Joanne n'oubliait certainement pas la foi où il avait osé lui faire une telle proposition. De ne se voir que pour le sexe. Le bel homme semblait bien avoir compris la leçon. Cela devrait être le cas depuis qu'il avait été avec elle. Coucher avec un homme sans avoir de sentiments pour lui était quelque chose de parfaitement inconcevable. Elle attachait énormément (voire trop ?) d'importance à toute la symbolique qu'il peut y avoir autour de cela, décuplé par son grand romantisme qui ne diminuait pas malgré tout ce qui avait pu se passer. Un autre point qui ne changeait pas vraiment : la culpabilité de la jeune femme. Bien qu'elle se soit bien atténuée à force de discours et de conversation avec Hassan ou Saul, ce sentiment semblait s'être bien attenué ces derniers temps. Il y avait des choses pour lesquelles la petite blonde ne pouvait strictement rien faire, qu'elle ne pouvait modifier aucun facteur pour espérer que tout soit plus beau. Il fallait accepter tel que c'était. Tout comme elle avait parfaitement assimilé qu'elle ne reverrait plus jamais le Hassan qu'elle avait connu à l'université et qu'il fallait faire plus ample connaissance avec celui qui avait déjà traversé bien trop de choses pour son âge. Lui avait grandement apprécié qu'elle l'accepte comme il était, qu'elle était prête à le redécouvrir. Elle était surprise que Jamie la reprenne là-dessus, qu'il admettait que c'était pas de la faute de qui que ce soit. Que c'était juste ainsi. Un autre de ces facteurs que Joanne ne pouvait atteindre. C'était particulièrement frustrant pour elle, de ne même pas essayer de rendre les choses plus belles qu'elles ne le sont. Difficile de croire qu'il n'y avait pas de véritables coupables dans leur histoire. "Il n'y avait rien à écouté, parce que je ne disais rien." répondit-elle doucement avec un maigre sourire. "Je ne disais pas ce dont j'avais besoin, parce que je ne le savais pas. Je prenais tout ce qu'on voulait bien me donner, je n'avais pas d'attentes, Jamie. Dans ma tête, c'était moi qui devais t'aider, apprendre à aimer, à te faire comprendre qu'il peut se passer de belles choses même si le destin ne s'est pas montré clément avec toi jusque là. C'était ça, mon objectif, c'était ça, ce dont j'avais besoin. J'avais besoin de t'aider, de t'aimer, de faire en sorte que tu sois heureux, parce que c'était aussi mon rôle." Tout comme cela l'était lorsqu'elle était avec Hassan. Joanne se donnait à fond, juste pour voir sourire, pour voir qu'on était serein. C'était la plus belle chose que l'on pouvait faire pour elle. "Nous étions deux bouteilles lancées dans la mer, et nous nous sommes rencontrés. Nous avions tous les deux notre histoire, nos failles, nos raisons d'avoir peur et nos raisons d'aimer." Mais comme il l'avait dit, ce n'était pas compatible. "Et ce petit garçon dans l'armoire. Certes, il hurle, mais il veut être entendu par qui ?" lui demanda-t-elle, afin qu'il y pense un peu de son côté. "Par qui veux-tu être entendu, Jamie ? C'est ça ce que tu dois te demander. Pas le moyen d'en sortir, parce qu'on t'ouvrira la porte dès qu'on t'aura entendu. Ce ne sont pas les médicaments, ni tout ce qui t'enferme. Il y a quelqu'un, ou quelque chose, qui détient cette clé. Et tu la trouveras." dit-elle, confiante. "Et tu n'as pas idée combien tu manques à Daniel. Tu n'es pas là non plus pouvoir les gros chagrins qu'il peut avoir en journée en réclamant papa à tout va. Tout le monde met en avant le rôle de la mère, mais à mes yeux celui du père est tout aussi important. Il a besoin de toi, Jamie. Tu peux lui apprendre des choses que je ne pourrai jamais lui inculquer. Tu as tant d'amour à lui donner, et lui aussi en retour. Il ne demande que ça. Et ça me rend triste de t'entendre être si pessimiste. De te dire que tout est joué. Je garde espoir que tu obtiendras cette garde, je pense que c'est ce qui te manque à l'heure actuelle. De passer du temps avec ton fils, un weekend sur deux, que vous préserviez votre relation. Daniel t'aime plus que tout. Tu ne crois pas qu'il vaut toutes les batailles qui soient ? Tu ne crois pas que ça mérite de faire comprendre que tu tiens à rester un père pour lui, que tu as tout respecté pour que ce soit possible ? Je pense que tu en es largement capable. Tu manques de confiance en toi, par rapport à tout ce que tu as traversé et,... crois-moi, je sais ce que c'est. Je sais à quel point cela nous mène au désespoir, à l'envie de tout lâcher parce que ce n'est plus la peine. Et pour avoir été bon nombre de fois à m'approcher de cette limite, je peux t'assurer que ce n'est pas la bonne direction à prendre. Je pense qu'avoir Daniel te reboostera, t'élancera et te motivera sur tes projets futurs. Si tu ne veux pas le faire pour toi, fais le pour Daniel." Mais la désillusion de Jamie semblait s'être bien accrochée à ses neurones, difficile de le convaincre qu'il était capable de toutes ces choses. Elle entendait qu'il avait envie d'une famille entière. De sa famille. Il aimait encore. Il les aimait tous les deux. "Cette situation n'est pas meilleure pour toi." lui répondit-elle tout doucement. Puis un long moment de silence. Joanne avait appris à ne plus l'aimer. Il avait réussi avec brio que ça n'en valait plus la peine. Et Joanne en aimait un autre. "Tu... Tu l'avais dit toi-même la dernière. Je ne suis pas la bonne." La petite blonde baissa les yeux, haussa ls épaules. Il fallait s'y faire. "Comme tu m'avais dit, quand j'étais à l'hôpital, que je resterai ton premier amour. C'est déjà une place de choix." dit-elle avec un rire peu forcé, devant bien se contenter de ce titre là. "Mais je ne veux pas que tu perdes espoir. Je ne suis pas celle qui a pu enfin t'ouvrir et te permettre de sortir de cette armoire. Tu feras la rencontre d'une femme bien plus apte que moi à t'aider, et je sais qu'elle te rendra heureuse." Mais ce n'était pas elle, Joanne avait perdu cette place là il y a des mois de ça. Elle n'était plus que son premier amour et la mère de son fils, mais pas sa compagne, ni sa fiancée, ni son épouse, ni celle avait qui il continuera de bâtir une famille. Ce rêve là était déjà très loin, voire même révolu, pour Joanne.
We could fight a war for peace Give in to that easy living Goodbye to my hopes and dreams Stop flipping for my enemies We could wave until the walls come down
Gorge serrée, voix muette, pris d’un étourdissement, et les forces me quittant, il me semble me fondre dans le matelas et l’obscurité de la chambre au fil des mots de Joanne. Disparaître. Je me suis rallongé, me sentant soudainement mal, inutile, futile, oublié. J’ai posé le téléphone à côté de ma tête afin que la voix de la jeune femme ne soit plus qu’un lointain écho. Je la perçois toujours, et elle me pétrifie, annihile. Le rai de lumière passant dans ma prison est victime d’une éclipse ; à cet instant se perdent toutes raisons de frapper sur les portes, d’hurler. A quoi bon si la personne qui doit m’entendre décide de m’ignorer ? On me laisse là, reclus, invisible. J’ai bien vite compris que si Joanne me donne pour quête la recherche de cette clé qui me libérera, c’est qu’elle ne considère pas l’être. C’est qu’elle ne veut pas l’être. Et qu’elle centre absolument tout sur Daniel ne fait que le confirmer. Elle s'ôte entièrement de l’équation, elle ne fait aucune mention de ce nous qui a été, et pourrait être mon moteur. Uniquement Daniel. Parce qu’il est, visiblement, concrètement, tout ce qu’il reste. Et Dieu sait que je ferais tout pour lui, que je subis ce cauchemar quotidien pour lui, pour avoir le droit d’être son père, et surtout, pour être le père dont il a besoin. Je ne le suis pas encore, pas même un peu. Je ne suis pas prêt. Et je refuse de voir mon fils comme une partie intégrante de ma thérapie ; il est celui à qui ces changements doivent bénéficier, rien d’autre. C’est quelque chose que je ne lâcherai pas, jamais. Mais j’aurais tant espéré entendre qu’au bout du tunnel, il y aura aussi celle que j’aime. Pas une autre rencontrée en chemin, une qui devra me tracter et me subir sur plusieurs mètres, pas une qui me comprendra moins bien ou à qui je m’accrocherai uniquement pour ne pas être seul face aux épreuves. N’a-t-elle toujours pas compris, dois-je le dire tout haut ? Non, cela n’aurait que plus mal. Parce que ce que Joanne me dit, entre les lignes, n’est autre que la confirmation de ce que je pensais, ce pourquoi j’ai travaillé dur dans le fond ; qu’elle ne ressent plus la même chose pour moi. Elle ne m’aime plus. Elle prend volontiers le trophée du Premier Amour que je lui avais tendu comme lot de consolation lorsque j’étais celui qui érigeait des barricades entre nous deux. Le goût de la victoire est amer. A vrai dire, coincé dans ma gorge, il me donne la nausée. Je reste longuement silencieux, tentant d’assimiler une dure réalité. Une solitude encore plus pesante qu’avant, son étreinte froide autour d’un cœur qui, sur le moment, se demande sur quel tempo, voire même pour quelle raison battre. La déception et la peine muettes m’épuisent. Ce coup supplémentaire me met à genoux. Subtil, doux, fin, il est comme une épée qui me fend tout doucement et me traverse de part en part dans l’espoir que cela soit moins douloureux. Devinez quoi, ça ne l’est pas. Je devrais me contenter de l’achèvement de la toute première mission que je m’étais donné. Accepter qu’après pareille campagne contre les sentiments de la jeune femme, il ne peut y avoir de retour en arrière. « Joanne… » je souffle, sans reprendre le téléphone. « Je dois te laisser. » Et je mets fin à l’appel sans attendre de réponse.