We all are living in a dream but life ain’t what it seems, oh everything’s a mess. And all these sorrows I have seen they lead me to believe that everything’s a mess.
“Qu'est-ce que c'est ?” L’homme arque un sourcil dubitatif, ses petits yeux noirs analysent les billets qui viennent d'atterrir sur son bureau. Cela fait bien des années qu'il tenait cette agence, et personne n’avait encore tenté ce genre d'approche, quelque peu directe, afin d'obtenir un traitement de faveur. Il refuse, la plupart du temps, pour des raisons allant au-delà de l'argent et de la morale. Mais je suis certain qu'il cèdera cette fois. J’arbore le plus commercial des sourires, et une attitude parfaitement décontractée alors que je m'installe sur la chaise face à lui, dans ce petit bureau sombre et gris, pour lui faire mon offre. “Une compensation pour tous les autres clients que vous n’aurez pas ce soir.” Cela fait une vingtaine de personnes à plus de cent dollars par tête, avec un bon bonus, faites le calcul. Avec le même flegme, je tire à peu près un montant égal de mon portefeuille que j'ajoute à la somme déjà jetée sur la table. L'homme passe de l’incertitude à une certaine forme de choc. L’argent coule à flots dans les caisses de son attraction locale, mais rarement d'un seul et unique compte en banque d'un particulier. “Et ça, c’est pour le guide qui pourra rentrer chez lui plus tôt.” Parce que je ne compte pas m'encombrer de sa présence, tout le petit speech appris par coeur ne m'intéresse pas, et j'ai toujours trouvé les visites guidées d’un ennui mortel. J'ai toute l'attention du manager, boudiné par une chemise trop petite, signe d'un déni de sa véritable corpulence ou d'un séchage trop intensif de cette pauvre pièce de coton. Mais il n’ose pas toucher l'argent, comme si effleurer les billets l'engagerait à accepter. “Si je comprends bien… vous essayez d'acheter une soirée sur le pont pour vous seul.” Mon sourire s'élargit. Bien, perspicace. “Je n’essaye pas… Eric, je reprends en décryptant son nom sur son bureau en fouillis où un cactus a pris la place d'une photo de famille, ce qui rend le personnage de plus en plus triste à mes yeux. Et je ne serai pas seul.” “Oh. C’est pour une demande en mariage ?” Mes lèvres se pincent. J’aimerais que ce soit le cas, mais je suis loin, très loin, trop loin d'un événement pareil. Et cet argent dilapidé ressemble méchamment à une dernière tentative désespérée d’avoir l'attention de celle que j'aime, tout en étant une belle preuve de mégalomanie. “... Pas exactement.” je réponds, les dents serrées à l'idée que tout ceci ne serve à rien, et d'être tout simplement sur le point de grandement me ridiculiser. “Je peux être tout à fait honnête ?” Eric acquiesce d'un signe de tête presque inquiet. Actuellement, il tente d’estimer la santé mentale du type face à lui. Je le devine à ce léger sursaut qui le fait tressaillir lorsque je sors mon téléphone de ma poche. J'allume l'écran et le pose devant lui. “Elle, c'est Joanne, et je pense bien qu'elle est l'amour de ma vie. Lui, c'est Daniel, notre garçon. Nous sommes séparés depuis huit mois. Et c’est uniquement ma faute. Maintenant, mon fils est ballotté d'une maison à l'autre et mon ex-fiancée ne m’aime plus. Je dois les récupérer…” Au fil de mes paroles, le manager se détend. À la fin, il sourit même un peu, lui aussi, et presque aussi tristement que moi. Son regard s'est rempli de compassion. Je n'use pas de pitié généralement, mais il avait besoin d'être rassuré et motivé à accepter ma demande. Elle, moi, et le Story Bridge pour une soirée. “Vous avez une stratégie très coûteuse.” dit finalement Eric en alignant les dollars entre ses doigts. “Je sais. Il faut ce qu'il faut.”
La semaine suivante, vient le jour où Joanne et moi avons prévu de nous retrouver au pied du pont pour cette escalade qu'elle avait proposé que nous fassions. Nous avalons quasiment vingt minutes de consignes de sécurité. Il n'y a que nous. Je fais l'innocent, l’air de n’y être pour rien dans cette sortie exclusive, mais je sais que je ne la trompe absolument pas. Le soleil amorce sa descente lorsque nous commençons notre ascension sur la structure du pont. Des centaines de marches nous attendent, mais notre esprit se laisse distraire par la vue qui fait oublier l'effort. Malgré le vent dans les hauteurs, le son des voitures sous nos pieds s'efface également. Pas de guide pour déblatérer tout le temps de la promenade, juste le moniteur nous suivant de loin. Il s'éclipse un peu avant que nous arrivions sur la passerelle, au sommet du pont. Le soleil a quasiment disparu désormais, il baigne dans un ciel et un fleuve roses. “Tu sais, je trouve que cette combinaison te va particulièrement bien.” dis-je avec un petit sourire, le regard ayant eu tout le loisir de se poser furtivement sur les fesses de Joanne avançant devant moi dans les escaliers. Quel est l'intérêt de l'accoutrement, je me le demande encore, mais je ne peux pas nier que la jeune femme le porte bien. Enfin, nous posons le pied au sommet. Ce n’est pas la montée et l'Everest, mais mes pieds sont soulagés de ne plus avoir à faire le moindre effort pour les prochaines heures. Il n’y a pas trop de vent, et même l’hiver n’est jamais réellement froid à Brisbane, de quoi rendre le tout agréable. Il y a là une table et deux chaises, et de quoi dîner. Je laisse Joanne découvrir le tout, nerveux. Il faut ce qu'il faut, n'est-ce pas ?
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Il fallait reconnaître qu'avoir discuté avec Hassan de ce qui la tourmentait depuis des mois avait beaucoup aidé Joanne. L'idée était certainement encore là, s'accrochant à ce qu'il restait de toute cette toile d'arguments que son esprit avec réussi à filer, de jour en jour depuis sa conversation avec Yasmine. Mais elle savait que son ex-mari était un homme de confiance, et que s'il lui disait qu'elle n'y était absolument pour rien dans les raisons de sa tentative de suicide, c'était alors vrai. Il n'avait plus rien à lui cacher, désormais, pas vrai ? Néanmoins, elle continuait d'en vouloir à Yasmine de lui rejeter la faute de tous les malheurs de son ami. Le cancer n'étant pas quelque chose de forcément visible et concret, il fallait trouver quelque chose de bien plus réel à accuser, et elle avait trouvé Joanne. C'était la personne parfaite : elle ne s'était pas battue pour son mariage, ne comprenait évidemment pas ce qu'Hassan avait traversé, et il était vrai que ce qu'elle avait vécu elle était tellement moindre que lui qu'elle ne devrait même pas s'en plaindre et ne faire aucun commentaire. Après tout, une fausse-couche, c'est trois fois rien. Comme le tout premier psychologue que Joanne avait vu qui lui avait dit que c'était une étape comme une autre, qu'il fallait faire avec et continuer de toute façon, qu'elle n'avait pas le choix. Une certaine rancoeur s'était alors instaurée, et Dieu sait que Joanne avait horreur de ressentir une certaine colère envers quelqu'un, même si c'était envers la brune. Elle restait tout de même persuadée qu'elle était amoureuse d'Hassan, cela devenait une évidence vu à quel point elle réagissait au quart de tour lorsque l'on parlait de lui. Evidemment, Joanne était la méchante de l'histoire. Difficile de laisser tout ceci derrière elle, mais le psychologue qu'elle voyait l'aider à franchir ces étapes bien difficiles. Mais elle avançait, et il semblerait qu'elle aille un peu mieux. Il y avait tout de même quelques tâches noires qui l'agaçaient. Pour commencer, elle n'avait toujours aucune nouvelle du musée et de son éventuelle embauche. Elle rappelait environ deux fois par semaine pour prendre des nouvelles et la réponse restait la même : les entretiens sont toujours en cours, il y aurait un très grand nombre de candidature. Elle avait peur de finir par se montrer trop insistante. L'autre point qui l'angoissait assez était le fait que Jamie ignorait qu'elle voyait Hassan et inversement. Elle savait combien tous les deux se haïssaient comme chacun ne voulait plus voir l'autre dans la vie de la jeune femme. Une situation bien complexe dont elle n'arrivait pour le moment pas à se défaire. Elle était toujours dans l'espoir de trouver une solution miracle et en parlait très régulièrement à Neil. Celui ne donnait jamais de réponses, il préférait donner des clés pour que ses patients trouvent le cheminement et la réponse touts seuls.
Mais ce soir-là, Joanne se sentait particulièrement légère. Elle était véritablement excitée à l'idée de remonter au sommet de ce pont, ayant gardé un très bon souvenir de sa première visite en compagnie de Sophia. Elle se souvenait surtout des paysages, bien que la journée eut été particulièrement venteuse. A l'arrivée au point de rendez-vous convenu, elle était surprise de voir qu'il n'y avait qu'eux deux pendant qu'ils enfilaient leur combinaison et tout l'équipement de sécurité nécessaire pour l'ascension. De temps en temps, Joanne regardait autour d'elle, se disant que les autres intéressés finiraient par arriver. Jamie faisait comme si de rien n'était. Malgré leur relation tumultueuse, elle commençait à bien connaître certaines de ses mimiques et il était alors évident qu'il y était pour quelque chose. Ils commencèrent alors à grimper les marches alors que le soleil commençait à se coucher. Cela restait une activité un peu sportive, mais le jeu en valait largement la chandelle. Le beau brun ne manquait pas de glisser un compliment à Joanne pendant qu'il grimpait les marches. Joanne rit alors nerveusement, jusqu'à ce qu'elle réalise que depuis le début, il avait une vue particulièrement prenante sur son postérieur. Et elle savait combien il adorait cette partie de son corps. "Ce sera l'une des très rares fois où tu me verras en porter une." lui répondit-elle alors avec un large sourire satisfait – parce qu'il fallait admettre qu'avoir conscience de plaire à quelqu'un était tout aussi plaisant. Ils finirent enfin par arriver au sommet. Avant même que son regard ne soit happé par le paysage, Joanne découvrit avec stupéfaction une table pour dîner au sommet du pont. Les yeux écarquillés, elle se tourna vers Jamie. "Tu as... Tu as vraiment privatiser ce pont ?" lui demanda-t-elle en restant bien en face de lui. Joanne savait qu'il ne faisait jamais les choses à moitié, et pourtant, il parvenait toujours à l'impressionner. Que si Joanne voudrait avoir la Lune, et bien il serait capable de la lui donner aussi. Parce qu'il ne savait pas faire simplement et avec peu de moyens, aussi. La petite blonde était particulièrement touchée. Elle fit quelques pas sur la passerelle afin de s'approcher de la table. "Tu es... incroyable." lui lança-t-elle alors avec un léger sourire. Bien sûr que Jamie lui plaisait un peu plus à chaque nouvelle attention. Mais là, il avait frappé particulièrement fort et cette surprise n'était certainement qu'une maigre représentation de tout ce qu'il pouvait ressentir pour elle. Il la savait romantique, alors il donnait tout ce qu'il pouvait en matière de romantisme. Il était curieux de voir à quel point Jamie et Hassan connaissaient bien la jeune femme, et pourtant ils avaient eu chacun leur manière propre de l'approcher et de la séduire par la suite. "Je... Je n'ai pas les mots." confessa-t-elle, époustouflée par le cadre dans lequel elle allait bientôt dîner. Elle ressentait de vagues palpitations, encore très discrètes. "Vous ne faites jamais les choses à moitié, Lord Keynes." dit-elle avec un léger rire. "Vous m'impressionnez. Je n'aurai jamais pensé que ça m'arriverait un jour. Hélas, je n'ai pas vraiment la tenue idéale pour dîner dans un pareil décor." Mais Jamie lui avait bien fait comprendre que la combinaison faisait amplement l'affaire. Il y avait même le champagne frais, prêt à être servi. Joanne se chargeait alors de remplir les deux coupes posées sur la table. Il gagnait des points. Beaucoup de points. Il restait à voir comment le reste de la soirée allait se poursuivre.
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La récompense de n'importe quelle dépense est là, dans ce regard si brillant tout à coup, dans ce sourire qui illumine son visage. C'est incongru, une table ici, un dîner au sommet de la structure d'un pont, au-dessus du trafic, du fleuve, de la ville, mais honnêtement, n'est-ce pas séduisant ? Au départ, les yeux ronds de Joanne ne me laissent pas deviner si la surprise est bonne ou non. Peut-être n'avait-elle absolument pas prévu de s'attarder ici aussi longtemps, que l'endroit ne lui plaît pas, ou qu'elle ne pensait pas passer toute la soirée en ma compagnie. A vrai dire, je ne me suis pas assuré que la jeune femme n'avait pas d'autres plans après cette sotie avant de planifier de la monopoliser. Il y avait bien des raisons pour que cette idée tourne au fiasco, pour ne pas dire que je partais statistiquement sur le fil du rasoir à une chance sur deux d'avoir investi beaucoup pour rien. Heureusement pour moi, la chance est de mon côté, et le côté romantique de la jeune femme prend largement le dessus sur tout le reste. Je comprends bien qu'elle ait du mal à croire qu'on puisse songer à dîner ici, et à vrai dire, ce n'est que ce matin que je me suis rendu compte que cela n'était vraiment pas une idée de rendez-vous commune. Lorsque Joanne le met sur des mots, cela me paraît un peu plus excentrique. « Dit comme ça… » Je me pince les lèvres, forcé d'admettre que j'en fais peut-être un peu trop. Je hausse les épaules, résigné face à ma propre petite folie des grandeurs. « Oui, j'ai privatisé un pont. Mais seulement le haut, tu noteras. Et tu as totalement le droit de dire que je suis mégalo. » Mais ce n'est pas ce qui passe par la tête de la jeune femme. Incroyable. Voilà un sacré mot. Mes joues virent au pivoine en un rien de temps. Je souris nerveusement. Elle fait quelques pas sur la terrasse, qui n'est pas fastueusement décorée en soi. Ce cher Eric m'a fait comprendre que la sécurité prévalait sur toutes mes exigences, et déjà apporter une table et des chaises ici aura nécessité une longue négociation. Pas de nappe, mais juste une bougie, par principe. Du reste, nous sommes éclairés par les lumières de la ville, les lampadaires au bord de la route sous nos pieds. Le dîner n'a rien de spectaculaire non plus, même si la qualité sera toujours au rendez-vous tant qu'il s'agira de mes choix pour ce genre d'occasion. Mais je sais que les plateaux à picorer sont autant du goût de Joanne que du mien, et que cela fera parfaitement l'affaire. De toute façon, la vue est l'élément le plus important du décor. La jeune femme paraît aussi séduite que prévu par le tout, au point d'en perdre les mots. « Tu n'en a pas besoin. » Je peux voir sur son visage tout ce que j'ai besoin de savoir, et il n'y a pas plus gratifiant que d'admirer le sourire qu'elle m'adresse, d'entendre ses petits rires d'excitation à l'idée de passer la soirée ici. Nos tenues sont quelque peu originales pour un dîner dans ce cadre, et cela rend le tout un peu plus cocasse. « Bien sûr que votre tenue est appropriée. Vous portez un magnifique sourire… et la dernière combinaison à la mode. Ou en tout cas, qui l'était il y a quelques années. » J'approche enfin de la table et de Joanne afin de jouer le jeu des manières jusqu'au bout, quitte à ce que cela en soit comique, et je tire sa chaise afin qu'elle s'assied dessus, soufflant un « Miss Prescott » de circonstance. Elle se charge de nous servir en champagne, puis nous trinquons silencieusement, simplement les yeux dans les yeux. Une coupe est la bienvenue après avoir grimpé jusqu'ici, et les bulles rehaussent à la perfection la petite dose de magie du moment. Mon regard s'attarde enfin sur le paysage, et j'observe longuement Brisbane se faire happer par la nuit, les lumières qui naissent dans les buildings et dans les rues, les reflets sur le fleuve où passent quelques bateaux à moteur. « C'est une sacré vue... » je murmure avant de reprendre une fine gorgée de champagne. Je ne peux pas retirer ce sourire de mes lèvres. Cela est d'autant plus vrai lorsque je regarde Joanne. Je suis tout bonnement ravi d'être ici avec elle, et heureux que la surprise lui plaise. Elle paraît plutôt contente, elle aussi. Le silence dure quelques minutes sans être gênant. Simplement le temps de pleinement apprécier le moment. Un moment comme nous n'en vivrons sûrement qu'un seul. Pendant ce laps de temps, les mots paraissent en trop. Ils refont leur apparition tout naturellement, lorsque la faim nous pousse à nous pencher sur les différents mets et à en commencer l'exploration armés de bouts de pain. « J'ai le poste, à GQ. » j'annonce de but en blanc, ne trouvant pas comment amener la chose plus subtilement, et n'en ayant pas envie non plus. Cette transition était dans les cartons depuis des mois, elle est désormais officielle, et j'avoue être très excité à cette idée. « On m'a appelé ce matin pour pour me l'annoncer. Ils aimeraient que je commence au plus vite, et moi aussi à vrai dire. Mais, c'est étrange, ça me rend nerveux, d'être parachuté là-bas. Je n'ai pas peur à proprement parler, mais j'appréhende parce que… Tu sais pourquoi. » Les gens n'ont pas oublié, pas encore. Ou plutôt, l'information se cache dans un coin de leur cerveau, et se réveillera quand mon nom sera prononcé à nouveau. Alors je dois m'attendre à une pluie de critiques, à être une fois encore le type qui frappait sa fiancée -comme ils le croient- et à qui l'on offre désormais un poste en or qu'il corrompra sûrement. « Mais ça ira, je pense. Je suis rodé maintenant. » Ce qui est un peu triste à admettre, néanmoins, véridique. J'ai appris à ne plus vouloir répondre aux attaques, aux critiques, aux rumeurs, et à les laisser couler comme l'eau sous ce pont. J'ai appris que les gens finissent bien par se lasser et oublier. La blessure sera à nouveau vive un instant, mais je doute que cela m'atteigne comme autrefois. « Et toi, alors ? » je reprends avec un sourire, ne comptant ni plomber l'air avec de mauvais souvenirs, ni focaliser la conversation sur ma personne. « Crise des trente-et-un an ? » J'indique ses mèches brunes d'un signe de tête, le sourire amusé. Ce n'est pas ce qui lui va le mieux, mais mon avis importe peu maintenant que le résultat est là. Ce qui peut être intéressant en revanche, c'est l'histoire derrière ce changement.
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Verbaliser ce que Jamie avait fait rendait le tout particulièrement impressionnant. C'était le type de cadre que l'on ne voyait qu'à la télévision, dans les films à l'eau de rose ou les supposées télé-réalités. Mais là, non, tout était bien réel et Jamie Keynes prouvait une nouvelle fois ce dont il était capable. La jeune femme ne comprenait pas toujours pourquoi il s'accrochait tant à elle, après tout ce qu'il s'était passé. Ils n'en parlaient jamais ensemble, pas vraiment. Ils approchaient le sujet et s'en éloignaient aussitôt certainement de peur d'instaurer de nouvelles tensions. Et puis, ce n'était pas le moment pour ce genre de choses. Pas avec un ciel aussi joliment étoilé, pas avec la ville à leur pied. Le bel homme était nerveux comme tout et rougit de plus belle lorsqu'elle exprimait son émerveillement. Joanne était en soi facilement impressionnable et bon public. Elle aimait les surprises et n'était jamais déçue de l'une d'entre elles. Et celle-ci était de taille. "Il y en aurait plus d'un qui aurait râlé si tu avais privatisé la totalité du pont." pouffa Joanne en regardant en bas. Elle n'avait pas le vertige. Il y avait toujours du monde sur cette route. Elle imagine si Jamie l'avait fait : il y aurait eu des centaines de conducteurs bien remontés contre lui et quelque chose lui disait qu'il s'en serait bien fichu. Cette idée la fit sourire. "Je ne me permettrais pas de te qualifier comme ça." lui assura-t-elle. "C'est un terme très péjoratif. Disons plutôt que tu aimes particulièrement être dans la démesure, de temps en temps." Mais après cela, Joanne n'avait pas de mots suffisamment forts dans son vocabulaires pour décrire sa surprise, son originalité et la beauté des paysages. Jamie lui certifia qu'elle n'en avait pas besoin. Il savait un peu trop bien lire sur son visage, et cela lui permettait de décrypter tout ce qu'elle ne parvenait pas à dire. Il avait ce léger rictus satisfait et peut-être même soulagé après avoir vu la réaction de la petite brune. Il complimentait son sourire et la tenue qu'il semblait véritablement apprécié. Par timidité, Joanne baissa les yeux et rit nerveusement. Après quoi ils s'installèrent enfin et prirent le temps d'admirer la vue qui s'offrait à eu. C'était à couper le souffle, c'était comme si le monde était à leurs pieds. Joanne l'avait déjà vu une fois d'issue mais c'était en pleine journée. Le paysage lui semblait alors bien différent lorsqu'il arborait des couleurs différentes. Les illuminations des immeubles et de l'ensemble de la ville rendaient le tout encore plus beaux. Ils admirèrent chacun d'eux l'horizon pendant de longues minutes. Jusqu'à ce que Jamie reprenne la parole pour annonce une grande nouvelle. "C'est génial !" s'enthousiasma alors Joanne avec un large sourire. Bien que réjoui, Jamie avait une légère appréhension quant à son arrivée dans les locaux. "Je suis certaine que tu vas très bien t'en sortir." dit-elle avec un air confiant. "S'ils voient que tu en veuilles et que tu fais bien ton boulot, je pense qu'ils n'y songeront même pas. Donne juste tout ce que t'as et le reste suivra sans soucis. Je ne me fais pas trop de soucis pour toi par rapport à ça." lui conseilla-t-elle. Jamie avait la peau dure et avait déjà su encaisser énormément de choses et bien pires que des médisances de ses nouveaux collègues. "Tu commenceras quand, du coup ?" lui demanda-t-elle. La jeune femme était véritablement heureux pour lui. C'était une nouvelle étape, un nouveau départ qui lui fera le plus grand bien, à n'en pas douter. Puis il s'agissait d'un secteur qui l'intéressait tout autant. Il allait avoir besoin d'un petit temps d'adaptation, le temps de s'habituer aux locaux. Mais Joanne savait d'avance qu'il allait exceller dans ce qu'il allait entreprendre. Suite à quoi Jamie fit un commentaire sur la nouvelle couleur de cheveux de la jeune femme. Celle-ci soupira, mais gardait tout de même le sourire. "Absolument pas." La crise des trente fut déjà bien assez difficile et Joanne se refusait un peu de voir les années défiler. "Une erreur, et ce n'est même pas de ma faute. Enfin si, un peu quand même." Elle but une gorgée de champagne et commença à manger un petit quelque chose. "Je voulais aller chez le coiffeur pour recouper un petit peu tout ça. Et il y avait un stagiaire, qui s'est occupé de mon shampoing. Elle m'a proposée de faire un masque, en général je le prends à chaque fois. Tout se serait merveilleusement bien passé si elle ne s'était pas trompée de produits." Surtout qu'avec le masque, sa coiffeuse habituelle faisait toujours un massage capillaire pendant de longues minutes et la stagiaire voulait juste faire pareille. "Il y avait eu ce très long moment de silence une fois qu'elle a commencé à tout rincé. Il s'est avéré que mes cheveux commençaient quelque peu à avoir des reflets verdâtres." Joanne fit la grimace en se souvenant simplement de son reflet dans le miroire le jour-là. "Teindre du blond sur du blond n'aurait pas fait grand chose, du coup, la solution, c'était de faire plus foncé. On m'a offert tout un lot de soin à faire chez moi, que je fais déjà depuis quelques semaines du coup, pour pouvoir revenir aussi vite que possible et être blonde à nouveau." Elle prit une profonde inspiration à la fin de son récit, mais son sourire laissait deviner tout de même un certain agacement. "Ton fils a toujours autant la banane quand il me voit mais je pense qu'il me préfère quand même avec ma couleur naturelle." Tant qu'il voyait la paire d'yeux bleus de sa mère, il souriait, en même temps. "Mais... plus jamais de stagiaire ne touche à mes cheveux, ni à quoi que ce soit d'ailleurs. Ca m'a bien refroidie." Autant Joanne n'était pas nécessairement exigente, mais il y avait certaines erreurs qu'elle n'acceptait pas. "J'ai rendez-vous chez le coiffeur la semaine prochaine. En attendant, j'ai l'impression de passer un peu plus incognito, parmi toutes les brunes." dit-elle avec un petit rire. "Et de mon côté, je n'ai pas vraiment de nouvelles du musée. A chaque fois que j'appelle, on me dit qu'il y a encore des entretiens en cours, qu'il faut patienter. Ca fait déjà quelques semaines après tout." Elle haussa les épaules, assez résignée à l'idée de pouvoir travailler dans cette aile du musée. Mais Joanne serait bien triste si elle n'était pas prise, c'était un véritable poste de rêve à ses yeux. "J'attends, et j'appelle de temps en temps pour prendre des nouvelles et essayer d'avoir quelques indices sur la situations, mais tout le monde reste assez secret par rapport à ça. Nous verrons bien." Depuis, Joanne commençait un peu à puiser dans l'argent donné par Jamie après avoir vendu ce qui était leur résidence secondaire.
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Ce genre de paysage rend optimiste, à mes yeux. La fin d'une journée que l'on met derrière soi en prévision de la suivante, mais en attendant, vient le moment où le monde se partage entre le monde des rêves et le royaume des noctambules -des rêveurs à leur manière. C'est une nouvelle vie qui s'éveille une fois le soleil couché, et pour les prochaines heures, bien des tracas s'en vont, mises à l'ombre, dans cette parenthèse qu'est la nuit. Ce moment de la journée qui nous a toujours rapprochés, Joanne et moi. La nuit, et cette ville, sont les théâtres de nos hauts, nos bas, du meilleur et du pire. Et tout ceci est juste sous nos pieds ce soir. Et peut-être qu'ici, au-dessus de tout ce que nous connaissons, dans un cadre que nous ne verrons qu'une fois, peut-être qu'un peu de magie peut opérer. C'est ce que j'espère, même si rien jusqu'à présent ne m'a particulièrement encouragé à être optimiste. Je crois qu'après ce soir, je saurai s'il n'y a véritablement plus rien à tirer du coeur de Joanne, ou si je peux continuer d'avancer dans ce désert à la recherche d'une oasis. Heureusement pour mon moral, d'autres aspects de ma vie se débloquent. Ils ne sont pas plus aisés à traverser, mais leur issue est bien plus certaine que celle de cette soirée, de cette relation. Le travail est toujours un facteur rassurant dans un sens. Un repère quotidien. Actuellement, la radio me plombe, mes pieds refusent de se rendre dans ce bâtiment le matin. Très bientôt, cela changera, et pour le mieux, qu'importe si les débuts doivent être compliqués. « De toute manière, j'aviserai en fonction de la réaction de chacun. Ca ne m'empêchera pas d'avoir ce travail. Une fois que j'y serai, il leur faudra une sacré spatule et une bonne dose de volonté pour m'arracher de ce poste. » je réponds avec un petit rire. Il leur faudra aussi passer sur le corps et le caractère bien trempé de Vee, et il a là de quoi en décourager plus d'un. « Je ne sais pas quand je commecerai, je n'en ai pas encore parlé à ABC. Eva sait depuis quelques temps que j'envisage de partir, ça lui permet de se préparer à l'idée d'avoir les rennes tout seule. Concrètement, je doute qu'on cherche à me remplacer après mon départ, alors une fois que j'aurai fait l'annonce, je pense que je pourrai quitter les studios en une ou deux semaines. » Autant dire que j'y suis déjà. Me voilà quasiment l'homme qui vous dit ce que vous allez aimer ou détester dans deux ou trois saisons vestimentaires, mais aussi quoi penser, dire ou faire dans certaines situations, dans le quotidien, dans votre foyer. Pour ceux qui ont pareil magasine sur leur table de chevet à côté de leur Bible, c'est un pouvoir considérable. Le genre d'influence que l'on ne veut pas mettre entre les mains d'un homme qui lève la main sur les femmes. Je suppose qu'ils m'auront plus qu'à se faire à cette idée en attendant de réaliser que je ne suis pas la personne que l'on dépeint. Quoi qu'il en soit, le futur s'imposera de lui-même à moi, et il n'y a rien à faire en attendant. Puisqu'il est question d'apparence, je me montre curieux à propos de la nouvelle couleur de cheveux de Joanne -je ne m'attendais pas à ce que cela débouche sur une aussi longue histoire que j'écoute avec des yeux légèrement plus écarquillés à chaque étape du récit. A la fin, je reste un peu dubitatif concernant un détail, et j'espère assez que le retour à la normale de la jeune femme ne sera pas trop long. « Je ne saisis pas du tout en quoi tout ça est un peu ta faute. Mais quoi qu'il en soit, tu es quand même adorable comme ça. Moins qu'en blonde, c'est vrai, mais quand même. » Après tout, Joanne reste Joanne, et elle ne se résume pas à une couleur de cheveux. Joanne Prescott est une voix douce, un regard tendre et affectueux, une grande générosité, un bon coeur. Elle a la chance d'avoir le physique qui incite le monde à se pencher sur son caractère, comme ce regard hypnotique et ce joli sourire, mais avec ou sans cet avantage, personne ne peut nier qu'elle a une belle âme. Elle reprend à propos de ce poste au musée qu'elle espère tant obtenir, mais qui demeure un grand point d'interrogation. « Ne t'inquiètes pas. Ils seraient idiots de ne pas te prendre. Une telle passion pour l'art et l'histoire, pour tout ce qui ne dépasse pas l'époque moderne, mais avec un regard jeune, ça se perd d'après moi. Ils sont sûrement en train de rencontrer des hommes et des femmes de plus de cinquante ans avec des idées et des manières de travailler qui sont vues et revues, usés, fatigués, et qui partiront au bout d'un peu plus de cinq ans. Quant aux candidats de ton gabarit, ils sont souvent plus intéressés par les œuvres récentes et l'art contemporain, tout ce qu'ils veulent c'est une place, n'importe où. Crois-moi, tu as tout de ton côté. » C'est pourquoi j'ai immédiatement pensé à la présenter au directeur avec la ferme conviction qu'elle est celle qui leur faut. Bien sûr, je ne peux pas leur ouvrir les yeux et prendre la décision à leur place ; seulement nourrir l'espoir qu'ils fassent preuve de bon sens et embauchent la jeune femme qui a tant à leur offrir. Sur ce, je termine ma coupe de champagne, continue de picorer, et observe parfois les lumières sous nos pieds qui se reflètent dans l'eau. « En parlant de Daniel, je dois lui refaire toute une garde-robe chez moi. Je n'ai déjà plus rien à sa taille, j'ai largement sous-estimé sa croissance. Il grandit beaucoup trop vite… Le week-end dernier, il jouait au ballon dans le jardin, il courait derrière avec les chiens, il s'amusait tellement. Et j'ai réalisé que… Déjà dix-huit mois, alors que j'ai l'impression qu'il était un bébé crevette qui rampait par terre le mois dernier. » Ensuite, j'ai réalisé que Joanne et moi étions séparés depuis la moitié de la vie de notre fils. Ce fut une sacrée prise de conscience. Un électrochoc.
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Joanne avait retrouvé l'air rêveur qu'elle avait toujours lorsqu'elle ne parlait pas. Elle regardait ailleurs, levait parfois les yeux au ciel. Elle pensait à tout et à rien à la fois en se laissant bercer par la beauté de ce qui s'offrait à elle. Sa tête était appuyée contre le creux de sa main, le coude sur la table. Il y avait parfois cet air las, mais certainement pas ennuyée. Elle ressentait la même sérénité qu'elle avait pu ressentir en arrivant sur la terrasse de la suite à Sydney. Difficile d'oublier l'endroit et tout ce qui avait pu se vivre là-bas. Mais en dehors de cela, tout était fait pour qu'elle se sente bien, et elle avait l'impression de retrouver cette sensation là. C'était agréable. Cela devenait rare, qu'elle se sente aussi légère, sans trop de poids sur ses épaules bien qu'elle avait encore matière à être tracassée. Jamie, quant à lui, arrivait avec une excellente nouvelle, malgré cette petite appréhension. Elle se doutait bien que Jamie allait faire tout son possible pour garder ce poste. Il le convoitait depuis tellement longtemps et Joanne estimait qu'il l'avait amplement mérité. Une sorte de récompense après tout ce qu'il avait traversé. Quoi qu'il en attendait certainement une autre en mettant les bouchées doubles pour charmer Joanne et la retrouver, enfin. Il ne manquait pas de persévérance. Le bel homme ne savait pas quand il allait pouvoir commencer à travailler chez GQ, il n'en avait pas encore parlé à la station radio mais une fois que ce sera fait, les choses devraient sensiblement s'accélérer. "Le plus tôt sera le mieux." commenta Joanne avec un léger sourire. Le sujet étant relativement clos, Jamie était un peu perturbé par la nouvelle couleur de cheveux de la jeune femme. Celle-ci s'était alors lancée dans un récit plus long que ce que Jamie aurait pu penser et fut même assez surpris des véritables raisons qui se cachaient derrière ces mèches brunes. "Eh bien, je n'aurais peut-être pas du accepter qu'une stagiaire touche à mon cuir chevelu. J'ai accepté, après tout. Je ne m'attendais juste pas à ce qu'il y ait autant de risques. Ce n'était censée être qu'un shampoing, après tout." dit-elle avec un petit rire. Elle pouvait aussi se le reprocher à elle même étant donné qu'elle a accepté à ce qu'un apprenti ne l'approche. Jamie laissait comprendre qu'il la préférait bien en blonde, c'était quelque chose dont il ne se cachait vraiment pas. Joanne avait toujours été perplexe, par rapport à ça, étant donné que ses autres conquêtes étaient brunes. Elle faisait exception à la règle, apparemment. "Bientôt, ne t'en fais pas." lui répondit-elle avec un regard pétillant de malice. A vrai dire Joanne était assez impatiente à l'idée de retrouver sa couleur naturelle. Elle fit ensuite part de ses inquiétudes concernant le poste qu'elle convoitait plus que tout. Jamie était particulièrement confiant à ce sujet. Selon lui, elle avait le profil parfait pour ce poste, à côté de quinquagénaires assez old school. Les conservateurs de son âge s'intéressant à l'art qui précédait l'époque moderne se faisait rare et Simon devait certainement attendre qu'il y ait un regard véritablement neuf sur cette partie du musée. "J'espère juste avoir une réponse bientôt, l'attente commence tout de même à se faire bien longue." dit-elle avec un vague sourire. "Le temps devient vraiment long à la maison." Elle avait laissé Daniel à la crèche, pour qu'il continue de se sociabiliser et d'apprendre de ses congénères. Elle pourrait très bien le garder pour elle à la maison, mais elle n'était pas certaine d'arriver à lui apprendre tout ce que la crèche pouvait faire. Il y avait des enfants plus grands que lui, il s'identifiait mieux à eux et les imiter. D'où sa progression fulgurante en matière de mobilité, de langage et de dextérité. D'ailleurs, Jamie devait lui acheter de nouveaux vêtements. Parler de lui faisait toujours sourire Joanne, son regard était particulièrement tendre. "Mon garçon..." dit-elle tout bas. "J'ai toujours ses habits de naissance, si tu veux comparer avec ce qu'il porte aujourd'hui." Elle riait doucement. Daniel était tout simplement adorable. Elle le voyait s'épanouir de jour en jour. "Tant qu'il ne court pas encore après les filles, j'aimerais encore rester un peu la seule femme de sa vie." dit-elle avec une mine faussement boudeuse. En le voyant, Joanne se disait de plus en plus qu'elle adorerait en avoir un deuxième. Mais c'était une envie qu'elle n'exprimait pas encore à haute voix. "Quand on voit qu'il grandit, je trouve qu'on se rend compte à quel point le temps passe vite. Un battement de cil et il sera déjà à l'école." dit-elle songeuse. Ce qui était dommage, c'était que ses parents n'aient pas été là pour chaque nouvelle étape de sa vie. Chacun avait eu des moments privilégiés, mais jamais partagé. C'était assez triste, en soi. La jeune femme vidait sa coupe de champagne et continuait de grignoter à côté. Cette envie de nouvelle maternité la travaillait véritablement. "Tu sais... Peut-être que ça ne se voit pas, d'entrée de jeu, mais... Je me sens mieux. Il y a des choses dont j'ai pu parler, et j'ai ça en moins sur la conscience. Et même, j'arrive un peu à me projeter un peu. Même si j'aimerais vraiment avoir ce boulot, je me dis que je trouverai bien ailleurs ou qu'il y aura peut-être d'autres opportunités. Mais je me sens moins... bloquée. Du moins, j'ai envie d'avancer." Elle n'avait pas de réels projets futurs, mais elle se levait le matin avec un peu plus de sérénité qu'auparavant. "Ce n'est peut-être pas grand chose, mais je ressens une certaine différence, je n'arrive pas trop à expliquer." Au niveau du sommeil, ce n'était pas encore tout à fait ça. Mais elle y allait étape par étape, sans en griller une seule et c'était bien la meilleure chose à faire pour elle.
We all are living in a dream but life ain’t what it seems, oh everything’s a mess. And all these sorrows I have seen they lead me to believe that everything’s a mess.
Alors que le regard de Joanne se pose parfois sur le paysage, je me demande ce qu'elle pense -non pas de la vue, qui est magnifique, ou de la ville qui nous a tous les deux adoptés, ou encore du repas qui a beau être simple mais qui n'est pas moins délicieux. Je me demande ce qu'elle pense de ce moment, de tout ceci, des moyens mis en place uniquement pour elle, et… de moi. C'est ce qu'il y a de plus frustrant, de ne pas vraiment savoir. Mais je crois que Joanne ne le sait pas non plus. Nous sommes tous les deux présents, nous partageons un agréable moment. Peut-être qu'il sera plus sage d'en tirer des conclusions plus tard, s'il en est. Peut-être que cela n'a pas d'importance ni d'incidence pour elle. Après tout, rien ne m'oblige à agir de la sorte. Peut-être qu'elle a de la peine pour moi, d'autant persévérer alors que l'espoir dont elle m'avait parlé a déjà fané. Peut-être est-elle amusée par cette approche. Peut-être est-elle touchée, et comprend-t-elle que les moyens mis en œuvre sont proportionnels à sa valeur pour moi. Est-ce que cela atteint son coeur, ou uniquement son orgueil ? Est-ce qu'il y a un battement pour moi, sous cette drôle de combinaison, est-ce qu'il y a une petite flamme ? Ou toujours strictement rien. Je ne sais que je ne devrais pas avoir d'attentes, mais je ne peux pas m'en cacher, cela est bien trop évident. Après cela, je ne sais plus en quelle langue, de quelle manière lui faire comprendre que je l'aime. Le problème, c'est que cela ne la fera pas m'aimer. Et je ne sais pas ce qui le peut. J'espère que notre alchimie naturelle n'est pas morte. Je rêve encore de cette famille que nous voulions avoir ensemble, cette maison pleine d'enfants, ce mariage trop de fois annulé. Je ne peux pas me faire à l'idée que cela ne demeurera qu'un rêve. Je vois notre fils grandir et je me dis que tenir un tout petit dans mes bras me manque déjà. Daniel court, et j'aimerais renouer avec l'émotion de ses premiers pas ou de la première fois que j'ai entendu le mot papa. Et je veux tout ceci avec elle. A vrai dire, je ne l'imagine pas avec qui que ce soit d'autre. Il est encore notre lien le plus fort, celui qui nous fait sourire, rire, et échanger des regards pleins de tendresse. Ce petit bout de nous qui nous rappelle à quel point nous nous sommes aimés -et à quel point je l'aime encore. Je revois les minuscules bodies de notre garçon, qui porte aujourd'hui des baskets pour jouer dehors. Il a toujours su user de sa bouille pour obtenir ce qu'il voulait, ou simplement pour le plaisir d'attendrir tout le monde autour de lui. Je ne saurais pas dire s'il deviendra un Dom Juan, mais je vois que sa mère redoute bien trop tôt le jour où il s'intéressera aux filles. « Tu seras toujours la femme de sa vie. » je lui assure avec un sourire affectueux. Personne ne peut changer cela. La seule face à laquelle Joanne devra faire de la place, ce sera l'amour de sa vie. Mais il reste bien des années avant que ce jour n'arrive. Sa première rentrée scolaire, en revanche, pourrait bien nous surprendre un beau matin, lorsqu'il nous attendra sur le pas de la porte, le cartable sur le dos, prêt à devenir un grand. « N'en parlons pas, ça me brise le coeur d'avance. Je crois que nous ne sommes absolument pas prêts pour passer ce genre d'étapes. Peut-être qu'on ne le sera jamais d'ailleurs et qu'on le gardera pour nous pour toujours. Tu crois qu'on le peut ? » dis-je avec un petit rire. Bien sûr, tous les oisillons finissent par s'aventurer hors du nid. Ou les petits canards. C'est avec une sorte de pré-nostalgie que je reprends du champagne et un bout de pain à la tapenade. Joanne reprend la parole spontanément, et ses paroles me surprennent autant qu'elles me rendent fier et ravi pour elle. La jeune femme n'a jamais été du genre à parler ouvertement de ses problèmes, de la thérapie et de ses avancées. C'est une femme très secrète, qui internalise énormément. Alors, je ne m'attendais pas à l'entendre amener pareil sujet, mais c'est une bonne surprise. « C'est super, Joanne. » dis-je avec un large sourire. Ma main va chercher la sienne sur la table et la saisis délicatement en signe d'encouragement. Une partie de moi ne peut s'empêcher de croire que cela est une preuve qu'elle ira finalement bien mieux sans moi. L'autre partie la combat avec véhémence, refusant ce genre de pensées toxiques qui m'ont poussé à perdre ma fiancée. Non, je peux aider. Je peux être là pour elle. Je le veux, c'est tout ce que je souhaite. « Je suis content si tu te sens mieux. Je sais que ça n'est vraiment pas facile et que c'est un travail de longue haleine. Je suis vraiment ravi que tu persévères. » Nous sommes tous deux dans la recherche du meilleur de nous-mêmes, ou au moins, de cette version de nous-mêmes avec laquelle nous pourrions vivre au quotidien sans en avoir peur. C'est un processus qui demande du courage, une immense remise en question, et qui nécessite autant de soutien que l'on peut en espérer. Et c'est pourquoi je serre sa main dans la mienne, c'est pourquoi je lui souris avec bienveillance. C'est pour elle, qu'elle doit parvenir à retrouver goût à la vie. C'est pour redonner des couleurs au monde. Mon pouce caresse doucement le dos de sa main, sa peau si douce. Je me sens un instant happé par cette paire d'iris bleus, et il n'en faut pas plus pour que mon coeur s'emballe. J'ai été un tel idiot, de croire et de faire croire que tous ces émotions avaient disparu. Mes lèvres se pincent pour retenir des mots. Moi qui les trouve toujours avec difficulté, voilà que je dois les ravaler de peur de causer des dégâts alors que la soirée est si agréable. C'est si simple, de parler de tout et de rien, de ce qui nous lie, d'optimisme. Pourquoi faudrait-il marcher sur des chemins plus étriqués ? C'est idiot, mais la dernière fois, au ciné park, m'a rendu frileux. J'ai offert mes sentiments pour elle sur un plateau, et la réponse ne fut pas ce que j'espérais. Cela pourrait recommencer. S'aventurer là, ce n'est que donner au monde une nouvelle occasion de me blesser en plein coeur. Mais l'oppression dans ma cage thoracique à force de ne rien dire semble parfois pire encore. « Est-ce que ça te manque parfois, nous ? » je demande, le regard posé sur nos mains, et espérant seulement que la réponse serait sincère cette fois.
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La lueur des yeux de Daniel dès qu'il avait le regard posé sur sa mère était très particulière. Ses iris bleus pétillaient d'amour et d'adoration, et, tout allait bien quand Maman est là. Il ne pouvait s'empêcher de sourire ou de se rapprocher d'elle en l'acclamant sans cesse, en répétant sans s'en lasse ces mêmes syllabes alors qu'il venait de lui-même se blottir tout contre lui. Joanne en avait rêvé, de ce regard là, pendant de longues années. Accentué par ses nombreuses pertes au point de désespérer. Il était son plus précieux trésor, comme elle l'était pour lui. Cet amour inconditionnel entre une mère et son enfant, quelque chose d'inébranlable, et tout ce qu'il y avait de plus pur. Jamie avait toujours respecté ce lien indéfectible et particulièrement fusionnel entre elle et lui, mais il avait aussi largement sa part du gâteau parce que Daniel adorait tout autant son père. L'on aurait pu s'attendre à ce qu'il y ait des petites querelles pour que l'un ou l'autre ait Joanne juste pour lui, mais cet équilibre s'était rapidement instauré de lui-même. Un fait surprenant, quand on connaît les tendances à la possessivité. Cette période allait peut-être bientôt s'annoncer mais Joanne était assez sereine à ce sujet. Il y avait suffisamment de place pour eux deux, et pour plus, si on voulait bien le lui permettre. Jamie lui garantit qu'elle serait toujours importante aux yeux de leur petit. Etrangement, que lui le lui dise avait quelque chose de rassurant. En revanche, le beau brun se montrait bien moins serein lorsque le sujet de l'école était abordé. Elle rit avec lui. "Il faudrait quand même que nous abordions le sujet, à l'occasion. Je pense que ça pourrait être bien pour lui, d'être dans une école maternelle pour ses deux ans et demi ou trois ans. A voir dans quel établissement." Encore une fois, il allait sans dire qu'ils allaient être tous les deux assez minutieux quant aux choix de l'école. Public, privé, toutes les options étaient ouvertes. Dans tous les cas, il y aurait certaines attentes. "Mais plus tard." conclut-elle, trouvant qu'il serait bien dommage de parler de ce genre de soucis durant un tel moment. Joanne n'aimait certainement pas parler d'elle, encore moins de ses problèmes, de sa thérapie. Elle restait très secrète concernant ses séances avec son psychologue aussi, elle n'en parlait à personne. Jamie était lui-même surpris de ces quelques révélations, bien qu'elles étaient très vagues et qu'elle ne donnait aucun détail. Mais cela lui semblait être amplement suffisant pour se réjouir pour elle. Il prit délicatement sa main dans la sienne, et lui souriait. "C'est aussi pour ça que j'aimerais vraiment avoir ce boulot. Je sais que comme tout le monde, j'ai peut-être besoin de journées de repos, mais ça s'éternise. J'ai envie de refaire de ce que j'aime, et ça me garderait l'esprit focalisé sur d'autres choses." Joanne ne recherche que ce qu'elle avait pu être avant ces séries de tristes événements. Le sourire de Jamie était ce qu'il y avait de plus encourageant. L'aura qu'il dégageait était plus que bienveillante à ce moment précis. Un long moment de silence s'installa, où Jamie tombait littéralement dans son regard, alors qu'il continuait toujours de caresser machinalement sa main. Elle voyait bien qu'il se retenait de dire quelque chose, mais elle ne parvenait pas à deviner quoi. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle appréciait beaucoup son affection à ce moment précis et que personne ne puisse venir interrompre ce moment. "Oui, ça me manque." souffla-t-elle tout bas, en regardant les doigts de Jamie frôler sa peau. "La passion qui nous animait, la vie que nous menions. La douceur de certains de nos moments, la sensualité. Tout... tout me semblait être comme une évidence." Tout comme cela avait pu l'être avec Hassan la première fois qu'elle avait posé les yeux sur lui. Joanne faisait partie de ces personnes qui croyaient au coup de foudre et il s'avère qu'elle en avait eu deux au cours de sa vie. Ce dont elle ne s'attendait pas, c'était de les avoir en même temps à un moment donné. "Nos nuits, aussi." Les joues de Joanne semblaient être un peu plus roses. Elle ne dira jamais des mots comme le sexe, c'était bien trop cru pour une si grande romantique. "Le fait de voir jusqu'où tu es prêt à aller pour moi, nos moments de complicité, où nous rêvions de notre futur, de tout." Certains diraient qu'il n'y avait qu'un pas, pour qu'elle ait à nouveau tout ceci, mais ce n'était pas aussi simple. C'était une chose d'avoir à nouveau des sentiments pour lui, c'en était une autre de les lui dire. La petite flamme était bien là, et elle se ravivait petit à petit. Mais elle ne voulait pas tout précipiter, pas pour que tout s'effondre ensuite tout aussi vite. Il y avait tellement de facteurs à côté qui comptaient, et l'un d'entre eux était Hassan. Joanne avait horreur d'être dans cette position, et en plus de cela, elle se trouvait particulièrement égoïste de ne pas parvenir à en lâcher l'un des deux. Elle supposait que c'était à peu près ainsi que Jamie devait ressentir les choses lorsqu'il y avait Hannah. La petite brune se rendit qu'elle s'était mise doucement à jouer avec les doigts de Jamie. Des gestes lents, et délicats, comme s'ils se cherchaient, ce qui était le cas, d'un sens. Elle n'allait pas lui retourner la question, la réponse était évidente. "Qu'est-ce qui te manque le plus ?" finit-elle par lui demande. "Est-ce que c'est ça qui t'a poussé à... A faire tout ça pour moi ? C'était quoi, ton déclic ?"
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Pendant des mois et des mois, Daniel a été notre unique connexion, et la seule raison pour laquelle nous étions forcés de nous côtoyer. L'ironie, c'est qu'à ce moment là, les rôles étaient inversés ; Joanne conservait un peu d'espoir pour nous, tandis que je m'efforçais d'étouffer cette flamme. Je revois ces moments et cela me donne envie de me coller une gifle. J'ai été infernal avec elle, dans le seul but d'atteindre le résultat que je cherche aujourd'hui à corriger. J'aimerais lui dire à quel point j'ai menti, dans quel panneau elle est tombée et pourquoi, désormais, son coeur est sec pour moi. Mais à chaque fois que cet aveu effleure ma pensée, mon courage s'enfuit. Joanne m'en voudrait bien trop. Pour l'avoir manipulée, pour m'être joué d'elle, pour l'avoir blessée intentionnellement et avoir brisé tout ce qu'il restait de notre relation. Le risque que cette information empire les choses est bien trop grand. Je ne peux rien dire tant que je n'aurais pas une idée de la réaction qu'elle pourrait avoir en apprenant cela. Je doute qu'elle comprendrait. Je ne comprends pas moi-même pour quelle raison j'ai écouté son nabot d'ex-mari. S'il y a bien une chose qui pèse sur a conscience et rend mes épaules si lourdes, c'est tout ceci. C'est d'avoir annulé le mariage et rompu alors qu'il restait de l'amour. C'est d'avoir abandonné, baissé les bras, alors que cela n'a jamais été moi. Peut-être que Joanne n'a pas besoin de savoir, peut-être qu'il est possible d'avancer sans prendre ce risque. S'il est possible d'avancer. Elle parle de la future rentrée scolaire de Daniel comme si c'était demain, de quelle école dans laquelle l'envoyer, mais dans sa manière de parler, même s'il est question de se concerter, je ne devine pas ce truc en plus qui laisserait deviner qu'à ce moment-là, la famille partagera à nouveau le même toit. « Eh bien ça nous laisse une bonne année et demie pour nous préparer psychologiquement à ce choc. » Néanmoins, il n'est pas dit si cela sera suffisant ou non. Nous sommes loin d'y être et pour le moment, tout ce que j'espère, c'est que les choses auront changé d'ici là. Dans un sens ou dans l'autre, que nous soyons à nouveau ensemble ou que nous ayons conclu qu'il n'y a plus rien à récupérer dans ces ruines, mais que la situation ait un nom, qu'elle soit stabilisée, une certitude. C'est toujours le plus difficile, l'attente. La transition. Marcher sur des œufs, chercher un équilibre. Ne pas savoir, n'être sûr de rien. Je me risque à un question, une seule, et je me jure que ce sera l'unique que je poserai à ce sujet de toute la soirée. Mais il y a des choses, des détails dans ce genre qui ont l'air de ne plus avoir d'importance aujourd'hui, et qui en ont pour moi. Savoir ce qu'elle aimait de notre vie, si elle en aimait certaines parties. Savoir si elle garde des bons souvenirs de cette période, ou si tout est bon à jeter. Il y a un mot pour définir cette relation ; passionnée. Et il y avait cette connexion incroyable enre nous qui nous permettait de savoir comment allait l'autre, ce dont il avait besoin, avant qu'il n'ouvre la bouche, avant qu'il ne soit dans la pièce. Quelque chose d'unique. Nous avions les ébats les plus sensuels que j'ai jamais connus. D'une certaine manière, cela faisait partie de cette osmose. « J'ai eu de nombreux déclics. Je t'en ai déjà dit beaucoup à Florence. » je réponds à mon tour. En Italie, j'ai grandement fait le tour de la question, lorsque Joanne a compris que j'étais celui qui la nourrissait de rêves. Articuler ces mots là-bas fut assez difficile pour que je n'ai pas envie de réitérer ces paroles, alors je me focalise sur la question qu'elle m'a retournée. « C'est… tout, qui me manque. Je pourrais même dire que nos disputes me manquent. Je veux dire, elles étaient mémorables. Très intenses, et passionnées, et tout se terminait bien. On s'ennuie sans une personne avec qui se disputer. » dis-je, mais cette partie-là est une plaisanterie. Il n'y a que rétrospectivement que nous pouvons sourire en nous remémorant ces batailles qui se terminaient souvent dans les draps. Et j'ai toujours dit à Joanne que je lui trouvais du charme lorsqu'elle est en colère, cela est toujours vrai. Plus sérieusement, je reprends ; « Mais c'est surtout… l'alchimie. Quand on s'avait l'un l'autre, on ne pouvait pas se sentir seul. On ne se comprenait pas toujours, mais on savait que, à la maison, il y avait toujours quelqu'un sur qui compter, quelqu'un pour te prendre dans ses bras et t'aimer même… même sans comprendre. » Néanmoins, je sais que la compréhension est un critère bien plus important aux yeux de Joanne qu'aux miens. Elle me reprochait de ne pas parvenir à la saisir complètement, mais le problème était qu'elle n'y parvenait pas elle-même. Pour ma part, je n'avais pas besoin d'être capable de sonder les moindres recoins de son esprit pour l'aimer, même si j'aurais souhaité le pouvoir. Si je le voulais, c'était uniquement pour être celui qui parviendrait à l'apaiser, à la rendre heureuse. Car là était le vrai problème ; être incapable de la rendre heureuse. C'est là la raison pour laquelle j'ai écouté Hassan. Mais depuis, tout me manque. « Les longues promenades sur la plage me manquent aussi. Et les après-midis dans le jardin à somnoler avec Daniel entre nous deux, où à regarder des films avec les chiens sur les pieds, un chocolat chaud pour toi, un thé pour moi. Les soirs où on cuisinait ensemble, les fois où tu passais me voir au travail... » Mauvais exemple. Je me tais instantanément. Comment est-il autant possible de maîtriser l'art des pieds dans le plat ? « Les nuits aussi. » je murmure. Mes yeux se baissent à nouveau, j'observe nos mains toujours entrecroisées, nos doigts qui se cherchent et caressent de temps en temps la peau de l'autre. « L'alliance à mon doigt me manque. Je la recherche encore parfois. » j'ajoute. Si rien de tout ceci n'était arrivé, nous serions mariés depuis huit mois, et non séparés depuis autant de temps. Nous serions allés à Florence pour notre lune de miel. Si Dame Nature l'eut bien voulu, qui sait si nous aurions un deuxième petit en route. Tant de mondes à base de « et si » dans lesquels j'aimerais vivre à cet instant.
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La période où ils s'aimaient tous les deux avec autant de passion lui semblait si lointaine, presque imperceptible. Elle se souvenait de toutes ces scènes, ces moments d'intimité où ils préféraient égoïstement rester entre eux, juste leur petite famille. Ces instants de tendresse et d'amour, la sensation d'être enfin à sa place, et d'avoir trouver un véritable sens à sa vie. Tout ça initiée par une passion qui les déchaînait, autant au lit que durant de virulentes disputes. Ils ne contrôlaient pas tout, mais ils avaient cette insouciance qui leur permettaient de se laisser aller davantage. Que dans cette quête du contrôle, chacun la perdait, au point d'en être auto-destructeur. La possessivité de Jamie, la jalousie de Joanne, ils y étaient tous les deux pour quelque chose. Elle s'en souvenait, de tout cela, mais elle les oubliait aussi. Par exemple, elle se souvenait des moments où Jamie l'embrassait, mais elle ne parvenait plus à se rappeler de la douceur de ses lèvres ou de l'intensité de ce geste d'amour. C'était des sensations qu'elle adorerait retrouver. Il ne réagissait pas plus que cela aux dires de Joanne. Elle ignorait s'il avait posé cette question avec un but bien précis en tête ou pas. Toujours est-il qu'il préférait largement s'étendre sur ce qui lui manquait à lui plutôt que de reprendre les raisons de son retournement de veste si soudain. Il la voulait elle, et c'était tout ce qui importait pour lui. Et lui, ce qui lui manquait le plus, c'était leur complicité, leur relation symbiotique. Mais sinon, c'était le tout. Même si ce n'était qu'une plaisanterie, elle comprenait que mêmes leurs disputes pouvaient lui manquer, dans la mesure où ils en ressortaient toujours plus fort. Un rictus de nostalgique étirait les lèvres de Joanne en l'écoutant parler, réalisant alors combien sa voix lui manquait aussi, surtout pour conter ce genre de récits. Il avait pris une belle aisance pour exprimer ses sentiments, ou divulguer ces détails assez intimes. Une belle assurance qui venait d'on ne savait où, et Joanne se posait même la question d'où cela pouvait provenir. Il décrivait alors chacun de leurs moments communs. "Quand je passais au travail, sauf le jour là." rectifia-t-elle alors pour lui avec un sourire bienveillant. Elle ne tenait pas rigueur de cette erreur qu'elle ne considérait pas comme telle. "En dehors du jour là, les autres fois, c'était vraiment chouette, non ?" Elle lui lança un regard complice, se rappelant de ces moments là aussi. Et enfin, le bijou qui décorait chacun de leur doigt. Joanne avait pris énormément de temps à l'enlever, et elle avait parfois toujours l'impression de la porter. Mais ses derniers tracas lui ont fait oublier la bague, qu'elle gardait précieusement dans sa chambre à coucher. "La maison de campagne me manque. Nous y avions de si beaux souvenirs, là-bas." Passer des weekends en dehors de Brisbane leur faisait leur plus grand bien à tous les deux. "T'entendre chanter me manque beaucoup aussi." Lorsqu'ils en avaient envie, ils dansaient sur les paroles de Love Me Tender que Jamie savait merveilleusement bien chanter. Elle adorait l'écouter et se laisser bercer par sa voix. "Te plaire, aussi." avoua-t-elle avec un sourire nerveux. "Pour ces fois où nous sortions et où j'étais tellement stressée à l'idée de trouver une tenue adéquate et où je me disais que ce qui comptait le plus, c'était l'expression que tu allais voir en me découvrant dans ma tenue. Même si je mettais bien trop de pression pour ça, d'un côté, j'adorais faire l'effort, tout mettre en oeuvre pour que tu aies ce regard là précis posé sur moi." Ca la gênait toujours un petit peu, de mettre des robes de soirée hors de prix et qu'elle n'aurait jamais pu enfiler si elle ne l'avait pas connu, mais elle y avait trouvé son compte. "Même quand nous étions séparés et que nous nous rendions aux mêmes soirées. J'étais encore si accrochée à toi que, je voulais continuer à te plaire." Peut-être même à le rendre jaloux aussi, mais c'était particulièrement inefficace. "Et me voilà en combinaison. On peut dire que j'ai changé radicalement de méthodes." ajouta-t-elle en riant un petit peu. "Je crois qu'au fond, j'ai toujours un peu cherché à te plaire, mais il y avait des moments où ça se déformait un petit peu, mais ça restait sensiblement la même chose." Le rendre jaloux, en somme. Joanne n'avait jamais véritablement supporté le fait qu'il puisse voir quelqu'un d'autre. Il suffit de voir Emma. Bien qu'elle y avait montré beaucoup d'indifférence, il y avait cette infime partie d'elle qui pensait que Jamie se fichait tout simplement d'elle. Ou qu'il faisait par vengeance, elle n'en savait rien. Joanne se demandait s'il arrivait à sentir, que la flamme était bien là. Naissante, au milieu d'un large tas de cendres. Joanne se pencha un petit peu, afin de pouvoir approcher sa main de son visage et de pouvoir caresser quelques un de ses traits. Ses doigts effleuraient à peine sa peau. "Tu l'as gardée, ton alliance ?" lui demanda-t-elle alors. Elle ne savait pas ce qu'était devenu le bijou qu'elle lui avait offert et il aurait très bien pu la jeter à l'océan en hurland de rage. Ca aurait été possible qu'il se débarrasse ainsi.
We all are living in a dream but life ain’t what it seems, oh everything’s a mess. And all these sorrows I have seen they lead me to believe that everything’s a mess.
Certes, nos erreurs nous forgent. Et cette erreur, plus que tout autre, en a été une preuve. Une leçon particulièrement douloureuse. Mais je crois qu'il est des événements qui furent et demeurent déjà bien assez réels pour que l’on se passe de les évoquer, de remettre des mots dessus qui ne seraient que des grains de sel sur des plaies qui se referment avec grand mal. Je ne veux plus parler de ce jour là. Jamais. Je sais déjà que ni moi, ni Joanne, ne pourrons l'oublier. C'est une nouvelle partie de moi, le genre de secret honteux que l'on garde pour soi et qu'on ne peut pas nier. Je ne peux pas changer ce qu'il s'est passé, personne ne le peut. Alors peut-être pouvons-nous simplement prétendre d'oublier. Prétendre que tout cela appartient au passé. À part ce jour, tout n’était peut-être pas si mal. Le plus triste est de s’en rendre compte trop tard. “Ça l'était, oui.” dis-je tout bas avec un léger sourire triste. Joanne venait toujours par surprise à la radio, et c’était le seul genre d’imprévu que j’appréciais. Elle m’imposait une pause, et elle m’offrait un petit moment avec Daniel. Elle ne restait jamais bien longtemps, mais c’était assez pour recharger mes batteries pour le reste de la journée. Tout le monde la connaissait à la rédaction, et tout le monde craquait pour notre garçon. Oui, cela fait partie des moments qui me manquent, comme tant d’autres. En comparaison, ma vie actuelle me paraît bien vide, ma maison bien silencieuse, malgré les chiens. Quand Joanne et moi étions sous le même toit, on pouvait souvent m’entendre fredonner pour un rien. Je chantais pour Daniel, et je chantais pour elle. Je lâche un petit rire nerveux quand elle m’avoue que cela lui manque. “Vraiment ?” Elle me surprend à nouveau en avouant qu’elle aimait me plaire. Se donner du mal, se faire belle, et voir le résultat. Elle avait souvent peur d’en faire trop, et parfois, elle n’osait pas, mais sa pudeur avait connu un recul significatif pendant que nous étions ensemble. Elle était toujours magnifique à mes yeux, un rien l’habillait -et si rien ne l’habillait, c’était aussi bien. “Pourtant tu n’as jamais eu à déployer de grands moyens pour me plaire, tu sais.” Je me souviens l’avoir plusieurs fois admirée démaquillée, décoiffée, dans mes t-shirts bien trop grands qu’elle m’empruntait ; à la sortie du bain, emmaillotée dans une serviette des pieds à la tête ; enceinte jusqu’aux yeux, fatiguée, inquiète, impatiente. Nul besoin d’une robe de soirée pour avoir toute mon admiration. “Et malgré la combinaison, qu'est-ce que mon regard te dit ?” je demande en la laissant jouer avec mes doigts. Plus de bague, ni pour elle, ni pour moi. C’est une sensation frustrante de chercher le bijou nerveusement et ne tomber que sur de la peau nue. Cela fait assez longtemps pour que cette disparition se fasse oublier, mais non. Difficile d’avouer que je me suis débarrassé de cette alliance à laquelle j’accorde pourtant tant d’importance. Joanne pourrait ne pas comprendre comment l’on peut se défaire d’un objet aussi symbolique, surtout lorsqu’on l’affection encore autant. “Je… Non, je ne l'ai plus. Quand j'ai acheté la nouvelle maison, je me suis dit que ça y est, c'était terminé. Alors je suis allé au bout du jardin pour la jeter à la mer. Elle est quelque part au fond du port.” Dit comme ça, cela sonne comme une scène d’un mauvais film à l’eau de rose. “Je sais, très overdramatic.” j’ajoute avec un petit rire nerveux, fuyant son regard peut-être déçu, peut-être parfaitement indifférent. Ma main se pose sur la sienne, celle qui effleure ma joue, comme pour s’assurer que je ne me l'imagine pas. Le contact de sa peau, toujours aussi douce, me dit que non, je ne rêve pas cette marque d'affection là. Je devine mes joues rosir légèrement sous ses doigts, constatant la proximité de son visage par rapport au mien, qui semble plus proche désormais qu'il y a une seconde, et que la seconde précédente. Ce souhait, ce souvenir du goût de ses lèvres, attire mon regard furtivement vers sa bouche rose. Mais plutôt que de me laisser séduire par la tentation de l'embrasser, je saisis sa main entre les miennes afin de déposer un baiser sur des doigts. Un moment de flottement. Puis je me lève, sa main toujours dans la mienne, et je m’approche afin de l'inviter à se quitter la table à son tour. “Viens, danse avec moi. Est-ce que ça ne te manque pas aussi ? Et c'est un endroit parfaitement adéquat pour ça" Ce qui est à la fois très vrai, et particulièrement faux. Quitte à être ici, autant en profiter. Qui ne rêverait pas de quelques pas ici ? Au-dessus de Brisbane, là où il n'y a pas âme qui vive, seulement le vent, les lumières. Là, juste sous les étoiles, et même dans une atroce combinaison grise. J’attire Joanne quelques pas plus loin et la prends par la taille. Une seconde, je réfléchis et songe à changer de registre pour le fond sonore ; avec un fin sourire, j’initie le léger mouvement de balancier en fredonnant fly me to the moon.
we all are living in a dream but life ain’t what it seems
S'il y avait bien un moment que Jamie voulait éviter de parler, c'était bien le jour où tout avait dérapé, l'une de ces fois où Joanne venait le voir. La tournure avait été particulièrement inattendue et tout avait si rapidement coulé qu'il était difficilement de se rendre compte de la véritable rapidité de leur descente aux enfers. Bien sûr qu'elle n'oubliait pas tout ce qu'il s'était passé mais elle avait eu bien d'autres chats à fouetter entre temps qui lui avaient permis de songer à autre chose, bien que ce ne soit pas particulièrement positif. Elle se souvenait aussi très bien de la période où elle continuait de s'accrocher à lui alors qu'il ne cessait de la rejeter, se montrant même parfois particulièrement ignoble avec elle. A la menacer, à lui faire des propositions indécentes. C'était un tout autre homme qu'elle avait en face d'elle désormais, et elle retrouvait celui qui était prêt à tout faire pour qu'elle soit à nouveau auprès de lui. Joanne venait à se demander ce qu'était devenu celui qui lui avait proposé d'entretenir une relation uniquement sexuelle, s'il était toujours un peu quelque part en lui. La jeune femme confiait combien elle avait toujours aimé l'écouter chanter, surtout lorsqu'ils dansaient ensemble. Il fredonnait légèrement près de son oreille, pas très fort, mais particulièrement agréable. Elle voulait que ces minutes là se prolongent et que ce moment de flottement s'éternise, toujours un peu plus. Elle aimait aussi faire un effort sur son physique pour lui plaire, même s'il lui répétait régulièrement qu'elle n'avait pas besoin de faire grand chose pour le séduire. A vrai dire, le plus simple habit était amplement suffisant. Mais elle avait trouvé à nouveau le plaisir de prendre du temps pour se faire un peu belle. Une envie qui s'était immédiatement étouffée après son divorce. "Je ne sais pas." lui répondit-elle avec un sourire nerveux. Joanne avait l'impression d'avoir perdu un petit peu ce don de décrypter le moindre de ses regards, bien qu'il fallait admettre qu'elle avait encore de grandes facilités. "Mais je sais où ton regard était posé lorsque nous étions en train de monter les escaliers." lui rétorqua-t-elle avec un regard et un rire malicieux. Il n'avait jamais caché qu'il aimait tout chez la jeune femme, mais qu'il avait une grande attirance pour ses courbes et surtout son postérieur. Jamie n'était en revanche pas fier d'annoncer à Joanne qu'il n'avait pas gardé le bijou offert par la jeune femme, qu'il s'en était même débarrassé d'une manière particulièrement symbolique. Cela rendait Joanne assez triste malgré tout. Ils n'accordaient pas la même valeur à ces bijoux apparemment. Bien que la fin de leur relation fut pour le moins catastrophique, ce n'était pas suffisant pour elle de se débarrasser de sa bague de fiançailles. Elle ne fit pas de commentaire sur cet aveu, en se disant que chacun avait eu sa propre manière de gérer leur rupture, plus ou moins. Jamie posa dès qu'il le pouvait sa main sur la sienne, comme si voulait réaliser qu'elle avait bien mis sa main sur sa joue. Il n'était pas difficile de deviner combien ce genre de choses lui manquait. Il était tenté de franchir une nouvelle étape. Elle voyait qu'il voulait l'embrasser. Le beau brun préférait déposer ses lèvres sur la main. Il se levait et l'invitait alors à danser, là, au dessus de tout Brisbane. Elle accepta volontiers l'invitation et se leva pour s'éloigner un peu de la table. Ils s'approchaient de l'un l'autre, l'une des mains de Joanne allait sur son épaule, l'autre dans celle du brun. Il ne dégageait aucune nervosité lorsqu'il s'agissait de la mettre sur la taille. Ils commençaient alors à danser lentement, comme ils avaient toujours l'habitude de faire. Leur proximité n'était peut-être pas raisonnable, mais cela plaisait à Joanne. Leur visage était particulièrement proche de l'un l'autre. Ils échangeaient de longs regards sans dire le moindre mot. Ils n'en avaient pas besoin. Elle souriait en l'entendant chanter, réaliser combien sa voix lui avait manqué. Parfois, ses yeux se fermaient et elle déposait sa tête contre son épaule, se laissant bercer volontiers. Il faisait battre son coeur plus qu'elle ne pourrait l'admettre. Et quand son regard lui manquait, elle redressait la tête. Vint même un moment où il en avait terminé avec la chanson, mais ils continuaient de danser malgré tout. Le moniteur qui les avait accompagné jusqu'au sommet avait bien brisé le moment, en se permettant de les interrompre pour expliquer en gros, qu'il voulait bien rentrer chez lui aussi. Le temps était passé à une si grande vitesse. Elle voyait bien que l'intervention avait particulièrement agacé Jamie. Elle caressait délicatement son dos dans l'espoir de le calmer. "Ce n'est pas grave, on poursuivra la soirée sur la terre ferme." lui dit-elle, comptant bien ne pas s'arrêter sur cette petite note négative. Ils redescendirent alors du pont en silence. Ils s'éloignèrent rapidement du moniteur une fois qu'ils avaient rendu leur combinaison. Elle le prit par le bras et l'invita à marcher à ses côtés. "La soirée n'est pas finie." lui assura-t-elle avec un sourire confiant. "Nous pourrions très bien aller en ville, ou à la plage." Il s'agissait d'options parmi tant d'autres. Doucement, alors qu'ils marchaient, Joanne avait commencé à glisser sa main le long de son avant-bras avait de venir la loger au creux de la sienne.
We all are living in a dream but life ain’t what it seems, oh everything’s a mess. And all these sorrows I have seen they lead me to believe that everything’s a mess.
C’est un peu triste, d'être l'amoureux qui attend, qui espère. Non pas que je sois triste à cet instant, bien au contraire. C’est ce rôle qui m’a toujours inspiré de la peine. Celui qui essaye sans la moindre assurance de parvenir à quoi que ce soit, celui qui croit peut-être un peu trop à l'amour, celui qui risque tout et qui pourrait finir bien déçu. Je veux croire que j'avance, pas à pas, tout doucement ; qu'il y a une petite place pour moi dans le coeur de Joanne et que j'en pousse les murs à force de persévérance. J'aimerais qu'elle me regarde comme avant, me sourit comme avant. Ce qui n'est toujours pas le cas. Néanmoins, je peux déceler cette affection, cette tendresse qui avaient disparus, et ils nourrissent cet espoir d'une possibilité. Mais je ne sens pas encore d'amour, la même envie de sceller un baiser, une longue étreinte, du retour à une vie à deux et toutes nos promesses. Peut-être un jour… Je ne peux qu'attendre, et espérer. Profiter de chaque instant en sa présence, chacun de ses rires. Rire avec elle, comme quand elle ne manque pas de souligner que mon regard fut bien baladeur dans les escaliers, pendant l'ascension du pont. “Ce n’est pas de ma faute, tu étais devant.” dis-je en guise de piètre excuse, haussant les épaules comme si de rien n'était, mais les joues ayant déjà bien rosi. De toute manière, même si nous prétendons repartir de zéro, il est des choses que la jeune femme sait et qui ne changent pas. Nous pouvons nous surprendre l'un l'autre et découvrir des facettes que nous n'aurions pas suspectées, mais nous restons les mêmes. Ceux qui se sont aimés un jour, malgré toutes leurs différences ; assez pour avoir un fils réunissant le meilleur d'eux. Nous avons toujours aimé danser, même dans le silence. La proximité, ressentir la présence et la chaleur de l'autre, le balancier qui berce, qui apaise les pensées jusqu'à ce qu'il ne reste que le moment présent. Je pensais que Joanne instaurerait une certaine distance entre elle et moi lorsque je l’ai invitée à danser. Qu'elle ne laisserait pas nos visages être si proches, et encore moins qu'elle se blottirait tout contre mon cœur battant. Pourtant nous passons de longues minutes plongés dans le regard l'un de l'autre, la joue, le nez se frôlant parfois. Je l'éteins tendrement en continuant de la bercer. L'oreille collée non loin de ma poitrine, elle peut écouter la cavalcade de mon cœur. Nous sommes interrompus par le moniteur qui, non moins content de l'investissement considérable qu'est cette soirée, sa présence et le dîner auquel il a également eu droit, pense qu'il est tout de même dans son bon droit en réclamant que nous amorcions notre départ du pont. Le regard auquel il est confronté vaut tous les mots, et Joanne m'empêche de l'écraser avec quelques joutes verbales. À la réflexion, il fait encore débarrasser la table, les chaises, les restes, qui ne pourront pas stationner ici toute la nuit. Nous faire redescendre n’est qu'une étape au sommet d'une longue liste. Alors nous prenons le chemin de la terre ferme, où la jeune femme se dit prête à poursuivre la soirée en ma compagnie. Cela me surprend beaucoup ; le prix de la baby-sitter risque d'être conséquent pour quelques heures de plus, qui n’étaient peut-être pas prévues au départ. Cela devait être une balade de deux heures, le temps de grimper sur le pont, pas plus. Pourtant cela ne semble pas déranger Joanne. Nous partons en errance à la recherche d'un endroit où aller, quelque chose à faire, pas que cela soit une condition sine qua non pour passer un moment agréable. Et sa main se loge dans la mienne. Nerveux au possible, j'entrecroise nos doigts. Ce geste peut amplement me suffire comme récompense pour aujourd'hui, il n’en faut pas plus. “Il y a plus proche que la plage.” dis-je avec un petit sourire en indiquant un escalier menant sur les quais de part de d'autre du fleuve, là où la balade peut-être tranquille et plaisante. Nous passons du haut du pont au contrebas, le paysage est le même, les lumières aussi, mais cette fois nous sommes dans le décor. Nous marchons un long moment en silence. Il reste des bateaux sur l'eau qui forment quelques remous qui déforment le reflet des lampadaires. Il y a de la musique, des rires, du brouhaha ici et là provenant des bars de long de la rue au-dessus de nos têtes. Mon regard passe de nos pieds synchronisés à nos mains, au sommet de la chevelure blonde de Joanne. Puis une question travers mon esprit et mes lèvres au même moment. “Est-ce que tu… tu vois quelqu'un d'autre, en ce moment ?” Une question peut-être indiscrète, et qui pourrait offusquer Joanne, même si je n'en ai pas l'intention. Une question déjà entendue d'ailleurs, alors que nous étions fraîchement séparés, après qu'elle ait refusé des avances d'un registre bien plus grossier que ce dont j'ai l'habitude. Mais je voulais la garder un peu pour moi, sans l’admettre comme tel devant elle. C’était si dur de la rejeter en permanence alors que j'avais besoin d'elle. Prétendre qu'elle n’avait plus d'importance alors que chaque geste, chaque mot était motivé par la volonté de faire passer son bonheur avant le mien. Elle avait refusé, bien évidemment, et je pensais qu'un autre homme en était la cause. C'est une autre conversation avec elle qui a fait renaître ce doute. “La dernière fois, quand je t’ai appelé, tu sais, j’ai eu comme un pressentiment. J’ai eu la sensation d’avoir été… remplacé. Et que je ne signifiais plus rien.” Rien en dehors d’être le géniteur de Daniel, et cela était une chose qu'elle ne pouvait pas changer, qui la condamnait à m'avoir dans les parages même lorsqu'elle s'en serait bien passé. C'était un pressentiment, et peut-être que cela n’était rien de plus. Mais quitte à me défaire d'un doute, autant en profiter pour savoir si je perds mon temps à essayer de récupérer son coeur, car il appartiendrait déjà à quelqu'un d'autre. “Ça serait bien normal, j'imagine…” J’ai eu des aventures après tout, j'ai eu Emma, pourquoi Joanne n’en aurait pas fait autant ? Certes, cela serait un crève coeur, mais personne ne pourrait lui reprocher de vouloir continuer à vivre après ce qu'il s'était passé. Le plus indigeste serait de ainsi en conclure qu'elle s'est jouée de moi ; que l'hypothèse qu'il y ait à nouveau un nous n’était qu'un tas de mots, que sa main dans la mienne soit finalement un coup de poignard dans le dos, bien dissimulé.
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Dernière édition par Jamie Keynes le Mer 7 Juin 2017 - 13:40, édité 1 fois
we all are living in a dream but life ain’t what it seems
C'était particulièrement étrange pour Joanne de réapprendre à connaître Jamie alors qu'elle le côtoyait déjà depuis deux ans. Elle en savait tant sur sa vie, et pourtant elle devait tout redécouvrir en quelques sorte. Le processus se faisait tout naturellement et avec la même méfiance que la première. Parce que le Jamie qu'elle avait vu durant leur séparation était un homme qu'elle ne connaissait absolument pas. Il avait prouvé sa capacité à être infâme même avec elle, même avec la mère de son propre fils. Et bien que cela soit bien derrière elle à grâce à la volonté du brun d'effacer cette mauvaise passe, ces moments là restaient dans un petit coin de leur tête, en attendant d'avoir quelques explications. S'il y avait bien une chose que Jamie ne parvenait pas à dissimuler ou à se faire discret, c'était ses regards. Et la petite brune avait bien remarqué que ses yeux verts regardaient bien autre chose que les paysages en montant les marches. Et même s'il rougissait légèrement sous l'oeil amusé de Joanne, il ne s'en cachait pas, bien qu'il tentait de bafouiller une quelconque excuse qui ne passait pas vraiment. Cela la faisait rire. Il l'invita ensuite à danser, sachant très bien que c'était une activité qu'elle adorait. La jeune femme était assez surprise qu'il ne chercher pas à l'embrasser, durant ce moment. Tout était pour pourtant : leur proximité, les visages qui se frôlaient. Les tentations étaient là, mais il ne céda pas. Il devait certainement attendre que ce soit elle qui fasse le premier pas, qui leur fasse franchir cette nouvelle étape. Parce que l'un comme l'autre savait que si baiser il y avait, il ne s'agirait pas d'un simple baiser volé. Pas dans ces conditions là en tout cas. Joanne entendait le coeur du bel homme battre la chamade dès qu'elle avait l'oreille posée contre son torse. Ce rythme efreiné en disait long sur tout le reste. Il ne pouvait pas par contre s'empêcher de la serrer un peu plus contre lui, comme s'il craignait qu'elle ne s'enfuit et qu'elle brise ainsi ce moment. Il était vrai que ces derniers temps, Joanne avait la fâcheuse tendance de s'éloigner lorsqu'une certaine proximité s'instaurait. C'était le cas avec Hassan et elle l'avait déjà fait aussi avec Jamie. Une certaine crainte de l'engagement, peut-être, elle n'en savait trop rien. Elle ne savait même pas de quoi elle avait peur. Mais cette fois-ci, c'était le moniteur qui imposa un petit peu la fin de la soirée. Joanne ne comptait pas s'arrêter là et suggéra d'aller se promener. Alors qu'elle n'avait fait que glisser sa main dans la sienne, Jamie prit l'initiative de croiser ses doigts avec les siens. Des petits gestes qui en disent et qui peuvent signifier beaucoup. Il avait suggéré de longer alors le fleuve, et Joanne approuvait cette idée avec un sourire satisfait et un léger signe de tête. Elle adorait Brisbane de nuit. Elle adorait Brisbane tout court. Pour rien au monde elle ne comptait quitter cette ville qui l'avait adopté et qu'elle avait adopté aussi très rapidement. La promenade était silencieuse pendant de longues minutes jusqu'à ce qu'il pose une question particulièrement abrupte. Joanne se demandait pourquoi il était venu à la lui poser si subitement. Elle sentait son coeur s'accélérer malgré tout, parce qu'elle n'était pas toute blanche dans l'histoire. Il lui lui avait déjà demandé une fois, mais les circonstances avaient été bien différentes. Là, clairement, Jamie cherchait à savoir si tous ses efforts étaient peine perdue ou non. Avant de dire quoi que ce soit, elle attendait qu'il reprenne la parole, afin de comprendre où lui venait en venir exactement. Elle s'arrêta alors après un long moment de silence et se mit en face de lui pour lui répondre. Elle le regardait droit dans les yeux. "Je vois quelqu'un, mais pas dans le sens où toi tu peux l'entendre ou l'interpréter." lui dit-elle alors. "Ce n'est pas quelqu'un avec qui je couche, et je dois t'avouer que je ne sais absolument pas où tout ceci peut aboutir. La dernière personne avec qui j'ai couché, c'était toi, Jamie." Joanne en avait assez des secrets. Tout le monde lui en faisait dans son entourage, elle le savait, et elle en devenait de moins en moins tolérante. C'était d'ailleurs à cause de ça principalement que sa relation avec Hassan était très aléatoire. Elle pensait être capable d'encaisser ce qu'on lui cachait si méticuleusement. Elle se disait qu'il fallait bien qu'elle l'entende, que ça n'allait pas être facile dans un premier temps, mais que ça allait passer. Avec cette technique utilisée par tous ses proches, elle avait l'impression d'être restée l'enfant que l'on voulait protéger de ce monde si vil et si méchant. Seulement, c'était sur ce point que ces personnes là connaissaient mieux Joanne que Joanne elle-même. Il y avait beaucoup de choses qu'elle ne pourrait pas supporter et c'était pourquoi on se gardait bien de le lui dire. Une situation complexe. Mais n'étant absolument pas dans cet esprit, elle se disait qu'il valait mieux jouer la carte de l'honnêteté et ne pas cacher éternellement ses secrets à elle. "Et cette personne, c'est Hassan." Joanne savait bien que ce genre d'informations était aisément comparable à une bombe. Surtout que les deux hommes se haïssaient au possible et que l'un ne supportait pas la présence de l'autre dans la vie de Joanne et inversement. Mais l'un était l'ex-mari, l'autre le père de son fils. Elle avait des liens forts avec les deux bruns et tentait tant bien que mal de faire avec. C'était particulièrement dangereux. Joanne ignorait que Jamie savait pourquoi Hassan avait demandé le divorce. "Mais ce n'est pas ce que tu crois. Nous nous voyons... une fois par mois, tout au plus. Nous discutons beaucoup ensemble. Et j'aimerais aussi qu'il m'éclaire sur certains points. J'ai besoin de savoir certaines choses."Et elle avait surtout besoin de passer du temps avec lui. On pouvait deviner sur le visage de Joanne la complexité de sa relation avec Hassan. Avait-elle seulement un nom ? L'un comme l'autre était incapable de se détacher. Que malgré les souffrances vécues à chaque nouvelle rencontre, ils voulaient se revoir, en savoir plus, passer du temps avec. Joanne ignorait si c'était par nostalgie ou non. Mais elle avait toujours cette affection pour lui, le genre que l'on ne pouvait pas vraiment dissoudre. "Mais ça ne t'a pas remplacé." lui affirma-t-elle avec certitude. Au fond, Joanne savait qu'il n'allait pas la croire. Que lorsqu'il s'agissait d'Hassan, plus rien n'allait. "Et ça ne réduit en aucun cas la valeur que tu as à mes yeux, ou des moments que l'on passe ensemble, comme ce soir. C'est très important pour moi, ces moments là, de voir où cela nous mène. Et pour le moment, ça marche plutôt bien." dit-elle avec un sourire sincère. Elle savait que Jamie n'allait pas accepter cette situation non plus. Elle attendait quelque part le moment où il imposera ses conditions. Elle savait qu'à un moment ou à un autre, il allait lui demander de rester loin de son ex-mari, et ça allait être à ce moment là que la situation allait véritablement se compliquer. Parce que lui avait bien imposé à Joanne à l'époque qu'elle allait devoir faire avec le fait qu'il côtoie Hannah malgré les sentiments qu'il avait pour elle, mais il n'allait certainement pas accepté que Joanne en fasse de même. Mais au moins, elle aura été vraie avec elle-même et n'aurait pas menti plus longtemps. Elle n'était pas certaine de pouvoir supporter toutes les conséquences mais elle se sentait relativement prête à les assumer, au moins.
We all are living in a dream but life ain’t what it seems, oh everything’s a mess. And all these sorrows I have seen they lead me to believe that everything’s a mess.
Le silence de Joanne aurait été une réponse suffisante. Un “non” véridique est toujours plus instantané qu'un “oui mais” longuement réfléchi. L’information était donc claire bien avant que la jeune femme n'ouvre la bouche, et déjà mon coeur se serre. Le son de sa voix ne devient qu'un instrument de torture, malgré sa douceur naturelle. Si l'idée est de me rassurer en soulignant au feutre rouge que sa relation avec l'homme en question ne s'assimile pas à ce que ma question sous-entendrait et qu'il n’y a rien de charnel, c'est un objectif raté. La naïveté de Joanne n’est plus à prouver et si c’est là ce dont elle est convaincue, alors il y a bien plus de chances qu'elle soit tombée dans un panneau plutôt que toute cette innocence soit vraie. Il serait presque plus digeste d'entendre qu'elle avait couché avec quelqu'un d'autre uniquement pour combattre la solitude, mais cela ne lui ressemble pas. À vrai dire, au final, le seul point positif de cette introduction maladroite, c'est que si la jeune femme n’a pas encore passé ce cap, alors elle n’a pas assez de sentiments envers cette personne pour cela. Et puis le nom de l'homme en question me frappe comme une immense coup de massue sur le crâne. Un léger vertige s'installe. Ce n’est pas juste n'importe qui, et Joanne sait parfaitement à quel point l'évocation de son ex-mari me heurte les oreilles. Il me provoque aussi un certain haut le coeur. Alors c'était la stratégie ? M’encourage à m'éloigner de la jeune femme afin de récupérer sa place ? Et elle… Elle. Je quitte sa vie, et c'est vers l’ex qu'elle se tourne. Vers celui pour lequel elle a toujours eu, et continue d'avoir, des sentiments qu'elle refuse d'admettre. Mais elle n’a jamais digéré le divorce, elle n’a jamais fait le deuil de cette relation. Pourquoi ? Parce que si elle le pouvait, aujourd'hui, à cet instant, elle retournerait en arrière et elle resterait mariée à lui, elle aurait une famille avec lui, et je n’aurais jamais fait partie du tableau. Ha, facile de dire qu'il n’a rien remplacé, si je ne suis jamais parvenu à le remplacer moi-même. Il a toujours eu l'ascendant sur moi. Il est l’exception à l’adage “loin des yeux loin du coeur”. S'il est l'autre homme, le bon samaritain, alors je peux déjà me considérer perdant. “De savoir quoi ?” je demande alors que cela ne me regarde sûrement pas, mais la justification de Joanne est tellement bancale à mes yeux que j'en attends plus. Est-ce qu'il lui a déjà dit la véritable raison de leur divorce, ou monsieur a-t-il encore cette carte à jouer afin de passer pour un mec parfait ? Dans l'autre main, il y a moi et mes caisses de défauts, mon passif, et, bien sûr, les sentiments parfaitement morts de Joanne à mon égard. La valeur que j'ai, c'était à peu près de la même manière qu'elle me définissait ce fameux soir au téléphone, et ce n'étaient que d'autres mots pour me faire comprendre que je n’étais que le père de Daniel, rien de plus. “Ca marche dans quel sens, Joanne ? Où est-ce que ça mène ? Ce que tu me dis, c’est que tu vois tes deux exs, et que tu ne sais pas ni pour l’un, ni pour l’autre, sur quoi ça peut aboutir.” Et à l'entendre, il y a l’exact même potentiel pour chacune des deux relations. Sauf que Hassan est l’ex-mari parfait, et que je suis le type qui a levé la main sur elle. Les dés sont pipés, je perds mon temps. Sa volonté, ses attentes sont floues, et je la suspecte de ne pas m'en dire plus afin d'avoir l'air plus blanche qu'elle ne l'est. Peut-être pour s'épargner la peine de me donner raison, pour toutes les fois où j'ai dit qu'elle aimait toujours l’autre espèce de tique qui me pourrit l'existence. “Est-ce que tu es en train d’essayer de jouer sur deux tableaux, Joanne ? Qu’est-ce que tu veux, dans cette histoire ?” je demande, visage fermé, regard froid, barricadé derrière tout ce qui peut empêcher les mots de la jeune femme de faire de gros dégâts. Parce qu'il n’est pas question que je participe à ce genre de mascarade, risquer de n'être que le dindon de la face. Je le suis déjà dans un sens, depuis la seconde où Hassan est parvenu à me faire douter, à m’influencer et me pousser à quitter Joanne. Je lui ai laissé le champ libre. Dix ans de mariage heureux contre deux ans de relation chaotique, je ne donne pas cher de ma peau. Bon dieu, ce que j'ai été stupide.