How much you wanna risk? I'm not looking for somebody with some superhuman gifts, some superhero, some fairytale bliss. Just something I can turn to, somebody I can kiss.
Il est vingt heures quand je me gare devant la maison de Joanne. Je lui envoie un message pour lui notifier mon arrivée, ce à quoi elle répond qu'elle va arriver. Et tout homme sait qu'en langage de femme, ce genre de phrase est l'équivalent de « coupe le moteur, j'en ai pour un quart d'heure ». Alors je suis la procédure, appuie sur le bouton d'arrêt de l'auto -parce que les clés, c'est surfait-, défais ma ceinture et m'avachis un peu dans mon siège au cuir matelassé. D'une nouvelle pression sur le tableau de bord, j'active la lecture de la musique. C'est bien évidemment ABBA qui se met à résonner dans l'habitacle, un peu trop fort car des voisins passant près de la voiture suivent leur reflet sur les vitres teintées d'un regard perplexe. Je baisse le son un brin, et change également de titre, jugeant qu'écouter Take a Chance on Me dans un contexte pareil, qu'importe à quel point les paroles sont adéquates, ça fait vraiment too much. J'en profite pour vérifier une dernière fois que l'invitation est bel et bien dans la porte intérieure de ma veste. Le carton gaufré m'offre la possibilité de venir accompagné d'une personne de mon choix à ce vernissage. De quel genre d'art il s'agit, je n'en ai qu'une vague idée. Tel est le concept de l'événement ; si le lieu est connu, tout le reste, en revanche, demeure secret jusqu'au moment où l'on passe les portes de la galerie hôte. C'est une question de chance, de tomber sur un artiste qui puisse nous plaire ou non. Je me suis dit que l'idée est originale, et que dans un cas comme dans l'autre, la soirée ne serait pas mauvaise ; si l'exposition nous plaît nous aurons de quoi distraire agréablement nos yeux et discuter, si non, nous serons entourés d'amateurs d'art avec lesquels discuter, à moins que nous ne préférions nous moquer tout bas des oeuves. A vrai dire, pour ma part ce n'est pas tant le contenu de la soirée qui m'importe que le principe de sortir avec Joanne. C'est Vee qui m'a adressé l'invitation avec une intention précise, et c'est parce que j'ai bien fini par comprendre que cette femme a quasiment toujours raison que j'ai décidé de suivre ce que sous-entendait son clin d'oeil insistant lorsqu'elle m'a conseillé de bien choisir ma cavalière. Pas de mannequin cette fois, pas de belle inconnue rencontrée d'avant veille, et pas une femme susceptible d'être ramenée à la maison. C'est à mon ex-fiancée que j'ai proposé de venir, aussi bizarre cela puisse paraître vu de l'extérieur. Mais en partant du constat évident que personne ne pourra comprendre qu'il puisse y avoir un nouveau rapprochement entre le bourreau et sa victime sans traiter l'un de montre et l'autre d'inconsciente, je me suis dit qu'ils iraient tous au diable cordialement. A la fin de la chanson, j'éteins le lecteur et je me décide à quitter le confort de mon siège pour aller à la rencontre de la fraîcheur du soir, et de la jeune femme qui ouvre tout juste sa porte d'entrée. Je trotte le long de la petite allée de la maison afin de rapidement lui proposer mon assistance pour effectuer le chemin inverse du haut de ses talons. Puis je lui ouvre la portière, la laisse s'installer dans la voiture quasiment neuve, et referme. C'est à ce moment-là que toute ma nervosité refait surface, rendant mes mains moites et serrant ma poitrine. Peut-être que ce n'était pas une si bonne idée, si cela en a été une à un moment donné. Tant pis, nous y sommes, et Dieu seul sait pourquoi Joanne a accepté. Difficile de savoir ce qui a été tiré comme conclusion de la semaine que nous avons passé chacun dans un coin du globe opposé. Je me suis permis d'envoyer régulièrement des photographies de Rome à la jeune femme, sachant qu'un monument, une fontaine, un musée ou un jardin lui plairait. J'ai bel et bien rencontré Luca, l'ami de Matteo, dont les recherches dans les archives n'ont mené qu'à des suspicions et des intuitions qu'il tente de creuser. J'ai pu m'y rendre moi même dans le seul but d'assouvir ma curiosité. Et j'ai gardé la conviction que, quelque part dans tous ces parchemins, il y a une trace de Celso. Il n'y a véritablement eu de silence radio que lors de mon rapide séjour à Chilham. Je suis reparti avec un énième nouveau costume d'un tailleur d'Ashford, et quelques livres de la bibliothèque du domaine pour renouveler mon stock de lecture à Brisbane. Je suis revenu il y a moins d'une semaine, et c'est sans véritablement prendre le pouls de ma relation avec Joanne que je lui ai proposé de venir avec moi à cette soirée, d'une manière peut-être trop cavalière et maladroite. Quoi qu'il en soit, elle est désormais dans la voiture, et il n'y a pas de retour en arrière possible. Je m'installe donc derrière le volant et démarre, guidé par le GPS jusqu'à la galerie, muré dans un silence anxieux.
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C'était la troisième fois que Joanne allait voir son psychologue cette semaine-ci. Elle se montrait un peu plus bavarde que les fois précédentes, mais ne parlait pas de ce qui la travaillait le plus. Néanmoins, elle trouvait un certain réconfort lorsqu'elle se mit à parler d'elle, depuis le début. Le professionnel prenait de temps en temps des notes et posait aussi des questions pour approfondir certains points. Alors elle avait déjà longuement déblatérer sur son enfance, sur le refuge qu'elle trouvait une fois qu'elle était chez sa grand-mère, des parents et un grand frère bien trop protecteurs. Ils y passaient tous. Joanne avait parfois aussi des moments d'absence, son regard fixant un objet de décoration du cabinet, ou simplement du vide. Le psychologue, Neil Patterson, se devait alors de la faire redescendre sur terre. Il était à peine plus âgé que Joanne certainement et venait juste de débarquer à Brisbane. Sa voix était excessivement douce, c'en était apaisant. Et bien qu'elle contournait les sujets qui la gênaient vraiment, il ne la privait pas de parler sur des choses qui la tracassaient; il savait qu'elle allait y venir à un moment ou à un autre. Neil était déjà satisfait qu'après toutes ces séances, elle se décide enfin à se dévoiler un peu. C'était en sortant de chez lui qu'elle avait reçu le message de Jamie. Une invitation à un vernissage. La petite blonde ne savait pas si elle devait considérer ça comme un rencard ou une simple sortie, et ça la rendait assez nerveuse pour le coup. Elle s'étonnait elle-même de la rapidité à laquelle elle avait accepté cette invitation. Il était évident qu'elle s'isolait de plus en plus et que son for intérieur voulait qu'elle sorte. Elle était tout aussi nerveuse que le soir où elle se préparait pour son bal de promo durant sa dernière année au lycée. Quoi qu'elle ne l'était pas autant, son cavalier était un des rares amis qu'elle avait à cette période là. Daniel était confié à la baby-sitter –toujours la même – le temps que la petite blonde ne se prépare. Il fallait qu'elle s'habille assez bien tout de même, pour un vernissage. Comme beaucoup de femmes, elle passait un certain temps devant son armoire pour choisir quelle robe elle allait mettre. C'était à ce moment là que Jamie lui avait écrit pour signaler sa présence. Petit stress supplémentaire, son choix se fit alors dans la seconde. Fort heureusement, elle s'était déjà douchée et avait défait son brushing. C'était toujours une robe coupée de la même façon au niveau de la taille. Là, c'en était une à épaules dénudées. Il ne restait plus qu'à se maquiller un peu, le strict minimum parce qu'elle était déjà en retard. Pendant qu'elle enfilait ses hauts escarpins, la baby-sitter ne se gênait pas pour regarder par la fenêtre. "Pas mal la voiture, c'est un sacré cavalier, que vous avez là." dit Suzie en riant, les bras croisés. "Sacré, vous l'avez dit." "Il m'a l'air pas mal non plus, je me trompe ?" Joanne sourit discrètement. "Disons que... c'est mon style, s'il faut dire que j'en ai un." dit-elle avec un rire nerveux. Grand beau brun tatoué, en somme. "Passez une bonne soirée." dit Suzie, en voyant Joanne mettre une petite veste pour couvrir ses épaules. Joanne la connaissait bien désormais, elle ne s'embêtait plus à lui rappeler les quelques règles que l'étudiante se devait de respecter. A peine Joanne avait-elle fermer la porte d'entrée derrière elle que Jamie accourut pour l'accompagner jusqu'à la voiture. "Bonsoir." dit-elle tout bas, avec un sourire timide. C'était avec une main aidante, en toute galanterie, qu'il la conduisit jusqu'à la voiture ou il ouvrit la porte côté passager pour qu'elle puisse s'y installer. Le genre de détails que Joanne adorait. Il marquait un bon point. Le trajet était on ne peut plus silencieux. Elle regardait le paysage, ne sachant que trop dire pendant un long moment. Ils ne pouvaient pas ne rien avoir à se raconter. "Jamie, mon chéri !" s'exclama une voix bien familière dès qu'il sortait de la voiture afin d'ouvrir également la portière à Joanne. Vee ne dissimulait même pas son sourire largement satisfait en voyant qui le bel homme avait pris comme cavalière. "Et regardez qui voilà ! Joanne, ça me fait tellement plaisir de te voir." La petite blonde était à peine sortie de la voiture que Vee la prit chaleureusement dans ses bras. "Ca fait tellement longtemps. J'étais tellement heureuse de recevoir un mail de toi l'autre jour." s'enthousiasma-t-elle. "On en reparle tout à l'heure, d'accord ? On m'attend, à l'intérieur." Vee leur fit un clin d'oeil et leur souhaita bonne soirée avant de retourner à l'intérieur pour aller saluer on-ne-sait-qui. "Je crois savoir d'où vient ton invitation." glissa-t-elle à Jamie avec un rire nerveux. Elle se fichait un peu de ce que les autres allaient penser ou dire. C'était l'occasion de sortir un peu, de redécouvrir Jamie. Ils n'avaient pas vraiment discuté de leur moment de réflexion à chacun, mais elle était bien curieuse de ce que cette semaine à Rome avait bien pu lui apporter, à lui.
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Vee se charge du comité d'accueil, toujours aussi bruyante et clinquante et pimpante. Toujours haute en couleurs dans un tailleur fushia, et haute en talons pour compenser sa si petite taille. Il faudrait être dupe pour ne pas noter les références à son idole, David Bowie, ici et là sur sa tenue bien plus sophistiquée qu'elle n'en a l'air au premier abord. Souriant malgré la nervosité, je la prends un instant dans mes bras, et les petites tapes qu'elle fait dans mon dos font comprendre qu'elle a immédiatement senti mes épaules tendues. Puis elle s'attarde sur Joanne qui s'est enfin décidée à répondre à ses mails comme je le lui avais conseillé à Florence. Peut-être a-t-elle compris que Victoria a rarement tort, elle aussi. Celle-ci nous quitte aussi vite qu'elle est arrivée, ayant un tas de tournées de bises à effectuer. Il est facile de deviner que c'est elle qui a quasiment orchestré cette sortie à deux en me proposant de venir ce soir. « Elle m'en envoie quasiment tous les jours. C'est à se demander si elle passe une seule soirée chez elle. » dis-je avec un petit rire. A vrai dire, il ne serait pas étonnant que Vee passe en effet toutes ses soirées dehors, et n'utilise son grand appartement que pour dormir et organiser des brunchs ou des shootings. Il n'y a pas vraiment de frontière entre vie privée et vie professionnelle dans son monde. « Je me suis dit que si elle est dans le coin, au moins nous serions sûrs de ne pas nous ennuyer. » j'ajoute. Si je suis un mauvais cavalier et que Joanne se détourne de moi, elle saura se dédoubler pour lui tenir compagnie d'un côté et me consoler de l'autre. Si tout se passe bien, elle sera tout aussi présente pour en rajouter une couche à la moindre occasion. Si nous manquons de sujets de discussion, elle n'hésitera pas à venir nous faire rire. Elle est le joker indispensable à toute soirée. J'invite Joanne à entrer à notre tour. Cette fois, la galerie est spacieuse. Elle n'est pas bondée, et n'accueille qu'une élite du monde culturel de Brisbane. D'autres galeristes, artistes, journalistes, curateurs, collectionneurs qui usent de ces invitations pour découvrir ou redécouvrir certains créateurs. J'avoue que mon regard ne se porte pas encore sur les œuvres de ce soir ; il glisse sur la foule à la recherche d'un invité précis. Un sourire étire mes lèvres lorsque je le trouve. « J'ai quelqu'un à te présenter. » J'attire Joanne vers l'homme, quinquagénaire à l'allure quelconque, abusant un peu des UV et teintant ses cheveux gris pour paraître plus jeune, mais souriant et visiblement sympathique. Il est en conversation, mais je n'hésite pas à l'interrompre et à lui serrer la main. « Simon, ravi de vous voir. Je vous présente Joanne Prescott. » Sa main passe de la mienne à celle de la jeune femme, qu'il serre également. Il a une poigne franche, mais délicate lorsqu'il s'agit d'une femme. On devine à sa manière de la regarder que l'alliance qu'il porte est autant pour son épouse que pour son travail ; même si Joanne est en beauté, il ne paraît absolument pas en chasse. « C'est la conservatrice dont vous m'avez parlé, c'est ça ? » « Exactement. » Mon sourire s'élargit. S'il s'en souvient, c'est un bon point. « Joanne, voici Simon Elliott, il est le directeur délégué aux collections et aux expositions du QAGOMA. » je reprends en me tournant vers la petite blonde. Peut-être le connaissait-t-elle déjà, ont-ils été en contact dans le cadre du travail sans vraiment s'attarder l'un sur l'autre -je peux imaginer que le monde des musées de Brisbane n'est pas bien grand. Mais il y a une donnée qui explique mon enthousiasme face à cette rencontre ce soir, et que je ne tarde pas à dévoiler à Joanne avec un regard entendu ; « Leur conservatrice de la collection internationale part à la retraite. » Autrement dit, se tient devant elle l'occasion rêvée de non seulement échapper au chômage, mais aussi de faire partie d'un des principaux musées de la ville, et de s'occuper d'une collection qui, je le sais, l'intéressera. Fier de mon coup, je peine à me contenir. « Faites connaissance, je vais chercher à boire. Champagne et… Martini ? » Simon arque un sourcil ; comment deviner sa commande ? Simplement la forme du verre vide qu'il tient à la main, et le sens du détail. Il acquiesce d'un signe de tête, et je les quitte pour atteindre le bar. Là seulement, je laisse apparaître la nervosité qui ne me quitte pas. Je passe commande en étant bien plus crispé. Je profite du temps que doivent prendre les deux barmen pour s'occuper de tout le monde avant de pouvoir passer commande pour souffler, me rassurer. Mon regard passant par dessus mon épaule pour prendre le pouls de la conversation entre Joanne et Simon trouve plutôt le tailleur flashy de Vee. Elle m'adresse un grand clin d'oeil puis me montre de haut en bas et lève le pouce pour indiquer qu'elle adhère au costume bleu. Le rire qu'elle me fait produire suffit à me détendre un peu et me remettre d'attaque.
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Joanne avait un vague souvenir de la pile d'invitations que Jamie recevait quasi quotidiennement. Malgré les récents événements, qui n'étaient plus si récents que ça, il semblerait qu'il soit toujours en vogue et que sa présence soit particulièrement apprécié durant ces soirées. "Quelle popularité." répondit-elle tout bas avec un léger rire, alors qu'il pénétrait dans le bâtiment pour rejoindre le reste des invités. Ces derniers étaient vraisemblablement triés sur le volet. Cela n'avait rien à voir avec le vernissage auquel elle s'était rendue et où elle avait malencontreusement rencontré Yasmine. La petite blonde ne jouait pas dans la même cour pour cette fois-ci. Elle était impressionnée du rythme de vie de la directrice de Vogue. En effet, Joanne avait l'impression qu'elle soit partout, tout le temps dehors. Vee appréciait énormément Jamie et Joanne, encore plus s'ils étaient ensemble, il était évident qu'elle allait les bichonner tout au long de la soirée. Joanne appréciait ce genre d'événements. Les invités présents respectés le silence et ne parlait pas trop fort. L'on pouvait se concentrer sur une oeuvre sans avoir à mettre totalement des oeillères. Joanne regarda le bel homme avec interrogation lorsque celui-ci tenait apparemment à lui présenter quelqu'un. Vu le sourire qu'il affichait, il était particulièrement sûr de son coup et elle se demandait ce qui pouvait le rendre si confiant. C'était sans aucune résistance qu'elle le suivait, bien silencieusement. Elle se retrouvait face à un homme d'une cinquantaine d'années, ayant l'air bien sympathique. Joanne le salua avec un sourire ravi. L'inconnu semblait déjà la connaître, alors qu'elle non. Enfin, elle ne le connaissait que de nom lorsque Jamie se chargea des présentations. "Enchantée, Monsieur." dit-elle de sa voix douce. "Je vous en prie, appelez-moi Simon." répondit tout naturellement son interlocuteur. Enfin, Jamie énonça à voix haute son idée première, qui n'était qu'autre de garantir un beau futur professionnel à sa dulcinée. Celle-ci le regarda avec des yeux ronds. Ca aussi, ça faisait partie de tous ses plans ? Parfaite occasion pour Jamie de disparaître du paysage, avec l'excuse brillante qui était d'aller chercher à boire. Nulle besoin de demander ce que désirait Joanne, il le savait déjà. Surtout qu'il savait qu'elle aimait apprécier les champagnes de qualité et que ce n'était certainement pas du premier prix qui était servi pour l'occasion. "Jamie m'a dit que vous êtes une passionnée d'art et d'histoire." "En effet." répondit-elle avec un sourire nerveux. "J'ai une préférence pour la Renaissance italienne. Et je suis un peu moins réceptive à l'art moderne et contemporain. C'est pour ça que j'ai préféré passer par la fac d'histoire." "Ce que je peux comprendre." dit-il avec un fin sourire. "Quel est votre cursus ? Je sais que vous travaillez depuis peu au Queensland Museum, et que c'est temporaire, c'est bien cela ?" "Oui, je termine fin du mois. Avant ça, j'étais au Museum of Brisbane, j'ai été arrêtée assez tôt durant ma grossesse, et ils ne pouvaient pas se permettre de bloquer un poste de la sorte, alors j'ai été licenciée." Elle haussa les épaules. Ca l'attristait toujours, c'était ainsi. "Oui, on se serre tous un peu la ceinture ces derniers temps." admit Simon. "La collection internationale est très chère à mes yeux, je ne voudrais pas la confier à n'importe qui. Et je compte bien l'élargir également, ce serait d'autant plus intéressant d'avoir un oeil expert sur nos arrivages." Simon réfléchit un petit moment. Il questionna ensuite Joanne sur le voyage en Italie, ses centres d'intérêt. Cela pouvait avoir l'apparence d'un entretien d'embauche, mais la jeune femme se comportait bien de manière bien plus normale si ça avait vraiment été le cas. Elle riait par moment, se plonger dans ses discours passionnés, parlait du voyage en Italie et des premières découvertes. Jamie ne tarda pas à revenir avec les boissons commandées. Joanne récupéra sa coupe de champagne et remercia avec un sourire le bel homme. "Il suffit de lancer Joanne sur le bon sujet de conversation, et nous la perdons totalement." dit Simon avec un sourire à la fois amusé et attendri. Joanne rit nerveusement. "Nous parlions du voyage à Florence." expliqua-t-elle rapidement pour qu'il puisse ainsi reprendre le fil de la conversation. Ils trinquèrent tous les trois et Joanne but une fine gorgée de la boisson pétillante. Elle demanda ensuite à Jamie de tenir sa coupe le temps d'aller faire l'aller-retour pour enlever la petite veste qu'elle avait oublié d'ôter un petit peu plus tôt. Lorsqu'elle s'approcha de l'Anglais, Simon s'était déjà excusée pour aller saluer d'autres confrères. "C'est... C'est complètement dingue." s'enthousiasma-t-elle tout bas une fois qu'elle était face à Jamie et qu'elle avait récupéré son verre. "Comment en es-tu venu à parler de moi à lui ? Enfin... Tu savais déjà avant que la conservatrice partait à la retraire ?" Peut-être que c'était injuste, d'avoir des faveurs à coup de piston auprès d'un homme renom. Mais Joanne était bien trop emballée par ce poste pour devoir le négliger. Elle regardait Simon au loin. "J'adorerai avoir ce poste." souffla-t-elle. "Je sais que ça ne sera pas facile, par rapport à Daniel, je ne le verrai plus autant qu'avant, mais je me dis que ça ne lui ferait pas de mal et... une collection internationale, tu imagines ? Il est ouvert à toute période, à tout lieu du monde, l'éventail des possibilités est juste énorme, et... et c'est ça ce que je veux faire." Joanne rêvassait quelques secondes avant de plonger son regard dans le sien. "C'est... C'est pour ça que tu m'as invitée ? Parce que tu savais qu'il était là et que je ne voudrais pas manquer cette occasion ? Ou... ou c'est vraiment parce que tu voulais passer du temps avec moi ?" Que ce soit l'un ou l'autre, ou les deux, Joanne était touchée qu'il ait repéré et anticipé pour elle une sacrée opportunité, connaissant déjà ce qui pouvait lui correspondre ou non. "Ca va ? Tu transpires un petit peu..." dit-elle tout bas en essuyant succinctement de toutes fines goutelettes sur son front.
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A mon retour, Joanne et Simon sont en grande conversation, ce qui me fait instantanément sourire, pleinement satisfait de ma manœuvre. Sans interrompre, je tends le martini à l'homme, et une coupe de champagne à la jeune femme, puis mes mains se logent au fond de mes poches. Pas d'alcool pour moi ce soir, et il aurait été ridicule de les accompagner avec un grand verre d'eau -de plus, n'ayant que deux mains, je ne pouvais rien prendre pour moi. Cela ne me pose pas de problème, au contraire ; dans cette posture passive, je laisse la petite blonde se mettre en avant aux yeux de celui qui, si elle se vend assez bien, pourrait devenir son futur patron. Elle me donne juste de quoi rattraper la discussion en cours de route. En effet, si Simon a lancé Joanne sur l'Italie et la Renaissance, avec ce voyage tout récent, il risque de l'entendre faire un exposé sur la ville et cette époque pendant des heures. Je la regarde, un brin attendri et un sourire encourageant aux lèvres tandis que nous trinquons, puis mes yeux trouvent ceux de l'autre homme, assez confiant de l'intérêt que la jeune femme a pu susciter. Alors qu'elle nous quitte le temps de passer au vestiaire, Simon me glisse sa carte dans la main, afin de transmettre ses coordonnées à la conservatrice, et s'excuse d'aller voir d'autres invités après m'avoir fait vaguement comprendre que Joanne a ses chances. Celle-ci revient, récupère sa coupe de champagne, et tente de réaliser ce qu'il vient de se passer, seulement quelques minutes après notre arrivée dans la galerie. « Pour la faire courte, j'ai connu Kylie grâce à Vee, elle est mannequin et très bavarde. C'est sa mère la conservatrice qui part à la retraite. Le poste n'est pas encore annoncé comme disponible mais je me suis permis de contacter Simon, que je ne connaissais pas vraiment avant ça, pour lui parler de toi. » Au culot, en somme, ce qui a porté ses fruits. Je n'ai pas attendu d'en parler à Joanne avant d'entreprendre cette démarche, ni d'avoir son avis ; je savais que le poste l'intéresserait, c'était évident. Actuellement, rien n'est certain, mais je suis persuadé que la jeune femme peut obtenir cette place qui la rend si enthousiaste. Je lui tend la carte de Simon. « J'espère vraiment qu'il te donnera une chance. » Elle s'y voit déjà, c'est évident. Elle s'interroge, du coup, sur ce qui m'a motivé à l'inviter à sortir ce soir ; s'il ne s'agit que de ça, ou de vraiment passer un moment tous les deux. « Un peu des deux je suppose. » je réponds en haussant les épaules, un peu gêné, et surtout ne sachant pas quelle est la bonne réponse, celle que voudrait entendre Joanne. « Je voulais vraiment passer cette soirée avec toi, je reprends avec un sourire sincère et un regard tendre. Quand Victoria m'a donné l'invitation, elle m'a fait comprendre que je devrais te proposer de venir, et j'ai trouvé que c'était une bonne idée parce que tu pourrais vraiment apprécier. Et c'est à force de chercher un créneau pour organiser une rencontre entre toi et Simon que nous nous sommes aperçus que nous allions être tous les deux ici ce soir, et que c'était l'occasion idéale pour une première rencontre. » Les planètes étaient bien alignées. C'était une chance à saisir. Et malgré toute la satisfaction que je tire de la manière dont cette soirée commence, mon coeur reste serré dans un étau, prisonnier de ma poitrine oppressée. Je rougis un peu lorsque Joanne passe son pouce en bordure de mon front ; la sueur, quel glamour. Un rire nerveux s'échappe de mes lèvres. « Oui, oui… Ca va. Il fait assez chaud ici, non ? » De nombreux petits spots éclairent le œuvres de la galerie qui, pleine de monde, renferme la chaleur des lumières et des corps ; la porte qui s'ouvre pour cracher de nouveaux invités à l'intérieur ou des fumeurs à l'extérieur ne suffit pas vraiment à renouveler l'air. Bien sûr, ce n'est qu'un prétexte, mais à la réflexion, il est crédible. D'un signe de tête, j'invite Joanne à s'approcher avec moi de la première œuvre de la galerie. Une grande toile blanche sur laquelle une balle de paintball rouge semble avoir explosé. Ni elle ni moi ne sommes sensibles à ce genre de chose, et cela doit se deviner à nos sourcils arqués, à la recherche d'un point positif à soulever, éventuellement. « Eh bien… je ne savais pas que jeter son assiette de spaghettis bolognaise sur une toile blanche pouvait devenir une œuvre à cinq mille dollars. » Une fourchette basse dont je ne peux confirmer la véracité, car la prix dépend également de la cote de l'artiste et de la taille de son égo. Les prix sont sur un catalogue, plus loin dans la salle, sur une table autour de laquelle se pressent les amateurs de ce genre d'expression artistique. « Nous devrions encourager Daniel à faire pareil, nous gagnerions un sacré paquet. » j'ajoute tout bas. J'admets que malgré mes humbles tentatives d'expier mes émotions sous diverses formes telles que des représentations aussi abstraites, le travail très brut exposé ici ne me parle pas. Mais il y a, plus loin, des photographies en noir et blanc, ce qui n'est guère original à mon avis, néanmoins, je suis prêt à leur laisser le bénéfice du doute en m'approchant de plus près plus tard. Il y a des sculptures qui ponctuent l'espace. Certaines se voulant très modernes telles que des bonbons géants ou des petits chiens métallisés, et d'autres plus poétiques, comme ce livre ouvert d'où s'échappe une nuée de papillons en résine, ou cette petite fille qui semble faite en papier, assise avec un livre sur les genoux, et qui me fait un peu penser à Joanne.
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L'opportunité n'était vraiment pas à louper et il semblerait que Joanne ait pu la saisir sans véritablement s'en rendre compte. Plongée dans ses discours portant sur sa passion, on pouvait facilement la perdre dans ces innombrables récits. Elle avait bien plus à raconter sur l'Italie depuis qu'elle y a été et comme à chaque fois, son coeur s'emballait. Cela lui rappelait spontanément les découvertes concernant Grace et Celso, les recherches qui se poursuivaient les concernant. Alors que Simon s'en allait saluer d'autres personnes, Joanne en profita pour demander à Jamie d'où venait ce sacré concours de circonstances. Il avoua qu'il avait volontairement approché l'homme en question pour parler de Joanne. "J'ignorais que ça marchait aussi de cette façon là, dans les coulisses des musées." lança-t-elle tout bas, un brin amusé. A vrai dire, elle n'avait jamais eu véritablement recours au piston jusque là, on l'embauchait pour ce qu'elle savait faire et ce dont elle était capable. Mais si quelques mots échangés l'aideraient effectivement à obtenir ce poste, elle ne cracherait pas dessus; dans tous les cas, elle devra tout de même faire ses preuves et ce n'était pas ce qui l'angoissait le plus. Jamie lui tendit la carte professionnelle de Simon. Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle était censée faire à ce moment là. Téléphone, mail ? Elle ignorait également combien de temps elle devrait attendre avant de le recontacter. "Merci." souffla-t-elle tout bas, rangeant précieusement le petit bout de carton dans sa pochette. "J'espère aussi." Il fallait espérer qu'il n'y ait pas quelqu'un de meilleur qu'elle. Curieuse, Joanne voulait savoir pourquoi il l'avait vraiment invité. Il semblait être particulièrement nerveux, même s'il haussait les épaules. Elle lui souriait avec tendresse et sincérité lorsqu'il confessa qu'il voulait passer du temps avec elle, et l'occasion semblait parfaite. Son sourire devenait de plus en plus gêné lorsqu'il parlait de Victoria. "Elle n'abandonne jamais lorsqu'elle a une idée en tête, pas vrai ?" dit Joanne avec un rire nerveux. Vee ne leur avait jamais caché combien elle rêvait de les revoir ensemble, ce n'était pas la première fois qu'elle se permettrait de faire des plans pour qu'ils soient à nouveau ensemble. Le rire que laissait échapper Jamie par la suite était on ne peut plus nerveux. Ce n'était pas qu'à cause de la chaleur de la pièce qu'il transpirait, c'était évident. C'était là que Joanne se rendait compte qu'il était peut-être nerveux à cause d'elle. Parce qu'il voulait faire les choses bien et qu'il ne voulait absolument pas se louper pour cette soirée. "C'est l'avantage d'être une femme pour le coup, on peut porter des manches courtes et des bretelles comme on veut tandis que vous, vous devez systématiquement porter un costume." dit-elle les yeux pétillants. Elle passa une main délicate sur sa veste. "Mais je l'aime beaucoup. C'est aussi une couleur qui te va très bien, le bleu, comme ça." Elle lui sourit sincèrement. Ils s'approchèrent ensuite tous les deux d'une oeuvre, histoire de prêter un peu d'attention aux oeuvres présentées. Et forcément, aucun des deux n'était franchement réceptive à ce type de tableaux. Elle rit discrètement à la remarque de Jamie. "Non, je ne comprends vraiment pas." dit-elle après quelques longues secondes d'observation. "J'ai déjà vu des parents faire ça, vendre des oeuvres de leurs enfants à prix d'or, alors que ce ne sont que des toiles où ils ont laissé leur gamin marcher dessus avec de la peinture sur les pieds, en gros." Joanne leva les yeux au ciel, trouvant cette démarche assez absurde. [color=#006699]"Je préfère garder les oeuvres de Daniel pour moi." (/color]confessa-t-elle avec un large sourire. "Il est bien plus fier de donner ses chefs d'oeuvre à Maman et Papa plutôt qu'à de sombres inconnus. De plus, il est un peu trop jeune pour avoir de l'argent de poche." Elle rit tout en lançant un regard complice à Jamie. Il s'approchèrent de sculptures cette fois-ci, qu'ils observaient sans se faire de commentaires, Joanne sirotant son champagne. Elle passait un bon moment avec lui, même s'ils ne se parlaient pas forcément. "Ca, j'aime mieux." dit-elle en voyant le livre d'où sortait des papillons. "Plus que les bonbons géants, en tout cas." C'était plus poétique, un brin plus romantique, tout ce qui pouvait un peu plus correspondre à ce qu'elle pourrait apprécier. "Tu peins encore, toi ?" finit-elle par lui demander. "Tu as toujours en tête d'exposer, ou pas ?" C'était par simple curiosité. Il se posait déjà la question lorsqu'ils étaient ensemble, peut-être avait-il mené à bout sa réflexion jusque là. Elle préférait largement ce que lui pouvait peindre en tout cas, comparé aux toiles exposées ici. Vee finit par faire son apparition auprès d'eux, ayant enfin terminé de saluer les convives, qui étaient tous arrivés. "Alors, vous trouvez votre bonheur ?" lança-t-elle avant de boire une gorgée de sa boisson.
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Si j'étais moins pointilleux et attaché au style que je m'efforce de garder, je suppose que j'aurais plus de libertés vestimentaires et que je ne me sentais pas obligé d'arborer un costume pour à peu près toutes les occasions malgré le climat australien, mais cela ne serait définitivement pas moi, et lorsque que l'on s'est imposé dans le paysage avec une certaine allure, on se condamne d'une certaine manière à n'en pas changer trop radicalement. Quand il s'agit de sortir, les femmes ont un éventail de possibilités bien plus étendu que les hommes, et je ne peux pas m'obliger à négliger quoi que ce soit. Je glisse l'originalité dans les détails comme je l'expliquais à la jeune femme à Florence, mais cela reste timide. On ne me verra jamais dans ce genre d'événement en t-shirt et baskets, ou dans des couleurs aussi criardes que l'ensemble de Victoria. Comme ce soir, j'ai opté pour ce bleu, pas trop foncé, d'aspect métallisé, qui change un peu de ce que je peux habituellement avoir sur le dos. Cela remporte les deux suffrages les plus importants de la soirée, celui de Joanne et de Vee. « Merci. » je souffle au compliment de la petite blonde qui, je le sens, fait de son mieux pour que je me sente à mon aise avec elle. Et si d'un côté sa compagnie est agréable, si les regards que nous échangeons après avoir contemplé une œuvre ou une autre font flotter cette complicité entre nous, je persiste à craindre le moindre faux pas. Je remarque aussi que la part d'ombre qui couvre encore ce que la jeune femme pense de cette volonté de recommencer notre relation du début, qui a débuté à Florence, me pèse énormément. Ne pas savoir comment me comporter, au final, ce qui est adéquat de ce qui ne l'est pas. Je lance un trait d'humour, mais je n'ose pas renchérir sur les réponses de Joanne, malgré les rires qu'elle me décroche. Alors nous passons aux œuvres suivantes, nous nous attardons sur celle qui parle le plus à la jeune femme. « Comme c'est surprenant. » je glisse avec un sourire taquin et un sourcil arqué. Un livre et des papillons, qu'est-ce qu'elle ne pourrait pas aimer là-dedans ? Contrairement aux grosses sucreries à l'aspect froid et superficiel. « Disons qu'ils n'ont pas d'intérêt s'il y a pas un vrai bonbon à l'intérieur. » dis-je en feignant une moue déçue. Pendant que nous poursuivons nos déambulations, la petite blonde s'intéresse à ma propre production pseudo-artistique et l'éventualité d'exposer qui m'avait frôlé lors de ma rencontre avec Andy. Elle avait su se montrer particulièrement persuasive. « Je ne sais pas trop. Ca n'a pas vraiment changé, une partie de moi aimerait bien exposer, l'autre a bien trop peur des critiques. Et avec tout ce qu'il s'est passé, elles pourraient être encore plus virulentes… » Laisser tout le monde voir ce qu'il y a à l'intérieur, ce qu'il se passe dans cet esprit, et sentir dans les formes et les couleurs le danger qu'ils pensent que je suis, tout ce qui a mené à ces événements, et à la fin de notre couple. Je ne crois pas qu'il y ait quoi que ce soit dans ces peintures qui puissent faire voir autre chose. « Et puis, je n'ai rien de nouveau à présenter, non. J'ai fait une tentative il y a quelques temps, complètement raté. Je l'ai rapidement détruit. Au final, je me suis senti mieux en en faisant des morceaux plutôt qu'en la peignant. » Je me mords les joues. C'est ça, dis-lui que détruire quelque chose fait du bien, c'est exactement ce qu'elle veut entendre. « J'imagine qu'il faudrait que je me force un peu, mais j'ai d'autres choses en tête en ce moment. » Comme retrouver ma place auprès d'elle, redorer mon blason auprès du plus grand nombre. Je ne crois pas que m'exposer sur des murs entiers aiderait. L'apparition de Vee me rend le sourire. « Tu es là pour inciter à l'achat ? » « Non, mon chéri, je sais que tu n'en a absolument pas besoin. Et de toute manière si tu faisais l'acquisition d'une de ces croûtes, je te renierais. » Quelques regards scandalisés et bouches en rond se tournent vers elle. « Oui, vous avez bien entendu. » renchérit-elle en jetant son mépris par dessus son épaule avant de complètement changer de ton face à nous. Sa main libre se pose d'abord sur mon costume, glisse sur le revers pour palper le tissu, puis frôle la joue de Joanne avec un regard plein d'affection. « Vous êtes toujours aussi beaux vous deux. J'ai tellement hâte que vous nous fassiez d'autres beaux bébés. » « Vee.. » Je soupire. Elle a l'art de mettre les pieds dans le plat en parfaite connaissance de cause. Elle, elle ne doute de rien. La mine offusquée d'être ainsi reprise, pour ne pas dire réprimandée par sa manière maladroite de nous encourager à renouer, elle n'hésite pas à se défendre à sa manière, avec une touche d'absurdité qui met toujours fin à tout confit avant même qu'il ne puisse commencer ; « Quoi ? Chacun a ses obligations vis-à-vis de l'espèce humaine, et la vôtre c'est de propager partout de magnifiques enfants qui rendront le monde plus beau ! » Malheureusement la plaisanterie ne prend pas ; je roule des yeux et m'éloigne des deux femmes ; « Excusez-moi, je vais juste prendre l'air. » Alourdir l'atmosphère dehors, et continuer de ruiner mes propres efforts. En traversant la galerie, je me retiens d'attraper une coupe de champagne. A l'extérieur, je serre encore les dents pour ne pas demander une cigarette à l'un des fumeurs présents. Je me sens ridicule et tellement adolescent. « Pauvre garçon, il est tellement nerveux. » murmure Victoria, le regard désolé posé sur ma silhouette à travers les portes vitrées de la galerie. « Est-ce que tu veux que j'aille lui parler ? » propose-t-elle à Joanne, prête à aller réparer ses propres bêtises et éviter que notre soirée tourne au désastre.
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Jamie voulait faire de son mieux, c'était tout à son honneur. Mais il peinait à à dissimuler sa nervosité. Elle le connaissait suffisamment pour connaître les signes, mais elle ne lui en tenait pas rigueur. Il mettait en cause la cause la chaleur de la pièce à causes des spots, mais il fallait aussi noter la couche de vêtements qu'il avait sur lui. Il voulait toujours bien se présenter, porter les plus beaux de ses costumes – bien que ça ne soit pas certain, qu'il y en ait des plus beaux que d'autres, mais Joanne avait ses quelques préférences. Il montrait depuis le début qu'il savait bien s'habiller et avait en quelque sorte une réputation à tenir. Ce que Joanne appréciait. Le bel homme accepta volontier le compliment sans même rougir. Suite à quoi ils continuaient de se promener dans la salle, plus réceptifs à certaines sculptures présentées. Elle lui fit un léger coup de coude à sa remarque avec un petit rire. "On pourra dire que j'aurais aimé quelque chose durant ce vernissage." L'art moderne et contemporain, ce n'était pas vraiment sa tasse de thé. Elle ne comprenait donc pas l'intérêt d'avoir un bonbon géant chez soi. "Tu arriverais vraiment à tout manger ?" lui demanda-t-elle sur le ton de la plaisanterie. "Le Jamie de six ans qui est en toi aurait adoré avoir un bonbon de cette taille chez lui, je suppose." Elle le regardait d'un air attendri. Elle savait combien il tentait parfois de rattraper son enfance par tous les moyens possibles. Jamie confessa que l'inspiration n'était pas vraiment de son côté en terme de peinture. Il s'y était essayé, mais ce n'était rien de très convaincant, au point qu'il a préféré mettre en mille pièces la toile. "Je suis certaine que ça finira par revenir. Laisse toi un peu de temps." Son sourire était encourageant. "Ce n'est pas en te forçant que ça viendra. Je pense qu'il y aura un jour où tu auras envie de peindre, et ça reviendra tout seul. Ca doit rester un plaisir pour toi, pas une obligation." A quoi bon se forcer lorsqu'il s'agit d'une passion ? Vee fit son apparition, personne ne pouvait la louper, avec ses vêtements et sa remarque concernant le vernissage en question. Certains regards choqués la fixait mais elle n'en tenait absolument pas rigueur. Joanne aurait aimé être capable d'être pareille, aux moments opportuns. Forcément, Victoria mit les pieds dans le plat en supposant haut et fort qu'ils étaient en couple. Cela rendait Joanne nerveuse, mais certainement pas autant que Jamie, qui lui était même mal à l'aise par rapport à ses remarques. Si bien qu'il ressentait le besoin de sortir prendre l'air. Se sentant coupable, Vee voulait tenter de se rattraper mais Joanne lui assura qu'elle allait s'en occuper. Elle s'excusa auprès d'elle avec un sourire ravi puis sortit rejoindre le bel homme. "Hey..." glissa-t-elle tout bas en s'approchant de lui. Elle glissa délicatement ses doigts entre les siens et tira sur son bras pour aller s'asseoir sur un bac, isolé de tous les fumeurs qu'il y avait dehors. Ellle posa ensuite sa main sur sa joue pour qu'il la regarde. "Tu t'en sors très bien." lui souffla-t-elle tout bas. "Ne va pas penser que ses remarques viennent tout ruiner. Je peux t'assurer que ce n'est pas le cas." Elle lui souriait avec tendresse et caressait tendrement sa joue. Jamie ne lui avait pas caché son souhait de vouloir étendre leur famille, si elle venait à se reconstituer, c'était quelque chose qu'il voulait absolument retrouver parce que c'était là qu'il avait trouvé une place qu'il méritait. "Tu connais Vee, à envoyer tout le temps des plans sur la comète." dit-elle pour tenter de dédramatiser. Joanne plongeait son regard dans le sien. Elle restait silencieuse un long moment, il n'y avait que ses doigts qui continuaient de caresser sa joue. "Je passe une agréable soirée avec toi, et j'ose espérer que tu ne vas pas te laisser abattre par les remarques de Vee." Elle déposa un doux baiser sur sa pommette. "J'ai envie d'essayer, Jamie. J'ai envie de continuer à passer des soirées avec toi. Je sais que tu cherches à bien faire, et que ton sens du perfectionnisme te laisse croire que l'intervention de Vee a tout ruiné, mais je peux t'assurer que ce n'est pas le cas. Tout ce qui m'importe, c'est de passer du temps avec toi, te redécouvrir." Joanne réduisit un petit peu la distance entre eux. "Mais si vraiment elle te met en situation trop inconfortable, on peut toujours partir, aller boire un verre, ou se promener un peu. Tout ce que tu voudras, mais je ne voudrais pas écourter la soirée de cette façon là. J'ai envie de passer du temps avec toi." Joanne tentait de le rendre moins nerveux, de lui faire comprendre qu'il avait déjà marqué des points depuis le début de la soirée. "Ou est-ce qu'il y a quelque chose que je puisse faire qui peut te rendre un peu moins nerveux ?" Tout ce qu'elle voulait, c'est qu'il parvienne autant qu'elle à profiter de cette soirée. Certes, il y avait un enjeu conséquent derrière, mais ça ne devait pas être désagréable pour lui pour autant.
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L'air frais me fait du bien, même s'il n'est pas suffisant pour dégager le poids qui compresse ma poitrine. Cette pression qui se fait plus oppressante de jour en jour et me donne parfois l'impression de suffoquer, d'être à l'étroit. C'est assez hypocrite de rester à proximité des fumeurs pour humer les volutes grises, juste un peu, mais de ne pas aller demander une cigarette à consumer concrètement. Je ne pensais pas que j'en aimerais l'odeur un jour, alors qu'elle me rappelle ces gros cigares que mon père fumait toujours en permanence à la maison. Dans le salon, dans son bureau, dans le jardin, toujours un verre de whisky à la main et le regard froid. Un regard qui se s'oublie pas, de même que le pli au coin de sa bouche, ce rictus désapprobateur et cette manière de pincer les lèvres en levant les yeux au ciel pour faire comprendre que ce n'est pas assez. Que ça ne sera jamais assez. Ce genre de choses laissent des traces insoupçonnées qui font surface lorsque l'on ne s'y attend pas. C'est la peur du faux pas qui mènerait à la déception de l'autre, la crainte de ne pas être à la hauteur. C'est le perfectionnisme qui mène à l'obsession du détail, parce que l'on croit que c'est dans ces détails que l'autre comprendra l'affection que l'on essaye de donner et d'obtenir. C'est la panique qui saute à la gorge à l'idée que, malgré tous les moyens déployés, toutes les tentatives se résultent par un échec, pire encore, un rejet. Je prends une grande, très grande inspiration pour calmer ces peurs qui me nouent l'estomac ce soir. Joanne apparaît à mes côtés à peine une minute après que je sois sorti. J'imagine qu'elle préférera partir. Au lieu de ça, elle me prend la main et m'attire un peu plus loin. Mes jambes, lourdes, me lâchent sur le banc. Je ne résiste pas à l'attraction du regard de la jeune femme qui tourne mon visage vers le sien et le caresse avec tendresse. Mon coeur ne se calme pas, mais mes angoisses, un peu. Joanne ne tient pas rigueur des paroles de Victoria, cela ne tâche pas la soirée qu'elle passe. Agréable, dit-elle. J'acquiesce d'un léger signe de tête, signifiant que je comprends que rien n'est perdu. Ce que je retiens surtout, c'est que la jeune femme veuille essayer. « Tu es déjà parfaite... » je murmure avec un fin sourire, débordant de reconnaissance pour ses paroles dont j'avais besoin. Mes mains prennent la sienne, sur ma joue, pour la porter à mes lèvres et y déposer un baiser. Un petit silence s'installe, et je finis par lâcher un petit rire nerveux. « Je suis désolé, je me sens tellement maladroit. Et je ne veux pas que tu te sentes mise sous pression à cause de ce que dit Victoria, ou moi, ou quoi que ce soit. Nous avons dit que nous prendrions notre temps, que nous verrons où ça nous mènera, et je veux m'y tenir. » Aussi difficile cela soit. Je ne suis pas un homme patient. Joanne le sait. Mais il faudra du temps, et du travail, pour tout rebâtir. Si elle le veut aussi. Mon regard se pose sur les portes de la galerie, le monde qui discute à l'intérieur et don nous ne percevons qu'un murmure et, parfois, quelques rires un peu trop forts. « Peut-être… oui, nous pourrions reprendre cette soirée ailleurs. » Nous avons vu Vee, rencontré Simon, ce qui était le plus important, et fait le tour des œuvres qui ne nous parlent pas vraiment. En soi, nous n'avons plus d'obligations ici. Et puis, je ne suis pas aussi populaire que Joanne le crois, et cela me met plus mal à l'aise que je ne l'aurais pensé. Avant de songer à quitter le banc, nous restons là un instant. La rue est calme, la température agréable, je peux me remettre de mes émotions ici, me réunir, et reprendre contenance pour la suite de la soirée. Je ne peux pas rester aussi moite et incertain pendant des heures. « C'est bête, je me sens aussi nerveux que si j'avais invité la plus belle fille du campus au bal de promo. » dis-je avec un petit rire, le regard sur mes chaussures. « Ca m'a toujours effrayé. » Du coup, je n'invitais, je me laissais inviter, et tout était bien plus simple comme ça. Avant que la discussion puisse continuer, un jeune homme s'approche de nous et impose sa présence en croisant les bras sur son torse. Je reconnais le mannequin qui accompagnait Joanne dans ce bar la dernière fois, mais son nom m'échappe. Cela n'a pas vraiment d'importance. Son regard est mauvais, désabusé, tandis qu'il nous toise tout les deux. « Joanne, qu'est-ce que tu fais ? Me dis pas que vous vous rabibochez, c'est carrément malsain. » siffle-t-il entre ses dents, méprisant.
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Jamie s'était toujours mis beaucoup de pression tout seul. Elle ne parvenait pas à imaginer tout ce qu'il avait pu vivre pour en arriver à cela, mais elle savait que ça le rendait particulièrement exigent en tout. Sauf quand ça la concerne elle, peut-être. Mais Jamie était minutieux, dans le détail. Que ce soit pour la recherche d'une maison, la contemplation d'un tableau, l'essayage d'un costume. Le détail qui n'allait renaît vite de l'envergure et il fallait que ce soit corrigé coûte que coûte. Là, Vee avait quelque peu entaché le tableau, et pour lui, la soirée était totalement foutue. Joanne tenait à rectifier le tir en lui faisant comprendre qu'à ses yeux, ce n'était pas le cas. Bien qu'elle ne parvenait pas à relativiser pour elle-même, elle parvenait à le faire pour les autres. Et cela semblait porter ses fruits parce que dès que Jamie avait plongé son regard dans le sien, il semblait un peu plus serein. Toute la nervosité et le stress n'étaient pas partis, mais les épaules étaient peut-être un peu moins lourdes qu'auparavant. "Parfaite ? N'exagérons pas, tout de même." répondit-elle avec un rire amusé. Elle le regardait ensuite embrasser délicatement sa main. Ca aussi, c'était quelque chose qu'elle aimait beaucoup – elle aimait tout ce qui s'approchait du romantisme, en général. Jamie, contre toute attente, s'excusa. C'était quelque chose qu'il n'y avait jamais aimé dire, d'être désolé, et pourtant. "Je me mets déjà la pression toute seule, tu sais, par rapport aux enfants." Cela avait toujours été le cas, après tout. Joanne en avait parlé à son psychologue, de cette hantise, de ne pas arriver à avoir un autre enfant, sans oublier à chaque fois de dire à quel point elle était chanceuse d'avoir Daniel. Mais elle en avait toujours voulu plusieurs. "Alors, un commentaire de plus ou de moins, à ce sujet..." Elle haussa les épaules. Elle prenait beaucoup sur elle. C'était une bonne chose, mais ce n'était peut-être pas la meilleure lorsque l'on connaissait la fragilité de la jeune femme. Jamie semblait déterminé à prendre du temps pour établir une relation. Il ne fallaut plus aller dans la précipitation comme la toute première fois. Jamie semblait motivé à aller poursuivre cette soirée ailleurs. "La plus belle fille du campus ?" dit-elle en haussant les sourcils. "Je n'irai pas jusque là non plus. J'étais plutôt celle qu'on oubliait à l'époque. Ca me convenait, de ne pas être remarquée." expliqua-t-elle. Elle était surprise de le voir admettre que ce n'était pas son genre, d'inviter une fille à un bal. [color=#006699]"Toi qui n'aimes pas la technologie, tu devais être ravi de pouvoir désormais inviter par SMS." dit-elle d'un ton taquin. "Ca marche aussi comme méthode, je t'assure. Je pensais que tu avais tes aises avec les filles, même à cette époque là. Que tu faisais partie de la bande de beaux gosses, confiants, et qui n'avaient pas peur d'approche la gente féminine pour demander à l'une d'entre elles d'être sa cavalière." Comme quoi, les apparences étaient souvent trompeuses. "Mais je pense que tu devais tout de même avoir un certain succès auprès d'elles. Je doute que tu te rendais à ce genre d'événements seuls." Joanne se souvenait de son bal de promo, mais ce n'était pas non plus un événement particulièrement marquant de ses années lycée. Ils furent interrompus par une veille connaissance. "Caiden, ravie de te voir aussi." répondit Joanne avec une légéreté qui la surprenait elle-même. "Est-ce que tu penses que c'est tout aussi malsain que de m'embrasser uniquement pour le rendre jaloux, devant lui ?" "Non, c'est pire." dit-il en croisant les bras. Joanne soupira et se leva pour se mettre face à lui. "Encore pire d'inviter une femme à boire un verre dans le seul but de vouloir coucher avec juste après ? Franchement, Caiden, ne va pas croire que tu es meilleur que lui. En terme de galanterie et de savoir-être, tu ne lui arrives même pas à la cheville. Et puis, de quoi je me mêle ? Débrouille-toi avec ta vie amoureuse avant de juger la mienne." "Tu n'en sais rien." "Oh si, crois-moi." dit-elle en pouffant et en invitant à Jamie de se lever. "Il se trouve que moi aussi, j'ai mes petites pairs d'oreille qui traînent dans ton monde maintenant. Et ce n'est pas joli-joli, vu le nombre de tes conquêtes. Alors avant de faire ton justicier, occupe-toi d'abord un peu de tes fesses." dit-elle sèchement. Elle prit la main de Jamie et partait sans même saluer Caiden. Joanne récupéra rapidement sa veste et salua de loin Vee, qui lui fit signe de l'appeler à l'occasion. Ils marchaient ensuite dans la rue, sans trop savoir où aller. "Wesley m'a dit qu'il a son palmarès de conquêtes, il l'a seulement découvert après la soirée au bar." Il n'était pas mieux que Jamie, c'était certain. "Et puis son costume était un peu trop grand pour lui, je ne sais pas si tu as remarqué." ajouta-t-elle en haussant un sourcil. Joanne ne trouvait pas d'autres sujets de conversation, après coup. Ils marchaient ensemble, silencieusement. Et si ça devait être ainsi pour les prochains minutes, ça ne la dérangerait pas.
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Ce n'est pas évident lorsque l'on me voit naviguer dans les eaux vertes des hautes sphères de ce point du globe ou celui à l'opposé, de croire que je puisse être dévoré par autant d'angoisse et de doutes. C'est pourtant là le moteur du perfectionnisme qui fait fonctionner tout le reste. C'est cette nervosité qui ne s’apaise que lorsque tout se déroule comme sur du papier à musique. Joanne se souvient sûrement du gala du musée, le premier. La manière dont j'ai passé mon bras autour de sa taille pour lui chatouiller un peu les côtes afin qu'elle rit face au photographe. Spontané, assuré. La vérité est toute autre et dissimule tous les mécanismes et les expériences qui ont mené à ce comportement à ce moment précis. Je voulais qu'elle m'apprécie, à ce moment-là. Je voulais lui plaire. Mais je ne savais pas comment, elle n'avait rien à voir avec les personnes que j'avais côtoyé jusqu'alors. J'ai tenté cette approche, comme j'aurais pu en tenter une autre. Je n'avais pas la moindre idée de ce que je faisais. Et après coup, j'avais à nouveau ce doute. Je ne me suis jamais qualifié comme étant naturellement particulièrement doué en matière de relations sociales. J'ai appris à l'être. J'ai appris à deviner ce que chaque personne veut entendre pour lui plaire. Joanne est la seule que je n'ai jamais réussi à complètement lire. J'ai cru le savoir, plus d'une fois, et j'ai eu tort. J'ai eu tort tant de fois que je ne sais plus vraiment ce que je crois savoir. Alors le doute est plus que jamais présent. « La plus belle file pour moi n'est pas forcément la plus belle pour les autres. Ce qui compte c'est qu'elle le soit à mes yeux. » dis-je tout bas à Joanne avec un sourire. C'est ce qui rend toute chose. D'être avec cette fille qui a l'air trop bien pour vous, celle que vous n'auriez jamais pensé entendre dire oui, et qui est là désormais, attendant que vous soyez à la hauteur. Je n'ai pas l'impression de l'être. « Et je refuse de croire qu'on ne te remarquait pas. » j'ajoute avec un petit rire. Qu'elle le pense est une chose, que cela soit vrai en est une autre, et je suis persuadé que, comme toujours, la jeune femme n'a tout simplement jamais vu les regards qui suivaient son chemin lorsqu'elle marchait dans le couloir d'une salle de classe à une autre. Je peux imaginer à quel point elle était déjà jolie et adorable à l'époque. Me concernant, elle se fourvoie tellement que je me mets à rire, surpris de découvrir si tard ce que Joanne s'était faite comme idée du Jamie de la fac. Quelque chose approchant du cliché américain du quarterback de l'équipe de l'établissement qui emballe à tour de bras, entouré de sous-fifres et de faire-valoir. « Oh mon dieu, non, pas vraiment. Je ne me faisais pas remarquer non plus. » J'étais entouré malgré moi, tristement populaire malgré moi. Mais je n'aimais pas les regards, je ne cherchais pas à les attirer. Malgré tout, j'étais rarement seul, que ce soit au quotidien ou pour sortir. « Non, c'est vrai. » je souffle, forcé de l'admettre. Mais je n'invitais qu'en dernier recours, histoire de ne pas être le seul à finir sans cavalière. L'arrivée de Caiden interrompt ces confidences pleines de nostalgie. L'air paraît soudainement empoisonné par le mépris dont le jeune homme transpire en nous voyant si proches. Je ne sais pas quoi répliquer, je n'en ai pas le temps. C'est Joanne qui, contre toute attente, prend la situation de front et fait face à celui qui, un jour, avait tenté sa chance avant de se prendre un mur. Ma bouche reste ouverte comme une carpe, soufflé par l'échange qui se déroule sous mes yeux. Je peine à reconnaître la petite blonde dans la manière qu'elle a de remballer le mannequin sans lui laisser de répits. Et plus vite que je ne saurais le dire, elle me reprend la main pour nous faire déguerpir. La minute suivante, nous sommes sur la rue perpendiculaire qui mène vers d'autres petites allées. « C'était impressionnant. » dis-je, les mains dans les poches, ne trouvant que ça pour faire comprendre ma reconnaissance à celle qui a pris ma défense. Elle m'explique que son ami lui avait dressé le portrait peu flatteur de Caiden après l'incident du bar. Elle aussi, elle a remarqué que le mannequin ne remplissait pas son costume, ce qui me fait bien rire. « Oui, j'ai vu ! » Les épaules paraissaient vides d'un bon centimètre de chaque côté, et les manches étaient trop longues d'autant de longueur de tissu. « Il ressemblait un peu aux bonbons géants. Un grand papier froissé pour envelopper du vide. » J'aime assez pouvoir constater que Joanne a remarqué ce genre de détails que je me sens toujours seul à voir. Cela fait partie de ces petits rien que nous ne soupçonnions pas d'avoir en commun, et qui peuvent rendre le fossé qui a toujours semblé nous séparer de moins en moins grand. Je retrouve le sourire alors que nous marchons. Je regarde plus mes chaussures et le trottoir que le paysage urbain de nuit et Joanne, mais cela ne m'empêche pas de remarquer ce pub près duquel nous approchons pas à pas, d'où provient une lumière chaleureuse loin des LED blanches de la galerie, et où le murmure des conversations et des rires paraît plus enjoué et authentique que là-bas. « Allons là. » Ma main prend celle de la jeune femme et je l'attire à l'intérieur. Ce n'est pas aussi bondé que ça en a l'air depuis l'extérieur, et le bar est surtout plus grand que ce à quoi je m'attendais. Je nous trouve une table entourée de deux fauteuils qui vient sûrement d'être libérée à l'instant ; les traces de verres laissent deviner que le chiffon n'a pas encore eu le temps d'être passé. Le serveur, nous voyant nous installer, se presse donc ne rendre la table présentable et dépose une carte. « Je me souviens que j'étais si heureux la première fois que je suis tombé sur un pub à Brisbane. » dis-je en retirant ma veste et ma cravate non sans un grand soulagement. Puis je n'ai besoin que d'un rapide coup d'oeil à la liste des boissons pour savoir exactement quoi commander. Je fais déjà signe au jeune homme de revenir et lui demande deux Four X. « Désolé, ici tu bois de la bière, ou tu ne bois pas à côté de moi. » je lance à Joanne qui n'aura pas eu le temps d'en placer une, avec un petit air hautain finement travaillé -mais largement trahi par un rictus amusé. Puisque le pub ne croule pas sous les clients en attente, il ne faut pas longtemps avant que les deux bières arrivent sur la table. Nous trinquons, et je relance le sujet de conversation que nous avions laissé sur notre banc, intéressé par tout ce qui peut être révélé par ces anecdotes dont nous ne nous doutions visiblement pas avant ce soir ; « Alors, comment s'appelait la reine des abeilles de ton campus et à quel point la méprisais-tu sur une échelle de 1 à 10 ? »
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Jamie mettait une nouvelle fois en avant sa propre conception de la beauté. Qu'à ses yeux, ce n'était pas forcément celle qui faisait l'unanimité dans la gente masculine qui était la plus magnifique pour lui. Les goûts et les couleurs, dira-t-on, mais ce n'était certainement pas ce qui alimentait la passion qu'il avait pour Joanne. C'était juste elle, et personne d'autre. Le genre de personne avec qui, dès le premier regard, on voulait faire sa vie. Si ce n'était pas le cas, Jamie ne serait pas en train de tenter de la reconquérir malgré tout ce qui avait pu se passer au cours de ces derniers mois. Joanne rit à se remarque.[color=#006699] "Pourtant, il n'y en avait pas beaucoup qui m'approchait."(/color] s'exclama-t-elle. Joanne était typiquement celle qui n'embêtait personne et que personne n'embêtait. C'était avec surprise qu'elle apprenait que Jamie ne cherchait pas vraiment à se faire connaître. Il devait être encore moins bavard après le suicide de son grand frère. Mais sa beauté ne laissait personne indifférent. Alors même s'il voulait être invisible, il ne l'était pas réellement. Leur conversation fut écourtée par l'intervention de Caiden. On ne savait pas quelle mouche avait piqué Joanne pour qu'elle ait autant de réparti à ce moment-là. Cela ne signifiait pas qu'elle avait repris une confiance en elle ou qu'elle avait gagné en assurance. Elle était simplement agacée d'avoir été ainsi interrompue durant une discussion agréable et intéressante. Cela semblait amplement suffisant pour que ça impressionne Jamie et Caiden par la même occasion. Aucun des deux ne s'attendait à ce que soit elle qui se manifeste la première et qui cloue le bec au mannequin pour lui passer ensuite sous le nez avec Jamie. Après quelques minutes de marche, ce dernier ne manqua pas de partager sa surprise. "Il m'a agacée. C'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité, j'ai trouvé." dit-elle avec un vague haussement d'épaules, suivi d'un rire nerveux. "Etre un grand papier froissé reste même plus enviable, je dirai." renchérit-elle. Ils finirent par arriver non loin d'un pub. Sans hésiter, Jamie lui prit la main pour l'y embarquer. Joanne se laissait entraîner volontiers, et ils trouvèrent une place de choix sans avoir à attendre que ça se libère. Les fauteuils en cuir étaient particulièrement confortables. Il ne lui laissait pas vraiment le choix de la boisson; bière pour tout le monde. Joanne leva ses mains, comme si elle se rendait. "Alors ce sera de la bière." lança-t-elle dans un rire. Ils furent rapidement servis. Jamie repartit sur le sujet du lycée et de l'université. Joanne rit nerveusement. "Au lycée, la fille populaire s'appelait Debbie. Mais comme je te l'ai dit, je n'existait pas vraiment pour elle, et je ne l'enviais pas. Parce que ce côté hyper populaire ne m'intéressait pas. Et tant que Reever était là, il n'y avait pas beaucoup de garçons qui m'approchaient. Il y en avait juste un avec qui je m'entendais bien, c'était un bon ami et c'est d'ailleurs lui qui m'avait invitée pour le bal de promo." raconta-t-elle avec quelques sourires nerveux. "Et à l'université, c'est globalement pareil. J'ai rapidement rencontré Sophia et Hassan, nous avions notre groupe d'amis et nous ne nous soucions pas de l'élite du campus, si je puis dire. Il y en avait une qui faisait fondre beaucoup de mecs et qui s'appelait Amber. Grande brune aux yeux verts, elle avait tout pour elle. Je ne la connaissais que de nom, mais elle avait une sacrée réputation, tout le monde l'adorait." Elle rit doucement. "C'était Sophia qui la détestait surtout. Elle m'en parlait souvent. Elle la trouvait trop arrogante, trop miss je-sais-tout, etc. Toujours trop, tu vois le genre. J'étais plutôt passive dans l'histoire, ça consternait Sophia parfois." Elle haussa les épaules et but une gorgée de bière. "Et toi, y avait-il quelqu'un que tu détestais pas dessus-tout ? Ou quelqu'un que tu enviais plus que quiconque ?" lui demanda-t-elle afin qu'il en dévoile un peu plus sur lui et sur sa vie d'étudiant. "Combien de femmes faisais-tu tomber à ton passage ?" lui lança-t-elle afin de le taquiner. Joanne regarda la main de Jamie qui tenait la pinte. Elle approcha doucement la sienne pour effleurer le dos de sa main du bout des doigts. "Est-ce qu'il y en avait une qui t'avait tapé dans l'oeil, toi ?" Peut-être qu'il avait eu des flirts, des femmes avec qui il fricotait de temps en à autre pour accélérer le temps, et penser à autre chose. Elle ignorait quel homme il était à cette époque là. Ses années universitaires à elle se résumaient à deux personnes qui lui suffisaient largement, elle n'avait pas vraiment grand chose à raconter. Et elle savait que Jamie ne voudrait certainement pas entendre parler de son ex-mari. A moins qu'il ne veuille tout savoir dans le seul et unique but d'être meilleur que lui et de le faire oublier.
How much you wanna risk? I'm not looking for somebody with some superhuman gifts, some superhero, some fairytale bliss. Just something I can turn to, somebody I can kiss.
Joanne n'a jamais été bavarde au sujet de son passé, estimant à chaque fois qu'il n'y avait rien d'assez intéressant à en dire pour tenir une conversation digne de ce nom. Et à chaque fois, je lui tirais difficilement les vers du nez, ce qui ne consistait qu'en deux ou trois phrases sans détails qui ne me donnaient qu'un vague aperçu du tableau. Elle parle plus facilement de ses vacances chez sa grand-mère, ces souvenirs heureux et ces moments où elle pouvait être un peu plus libre que chez elle, moins étouffée. Mais je n'ai jamais compris pourquoi elle esquivait le sujet de l'école, le lycée, l'université, alors que ce sont aussi durant ces années qu'elle s'est construite en tant que personne. J'ai toujours pensé que si ses études se résumaient avant tout à ses cours et à sa relation avec son ex-mari, Joanne cherchait donc à m'épargner des crises de jalousie qui n'avaient pas lieu d'être vis-à-vis d'événements que plus rien ni personne ne peut changer. Ce que je comprendrais. Aujourd'hui, en revanche, alors qu'elle me fait le récit de ces jeunes femme qui faisaient parler d'elles dans les couloirs, les reines des abeilles et son rapport à la ruche, la jeune femme n'hésite pas à mentionner Hassan, et je sais de mon mieux que empêcher mon poil de se hérisser à l'écoute d'un nom que je méprise. J'ai malheureusement appris à avoir des raisons de le détester, plus que le simple principe qu'il soit l'ex de celle que j'aime. Je me suis fait mon opinion sur ses agissements, vis-à-vis de Joanne et de moi, et je n'en tire aucune conclusion plaisante. Néanmoins, ce n'est pas l'important dans ce que la petite blonde me dit et je balaye ma rancoeur rapidement. « Tu crois qu'elle la jalousait ? » je demande au sujet de la meilleure amie de Joanne et cette Amber qu'elle n'aimait pas. « Je trouverais ça amusant qu'une jeune femme qui a tout pour elle comme Sophia puisse être jalouse d'une autre. Et ton ami, celui qui t'as emmené au bal de promo, il était gay ou bien il était ton ami par dépit parce que tu ne voyais absolument pas tous les signaux de gars intéressé qui clignotaient autour de lui ? » Parce que cela serait tellement le genre de la blonde que je n'en serais absolument pas étonné. Peut-être qu'aujourd'hui, rétrospectivement, elle se rendra compte que chaque jour passé au lycée était une journée de plus passée dans la friendzone pour ce pauvre garçon, qu'il était plein d'espoirs lorsqu'il l'avait invitée au bal de fin d'année, et qu'il s'était retrouvé encore plus dépité quand il comprit qu'absolument rien n'allait se passer. Joanne me retourne mes questions, et je vois déjà la transformation de ma bonne idée de sujet de conversation se retourner contre moi au fur et à mesure des réponses que je serai forcé de donner en restant honnête et vrai sur toute la ligne comme elle l'a été avec moi. Je ris nerveusement, un peu perturbé par la caresse de ses doigts sur le dos de ma main. « C'est, hm, délicat, comme période de ma vie. » C'est le moins qu'on puisse dire. L'avantage que Joanne et moi nous connaissions depuis deux ans désormais, c'est qu'elle connaît déjà une bonne partie de l'histoire, la plus sombre, la plus sale, et que je doute que le reste puisse la choquer d'avantage. « Le seul homme que j'ai admiré et envié était et restera Oliver. » Même s'il nous a quitté en étant encore un garçon, même si je l'idéalise sûrement, le place sur un piédestal qu'il ne mérite peut-être pas ; je ne veux pas remettre en question la pureté et la grandeur que je lui attribue et que notre père a ruinés. Tout le monde a besoin d'un héros, et si ce n'est pas mon frère, alors ça ne sera personne. « Sa disparition m'a laissé… sans dessus-dessous, disons. Alors j'étais beaucoup dans ma bulle. » Manière subtile de faire comprendre que j'avais chaque jour l'impression de perdre un peu plus les pédales, mais cela fait partie des récits que je n'ai plus besoin de lui faire, et qu'à vrai dire, je préfère éviter de lui remémorer. Ce n'est pas ce qu'il y a de plus glorieux à mon sujet – mais à la réflexion, y a-t-il quoi que ce soit de ce genre à mon propos ? Honnêtement, j'en doute. « J'avais Irene, Jodie, James à ce moment-là, je voyais Madison plus rarement. J'étais du genre à préférer rester dans ma chambre à réviser plutôt que de me joindre aux soirées étudiantes. Je devais être bon, le meilleur, irréprochable, alors mes priorités étaient loin de celles des étudiants normaux. Du coup, à mes yeux, il n'y avait personne qui sortait du lot. Et j'avais autre chose à faire que perdre mon énergie à détester quelqu'un. J'entendais parler d'un Derek par ici, qui trouvait amusant de bizuter les nouveaux, et un Craig par là qui s'était fait choper à fumer je-ne-sais-quoi dans un placard à balai. » Ca ne me faisait ni chaud ni froid tant qu'ils ne venaient pas interférer dans mon parcours. Je crois qu'ils ne m'aimaient pas beaucoup, je ne sais pas sur quelle base, s'il leur en fallait une, et je n'en avais rien à faire. « Je ne m'intéressais pas au sexe opposé non plus, il n'y en avait pas une pour me taper dans l'oeil, et je n'ai pas la moindre idée du nombre d'étudiantes qui auraient pu être intéressées. Je laissais les gens graviter autour de moi, se prétendre amis, petite amie, et ça me laissait parfaitement indifférent. » J'étais passif. Je n'étais pas attiré par la popularité, elle venait à moi. Je ne cherchais pas à me faire des amis, pourtant le cercle ne cessait de croître. Je ne m'entichais de personne, néanmoins je me retrouvais bel et bien à être le date de demoiselles dont je ne me souviens plus du nom aujourd'hui. Mais je me souviens subitement ; « Oh, j'ai eu la déclaration enflammée de Rosie, une fois, mais la pauvre fille ne savait parler que de chimie, avait la voix semblable à des cris de souris, et elle avait même le visage allongé d'un rongeur, comme un petit furet. Mais ça m'a touché de lui faire de la peine. » Elle était gentille, mais nous n'avions rien en commun, et le seul son de sa voix me donnait envie de la jeter par-dessus la fenêtre de l'amphithéâtre. « J'étais plus ou moins avec Kelya à ce moment-là. » je reprends sans être certain que la mentionner soit une bonne idée. « Je devais gérer cette espèce de relation étrange et secrète, et du coup, là encore, je n'avais pas le temps ou l'envie de me lancer dans une relation officielle avec une autre. Jusqu'à Enora, bien sûr, mais pas pour les bonnes raisons. » L'autre nom qui fâche. Parler des exs est toujours un terrain miné. Pourtant, une partie de moi est convaincue de cela n'atteindra pas Joanne. Parce qu'elle est loin d'en être là dans ses sentiments, si sentiments il existe à cet instant. Autrement dit, parce qu'elle s'en fiche. Sans m'attarder plus longtemps là-dessus, je lève ma bière et incite la jeune femme à trinquer avec moi une nouvelle fois. « A Debbie, Amber, Derek et Craig, où qu'ils soient, quoi qu'ils soient devenus. »
Just something I can turn to, somebody I can kiss.
"Je pense que Sophia pensait qu'Amber avait encore plus qu'elle." répondit-elle dans un léger rire. "Ce n'était pas de la jalousie, mais un excellent stimulant pour elle. Au début, elle s'était mise en tête qu'elle pouvait être meilleure qu'elle, puis ça lui est passé au fil des années. Je n'arrêtais pas de lui dire qu'elle était parfaite comme elle était, elle ne voulait rien entendre pendant longtemps. Mais ça fini par rentrer, je crois." Joanne était assez nostalgique de cette période là. Elle faisait la bonne pair avec Sophia, toutes les deux étaient indissociables depuis qu'elles avaient fait connaissance. Encore une fois, Jamie restait persuadé que si un garçon voulait bien être ami avec elle, c'était pour qu'il y ait un rapprochement, d'une manière ou d'une autre. "Je ne sais pas, nous n'en avions jamais parlé. J'avais fait sa connaissance un peu plus tôt parce qu'il avait des difficultés en histoire, et puisque c'était mon point fort, je l'aidais un peu, c'est tout." dit-elle en haussant les épaules, n'imaginant pas une seule seconde qu'elle ait pu plaire à ce garçon. "C'était quelqu'un de bien. Je ne pas qu'il y avait le moindre... signal, comme tu dis." Il y avait certainement des moments où Joanne restait aussi naïve qu'elle ne l'était au lycée. Pour elle, c'était un bon ami, un des rares qu'elle avait, rien de plus. Joanne lui retourna la question, ce qui le rendit nerveux. A moins que cette nervosité ne vienne de la caresse que Joanne lui faisait. Comme elle aurait pu s'y attendre, Jamie idéalisait beaucoup son grand frère. Suite à son suicide, il s'était isolé des autres, mais les autres continuaient de l'approcher. Il avait plein d'amis, mais il était seul en même temps. Elle savait qu'il restait éloigné de toute forme de débauche. Pas d'alcool, pas de nicotine, et il en restait éloigné en n'allant pas aux soirées. En soi, son discours ne la surprenait pas. Il parlait d'une déclaration d'une dénommée Rosie, mentionnait quelques mots familiers dont un qui ne lui plaisait particulièrement pas. Kelya. Elle en gardait un très mauvais souvenir, encore plus mauvais qu' Enora, c'est pour dire. On pourrait peut-être même parler de traumatisme, causé par la psychologue. Joanne en était encore profondément marquée, elle en eut même un très léger vertige. Ils trinquèrent à toutes ces personnes qui avaient fait partie de leur vie étudiante, de près ou de loin. Joanne se rendait compte que Jamie n'avait jamais été véritablement stable dans sa vie amoureuse. Il avait eu déjà des relations sexuelles, mais c'était avec sa psychologue, il avait déjà été marié mais ce n'était pas par amour. Et lorsqu'il était amoureux, ça n'avait pas été un long fleuve tranquille. Même qu'il était tombé amoureux de deux femmes en même temps. Jamie cherchait une zone de confort, une stabilité. Il en avait besoin parce qu'il ne l'avait jamais été jusque là, et il semblait être persuadé de pouvoir trouver cette sérénité auprès de Joanne. "Quelle vie tumultueuse, Monsieur Keynes." reprit-elle après avoir bu une gorgée de sa bière, un fin sourire sur ses lèvres. "Je ne pense pas que tu m'aurais remarqué si nous avions été dans la même université." dit-elle avec un sourire, s'imaginant ce scénario là dans sa tête. "Nous serions restés chacun dans notre coin pour nos raisons propres, et peut-être que nous nous serions jamais croisés." supposa-t-elle. "Surtout si tu était entouré malgré toi, je n'étais pas du genre à m'approcher des groupes non plus." confessa-t-elle. Difficile d'imaginer comment les choses se seraient passées si la rencontre s'était faite à un autre moment. "Mais on n'en est plus vraiment là, pas vrai ? Nous avons un petit bout de chou et des envies de faire les choses bien." dit-elle avec un sourire confiant. "Et ce n'est pas des remarques venant qui vont ternir cette volonté là." Que ce soit Vee ou Caiden. "Même si ton perfectionnisme te pousse à penser le contraire." Joanne saisit délicatement et captait son regard comme elle savait si bien le faire. Elle aimait cette soirée, malgré ses imperfections. Elle réalisait combien ça lui avait manqué, la période où Jamie cherchait à la courtiser, à faire en sorte qu'il finisse par lui plaire. "Ta semaine à Rome... Elle t'a servi à quoi dans cette prise de recul ?" finit-elle par lui demander, se rendant compte qu'ils n'avaient pas encore pris le temps d'aborder le sujet. "Moi je... Je suis beaucoup allée voir mon psy. Je dois en être à la cinquième ou sixième séance depuis mon retour d'Italie."[/color) Joanne ne voyait pas ça comme une victoire. Bien qu'elle en tirait un certain bénéfice, une partie d'elle voyait encore ces consultations comme une honte. "Je n'ai pas encore réussi à dire ce qui me perturbe vraiment. J'ai l'impression qu'il faut que je lui explique tout début pour qu'il puisse comprendre. Ca fait un peu bizarre, de passer en revue toute sa vie, comme ça." Joanne se grattait nerveusement les cheveux. "Mais j'avais besoin de parler. Ca ne m'aide pas à mieux dormir, ou à dormir tout court. Mais ça fait du bien, d'évacuer un petit peu." Joanne soupirait un petit peu. "Pour chaque chose pour laquelle je me sens coupable, à chaque fois je lui disais que je m'en voulais, il me disait que je devais m'accorder une chance. Qu'il y a tout le temps des erreurs de parcours et que si tout le monde s'arrêtait à ça, personne n'avancerait. Alors je me suis dit que ça pourrait s'appliquer pour nous, aussi. J'avoue que j'appréhende ce que certains peuvent dire. Ce qu'a dit Caiden ne m'a pas touchée dans la mesure où il n'est pas tout blanc non plus." Elle haussa les épaules et lui sourit avec timidité. "Je veux nous l'accorder, cette chance. Et nous sommes déjà en train de la saisir." Les résultats n'étaient pas là, mais c'était déjà un premier pas, d'accepter de passer une soirée ensemble, de prendre du temps à se connaître et à se reconnaître.
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J’ai toute l'attention de Joanne pendant que je suis narre ces tumultueuses années d'université qui consistaient à être le spectateur de ma vie et de cet entourage qui se pressait autour de moi pour être l’ami ou la copine du fils de. C’était bien plus l’ensemble de lettres constituant mon nom qui faisait office d'aimant plutôt que la personne que j'étais à l'époque à mon avis. Personne ne savait vraiment qui j'étais, pas sûr que cela les intéressait. Le plus perturbant était surtout que je n’avais aucune idée de qui je voulais être non plus. En bref, c'était un désordre calme et invisible, qui s'est transformé, à mon âge, en chaos destructeur. Un mal nécessaire si l’on me pose la question aujourd'hui. L'électrochoc qui me pousse à mettre mon existence à plat et tout reprendre point par point, d’avancer à tâtons. Il n’est pas question de reproduire les mêmes erreurs. Je me dompte moi-même pour remettre la main sur les aspects de ma vie qui m'ont complètement échappé. Récupérer l’amour de ma vie, ma famille, là où est ma place et où les jours ont un sens. À chaque fois qu'elle sourit, je souris aussi. « J'aime croire que je t'aurais remarqué quand même. » Nous nous serions croisés, d'abord sans nous voir, puis il y aurait eu cette chaleur dans le bas du crâne, cette intuition qui fait lever la tête, et l’attraction irrésistible de ce regard bleu pour m'attraper définitivement dans son filet. J'aime croire, comme nous nous en bercions avant avec Lucy, Dan, Grace, Celso, qu'il y a une histoire écrite, une prédestination. Et c'est ce qui rend possible cette nouvelle tentative, c'est ce qui fait que nous souhaitons saisir cette chance. « Tu le veux ? » Un instant j'ai eu peur qu'elle eut reçu le conseil de me fuir par son psy, ou que la perspective de croiser d'autres réactions comme celle de Caiden l’avaient complètement refroidie. Ce n'est pas le cas, et le soulagement se lit sur mon visage. “Je le veux aussi.” La suite de mon voyage ne m’a pas fait revenir en arrière une seconde fois, au contraire. « Quand vous êtes partis de Florence, le silence m'a quand même fait un choc. Vos voix, vos présences, les moments ensemble… Ce n'était que quelques jours, et c'était la même durée d'éloignement que chaque semaine, mais c'était différent. Parce que juste avant, nous étions comme une famille. » Et c'est ce que je souhaite plus que tout au monde. C'est comme si j'avais eu un avant-goût de ce qu'il pourrait se passer si je parviens à me faire aimer à nouveau. « Pendant cette semaine je… vous m'avez manqué tous les deux. Ca m'a surtout rappelé pourquoi je veux vraiment faire de mon mieux cette fois, et tout recommencer. Je veux découvrir ou redécouvrir tout ce qui nous rapproche, et arrêter de nous concentrer sur ce qui nous différencie et nous sépare. Je crois qu'il est possible de s'apprivoiser et de s'écouter. Je veux être là pour vous et prendre soin de vous. Et j'appréhende aussi… mais je me dis que personne ne comprenait avant, alors pourquoi comprendraient-ils aujourd'hui ? Et puis, est-ce que c'est important ?” Peut-être que ça l'est pour elle, d'être bien vue. Je comprendrais qu'elle ne veuille pas de la pression des regards de ceux qui se font juges et bourreaux. Il est tellement plus facile et distrayant de se montrer médisant dès que l'occasion se présente. J’en voudrais au monde entier si cela suffisait à tenir Joanne éloignée de moi. “Après… je concède que c'était encore tôt pour une sortie publique.” dis-je en haussant les épaules avec un petit rire. Mais je ne dois pas me flageller indéfiniment pour cela, la jeune femme m’a déjà répété que cela n’avait pas gâché la soirée. Et nous sommes plutôt bien tombés, ici. De l'autre côté du bar, d'ailleurs, un peu de mouvement s'effectue autour de l'espèce de petite estrade ; il y avait cette pancarte juste au-dessus de la tête de Joanne indiquant qu'il y aurait un concert ce soir et que je n'avais pas remarquée jusqu'à maintenant. Je prends une gorgée de bière puis sors mon téléphone de ma poche. “Désolé mais ça doit être la dixième fois qu'il vibre , j’explique pour que la jeune femme ne m’en tienne pas rigueur. C’est Vee qui demande pardon dans toutes les langues. Elle a sûrement peur que je mette le feu à son bureau à nouveau.” Mon pouce glisse sur l'écran pour activer l'appareil photo, puis la caméra avant. J'invite Joanne à se mettre avec moi dans le champ du cadre. “Viens, pour lui montrer que tout va bien.”
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Dernière édition par Jamie Keynes le Lun 17 Avr 2017 - 8:55, édité 1 fois