We could fight a war for peace Give in to that easy living Goodbye to my hopes and dreams Stop flipping for my enemies We could wave until the walls come down
L'ayant longuement cherché et ayant fini par craindre de l'avoir perdu, je déniche enfin le ticket du voiturier et le tend au jeune homme qui s'empresse d'aller chercher l'Audi. A l'intérieur de celle-ci, Jonathan s'occupe comme il peut depuis trois bonnes heures ; le smartphone branché à l'allume cigare, il saigne tous les jeux qu'il connaît et scroll indéfiniment les pages des réseaux sociaux, like un peu tout et n'importe quoi. Il hésite à appeler son ex, parce que l'ennui le saoule au mins autant qu'une bonne dose d'alcool. Non, ce n'est pas tous les jours facile d'être chauffeur. Les fêtes sont pour les autres, les amis et les patrons ; les premiers qui peuvent sortir sans vous pendant que vous êtes coincés dans l'habitacle d'une voiture de luxe, les autres que vous avez conduit et qui vous laissent sur le parking comme une veste sur un cintre. A peine arrivé, il ne pensait qu'à une chose ; l'heure à laquelle nous partirons, priant pour que ce ne soit pas trop tard. Prières entendues. « Vous nous quittez déjà ? » Le propriétaire de la galerie est venu jusqu'à moi, surpris de ne plus me voir parmi les invités du vernissage, et tout autant de me trouver là, prêt à partir. Moi qui suis souvent le dernier à arracher aux œuvres, celui qui aime rester jusqu'au moment où l'exposition sera assez vide pour pouvoir réellement les observer et apprécier. Les vernissages ne sont jamais vraiment à propos de ce qui est exposé. J'adresse un sourire navré à mon hôte. « Oui, je me sens particulièrement fatigué ce soir. Je pense qu'il est plus sage que je parte avant de devenir de mauvaise compagnie. Mais merci beaucoup pour l'invitation. Je reviendrai un autre jour pour prendre le temps de voir les photos au calme. » Ma voiture arrive, Jonathan m'ouvre la portière. Je laisse mon interlocuteur avec une poignée de main et repars. Le trajet se fait en silence. Mes oreilles se reposent du brouhaha dans la galerie, la musique, les conversations, les rires trop bruyants. Je déboutonne ma veste, tire un peu sur ma cravate et me défais de l’oppression de mon col. Le regard reste posé sur les lampadaires qui se suivent tout le long du chemin jusqu'à Bayside. Je reconnais les parcelles de route selon la lumière. Je sais que le quartier côtier est plus sombre, et que nous approchons de la maison. Une fois déposé, arrivé à l'intérieur toujours sans un mot, je lâche un long soupir. Ce traitement est une plaie jusqu'au bout. Le grand cadran de l'entrée indique un peu plus de minuit. Les chiens sont trop endormis pour m'accueillir. Voilà que le maître des lieux est celui qui s'efforce de faire peu de bruit. Je file à pas feutrés jusqu'à ma chambre pour me changer. Une fois le bas de pyjama enfilé, je me laisse tomber sur le lit. Et mes yeux restent ouverts. Rivés sur le plafond. Une heure, deux heures. Le sommeil m’assommant il y a quelques minutes refuse de m'emporter. J'attrape mon téléphone, et comme Jonathan dans la voiture, je trouve tous les moyens possibles de m'occuper. Je suis incapable de me concentrer sur un jeu plus de quelques minutes tant je trouve ce genre d'activité futile et puérile, abrutissante. Les réseaux sociaux m'ennuient tout autant, et après avoir double-tapé sur à peu près toutes les photographies de mon entourage, j'ai fait le tour de tout ce qu'il y a à voir. Emma est toujours dans mes contacts, bien que nous ne nous soyons plus vus ni parlés depuis notre conversation au musée. Elle est connectée, je pourrais faire le premier pas, mais je n'en ai pas envie. Non loin sous son nom, il y a Joanne. Connectée elle aussi. Sans réfléchir, mon doigt se pose sur son nom. J'entends la première tonalité, la deuxième. Elle décroche. Mon coeur sursaute au son de sa voix. « Hey... » Je m'apprête à passer pour un ex-fiancé bizarre. Celui qui appelle à pas d'heure, sans avoir besoin d'être saoul. Pas même un peu alcoolisé. Parfaitement sobre, mais pas forcément très conscient de ce qu'il fait ; je ne le suis qu'une fois devant le fait accompli, bien obligé de dire quelque chose avant que le silence devienne gênant. « Des insomnies encore ? » je demande finalement. Joanne y a toujours été sujette. Impossible de ne pas penser à ses escapades nocturnes qui me retournaient l'estomac d'inquiétude. Peut-être n'est-elle pas chez elle d'ailleurs. Peut-être est-elle sortie se promener pour s'aérer l'esprit, à moins qu'elle soit, elle, toujours à je ne sais quelle soirée -j'en doute vu son état de santé d'il y a quelques jours. « Rassure-toi, je n'espionne pas, je t'ai juste vu connectée sur Skype et il est… » Je décolle furtivement le téléphone de mon oreille pour vérifier l'heure et roule des yeux d'exaspération en voyant les nombres affichés. « ... quatre heures du matin. » Déjà ? Dire qu'il était deux heures il y a dix minutes. Nous serons tous les deux en merveilleux état pour nous rendre au travail dans quelques heures. Je me rassure en sachant que nombreux sont ceux qui sortent le mercredi soir pour célébrer la moitié de la semaine et arrivent le lendemain avec des lunettes de soleil sur le nez pour masquer leur gueule de bois. Je ne serai pas le seul à ne pas être au meilleur de ma forme. Ce qui me laisse avec pour dernière inquiétude que cela se reproduise, voire devienne fréquent. « Comment est ta grippe ? » Je n'ai pas été appelé à la rescousse une seconde fois, j'en conclus que Joanne ne va pas si mal que ça. Je me souviens qu'elle doit travailler demain -aujourd'hui, dans une poignée d'heures- et qu'elle craignait tant de ne pas pouvoir être à son poste. J'espère qu'elle n'est pas clouée au lit. Et sinon, que son sommeil n'est plus aussi agité qu'il ne l'était. A moins que ce soit cela qui la tienne éveillée à cette heure.
Le jour suivant la présence de Jamie chez elle, la jeune femme se portait déjà bien mieux. Du moins, elle avait eu suffisamment d'énergie au réveil le lendemain pour prendre soin de son fils. Celui-ci semblait serrer de toutes ses forces sa mère lorsqu'elle le prit dans ses bras. Vingt-quatre heures sans pouvoir la toucher, c'était horriblement long pour lui, et il voulait rattraper le temps perdu. La tête posée sur son épaule, il restait longuement blotti contre elle, en suçotant sa tétine silencieusement. Ce n'était qu'une maigre idée de ce qu'était leur relation, toujours aussi fusionnelle. Pour une fois, elle acceptait de prendre tous les médicaments qui lui avaient été prescrits. Elle avait bien trop peur d'être à nouveau dans la même état que la veille et de ne pas être en mesure de retourner au travail quelques jours plus tard. Alors -pour une fois- elle prenait soin d'elle au mieux. Elle lavait régulièrement les mains, aéraient constamment la maison à longueur de journée, évitait de tousser sur Daniel. L'avantage, c'était que la fièvre avait rapidement baissé. En revanche, les autres symptômes persistaient encore, mais Joanne faisait avec. Le petit ne semblait pas tomber malade. Elle avait toujours eu bon espoir qu'elle ait la même santé de fer que son père. Il avait déjà eu des petit rhumes, et les seules poussées de fièvre qu'il avait eu, c'était durant ses poussées dentaires. Avec sa mère, ils passaient beaucoup de temps dans le jardin. Le soleil faisait du bien à Joanne et les chiens étaient bien heureux de pouvoir s'amuser autour d'eux. Certes, Joanne était épuisée, et elle faisait très souvent la sieste en même temps que Daniel. Mais elle peinait à se rendormir le soir pour la nuit, induisant ainsi des insomnies, ses meilleures amies. Ce n'était pas ce qui la gênait le plus, loin de là. Elle regardait la télévision, bouquinait les derniers livres qu'elle avait acheté, préparait en avance les plats pour Daniel. Elle aurait bien été tentée d'aller se promener, mais elle avait une peur bleue de laisser le petit seul. Assise dans son canapé, plaid sur les jambes et mug de chocolat chaud en main, elle sursauta lorsqu'elle entendit son téléphone vibrer. C'était son ex qui l'appelait par Skype. Forcément, les idées allaient bon train et elle l'imaginait parfaitement l'appeler parce qu'il s'était attiré des ennuis et qu'il ne voulait appeler personne d'autre pour lui venir en aide, parce qu'elle ne le jugerait pas. Elle décrocha alors. "Allô ? Jamie, ça va ?" lui demanda-t-elle allant en déposant sa tasse sur la table basse. Puis il lui demandait si elle avait des insomnies - curieuse manière de démarrer une conversation, mais soit. "L'insomnie reste une amie fidèle malgré tout." dit-elle avec un sourire qu'il ne pouvait pas voir. "Je dors mieux, mais ça ne peut pas être comme ça toutes les nuits non plus. Ca ne me ressemblerait pas, sinon." ajouta-t-elle sur le plan de la plaisanterie. Mais il ne semblait pas y avoir de critères d'urgence dans la liste des raisons de son appel. Pas en démarrant une discussion ainsi. "Ca va mieux. Toujours très fatiguée, j'arrive à faire une sieste en même temps que celle de Daniel. Mais plus de fièvre, ni de nausées. J'ai des courbatures de partout, et j'ai souvent des vertiges. Mais si c'est que ça, je serai largement d'attaque pour reprendre le travail demain, enfin, tout à l'heure, plutôt." Même avec une nuit sans sommeil. Elle haussa les épaules. C'était des symptômes qu'elle pouvait largement tolérée pendant quelques jours jusqu'à ce qu'ils s'effacent. "C'est bien curieux que toi, en revanche, tu sois si bien réveillé à cette heure-là." dit-elle au bout de quelques secondes de silence. "Tu es sûr que tout va bien ? Tu as des ennuis ?" demanda-t-elle tout de même, en se décidant de couper le son de sa télévision. Pour Joanne, il était impossible de s'imaginer que son ex-fiancé puisse avoir des insomnies. Il était un si bon dormeur, avec un sommeil profond - tout ce dont Joanne pouvait rêver, en somme. Il lui était improbable qu'il ne parvienne pas à fermer l'oeil de la nuit. "Qu'est-ce qui te pousse à m'appeler à une heure pareille ?" Il avait d'autres contacts avec qui il voudrait plus parler, Joanne devait être la dernière personne à qui il s'intéressait encore. Il avait été encore une nouvelle fois bien clair durant leur dernière rencontre, en mettant une certaine distance entre eux après ces moments de confidence totalement inattendus.
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Le naturel avec lequel mon doigt a appuyé sur le nom de Joanne pour l'appeler est déroutant. Nulle pensée n'a traversé mon esprit entre le moment où je l'ai lu et celui où la première tonalité a raisonné dans le combiné. Un appel de courtoisie ou juste une impulsion à cause de l'ennui, je ne saurais le dire. Je ne sais pas pourquoi je l'ai appelé elle et pas quelqu'un d'autre. La liste des personnes éveillées à cette heure est particulièrement réduite néanmoins. Mais ce n'est pas tant la raison de l'appel qui importe. C'est la raison pour laquelle j'en avais envie. Ce qui a guidé mon pouce jusqu'au bouton, et le téléphone à mon oreille. La raison pour laquelle cela a été aussi naturel. Je débute une conversation des plus banales. Deux insomniaques qui passent le temps en discutant de banalités, et, ironiquement, de qualité de sommeil. Joanne peut percevoir le petit souffle amusé que j'expire lorsqu'elle souligne qu'elle ne serait pas complètement elle sans ses insomnies, et je ne peux qu'approuver. A ce que je comprends, ce n'est pas sa grippe qui est la cause de cette absence-ci de sommeil. Elle se remet de sa maladie et pourra être au travail dans quelques heures -avec bien du courage. « Ne force pas trop, hein ? » Conseil que la jeune femme écoutait déjà rarement lorsque j'avais encore une chance d'avoir une certaine influence, aujourd'hui elle fera sans doute la sourde oreille et prendra ma considération pour de la courtoisie. La petite blonde ne manque pas de souligner le caractère rarissime de mes propres troubles du sommeil. A cette heure, normalement, je dors à poings fermés, peut-être que je ronfle, et je ne bouge pas, confortablement emmitouflé dans la couette et ayant trouvé une position parfaite pour toute la nuit au moment de m'endormir. Un véritable loir. J'hausse les épaules, ce qu'elle ne peut voir. Je ne me l'explique pas non plus. « Des ennuis ? » je demande, ne voyant pas pourquoi cela lui traverse l'esprit, avant que la logique et la lucidité rattrapent mon flot de pensées. « Non, pas du tout. Tout va bien. » dis-je sans grande conviction. En soi, je vais bien. Je crois. Plus ou moins. Quoique je doute finalement d'aller vraiment bien à nouveau dans un futur proche. Ce qui nous ramène à la question restée sans réponse ; pourquoi avoir appelé ? Mes doigts, devenus moites, se resserrent sur le téléphone pour qu'il ne me glisse pas hors de la main. J'essaye de sonder ce qui m'a traversé l'esprit au moment de prendre cette décision, le frisson que j'ai eu en l'entendant décrocher, et ce rythme cardiaque dansant depuis qu'elle est à l'autre bout du fil. « Rien, je… J'ai simplement pensé que si je suis réveillé à cette heure, et toi aussi, alors autant passer le temps et… parler. » En d'autres termes, je n'ai aucune idée de ce que je fais. Rapidement, pensant que cela me donnerait l'air normal, je reprends la parole ; « Je tombais de fatigue en arrivant chez moi tout à l'heure, je suis allé directement me coucher, et je depuis que je suis dans le lit, pas moyen de fermer les yeux. » Je ris nerveusement, alors qu'il n'y a rien de foncièrement amusant. J'ai l'impression d'être un adolescent essayant d'avoir l'air naturel avec une des jolies filles de sa classe qu'il n'ose pas à inviter sortir. Autant dire que le résultat n'a absolument rien de naturel. « J'étais à un vernissage tout à l'heure. Une expo de photos. Je ne peux même pas te dire si le travail du photographe était intéressant parce qu'il y avait tellement de monde qu'il était impossible d'approcher des clichés pour les regarder. » Joanne comprendra la frustration qu'une personne aussi sensible à l'expression artistique peut ressentir dans un moment pareil, d'autant qu'elle a la chance de ne pas subir ce genre de désagréments au musée ; elle a les œuvres pour elle seule, et les visiteurs ne sont pas là pour fanfaronner. « Ca m'a fait penser que j'aimerais peindre à nouveau, mais je n'arrive pas à produire quoi que ce soit depuis... » que nous sommes séparés. L'inspiration s'est fait la malle avec nos fiançailles. De toute manière, je parierai que même en essayant, les médicaments ne me laisseraient rien peindre de potable. Je ne peux pas retranscrire mes émotions si elles sont étouffées. Je n'ai plis qu'à peindre des fleurs et des paysages comme tout le monde. « … des mois. » je souffle finalement, avant de reprendre rapidement pour éluder le sujet ; « Et toi, qu'est-ce que tu faisais avant que j'appelle ? Peut être que je dérange, dis-moi si jamais tu préfères que je te laisse tranquille. »
Joanne ne saurait dire si c'était la bienveillance du bel homme qui le poussait à l'appeler, à lui conseiller de ne pas mettre son corps une nouvelle fois à bout pour tomber malade comme elle venait de l'être - peut-être même que cela déclencherait quelque chose de pire. Néanmoins cette petite remarque de sa part la faisait sourire, elle ne savait pas trop pourquoi. "Je tâcherai de ne pas trop en faire, je suis même un peu en avance dans ce que je dois faire, le temps finira par me rattraper." lui assura-t-elle. Rien qu'avec un mois de travail intensif à la fondation, la jeune femme avait été trop proche du burn out. Elle ne tenait absolument pas à réitérer l'expérience. Trop de souffrance psychologique et même physique. Son inconscient mettait tout en oeuvre pour lui épargner des jours aussi difficiles, elle ne s'en rendait même pas compte. C'était évident pour elle qu'elle ne se démène pas dans les jours qui viennent. "Je dois avouer que c'est assez avantageux d'être à mi-temps pour le coup. Je travaille trois jours et je serai à nouveau en weekend, je pourrai me reposer à ce moment-là." Parce que s'occuper de Daniel était loin d'être une corvée et bien que le petit était particulièrement autonome lorsqu'il jouait, Joanne n'arrivait pas vraiment à se détacher totalement de lui. Wes ne la poussait plus à l'accompagner à des soirées mondaines. Elle sortait moins, mais ça ne la dérangeait pas. Quoi que dernièrement, elle rêverait d'avoir un massage, mais, étant une nouvelle fois en conflit avec ses parents, il fallait qu'elle trouve quelqu'un pour la garder. Suzie n'était pas toujours disponible, elle avait ses cours et ses stages. Joanne craignait qu'il ne se soit mis dans une galère pour qu'il vienne à l'appeler à une heure aussi avancée de la nuit. Mais non, il n'en était rien. Il l'avait juste appelé, comme ça. Alors Joanne voulait creuser un peu, bien perplexe qu'il l'ait choisi elle comme interlocutrice - bien qu'à cette heure-ci, il n'y avait pas beaucoup de monde de réveillé. La petite blonde haussa les sourcils lorsqu'il disait qu'il voulait juste... parler. Juste pour passer le temps. Elle n'était pas certaine qu'ils aient grand chose à se dire désormais. Joanne supposait qu'il avait un peu besoin de compagnie, et donc, qu'il devait être seul dans son lit ce soir - ou pas. "Maintenant tu sais comment je me sens à longueur de temps." dit-elle avec un léger rire. "Et cette frustration extrême qu'est de ne pas parvenir à s'endormir le moment venu, même si toutes les conditions étaient réunies pour que tout se passe bien." Combien de fois Joanne peinait à trouver le sommeil même en étant épuisée, lovée dans ses bras et bercée par la douceur et la chaleur de sa peau ? "J'espère que ça ne t'arrivera pas trop souvent. Sinon... eh bien on trouve toujours moyen de s'occuper, tu verras." Une maigre consolation comparée à une bonne nuit de sommeil, mais il fallait se contenter de ce qu'on avait. "J'en ai un là-haut qui dort comme un loir, imperturbable." Le sommeil de son père, pour sûr. Jamie racontait alors sa soirée, un vernissage qui avait fini par l'ennuyer. "C'est embêtant, lorsqu'on ne réfléchit pas à cette logistique pour un vernissage. C'est typiquement le genre d'artistes qui veut surtout s'entourer de beaucoup trop de beau monde plutôt que d'opter pour l'exclusivité pour certains en leur montrant ses oeuvres. Un beau raté, en somme, je suppose." supposa-t-elle avec un petit rire. "Ou sinon deviens conservateur, et là, tu l'auras, ton exclusivité." ajouta-t-elle d'un ton amusé. Difficile de ne pas se remémorer leur rencontre au gala, où elle lui avait montré la nouvelle exposition qui n'avait pas encore été ouverte au public. C'était quelque chose qui avait énormément plu à Jamie. Celui-ci confiait ensuite qu'il ne parvenait plus à peindre depuis des mois - un fait bien personnel. "Qu'est-ce qui t'en empêche ?" demanda-t-elle alors, histoire de poursuivre cette conversation. "Tu aimais tant peindre, c'était ton échappatoire à toi. Comment fais-tu, pour continuer sans que tu aies cette issue là ?" Elle haussa les épaules. "Tu devrais quand même te mettre devant une toile, même si ce n'est pour ne regarder que sa blancheur. A un moment, ton corps parlera pour toi, sans que tu ne t'en rendes compte. Ca ne sera peut-être pas le résultat que tu attendras, mais tu auras au moins extériorisé quelque chose. Ne te donne pas d'objectif, peinds juste ce que tu as envie de peindre, d'exprimer." lui conseilla-t-elle d'un ton particulièrement doux. Peut-être que ça l'aiderait, d'être longuement devant une toile vide avec cette envie de la remplir de couleurs, même s'il n'avait aucune idée de ce qu'il voulait représenter. Peut-être que ça n'allait être que purement abstrait, mais il aura au moins fait quelque chose. "Moi, eh bien... Je regardais pour une énième fois Moulin Rouge, au lieu de me mettre à la longue liste de films que je dois encore regarder, en sirotant un chocolat chaud. Rien d'incroyable." dit-elle avec un rire nerveux. "Après... Je regarderai sûrement quelque chose d'autre, sans prise de tête ou trop de réflexion, et me préparer doucement pour aller au boulot. Il est déjà quatre heures du matin, après tout." Finalement, le temps était passé particulièrement, cette-fois ci. "Donc non, tu ne me déranges absolument pas, je connais tout par coeur." lui assura-t-elle. "Si t'entends des bruits bizarres, c'est juste que je bois mon chocolat." Joanne riait doucement. "Et toi, tu as trouvé de quoi t'occuper pour faire passer le temps ou m'appeler était justement quand tu t'es décidé qu'il fallait faire quelque chose ? De quoi veux-tu parler ? En général, c'est un peu l'heure de philosopher là." Toute conversation qui se passait la nuit semblait irréel de toute façon. Comme un rêve, quelque chose qui n'avait jamais existé. Peut-être que cela allait être le cas cette fois-là.
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Si la plupart des nuits de Joanne ressemblent à celle-ci, alors la jeune femme fait preuve d'une endurance qui forte l'admiration. A sa place, j'aurais cédé à l'appel des somnifères depuis longtemps, je n'aurais pas toléré de demeurer dans un état pareil plus de trois jours d'affilée. Être au ralenti n'est pas une option, mon train de vie ne me le permet pas. Je dois être en alerte, le cerveau éveillé, et ce n'est pas en manquant de sommeil que cela peut être possible. La profondeur de mon sommeil va de paire avec mon besoin de repos ; si je dors toujours aussi profondément, c'est parce que j'ai bien des pensées et des émotions dont je dois me défaire quelques heures pour être d'aplomb. Mais peut-être que Joanne aime ces longues nuits debout, si elle est capable de les supporter. Glaner quelques heures pendant lesquelles elle peut avoir l'impression que le monde n'appartient qu'à elle, la seule éveillée. Je souris lorsqu'elle mentionne Daniel. « Le veinard. » qu'il soit un gros dormeur a toujours été une bénédiction. Ainsi nous n'avons pas eu à être de ces parents qui se plaignent à longueur de journée d'être réveillé la nuit par leur enfant. C'est un bébé simple. Il n'a pas été livré avec un mode d'emploi, et il n'en a pas eu besoin. Même pour moi, après presque un an à avancer à tâtons, je prends confiance en moi. Je parle beaucoup de lui, de mon bonhomme. Mon téléphone déborde de photos et de vidéos de lui, de ses mimiques, de ses bêtises. Sa bouille est mon fond d'écran, mais également dans un petit cadre sur mon bureau. Parler des enfants est, je l'ai découvert ce soir, un excellent moyen de détourner n'importe quelle conversation, qu'elle soit inintéressante ou gênante. Et elles étaient nombreuses, les conversations gênantes, à ce vernissage. Pour plaisanter, Joanne propose que je devienne conservateur également. Outre le fait que l'on entre pas dans la profession comme dans un moulin, je crois que cela ne me passionnerait pas autant qu'elle, pas de la même manière en tout cas. « Non, ça serait ma perte. Je serais tenté d'acheter toutes les œuvres qui me passent entre les mains. » je rétorque sur le même ton, ajoutant une touche snob. Oui, en y réfléchissant, ce vernissage était raté. Quoi qu'il en soit, sortir ne me fait pas de mal. Voir du monde, en rencontrer. Je multiplie les soirées, les heures de sport, de lecture, tout ce qui peut occuper mon esprit, mais la peinture me manque. Je n'aurais sûrement pas du le mentionner, je n'aime même pas parler de ce blocage que je ressens, et l'expliquer à Joanne serait le plus bizarre qui soit. « Je fais sans. » je réponds brièvement, faisant comprendre que je ne souhaite pas m’épancher sur mes raisons. Peut-être qu'un jour j'aurai le courage de me planter devant une toile et d'attendre qu'un miracle se produise. Mais pas pour le moment. « Peut-être. Bref... » Je change de sujet et détourne l'attention vers la jeune femme. Plantée devant ce film qu'elle adore, elle attendait que les heures passent. Mais elle a sûrement abandonné et pense déjà au prochain film qu'elle regardera. « Tu ne vas pas réessayer de dormir un peu ? » je demande, étonné qu'elle sous-entende être capable de reprendre le travail en étant encore un peu malade et sans avoir dormi. Seul un robot est capable de ce genre de choses. « Je ne crois pas que je suis très doué pour philosopher à voix haute. Le bazar reste plutôt dans ma tête. » je reprends pour lui répondre. Il attend là, il macère. Toutes les grandes questions qui restent sans réponses. « J'ai vu ton nom dans mon répertoire et mon doigt a juste appuyé... mais je n'ai absolument pas calculé la suite des événements. » j'avoue avec un rire nerveux qui disparaît bien vite. Les draps sont vides et froids, la maison silencieuse et inanimée. « Je voulais de la compagnie, mais surtout… ta compagnie. » Quelqu'un de doux, à qui je peux parler, dont j'aime la conversation, qui sait écouter, et qui sait même ne rien dire quand cela est nécessaire. « Et j'ai l'impression que c'est plus simple au téléphone. » Derrière cette barrière, comme d'autres se sentent plus grands derrière un écran d'ordinateur. « A vrai dire, je m'en fiche de ce dont on peut parler, le silence me va aussi. J'aime juste t'avoir en ligne. » dis-je tout bas. Et ce n'est pas tant pour tuer la solitude que pour m'abonner à un peu de nostalgie. En fermant les yeux et en entendant la respiration de la jeune femme, je peux l'imaginer près de moi, blottie contre mon torse, ses doigts qui frôlent ma peau, et même l'odeur de ses cheveux. Je sais que je ne devais pas dire des choses pareilles. Mais c'est facile, au téléphone. « Parler de Moulin Rouge m'a mit la chanson dans la tête. » The greatest thing you(ll ever learn is just to love and be loved in return, je chantonne tout bas. Si seulement tout était si simple. Si seulement il suffisait d'aimer et d'être aimé. Nous nous aimions, et tout est parti en fumée. Mes lèvres se pincent, un silence s'installe. En gardant les yeux fermés, je peux imaginer son sourire -de la manière qu'elle avait de sourire lorsque je chantais un peu pour elle. « Qu'est-ce que c'était, tes rêves, quand tu étais malade ? On aurait dit que tu faisais des cauchemars. Tu t'en souviens ? » je demande au bout d'un moment, ramené à la réalité par le bruit de la jeune femme qui sirote son chocolat. Finalement le laisse la curiosité me gagner ; le repos agité de la petite blonde m'a laissé perplexe. Peut-être est-ce matière à philosopher.
Finalement, dans l'histoire, il n'y en avait qu'un seul qui avait un sommeil imperturbable, et c'était Daniel. Leur petit bout de chou avait toujours été adorable et faisait partie de ce groupe de bébés qui faisait les nuits très rapidement. Dès le deuxième mois. Alors qu'il y avait à côté des gamins de quatre ans qui embêtaient toujours leurs parents à longueur de nuit pour des futilités. Effectivement, Daniel était un petit veinard. Ils passaient d'un sujet de conversation à un autre, et il semblait évident qu'ils passent indirectement par là. C'était l'un des rares points communs qu'ils partageaient, autant continuer de l'exploiter même après leur rupture. Joanne riait doucement lorsqu'il confiait que s'il était dans ce métier, il achèterait toutes les collections. Son envie d'avoir et de posséder prendrait le tout, et il deviendrait l'un des plus grands collectionneurs de son pays, certainement. Et Jamie avait ensuite confié qu'il ne parvenait plus à peindre. De façon très naturelle, la petite blonde avait tenté de lui donner de quelques pistes pour qu'il puisse s'épanouir à travers cette passion qu'il n'osait pas montrer à tout le monde. Mais, pour des raisons que Joanne ne parvenaient pas à trouver, le bel homme se braquait. Ses réponses devenaient courtes et laissaient largement comprendre qu'il ne voulait plus en parler. Elle trouvait même que le ton employé et les mots utilisés étaient un peu secs, désagréable à entendre à travers le combiné. Joanne soupira et n'insista pas davantage, ne comprenant pas pourquoi il partageait ce fait pour finalement avorter ce sujet de conversation. Ca n'avait aucun sens. Au lieu de s'étendre là dessus, il reprenait le sujet du sommeil, et semblait surpris que Joanne laisse comprendre qu'elle ne comptait pas tenter de se recoucher. "Non, je ne pense pas. Je ne dormirai que deux heures, et le réveil serait pire que tout. Je me sentirai bien plus mal que maintenant. Comme un zombie, un peu." expliqua-t-elle. Joanne le savait par expérience, qu'il ne valait pas mieux se coucher du tout à une heure pareille. Peut-être que pour Jamie, la journée allait être particulièrement difficile à tenir, mais pas pour Joanne. Certes, elle serait un peu moins efficace que d'habitude. Il ne se sentait pas prêt à philosopher non plus, et préférait préciser qu'il voulait être avec elle. La jeune femme arqua un sourcil en entendant ses propos, se demandant quelle mouche l'avait piqué pour qu'il ait envie de discuter avec elle et personne d'autre. "C'est toujours plus simple quand on n'a pas l'interlocuteur en face de soi." Et il renchérit, disant qu'il la voulait elle en ligne. Pourquoi ? Parce que c'était la seule qui était disponible à cette heure tardive ? Joanne était surprise, lui qui tenait tant à maintenir une distance entre eux, le voilà qu'il voulait qu'elle soit près de lui, même en n'étant qu'au bout du fil. Elle ne trouvait rien à dire à dire à cela - et comme ça ne le gênait pas qu'il y ait des moments de silence. "Je pense que ma chanson favorite, ça reste la reprise de Your Song dans ce film." dit-elle en s'allongeant alors sur le canapé, le regard un brin rêveur. Elle entendait Jamie chatonner tout bas, ça la faisait sourire doucement. Puis il restait à nouveau silencieux de longues minutes. Durant ces moments là, Joanne regardait son film, sans le son. Mais elle le connaissait tellement par coeur que ça ne devenait même pas nécessaire d'entendre quoi que ce soit. "Je ne me souviens que de brides. Mais rien que d'y penser, ça me donne des frissons dans le dos." dit-elle. "Il y avait... ce moment vraiment bizarre. Il y avait toi, il y en avait d'autres aussi..." Joanne se passait bien de dire qu'Hassan en faisait aussi partie. "Et cette voix dans ma tête qui faisait toute une tirade en mettant bien en avant tout ce qui a été raté par ma faute. Des occasions manquées, de ce que j'aurais pu faire mieux - c'est-à-dire à peu près. C'était ce que cette voix disait du moins. Et il y avait cette femme à ton bras, je ne voyais pas qui c'était. Elle portait Daniel, et il semblait si heureux. J'avais beau l'appeler, il ne m'entendant, tout le monde m'ignorait. Puis tout prenait feu, j'avais des apparitions de Lucy, de Grace et...." Sa voix commençait à trembler. Joanne n'aimait pas se souvenir de ses cauchemars, elle en avait les larmes aux yeux tant ça la terrifiait encore. "Et je commençais à étouffer, je n'arrivais plus à respirer. Et tout le monde s'en fichait. Je me sentais partir, et on m'ignorait totalement, et cette voix riait sans cesse, me disant que c'était tout ce que je méritais. Et sur le moment, je voulais tellement partir. Tout brûlait, et je continuais de m'étouffer et il y avait... cette douleur insupportable. Elle l'était tant que tout ce que je voulais sur le moment, c'était mourir. Mais cette voix ne le voulait pas. Parfois je me réveillais, mais dès que je refermais les yeux, le rêve reprenait là où je m'étais arrêtée, ça devenait de pire en pire. Tout se mélangeait et.... Dit comme ça, tout a l'air si ridicule." Elle soupira longuement et essuya ses joues humides. Pour s'apaiser, Joanne restait silencieuse pendant de nombreuses minutes, à regarder son fils. Elle reprit parole bien plus tard, tentant désespérément de penser à autre chose - parce qu'elle se souvenait de bien d'autres rêves. "J'ai toujours rêvé d'avoir la robe rouge de Satine dans le film, je l'ai toujours trouvé magnifique." commenta-t-elle en la voyant à l'écran. Elle rit nerveusement. "Ce n'est qu'un exemple de rêves comme un autre. Je préfère ne pas dormir que de cauchemarder comme ça encore une fois."
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Habituellement, je ne suis pas le genre de type qui appelle à quatre heures du matin. Le fait est que je ne suis jamais réveillé à cette heure, alors je n'en ai pas vraiment l'occasion. Plus simplement, je n'appelle jamais aux heures indécentes. Et je n'appelle jamais sans raison. En somme, je ne suis pas l'ex qui lance un SOS au milieu de la nuit. Du moins, je le croyais. Peut-être est-ce mon genre finalement. Peut-être que cela n'est qu'une sorte d'appel à l'aide. Un coeur en détresse fait faire des choses incohérentes et stupides. La nuit rend ces idioties presque irréelles. L'obscurité et la fatigue font renaître des illusions perdues. J'ai l'impression d'être en voyage, je ne sais où, et d'appeler ma fiancée pour avoir de ses nouvelles, lui dire que je serai bientôt à la maison, qu'elle me manque. Que j'ai du mal à dormir seul, sans elle. La réalité est bien plus amère. Quand les premiers rayons du soleil apparaîtront, tout ceci ne sera qu'une sorte de rêve éveillé. A bien y réfléchir, Joanne a raison : tenter de dormir pour gratter quelques heures de sommeil ne sera que source de frustration. Mieux vaut jouer le tout pour le tout et enchaîner ces deux journées avec des valises sous les yeux. « Je devrais sûrement suivre l'exemple d'une experte et ne pas dormir non plus alors. » A moins que le sommeil ne m'emporte malgré moi. Errant d'un sujet à l'autre sans but précis, je chantonne même pendant que mes pensées vagabondent. How wonderful life is now you're in the world… Je me souviens de la première fois que j'ai chanté pour Joanne, et c'était d'ailleurs cet extrait de Moulin Rouge. C'était au parc. C'était le jour de notre première photo ensemble. C'était un bel après-midi. Il y a deux ans. Rien ne laissait présager que la fin serait aussi tragique. Notre chute ferait un beau cauchemar elle aussi. J'écoute la jeune femme me narrer ses mauvais rêves, ceux qui la hantaient lorsqu'elle était malade. Sourcils froncés, je cherche du sens à cet étrange mélange de personnages et de situations qui débouchent sur cet incendie. « Ce n'est pas ridicule. C'est même plutôt effrayant. » je murmure en m'imaginant la scène. Je me demande ce que Lucy et Grace font là-dedans, ou encore moi. « Mon tout nouveau diplôme en psychologie des rêves me permet de te dire que tu ferais mieux d'arrêter de culpabiliser pour à peu près tout sur terre. » je reprends sur un ton plus léger, histoire de dédramatiser et aider Joanne à sécher les larmes que je devine à travers le téléphone. « Si ça peut te rassurer, le réchauffement climatique, c'est pas de ta faute. Tout le monde fait des erreurs plus ou moins importantes, mais ça ne vaut pas le coup de se flageller à ce point… Et c'est un type aux bras couverts de cicatrices qui te dit ça, je m'y connais en flagellation. » Trait d'humour sûrement un peu maladroit. Cela sonnait de manière bien plus drôle dans ma tête. Un long silence s'installe. Je ne discerne même pas vraiment la respiration de Joanne, mais sa présence suffit. Elle est là, et aucun de nous deux n'est seul face aux monstres qui se cachent sous le lit. Les démons qui nous maintiennent éveillés. La voix de la petite blonde s'esquisse plus timidement qu'avant, tout bas. « Je préfère la robe rouge que tu as déjà. Tu sais, la Valentino ? Tu étais superbe dedans. » De manière générale, la jeune femme sait se mettre en valeur, et elle savait faire plaisir à mes yeux. Que ce soit la robe où ce qu'il y avait en dessous, elle tenait tant à plaire, à me plaire, à susciter mon admiration sans pour autant être sûre d'elle pour un sou, qu'elle n'en était que plus adorable. Le silence revient. Je ne sais pas quoi dire. Normalement, pour que nous soyons quittes, je devrais moi aussi raconter un mauvais rêve. C'est donnant-donnant, n'est-ce pas ? « Je n'ai toujours eu qu'un seul cauchemar. Ou plutôt deux, mais le deuxième est plutôt un souvenir… Je rêve que je suis enfermé dans une armoire. Elle est trop étroite pour que je puisse m'asseoir, alors je dois rester debout. Il y a une petite ouverture qui laisse passer juste un rai de lumière, mais je n'arrive pas à voir ce qu'il y a de l'autre côté. Et c'est tout. Je peux hurler, me casser la voix, frapper sur les portes, ça ne sert à rien. Je ne peux pas sortir. » Et je m'épuise, à hurler et frapper en vain, à user toute mon énergie là-dedans. Au bout de plusieurs heures, mes jambes deviennent lourdes, fatiguées, douloureuses. L'armoire semble rétrécir, et devenir de plus en plus sombre ; alors elle ressemble de plus en plus à mon cercueil. Y songer me fait ressentir cette gêne à la poitrine, cette oppression. C'est un rêve toujours si intense. Mais moins douloureux que ce souvenir qui décide parfois de refaire surface, plus vrai que vrai, et qui me laisse toujours en ruines. Je soupire. Il n'y a vraiment rien à en dire. Ce n'est qu'un mauvais rêve, vraiment basique qui plus est, et limpide ; je garde trop de choses en moi, et je les laisse là, me dévorer de l'intérieur. « Est-ce que tu crois que mon inconscient essaye de me dire que je suis gay ? » je demande, par pure plaisanterie à nouveau. On dit bien getting out of the closet après tout.
Devoir attaquer le travail après une nuit blanche était bien la dernière chose qui effrayait Joanne. C'était loin d'être la première fois d'ailleurs, et c'était souvent signe que la nuit suivante, elle allait pouvoir se reposer sereinement, plus ou moins. Jamie pensait devoir faire la même chose qu'elle, ne pas sombrer pour une paire d'heure dans l'espoir de rattraper un peu tout le sommeil manqué. Elle ne savait pas si cette méthode fonctionnerait pour lui. Jamie sombrait facilement, en une poignée de minutes, ce qui était toujours quelque chose d'incroyable pour Joanne, qui elle, devait patienter un peu plus longtemps pour que Morphée veuille bien la prendre dans ses bras. Ils parlaient de Moulin Rouge et le bel homme ne put s'empêcher de chanter un extrait de cette chanson qu'elle aimait tant. Elle ne savait pas s'il pensait ces paroles ou si c'était la seule ligne qui lui était venue en tête lorsqu'elle en avait parlé. Joanne sourit une nouvelle fois, en entendant sa voix. Suite à quoi, Joanne racontait son rêve. Ou plutôt, son cauchemar. Elle savait qu'il l'écoutait avec attention, elle supposait qu'il devait être bien perplexe devant de tels propos. "C'est facile à dire." dit-elle avec un léger rire lorsque Jamie lui disait d'arrêter de culpabiliser en permanence. Il tentait ensuite de relativiser en tentant d'y mettre quelques traits d'humour. "Tu as sûrement raison. C'est juste... dur de se mettre ça en tête, et surtout de continuer à se le dire, encore et encore." Elle marqua une petite pause. "Que ça s'imprègne et que ça reste." Passer à autre chose, arrêter de s'en vouloir pour tout et n'importe quoi. Les points d'amélioration sur lesquels Joanne devrait travailler étaient nombreux, et chacun d'eux lui semblait très difficile à obtenir. C'était le fait de ne pas changer et surtout de ne pas oublier qui avait causé la perte de son couple. Noyée dans ses pensées, la jeune femme restait longuement silencieuse. "Tu la préfères à ce point là ? Je pensais que tu avais un léger penchant lorsque je portais des tenues un peu plus cintrées... Mais j'aime aussi beaucoup cette robe. Je ne l'ai pas remise depuis." Elle n'avait plus vraiment d'occasion de mettre des tenues de grands couturiers, ni plus d'intérêt d'aller dans leur boutique pour choisir une robe parfaite pour une soirée bien particulière. Tout ceci lui semblait déjà si lointain, alors que ça remontait à il y a bien peu de temps. Désireux de rééquilibrer la balance des confidences, Jamie racontait un de ses cauchemars. Le seul, certainement. Il disait toujours qu'il ne rêvait pas. Du moins, qu'il ne se souvenait pas de quoi que ce soit. "Parce que tu t'es déjà intéressé à un homme de près ?" lui rétorqua-t-elle avec un léger. Elle en doutait. Jamie aimait les femmes. Il ne pouvait vénérer le corps d'un homme comme il avait pu adorer celui de Joanne. "Moi je trouve que c'est plutôt une explication imagée de ce que tu es. Que tu es enfermé. Soit par l'éducation de tes parents, soit par les médicaments, soit parce que tu n'as pas ou plus envie de partager ce qui est au fond de toi. Que tu as tant à dire mais que ton corps et ton esprit t'en empêchent. Tu ne trouves pas les mots, tu utilises les moyens que tu peux, mais ce n'est pas suffisant. Cette colère intérieure que tu as toujours au fond de toi, que jamais personne n'a su apaiser, pas même moi. Et tu rêverais d'être entendu, dans l'espoir de voir ce qu'il y a dans cette lumière. Lorsque tu parviendras à t'ouvrir, je pense que le monde s'ouvrira encore plus à toi. Il faut juste trouver le moyen. C'est ce qu'il y a de plus difficile, je pense." Tout comme elle qui ne trouvait pas le moyen d'être une meilleure personne, quelqu'un qui arrive à avancer malgré tout. C'était tout de même une question de survie. Personne ne survivrait à force d'encaisser toutes les mauvaises choses et les ressasser constamment. C'était à en devenir fou. Commençant à avoir froid, Joanne se recouvrait totalement de son plaid. Son chocolat chaud refroidissait, mais elle s'en moquait un peu, sur le moment. Le silence était de nouveau bien présent. Elle l'entendait parfois respirer, elle se demandait à quoi il pouvait penser, s'il avait encore envie de parler de quelque chose. "Ah quoi tu penses ? Je t'entends penser de là." lui demanda-t-elle avec un léger sourire sur les lèvres. "Je pense que ça fera bizarre, une fois que le jour sera levé, une fois que nous aurons raccroché. Nous nous demanderons si tout ceci avait été bien réel, si nous avons bien discuter. C'est étrange parfois, de ne pas parvenir à discerner le rêve de la réalité. Déroutant, même." dit-elle en pensant tout haut. Elle savait que leurs prochaines retrouvailles n'allaient être que la suite de leur rencontre au musée. Cette nuit-là n'était qu'une parenthèse, au bord de l'irréel. "Parler de robes me fait penser que je devrais m'en acheter des nouvelles pour le boulot. Ca fait longtemps que je ne m'en suis pas achetée." ajouta-t-elle songeuse. Elle aimait investir une certaine somme dans ses robes, dans la mesure où elle les gardait des années durant. Plus de tenues de soirée, juste quelque chose de correct pour ses journées au musée. "Je ne suis pas sûre que Daniel soit un excellent juge, je suis prête à parier qu'il sera ravi de me voir, quoi que je porte." dit-elle en riant. "Et de toute façon je dois lui acheter des nouveaux vêtements pour les mois à venir, ceux de l'année dernière sont bien trop petits désormais. On va rhabiller mère et fils." Joanne craquait toujours devant les habits pour petits, beaucoup de tenues étaient particulièrement adorables. Comme tout le monde, certainement, surtout qu'elle adorait bien habiller son fils, rien n'était assez beau pour lui -et c'était ce que pensait toute maman pour son enfant.
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Quelques confidences se suivent. La difficulté qu’a Joanne de ne pas culpabiliser pour un rien, ou de se pardonner ses erreurs. De moins en faire aussi, ce qui n’est pas forcément aisé. J’ai l’impression que depuis que nous ne sommes plus ensemble, les pensées de la jeune femme sont moins négatives qu’avant. Elle n’est toujours pas un exemple de positivisme et d’optimisme, néanmoins, elle paraît moins déprimée. Il faut dire qu’une mère célibataire qui travaille n’a pas le temps de l’être. C’est une bonne chose néanmoins. C’était le but de tout ceci après tout. Il est de plus en plus évident qu’elle est celle qui s’en sort, qui parvient à se remettre sur pieds et se redresser, et que je suis celui qui reste sur place. Mais ce n’est pas grave, ce n’est pas important. En tout cas, ce soir, ça ne l’est pas. Pour ma part, je lui confie ce mauvais rêve que je fais parfois –rarement heureusement. Un cauchemar qui en dit long, je le sais bien, et Joanne le comprend immédiatement. C’est mon statut permanent, cet enfermement. C’est ma cage intérieure. Moi, je m’en esquive avec une plaisanterie. Il n’est pas non plus question que mes démons intérieurs viennent s’emparer de cette conversation. Elle joue le jeu, je parviens à la faire rire un peu. « Je n’en sais rien, peut-être qu’il y a anguille sous roche dans mon amitié avec Jon. » je réponds, absolument pas sérieux, mais sachant très bien faire comme si. La jeune femme, elle, parvient à décortiquer ce mauvais rêve si parfaitement que je reste muet. La manière dont le passé me garde prisonnier, la difficulté que j’ai à exprimer ce que je pense, ce que je ressens, et surtout, cette colère qui ne me quitte jamais vraiment. Elle me connaît bien, Joanne, elle me connaît par cœur. Qui d’autre saurait aussi bien mettre des mots sur un simple rêve ? « Je… » Que dire, si ce n’est qu’elle a raison du début à la fin. Mais cela ne me donne pas la clé pour m’échapper. Comme pour la jeune femme et ses tares, trouver le moyen de me libérer ne dépend que de moi. Peut-être que la solution m’apparaîtra un jour, ou bien resterais-je à jamais le petit garçon pris au piège dans l’armoire. « Je ne savais pas que tu étais aussi diplômée en psychologie des rêves. » dis-je avec un petit rire nerveux. Sans m’en rendre compte, je reste longuement silencieux. Je ressasse les paroles de Joanne. Ce combat intérieur me paraît absolument sans issue. C’est sûrement le petit soupir que je lâche qui fait deviner à la petite blonde que la machine fume sous mon crâne. « Rien de particulier. » je murmure de cette voix légèrement endormie. Par moments, il me semble somnoler. Me suis-je endormi à un moment, depuis le début de cette conversation ? Est-ce qu’elle se poursuit dans mon rêve ? Ou suis-je toujours bien éveillé, et laissant simplement mon esprit fatigué vagabonder. Si je ne parviens pas à cet instant à être certain que la voix de Joanne à travers le téléphone n’est pas un mirage, je me demande ce qu’il en sera dans quelques heures, lorsque la vie reprendra son cours. « Oui… Une partie de moi espère que je suis endormi en ce moment, je pense que je me frapperai la tête contre un mur plus tard en réalisant que je t’ai appelé à cette heure-là. » Parce que ça ne me ressemble pas vraiment, et c’est n’est ni raisonnable, ni cohérent. Rien n’a vraiment de sens. Comme cette conversation qui divague d’un sujet à l’autre, revient en arrière, à la fois sérieuse et futile. « Est-ce que tu te souviens quand nous avions remonté tout Oxford Street ? » je demande avec un sourire nostalgique. Je revois parfaitement cet après-midi-là, à Londres. « C’était pour quelle occasion déjà ? » Voilà le seul détail qui, à cette heure, m’échappe. Peut-être le gala de la fondation. Je crois bien que c’était lors du même séjour que celui où Ewan nous avait choisi un hôtel kitsch à souhait, et j’avais été tellement soulagé de pouvoir retourner au domaine. C’était la même fois où Joanne et moi nous étions retrouvés dans la salle de billard… Je peux la revoir si distinctement, à la fenêtre, uniquement vêtue de dentelle blanche. Mon cœur se met à battre aussi vite que ce jour-là. « Je me souviens de ce que tu avais acheté. J’imagine que tu le mets pour le travail parfois. » je reprends pour m’ôter ces autres images de la tête. Elles persistent malgré tout. « Enfin, la jupe et le chemisier. » je précise. Pas la lingerie. Je doute qu’elle ait eu l’occasion de la porter à nouveau. Ou peut-être que si… Et pour qui ? Non, je ne l’espère pas. Mon cœur continue de s’emballer. Elle était magnifique. Un véritable ange. J’ai ce frisson en songeant à nos ébats. En devinant les réminiscences des caresses de ses lèvres sur les miennes. « … qu’est-ce que tu portes ce soir ? » je demande tout bas, comme si nous pouvions partager un petit secret honteux, sans songer que cela peut être inapproprié ou bizarre –sans réfléchir tout court à vrai dire, uniquement perdu dans mes pensées et ces souvenirs.
Bien qu'au société, parmi des personnes du même milieu que lui, Jamie avait une excellente maîtrise des mots, l'exercice lui était toujours bien plus difficile lorsque cela concernait sa vie privée. Décrire toutes ces idées qu'il avait en tête, trouver les mots les plus justes pour concrétiser ses pensées. La jeune femme avait toujours eu plus d'aisance en ce domaine, parvenant même à composer des phrases qui étaient l'image exacte de ce que pensait Jamie. Encore une fois, elle faisait preuve de son talent au téléphone. Même s'ils étaient séparés, même s'il n'y avait plus grand chose pour les lier, Joanne restait tout de même la personne qui la connaissait le mieux. Jamie ne savait même pas quoi dire face à l'interprétation de ses propres rêves, bouchée que la petite blonde soit encore capable de telles prouesses. "Je l'ignorais aussi." répondit-elle en riant doucement. "Mais il suffit de te connaître un peu pour sonder un petit ce rêve." A sa connaissance, peu de personnes cernait Jamie. Il avait une personnalité particulièrement complexe parce que l'entièreté de sa vie était bien complexe. "J'espère que tu trouveras un jour le moyen de sortir de cette armoire. Je reste persuadée que tu t'en sortiras." Il y avait forcément un moyen. Elle savait que Jamie désespérait à trouver cette issue, mais quelque part, il ne devait pas en être si loin, il fallait juste la voir. "Tu trouveras quelque chose qui t'ouvrira les yeux, et tout sera plus beau." Joanne n'était pas cette clé, cette porte de sortie qu'elle espérait tant être pour lui. Ca allait être quelqu'un ou quelque chose d'autre. Jamie disait ne penser à rien, mais elle savait que c'était un petit mensonge. Lui aussi avait de quoi songer, ces derniers temps. Elle rit doucement à sa remarque. "Et l'autre partie, elle dit quoi ?" lui répondit-elle. "Je pense que ça nous semblera comme un rêve de toute façon. A une heure pareille surtout... Quand nous y penserons en journée, ça nous semblera si lointain. Exactement comme un rêve." Joanne le savait parce que bon nombre de ses promenades nocturnes lui semblaient irréelles lorsqu'elle y repensait plus tard. "Oxford Street ? Il me semble que c'était avant le gala de la fondation. La fois où tu devais... m'acheter de la lingerie." se souvint-elle, un peu gênée de repenser à ce souvenir, car elle évoquait immédiatement la fois où elle l'avait enfilé et où ils avaient fait l'amour avec une certaine intensité. "C'était une petite veste blanche." rectifia-t-elle avec un large sourire. "Mais il m'arrive de mettre cet ensemble au boulot, oui." Avec quelque chose en dessous, bien évidemment. Pas comme la fois où... tout avait dégringolé d'un coup, qui était le jour qui les avait mené jusqu'ici. "J'aime bien la mettre. Je suis bien, dedans." Avec une haute paire d'escarpins, un chemisier, un collier. C'était un ensemble qui lui plaisait beaucoup. Elle était surprise de la question que Jamie lui posait. Pas nécessaire de la lui retourner, elle savait comment il était : torse nu, avec un pantalon de pyjama. Ou peut-être quelque chose de plus court étant donné que c'était l'été. Elle restait longuement silencieuse, dénudant ses jambes de son plaid. "J'ai... ma nuisette à bretelles. La noir." En soie, avec une discrète dentelle au niveau du bas. Jamie la connaissait, cette nuit nuisette, pas besoin de la décrire davantage. "Mais j'ai mon gilet sur les épaules et j'ai mon plaid sur moi." ajouta-t-elle, rendant la scène certainement bien moins sexy qu'elle ne pouvait l'être initialement. "Puisque Daniel dort à point fermé, je me suis pemise de prendre un bain cette nuit. Histoire de rester fidèle à moi-même, la salle de bains était uniquement éclairée de bougies, c'était apaisant. Je ne sais pas combien de temps ça m'a pris, mais ça m'a occupée une petite partie de la nuit." ajouta-t-elle, se demandant si ce qu'elle disait avait vraiment d'intérêt. "Et je pense savoir ce que tu portes toi, je ne sais pas si c'est vraiment utile de te retourner la question." ajouta-t-elle avec un petit rire. Tout ressemblait à une conversation d'adolescents, à parler de choses futiles avec une certaine timidité, à faire fonctionner l'imagination de chacun. Mais jamais Joanne ne se serait doutée que lui se rappelait très bien de cette fois dans la salle du billard, et qu'il avait encore là envie de l'imaginer telle qu'elle était. Joanne restait allongée, elle regardait le plafond, plongée dans ses pensées également. Que pouvait-elle bien lui raconter d'autre ? "Je me suis dit qu'une fois, je pourrai aller au spa pour un massage, un gommage, un truc du genre. Ca fait des années que j'en n'y suis pas allée." La dernière fois remontait certainement au temps où elle était encore mariée à Hassan. Après le divorce, elle n'avait vraiment pas le coeur à faire ce genre de choses. Et même depuis qu'elle était avec Jamie, elle ne s'y était pas rendue non plus, alors qu'elle aurait vraiment pu se le permettre. Cela lui aurait fait le plus grand bien.
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Dormir devient de plus en plus une préoccupation futile. Cela ne sert plus à rien de vouloir fermer les yeux, d'autant plus que je ne suis parfois plus certain qu'ils soient ouverts. Je préfère parler avec Joanne, ce que je crois être Joanne si ce n’est pas elle. Quelque part, sa voix me réconforte, me rassure. Me fait sentir moins seul. Certes, comme je le lui disais, tout paraît plus simple par téléphone interposé. J'ai l'impression de pouvoir dire toutes les bêtises qui me passent par la tête et de ne pas avoir à en subir les conséquences. Ce qui n’est pas forcément vrai, mais c'est l'illusion que cela donne. Malgré tout, le regard de Joanne me manque. Ce n'est pas pareil sans le contact de cette paire d’yeux bleus. Quoique leur lueur n’est plus la même qu'avant. S'il reste de la douceur, la tendresse se raréfie, l’amour a disparu. Peut-être vaut-il mieux que je me l'imagine, et que je me contente de cette image dans ma tête. Des sourires que je lui prête. Une partie de moi se maudit de ressentir tout ceci, encore. Le besoin d'elle. Cette dépendance qui ne ternit pas. Malgré les jours où je la déteste, les jours où elle me manque persistent. C'est un de ces jours là. Un soir où je veux flirter avec la frontière de la réalité, entraîné par l’heure tardive. « L’autre dit… Que c’est agréable de t’avoir au bout du fil. » j'avoue avec un petit sourire gêné qu'elle ne voit pas. “J’aime ta voix.” Elle est douce, elle n’est pas forte et ne s'impose pas. Elle est comme une musique dans l'air qui caresse l'oreille. Elle sonne avec bienveillance. Elle peut se faire sensuelle parfois, quand elle le veut. Quand elle murmure au creux de l'oreille, quand elle souffle au bord des lèvres. Ce n'est pas approprié de penser à elle de cette manière désormais. Elle est hors de portée. Elle tourne la page, elle, elle ne pense sûrement plus à moi de cette façon. Pourtant elle répond à ma question à propos de ce qu'elle porte. Question sortie de nulle part, sans raison, uniquement motivée par le léger tambourinement de mon cœur. Je vois exactement de quelle nuisette elle parle. Je peux fermer les yeux et la visualiser dedans. La dentelle sur ses épaules, le décolleté laissant voir la naissance de sa poitrine, le tissu glissant sur les courbes de ses hanches pour couvrir le haut de ses cuisses et laisser le reste de ses jambes nues. « Je l’aime bien. » je murmure. Alors qu'elle évoque le bain qu'elle s'est accordé ce soir, j'imagine la salle de bains éclairée par les bougies. Étrangement je ne peux qu'imaginer celle de notre ancienne maison, et non la pièce de celle de Joanne. Là où nous avions également fait l’amour, à même le sol, ne voulant pas même rejoindre le lit. Nos bains ensemble derapaient forcément. Ils n'étaient finalement que des préliminaires dans l'eau chaude et la mousse. Impossible de rester impassibles en étant nus l'un contre l'autre de longues minutes. Je laisse mon imagination fonctionner. On ne peut pas me blâmer. « Fidèle à moi-même également. » dis-je à propos de ma propre tenue. Un petit silence prend place, loin d'être désagréable. Du moins, cela ne m'importe pas, tant que Joanne est au bout du fil. Tant que je peux sentir sa présence. Elle trouve de quoi meubler en évoquant son envie d'une séance dans un spa. J'imagine qu'avec le stress de ces derniers mois, un moment dédié à elle-même ne serait pas de refus. Laisser aux autres les soucis et qu'on prenne soin d'elle. « Si tu veux un massage, ça peut se négocier. » se glisse entre mes lèvres avant que je puisse moi-même savoir ce que j’articule, et finalement je découvre les mots en même temps que la jeune femme. Mes yeux s'arrondissent. Mais pourquoi dire une chose pareille? D’abord la tenue, puis ça ? Qu'est-ce qui cloche chez toi? Je pose le téléphone sur mon torse et plaque une main sur ma bouche ; je ne veux pas entendre sa réaction ou prendre le risque de dire une autre bêtise de ce genre. Bon dieu. Quand je reprends l'appareil, les lèvres pincées, coupables, un petit vent de panique m'empêche de rassembler des pensées cohérentes. « Oublie ça. » je lâche finalement. Mais quel abruti. Quel idiot. « Je… » Sans réfléchir, ne trouvant pas d'autre issue, je raccroche sans prévenir et envoie mon téléphone à l'autre bout du lit. Mes mains couvrent mon visage, contiennent cette bouffée de chaleur, mélange d'envie et de honte de la ressentir. Je souffle, mais rien ne m'arrête de me flageller pour cette conversation. À quoi pensais-je ? Me voilà également coupable d’avoir raccroché au nez de Joanne. Irrattrapable. Je devrais rappeler pour m'excuser. Je suis tenté mais je ne peux pas. J'ai l'impression de sentir le regard accusateur de la jeune femme à travers mon téléphone, qui me fixe lui-même avec une certaine pitié, l'air de se demander "mais qu'est-ce qu'on va faire de toi ?"
Joanne trouvait le comportement du bel homme de plus en plus étrange. Elle avait l'impression qu'il la draguait, à ne partager que des sentiments positifs par rapport à leur actuelle conversation téléphonique. Il la voulait elle, il trouvait que c'était agéable d'entendre sa voix à travers un combiné, il aimait bien parler avec elle, même de plus simples futilités. Il aimait sa voix, il semblait tout aimer chez elle lorsqu'il le disait. La jeune femme ne saurait dire si c'était une plaisanterie de sa part, de la narguer, de lui rappeler ce que c'était d'être charmée par un gentleman. Mais naïve comme elle était, Joanne se laissait avoir. Elle acceptait ses compliments, souriait avec une certaine nervosité et une certaine timidité. La suite des événements était tout aussi inattendue. Quel type d'hommes demanderait à une femme ce qu'elle pouvait bien porter au milieu de la nuit ? Dans un premier temps, ça l'avait laissé perplexe, mais elle s'était quand même décidée à répondre. Pour elle, sa tenue n'avait rien d'extraordinaire, elle ne se doutait absolument pas que la savoir en nuisette ne faisait qu'alimenter l'imagination de Jamie et peut-être un certain désir pour elle. "Qu'est-ce que tu n'aimais pas que je porte ?" lui répondit-elle avec un léger rire. "Peut-être les tenues trop décolletées, parce que les autres pouvaient autant en voir que toi à ce moment là ?" Joanne se souvenait bien de sa possessivité, d'à quel point il se délectait des regards jaloux qui se posaient sur Joanne dès qu'elle avait une rob de soirée mettant en valeur ses formes, ou avec un peu de transparence. Un long moment de silence s'imposa à nouveau, mais cela ne dérangeait personne. Un peu comme lorsqu'ils se regardaient ou s'embrassaient longuement. Durant ces moments là, les mots n'avaient tout simplement pas leur place. Joanne parlait de ses envies d'être massée, de se détendre un peu. Mais elle ne se trouvait jamais vraiment le temps de se le permettre alors qu'elle le pourrait. La petite blonde écarquilla les yeux entendant la proposition de Jamie, se demandant s'il était sérieux ou s'il pensait véritablement ses mots. Ca, c'était vraiment de la drague, non ? Joanne s'était jamais vraiment fait draguer. Enfin si, mais le magnétisme opérait des deux côtés et elle n'y voyait que du feu. C'était le cas pour Hassan, comme pour Jamie. Avant qu'elle ne parvienne à dire quoi que ce soit, le brun lui avait raccroché, sans même donner une excus bidon. Joanne regardait l'écran de son téléphone, les sourcils froncés. Elle vérifiait en premier lieu que son portable n'était pas éteint, à cours de batterie, mais non : Jamie lui avait bel et bien raccroché au nez. Sans penser à ce qui s'était dit avant sur le coup, elle le rappela. Elle répétait la manoeuvre autant de fois que cela fut nécessaire parce qu'elle savait parfaitement qu'il était en mesure de décrocher. Enfin, lorsque la tonalité laissa place à un long silence de la part de son ex, elle dit. "D'une, j'ai horreur qu'on me raccroche au nez alors ne me refais plus jamais ça." dit-elle, un peu contrariée. Joanne soupira. "Et tu sais, je crois que c'est un phénomène naturel chez l'humain, de bien se souvenir de quelque chose alors que l'on souhaite que ce soit oublié. Une manoeuvre plutôt raté, pour le coup." dit-elle après un long moment de silence, et un sourire nerveux. "Et donc, toi, à quatre heures du matin, tu me proposes vraiment de négocier pour un massage ?" Plutôt inattendu comme conversation. "Je n'aurai jamais pensé que tu puisses encore vouloir poser les mains sur moi." dit-elle avec un petit rire, toujours peu remise de cette étonnante proposition. Elle aurait très bien pu mentionner Emma : pourquoi pas elle ? Pourquoi pas à une autre alors ? Joanne devrait être la dernière personne à qui il suggérerait ce genre d'activités. "Tu aimes ma voix, tu as envie de discuter avec moi, tu aimes bien la nuisette que je porte et tu me proposes un massage. Monsieur Keynes, je serai presque prête à croire que vous êtes amoureux de moi." dit-elle d'un ton léger. Cela lui semblait bien peu probable, il était le premier à avoir été capable de se débarrasser de ses sentiments. Du moins, c'était ce que Jamie voulait laisser croire depuis plusieurs mois maintenant. "Est-ce que tu es vraiment sûr que tout va bien ?"
We could fight a war for peace Give in to that easy living Goodbye to my hopes and dreams Stop flipping for my enemies We could wave until the walls come down
Conversation étrange qu’est celle-ci. Ces sujets banals qui se transforment et mutent en toutes autres pensées. Je ne suis pas moi-même le cheminement de mes pensées qui me poussent à imaginer une chose, en dire une autre, et passer pour ce type un peu paumé qui appelle à pas d’heure pour on ne sait quelle obscure raison. Un manque, un vide à combler. Pas qu’un simple appel de la chair ; bien que j’ai parfois affirmé le contraire pour arriver à mes fins dans cette rupture, je sais qu’il y avait plus que cela entre Joanne et moi, quelque chose de vrai et de fort que nous ne pouvions pas expliquer rationnellement. Quoi qu’il est souvent impossible d’expliquer un sentiment aussi incohérent que l’amour, on lui trouve des raisons. Nous, nous avions bien peu en commun, et pourtant, tout à offrir l’un à l’autre. Alors certes, mes pensées divergent. Elles me rappellent ces flammes en nous qui se joignaient en un brasier qui éclairait nos nuits à deux. Mais si Joanne pouvait sonder mon esprit, elle comprendrait, elle seule le pourrait d’ailleurs, que c’est tout ce que ces caresses et ces baisers représentaient qui transmettaient qui me manque. Des choses que ni Emma ni n’importe quelle autre conquête ne peut prodiguer. Plutôt que de s’offusquer de mes questions indiscrètes, Joanne semble les prendre à la rigolade, ce qui me fait voir à quel point mon comportement est stupide et puérile. Je lâche même un petit rire. « Bonne question. » je réponds en songeant furtivement à ce que la jeune femme aurait pu faire qui ne l’aurait pas mise en valeur –il y a bien une robe, une fois. « Non, ce n’est pas tant ce qu’ils voyaient qui me dérangeait que la manière dont ils regardaient. » Car le regard que l’on porte sur une personne que l’on aime n’est absolument pas le même que sur une personne que l’on convoite. L’éclat est plus pernicieux, moins honnête, plus superficiel, et ne flatte pas une vraie beauté comme il se doit. On peut dire que je fais preuve de ce même manque de finesse et de tact lorsque je suggère à la petite blonde de marchander le massage qu’elle désire. Des propos pour lesquels je me maudis dans la seconde. Je ravale un juron, surpris et dépité par ma propre attitude. Et je me sens si honteux. Tant et si bien que je raccroche, pris de panique. Quelle que soit sa réponse, qu’elle refuse, qu’elle s’offusque, qu’elle accepte, qu’elle en rit ou se moque, je n’aurais pas supporté de l’entendre. Mieux vaut arrêter mes frais avant plus de bêtises. Je garde mes mains sur mes yeux, espère me réveiller de ce rêve bizarre quand je les rouvrirai. La sonnerie du téléphone résonne, insiste. Non, je ne répondrai pas. Ce n’est pas la peine. Non, ce n’est pas une bonne idée. Laisse tomber. Et finalement ma main s’en va chercher l’appareil à tâtons sur la couverture, décroche du bout du pouce et le porte à mon oreille. Immédiatement Joanne me fait la leçon, et je baisse les yeux comme un petit garçon. « Je… Pardon... » Malgré ça, elle ne semble pas m’en vouloir outre mesure. Elle reprend tout naturellement. « C’était qu’une bêtise, ça m’a échappé. » dis-je sans avoir qui je tente de convaincre. Quant à l’hypothèse selon laquelle je ne voudrais plus jamais toucher la jeune femme, je la laisse avec cette certitude bien volontiers. Son résumé de la conversation jusqu’à présent me fait bien comprendre toute l’ambiguïté qui ressort de mon comportement, et la conclusion que la jeune femme en tire me coupe le sifflet. « Qu-hein ? Non ! » Amoureux ? Surtout pas. Je m’exclame comme si cela était absolument, complètement, totalement ridicule. Me je sais ce qu’il en est. Je sais qu’en ce moment, les seuls pas que j’effectue sont vers l’arrière. « Oui, ça va, c’est juste qu’il est tard et… » Aucune autre excuse bidon ne me vient à l’esprit. « Ce n’est rien. » je soupire. Mais plutôt que de me défiler définitivement et d’enterrer cette conversation, je cherche un moyen de lui expliquer. Des mots. Il doit bien en avoir des bons. Je n’ai besoin que d’un coup de pouce de cette inspiration nocturne qui anime tant d’autres esprits à cette heure et leur permettent de se libérer. « J’ai des idées peu catholiques ce soir mais je ne pense pas que ça t’étonne. » dis-je pour gagner du temps. C'est dans la veine des avances que je lui avais faites il y a quelques temps et, au mieux, je passerai à nouveau pour un mufle. Le cœur serré, je veux me lancer, mais mes lèvres restent pincées et le silence prend place. Je ferme les yeux. Tout est plus facile quand cela a l’allure d’un rêve. « Plus sérieusement… Ce que je t’ai dit au musée est vrai. Parfois je pense à ce qu’on avait, ce qu’on aurait pu avoir, et ça me tue de voir qu’on l’a gâché. Ce n’est pas que toi, ni que moi, c’est un tout. On a ruiné cette chance. Tous les deux. » Et même la satisfaction de savoir que Joanne est plus heureuse depuis, sans moi, qu’elle se porte bien et qu’elle parvient à aller de l’avant ; avoir atteint cet objectif-là ne suffit pas à me consoler et me faire accepter que, d’un autre côté, nous avons tout perdu. J’ai tout perdu. « J’y repense beaucoup en ce moment. Je suppose que ça fait partie d’une sorte… de deuil. »
Joanne faisait dans un premier temps bien comprendre à son ex à quel point elle n'aimait pas qu'on coupe ainsi court à une conversation téléphonique. Bien qu'elle n'entendait que sa voix, elle devinait aisément l'expression de gamin qui était en train de se faire sermonner sur son visage. Joanne faisait certainement plus crédible lorsque l'on l'entendait juste. Il aurait été bien incapable de la prendre au sérieux s'il avait vu ses sourcils froncés et le nez retroussé. Une poupée contrariée, ça ne pouvait pas exister, après tout. Jamie demandait pardon, bégayant quelque peu. Il semblait confus par ses propres paroles, dérouté qu'il ait pu dire ça à haute voix. "Tu devais tout de même le penser, quelque part." dit-elle d'un ton bien plus doux qu'auparavant. Il n'avait pas la voix lorsqu'il buvait de l'alcool, il était bel et bien lucide. A moins que ce ne soit que l'heure tardive qui le rende honnête et apte à dire tout haut ce qu'il pensait bien bas. Joanne continuait sur la piste là, supposant qu'il devait être encore ou à nouveau amoureux d'elle. Encore une fois, il bégaya, surpris qu'elle le dise avec autant d'aisance certainement. Le ton qu'il employait était tout de même suspect. Il voulait se montrer crédible mais tout semblait sensiblement exagéré, un peu trop pour que ce soit naturel. Perplexe, la petite blonde fronça les sourcils. "Ca n'a pas l'air d'être rien." lui dit-elle doucement, sachant bien qu'il cachait quelque chose - et ça pouvait être n'importe quoi. Elle l'entendait soupirer, et un nouveau silence s'imposa. Elle le devinait réfléchir, penser à toute allure, et se demandait ce qu'il pouvait bien chercher à faire. "D'où le massage." affirma-t-elle en se redressant pour se retrouver à nouveau assise. "Alors était-ce un moyen subliminal de me demander une nouvelle fois d'être ta sex-friend ?" demanda-t-elle alors, s'il disait qu'il n'y avait aucun sentiment derrière ces propos, et qu'il avait des pensées peu chastes pour le moment. Joanne le faisait cogiter un petit peu, mais elle commençait à se demander s'il n'y avait vraiment plus aucun sentiment en lui. Encore une fois, un long moment sans échange se fit. La jeune femme l'entendait à peine respirer d'ailleurs. "Mais... au fond c'est quand même moi qui ai déclenché la dégringolade." Elle s'en souvenait exactement, c'était quelques minutes à peine avant que Jamie ne lui marque les avant-bras de vifs hématomes. "Peut-être qu'il n'y a effectivement pas un plus fautif que l'autre. Nous le sommes tous les deux. Mais j'ai le sentiment que... c'est moi qui ai mis la goutte d'eau qui a fait déborder le vase." Jamie ne pouvait pas le nier. Elle avait le regard bas, elle haussa les épaules. "J'y croyais toujours, même après ça. Même un peu après que tu aies enlevé la bague. D'un côté, je savais que ça signait déjà notre rupture mais une autre partie de moi espérait toujours. Parce que malgré tout, je t'aimais toujours. Je t'aimais toujours lorsque tu m'as dit que tout était fini, alors..." Elle haussa les épaules. Ca lui semblait bien lointain. "C'est comme ça." conclut-elle, bien résignée. Même après, Joanne avait tenté quelques approches. Des gestes d'affection qui ne plaisaient pas à Jamie. Il s'éloignait ou il lui demandait d'arrêter, lui faisant bien comprendre qu'elle ne devait plus réessayer. "Mais malgré la manière dont ça s'est terminé, je ne regrette rien. J'ai adoré t'aimer et recevoir ton amour en retour. Rien n'était facile, nous devions faire face à beaucoup de disputes, surtout parce que c'était le seul moyen pour nous faire comprendre l'un l'autre. Nous avions des rêves plein la tête, chaque jour était unique. J'ai appris à aimer différemment avec toi et j'ai adoré avoir pris le temps de te comprendre, de te cerner. C'était... une de mes principales activités. Et nous avons Daniel. Il y en a beaucoup qui trouvent qu'il est arrivé tôt dans leur relation, mais je n'ai pas souvent envie de leur donner le nombre de fausse-couches que j'ai eu, en contrepartie." Beaucoup trop à ses yeux. Pour Hassan, le problème venait de lui. Que dirait-il si Joanne lui disait qu'avec Jamie, elle avait perdu deux bébés ? Peut-être comprendrait-il que ça ne vient pas de lui. "Personne ne pouvait nous comprendre. D'un côté, ça me plaisait qu'on ait notre propre bulle, mais de l'autre, j'étais agacée que tout le monde pense que je fasse une sorte de syndrome de Stockholm, ou... je sais pas, tout ce qu'ils pouvaient penser de négatif. Mais nous avions notre univers à nous, et c'était quelque chose que j'aimais beaucoup." Joanne était prise d'une certaine nostalgie, ça s'entendait dans sa voix. "Et malgré tout, malgré la séparation, la nuit est une nouvelle fois de notre côté, sinon nous ne parviendrons pas à parler de tout ça tous les deux, même si c'est au bout du fil."
We could fight a war for peace Give in to that easy living Goodbye to my hopes and dreams Stop flipping for my enemies We could wave until the walls come down
On ne ferait pas plus maladroit que moi à cet instant. Bégayant des phrases sans queue ni tête, ne sachant pas moi ce que je veux dire, et étant trop angoissé, nerveux, paniqué pour mettre de l'ordre dans mes idées. Je me trouve ridicule et franchement misérable, et pourtant je persiste, à croire j'ai envie d'être pris en pitié -ce qui n'est absolument pas le cas. « Non… Non, j'ai bien compris, pas de ça avec toi. » je murmure lorsque la jeune femme pense que je recommence à lui faire des avances frivoles, un déni qui me fait faire un pas de plus en arrière. Comme quoi je ne parviens pas à tenir ce masque. Joanne sait à quel point ces moments sont compliqués pour moi. Mettre des mots sur des émotions telles que je ne les ai jamais ressenties auparavant, apprendre constamment et être novice en tout. Comme je lui disais, le bazar reste normalement dans ma tête. Et le monde le subit sans en avoir conscience. Elle a tellement subi par ma faute. Tout comme Hannah, Enora, Kelya, tous les femmes passées dans ma vie qui ont tant essayé de s'accrocher, de remplir ce vide infini. Je sais les injustices dont j'ai été à l'origine, les peines que j'ai causées. Je sais que je n'ai jamais été bon pour aucune d'entre elles. Et que toutes mes tentatives de l'être sont vaines. Je revois Saul me dire que c'est en partie le sentiment de culpabilité de Joanne qui l'a poussé à me dénoncer, parce qu'entendre une jeune femme si fragile répéter que la dégringolade de sa relation avec son fiancé est de sa faute après que celui-ci l'ai malmenée fait passer un bien mauvais message. Je le comprends maintenant. « N-non, Joanne, je ne peux pas te laisser dire ça. Ca n'était pas toi. Le déclencheur c'est qu'on ne se comprenait pas. » C'est nous deux, c'est cette incompatibilité chronique. Pourtant nous nous sommes tellement accrochés pour que cela marche. « J'ai espéré aussi. Et petit à petit je me suis rendu compte que ça n'était qu'un stade intermédiaire, une transition vers… la suite. » Pour ne pas dire la fin. Parce qu'il y a toujours cette partie de moi trop tenace qui continue de tenir bon du bout des doigts, celle qui m'a fait appeler ce soir, celle qui me pousse à veiller sur elle, celle qui me retient ici, auprès d'elle, et m'empêche de définitivement lui tourner le dos. Et cette partie là se montre bien plus forte que toute la volonté que j'ai de passer à autre chose et dont je fais pourtant preuve depuis des mois. Elle s'étiole, se fane. Il ne reste plus rien de la satisfaction d'avoir enfin fait quelque chose de bien en rompant avec Joanne pour lui donner la chance d'être heureuse loin de moi. C'est hypocrite ; je ne veux pas qu'elle soit heureuse sans moi. Je ne veux pas qu'elle aille de l'avant et me laisse derrière, je ne veux pas de ce sacrifice. Même si je le voudrais, je ne suis pas Hassan et je n'ai pas sa capacité à m’annihiler pour quelqu'un d'autre. Je ne peux pas m'empêcher de me battre. Je ne peux pas m'empêcher de vouloir me battre pour elle. Peut-être que cette nuit sera un peu de mon côté. « Je veux croire que j'ai toujours fait de mon mieux, mais je sais que c'est faux. J'aurais pu faire mieux, j'aurais pu être meilleur pour toi. Et j'aurais tellement aimé l'être. J'ai été… toxique, et jaloux, et étouffant, et je n'écoutais pas ce dont toi tu avais besoin, et j'étais trop fier pour accepter ton aide… » Dire que j'ai été imparfait serait un euphémisme. Je me redresse pour m'asseoir sur le lit. Je m'arrache les mots de la gorge, aussi douloureux et pénible cela soit-il. Ce coeur, cette bombe à retardement, est en train d'exploser. Ma main tremble autour du téléphone. « En ce moment je… Je suis pire que tout. Je suis presque heureux pour toi que tu n'aies plus à être à mes côtés tous les jours parce que ça n'est pas vivable. Je viens voir Daniel dans les bons jours mais en dehors… Je vis, tous les jours, ce rêve où je suis le garçon dans l'armoire. » Si Joanne a si bien compris ce cauchemar, alors elle saura bien vite de quoi je parle. Elle comprendra où personne ne peut. « Je ne me fais aucune illusion par rapport au rendez-vous chez le juge, dans deux semaines, je sais que je ne peux pas m'occuper de Daniel. » Cela me fait mal de l'avouer, mais je regarde la vérité en face. Je suis à peine capable de m'occuper correctement de moi et des chiens. « Et de toute manière vous avez l'air d'aller tellement mieux sans moi que je... » Je suis superflu. Ils n'ont pas besoin de moi pour être heureux, ils n'en ont jamais eu besoin. Au contraire, et tout depuis cette rupture le prouve. Je souffle un grand coup pour calmer ce rythme cardiaque qui s'emballe à force de nervosité et d'angoisse. Aucun de ces mots n'étaient supposés être prononcés un jour. Je ne sais même pas moi-même ce qu'ils impliquent vraiment. « Tout ça pour dire que, pour le moment, cette situation est la meilleure pour tout le monde. Mais vous me manquez ce soir. » Je parle en appréhendant chaque mot suivant, chaque réaction de Joanne. Je n'ai aucune idée de ce qu'elle pense et je ne suis pas certain de vouloir le découvrir -je pourrais raccrocher à nouveau après cette foule de confessions qui ne font finalement que confirmer son hypothèse. Mais dire que je suis amoureux est bien la seule chose que je ne peux pas prononcer à haute voix. Tout comme elle, car ses sentiments ont disparus.