils étaient ensemble. Elle hocha négativement la tête, sentant sa gorge serrée rien qu'en se souvenant à ce qu'elle ne pouvait pas dire. "Je peux pas." dit-elle en relevant ses yeux sur lui. C'était plus fort qu'elle, elle ne pouvait pas le dire. "Il y a une chose... Mais c'est pas à moi de le dire." Si Yasmine avait des sentiments pour lui, qu'elle le lui dise franchement. "Et l'autre, je..." Elle secoua négativement la tête. Joanne n'avait pas envie de savoir si c'était vrai ou non. Si elle était véritablement une des raisons, si ce n'est la principale, pour laquelle Hassan avait tenté de mettre fin à ses jours. Elle n'avait pas envie de l'entendre de sa bouche, et Yasmine n'aurait certainement pas menti à ce sujet. Peut-être qu'elle exagérait, mais ça venait bien de quelque part. Joanne n'avait pas envie de l'entendre de sa bouche. Rien que d'y penser lui donner la nausée. Elle se sentait alors soudainement bien mal. Hassan pouvait sentir sa main trembler dans la sienne. Joanne passa sa main libre sur son visage, tentant de reprendre ses esprits. "Tu avais dit qu'on ferait une parenthèse, pour ce soir." dit-elle avec un vague sourire. Elle caressa tendrement la joue. Joanne n'était pas certaine de pouvoir lui parler de tout ça un jour. Il le faudra bien, certainement. Mais elle préférait encore se laisser ronger par ça plutôt que de se confronter une nouvelle fois à ce qu'Hassan pourrait lui dire. "Je suis peut-être mal placée pour dire ça, mais tu peux aussi compter sur moi, tu sais. Je sais bien que je ne t'ai apporté que du tort depuis qu'on se revoit, mais... Si je peux faire quoi que ce soit qui puisse t'aider, qui puisse te faire sentir bien ou mieux les jours où ça va pas, je suis là. Je ferais de mon mieux." lui souffla-t-elle avec un sourire sincère, son regard plongé dans le sien. "Je veux aussi être là pour toi." Elle continuait de caresser avec délicatesse les traits de son visage. Joanne le prit ensuite dans ses bras, pour l'enlacer longuement ou, au moins, rester blottie contre lui. "Tu penses vraiment qu'on y arrivera un jour de nouveau ? A parvenir à tout se dire, à se comprendre enfin." Elle relâchait un peu son étreinte afin de pouvoir le regarder. Son visage frôlait légèrement le sien. "Est-ce que tu y crois ?"
L’ambiance feutrée que les talents de décoration de Joanne avaient réussi à donner au salon n’empêchait pas chaque bruit, même ceux aussi infimes que le tintement de leurs verres contre la table basse, de raisonner de manière un peu brute, presque douloureuse dans le silence artificiel que se créaient les deux anciens époux. Ils en étaient pourtant capables, parler durant des heures entières sans voir le temps passer, et avoir malgré tout encore des montagnes de choses à se dire ; Ils l’avaient fait pendant tellement longtemps. Aujourd’hui la machine semblait vrillée, Joanne déplorait de n’avoir pas grand-chose à dire et Hassan lui était certain qu’il ne tenait qu’à eux de remettre le pied à l’étrier. A une époque sans doute la blonde aurait pu lui parler de son métier avec passion durant des heures, et ce jour-là elle semblait presque avoir oublié qu’elle avait retrouvé un emploi pareil à celui qu’elle avait laissé quelques mois plus tôt. « Oui, plutôt. » lui avait-elle pourtant répondu lorsqu’il avait qualifié cela de bonne chose, d’un ton pourtant à moitié convaincu seulement « C’est pas la même ambiance qu’au Museum of Brisbane. J’ai envie de croire qu’on va me prendre par la suite, mais ça reste un contrat à durée déterminée. Et le fait que les collègues sachent que je ne suis sûrement là que pour quelques mois … j’ai l’impression qu’ils ne veulent pas vraiment s’attacher, tu vois ? Il y en a une avec qui je m’entends bien, qui m’a accueillie et avec qui je suis quasiment tous les jours, mais je suis juste la remplaçante. » Elle avait laissé échapper un soupir léger « Mais ça me fait du bien de sortir de la maison, de me replonger dans les coulisses d’un musée, ça m’avait beaucoup manqué. J’avoue que je suis toujours en contact avec mon supérieur du Museum of Brisbane, j’aimerai beaucoup y retourner. » Le sourire d’Hassan, aussi confiant que celui de Joanne semblait résigné, l’avait poussé à relativiser « T’as toujours fait du super boulot chez eux, y’a aucune raison qu’ils ne pensent pas à toi dès qu’une place se libèrera. » Il lui épargnerait son éternel couplet sur le fait que tout venait à point, etc. mais Hassan était vraiment adepte de l’idée que la patience finissait toujours par payer. Désireux d’obtenir un peu d’attention les deux chiens étaient venus s’inviter dans leurs jambes, la truffe s’agitant dangereusement au-dessus de la table basse. « Je pense que ça peut être une bonne idée, que tu en prennes un deuxième. » lui avait d’ailleurs répondu Joanne tandis qu’il admettait y avoir déjà pensé, sans être encore certain qu’il s’agisse d’une bonne idée. « Pour lui, pour toi. Ça fera peut-être un peu de mal à son ego mais je pense qu’il remarquera tout de suite les points positifs de ne pas être seul des journées entières. Enfin moi j’ai l’impression que Nunki et Sirius sont très heureux de s’avoir l’un l’autre. Ça n’empêche pas des petites jalousies de temps en temps, mais ils sont très complices tous les deux, et avec Daniel aussi. » Sur ce dernier point il n’était pas étonné, les bergers avaient un bon contact avec les enfants. « Il faut encore que j’y réfléchisse, je n’ai pas envie de faire ça sur un coup de tête. C’est aussi deux fois plus de contraintes. » Le double question budget, deux fois plus compliqué à solutionner s’il devait s’absenter plusieurs jours, sans compter qu’il n’avait plus ni permis de conduire ni voiture, et n’envisageait pas d’en racheter une dans l’immédiat.
Alors qu’il trempait ses lèvres dans son verre après un nouveau silence, Joanne avait tenté entre gêne et hésitation de mettre des mots sur les véritables raisons qui l’avaient poussée à demander à Hassan de venir ce soir-là, des raisons sur lesquelles il s’était mépris un peu plus tôt. Il lui manquait, un sentiment partagé par le brun à qui la jeune femme manquait sans doute tout autant, l’ironie étant qu’ils étaient pourtant là tous les deux, leurs mains accrochées une à l’autre comme pour tenter de se le prouver, et Hassan tentant désespérément de lui faire faire la part des choses concernant l’absence de corrélation entre l’agacement ou la colère dont il pouvait faire preuve et la hauteur des sentiments qu’il possédait à son égard. « Je … J’ai horreur de ça. Te mettre en colère, ou triste, ou te décevoir. Et depuis qu’on se revoit, je ne fais que ça. » Il pouvait presque entendre les sanglots dans sa voix, et instinctivement il avait secoué la tête « Non ça c’est pas vrai. » Elle ne faisait pas que ça, et elle n’était pas que ça … Il ne serait pas là ce soir, sans cela. « Je n’aime pas le fait qu’on n’arrive plus à … Enfin qu’à chaque fois que tout sembler aller mieux, il y a un truc qui se passe et qui chamboule tout. Je veux dire, la dernière fois, c’était bien, ça s’était bien terminé. Et entre temps il y a eu ça et … j’ai l’impression que c’est toujours le même cycle, que c’est interminable. Tout ce que je voudrais, c’est en voir le bout, parce que … ça m’épuise. Qu’au moment où j’ai un peu d’espoir pour quelque chose, pour nous, il y ait un nouveau coup dur. J’ai l’impression d’être testée en permanence, je ne sais pas en quoi je dois faire mes preuves. Qu’est-ce que je dois faire ? » Il ne savait pas vraiment si c’était une question qu’elle lui posait à lui, ou alors simplement une question qu’elle se posait à elle-même, et pour laquelle elle n’attendait pas de réponse de sa part. « Et à force, je commence à croire que finalement, c’est que la nouvelle moi pose problème, dans tout ça. Peut-être que c’est moi que l’on devrait arrêter de fréquenter. » Et cela lui faisait mal à lui, de l’entendre parler comme ça, autant parce qu’il détestait l’entendre parler d’elle-même de cette façon que parce qu’il prenait conscience du mal qu’il pouvait faire autour de lui lorsqu’il exprimait ce même genre de pensées à son propre sujet. « Je n’aime pas quand on est en désaccord. » Bien sûr. « Ça ne me plait pas non plus … Mais je crois que c’est un passage obligé. C’est pas la partie la plus plaisante, mais je pense que ça n’ira pas mieux tant qu’on n’en sera pas passé par là. » Il peinait à s’assurer qu’elle comprenait bien les intentions derrière ses mots, qu’elle réalisait que même s’il était plus lucide sur l’impossibilité de faire table rase comme si ces trois années n’avaient jamais existé, leur volonté finale restait la même : pouvoir mieux se relever ensuite. Ensemble.
Mais pas ce soir. Ce soir il n’avait pas la force, et elle non plus ; Ce soir ils avaient sans soute mérité de reculer pour mieux sauter, et de s’accorder une pause dans le cheminement difficile vers leur réconciliation. Malgré tout Joanne lui semblait toujours aussi fébrile, comme si le poids de ce qu’elle ne voulait pas dire l’écrasait littéralement, et la voir ainsi paraissait à Hassan plus douloureux encore que la possibilité d’entendre des choses qu’il n’avait peut-être pas envie d’entendre. « Je peux pas. » avait-elle pourtant murmuré la gorge serrée « Il y a une chose … Mais c’est pas à moi de le dire. Et l’autre, je … » Il fronçait les sourcils et la questionnait du regard, ne comprenant pas bien où elle voulait en venir « Qui est-ce que … » La voyant secouer la tête il n’avait pas terminé sa phrase, même pas certain de ce qu’il devait demander en fin de compte « Tu avais dit qu’on ferait une parenthèse, pour ce soir. » Il l’avait dit, oui, et résigné par sa propre stratégie et son désir de ne pas voir d’autres larmes s’ajouter à celles déjà versées jusque-là, il avait fini par capituler. « C’est vrai. C’est d’accord. » D’instinct sa main avait serrée celle tremblante de Joanne, comme pour tenter de lui enlever cette peur de se sentir à nouveau dos au mur, forcée de dire quelque chose qu’elle n’avait pas envie de dire. Il était frustré, bien sûr, parce que la non-réponse de la blonde posait plus de questions qu’elle ne lui apportait de réponses, mais ce soir n’était pas et ne serait pas une bonne solution pour des aveux. « Je suis peut-être mal placée pour dire ça, mais tu peux aussi compter sur moi, tu sais. Je sais bien que je ne t’ai apporté que du tort depuis qu’on se revoit, mais … Si je peux faire quoi que ce soit qui puisse t’aider, qui puisse te faire sentir bien ou mieux les jours où ça va pas, je suis là. Je ferai de mon mieux. Je veux aussi être là pour toi. » La laissant venir à lui et l’entourer de ses bras, il en avait fait de même et resserré les siens autour de ses épaules, ses doigts glissant avec douceur entre ses cheveux.
L’avoir là, blottie contre lui, c’était peut-être l’instant le plus rassurant pour lui depuis le début de cette soirée, les premières secondes lui laissant croire que peut-être Joanne n’était pas simplement en train de leur échapper, à lui et ses difficultés à se réadapter à sa propre vie. « Tu penses vraiment qu’on y arrivera un jour de nouveau ? » Le souffle de ses mots contre son cou avait arraché un bref frisson à Hassan avant que leur étreinte se desserre pour leur permettre de se regarder « A parvenir à tout se dire, à se comprendre enfin. Est-ce que tu y crois ? » Et elle ? Posait-elle la question simplement pour se rassurer, ou bien avait-elle besoin d’avoir son ressenti à lui pour tenter de se construire le sien ? « Bien sûr que j’y crois. » Est-ce qu’il avait tort, d’avoir tellement confiance en leurs capacités à se relever de n’importe quoi ? « Et je sais qu’on en est capables. » Quittant ses épaules, les mains d’Hassan avait glissé avec douceur contre les joues de la blonde « Mais je veux pas que tu dises que tu m’as apporté que du tort, t’as aucune idée d’à quel point c’est faux … Quand je t’ai dit que je préférais qu’on ne se voit plus c’était égoïste, c’était parce qu’à ce moment-là je pensais vraiment que te garder dans ma vie me ferait plus de mal que de bien. Et j’avais honte, parce que je croyais que c’était que tu sois heureuse – sans moi – qui me rendait malheureux, et c’était injuste envers toi … Mais au final ça n’a rien changé. J’allais pas mieux, et t’étais pas là, et tu me manquais toujours autant qu’avant, et je … » Sa gorge s’était serrée sans qu’il ne trouve vraiment comment terminer sa phrase, il n’était même pas certain que ce qu’il essayait de dire avait le moindre sens aux oreilles de Joanne. « Ce qui me ferait du tort c’est que tu ne fasse plus partie de ma vie. Et tu l’as dit toi-même, on n’a pas seulement été des époux, on a été des amis, des confidents … on a été tellement de choses. Et pendant tellement longtemps. » C’était les yeux d’Hassan qui brillaient un peu, cette fois-ci. « Tout ce que je voudrais c’est trouver un moyen de te prouver que je suis toujours ce gars en qui tu peux avoir confiance ... Que tu y crois vraiment, là – il avait posé le bout de ses doigts contre le haut de sa poitrine, là où il pouvait sentir battre son cœur – quand je te dis que je serais pas parti si j’avais pas été certain que c’était la meilleure chose à faire. Pas parce qu’on ne s’aimait pas assez, pas parce qu’on n’arrivait pas à avoir cet enfant dont on rêvait, et pas à cause de je ne sais quelle autre raison dont tu te penses responsable … Tout ce que je voulais c’était que tu sois heureuse. » Et c’était toujours ce qu’il voulait, c’était quelque chose qui n’avait pas changé … Parfois il avait seulement l’impression qu’à ses yeux il restait qui l’avait abandonnée, que les raisons ce n’était pas le plus important.
Try not to understand our feeling and would it ever go away
Certes, travailler à nouveau dans un musée permettait à Joanne de revivre un peu plus que ces derniers mois. Mais il y avait un mais. Ce n'était plus le même environnement et elle savait que son poste était temporaire et qu'il n'y aurait pas forcément d'issues. Ca avait un côté angoissant, de se dire qu'elle n'aurait peut-être plus de postes d'ici la fin du mois d'avril. Joanne n'aimait pas avoir un avenir incertain. Elle préférait être dans un milieu sécurisant et sécurisé, bien cadré, comme si tout était tracé. Son mariage avec Hassan avait été un cadre parfait, tout semblait couler de source. Il y en avait également un avec Jamie, mais les lignes étaient moins distinctes et elle avait apprécié sortir de temps en temps des sentiers battus. Mais là, c'était le flou total. Une incertitude qui l'empêchait régulièrement de dormir la nuit. Ou sinon, elle cauchemardait. Hassan voulait se montrer enthousiaste et confiant, en disant à la petite blonde qu'elle avait toutes ses chances de retrouver son ancien poste. Il avait toujours été là pour l'encourager, tout le temps. Pendant leurs études, il était le seul à savoir comment lui donner un peu d'énergie lorsqu'elle avait l'impression de s'en sortir tout comme il savait lorsqu'il fallait qu'elle se change les idées en sortant un petit peu. Joanne lui fit un bref sourire reconnaissant, voyant qu'il n'avait toujours pas changé sur ce point. Puis les chiens étaient venus interrompre la conversation. Elle trouvait que c'était une bonne idée, d'avoir deux chiens. Certes, il fallait deux fois plus de nourriture pour eux, mais être deux les empêchait d'être malheureux, ils n'étaient jamais seuls. Hassan voulait réfléchir à cette décision à tête reposée. Se donner le temps nécessaire pour peser le pour et le contre de la question. La suite de la soirée aurait pu se poursuivre avec tout autant de liberté mais ils étaient revenus sur un sujet de conversation important et primordial, étant donné la situation de leur relation, Ô combien complexe. Joanne avait en effet bien du mal à ne pas faire concorder les fois où Hassan était en colère contre elle et les sentiments qu'il pouvait encore avoir pour elle. C'était peut-être un raisonnement enfantin, mais ça allait de pair à ses yeux, alors que ce n'était absolument pas le cas. Joanne avait fini par croire –et personne ne pouvait le lui reprocher– qu'elle ne faisait que ruiner davantage ce qui leur restait de relation depuis qu'ils s'étaient hasardeusement retrouvés. Et pour elle si, elle ne faisait que ça. Hassan n'attendait pas bien longtemps pour répondre. Joanne leva les yeux surprises vers lui avant de reprendre le cours de sa pensée. Elle en avait conclu que c'était elle qui devait rester éloignée des autres, que personne ne devait l'approcher. Le résultat était là, quoi qu'elle fasse. Elle fermait les yeux lorsqu'il parlait de passage obligé. "Mais on ne sait combien de temps ça durera..." dit-elle tout bas en jouant nerveusement avec ses doigts. "Ca fait plus d'un an que c'est comme ça. Et quand même bien même, il y a des sujets qu'on a abordé et qui ne sont toujours pas résolus non plus." Joanne pensait avant tout à sa fausse-couche, mais il y avait bien d'autres sujets du même genre. C'était tout aussi fatiguant, cette tension constante entre eux, ce climat incertain. Joanne se demandait combien de temps ça allait durer, mais elle savait qu'Hassan n'avait pas plus la réponse qu'elle, malheureusement. Mais il voulait débloquer certaines choses, l'inviter à parler. Cependant, Joanne s'en sentait incapable. Elle ne le pouvait pas et elle le verbalisait une nouvelle fois, finissant par se cacher derrière un bon prétexte initialement suggéré par Hassan afin que ce dernier n'insiste pas. Elle allait certainement le lui dire un jour, mais ce n'était pas pour ce soir-là. Résigné, et certainement bien frustré, il céda à la demande de la petite blonde. Hassan semblait vouloir dire que malgré tout, il était là, en lui serrant la main avec une certaine affection. Joanne l'enlaça, une marque d'affection qu'il semblait ravie de rendre à la petite blonde. Il fit glisser ses doigts dans les cheveux pour les caresser doucement. La jeune femme avait besoin de savoir si lui y croyait, s'il pensait qu'il y avait une issue quelconque à ce qu'ils étaient en train de faire. Si, au final, ça en valait véritablement la peine. La réponse était sans attente, il semblait y croire dur comme fer. Hassan avait délicatement posé ses mains sur ses jours avant de se lancer dans une longue tirade. C'était désormais ses yeux bruns qui devenaient plus humides, sa voix qui tremblait un petit peu plus, tentant tant bien que mal de s'expliquer des points encore flous pour Joanne jusqu'ici. Elle se demandait si c'était une sorte de forme de jalousie, du fait que la petite blonde ait pu être heureuse sans lui, du moins, que ce n'était pas grâce à lui. Il y avait eu quelqu'un d'autre capable de la faire sourire durant son absence. Une forme de colère qui n'avait pas vraiment son nom et qu'il avait préféré garder pour lui parce qu'il en avait honte. A ses yeux, Joanne n'avait pas à se sentir coupable de quoi que ce soit. Et en effet, qu'il lui dise tout ceci servait beaucoup à Joanne. Elle le comprenait un peu plus, il n'avait voulu qu'une seule finalité, et cette finalité ne concernait qu'elle. Il voulait qu'il soit heureuse, et il regrettait amèrement de l'avoir éloigné de lui pendant tout ce temps. Elle n'arrivait pas vraiment à l'aider, à dire ce qu'il pourrait faire pour prouver qu'au fond, il n'avait pas tant changé que ça. Joanne le fixa longuement, avant de le prendre une nouvelle fois dans ses bras. "J'avais besoin d'entendre tout ça." lui souffla-t-elle tout bas avant de lâcher son étreinte. Elle sentait un peu plus légère, même si elle avait toujours ce poids sur ses épaules, celui-ci lui semblait un peu moins lourd qu'avant. "Je m'étais justement demandée si tu voulais encore vraiment de moi dans ta vie, quoi que ce je sois devenue à tes yeux." reconnut-elle avec un sourire nerveux. "Je sais que que tu es quelqu'un de bien. Et je sais que tu es quelqu'un de confiance. L'expérience que tu as vécu t'a peut-être fait changer sur bien des points, mais je ne pense pas que ça puisse atteindre ces valeurs là." Elle lui souriait tendrement. "Tu as toujours été quelqu'un de bien." lui assura-t-elle. "Le plus difficile sera de définir ce que nous sommes tous les deux maintenant. Nous étions mariés, amis, confident. Mais maintenant, on est quoi ?" lui demanda-t-elle. Difficile de se faire à l'idée de devoir se faire une place, de lui trouver un nom. C'était assez bancale, elle ne savait pas sur quel pied danser. D'un sens, il fallait aussi qu'Hassan accepte que Jamie faisait aussi partie de la vie de Joanne. Il restait le père de son fils avant tout, un rôle qu'on ne pouvait pas lui enlever. Elle finit par poser la tête sur son épaule, à garder la main d'Hassan précieusement logé dans les siennes. "J'aimerais aussi que tu sois à nouveau heureux." dit-elle au bout de quelques minutes de silence, bien songeuse. "Je ne suis peut-être pas celle qui y parviendra, mais j'aimerais au moins t'y aider. T'aider à t'accrocher. Malgré la fatigue, cette constante fatigue, je trouve de la force en Daniel. Je me dis qu'il a besoin de moi, autant que j'ai besoin de lui. Et j'ai envie de croire que tu trouveras ces personnes qui t'aideront à tenir le coup quand ça ne va pas, et même à te faire sourire. Je ne suis peut-être pas la personne la plus optimiste qui soit, surtout en ce moment, mais j'ai envie de croire que tu souriras plus à l'avenir. J'ai envie de croire qu'un jour, ce sera derrière nous." C'était un idéal, pour Joanne, un objectif à atteindre. Elle se disait qu'Hassan pourrait s'en sortir, pas elle. "Je ne suis pas certaine que certains de tes proches acceptent le fait que nous restions dans la vie de l'un l'autre." Elle pensait avant tout à Yasmine. Elle doutait que Qasim ne se réjouisse de cette nouvelle également. L'ambiance semblait moins électrique qu'avant, les âmes étaient un peu plus apaisées. La jeune femme restait longuement ainsi, la tête sur son épaule, à regarder dans le vide, à caresser sa main. Une accumulation de fatigue, très certainement. "Tu m'as manquée." lâcha-t-elle tout bas au bout d'un long moment de silence. Parce qu'elle avait eu la soudaine impression de l'avoir un peu retrouvé, à ce moment précis.
Hassan avait toujours été le plus optimiste de leur couple. Atteint d’un optimisme débordant et même parfois presque déroutant, philosophe et souvent guidé par cette idée que rien – même le pire – n’arrivait jamais par hasard. Rien d’étonnant donc à ce que, malgré le temps et les événements ayant miné leur capacité conjointe à positiver, le brun reste celui des deux qui parvenait avec le plus de succès à envisager la lueur au bout du tunnel dans lequel était plongée leur relation actuelle. A ses yeux difficile ne voulait pas dire hors d’atteinte, et au fond même s’il tentait de le garder pour lui et de ne rien laisser paraître le pessimisme de Joanne tandis qu’elle répondait « Mais on ne sait pas combien de temps ça durera … » l’atteignait et lui faisait un peu de mal. Comme si en fin de compte il était le seul à avoir vraiment envie d’y croire. « Ça fait plus d’un an que c’est comme ça. Et quand bien même, il y a des sujets qu’on a abordés et qui ne sont toujours pas résolus non plus. » Il avait secoué doucement la tête, un peu décontenancé par la tendance de la jeune femme à noircir le tableau. « Plus d’un an pendant lesquels on ne s’est pas vus pendant presque six mois, et où on a eu … beaucoup de trucs à gérer. » Lui sa dépression, celle qui l’avait poussé à tenter de mettre fin à ses jours avant de voir en assumer les conséquences avec toute la difficulté que l’on connaissait. Elle la naissance de son fils, et la violence du père de ce dernier à son égard … Pas vraiment les meilleures conditions pour embrayer sur une remise en question commune. « J’ai pas dit que ça se ferait en un claquement de doigts. » avait-il finalement repris « Mais je … Tu ne penses pas que ça vaille la peine ? Même si ça doit être difficile ? » Il regrettait presque de poser la question parce que soudainement il avait peur de la réponse qu’elle pourrait lui donner. De découvrir qu’en fin de compte non, elle n’estime pas que l’idée de parvenir à mettre les choses à plats pour mieux tourner la page ensuite vaille vraiment la peine de se faire violence. Et s’il se pensait capable d’y parvenir s’ils s’y mettaient à deux, il n’était pas certain d’avoir les épaules suffisantes pour porter seul le poids de leurs blessures à tous les deux.
Au fond il avait l’impression de crier sans jamais pouvoir se faire entendre, que le pavé jeté de toutes ses forces dans la mare de leur désespoir commun ne provoquait qu’un vague clapotis à la surface de Joanne, sans qu’elle ne voie – ou ne veuille voir – les efforts qu’il déployait. Parce qu’elle continuait de le blâmer pour un tas de raisons, ou parce qu’elle ne lui faisait plus confiance … Il n’en savait rien, il ne savait même pas ce qui était supposé être le pire entre les deux. Démuni, empli de l’impression impuissante de se battre contre des moulins à vent, il avait laissé le flot de paroles lui échapper et nouer sa gorge de façon si douloureuse que les derniers mots avaient eu toutes les peines du monde à sortir. Et face à Joanne qui ne lui avait offert que le silence en retour il s’était senti profondément seul, et profondément stupide … Comme s’il venait de mettre à nu un morceau de lui-même, pour finalement de mauvaises raisons. Ce silence lui avait semblé durer une éternité, et finalement lorsque la blonde l’avait enlacé à nouveau il lui avait fallu à son tour quelques instants pour réaliser, et réagir en la serrant de la même façon contre lui. « J’avais besoin d’entendre tout ça. » Les mots, murmurés, avaient accéléré un peu son rythme cardiaque tandis que Joanne se détachait de lui. « Je m’étais justement demandée si tu voulais encore vraiment de moi dans ta vie, quoi que je sois devenue à tes yeux. » Elle n’était rien devenue, pourtant. Elle restait Joanne, elle était toujours Joanne. « Je sais que tu es quelqu’un de bien. Et je sais que tu es quelqu’un de confiance. L’expérience que tu as vécue t’a peut-être fait changer sur bien des points, mais je ne pense pas que ça puisse atteindre ces valeurs-là. Tu as toujours été quelqu’un de bien. » Mais il n’était pas dupe, pourtant. Les mots glissaient et s’accrochaient à peine parce que la blonde avait éludé la question. Elle le voyait comme quelqu’un de confiance, mais elle ne lui faisait pas confiance. Plus confiance. Et cela l’atteignait bien plus qu’il ne serait prêt à l’admettre. « Le plus difficile sera de définir ce que nous sommes tous les deux maintenant. Nous étions mariés, amis confidents. Mais maintenant, on est quoi ? » Était-ce si important ? Fallait-il vraiment qu’ils trouvent une petite case dans laquelle ranger leur relation ? Il n’y avait pas de case pour définir ceux qui s’étaient séparés sans cesser de s’aimer, et qui s’aimaient sans plus savoir quoi en faire. Pas de comparaison au lien qui les unissait actuellement. « On est nous … On est nous. » Un murmure, presque timide. Peu importe ce que ce nous pouvait signifier ou impliquer, il n’appartenait qu’à eux.
Lentement la tête de Joanne avait glissé contre son épaule, et laissant son bras entourer celles de la blonde il avait autorisé le bout de ses doigts à glisser le long de son bras avec douceur, sa tête posée contre la sienne. L’un et l’autre semblaient trouver un peu d’apaisement dans ce moment de tendresse silencieux, jusqu’à ce que Joanne ne le rompe d’un ton pensif « J’aimerai aussi que tu sois à nouveau heureux. Je ne suis peut-être pas celle qui y parviendra mais j’aimerais au moins t’y aider. T’aider à t’accrocher. Malgré la fatigue, cette constante fatigue, je trouve de la force en Daniel. Je me dis qu’il a besoin de moi, autant que j’ai besoin de lui. Et j’ai envie de croire que tu trouveras ces personnes qui t’aideront à tenir le coup quand ça ne va pas, et même à te faire sourire. Je ne suis peut-être pas la personne la plus optimiste qui soit, surtout en ce moment, mais j’ai envie de croire que tu souriras plus à l’avenir. J’ai envie de croire qu’un jour, ce sera derrière nous. » Gardant le silence Hassan avait senti son cœur se serrer un peu, parce qu’il ne pensait pas que la comparaison entre Daniel et n’importe lequel de ses proches à lui soit véritablement judicieuse … Un enfant ce n’était pas pareil, c’était un petit être pour qui le monde tournait autour de ses parents et qui avait besoin d’eux parce que c’était dans sa nature. Les gens dont Hassan avaient besoin n’avaient, au fond, pas vraiment besoin de lui. Ils seraient attristés par sa disparition sans doute, il leur manquerait, peut-être … Mais ils n’avaient pas besoin de lui. Et c’était peut-être mieux ainsi, au moins pour eux. Plutôt que de répondre, Hassan simplement laissé échapper un soupir, avant d’entraîner doucement Joanne avec lui tandis qu’il s’installait plus au fond du canapé, la tête de la jeune femme toujours posée contre son épaule. « Je ne suis pas certaine que certains de tes proches acceptent le fait que nous restions dans la vie de l’un l’autre. » Ses doigts caressant toujours le bras de Joanne à intervalles réguliers, il ne s’était pas vraiment laissé perturber par la question « Je ne pense pas que les tiens seront beaucoup plus ravis. » A commencer par son père, sans oublier Jamie qu’Hassan imaginait sans mal beaucoup plus virulent à ce sujet que Yasmine et Martin réunis. « Ils se feront une raison. » avait-il finalement conclu d’un ton calme, mais malgré tout résolu. Hassan n’avait jamais été du genre à sélectionner ses fréquentations en fonction de l’opinion que ses proches pouvaient en avoir, il savait que certaines étaient plus cautionnées que d’autres, plus appréciées que d’autres, mais jamais il n’en avait fait un critère de choix … Il n’allait pas commencer aujourd’hui. Sa main caressant le bras de la jeune femme, celle de Joanne caressant la sienne, ils étaient restés un long moment dans ce silence plus léger, plus agréable que ceux qui les avaient précédés. Hassan se laissait bercer par la respiration de la blonde, ses paupières commençant presque à s’alourdir lorsque sans bouger d’un centimètre elle avait murmuré « Tu m’as manquée. » Lentement sa tête avait tourné, juste assez pour que ses lèvres puissent atteindre la tempe de Joanne et qu’il puisse y déposer un baiser tendre avant de murmurer aussi bas qu’elle « Toi aussi tu m’as manqué. » sans oser bouger, de peur de rompre le calme retrouvé par la jeune femme tandis que lovée contre lui, ses mains avaient enfin cessé de trembler.
Avec l’impression naïve que le temps s’était suspendu, ou tout du moins avait un peu ralenti sa course, ils auraient pu rester là encore un moment si une odeur d’abord légère, à peine perceptible, était finalement venue chatouiller leurs narines de façon vaguement déroutante … puis véritablement désagréable « Le chili ! » L’exclamation leur était venue quasiment simultanément en écho, et bondissant simultanément du canapé ils avaient couru jusqu’à la cuisine, Joanne retirant le wok de la plaque de cuisson tandis qu’Hassan ouvrait la fenêtre en grand pour aérer et empêcher le déclenchement du détecteur de fumée, qui n’aurait pas manqué de réveiller Daniel, et pas de la manière la plus agréable. A nouveau il y avait eu un silence d’une seconde ou deux, comme s’ils jaugeaient la situation, et finalement presque malgré lui Hassan avait laissé échapper un rire. D’abord un peu hésitant, presque comme s’il n’y croyait pas trop lui-même, et puis finalement plus franc, de ce genre de rire communicatif qui ne laissait jamais personne de marbre bien longtemps et qui avait fini par atteindre la jeune femme également, desserrant au passage un peu le nœud constamment serré dans l’estomac du brun. Il n’y avait rien de particulièrement drôle, pourtant, c'était probablement nerveux et cela ressemblait plutôt à une soupape de sécurité que venait d’ouvrir l’aspect cocasse de la situation … Mais peu importe, Hassan avait la sensation d’avoir retrouvé un peu de la légèreté avec laquelle il était arrivé chez Joanne et que trop d’émotions d’un seul coup lui avaient fait perdre. Retrouvant malgré tout enfin son calme, il s’était rapproché de Joanne pour observer lui aussi les dégâts éventuels de leur étourderie culinaire « Ça va, je crois qu’il n’y a que ce qui est tout au fond qui est un peu brûlé … Mais je nous ai quand même connus moins tête en l’air dans une cuisine. » Esquissant un sourire léger, il avait récupéré le wok tandis que Joanne attrapait un plat dans un des placards. Avec une cuillère en bois il avait versé dans le plat tout ce qui n’avait pas été trop cuit, soit une grande partie, avant de tenter vaguement de racler ce qui avait brûlé au fond « Je t’aiderai à faire la vaisselle, pour me faire pardonner de t’avoir déconcentrée de ta cuisine. » Adressant un clin d’œil, tous les deux sachant bien que la vaisselle n’étant de base pas sa tâche ménagère favorite, il avait malgré tout commencé à faire couler un peu d’eau au fond du wok pour limiter les dégâts, tandis que la blonde dressait la table. « Tu sais … je crois que ça faisait une éternité que je n’avais pas ris. Vraiment ris, je veux dire. » Cela devait sembler bête, dit ainsi. « Ça fait du bien. » Peut-être que cela lui avait fait du bien à elle aussi. Il l’espérait du moins.
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Hassan faisait de son mieux pour relativiser au possible, pour faire réaliser à Joanne que le meilleures conditions étaient loin d'être réunies afin qu'ils puissent tourner correctement la page, en bonne et due forme. Parce que ça valait le coup, c'était certain. La jeune femme avait du mal à apercevoir tout ceci pour le moment parce qu'elle avait l'impression qu'ils ne s'en sortaient pas et que la galère était très loin d'être terminée. De manière globale, elle n'arrivait plus à faire preuve d'optimisme. Cela dépitait le beau brun, qui ne devait certainement plus beaucoup reconnaître son ex-femme dans la blonde qu'il avait en face de lui. Elle aussi, avait beaucoup changé. Il avait même peur qu'elle ait totalement perdu espoir les concernant. “Bien sûr que si, que ça vaille la peine." répondit-elle en levant ses yeux brillants vers lui. "C'est juste que c'est... bizarre que ça soit si... difficile." souffla-t-elle. Tout avait été toujours si simple entre entre eux pendant toutes ces années. Ce vif tournant était un passage particulièrement difficile pour elle. Et comme Hassan l'avait supposé, elle pensait que tout ceci allait au détriment de l'affection qu'il pouvait avoir pour elle. "Mais je veux pas te lâcher. C'est hors de question." dit-elle d'un ton plus déterminé, afin qu'il ne doute pas de sa sincérité.[color:e954= #006699]"Je t'ai déjà perdu une fois, je veux pas que ça arrive de nouveau." ajouta-t-elle. C'était une expérience bien trop douloureuse et elle ne voulait pas le voir partir une nouvelle fois. "Tu... Tu comptes énormément pour moi." Il avait été son premier amour, le premier coup de coeur, son fiancé, son époux. Ils avaient vécu ensemble pendant neuf ans et elle ne voulait certainement pas rayer cette partie là de sa vie en le tenant éloigné d'elle. Suite à quoi, Hassan se confiait à elle, il tenait à exposer son point de vue, sa manière de voir les choses vis-à-vis de leur relation. Il n'appréciait pas le long silence imposé par Joanne, qui ne trouvait tout simplement pas les mots tant elle était touchée par ses paroles. Il prit un certain temps à réaliser qu'elle l'enlaçait, avant de rendre la pareille. Mais il ne fut pas particulièrement loquace face aux paroles de Joanne. Celle-ci venait à se demander si elle avait dit quelque chose qu'il ne fallait pas. Elle sourit doucement à sa réponse. "On est nous." répéta-t-elle tout bas. Etrangement, elle qui avait toujours aimé que certaines choses soient bien définies, bien casées, elle retirait une certaine satisfaction de la réponse d'Hassan. Le genre de réponse qui correspondait parfaitement au tempérament du beau brun. Une fois que toutes ces choses étaient dites, l'ambiance se fit moins pesante et oppressante. C'était même presque agréable, au moment où Joanne s'était permise de poser sa tête sur l'épaule du brun. Après un long moment de silence, elle avait repris parole. Encore une fois, Hassan ne trouvait rien à dire. Et, encore une fois, Joanne se demandait si elle avait encore fait un pas de travers. "Mes parents et moi, nous ne sommes plus vraiment sur la même longueur d'ondes depuis quelques années." soupira-t-elle songeuse. "Ca ne me surprend plus vraiment qu'ils soient en désaccord avec moi. Ca me blesse, mais il refuse d'entendre mon point de vue à moi." Hassan savait que son ex-femme avait été un peu trop protégée, beaucoup trop même, par l'ensemble de sa famille. Il n'y avait que sa grand-mère qui lui accordait bien plus de libre-arbitre. C'était la petite dernière, il fallait la préserver avant tout. Et Joanne avait la sensation que son père avait repris cette fâcheuse habitude. "J'avoue que je me fiche un peu de leur avis. Je sais ce que je veux. Et ce que je veux, c'est t'avoir dans ma vie." Elle craignait plus pour Hassan, de ce que diraient Yasmine, surtout. Joanne ne dirait pas qu'elle avait peur d'elle, mais leur précédente conversation l'avait largement refroidi et elle ne voulait que ce soit le brun qui en subisse les conséquences. Il embrassait délicatement sa tempe alors que le climat continuait de s'apaiser. Elle était bien là, blottie contre lui, appréciant la moindre de ses caresses. Ils étaient même un peu trop bien, pour vouloir traîner aussi longtemps dans le canapé, vautrés au possible. Si bien qu'une odeur finit par se faire suspecte. Il fallut quelques secondes pour redescendre sur terre et réaliser que le plat minutieusement préparé plutôt était en train de cramer. Ils y pensaient quasiment en même temps et se précipitèrent tant bien que mal vers la cuisine pour limiter les dégâts. Toute la pièce était enfumée, Hassan se chargeait notamment d'ouvrir les fenêtres pour aérer au maximum. La situation, bien qu'elle n'avait rien de comique, les fit rire. Ca restait amusant, d'une manière ou d'une autre. Joanne en avait même les larmes aux yeux, tant elle riait, alors qu'Hassan tentait de sauver un maximum de chili. "Oh, il y a bien quelques fois où on a été quelque peu distrait." lui lança-t-elle avec un regard complice. Entre les quelques baisers échangés, ou les quelques moments où ils étaient tendres avec l'un ou l'autre, ou plus joueurs. Ils n'avaient effectivement jamais laissé autant cramer un plat, mais il y avait quelques fois où ils en étaient pas bien loin. "Toi ? La vaisselle ?" lui demanda-t-elle surprise, en ne manquant pas de pouffer de rire. "Tu es un homme changé." Parce que s'il y avait bien une tâche ménagère qu'il n'aimait pas faire, c'était bien ça. Il utilisait bien des subterfuges pour y échapper. "Non, mais ça devrait aller. Je ne voudrais tout de même pas que tu finisses traumatisé de cette soirée." dit-elle d'un ton exagéré, en riant une nouvelle fois à la fin de sa phrase. Hassan confessa qu'il n'avait pas autant ri depuis longtemps. La jeune femme lui sourit avec tendresse, particulièrement touchée qu'il ait pu avoir droit à ce moment de bonheur et de légèreté avec elle. Elle lui caressa tendrement la joue. Ca lui faisait repenser à ce qu'elle avait dit un peu plus tôt, le souhait qu'elle avait de le voir à nouveau heureux. Là, Joanne pouvait constater d'elle-même qu'ils avaient toutes les cartes en main pour passer de bons moments ensemble, même s'ils n'avaient pas encore tout mis à plat. Ils le pouvaient, être un peu comme avant. Etre à nouveau complices comme ils l'étaient. Elle le prit une nouvelle fois dans ses bras. "Je crois que ça fait aussi un petit moment. Mes zygomatiques n'y sont plus vraiment habitués." lança-t-elle tout bas, tout en l'étreignant tout contre elle. "Tu sais quoi ?" dit-elle quelques minutes plus tard. "Je pense qu'on devrait vraiment manger ce chili, sinon on va râler parce qu'il sera trop froid. Du cramé trop froid." Après un échange de sourires, ils s’installèrent à la table de la salle à manger pour déguster le fameux chili. Le début du repas était relativement calme – ça ne devait pas être aussi mauvais que ça, même si c’était un tout petit peu trop cuit. “Par rapport à ce que tu me disais tout à l’heure…” commença-t-elle en déposant ses couverts au bord de l’assiette. “Je te fais confiance. Je t’ai toujours fait confiance.” Son regard était on ne peut plus sincère. “Ce n’est pas ce qui a pu se passer ces dernières années qui m’a fait douter de toi.” Elle haussa timidement les épaules. “Je t’ai toujours fait confiance. Tu ne m’as jamais trahie ou donné de raisons de douter de toi. ” Elle fit un vague sourire, se demandant alors si lui la croyait encore, si lui lui faisait encore confiance. Il fallait que ça fonctionne dans les deux sens, pour qu'ils parviennent à tourner ensemble cette fameuse page. Joanne se disait que son chili était plutôt, pour un plat qui s'était fait oublier sur le feu. “J’espère que tu as encore faim, j'avais prévu un fondant au chocolat.” reprit-elle d'un ton plus léger, un sourire complice aux lèvres. Elle ne savait pas si c'était la discussion précédente qui l’avait apaisé, mais Joanne se sentait mieux. C'était presque salvateur pour elle. A moins que ce ne soit la présence même d’Hassan qui la rassure, comme cela avait été toujours le cas durant leurs nombreuses années de vie commune.
Hassan lui n’était pas étonné que les choses soient difficiles. Elles l’étaient depuis trois ans, elles l’étaient depuis le soir où il avait rassemblé quelques affaires et demandé l’asile temporaire chez Sohan, incapable d’écouter les sanglots de Joanne à l’étage du dessus tant ils lui déchiraient le cœur, et désireux de ne plus imposer à la blonde une présence sous leur toit qu’elle devait s’être mise à exécrer. Les choses étaient difficiles depuis que d’un doux rêve leur mariage s’était transformé en mirage ancien, en songe dont on se demandait comment il avait pu si mal se terminer, quand les sentiments eux ne s’étaient pas volatilisés. « Mais je ne veux pas te lâcher. C’est hors de question. Je t’ai déjà perdu une fois, je ne veux pas que ça arrive à nouveau. Tu … Tu comptes énormément pour moi. » Le méli-mélo de sensations dans son abdomen était à nouveau là et l’empêchait de rester uniquement rationnel … Mais rationnel, vraiment ? Rien dans cette conversation n’était rationnel, rien dans sa présence chez Joanne ne l’était, alors à quoi bon continuer de s’intéresser à l’arbre qui cachait la forêt. Cela faisait aussi peu sens que lorsque Joanne cherchait à tout prix à labelliser leur relation, alors même qu’elle sortait entièrement des sentiers battus, Hassan incertain d’être vraiment parvenu à lui faire comprendre où il voulait en venir en préférant se contenter du fait qu’ils soient « eux » … Juste, eux. « On est nous. » avait-elle malgré tout répété, un fin sourire étirant ses lèvres. Cela n’apporterait pas subitement de réponse aux nombreux questionnements toujours en suspens dans leur relation, mais l’objectif n’était pas là … Joanne n’était pas qu’un questionnement aux yeux d’Hassan, contre toute attente elle faisait même office de solution à certaines de ses remises en question actuelles. Leur passif avait quelque chose de rassurant, et dans le tumulte de ce qu’était sa vie ces derniers mois le rassurant était tout ce dont il pensait avoir besoin … Il avait besoin de Joanne, en définitive, et ne se heurtait qu’à la promesse faite à lui-même de ne pas espérer plus que ce que la blonde acceptait de lui offrir. Comme ce brin d’affection tandis qu’elle venait se blottir contre lui, s’inquiétant du remue-ménage potentiel que pourrait créer chez leurs proches respectifs un nouveau rapprochement entre eux. « Mes parents et moi, nous ne sommes plus vraiment sur la même longueur d’ondes depuis quelques années. Ça ne me surprend plus vraiment qu’ils soient en désaccord avec moi. Ça me blesse, mais ils refusent d’entendre mon point de vue à moi. » Un discours qui rappelait désagréablement à Hassan le comportement des Khadji vis-à-vis de leur aîné, et faisait espérer le brun que les parents de Joanne se rendraient compte plus rapidement qu’eux de ce qu’ils avaient à perdre à tenter de façonner leur benjamine contre sa volonté. « J’avoue que je me fiche un peu de leur avis. Je sais ce que je veux. Et ce que je veux, c’est t’avoir dans ma vie. » Un mince sourire s’étirant sur ses lèvres tandis qu’Hassan baissait un peu le regard vers elle, il n’avait rien répondu, se contentant d’assimiler ce qu’il aurait pourtant pensé ne plus entendre avec autant de certitudes après l’intervention de Martin et la conversation qui s’en était ensuite suivie entre la blonde et lui.
Suspendue, la réalité leur avait subitement sauté au visage à nouveau quand leur repas du soir avait manqué totalement partir en fumée, provoquant au passage et bien que cela n’ait pas le moindre sens un fou rire chez l’un, puis également chez l’autre, et faisant ainsi définitivement redescendre la pression d’un cran. Reprenant son souffle, et retrouvant tant bien que mal suffisamment de sérieux pour retrouver l’usage de la parole, il terminait de sauver ce qui pouvait encore l’être de leur repas, accueillant simplement d’un sourire narquois le « Oh, il y a bien quelques fois où on a été quelque peu distraits. » lancé par Joanne, et haussant les épaules avant de répondre d’un ton faussement innocent « Mais vous oubliez très chère que je suis quelqu’un de diablement sérieux, et que c’est vous qui avez toujours eu tendance à un peu trop me distraire. Et pas uniquement dans une cuisine. » Adressant un clin d’œil amusé, il avait laissé la blonde s’occuper de dresser la table tandis qu’il grattait les haricots brûlés au fond du wok, jetant à la poubelle ce qui pouvait l’être et décrétant que le reste partirait à la vaisselle, pour laquelle il acceptait de faire sa part par bonne volonté plus que par goût pour cette tâche ménagère. « Toi ? La vaisselle ? Tu es un homme changé. » Agitant la tête de manière un peu théâtrale il avait soupiré « J’ai bien essayé de dresser Spike à me filer un coup de main, mais il n’y met pas beaucoup du sien jusqu’à présent. » du même ton gentiment moqueur. « Non, mais ça devrait aller. Je ne voudrais tout de même pas que tu finisses traumatisé de cette soirée. » Plissant le nez avec une pointe d’amusement, il avait remué machinalement le chili dans le plat, marquant une pause hésitante et avouant finalement à Joanne qu’un fou rire comme celui-ci, ou même simplement le fait de pouvoir produire un rire franc, ne lui était pas arrivé depuis un moment. Le constat pouvait sembler un peu triste extérieurement, mais faisait état d’un vrai progrès aux yeux d’Hassan. « Je crois que ça fait aussi un petit moment. Mes zygomatiques n’y sont plus vraiment habitués. » Troublé comme à chaque nouveau geste d’affection de Joanne envers lui, il avait esquissé un sourire et déposé un baiser sur son front tandis qu’elle se détachait de lui après l’avoir serré quelques instants dans ses bras. « Il parait que c’est comme le vélo, ça ne s’oublie jamais vraiment. » L’habitude était simplement plus ou moins longue à récupérer. Et dans leur cas à tous les deux elle l’était, sans aucun doute. « Tu sais quoi ? Je pense qu’on devrait vraiment manger ce chili, sinon on va râler qu’il sera trop froid. Du cramé trop froid. » Acquiesçant d’un signe de tête, la lâchant presque à regret, il avait suivi Joanne jusqu’à la table et déposé le plat au milieu avant de s’installer en face d’elle.
Seul le brin de fraîcheur encore un peu présent dans la pièce après qu’il ait aéré témoignait toujours de la catastrophe culinaire qu’ils avaient évité de peu, et le début du repas c’était fait dans un relatif silence, l’un et l’autre se contentant d’apprécier le repas qu’ils avaient préparé. Tantôt pensif, tantôt profitant simplement du calme de l’instant, Hassan avait posé sur Joanne un regard interrogateur tandis qu’elle reprenait la parole d’un ton hésitant « Par rapport à ce que tu me disais tout à l’heure … » La questionnant du regard, incapable de savoir à ce à quoi elle faisait référence, il l’avait laissée continuer « Je te fais toujours confiance. Tu ne m’as jamais trahie ou donné de raisons de douter de toi. » Il l’avait fait pourtant. Il avait trahi, et rompu LA promesse que représentait leur mariage, et il ne demandait même pas que Joanne l’oublie au fond … Elle n’oublierait pas, et lui non plus. Il espérait simplement qu’un jour ce divorce ne soit plus une excuse derrière laquelle se cacher pour remettre en cause le dévouement qu’il avait envers elle. « J’ai juste … l’impression d’être constamment en sursis vis-à-vis de toi. » Il ne savait pas trop comment expliquer son point de vue, dans sa tête les choses étaient claires, mais probablement beaucoup moins aux yeux de Joanne « Mais ce n’est pas ta faute. C’est simplement encore plus difficile de se pardonner soi-même que de demander le pardon de quelqu’un … » Piquant machinalement le bout de sa fourchette dans les quelques haricots qui traînaient au fond de son assiette, il avait fini par demander du bout des lèvres « Tu penses qu’un jour tu réussiras à me revoir autrement que comme l’homme dont tu as divorcé ? » Ou à le regarder à nouveau comme l’homme qu’elle avait aimé, plutôt que comme l’homme qu’elle n’aimait plus … Il n’osait plus l’espérer et pourtant l’idée restait comme bloquée dans un coin de son esprit. Baissant à nouveau les yeux en réprimant un soupir, il avait terminé les quelques haricots traînant dans son assiette en s’interdisant de laisser à nouveau sa grisaille intérieure guider ses mots. « J’espère que tu as encore faim, j’avais prévu un fondant au chocolat. » Retrouvant une ébauche de sourire, il avait à son tour déposé ses couverts à côté de son assiette avant d’acquiescer « Tu sais bien que je ne dis jamais non à du chocolat. » Et puisqu’elle se levait pour débarrasser il en avait fait de même, emportant son assiette et ses couverts jusqu’à l’évier. Joanne s’était occupée de sortir le dessert, et appuyé contre le plan de travail Hassan l’avait suivie des yeux avant de hasarder « Maintenant que tu t’es fait la main dans ma cuisine, et moi dans la tienne … Je me dis que la prochaine fois on devrait sortir dîner dehors, quelque part. Histoire de boucler la boucle. » tout en l’observant avec attention. « Enfin, si tu en as envie. »
Try not to understand our feeling and would it ever go away
Bien sûr que Joanne avait des dizaines de question, bien sûr qu'elle aurait préféré pouvoir définir leur relation, leur état d'esprit à chaque fois qu'ils se voyaient. Mais c'était indescriptible. Elle restait une personne particulièrement rêveuse, qui aimait s'évader grâce à son imagination – quoi que cet aspect chimérique de sa personnalité s'était largement atténué depuis plusieurs mois –, mais elle appréciait que certaines choses soient cadrées et concrètes. C'est pourquoi sa relation avec Hassan en était d'autant plus déroutante et c'était frustrant pour elle d'être parfaitement incapable de trouver ne serait-ce qu'un seul mot pour se définir, alors qu'avant, tout était évident, absolument tout. Elle savait qu'au fond, le beau brun n'appréciait pas que Joanne puisse être en conflit avec ses parents. Sa relation avec eux était véritablement dents de scie, sans de pics francs de positif. Et Joanne en avait assez qu'ils soient constamment contre sa volonté depuis qu'elle avait divorcé. Peut-être qu'ils voulaient à nouveau la protéger autant qu'ils le faisaient lorsqu'elle était enfant, mais cette technique là ne fonctionnait plus vraiment. Joanne se refermait comme une coquille d'huître auprès de tout le monde désormais, même avec son ex-mari. Tout ça parce qu'elle avait l'impression que si elle ne disait qu'un seul mot de sa pensée, tout volait en éclat, et rien ne restait. S'en suivait tout un sentiment de culpabilité et de remords, alors autant qu'elle se taise et qu'elle garde tout pour elle. Elle en avait assez de faire souffrir les autres et de se faire tout autant de mal par la suite. Après ce fou rire commun qu'ils eurent pendant quelques minutes, ils peinèrent à retrouver un peu de leur calme. Le genre de moment qui faisait toujours beaucoup de bien, même si Joanne était vite rattrapée par tout ce qui pouvait bien la tracasser. "Je n'ai pas un franc souvenir que vous étiez diablement sérieux, Monsieur. Si ce n'est durant vos cours auxquels j'assistais sans véritable discrétion." lui rétorqua-t-elle d'un ton amusé, se souvenant parfaitement de cette période de leur vie commune qui était particulièrement amusante pour elle, et pour lui aussi d'ailleurs. Le bon temps. "Pourtant je suis certaine que l'assiette sera très très propre si tu lui laisses bien le temps de la lécher comme il se doit." Cette image lui rappelait le film de Blanche-Neige, où tous les animaux de la forêt faisaient la vaisselle de manière bien peu hygiénique. Mais cela n'avait jamais dissuadé les nains d'y manger dedans après coup. Hassan et Joanne dînèrent ensuite ensemble, sans beaucoup d'échanges. Mais cela n'était pas particulièrement dérangeant. Mais la jeune femme voulait quand même lui préciser au bout d'un moment, qu'elle lui faisait toujours confiance. Il avait cet attribut particulier que, malgré tout, Joanne croyait en lui, tout comme elle continuait encore un peu à croire en Jamie. La jeune femme ne comprenait pas ce qu'il voulait lui dire, lorsqu'il avait repris la parole. Elle ne savait pas si elle devait bien le prendre ou pas, si elle devait être blessée ou révoltée, ou si elle devait être le tout à la fois. Incertaine, elle préférait se murer dans son silence une nouvelle fois par rapport à ce sujet. Pour le coup, elle ne parvenait pas à le comprendre. Peut-être qu'elle n'y parvenait tout simplement plus depuis qu'ils se revoyaient. "Est-ce que tu en as envie ?" finit-elle par demander timidement. "D'être pardonné. Que je te pardonne, et que tu te pardonnes à toi, est-ce que tu en as envie ?" Parce qu'elle avait l'impression que non, qu'il voulait à tout prix poursuivre le reste de sa vie avec ce poids sur ses épaules – et c'était certainement l'une des raisons pour lesquelles il ne cherchait peut-être plus à être en couple. "Je ne sais pas vraiment comment te voir, pour être honnête. Il y a juste... plein de trucs dans ma tête quand je te vois." confessa-t-elle en posant sa fourchette dans l'assiette. Ses doigts se mirent à jouer nerveusement sous la table, loin du regard d'Hassan. "Tout comme je ne sais pas ce que je suis par rapport à toi, par rapport à n'importe qui. Je ne sais même pas ce que je suis, ni que je suis, par rapport à moi." Un trouble identitaire dont elle était incapable de se défaire depuis quelques années maintenant. "Quand je me regarde dans un miroir, je ne sais pas ce que je vois. Le seul truc que je sais, c'est que j'ai horreur de ce que je vois." Elle baissa les yeux. "Et même, quand je te vois toi, ce n'est pas la première chose que je me dis. Je ne me dis pas "tiens, c'est celui qui s'est séparé de moi." Oui, j'ai été blessée – nous l'avons été tous les deux –. Une partie de moi t'en voulait, mais la plus grande t'aimait encore énormément. Et je n'arrivais pas à être en colère contre toi, je n'arrivais pas à te détester, je peux pas." Joanne n'arrive pas à le détester, malgré le divorce. Malgré qu'il ait voulu mettre fin à la plus belle des promesses de toute une vie. Hassan savait à quel point Joanne pouvait être romantique, à quel point le mariage était d'une importance hors-norme à ses yeux et que c'était bien la dernière chose à négliger ou à prendre à la légère. "La première chose à laquelle je pense lorsque je te vois, c'est ... Ca me rappelle toutes ces années qu'on a passé ensemble, ça me rappelle celui dont je suis littéralement tombée sous la charme alors que j'avais à peine foulé le sol de l'université. Les premières choses qui me viennent en tête sont loin d'être négatives, et je mentirai si je disais que ça ne manque pas. Mais je n'ai pas la moindre rancoeur. Va falloir faire un peu plus que ça pour que ça soit le cas." dit-elle en terminant avec un léger sourire amusée. "J'essaie de ne plus trop penser au divorce. J'utilise le peu d'optimisme qu'il me reste juste pour me focaliser sur tout ce qui s'est passé avant le jour où tu m'as demandée que l'on se sépare. Je ne veux plus penser à ce jour-là, parce qu'il y a bien trop de choses que je regrette, que j'aurai du faire et que je n'ai pas pu, pas voulu. Si j'y repense de trop, je pense que je ne serai plus que bonne à être internée." Un vague sourire triste étira légèrement ses lèvres, pensant réellement qu'elle pourrait perdre la tête si elle y songeait de trop. "Je pense que nous ne serions pas là à discuter si je ne te voyais que comme l'homme dont j'ai divorcé." conclut-elle avec un rictus plus franc. Ils avaient tous les deux la volonté de se retrouver, d'une manière ou d'une autre. Rares sont les couples divorcées qui parviennent à renouer un tant soit peu, même si ce fut particulièrement compliqué pour Joanne et Hassan. La petite blonde n'osait pas vraiment lui retourner la question. Encore une fois, elle avait peur de ce qu'elle pourrait entendre, de ce qu'il pouvait penser d'elle après tout ce qui s'était passé. Et s'il la résumait tout simplement à celle qui ne s'était pas battue pour sauver son couple, tout comme Yasmine ? Au fond, elle savait qu'il n'y avait pas que ça, sinon il n'aurait pas accepté l'invitation et ne serait jamais venu chez elle. Quand bien même, elle n'était pas sûre d'apprécier et d'accepter ce qu'il dirait. Il était alors temps de prendre le dessert, et Hassan ne cachait pas son enthousiasme à l'idée de manger un fondant au chocolat. Joanne s'y attella pendant que lui débarrassait sa propre assiette. Il restait avec elle dans la cuisine le temps qu'elle prépare le tout. Ses yeux illuminés se levèrent sur Hassan lorsqu'il proposait de se revoir. Qu'importe l'endroit, il voulait la revoir. Elle ne parvint pas à retenir son sourire à la fois ravi et touché. "J'adorerai qu'on dîne ensemble dehors, oui." répondit-elle, les yeux pétillants, soulagée qu'il ait la volonté de la revoir. "Surtout que maintenant, j'ai une baby-sitter de compétition, donc je suis assez flexible au niveau des soirées. On parviendra bien à nous trouver une date dans nos emplois du temps de ministre." dit-elle en lui faisant un clin d'oeil alors qu'elle mettait le fondants en devenir au four. C'était à la minute près, elle restait alors près du four pour garder un oeil sur les petits gâteaux. "Promis, je ferai un effort vestimentaire." dit-elle en riant, regardant la tenue qu'elle avait sur elle. Il était vrai qu'il y avait beaucoup plus de laisser-aller depuis la naissance du petit, alors Joanne profitait de la moindre occasion particulière pour prendre un peu plus soin d'elle, lorsque le coeur lui en disait. Cette fois-ci, Joanne n'oubliait pas les fondants. Comme pour les gaufres, c'était un dessert qu'elle savait bien faire. Elle présenta le tout avec soin dans des petites assiettes. "Je suis contente, qu'on puisse se revoir, et qu'on ait envie de se revoir. Ca me fait plaisir." Ca comptait énormément pour elle qu'ils y parviennent, bien que ce soit particulièrement laborieux. Ils retournèrent à table pour manger tranquillement leur dessert, et, encore une fois, les assiettes se vidaient avec une aisance déconcertante. "Où est-ce que tu voudrais aller manger, la prochaine fois ? Tu as une envie particulière ?" Ils sortaient régulièrement ensemble, tous les deux, appréciant essayer des nouveaux restaurants donts ils avaient entendu parlé quelque part.
L’un des rares aspects positifs qu’Hassan trouvait à ce qu’il était devenu, c’était cette capacité à compartimenter les choses dans son esprit, à séparer les choses, les faits, les événements, parfois même les sentiments. C’était ce qui venait de lui permettre de rire de bon cœur sans se laisser parasiter par la douleur qu’avaient provoqué un peu plus tôt les insinuations de Martin, et les accusations de Joanne. Elles étaient toujours là, calfeutrées dans un coin de sa tête en attendant d’être digérées, acceptées – ou non – mais faute de savoir comment les gérer dans l’immédiat Hassan les avait reléguées dans un coin pour mieux les ignorer. Le psy qu’il était toujours forcé de voir appellerait probablement cela de la lâcheté – en d’autres termes, sans doute – mais Hassan lui n’y voyait qu’un réflexe de survie, une façon bien à lui d’éviter d’en revenir à des extrémités aussi radicales que celles ayant conduit sa voiture contre un arbre de Bayside un an plus tôt. Il se sentait léger de rire, et d’entendre Joanne rire de la même manière, et pensait pour l’instant pouvoir se contenter de ce simple fait. « Je n’ai pas un franc souvenir que vous étiez diablement sérieux, Monsieur. Si ce n’est durant vos cours auxquels j’assistais sans véritable discrétion. » Le souvenir lui avait arraché un sourire doux, et empreint d’une certaine nostalgie « Ma principale source de déconcentration, et de loin. » Il donnait le change, la plupart du temps, mais la vérité c’est que lorsque Joanne était dans la pièce Hassan n’avait toujours été capable que de la voir elle, elle et rien d’autre. Moqué sur son dégoût pour la vaisselle, utilisant son chien comme ressort comique, le brun avait à nouveau laissé échapper un rire quand Joanne avait rétorqué « Pourtant je suis certaine que l’assiette sera très très propre si tu lui laisses bien le temps de la lécher comme il se doit. » Et finalement rejoint avec elle la table du repas pour faire honneur à celui qu’ils avaient préparé. Occupés à manger ils avaient gardé le silence un moment, la blonde ne le troublant finalement que pour lui assurer avoir toujours ce brin de confiance pour lui qu’il croyait pourtant avoir perdu de manière définitive. Et en fin de compte si l’envie de la croire sur parole était tentante Hassan ne parvenait pas à se défaire de cette impression que Joanne attendait simplement la moindre nouvelle erreur de sa part pour la lui jeter à la figure. Pour lui asséner un « je savais bien que je ne pouvais pas te faire confiance » dont la simple éventualité lui serrait le cœur et lui retournait l’estomac « Est-ce que tu en as envie ? » Il avait relevé vers elle un regard interrogatif « D’être pardonné. Que je te pardonne, et que tu te pardonnes à toi, est-ce que tu en as envie ? » Il avait l’impression d’entendre à nouveau Yasmine, d’écouter à nouveau la brune lui demandait s’il avait envie d’être là, vivant, quand pourtant il connaissait déjà la réponse et le fait qu’elle ne lui plaisait pas. « C’est pas aussi simple … » avait-il alors simplement soupiré, en secouant légèrement la tête. « C’est pas seulement une question de volonté. » Sans quoi la chose aurait déjà été réglée, Hassan voulait qu’elle se règle … Mais, à raison ou non, il avait toujours l’impression de voir ce brin de méfiance chez Joanne lorsqu’elle posait les yeux sur lui, parfois, et ça ce n’était pas sa volonté qui suffirait à le faire disparaitre.
Il aurait aimé pouvoir la questionner à ce sujet, tenter de savoir ce qu’elle espérait de lui, ce qu’il était censé faire pour toucher du bout des doigts l’espoir qu’elle le regarde à nouveau comme elle l’avait regardé pendant tant d’années … Il aurait aimé, mais il n’osait pas, coincé entre la peur de la brusque et cette promesse à double-tranchant de ne pas en demander plus que ce qu’elle était prête à lui accorder d’elle-même. « Je ne sais pas vraiment comment te voir, pour être honnête. Il y a juste … plein de trucs dans ma tête quand je te vois. Tout comme je ne sais pas ce que je suis par rapport à toi, par rapport à n’importe qui. Je ne sais même pas ce que je suis, ni qui je suis, par rapport à moi. » Un sentiment qu’il ne comprenait que trop bien, et qu’il partageait tout autant. Oubliant le contenu de son assiette et le potentiel dessert, le brun écoutait Joanne avec un mélange d’attention et de crainte « Quand je me regarde dans un miroir, je ne sais pas ce que je vois. Le seul truc que je sais, c’est que j’ai horreur de ce que je vois. Et même, quand je te vois toi, ce n’est pas la première chose que je me dis. Je ne me dis pas "tiens, c’est celui qui s’est séparé de moi." Oui, j’ai été blessée – nous l’avons été tous les deux – une partie de moi t’en voulait, mais la plus grande t’aimait encore énormément. Et je n’arrivais pas à être en colère contre toi, je n’arrivais pas à te détester, je peux pas. » Elle passait du passé au présent, sautait de l’un à l’autre au fil de ses phrases, si bien qu’Hassan ne savait plus ce qu’il devait croire ou pas, espérer ou non. « La première chose à laquelle je pense lorsque je te vois c’est … Ça me rappelle toutes ces années qu’on a passé ensemble, ça me rappelle celui dont je suis littéralement tombée sous le charme alors que j’avais à peine foulé le sol de l’université. Les premières choses qui me viennent en tête sont loin d’être négatives, et je mentirai si je disais que ça ne me manque pas. Mais je n’ai pas la moindre rancœur. Il va falloir faire un peu plus que ça pour que ce soit le cas. » Vraiment ? « J’essaie de ne plus trop penser au divorce. J’utilise le peu d’optimisme qu’il me reste juste pour me focaliser sur tout ce qui s’est passé avant le jour où tu m’as demandé qu’on se sépare. Je ne veux plus penser à ce jour-là, parce qu’il y a bien trop de choses que je regrette, que j’aurai du faire et que je n’ai pas pu, pas voulu. Si j’y repense de trop, je pense que je ne serai plus que bonne à être internée. » Il avait secoué la tête, ses lèvres se pinçant légèrement en désapprobation face à cette façon qu’elle avait de s’auto-condamner. « Je pense que nous ne serions pas là à discuter si je ne te voyais que comme l’homme dont j’ai divorcé. » Le sourire rendu hésitant par les battements de son cœur qui accéléraient un peu et sa fébrilité certaine, Hassan avait laissé les mots filer sans réfléchir « Et l’homme dont tu es tombée amoureuse ? » Est-ce qu’elle le voyait toujours là, quelque part ? Est-ce qu’il existait toujours à ses yeux ? Pinçant ses lèvres l’une contre l’autre, regrettant déjà d’avoir laissé la question lui échapper, il avait secoué la tête « Non … Ne réponds pas. » Il n’était pas certain de vouloir entendre la réponse, de toute façon … Autant qu’elle ne se torture pas l’esprit avec ça.
Ramassant son assiette pendant que la blonde en faisait de même, ils avaient rejoint à nouveau la cuisine, Hassan laissant Joanne s’occuper du dessert pendant qu’il entassait la vaisselle dans l’évier et laissait passer un mince filet d’eau dessus. Passant ses mains l’une contre l’autre comme pour tenter de dissimuler son trouble il avait fini par proposer à la jeune femme un troisième dîner sans trop y croire, jusqu’à ce qu’on sourire se dessine sur son visage « J’adorerai qu’on dîne ensemble dehors, oui. Surtout que maintenant, j’ai une baby-sitter de compétition, donc je suis assez flexible au niveau des soirées. On parviendra bien à nous trouver une date dans nos emplois du temps de ministres. » Laissant échapper un rire emprunt du soulagement que provoquait chez lui son non-refus, Hassan avait acquiescé d’un signe de tête « Ta date sera la mienne. » En dehors de ses heures de cours on ne pouvait pas dire que son emploi du temps soit des plus chargés en réalité … La tentative de Phil pour le ramener au club, c’était un peu la seule éventualité de mettre le nez dehors qu’il ait commencé à envisager jusqu’à présent. « Promis, je ferai un effort vestimentaire. » Appuyé contre le bord du plan de travail, il avait laissé son regard glisser à nouveau le long de la robe de Joanne « D’ac. Mais cela dit … je ne sais pas si cette robe-là était supposée me faire penser "Oh, elle a pris le premier truc qui lui est passé sous la main dans son armoire ce matin" mais … Ce n’est clairement pas ce qui m’a sauté aux yeux quand tu as ouvert la porte tout à l’heure. » Un sourire taquin s’étirant sur ses lèvres, il avait saisi l’assiette que lui tendait Joanne et tous les deux étaient retournés à table. « Je suis contente, qu’on puisse se revoir, et qu’on ait envie de se revoir. Ça me fait plaisir. Où est-ce que tu voudrais aller manger, la prochaine fois ? Tu as une envie particulière ? » A dire vrai il peinait à se projeter dans l’idée de manger quoi que ce soit de plus tant son estomac était déjà plein à cet instant, et se contentant de hausser doucement les épaules il avait simplement proposé « Je ne sais pas, on verra le moment venu ? Selon notre inspiration du moment. » Il avait tellement perdu l’habitude de sortir qu’elle serait probablement d’un meilleur conseil que lui à ce sujet, d’ailleurs. Pour l’heure ils s’étaient contentés de terminer leur dessert, après quoi Hassan avait finalement obtenu gain de cause pour ce qui était de partager la corvée de vaisselle avec elle avant de prendre congé. Il était un peu tard, trop pour qu’il espère attraper un bus jusqu’à Logan City, mais en définitive s’aérer un peu l’esprit et marcher jusqu’à chez lui, peu importe que cela représente un sacré bout de chemin, était probablement ce dont il avait besoin pour tenter de remettre un peu d’ordre dans ses idées.