Il comprend bien vite qu’il a eu tort de poser la question, qu’il aurait dû s’en tenir à son mutisme sécuritaire. Il a peut-être tort de penser qu’elle a fait quelque chose de mal mais tous les indices la montre du doigts ; l’attitude de Daniel, de Gabriel et cette fuite vers Brisbane. Il n’est même pas sûr de savoir ce qu’elle fait ici, si loin du continent qui l’a vu grandir. « On dira que la réalité n’allait pas si bien à notre couple. » Il n’aura pas plus de détails. N’en demandera pas non plus même si cette réponse ne veut rien dire pour lui. Il les a vu amoureux,ensemble dans une relation qui semblait leur convenir… Du moins jusqu’à ce qu’il vienne y mettre son grain de sel. Et si il veut se convaincre que cette nuit entre eux n’a rien signifié pour elle, qu’elle ne l’a pas empêché d’accepter la demande en mariage de Daniel, de lui faire un enfant et d’être heureuse avec lui pendant des années. Il sait bien qu’une partie de lui se voile la face, alors quand elle plonge dans ses bras il n’est pas sûr de savoir comme il doit réagir. La voix dans sa tête lui dit de fuire, que toute cette histoire ne peut que lui faire du mal, que le changer et faire de sa vie un chantier qu’il n’est pas prêt à accepter mais c’est plus fort que lui. Quand elle se détache il ne peut réellement penser à l’idée de partir. Il va rester, encore un peu, aller se rassoir sur cette chaise dans la salle d’attente à bonne distance et attendre. Quoi ? Il ne le sait pas trop ? Que toute cette histoire dont il se sent lui aussi en parti coupable soit derrière lui. « Au cas où… Je devienne à nouveau un danger pour mon fils ? » Il n’esquisse même pas un sourire à cette réflexion, reste très sérieux en fronçant légèrement les sourcils. « Non pas du tout. » Il sent bien sa culpabilité et devrait sans doute la rassurer mais c’est une bien autre question qui franchit ses lèvres. « Mais… Comment pouvais-tu ne pas savoir ? » Il y a sans doute une pointe d’accusation dans sa voix, mais il n’est pas de ceux qui garde ce genre de questionnement pour lui juste pour que son interlocuteur se sente mieux. Même quand il s'agit d’Elisabeth. Ca lui semble insensé, qu’elle n’ait pas été au courant d’une allergie de ce genre. C’est son fils non ? Et si il lui a semblé comprendre que Daniel avait eu bien plus de place dans la vie de son fils jusque là, tout ça lui semble tout de même dur à imaginer.
Il se radoucit à nouveau, faisant pourtant un pas vers l’arrière pour se diriger gentiment vers la salle d’attente où il pense avoir sa place. Il ne veut pas s'incruster dans ses instants familiaux, ne pense pas avoir sa place entre Elisabeth et son fils. Il ressent pourtant le besoin de s’assurer que tout ira bien, peut-être son côté maniaque du contrôle qui ne peut accepter de ne pas avoir contrôle sur cette parcelle de sa vie - aussi éloignée soit elle. Pourtant quand elle fait un pas vers lui comme pour l’empêcher de fuir il ne bouge plus, quand sa main vient saisir la sienne il se laisse faire, il relève les yeux pour les poser dans ceux de la blonde, un frisson parcourant son échine dorsale alors que ses doigts s'emmêlent aux siens. Le geste semble simple pourtant, comme naturel, sa peau douce au contact de la sienne, cette envie de la protéger lui revient, il ne pense plus à partir peut-être ne pense-t-il même plus du tout… Il ne voit qu’elle et ce mot qu’elle prononce presque dans un soupire. « Reste. » Il y a quand même un instant d’hésitation, de flottement ou l’idée de retirer sa main et de partir le prend. Il ne peut pas être cet homme pour elle - n’est même pas sûr d’en avoir envie. « Viens avec moi… Il t’aime beaucoup et je pense que tu seras une meilleure nouvelle que moi dans cette pièce. » « Ne dis pas ça… » Il ne veut pas croire que c’est vrai, elle est sa mère. Et il est bien trop jeune pour déjà lui en vouloir ou être capable de la détester, encore plus quand elle lui montre de l’amour comme elle le fait. Il ne connaît pas tout de l’histoire mais est persuadé qu’elle a tord de penser qu’il a sa place dans cette pièce. Et pourtant il ne montre aucune résistance quand elle l'emmène avec lui, il ne défait pas sa main de la sienne prenant place à côté de ce lit d’hôpital où dort le petit garçon. Son regard se pose sur Gabriel et l’espace d’un instant il oublie que ce n’est pas sa place, que cette main qu’il tient n’est pas celle de sa femme, que ce petit garçon n’est pas le sien mais celui de l’homme qui un jour a été son meilleur ami. Il laisse pourtant la culpabilité de côté pour le moment, se contentant d’être là. Lentement il fait remonter leurs mains scellés et dépose un baiser sur la main d’Elisabeth avant de croiser à nouveau son regard son visage se fendant d'un léger sourire qui a l'air de lui dire que tout ira bien.
Ils ne parlent pas, se regardent à peine pendant ses minutes à border le petit garçon, leur mains l’une dans l’autre étant le seul contact qu’ils se permettent. Pourtant dès que la porte s’ouvre leurs réflexes respectifs sont instinctif, leurs doigts se démêlent avec une rapidité inégalée, le ramenant brutalement à la réalité et à un malaise soudain qui le prend. Il va partir cette fois… Ne pas faire de dégage dans son esprit déjà confus. « Bien, je vais pouvoir vous faire signer la décharge. » C'est le timing parfait, il a été au bout de sa mission. Gabriel va bien, il va rentrer chez lui avec sa mère et lui retrouvera son train de vie loin d’eux. « Maman… » Le petit s'est réveillé alors que sa mère est avec ce qui doit être l’infirmière et il s’approche de lui. « Alors champion, tu peux rentrer à la maison. » Gabriel sourit, encore un peu endormi. « On aurait gagné Gauthier ? » Il lui rend son sourire « Ça ne fait aucun doute. » Ébouriffant un peu ses petits cheveux blonds avant de retrouver Elisabeth qui finit de signer les papiers. « Je vais y aller maintenant que je suis assuré que tout va bien. Bonne soirée. » Pas un geste de tendresse, pas de mot d’encouragement, à peine un regard de plus il hoche vaguement la tête en signe d’adieu avant de disparaître… Comme il sait si bien le faire.
« Non pas du tout. » Ok, j’avais oublié cette petite partie de Gauthier, on ne blague que dans certaines circonstances et quand il est prévenu… Mais à ce moment-là, cette contrebalance fait un peu mal… « Mais… Comment pouvais-tu ne pas savoir ? » J’aurais peut-être dû m’éclipser plus tôt, peut-être dû me taire, peut-être dû l’éviter mais nous en sommes là. Face à cette question je me refroidis totalement. Comment je pouvais ne pas savoir ? C’est plutôt simple : comme ça. Nerveusement, mes ongles viennent effleurer la surface de mon cou, tentant de trouver une issue convenable, mais il faut se rendre à l’évidence. Je lui dois une explication, il la mérite et qui plus est, je n’ai pas le droit de me défiler face à cette responsabilité. Cette réponse je lui dois à lui tout autant qu’à moi. Il faut que j’affronte cette vérité qui n’est pas agréable, le fait que je n’ai pas été là, que je n’ai pas été la maman que j’aurais voulu être pour Gabriel et que pourtant, jusqu’à aujourd’hui, il me l’a toujours pardonné… Je relève les yeux, affrontant le regard intense et difficile de Gauthier. J’ai froid tout d’un coup mais ne lâche pas ses iris azurs qui me figent sur place. « Je ne savais pas. » Je lève les épaules impuissantes. « Il n’a jamais fait de crise comme ça, pas avec moi. Ce n’est pas pour le nombre de pistache que je mange que j’aurais pu le voir. Je crois qu’il l’avait déjà fait une fois, mais comme tout le reste c’était avec Daniel. Je n’ai pas vraiment été une mère exemplaire jusqu’à maintenant, je le sais. Je n’étais jamais là et je rentrais épuisée. J’ai tout raté pour les quatre premières années de mon fils. Je lui ai promis de me rattraper, mais je crois qu’il va falloir que j’accélère le rythme si je veux vraiment bien faire les choses… Donc non, je ne savais pas... » Avant qu’il ne lui arrive réellement quelque chose de par ma faute et mon manque de connaissance sur mon fils. J’aime cet enfant, je l’aime plus que tout au monde, plus que ma propre personne et pourtant, j’étais incapable de connaitre cette impuissance, cette maladie qu’il a et je m’en veux bien assez. Je suis bien assez grande pour me le reprocher moi-même pour que quelqu’un me le fasse noter. Surtout si cette personne est Gauthier. Je veux bien qu’il ne soit pas fautif dans l’histoire, même si… Comme on le dit si bien il faut être deux… Mais il n’a pas le droit de me reprocher cela alors que lui est tout simplement parti…
Seulement, je suis incapable de lui en vouloir plus longtemps, incapable de garder cette façade face à lui. Il acquiesce, je ne sais pas s’il comprend ou s’il retient, s’il me juge ou s’il voulait seulement savoir mais pour le moment, j’ai simplement besoin de sa présence et je ne peux donc lui tenir rigueur de ce passage légitime de sa part, plus longtemps. Je veux qu’il reste, qu’il m’accompagne qu’il ne me lâche pas et qu’il soit là pour Gabriel. C’est égoïste et injuste de ma part mais j’en ai besoin. Je me sens rarement faible, très peu souvent dans ma vie, je me suis sentie comme étant le maillon faible. Pourtant je pense que face à eux, je peux le devenir car ils me rendent fragile. Gauthier et Gabriel sont les deux personnes au monde à me rendre différente, à pouvoir me briser d’un regard. Même si Daniel a déjà bien commencé le travail, je sais qu’il reste lui-même et qu’il a toutes ses raisons, je ne peux trop lui en vouloir et même si je lui reproche pleins de choses, il ne m’a pas autant blessé que je ne l’ai fait avec lui… Quant à lui Gauthier, avec une seule parole, il a réussi à remettre toute ma vie en cause quatre ans auparavant. J’aurais pu tout plaquer si ma raison et Daniel n’avait pas été là, car face à lui, je suis faible et c’est pour cela que je préfère souvent m’en éloigner. Je suis faible mais en même temps, je me sens invincible face au reste du monde et c’est pour ça, qu’à ce moment précis, j’ai besoin de lui, de sa présence, de ce lien qui nous unis et de la douceur de ses gestes, de sa main brulante autour de la mienne… « Ne dis pas ça… » Pourtant c’est une vérité, mais ce n’est qu’un détail… J’aurais voulu que ce moment dur une éternité pour que jamais je n’ai à me poser de nouvelles questions. Nous trois dans un même endroit, ensembles. Ma respiration se fait courte et mon regard brulant lorsque ses lèvres déposent un baiser sur le revers de ma main. J’ai du mal à reprendre délicatement ma respiration, je dois fermer les yeux et me concentrer pour ne rien dire, ne rien faire que je pourrais regretter par la suite. Ma gorge se noue, mon cœur s’intensifie et la moindre parcelle de ma peau réagit à ce baiser. Ses pupilles se posant sur moi, son sourire illuminant doucement son visage enflamme mon corps entier d’un sentiment longtemps oublié. Je n’aurais peut-être pas dû… Je lui réponds d’un sourire naturel, tendre et passionnée comme je n’ai pas su en faire depuis plusieurs mois, voir peut-être plusieurs années… Je me mords doucement la lèvre, suffisamment pour retrouver un semblant d’esprit. Mes doigts frôlent ses lèvres, ressentant son souffle, avant que ma main exerce une légère pression sur la sienne. Nous ne pouvons en faire plus, je n’ai pas le droit… Et je ne sais même pas si je le souhaite réellement ou si sa seule présence me trouble véritablement à ce point…
Des minutes s’écoulent, nous restons là, proche et sans bouger jusqu’à ce que l’infirmière nous tire brutalement de cet instant rare, personnel et surtout interdit… Sauvée par le gong, ce n’est pas l’expression envisageable à ce moment ? Je me tourne vers elle, répondant à sa joie de vivre et d’annoncer la bonne nouvelle. M’approchant pour signer tous les papiers pouvant libérer mon fils. J’entends l’échange qui se déroule entre lui et son père, finissant d’achever mon cœur pour la journée. Il en profite alors pour s’échapper tel un voleur, il part, sans rien vraiment dire, sans geste, sans sourire, sans retour, sans rien, en emportant tout avec lui, il disparait. Je ferme difficilement les yeux, reprend ma respiration un long moment après avoir signé et me retourne vers mon petit garçon. « On y va maman ? » Son sourire est de retour sur son visage, il me tend les bras et en un instant il réchauffe mon myocarde comme lui seul sait le faire. Je le prends dans mes bras, l’embrasse, l’étreint alors qu’il me sert lui aussi fort dans ses bras. « On rentre à la maison mon chéri. »