It holds me 'till I ache overflow and start to break Oh I, got a feeling this will shake me down Oh I, kind of hoping this will turn me round And now it follows me every day
« Alors, verdict ? » Emma ne tourne pas autour du pot, elle va toujours droit au but. Elle laisse parfois ses pensées s’exprimer trop facilement et franchement, mais au moins, elle fait preuve de franchise et d’honnêteté. Ce sont des qualités que j’apprécie. Elle ne m’a jamais dissimulé qui elle était, ou ce qu’elle voulait. Et malgré l’accrochage au musée, depuis que j’ai fait l’effort de revenir vers elle pour arrondir les angles, notre semblant de relation paraît plus sain, sans plus d’ambiguïté. Les cartes sont sur la table, et cela est pour le mieux. La chroniqueuse tenait à m’inviter boire quelque chose après son travail ; dans un cas, nous aurions quelque chose à fêter, dans l’autre, à consoler. Dans tous les cas, cela méritait de se voir face à face. Nous nous sommes rejoints dans un café, un établissement un peu chic d’où, depuis la terrasse, la vue sur le pont et le fleuve est particulièrement plaisante. Les journées se faisant plus courtes, le ciel est déjà rosé. Il n’est pourtant qu’un peu plus de dix-sept heures, soit l’heure du thé, et c’est une infusion à la menthe qui remplit ma tasse pour ma part. Pour répondre à sa question, je la repose solennellement sur la coupelle, l’air grave et blasé. « Non… » souffle-t-elle, dépitée. Elle est mère et comprend parfaitement l’importance qu’avait ce rendez-vous pour moi. Elle, comme Joanne, comme tous, croyait dur comme fer que cette fois était la bonne, que le juge m’accorderait le droit d’être avec mon fils, chez moi, un week-end sur deux, sans la surveillance accrue de sa mère. Ce qui est le cas, mais il était bien trop tentant de faire croire le contraire à Emma pour voir sa réaction. C’est un rictus amusé par ses grognements râleurs qui me trahit. « Oh mon dieu Jamie, arrête, je suis complètement tombée dans le panneau ! » Elle me frappe le bras par vengeance, riant de sa propre crédulité. Mais elle est véritablement heureuse pour moi. « Joanne viendra plus tard, je lui ai proposé de me rejoindre pour discuter autour d’un verre, avant d’avoir droit à mon premier week-end de père célibataire. » Emma n’avait plus de faux espoirs, elle s’était rendue à l’évidence. Ce rendez-vous avec Joanne lui pince le cœur, mais elle sait que cette sensation est passagère, sans importance. « Discuter de quoi ? » demande-t-elle tout de même, autant par curiosité que par incompréhension ; elle avait cru saisir que mon ex-fiancée et moi nous adressions à peine la parole depuis quelques temps et que la situation était particulièrement pesante. A vrai dire, depuis cette sortie au Queensland Show, nous n’avons plus rien à nous dire. Joanne est brillamment parvenue à me faire regretter les paroles échangées au téléphone. Je hausse les épaules, l’idée est saugrenue pour moi aussi. « Je n’en sais rien... Juste essayer d’améliorer un peu le climat. » Une mission compliquée, peut-être impossible. Mais si j’ai pu recoller quelques morceaux avec Emma, peut-être le pourrai-je avec Joanne. Si celle-ci le veut bien. Nous discutons encore une heure avant que la chroniqueuse doive rentrer chez elle, retrouver son propre petit garçon. Elle paya son café, mit son sac sur son épaule, et se pencha pour déposer un baiser sur ma joue. « Profite bien de ton fils. » dit-elle en me serrant l’épaule en guise de soutien. Elle s’était montrée coopérante et s’en était allée avant qu’il y ait le moindre risque qu’elle soit aperçue par Joanne, afin qu’elle ne croise pas Daniel non plus. Néanmoins, je ne reste pas seul à la table longtemps. Un serveur débarrasse la tasse d’Emma et me renfloue en thé. La silhouette de la petite blonde ne tarde pas à apparaître dans l’entrée de l’établissement ; je me lève et lui fais signe jusqu’à ce qu’elle me repère et approche avec notre fils. Mon attention se focalise automatiquement sur lui. Je le prends dans mes bras pour le couvrir de baisers qui lui chatouillent les joues. « Mon petit bonhomme. Eh, tu sais que tu dors chez papa ce soir ? Nous serons que tous les deux. Ca sera ta première nuit dans ta nouvelle chambre. Et tu vas revoir Milo, et Ben. » En me rasseyant, je garde le petit sur les genoux. Il ne tarde pas à être attiré par ma serviette en papier et se donne pour objectif d’en faire un grand tas de confettis d’ici que nous partions du café. Le serveur refait son apparition, prend la commande de la jeune femme, et nous laisse à nos longs silences et nos regards en chien de faïence. Je détaille Joanne, des pieds à la tête, un peu comme si nous ne nous étions pas vus depuis des lustres. A force de ne pas s’adresser un regard, cela est peut-être le cas au final. « Tu… Tu es jolie, aujourd’hui. » je souffle timidement avec un léger sourire. De temps en temps, je m’assure que Daniel ne soit pas curieux du goût du papier en s’en fourrant dans la bouche. Il paraît très concentré. « Tu gères l’angoisse de la séparation ? » je finis par demander avec un rire nerveux, ne trouvant franchement rien de mieux pour engager la conversation en essayant de détendre l’atmosphère. Elle me semble avoir envie de prendre ses jambes à son cou –et Daniel avec elle.
Le psychologue ne semblait pas agacé par les très longues minutes de silence qu'imposait Joanne. Elle venait toujours dans son cabinet le coeur particulièrement serré, mais elle en ressentait le besoin. La plupart du temps, elle regardait dans le vide, passant en revue tout ce qu'elle rêvait d'être capable de raconter à quelqu'un sans se sentir jugée, dépréciée, insultée ou être prise pour une folle. Non, cinglée. C'était ça, le bon mot. Elle jouait nerveusement avec ses doigts. Parfois, les larmes montaient toutes seules sans qu'elle n'ait pu dire quoi que ce soit. Et malgré le peu de paroles, le professionnel parvenait tout de même à prendre quelques notes sur le simple comportement de la jeune femme. "Vous m'aviez dit l'autre jour qu'aujourd'hui est un jour important. Pourquoi ?" demanda-t-il au bout d'un moment, d'une particulièrement calme et posée. Ses iris bleus se levèrent vers l'homme qui devait être à peine plus âgé qu'elle. Puis elle rebaissa les yeux, regardant les doigts qu'elle continuait de se meurtrir. "Mon ex-fiancé et moi voyons le juge aujourd'hui. Pour voir s'il a obtenu la garde du petit." Il fit un signe de tête pour montrer qu'il avait bien compris la situation et nota qu'elle ne semblait pas vraiment encline de donner davantage de détails s'il ne la questionnait pas. "Et qu'est-ce qui vous rend si nerveuse ? Que le juge refuse, ou qu'il accepte la garde ?" Joanne haussa lentement des épaules. "Un peu des deux, je suppose." répondit-elle tout bas, la gorge serrée. "Si le juge accepte, avez-vous songé à ce que vous pourrez faire de vos weekends où votre fils serait chez lui ?" C'était bien quelque chose à laquelle elle n'avait jamais pensé. La jeune femme n'avait aucune idée de ce qu'elle pourrait faire seule. C'était la première fois depuis plus d'un an qu'on la laissait totalement seule et qu'elle n'avait pas à s'occuper de son fils. "Ce temps là pourrait vous être bénéfique. Cela vous permettra de vous recentrer un peu sur vous-même." Joanne semblait encore plus incertaine qu'elle ne l'était déjà. "C'est ça, ce qui vous effraie ? De vous retrouver seule ?" lui demanda-t-il.
Elle devrait pourtant se réjouir que Jamie obtienne la garde, elle était heureuse pour lui mais fut incapable de sourire, ni même de parler durant tout le rendez-vous avec le juge d'ailleurs. Elle était particulièrement étonnée que son ex vienne lui proposer un verre Il voulait boire un verre avec sa cinglée d'ex-fiancée, c'était forcément qu'il avait quelque chose à lui dire. Joanne avait répondu d'un signe de tête, elle-même ne savait pas si elle lui avait répondu oui ou non. Mais Jamie lui avait indiqué le lieu et l'heure de rendez-vous, donc c'était qu'elle avait certainement acquiescé d'un signe de tête. Elle ne savait pas vraiment ce qu'il cherchait à faire mais cela ne présageait rien de bon. En plus de cela, elle devait se faire à l'idée qu'elle allait passer son premier weekend toute seule et l'angoisse la prenait tellement aux tripes qu'elle ne parvenait à rien avaler de la journée. Encore une fois, elle mourrait d'envie d'en parler à quelqu'un mais elle ne savait pas à qui s'adresser. Sa grand-mère aurait été parfaite, mais elle n'était plus de ce monde. C'était alors la boule au ventre qu'elle finit par rejoindre Jamie. Celui-ci s'était levé afin qu'elle puisse le repérer et le rejoindre. La jeune femme gardait le regard bien bas, elle ne leva que lorsqu'un serveur lui demandait ce qu'elle voulait boire. Et dire qu'elle n'avait même pas envie d'un thé, ou d'un jus de fruits. Elle finit par se dire que ne demander qu'un verre d'eau ne serait pas convenable, alors elle optait pour un simple jus de pommes. Jamie portait toute son attention sur Daniel - ce qui était particulièrement normal. Il ne cachait pas vraiment son enthousiasme alors qu'une autre crainte frappa la jeune femme. Et si Daniel n'avait pas envie de rester avec sa mère au bout de ses deux jours ? Le petit avait un sacré tempérament lorsqu'il le voulait et elle l'avait bien vu lorsqu'ils étaient à Londres et qu'il ne voulait plus être dans les bras de sa mère. Celle-ci savait parfaitement que Jamie allait le gâter au possible parce qu'il ne pouvait pas s'en empêcher, cela allait forcément plaire à Daniel. Ce n'était qu'au bout de quelques minutes qu'il se décida à lui parler. Jolie ? Voilà qu'il glissait un compliment à celle qu'il l'avait traitée de cinglée quelques temps plus tôt. Une jolie cinglée, voilà ce qu'elle était. C'était un mot fort et Joanne ne l'avait certainement pas oublié. Elle ne s'était pourtant pas mise plus en beauté que d'habitude, juste de quoi être présentable pour passer devant le juge et les vêtements qu'elle avait sur elle, elle les avait dans son armoire depuis quelques temps. "Merci." souffla-t-elle tout de même bien bas, histoire de ne pas se montrer complètement impolie. Joanne se demandait ce qu'il cherchait à faire, avec ses beaux sourires et cet élan de sympathie. A moins qu'il ne tente de l'approcher pour mieux lui asséner le coup de grâce. Mais Joanne savait ce que ce n'était absolument pas le genre de son ex, mais elle ne pouvait s'empêcher d'y songer une fraction de secondes. "Pour être honnête, pas vraiment, non." En vérité, cette séparation la terrorisait. Joanne osait à peine le regarder, elle n'avait pas envie de voir dans ses yeux verts les mêmes expressions que la dernière fois. Le serveur rapportait la jus de fruits à la jeune femme et les laissa à nouveau seule. Joanne ne savait pas vraiment pourquoi il l'avait invité à boire. Elle devait juste lui confier un verre, cela ne demandait pas d'occuper la table d'un café ni de commander des boissons. Joanne n'avait plus rien à faire là et elle ne parvenait pas à décrire ce qu'elle pouvait ressentir à l'idée que, pour un weekend, elle n'avait rien à faire auprès de son fils. "J'ai ramené un sac avec quelques affaires, c'est dans le coffre de ma voiture. Je ne savais pas si tu en avais acheté, pour chez toi." dit-elle alors, montrant une fois qu'elle était un peu trop prévoyante. Mais elle n'avait aucune idée de ce qu'il avait déjà pu acheter pour son fils, pour agrémenter cette chambre parfaite dans cette maison parfaite. Joanne avait à la fois envie de s'éloigner de Jamie et de rester là. Parce qu'une fois qu'il aura embarqué Daniel avec lui, elle allait être seule. Elle préférait limiter ses dires - à vrai dire elle se limitait auprès de tout le monde désormais - pour ne pas qu'il ait à nouveau matière de penser qu'elle devrait être interner. Son état actuel la forçait à penser au pire et elle ne parvenait pas à avoir un minimum d'optimisme pour remonter la pente. Alors elle ne s'exprimait que sur le concret, ce qui importait vraiment. Pour le reste, eh bien, Jamie lui avait bien fait comprendre qu'il ne voulait plus avoir de lien particulier avec elle. La mère de son fils, voilà tout.
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Joanne n’était pas plus ou moins belle que d’habitude, c’était une femme au physique agréable en toutes circonstances à vrai dire. Elle n’a rien fait à ses cheveux, porte une robe que j’ai sûrement déjà vue par le passé. Elle ne sourit pas plus que d’habitude, au contraire, et même mes paroles peinent à arracher une petite animation au coin de ses lèvres. Le compliment était gratuit, mais non sans sincérité. A vrai dire, j’avoue m’attendre à ce qu’elle me demande si le fait d’avoir précisé qu’elle est belle aujourd’hui implique qu’elle ne l’est pas le reste du temps, ou si je fais tout simplement preuve d’ironie car il est clair qu’elle n’est pas enchantée par la perspective de me laisser repartir avec Daniel. Son remerciement sonne faux, tant pis. Second essai ; lancer la discussion, être plus sympathique que j’ai pu l’être ces derniers temps. Cela est maladroit, forcément, je le suis toujours, mais je ferai sûrement mieux plus tard, si Joanne daigne s’engouffrer dans la brèche et tenter, avec moi, d’arrondir les angles, de reconnecter quelques liens qui rendraient ce moment agréable. Là encore, pas d’exploit. Je ne suis pas vraiment étonné d’apprendre que la jeune femme ne prévoit strictement rien de son week-end seule. Je l’imagine parfaitement assise sur le canapé, au milieu d’un salon vide et silencieux, à regarder le vide des heures durant, comme un automate laissé en veille jusqu’au retour de Daniel, n’ayant pas d’autre but que d’être sa maman. Une vision particulièrement triste, monotone, mais à l’image de la Joanne que j’ai sous les yeux. « Tu devrais être contente, tu vas avoir du temps pour toi. Peut-être aller faire ce spa dont tu m’avais parlé. » je suggère avant de me rendre compte que mentionner ce détail se transforme rapidement en référence à cette conversation téléphonique que j’aimerais oublier –et elle aussi je n’en doute pas. Et le spa, c’est le moment où je lui ai proposé mes services pour un massage, l’exact tournant de la discussion qui a mené au désastre, pour ne pas dire à une sacré humiliation. Non, je n’oublierai pas la manière dont elle a retourné sa veste, prenant tantôt le titre de premier amour pour un lot de consolation, tantôt comme une porte de sortie inespérée pour me faire comprendre que tout sentiment à mon égard était mort, décédé, fané, enterré. Il n’y a plus rien, et le silence de la jeune femme le prouve. Plus rien à se dire. Si ce n’est des instructions de parent à parent. « Je… J’ai tout ce qu’il faut à la maison, tu sais, depuis longtemps. » je murmure en caressant machinalement le crâne brun de Daniel, et en essayant de ne pas me montrer vexé. J’ai été son père pendant des mois avant qu’on me l’arrache, je me suis occupé de lui, de fait je sais ce dont il a besoin. Sa chambre, ses affaires, tout le nécessaire est prêt depuis des mois, depuis le précédent rendez-vous chez le juge qui m’avait poignardé dans le dos. Oui, que Joanne en doute confirme que cette situation a trop duré. Elle-même a oublié que je suis capable de prendre soin de mon fils. Je ravale cette envie de lui demander si elle n’a pas prévu un manuel illustré concernant le changement de couches, juste au cas où je ne connaisse plus la technique. « Mais je prendrai le sac quand même, tu as sûrement pensé à des choses qui ne m’ont pas effleuré. » dis-je plutôt, avec une pointe d’ironie malgré mon envie de me montrer complaisant. Sauf que Joanne le sentira. Et se murera. Je me pince les lèvres dépité par le silence. Normalement, c’est un pas chacun, le sait-elle ? Je tente une approche, puis à son tour, chacun fait un effort jusqu’à trouver un terrain convenable pour tous. J’ai sûrement été naïf de croire que la jeune femme se montrerait coopérative. Je soupire. Le silence dure, à croire qu’elle attend mon ordre de partir. Daniel a eu le temps de faire une petite pile de papier déchiré sur la table dont il est très fier. « J’essaye de… faire quelque chose, là, Joanne. Tu n’aides pas vraiment. » je souffle, dépité. Plus vague, tu meurs. Je doute qu’elle comprenne. Autant qu’elle parte si le but de sa présence ne consiste qu’à être un vase vide. A quoi bon avoir accepté l’invitation ?
Joanne ne comprenait pas la manoeuvre du bel homme. Déjà, l'invitation, puis le compliment, l'envie de discuter avec elle. Lors de leur dernière rencontre, il avait largement fait comprendre qu'il ne comptait plus trop la côtoyer. Pourquoi voudrait-il encore converser avec une femme qu'il considérait de folle ? La petite blonde ne savait pas sur quel pied danser avec lui, à se demander s'il était sincère avec elle ou non. S'il lui avait proposé de l'inviter à boire un verre par convention, juste pour dire que et tenter de hisser un drapeau sur le champ de bataille. Elle avait partager son angoisse de séparation, qu'elle tentait de minimiser. Mais elle en était terrorisait et elle n'avait aucune idée de ce qu'elle pourrait faire une fois qu'elle serait rentrée chez elle. "Peut-être, oui. Ca peut être une bonne idée." admit-elle tout bas. "Il faut juste espérer qu'il y ait encore des disponibilités. Tout le monde doit courir vers ce genre d'endroits pour se détendre, le weekend." Et appeler la veille ou le jour même pour prendre rendez-vous n'était pas la solution la plus judicieuse. Evoquer le spa rappelait forcément la conversation qu'ils avaient eu au beau milieu de la nuit et la tournure qu'elle avait prise, et que Jamie lui avait largement reproché. Suffisamment pour douter de son ton mielleux durant cet échange particulièrement étrange. C'était devenu une quasi habitude pour Joanne de préparer des affaires pour son fils en cas de sortie. Pour elle, ce n'était pas un signe qu'elle doutait des capacités d'éducation de Jamie. Lui ne l'entendait pas de cette oreille là et le lui faisait bien comprendre. Joanne baissait encore plus la tête si cela était encore possible, se demandant comment elle pouvait faire pour enchaîner les bourdes. Ou du moins, dire des choses qui continuaient de vexer et d'outrer son ex. "Je... J'ignorais que tu lui avais aussi acheté des vêtements." balbutia-t-elle, les yeux rivés sur son verre. Joanne n'avait pas visité la chambre de Daniel. Elle ne savait pas ce qu'il avait pu acheter pour lui, bien qu'elle ne doutait pas qu'il avait lésiné sur les moyens pour gâter et habiller son fils comme il se doit. Le ton qu'employait Jamie lorsqu'il tentait d'arrondir les angles "Ca ne doit pas être la peine que tu prennes le sac, alors. C'est juste... une mauvaise habitude que j'ai. J'ai été bête." dit-elle en haussant les épaules, faisant de son mieux pour aller dans son sens et pour éviter une nouvelle situation de crise en public qu'elle ne supporterait certainement pas. Elle respectait cette règle qu'elle s'imposait depuis quelque temps, qui était de ne plus dire toutes ces choses qui lui brûlaient les lèvres et qu'elle avait sur le coeur, sachant bien que ça ne ferait qu'enliser la situation déjà plus que bancale. Elle but une fine gorgée de son jus de fruits, mais rien que ça lui donnait des haut-le-coeurs. Alors le silence était bien là, entre eux, horriblement lourd et pesant. Daniel ne semblait pas s'en soucier, tant il s'amusait avec la serviette en papier qui n'était plus qu'un tas de confettis désormais. Jamie essayait de faire quelque chose. Mais quoi ? Enfin, elle leva les yeux vers lui, mais très brièvement. Elle pencha légèrement la tête, les yeux rivés sur son verre. Elle finit par se dire qu'un verre de vin lui donnerait bien plus envie. "J'ai été surprise que tu aies voulu inviter une... cinglée... à boire un verre pour ... discuter." Rien que d'énoncer ce mot la touchait. Sa gorge se serrait et ses yeux devenaient plus brillants. Elle déglutit difficilement sa salive. "Je sais que je ne vais pas bien, Jamie. Et ça n'a pas été facile pour moi d'accepter de... de vouloir retourner voir un de ces... professionnels. Surtout après ce qu'il s'est passé la dernière fois." Le dernier psychologue qu'elle était allée voir, à la demande de Jamie, s'était envolé du jour au lendemain. "Et d'accord, tu penses peut-être que je suis folle à lier, peut-être même que tu as raison, ces fois où tu disais que ce n'est pas plus mal que je me fasse interner, que je ne devrais pas avoir la garde de Daniel, je n'en sais rien. Je... J'essaie de faire de mon mieux. Mais me traiter de but en blanc de cinglée... ça m'a touchée." Son ton était posé, étrangement calme, quoi que sa voix tremblait par moment. Joanne n'avait plus vraiment la force de s'énerver, à vrai dire. Elle ne voulait pas de ses excuses ou de ses justifications ou des raisons de ses paroles. Mais au moins il savait d'où venait le manque de paroles. Elle balaya d'un geste de mains ce qu'elle venait de dire avant de lever ses yeux vers lui. "Alors, qu'est-ce que tu as prévu pour ce premier weekend juste avec ton fils ?" demanda-t-elle avec un vague sourire. A moins que cette question ne soit trop intrusive aussi, elle n'en savait trop rien. "A moins que ce ne soit top secret ?" dit-elle avec rire nerveux.
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L'idée du spa allume une lumière au-dessus du crâne blond de Joanne. « Je peux passer un coup de fil si tu veux. » je suggère. Ce genre de planning ne s'improvise pas du jour au lendemain, alors si elle déboute mon offre, cette idée devra attendre deux semaines supplémentaires. J'espère qu'elle adoptera rapidement l'habitude d'accepter et de profiter de ces quelques jours pour elle. C'est certainement l'habitude des fois où elle confie Daniel a ses parents qui l’a poussée à faire ce sac. Je me fais une raison, j'essaye ; elle ne pensait pas à mal. Mais pensait-elle tout court ? J’arque un sourcil. Ne pas penser aux vêtements ? Alors que Joanne baisse les yeux, les miens roulent dans leurs orbites. Et quelque chose me dit que cela ne sera pas la seule fois durant cette conversation. « Je me demande quel genre de père je ferais si je ne comptais pas habiller mon fils. » dis-je sur le ton de la plaisanterie, sans trop songer que cela pourrait tout bonnement enfoncer le clou de la culpabilité de Joanne. Finalement, je ne prendrai pas le sac. Du moins c'est ce qu'elle dit, et je ne suis pas d’humeur à me battre outre mesure, insister. Ma dernière tentative pour secouer la jeune femme, lui faire comprendre que je ne souhaite pas que nous demeurions dans cette guerre froide plus longtemps, consiste en une phrase particulièrement vague au bout de longues minutes de silence. Ce à quoi Joanne ne répond qu'avec des reproches voilés. C'est à ce moment que mes yeux roulent à nouveau. Les femmes ont véritablement ce don particulier les rendant capables de retenir tout ce que vous dites sur des années, au mot près, uniquement dans le but de vous les jeter à la figure au moment opportun. Rien ne leur échappe. Rien. Et tout est libre d'interprétation, de sortie de contexte. Tout peut-être remodelé. Même le plus petit mot, la moindre pensée vous ayant échappé. C'est une manoeuvre qui me dépite. Il est toujours question d'être le méchant, n’est-ce pas ? « Joanne, j'ai uniquement employé tes mots. » Elle s'était elle-même qualifiée de cinglée lors de cette fameuse conversation téléphonique. Je n’ai pas inventé le terme. « Qu'ils te blessent plus de ma bouche que de la tienne, je n'y peux rien. » Après tout, elle ne peut pas reprocher aux autres d'adhérer à la manière dont elle-même se voit. Ou alors, il est nécessaire qu'elle revoie les qualificatifs qu'elle emploie son propre sujet. Elle balaye la conversation, tant mieux. L'air moins grave, dissimulant le mal-être qui n’a pas disparu en un claquement de doigts, elle engage à son tour la conversation. « Je crois que des retrouvailles avec les chiens s'imposent, pour commencer. Une découverte de la chambre, des jouets... » Même si Daniel a déjà pu explorer tout ceci le jour où Joanne avait accepté de l'emmener chez moi, il n’y était resté que quelques heures d'une après-midi. C'était à peine assez pour comprendre que cette chambre est la sienne, ou même que cette maison est la mienne. Mais il n’est pas question de le brusquer. Comme souvent, dans l'espoir de bien faire, de la lecture à ce sujet s'est imposée afin de connaître la bonne manière, ou au moins l’une des bonnes manières de s'y prendre de dans un cas comme le nôtre. « J’aviserai selon comment il se sent à la maison, et comment la nuit se passe, à vrai dire. Il sera sûrement déstabilisé alors l'idée sera surtout de le familiariser avec ce nouvel environnement cette fois. » L’art de parler comme un livre et de trahir complètement des heures de renseignements. Je ris nerveusement. Comme si j'avais la moindre idée de ce que je fais. « Ça va lui faire bizarre que tu ne sois pas là. » je reformule. Faute de papier à déchirer, Daniel fait preuve d'un peu d'impatience qu'il exprime par des babillements bruyants visant à attirer notre attention. Je trouve son doudou dans son cosy et le lui tend, déposant un baiser sur son front par la même occasion. Le voilà en grande conversation enthousiaste avec son ourson. « Moins fort trésor. » je souffle, même si les regards désapprobateurs des célibataires présents dans le café sont le cadet de mes soucis. C'est plutôt la petit mine de Joanne qui m'inquiète. « Qu'est-ce qu'il se passe, Joanne ? » je demande finalement. Elle semblait tellement bien partie, sur le chemin d'un bonheur que je ne pouvais pas lui donner. Entre le travail et la danse, elle s'était forgé un environnement qui lui plaisait. Elle a une maison, une belle somme de côté. Elle a cet ami, Wes, et maintenant un professionnel à qui parler. Pourtant elle paraît au bord de jenesais quel précipice dans lequel le moindre coup de vent peut la faire tomber. « Je ne suis sûrement pas celui à qui tu veux parler, mais je suis toujours là. » Je le lui martèle depuis toujours. Ces dernières semaines, ces derniers mois sont une piètre illustration de mon dévouement pour elle, mais qu'importe où nous en sommes, elle est aussi ma famille. Et il n'y a rien de plus important.
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Dernière édition par Jamie Keynes le Mer 22 Mar 2017 - 19:32, édité 1 fois
Joanne se demandait pourquoi Jamie se montrait si bienveillant envers elle, malgré tout. Leur relation n'était pas au beau fixe. D'ailleurs ça n'a certainement jamais été aussi pire que cette fois ci. Et pourtant, il lui proposait d’appeler un centre de spa pour elle afin qu'elle puisse décrocher un rendez-vous pour le week-end qui arrivait. Jamie savait se montrer persuasif, mais pourquoi voulait-il l'être pour aider son ex fiancée ? Elle savait qu'il avait un bon fond mais l'état de leur relation mettait en question cette bienveillance pourtant bien naturelle. “Pourquoi pas, oui.” répondit-elle avec un vague haussement d’épaules et un sourire bien trop timide pour être parfaitement visible.”J’ai une collègue qui est divorcée et qui prépare toujours un sac d’affaires pour les weekends où ses enfants vont chez son père… J’ai pris exemple.” Les parents de Joanne n’étaient pas séparés. Elle en connaissait qui l’était mais elle ne s’était jamais posée ce genre de question pratique autour de la garde de l’enfant. Mieux valait être prévoyant, mais cette fois-ci semblait avoir un retour négatif et Joanne était persuadée que le beau brun l’avait mal pris, d’une manière ou d’une autre. Elle n’était pas vraiment en capacité de saisir la légèreté de ses phrases, ses traits de plaisanterie. Elle n’avait pas vraiment le coeur à rire et cela lui était tout aussi pesant. C’était étrange à quel point certains détails les faisaient toujours revenir sur cette conversation qui s’était déroulée au beau milieu de la nuit. Elle n’avait pas souvenir d’avoir employée ce mot, mais Jamie avait certainement raison. Elle ne préférait rien ajouter à cela et il semblait satisfait qu’elle n’ait rien à dire à ce sujet non plus. Cela n’empêchait en rien la lourdeur de la situation mais Joanne s’efforçait d’être de meilleure compagnie. Et puis cela ne signifiait pas non plus qu’elle se sentait moins mal qu’auparavant. C’était même certainement bien le contraire. Qu’importe. Le brun y répondait volontiers, tenant à laisser du temps à Daniel pour s’acclimater à ce second chez lui. Des retrouvailles étaient de rigueur avec les chiens. Tout allait dépendre des réactions du petit face à tant de nouveautés. Il était facile de deviner que Jamie s’était énormément documenté à ce sujet, il suffisait d’entendre les termes qu’il employait. Joanne ne se faisait pas vraiment de soucis à ce sujet. Il riait nerveusement, tentant de traduire ce flot de paroles issu de livres en une seule phrase. Bien évidemment, la petite blonde peinait à le croire. Elle sourit simplement. “Je pense qu’il le vivra très bien.” répondit-elle tout bas. “Il a envie de passer du temps avec toi.” Ce n’était pas difficile à deviner. Il y avait des signes qui ne trompaient pas et que Joanne avait réussi à repérer et à comprendre. Daniel voulait d’ailleurs faire un peu part à la conversation en s’exprimant haut et fort. Jamie sortit rapidement la peluche nécessaire pour qu’il reste calme. Pendant ce temps, la jeune femme regardait toujours dans le vide. Elle se disait à ce moment là qu’ils n’avaient plus grand chose à se dire et qu’il était peut-être temps qu’elle les laisse tranquille mais le fait que Jamie reprenne la parole coupa court son fil de pensées. Malgré tout, malgré absolument tout, il voulait se montrer présent pour elle, pour une raison qu’elle ne parvenait pas à trouver. Il le lui répétait couramment depuis leur séparation, et elle appréciait ce geste. Mais Joanne ne pouvait s’empêcher ne penser qu’à chaque fois qu’elle lui demandait un service, c’était déjà trop demandé. Et ça la bloquait beaucoup alors qu’il était certainement le seul à pouvoir agir ou trouver les bons mots pour elle. Elle demeura longuement silencieuse, se demandant à qui il serait plus judicieux de parler. Elle ne trouvait pas vraiment de réponse. “Je…” Elle bégaya longuement avant de réussir à dire quoi que ce soit. “Je suis en préavis de licenciement.” dit-elle avec un sourire forcé, tentant de se dire qu’avec la somme d’argent récemment acquise, elle allait avoir le temps de se remettre sur pied et de retrouver un emploi sans avoir à s’inquiéter. “La femme que je remplace a accouché et a finalement décidé de revenir plus tôt et de ne pas prendre de congés de maternité vu que ce n’est pas rémunéré.” Elle haussa les épaules. C’était le genre de choses à laquelle elle s’était un petit peu attendue à ce que ce genre de nouvelles lui tombe dessus. Après tout, ce contrat n’était et n’avait jamais été une garantie pour la suite des événements. “Elle reviendra fin avril normalement.” Difficile pour Joanne de relativiser et de se dire que tout ira bien, mais c’était un réel nouveau coup dur pour elle. Elle souriait, l’on sentait que ce n’était pas tout à fait naturel mais parfois elle voulait croire qu’elle était plus forte que ça. “Aussi, Wesley ne semble pas vraiment comprendre que je préfère rester loin des soirées mondaines en ce moment. Il est persuadé que ça me ferait le plus grand bien.” Elle rit nerveusement, parce qu’elle trouvait l’avis de son ami particulièrement ridicule. “Mais bon.” Joanne haussa des épaules, se disant qu'elle devait faire avec de toute façon. Il y avait évidemment beaucoup d’autres choses qui la tracassaient ces derniers temps. Ce n’était parfois que des détails parfaitement minimes, mais c’était déjà de trop pour elle.
It holds me 'till I ache overflow and start to break Oh I, got a feeling this will shake me down Oh I, kind of hoping this will turn me round And now it follows me every day
Il n’a jamais été plus compliqué de définir ma relation actuelle avec Joanne, mon ressenti. Depuis cette conversation au téléphone, la chose est encore plus ambivalente. Il existait déjà des moments d'affection et des moments de colère, des hauts très hauts et des bas très bas. Des moments de complicité, des disputes. Cela n'était pas forcément un climat idéal, mais sûrement était-il préférable à la situation actuelle. Désormais, l’affection et la rancoeur se mêlent et forment un tout plus linéaire qui mêle cette étrange soupe de pensées et de sentiments pour donner un état impossible à qualifier. Une amertume teintée de frustration qu'un éternel optimisme tente d'améliorer. Cela ne ressemble à rien, c'est l’eau et l'huile qu’on essaye de mélanger en vain, c'est le jour qui tente de retenir le dernier rayon de soleil menaçant de plonger sous la ligne d'horizon et créé par son entêtement un crépuscule éternel. Et le ciel rose au-dessus du fleuve de Brisbane, non loin de nous, nous plonge dans cette atmosphère qui nous ressemble ; cet entre deux souligné par une brise froide. Mon coeur va de gauche à droite, indécis. Une minute j'aime Joanne, la suivante beaucoup moins. Parfois elle m'inspire une parfaite indifférence, parfois tout me manque. Elle m'énerve, elle m'attendrit. Le tout valse en moi à grande vitesse, ne me permettant plus de savoir sur quel pied danser. Et contre cela, les médicaments ne peuvent rien. Ils peuvent tout contrôler, tout tempérer, tout aplanir, rendre le monde moins coloré, moins sonore, moins goûtu. Mais ils ne peuvent pas décider à ma place ce que je ressens vis-à-vis de Joanne. Et actuellement, c'est non-identifié. La peine qui émane d'elle peut m'insupporter, puis me donner envie de lui tendre une main. Cela ne coûte rien, une question, demander d'où lui vient cette moue triste. Apprendre qu’elle ne gardera pas le poste au musée qui lui plaît tant, ce qui lui avait rendu le sourire et le lui reprend aussitôt. Et comprendre le coup dur qui s'abat sur elle. « Oh... » Un souffle de surprise, l'éventualité que Joanne ne soit pas retenue ne m’aurait jamais traversé l'esprit. En revanche je ne suis pas surpris qu'elle rejette les options qui lui sont proposées par un ami qui lui veut du bien pour lui remonter le moral. C'est Joanne après tout. « Je suis désolé, pour le travail. Tu trouveras sûrement une nouvelle mission. Et peut-être que sortir te ferait du bien. Pas forcément dans de grands événements… J'écume assez les vernissages en ce moment, et parfois c'est plaisant. Tu peux essayer. » C'est un bon moyen de voir du monde, en rencontrer, et avoir un moment pour soi, en tête-à-tête avec une oeuvre pendant quelques minutes. Cela reste son environnement, son terrain, un univers qu'elle maîtrise, où elle sera chez elle. Les éclats de voix de Daniel nous valent encore quelques regards désapprobateurs que j'ignore. Je me contente de lui souffler d'être moins bruyant en déposant un baiser au sommet de son crâne. Mon regard reste posé sur Joanne. Je libère une de mes mains pour la poser sur ses doigts nerveux. « Ca ira. » Voilà la phrase que bon nombre de personnes ne supportent pas d'entendre dans un moment pareil, et pourtant, que dire d'autre ? Un simple constat, ça arrive, c'est la vie ? Rien du tout ? Non, quelques mots montrent que l’on est concerné. Une voix est une présence. Des paroles aussi banales peuvent constituer un minimum de réconfort. Mais si cela n’est pas suffisant, je reprends ; « Souviens-toi que tant que tu as Daniel, tu as une raison d'être là. Et tu as quelqu'un qui t'aime plus que tout au monde parce que… tu es le monde, pour lui. » Le petit lève toujours les yeux lorsqu'il entend son nom prononcé par ses parents, prouvant que même depuis sa bulle, il est attentif. Il nous adresse un regard, l'air de demander pourquoi il est évoqué dans la conversation des grands, et nous adresse un sourire. « C'est ce que je me dis quasiment tous les matins. Que je ferais n'importe quoi pour cette bouille. » Une motivation efficace, qui me permet de pouvoir repartir avec lui quelques jours après cette discussion. Je caresse ses bonnes joues du dos de la main. Entre temps, il a repris ses jeux avec sa peluche, affalé contre moi. Peut-être que mes paroles n’ont plus de poids pour Joanne. Qu'importe la période que j'ai traversé et les leçons tirées, rien ne l’oblige à écouter ou accorder du crédit à mes mots. Elle en fera ce qu'elle veut, croira au bien que je lui souhaite ou pas. « Tu sais, je n'ai jamais été doué pour exprimer des pensées simples. Je n'ai peut-être pas assez souvent dit que je crois en toi. Il suffit que tu le veuilles pour que tout te sourit. J'ai toujours espéré qu'un jour tu réaliseras que tu es plus forte que ce que tu veux croire. Alors je pense que tu trouveras un nouveau travail que tu aimes, que tu te feras des amis tels que tu n'aurais peut-être pas pensé en avoir, et que les choses s'amélioreront. Il suffit de s'accorder une chance. Il faut se dire que ce bout de chou compte sur nous. Si on ne l'inspire pas, qui le fera ? »
S’il y avait bien une personne qui avait fait énormément d’effort pour tenter de la comprendre, c’était bien Jamie. Malgré ses propres problèmes, son esprit également perturbé par un passif marquant, il s’était toujours soucié et inquiété des idées noires de Joanne. Et malgré leur mésentente et la tension actuelle, il semblait qu’il était impossible pour lui d’ignorer qu’elle n’allait pas bien, qu’elle était à bout. Il n’en connaissait pas les raisons et ne demandait qu’à les connaître, et pour cela, il fallait qu’elle parvienne à les énoncer, à mettre des mots dessus. Une tâche particulièrement difficile pour elle, alors que Joanne avait toujours eu bien plus d’aisance à verbaliser ses émotions. Les pensées qui la traversaient là étaient plus tenaces, bien trop complexes pour pouvoir y coller des mots exacts. Alors elle parlait des premières choses qui lui venaient à l’esprit, alors que tout était mélangé et particulièrement difforme. Si difforme que cela en était effrayant pour elle. Mais perdre son travail était un premier coup dur pour elle, et Jamie peinait à cacher sa surprise. A croire qu’il était évident pour lui qu’elle conserverait son poste. “J’ai… Je me suis quand même risquée à demander s’il n’y avait vraiment aucun moyen de me garder, mais on m’a bien fait comprendre qu’ils ne voulaient pas gonfler les effectifs, même s’il ne s’agissait que d’un nouvel employé.” Au moins, elle aura demandé, on ne pourra pas dire qu’elle n’avait rien fait pour tenter de rester au Queensland Museum. Concentrée sur ses doigts qui se torturaient l’un l’autre, elle était surprise de voir Jamie poser délicatement sa main dessus. Elle aurait pu grincer des dents lorsque Jamie lui suggérait de se rendre à un vernissage ou autre événement du genre. Pas forcément des galas ou des réceptions, mais c’était juste à ce type de soirées que Wesley voulait l’emmener avec lui. Et Joanne avait refusé à chaque fois. “Mais Wes, lui, veut justement m’emmener à de grands événements, comme tu dis.” Elle haussa les épaules. Les dernières fois s’étaient mal passées, il y avait en effet des circonstances particulièrement atténuantes qu’elle n’aurait peut-être pas rencontré par la suite. Mais elle était tout de même bien refroidie et ça ne lui donnait plus vraiment envie. Bien qu’elle aimait toujours les belles robes et qu’elle se surprenait elle-même lorsqu’elle se disait que ça lui manquait, parfois, de se faire belle comme ça. De se faire belle pour la personne qu’elle aimait. Joanne ne savait toujours pas le faire juste pour elle. Elle n’était pas certaine que tout ira pour elle. C’est pourquoi Jamie jugeait bon de reprendre la parole et de prononcer des mots qui eurent une sacrée importance aux yeux de la jeune femme. Trouver une raison d’être là. Elle ne saurait dire s’il était parvenu à jauger la grandeur de son désespoir au point de se dire qu’il fallait lui rappeler une de ses principales raisons de vivre. Alors que jusqu’ici, il n’appréciait pas forcément le fait que Joanne ne puisse exister que pour leur fils. Là, il l’utilisait presque comme un point fort. “Il aime énormément son père, aussi.” tint-elle à rectifier, la voix plus que tremblante, émue et hésitante à la fois. Bien sûr que les paroles de Jamie avaient toute leur importance aux yeux de la jeune femme. Des choses dont elle avait besoin d’entendre. Peut-être que Jamie l’avait toujours pensé, mais le fait qu’il dise haut et fort que, quelque part, il avait toujours cru en elle, même à l’heure actuelle, eut un réel impact sur la jeune femme. Dieu sait qu’elle aimerait repartir du bon pied en un claquement de doigt, avoir toutes les armes nécessaires pour avoir un peu plus de contrôle sur sa vie. Mais elle se sentait totalement nue, et surtout, incapable. Jamie espérait pour elle que la roue tourne et qu’elle aille mieux en utilisant toujours la même source de motivation : leur enfant. Joanne retenait ses larmes, et pourtant elles étaient bien là, prêtes à couler. “Je… Je vais essayer. Je vais bien finir par y arriver.” dit-elle en passant une main sur son visage dans l’espoir de reprendre un peu ses esprits - en vain. “J’aimerais déjà réussir à dormir. Ces dernières semaines, c’était… J’y arrivais pas.” Elle déglutit. “J’ai du aller voir mon médecin pour refaire des prescriptions parce que j’étais à court de médicaments pour…. Enfin tu sais. Et au passage, il m’a prescrit des somnifères. Mais… j’ose pas. J’en ai peur. Je me dis que si j’en prends, si je fais un cauchemar et que je n’arrive pas à me réveiller quand je le veux, je fais quoi ?” Joanne préférerait encore enchaîner les insomnies plutôt que de rester coincée dans ses mauvais rêves. “Il y a juste certaines choses dont je voudrais parler mais, je peux juste pas en parler à qui que ce soit. Je ne me vois même pas en parler au psy, en fait. Alors il faut que je garde tout ça pour moi, même si c’est… grave, disons. Du moins, c'est extrêmement pesant pour moi.” Joanne essuya rapidement une larme qui avait fini par couler le long de sa joue. Daniel levait les yeux sur sa mère, et semblait inquiet de la voir avec les yeux si rouges. Elle lui sourit, puis tendit le bras afin de pouvoir lui caresser délicatement la joue. “Maman va bien, mon trésor. Continue de jouer avec ta peluche.” dit-elle de sa voix douce. Daniel la fixa encore quelques secondes avant de se décider à retourner à ses occupations. Joanne soupira longuement. “J’aimerais vraiment retrouver rapidement un travail, je n’ai pas envie de rester à longueur de journée à la maison. Idéalement, j’adorerais retourner au Museum of Brisbane, parce que c’est bien le musée qui me correspond le plus et… j’aime vraiment cet endroit.” Elle forçait un sourire. “Je veux juste… avoir autre chose à penser que… ça. Reprendre ma vie en main.”
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Tout au long de mes paroles, je devine dans le regard de Joanne les larmes border ses yeux, apparaître et disparaître à chaque fois qu’elle se laisse submerger puis tenter de les ravaler. Elle paraît nerveusement fatiguée, émotionnellement à bout. Je ne peux pas m’empêcher de croire que cela est à cause d’un homme. Je sais à quel point la jeune femme se laisser affecter par les moindres détails d’une relation. Cela fait sens, qu’elle me fasse comprendre d’un côté qu’elle ne m’aime plus, qu’il n’y a plus que Daniel pour nous lier, puis maintenant de la voir ainsi… Il y a quelqu’un, c’est certain. Quelqu’un qui, visiblement, ne fait pas mieux que moi. Mes mots ont au moins l’air d’avoir un impact, de la réconforter. J’ai toujours pensé qu’il n’était pas possible de vivre pour autre chose que soi-même. Que le bonheur passait obligatoirement par un épanouissement personnel. Et puis, il y a eu cette rupture, le procès, l’éloignement de mon fils, l’atmosphère étouffante au travail, l’effondrement d’un monde et d’une ère pour moi. La perte de tous les repères. Dans les moments difficiles, je me réfugiais dans le travail, ou dans l’art. Je n’avais plus l’un ni l’autre. Il est nécessaire de s’adapter. De revoir ses standards pour faire face à une situation nouvelle. Dans ce chaos, finalement, en dehors du mince espoir de parvenir à rebâtir ma réputation sur le long terme, il ne me restait que Daniel pour motiver chacun de mes efforts. Ce jour était l’objectif. Et ce bonheur-là peut m’alimenter fort longtemps. Maintenant, j’imagine que je peux entrevoir la manière de penser de Joanne, même si désormais, d’expérience, cela ne me fait toujours pas accepter son comportement lorsque nous étions ensemble. Car pareil mode de pensée nécessite une dose de désespoir que je n’admets pas qu’elle ait pu avoir au sein de la vie qui lui était offerte. Qu’importe, il n’y a plus de débat à ouvrir à ce sujet, plus de questions ouvertes ; cela n’allait pas, ne lui convenait pas, et cela a pris fin. C’est le tour d’un autre de la rendre heureuse, et pour le moment, ce n’est pas le cas. Ma main reste sur la sienne, encourageante. Elle avoue son manque de repos qui mettent ses nerfs à fleur de peau. Elle n’a jamais voulu prendre de somnifères. Pour ma part, je n’en ai jamais eu besoin. « Je n’en sais rien. C’est au médecin qu’il faut demander ce genre de choses. Mais je pense qu’un mauvais rêve se suffit à lui-même pour te réveiller. » Pour ce que je rêve, d’ailleurs… Je ne suis d’aucune aide. Joanne renferme une fois encore bien des pensées. Elle a les aveux sur le bord des lèvres, des choses qui ne demandent qu’à sortir pour alléger ses épaules, mais elles demeurent dans ce coffre, scellé, qui lui alourdit le cœur. Quelque chose de grave. Mes sourcils se froncent, mais ne lui en font pas dire plus. Elle ne se confiera pas à moi de toute manière. Le psy ne lui inspire pas plus confiance. « Je sais… Enfin, je comprends qu’il y a des choses pour lesquelles on se persuade qu’il ne faut rien dire, que personne ne comprendrait. Même un psy. Après tout, ce n’est qu’une personne, pourquoi comprendrait-il mieux qu’une autre ? » J’hausse les épaules. On se force, cela fait parfois du bien, parfois la séance est inutile. On en sort sans réponses concrètes, car ce n’est pas à qui que ce soit d’autre que vous d’en fournir. Le psy n’est pas le traducteur du manuel de l’existence avec lequel nous n’avons pas été fournis à la naissance. Ce n’est qu’un homme, ou une femme, qui a lu des livres. « Tu y arriveras. » je conclus avec un fin sourire. Et je ne la laisserai pas dire ‘’mais’’ ou ‘’et si’’. « Parlons de quelque chose de plus joyeux, je reprends rapidement en retirant ma main des siennes, car elle n’en aura plus besoin à la fin du récit. Tu as entendu parler de ce styliste qui s’est installé dans une maison datant de la Renaissance à Florence ? Yvan Mispelaere, il est français. C’est une connaissance de Jon, je lui ai parlé peut-être une ou deux fois. On aime ou pas. En bref, il a complètement réaménagé cette maison il y a, quoi, deux ans. Il y a une semaine, il a décidé qu’il allait un peu plus tout dénaturer en faisant des travaux plus lourds d’agrandissement. Et il a remarqué, après s’être renseigné sur l’histoire du bâtiment, que les plans ne correspondent pas du tout. Il y a une pièce qui devait être là, et qui n’existait pas. Alors il a abattu le mur qui aurait dû être une porte, et il a trouvé un vrai trésor. Des tableaux par dizaines. Tous signés de la même personne. » En faisant attention à Daniels sur mes genoux, je prends une gorgée de thé en adressant un regard malicieux à Joanne. « Je te laisse deviner qui. » dis-je les lèvres au bord de la tasse. Une fois celle-ci reposée, et le petit remis d’une manière plus confortable, je reprends ; « J’ai décidé d’aller sur place pour voir tout ça. J’irai quelques jours à Florence le mois prochain. » D’une certaine manière, prendre l’air, m’éloigner de Brisbane, même peu de temps, ne peut que me faire du bien.
Jamie devait peut-être être désespéré de voir que son ex fiancée était loin d’aller mieux. Il était loin d’être idiot, il devait bien se douter que le fait qu’elle soit au plus mal puisse venir d’un facteur dont il n’avait pas connaissance. Il avait de bonnes capacités de raisonnement, contrairement à elle, qui lui laissaient supposer qu’il y avait eu un incident, un événement, quelque chose qui avait suffisamment bouleversé la jeune femme pour qu’elle soit à bout. La première chose dont elle avait besoin était du repos et de bonnes nuits de sommeil mais elle était terrifiée à la simple idée de devoir chercher ces médicaments là à la pharmacie. L’angoisse de ne pas se réveiller semblait improbable mais était cependant bien présente dans l’esprit meurtri de la jeune femme, qui ne souhaitait pas rester enfermée dans ses propres cauchemars. “Je vais le lui demander, oui.” souffla-t-elle tout bas. “Peut-être que… Ca ira, ce weekend. Je n’aurai pas à me dire que je dois être sur le qui-vive si Daniel ne va pas bien ou… Je ne sais pas.” Elle haussa les épaules, tentant de se persuader qu’elle parviendrait à dormir à un moment donné, utilisant tous les prétextes pour éviter ces médicaments là. Certes, ils étaient prescrits sur un bout de papier mais ce n’était pas ce qui allait forcer Joanne à les prendre. Jamie avait également bien compris qu’elle avait un secret, qui lui pesait particulièrement lourd, mais qu’elle n’arrivait pas à partager avec qui que ce soit. De peur d’être jugée, d’avoir des représailles, d’être prise pour une criminelle. Ca lui brûlait les lèvres, c’était juste là, et ça la mettait hors d’elle. Joanne avait bien vu qu’elle laissait Jamie perplexe, du simple fait de lui avoir dit qu’il y avait quelque chose de grave. Encore une fois, il se montrait particulièrement compréhensif avec elle - alors que lui, tout comme elle, savait se montrer bien borné lorsqu’il le voulait. Mais il savait pourquoi elle ne voulait pas en parler à son psy, comme à n’importe qui d’autre. Elle affirma ses paroles par un vague signe de tête. Joanne ne pouvait rien dire de plus. Elle ne se l’autorisait pas et Jamie préférait ne pas insister à ce sujet. Confiant, il semblait certain qu’elle parviendra à se sortir de là, mais Joanne savait très bien que tant qu’elle n’aura pas fait part de ce qui la hantait depuis des semaines, elle resterait enfermée là, avec ces secrets pesant extrêmement lourd sur sa conscience et qui la forçait à s’écraser de plus en plus. C’était douloureux. Ce n’était pas une douleur physique, mais la souffrance était tel qu’elle ne parvenait même pas à l’exprimer. Jamie ne comptait pas continuer à discuter de choses aussi négatives, bien qu’il avait pleinement conscience du mal-être de son ex-fiancée. Mais il espérait - il en était même sûr - lui remonter le moral avec une nouvelle pour le moins incroyable. Joanne hocha négativement de la tête lorsqu’il parlait de ce styliste en question. Tout en ravalant ses dernières larmes, elle se laissait totalement distraire par le récit du bel homme. Peu à peu, le regard de Joanne s’illuminait. Elle sentait son coeur s’emballer et exploser lorsque Jamie lui faisait ce rictus malicieux et enjoué, comme s’il avait deviné d’avance la manière dont elle allait réagir. La surprise, le bonheur, un enthousiasme peu commun. “C’est pas vrai…” s’émerveilla-t-elle, bouche bée. “Ils ont trouvé d’autres oeuvres de ce Celso… Plus personne ne peut nier son existence désormais.” Joanne laissait même échapper un rire, ses larmes de détresse se transformant presque en larmes de joie. Etant à fleur de peau, ses yeux brillaient assez facilement ces derniers temps. Ses iris bleus rêvaient à nouveau, même si ça n’allait être que durant ces quelques minutes de conversation. “T’imagines… Faire ce genre de découverte à notre époque ? Dérouter totalement l’Histoire, alors que certains s’étaient évertués à effacer les lignes qui ne leur plaisaient pas ?” Joanne aurait adoré pouvoir découvrir cet endroit avant tous les autres. Dans ses chimères, elle se serait rapidement imaginée être un modèle féminin d’Indiana Jones. Pour le coup, elle enviait Jamie. Elle ne pouvait certainement pas se permettre de prendre des vacances sur un coup de tête durant son dernier mois de travail, et Jamie voulait certainement partir pour s’éloigner de tous ses problèmes, et surtout d’elle. Du moins, c’était ce qu’elle se disait. “Mais comment l’as-tu su ? L’équipe de recherches n’a jamais voulu me fournir la moindre information, c’était une consigne de leur donateur. C’est parce que tu le connais ?” demanda-t-elle, par simple curiosité, sans se douter que ce mystérieux donateur n’était autre que lui. “Je n’ai plus qu’à prier qu’une fois tout ça étudié, ils feront une exposition à Brisbane, pour pouvoir voir les tableaux pour de vrai.” Ca n’allait pas arriver avant des années, mais Joanne n’allait certainement pas dépenser la somme d’argent que Jamie lui avait confié juste pour son bon plaisir. Ces sous là étaient avant tout pour Daniel, pour répondre à ses besoins. Un peu comme l’argent qu’elle avait récolté après le divorce avec Hassan, en vendant leur maison, elle avait un peu de mal à y toucher. A vrai dire, elle n’y avait pas encore touché, si ce n’était pour acheter quelques vêtements pour Daniel. Mais jamais rien pour elle. Alors certainement pas pour se payer des billets d’avion pour aller de l’autre côté du globe. L’Italie, un mois d’avril. Deux similitudes avec le voyage de noces qu’ils auraient du avoir. “Ca va te faire du bien, de partir un peu d’ici. Surtout pour une telle occasion.” Elle s’étonnait tout de même de l’intérêt qu’il avait pour Grace et Celso. A Nouvel An, il en était même presque désintéressé, un peu moins lorsqu’il avait ramené à Joanne des clichés du portrait de Grace. Et là, il allait carrément en déplacement pour voir les oeuvres de lui-même, à croire qu’il était en quête de quelque chose. Il avait un amour certain pour l’Histoire et il était au premier rang pour assister à un bouleversement radical dans l’Histoire de l’Italie. Joanne ne se permettrait pas de lui demander de lui envoyer des clichés de cette pièce cachée, de certains de ces tableaux. “Des dizaines de tableaux à étudier et à décrypter… Le rêve.” Etrangement, avoir appris ceci était un bon élément de motivation pour Joanne d’aller insister auprès de ses anciens patrons pour retrouver la place qu’elle avait avant. Elle adorait être aux premières loges pour le lancement d’une nouvelle exposition, elle pouvait fouiner autant qu’elle le voulait et le fait d’avoir découvert ces oeuvres la rendaient si curieuses et lui redonnaient goût à ce métier qu’elle aimait tant. Il fallait qu’elle retrouve son poste, cela en devenait une quasi nécessité.
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Il n'y a pas plus grand satisfaction d'avoir entre ses mains le pouvoir de ravir la personne que l'on aime. De pouvoir, en un claquement de doigts, lui rendre le sourire et faire briller son regard. Il suffit d'un bouquet de fleurs, d'un dîner, mais ce ne sont plus des options qui s'offrent à moi. Certes, il n'est pas nécessaire d'aller jusqu'à investir une fortune dans de la recherche historique, mais chacun sa technique n'est-ce pas ? Et comme prévu, la moindre nouvelle à ce sujet rend à Joanne la vitalité qui lui manque. Elle retrouve une étincelle dans ses iris bleus qui la rend adorable. Elle est comme une enfant le soir de Noël, pendue à mes lèvres, buvant mes paroles comme si les mots étaient le papier qui couvre le cadeau. Alors, après toute la mise en contexte, une fois le présent découvert, c'est l'émerveillement. Je réprime le large sourire que je pourrais arborer si je m'autorisais à me montrer aussi fier que je ne le suis réellement d'être celui qui lui procure cette émotion alors que,l'instant précédent, la jeune femme paraissait à bout de nerfs. Même si la joie ne doit durer que quelques minutes, c'est un instant d'oxygénation pure qui revigore l'esprit. Néanmoins, je l'observe avec affection pendant quelques secondes. Elle est bien plus belle quand elle sourit. J'écoute à peine ce qu'elle dit, jusqu'à ce que je décèle une question méritant peut-être une réponse -de toute manière, ouvrir la bouche me permettra de ne pas faire remarquer que je détaille les traits de son visage avec adoration. « Nous en savons encore très peu. Nous n’avons toujours aucune idée de ce qu’il s’est passé, pourquoi les toiles étaient là-dedans… » En réalité, les peintures n'ont pas ôté la moindre épaisseur au mystère, mais elles confirment en effet l'existence de l'homme qui avait été effacé de l'histoire. Reste à comprendre pourquoi. Pareille énigme n'est pas une mince affaire, mais il faut avouer qu'assister à son long dénouement est particulièrement excitant. Joanne, encore une fois, s'étonne des informations que je parviens à glaner à ce sujet qui n'est pas tant censé m'intéresser à l'origine, et à l'heure où les chercheurs eux-mêmes refusent de communiquer sur le sujet. « Je te l’ai dit, le propriétaire de la maison est l’ami d’un ami. » dis-je afin de repousser encore une fois le moment où il faudra avouer que je suis le donateur qui aide à financer toutes ces trouvailles qui l'émerveillent tant. Si elle doit le savoir un jour. Mais s'il est bien une chose que cette histoire nous apprend, c'est que tout se sait un jour. Alors je n'en doute pas vraiment. Joanne, dépitée de ne pouvoir voir les tableaux, se contente d'espérer qu'elles seront un jour au coeur d'une exposition en Australie. Même si j'acquiesce brièvement à l'idée que m'éloigner de Brisbane me fasse du bien, je reviens sur ce retrait d'office qu'elle s'impose et auquel, je l'avoue, pour une passionnée dans son genre, je ne m'attendais pas. « Je… Je suis surpris, je pensais que tu voudrais venir. Voir les œuvres de tes propres yeux. Être la première. » Qui raterait une chance pareille ? Cela me paraît insensé. Joanne devrait déjà être en train de se renseigner sur le prix des billets d'avions. Alors je réalise. Je réalise que nous avons déjà un hébergement là-bas. Une suite réservée. Pour la lune de miel qui n'aura pas lieu. Qui aurait dû avoir lieu à cette exacte même période de l'année. Une réservation qui n'a toujours pas été annulée, comme un au cas où absolument inespéré. Mon coeur se serre, je me sens terriblement idiot. « Peut-être que ça serait trop bizarre… » je murmure en me cachant derrière mon thé, sans plus savoir si j'aimerais qu'elle vienne ou qu'elle décline l'invitation, quitte à s'inventer un prétexte.
C’était quasiment un rêve de gamine, d’être à l’aube d’une telle découverte. Certes, Joanne n’en était pas la principale actrice, mais elle le vivait pleinement, avec les informations qu’on voulait bien lui donner. On lui avait déjà demandé pourquoi elle n’avait pas fait archéologie, mais son choix était rapidement pris. Elle était avec Hassan à l’époque, ils avaient les mêmes ambitions et la même envie de construire une famille, et elle ne se voyait pas voyager à travers le monde de toute manière. Elle était bien trop attachée à son pays pour s’en éloigner, surtout qu’elle avait très rapidement développé une affection toute particulière pour Brisbane. Non, voyager à travers le monde durant des mois n’était pas un projet de vie qui lui convenait. Alors elle rêvait et s’émerveillait depuis son musée, bien que son esprit aventureux enviait les personnes qui faisait de telles découvertes. “Mais c’est déjà une étape plus que considérable. Qui sait tout ce qu’ils trouveront dans cette pièce. Pourquoi Florence ? Pourquoi cette maison ? Bien que le mystère reste entier, il y a tellement de pistes à exploiter désormais, je trouve ça incroyable.” Difficile pour elle de cacher son excitation à l’idée même d’initier les recherches à venir. “J’ai hâte de connaître son histoire, pourquoi il a été effacé des archives. Ce doit être fascinant de faire partie d’un tel projet de recherches.” Joanne aurait adoré, du moins. Fouiner dans les livres, étudier les détails que chaque oeuvre qui lui serait présenté, en quête d’indice comme un véritable inspecteur, réécrire l’histoire et se rapprocher encore de la vérité. “J’avoue que j’envie ceux qui vont étudier les tableaux, ou ne serait-ce qu’entrer dans la pièce, tu sais ? A se dire que personne n’y avait mis les pieds depuis des siècles, et nous voilà. Si j’y étais, je me prendrai pour une Indiana Jones des temps modernes, mais sans le fouet.” s’émerveilla-t-elle, retrouvant véritablement son âme d’enfant. Jamie précisait qu’il avait dégoté cette précieuse information par de vagues connaissances. Bien sûr, elle le croyait, et ne se doutait toujours pas qu’il était ce mystérieux donateur. Il avait toujours de bons arguments lorsqu’elle posait des questions à ce sujet, alors il n’y avait rien de suspect à ses yeux. Jamie ne cachait pas sa surprise que la jeune femme ne tente pas de se précipiter sur l’occasion pour faire partie de ses découvertes. Il ne comprenait. “J’adorerais, vraiment.” répondit-elle avec un sourire triste. “Mais je travaille, et je ne suis pas sûre que ça fasse très bien sur un CV le fait que je m’absente quelques semaines avant la fin de mon contrat.” Elle haussa les épaules. “Et l’argent que tu as donné, il est pour Daniel avant tout. Je ne veux pas l’utiliser juste pour mon bon plaisir alors que lui ne tirera rien de ce voyage. Et en plus, je ne suis pas certaine qu’ils me laisseraient entrer dans cette pièce. Surtout s’il y a des tableaux et que le lieu n’a pas été visité depuis longtemps, ils prendraient de sacrées précautions pour conserver au mieux les oeuvres. J’espère qu’elles ne se sont pas trop dégradées avec le temps.” Joanne s’y connaissait juste un peu en la matière après tout. Elle ne savait pas que la suite à l’hôtel était toujours réservé. Jamie l’avait prise sous son nom, et son ex s’était dit que tout s’était annulé dans les suites. Qu’il avait rendu les alliances, et renoncé à ces hôtels qui faisaient rêver. “Et… Je pense que tu n’arriverais pas à décrocher totalement d’ici, si je venais. Si je viens, c’est un peu comme si tu embarquais avec toi tout ce qui peut te poser problème, alors…” Joanne haussa les épaules. Elle ne voulait pas vraiment lui infliger ça. Lui aussi, avait grand besoin d’air. “Mais je te serai énormément reconnaissante si tu arrives à prendre et à m’envoyer quelques photos, même si ce n’est que pour me teaser. Ca serait déjà énorme pour moi. C’est la première fois que j’arrive à relativement bien à suivre ce type de découverte et ça ne se présente pas toujours dans la vie d’un conservateur. Et j’adorerai faire partie de ces petits chanceux, surtout que c’est une période historique que j’affectionne tout particulièrement et… Et j’ai tellement envie de savoir le fond de l’histoire, tout ce qu’il s’est passé.” La curiosité de Joanne s’était décuplée en quelques minutes. Bizarre qu’ils aillent ensemble en Italie un moins d’avril. Oui, ça le serait. Il y aurait un énorme malaise, peut-être des regrets, ou même de la colère. “Profites-en bien pour moi.” dit-elle avec un sourire véritablement sincère. Elle but quelques gorgées de son jus de pommes. "C'est une journée de bonnes nouvelles pour toi. La garde de Daniel, le voyage quasi imminent pour l'Italie." Joanne était heureuse pour lui que son horizon semblait s'éclaircir. "Tout ça, ça va te faire le plus grand bien." La tendance semblait s'inverser pour eux deux. Chez Jamie, des détails s'arrangeaient tandis que la situation se compliquait pour elle. A croire qu'il n'y avait aucun moyen d'équilibrer la balance.
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Une découverte qui soulevait des questions par dizaines, et voilà le cerveau de Joanne en ébullition. Elle trépigne, comme à la fin d’un épisode de série, ayant hâte de voir la suite –qui n’arrivera pas la semaine prochaine, mais qui pourrait tomber n’importe quand. Tout ce mystère l’exalte, et même si cette affaire m’excite autant qu’elle, quoi que sûrement moins qu’elle, ce qui me distrait constamment c’est de pouvoir profiter de son sourire et de cet éclat flamboyant dans ses yeux bleus. Qui sait quand est-ce que je pourrai y avoir droit à nouveau. Lorsque je lui narrerai la suite des recherches, je suppose, le prochain épisode. Joanne a raison, il y a de quoi se prendre pour l’Indiana Jones des temps modernes. La référence me fait sourire, mon regard est rieur. J’imagine que si nous nous étions connus bien plus jeunes, nous nous serions bien entendus à ce sujet. Nous aurions joué à traverser l’Inde à dos d’éléphant et à déjouer les pièges d’une grotte imaginaire, menant à une boîte de cookies. Nous pourrions partager cette aventure-là, bien réelle, aujourd’hui, ensemble, si seulement la jeune femme acceptait de m’accompagner à Florence. Je pensais qu’elle n’avait tout simplement pas osé demander, ce qui n’aurait pas été étonnant de la part de son côté effacé. Pourtant ce n’est pas l’envie qui lui manque. L’unique problème, c’est la raison. C’est le musée, son contrat arrivant à péremption, l’argent. « Ca ne serait qu’une semaine tout au plus. » je tente de glisser dans sa réflexion, mais cela ne suffit pas évidemment. Elle craint également que l’accès à la pièce lui soit interdit, autrement dit de faire le voyage pour rien. « Bien sûr qu’ils te laisseraient entrer. Si je le peux alors tu le peux aussi. » Nul besoin d’évoquer les pouvoirs d’un titre et d’un nom, mais plus encore, celui de la somme que j’injecte dans ce projet et qui fait de moi l’homme face à qui l’on ne prononce pas le mot non. C’est sûrement le dernier pouvoir que j’ai en ce moment. Je souffle, écoutant Joanne se placer dans la catégorie des problèmes vis-à-vis desquels ce voyage est censé me permettre de mettre de la distance. Elle n’a pas complètement tort, c’est ce qui me fait de la peine. De penser cela d’elle. Je demeure muet un long moment. L’on pourrait croire que cette absence de paroles acquiesce celles de la jeune femme et accède à la faveur qu’elle me demande de lui rapporter des photos, mais il n’en est rien. Je réfléchis. Les bonnes nouvelles paraissent incomplètes si elles se font au détriment de Joanne, alors que dans tout ça, il est avant tout question d’elle. « Non, Joanne, ça n’est pas comme ça que ça va se passer. Tu vas venir avec moi, et Daniel aussi. » dis-je finalement, fort déterminé. Faire le parallèle entre cette situation et le jour où je lui ai proposé de m’accompagner à Londres alors que nous nous connaissions à peine rendrait nostalgique ; à cette époque, il n’était pas question de réfléchir, elle avait dit oui, et nous étions partis. « Je m’occupe de ton travail, tu peux me faire confiance là-dessus. Ils diront oui. Peut-être même qu’ils réviseront leur avis à ton sujet. » Le plan me paraît parfait, mais Joanne n’en sait rien. J’éclaire donc sa lanterne avec quelques explications ; « Je leur dirai que je suis le principal investisseur dans ces recherches et que toi et moi étions en contact pour négocier une exposition de ces œuvres dans leur musée d’ici quelques années. Que je veux tes conseils sur place, et ceux de personne d’autre, et que s’ils me le refusent ils peuvent dire adieu à la chance d’avoir ces toiles sur leurs murs un jour. » Ce genre de caprice, qui ne serait pas une nouveauté de ma part, appuyée avec la bonne menace, est le genre de levier appuyant sur la quête de renommée de n’importe qui, capable de faire sauter bien des portes. Et je n’ai aucun doute que cela fonctionnera dans ce cas précis. « Je ne vais pas te laisser refuser une occasion qui pourrait se présenter une fois dans ta vie. D’être une des premières à aller dans un endroit qui a été caché pendant des siècles, une des premières à voir ces tableaux. Ca te passionne, alors fonçons. Laisse-moi faire ça pour toi. » Qu’importe la coïncidence des dates et du lieu, qu’importe si cela est bizarre, est-ce vraiment important en comparaison de la chance qui est offerte ? Après tout, rien ne nous oblige à être agglutinés l’un à l’autre durant tout le séjour, encore moins à partager la même chambre dans le même hôtel. Ca ne sera pas le voyage que nous avions prévus, le deuil de ce rêve nous suivra, mais il demeure possible de jouir de cette occasion sans pareil et de vivre malgré tout un moment mémorable d’un tout autre genre.
Joanne ne s’était jamais trouvé très courageuse. Du moins, elle n’en avait pas assez dans le ventre pour se lancer dans ce genre d’aventures. Et là, Jamie lui présentait quasiment un projet dans lequel elle pouvait faire partie. Etre là depuis les débuts de la recherche jusqu’au jour où l’on se décidera enfin d’exposer dans un musée où tout le monde se ruera pour aller voir ces oeuvres. Bien sûr que ça l’emballait, qu’elle aurait adoré faire partie de cette équipe, faire la découverte avec les autres, étudier à sa façon ces tableaux. Les dépoussiérer, les mettre à nouveau en valeur. Mais elle ne trouvait pas ça envisageable. Joanne n’avait pas remarqué à quel point son interlocuteur adorait voir à nouveau ses yeux pétiller d’excitation. Joanne sentait son coeur s’emballer mais elle voulait se montrer réaliste en disant que ça n’allait pas être possible. Jamie essayait de la faire raisonner autrement, en lui disant que ce n’était qu’une petite semaine, rien de plus. Il semblait évident pour lui qu’on veuille la laisser entrer dans cette pièce récemment découverte. Il ferait usage de ses titres et privilèges pour la faire entrer. Joanne ne comprenait pas pourquoi il se montrait si bienveillant envers elle, malgré tout. Il y quelques minutes à peine, ils étaient incapables de mener une conversation calme et sans encombre.Mais Jamie semblait véritablement déterminé à ce qu’elle vienne aussi. Elle s’était déjà faite à l’idée que ça n’allait pas être possible. Son ex ne l’entendait pas de cette oreille là. D’ailleurs il ne voulait pas vraiment lui laisser le choix. Il voulait qu’elle vienne, et Daniel serait aussi de la partie. Joanne le regarda avec des yeux ronds. Le bel homme voulait se charger d’absolument tout, prêt à même utiliser la menace auprès du musée qui l’employait. Il avait des arguments de taille. Il voulait tisser un mensonge particulièrement complet –et pourtant, il n’était pas total. Mais jamais Joanne ne se dirait qu’il était effectivement le principal investisseur de cette mission. Jamie était prêt à faire tout ça. Pour elle. La petite blonde l’observa longuement. Bien sûr que cette idée l’emballait, plus que tout. Mais était-ce raisonnable ? Ce mot était bien revenu dans son vocabulaire, mais elle le devait. En entendant le discours de Jamie, elle eut alors une idée en tête. Elle était un peu nerveuse à l’idée de lui demander une sorte de faveur. Après un long moment de silence, elle se décida enfin à lui parler. “Est-ce que… tu peux faire la même chose, mais pour le Museum of Brisbane… ?” Si déjà cette option lui permettrait d’avoir un emploi, elle adorerait retourner dans un endroit pour lequel elle avait beaucoup d’affection. Et par simple manque d’objectivité, elle trouvait que le Museum of Brisbane était plus méritant d’héberger une telle exposition. “Peut-être qu’ils… repenseront à ce poste de consultante auquel ils avaient pensé l’année dernière.” dit-elle bien timidement avec un haussement d’épaules. “Mais si tu préfères faire une offre au Queensland Museum, ça m’irait très bien aussi.” Joanne ne voulait pas s’imposer sur quoi que ce soit, comme d’habitude. Elle ne faisait que suggérer. “Mais j’adorerai venir, oui.” Enfin, Joanne lui adressait un sourire particulièrement ravissant. “Peut-être que j’en ai aussi besoin, de quelques jours loin d’ici.” Bien sûr, Joanne gardait en tête que l’Italie aurait été le pays de leur voyage de noces. Il était certain qu’elle ne se serait jamais permise un tel voyage avec Daniel, aussi loin, surtout qu’elle trouvait sa situation instable. Même si elle avait une belle somme d’argent à côté, elle ne voulait pas la dépenser pour des loisirs aussi onéreux. “Ca va faire de Daniel un sacré globe-trotteur pour son jeune âge.” dit-elle en tendant le bras pour caresser la joue du petit. Celui-ci esquissa un sourire ravi à la jeune femme. “C’est vraiment gentil de faire autant pour… Pour me permettre de faire ça. Toute fanatique d’Histoire adorerait vivre un tel moment et je dois dire que je n’aurai jamais pensé que ça puisse m’arriver un jour.” Surtout que Joanne s’était déjà extrêmement attachée à cette Grace. La ressemblance jouait forcément, mais la période de son portrait était une phase de l’Histoire qu’elle adorait par-dessus tout. Pouvoir découvrir des oeuvres de ces dates là étaient une véritable aubaine. Joanne lâchait même un rire, peinant à contenir son excitation. “Il faut… Il faut que je réserve tout, alors.” Les prix ne devaient pas être donnés, surtout avec la date presque imminente du voyage. Joanne savait qu’elle avait l’argent, qu’elle pouvait se le permettre. Mais pour la première fois, elle se disait qu’il était impossible qu’elle puisse un jour regretter cette dépense. C’était l’expérience de toute une vie, un rêve qui devenait réalité.
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Daniel était sage, même si l'ennui le gagnait. Il se désintéressait des conversations avec son doudou pour le moment, et il ne pouvait pas participer à celle de ses parents. Frustré, affalé sur mon ventre, il chantonne tout bas en utilisant l'ourson comme marionnette, comme papa et maman le font parfois. Sinon, il nous observe avec attention. Il fixe nos bouches et fait la carpe en essayant de comprendre tous ces mécanismes, ces sons qu'il ne peut pas encore émettre. Il ne repère même pas quelques mots ici et là, son vocabulaire étant trop maigre. Il est question d'aller quelque part, il le saisit vaguement. En balade ? Au parc ? Est-ce que les chiens viendrons ? Les détails échappent au petit garçon. Il reprend ses comptines. Pendant ce temps, sur cet attendrissant fond sonore, Joanne réfléchit à ma proposition. Bien sûr, il lui est toujours possible de dire non. Je ne peux pas la forcer à m'accompagner, la ligoter et la traîner jusqu'en Italie contre son gré. Néanmoins, l'idée est bien trop parfaite pour qu'elle refuse, n'est-ce pas ? Qui serait assez fou pour passer à côté d'une occasion pareille ? Je ne vois pas ce qui pourrait la retenir. La jeune femme serait gagnante sur tous les tableaux à la fin. Alors mon regard insiste, la pousse à répondre, à dire oui. Ce n'est pas vraiment le genre de paroles attendues qui franchissent ses lèvres. Je fronce les sourcils, étonné ; je ne me serais pas attendu à ce que Joanne profite de la situation pour demander ce genre de service. D'autant plus que cela me paraît bien plus compliqué à mettre en œuvre. Je peux bien plus aisément forcer une structure à garder une personne qui est déjà en poste plutôt qu'une création de poste. Et sous quel prétexte ? Le Museum of Brisbane sait parfaitement ce qui nous lie avec Joanne, le favoritisme serait absolument flagrant. De plus, il serait bien moins avantageux pour moi de confier pareille exposition à un musée à portée locale. Si l'idée est d'arriver comme un cheveu sur la soupe pour dire que je n'offre l'exposition qu'à celui qui embauchera Joanne, elle est particulièrement mauvaise. En somme, il me faut y réfléchir. « Je… Je verrai ce que je peux faire. » dis-je, mais sans promesse. Quoi qu'il en soit, la jeune femme accepte finalement d'être de la partie, de m'accompagner à Florence. Mon sourire l'élargit et s'étire d'oreille à oreille. Nos trouverons un moyen de rendre ce voyage plaisant pour tout le monde, de mettre de côté tout ce qui aurait du être afin de ne pas créer une atmosphère pénible. Il suffit de le vouloir, d'avoir la volonté de profiter de la chance à laquelle nous avons accès. Cela peut être une magnifique expérience. Daniel vivra tout ceci depuis le fond de sa poussette. Ses grands yeux bleus admireront les monuments sans pour autant les graver dans son esprit. Quel dommage pour un petit garçon qui a déjà été sur deux continents. Lui rafraîchir la mémoire constituera une bonne excuse pour y retourner. Pour Joanne, ce sera à nouveau une première. L'Italie, Florence, quiconque connaît la petite blonde sait son amour pour le pays, la ville, et surtout l'époque qui nous intéresse. C'est son rêve qui est juste à portée pour une occasion inédite. Je souris face à ses timides remerciements. « Parfois, de bonnes choses arrivent. » je réponds avec un sourire bienveillant. Nous échangeons un regard recelant ce qu'il reste de complicité entre nous, exacerbée par ce projet. Le petit rire que la jeune femme lâche fait palpiter mon coeur. Elle n'a soudainement plus grand-chose à voir avec la Joanne bien triste qui était face à moi au début de cette conversation. Elle se figure déjà l'organisation qui se profile pour le voyage, ce qui engendrera bien des frais. « Non, ce n'est pas la peine. Je m'en occuperai. Tu sais que j'aime planifier ce genre de choses. Mon achat de bateau attendra. » Disons que je suis passé au travers de plus grands drames qu'un achat compulsif frustré. Je survivrai. « Nous partirons dans deux semaines, comme ça tu pourras fêter ton anniversaire à Florence. Qu'est-ce que tu en dis ? » J'imagine que la jeune femme peut se satisfaire de cette perspective qui est loin d'être à plaindre. L'ennui rend Daniel câlin, après tout cela occupe plutôt bien. Il s'agite jusqu'à réussir à se retourner sur mes jambes ; il pose sa tête contre mon torse, y écrase une de ses joues, et attrape ma chemise avec ses petits doigts en soufflant un « papa » d'aise. « Je suis là mon bonhomme. » je murmure en le serrant tendrement avant de l'embrasser sur le sommet du crâne. « Nous allons faire un voyage tous les trois. Nous irons en Italie. C'est le seul endroit au monde où tu mangeras des lasagnes meilleures que celles de papa et maman. » Faute de tout saisir, Daniel retient un concept important ; « …manger. » « Message reçu trésor. Nous n'allons pas tarder à rentrer à la maison. »