we all are living in a dream but life ain’t what it seems
Jamie devait savoir qu'il était sur un terrain particulièrement savonneux en posant cette question. Elle ne savait pas vraiment quel était le but de cette interrogation, mais cela ne présageait rien de bon. Joanne en avait assez de cacher quoi que ce soit. Hassan était bien au courant qu'elle voyait toujours Jamie, elle se devait de le dire à toutes les personnes concernées. Son ex-mari n'était jamais bien heureux lorsqu'elle mentionnait l'ex-fiancé, et il ne se mettait jamais autant en rogne que Jamie. Lui ne pouvait pas voir Hassan, c'en était même viscéral. Que d'entendre son nom, le voir, le rendrait presque malade. Joanne ne comprenait pas pourquoi cette haine était si brutale. Il n'y avait rien pour le raisonner. La jeune femme avait conscience que cette conversation ne se terminerait pas bien. Dommage, le reste de la soirée avait pourtant été très proche de la perfection. Le visage de Jamie s'était très rapidement fermé. Il devenait impassible, imperméable à beaucoup de choses, certainement pour se protéger. Joanne ne lui en tenait pas rigueur, elle ne s'attendait pas non plus à ce qu'il tente de comprendre quoi que ce soit. Il voulait en savoir plus. "De connaître la vérité. Un de ses proches m'a absolument tout reprochée sur ce qui lui était arrivé depuis qu'il m'a demandée le divorce. Elle m'a même reprochée la réaction que j'avais à ce moment là. Selon elle, tout est de ma faute. Et... J'ai besoin de savoir si c'est vrai, si, vraiment, je ne lui ai fait que du mal. Et je me suis sentie responsable de quelque chose qu'il a fait, mais ça, je ne peux pas en parler." expliqua-t-elle alors. "Je blesse et je déçois tous mes proches, ce n'est pas une nouveauté." Joanne se reprochait toujours la descente aux enfers de leur couple même si d'autres avaient tenté de lui faire comprendre que tout n'était peut-être pas entièrement de sa faute. Le beau brun commençait à l'asséner de questions. "Je n'en sais rien." souffla-t-elle d'abord tout bas. Elle ignorait où elle allait, ce qu'elle faisait, ni plus vers qui se tourner. Mais Jamie continuer de poser ses questions, espérant bien avoir un soupçon de réponses. Elle avait l'impression de perdre la tête avec toutes les réponses qu'il demandait. "JE N'EN SAIS RIEN !" s'écria-t-elle, au bord des larmes, poussée à bout par tout ces interrogations qu'elle craignait. Elle passait ses doigts dans sa chevelure brune avant de lui refaire face à nouveau. "C'est pour pouvoir me dire "t'as vu, j'avais raison" ensuite ?" reprit-elle d'un ton calme. "Alors oui, tu avais raison, Jamie. J'ai énormément d'affection et de tendresse pour les deux seuls hommes qui m'ont connue intimement dans ma vie." Ses yeux se bordèrent de larmes. "C'est ça, ce que tu voulais entendre depuis le début ? Parce que la première fois où tu m'as posée cette question, lorsque je l'avais revu pour la première fois. Je me souviens que je t'avais certifié qu'il n'y avait que toi, et c'était vrai. Je n'envisageais mon avenir qu'avec toi à ce moment là. Mais je sais que tu ne m'as jamais crue." dit-elle avec un sourire triste et résignée. Et puis tout avait dégénéré ensuite, puis Joanne s'était rendue compte de ses véritables sentiments pour Hassan au moment de sa séparation avec Jamie. Lui était tombé sous le charme d'Hannah, ils connaissaient tous les deux le fin mot de l'histoire. C'était peut-être pour ça qu'elle n'arrivait pas à avancer, avec aucun des deux. Elle avait toujours une certaine réserve, et beaucoup de craintes. "Et après ça, tu vas me demander de faire un choix. De rayer l'un de vous deux de ma vie." Sauf que Joanne n'avait pas cette capacité là, d'oublier quelqu'un en un claquement de doigts. Renoncer aux bons moments passés avec l'autre, faire en sorte de ne plus jamais le croiser. Epuisée par toutes ces émotions, Joanne finit par s'asseoir par terre, au bord du fleuve. Elle regardait les reflets des lumières de Brisbane dans l'eau. "Et c'est quelque chose que je ne pourrai pas faire, parce que chacun de vous deux a tant apporté à ma vie." Il n'y en avait pas un mieux que l'autre. Joanne les mettait à égalité, pour des raisons qui lui étaient propres. "Je ne veux pas me disputer avec toi, Jamie. Je suis... fatiguée. Et je finis par me demander si vous deux, vous ne devriez pas rester loin de moi, parce que..." Elle finit par se lever. "Si on regarde nos vies, je t'ai déçu bien plus de fois que je ne t'ai su te rendre heureux. Je t'ai mis en colère bien plus de fois que je n'ai pu te faire rire. Depuis que j'ai repris contact avec Hassan, c'est pareil avec lui. Je... Je ne suis peut-être plus quelqu'un de fréquentable, quelqu'un de bien. A vrai dire, ça fait quelques temps que je me pose la question. Je me demande si, ce n'est pas mieux pour vous que vous restiez tous les deux loin de moi." Ses mains et sa voix tremblaient. "Peut-être que... Au final, tu vivras bien mieux sans que je ne sois tout le temps dans tes pattes. Ce que je t'ai dit là-haut, c'était vrai. Ce nous, il me manque énormément. Tout ce qu'on a pu être tous les deux." Il fallait qu'elle les laisse partir, tous les deux, qu'importent les sentiments de la jeune femme. Joanne s'attendait à peu près à tout et n'importe quoi, comme réaction de la part de Jamie. Il pouvait l'insulter, la dénigrer, peut-être même la giflet ou exprimer à quel point elle venait encore une fois de lui briser le coeur. Mais Joanne se disait que ce serait alors la dernière fois qu'elle lui ferait du mal. Avant que Jamie ne dise quoi que ce soit, Joanne sortit une petite boîte contenant des boutons de manchette en argent qu'elle lui avait acheté. "Tiens, c'est pour ton anniversaire." Le moment était très mal choisi, mais elle tenait tout de même à les lui offrir avant qu'il ne la fuit. "Fais-en ce que tu veux. Tu peux même... le balancer dans l'eau en hurlant de toutes tes forces." Pour le coup, ça ne ferait pas overdramatic.
We all are living in a dream but life ain’t what it seems, oh everything’s a mess. And all these sorrows I have seen they lead me to believe that everything’s a mess.
L'éclat de voix de Joanne me colle au sol et plaque mon coeur au fond de ma cage thoracique. Il est particulièrement rare qu'elle hausse le ton à ce point, et à cet instant, elle paraît exaspérée, mise à bout par mes questions. Pourtant, elles sont légitimes. J'ai le droit de savoir dans quel genre de manège j'ai été inclus malgré moi, si j'ai perdu mon temps, si je me suis ridiculisé en courant après la jeune femme pendant tout ce temps. Moi qui pensais qu'elle voulait reconstruire quelque chose ensemble. Je ne pouvais pas avoir plus tort, n'est-ce pas ? Le deuxième homme aurait pu être n'importe qui. Je l'aurais digéré, je n'aurais pas autant douté, eu aussi peur. Parce que, aussi inavouable cela puisse être, aussi insupportable est-ce, il n’y a qu'un seul adversaire que je puisse réellement redouter. Et elle a dit son nom. Mon rictus triste est un peu moqueur. Bien sûr que j'avais raison depuis le départ, il n’y avait que Joanne pour se voiler la face. Et peut-être qu'avant elle ne voyait sa vie qu'avec moi, mais cette phrase au passé laisse bien comprendre qu'aujourd'hui, ce n’est plus le cas. Aujourd'hui, Hassan fait partie de l'équation. Après l'indignation, je me sens résigné. Qu’est-ce que je peux faire face à cette situation ? Qu'est-ce que je peux dire qui puisse changer quoi que ce soit ? Mon coeur est lourd, mes épaules aussi. Mes bras sont tombés le long de mon corps. Mon regard s'est détourné de la jeune femme qui s’assoit sur le bord du quai. J’accorde peu d'attention à sa tirade ; rien d'inhabituel dans sa manière de se dépeindre comme un monstre tout en réussissant, dieu seul sait comment, à se poser en victime. Que notre relation lui manque est une faible consolation. Cela signifie uniquement que je me résume à un souvenir. Et à cet instant, cela me donne l'impression d'être un fantôme. Je soupire, dépité. J'attrape la petite boîte qu'elle me tend machinalement, avec une sorte de petit rire ironique. Ah oui, mon anniversaire. “Merci.” Les boutons de manchette sont jolis. Le problème, c’est que je ne parviens pas à saisir avec quelle intention Joanne me les offre. À ses yeux, à qui fait-elle ce cadeau, et pourquoi ? L’intention compte, après tout. Oui, ils sont jolis, mais dans ce contexte, ils perdent toute leur valeur. Au bout d'un long moment, je m'assois à côté de Joanne. Elle ne peut pas éternellement vivre en évitant les choix, même si elle n'aime pas cela. Elle doit savoir ce que qu'elle veut, au bout d'un moment, surtout lorsqu'il est question des sentiments de deux personnes pour qui elle compte tant. Elle ne doit pas être égoïste et laisser les choses traîner parce qu’elle a peur. Car oui, dans ce cas, elle blessera tout le monde. Je peux le dire en connaissance de cause. Pour la même raison, ce n’est pas à moi de faire la leçon. Au lieu de ça, je ne peux qu’essayer d'expliquer comment je me sens face à tout ceci. “Je… je t’ai dit ce que je ressens. Je t’ai dit que je peux être patient afin de faire les choses bien, mais je pensais que tu voulais la même chose que moi. Et maintenant tu dis que tu ne sais pas, et tu me laisses dans ce grand flou, et… je ne sais plus non plus. Et je n’ai pas signé pour une compétition que je ne peux pas gagner. Je sais parfaitement que je ne fais pas le poids, tout est contre moi. Tu as été avec lui pendant dix ans. Moi, je n’ai jamais su te rendre heureuse plus de deux semaines. Il faut voir les choses en face, c'est perdu d'avance.” J’hausse les épaules. Ce n’est pourtant pas mon genre de m'avouer vaincu et d'avoir si peu confiance en moi. Je me rends simplement à l'évidence. Je suis celui qui mérite d'être laissé sur le bas-côté. Je ne suis pas à la hauteur, je ne l'ai jamais été. Quand j'ai compris ce qui continuait de lier les deux ex-époux, j'ai pensé que je n'étais finalement qu'une solution de secours, une tentative ratée de remplacement, d'oubli, mais rien de plus. C'est ainsi que je me sens ce soir, plus que jamais. “Mais je ne vais pas t'imposer un choix. Je n’ai qu'une question. Je ne demande qu'une réponse sincère. Pas de mais, pas de justifications. Courte et sincère.” Une seule demande, une seule condition ; le contrat est simple, et si Joanne a un peu de respect pour l’amour que je lui porte, alors elle le remplira sans en faire plus, sans en faire moins. J'estime que je le mérite. La vérité, et de l'honnêteté. “Est-ce que tu as des sentiments pour lui ? Pas de l'affection, je connais ces subtilités de langage, ça ne fait qu'éviter de répondre à la question. Des sentiments. Est-ce que tu l'aimes ?”
we all are living in a dream but life ain’t what it seems
Il était extrêmement rare que Joanne lève la voix, qu'elle se mette à crier. C'était surtout lorsqu'elle se sentait totalement dépassée par la situation et c'était le cas. Ce n'était peut-être peut-être pas la salve de questions en elle-même qui la déroutait totalement, c'était le fait que Jamie lui mette bien en face d'elle la véritable situation, telle qu'elle était. L'équivalent d'une belle gifle qui lui faisait rendre compte de la complexité de la situation. L'esprit de Joanne était encore très enfantin à ce sujet. Elle vivait son paradis avec Hassan, puis avec Jamie. On ne l'avait jamais confronté à de très grosses décisions, ou du moins celles qu'elle devait prendre étaient relativement guidées, prédites. Là, tout ne reposait que sur ses frêles épaules, déjà bien fatiguée. Elle remontait à peine la pente, et voilà qu'elle avait l'impression d'être retombée encore plus bas qu'avant. Elle ne pouvait que s'en prendre à elle-même, elle en avait parfaitement conscience. Oui, Jamie avait raison depuis le début. Ce n'était pas pour autant qu'elle le dénigrait. Il avait et aura toujours beaucoup d'importance pour elle. Sinon, elle n'aurait par exemple pas songé à lui offrir un cadeau d'anniversaire. Le moment était inadéquat et la manière dont elle lui avait donné été un peu maladroite. Mais l'intention y était, au nom de tout l'affection et la tendresse qu'elle avait pour lui. Elle doutait qu'il y croit, si elle le lui disait. Poli, Jamie la remercia et en regardait tout de même le contenu. Elle ne savait même pas si les boutons de manchette lui plaisaient. Elle ne lui en voudrait pas vraiment s'il comptait les jeter plus tard. Le beau brun finit par s'asseoir à côté d'elle, tout aussi las qu'elle. Mais certainement encore plus triste et peiné que n'importe qui. Joanne se sentait véritablement navrée pour lui. Elle était surprise qu'il ne s'énerve pas, qu'il ne s'emporte pas d'une quelconque manière. Peut-être était-ce à cause des traitements qu'il prenait. Le ton qu'il employait était calme malgré tout le reste de ses émotions. Il avait l'impression qu'elle s'était tout simplement moquée de lui, qu'elle avait manqué de sincérité et d'intégrité par rapport à lui alors que ce n'était pas le cas. Bien sûr qu'elle adorait rêver des projets qu'ils avaient encore en commun. Mais Jamie semblait avoir eu le temps de bien s'être dit qu'il ne serait jamais à la hauteur par rapport à Hassan. Il se comparait constamment à lui et c'était un aspect de Jamie qu'elle n'aurait jamais imaginé. Comme s'il s'agissait d'une sorte de compétition en somme. Cela montrait un peu qu'il n'avait pas totalement confiance en lui, du moins pas autant qu'il ne le laissait croire. Le ton qu'il employait faisait comprendre à Joanne qu'il ne valait peut-être pas mieux qu'elle dise quoi que ce soit, à moins d'empirer son cas. Elle le regardait d'un air profondément désolé, sans trop savoir quoi dire. Elle n'osait même plus le toucher. Joanne aurait aimé lui dire que rien n'était perdu, rien ne l'était vraiment selon elle. Le beau brun disait qu'il ne voulait pas imposer à Joanne un choix – à sa grande surprise –, mais il voulait lui demander une chose. Il n'attendait qu'elle de l'honnêteté. Il ne voulait pas qu'il utilise les mêmes subterfuges dont lui avait fait l'usage lorsque Joanne lui avait demandé la même chose concernant Hannah. Pas d'affection, pas de tendresse. Une question fermée, où il n'y avait que deux réponses de possible. Joanne s'était décidée d'être honnête avec lui mais surtout avec elle-même. Elle restait longuement silencieuse, à regarder encore et toujours la surface de l'eau. "Oui." lui souffla-t-elle tout bas. Il fallait qu'elle se l'admette. Elle ne pouvait pas éternellement se dissimuler derrière des mots différents que l'amour. Si elle s'accrochait autant à lui, ce n'était pas juste par culpabilité. Non, il y avait encore cette foule de sentiments pour lui qu'elle se refusait de voir. Mais les sentiments qu'elle avait pour Jamie n'en était pas moins réels, mais c'était quelque chose qu'il ne voulait certainement plus entendre aussi. Et maintenant quoi ? Ils allaient tout de même continuer à sa voir, avec la garde alternée de Daniel. Elle se demandait bien comment les choses allaient se passer. Mais à ses yeux, tout semblait bien terminer. Il ne voudrait plus d'elle, maintenant qu'elle l'avait écoeuré, il allait certainement fermer définitivement son coeur. "Comment... Comment ça va se passer, maintenant ?" lui demanda-t-elle après de très longues et lourdes minutes de silence. "Ca va être... Comme quand on ne se parlait plus ? Juste des formalités quand tu viendras chercher Daniel ou lorsque je te le ramènerai ?" demanda-t-elle avec une certaine timidité, ne sachant pas de quoi parler d'autre. Ce n'était pas non plus quelque chose qu'elle voulait avec lui. Ca ne leur ressemblait tout simplement pas. Il aurait été idyllique qu'elle puisse songer à ce qu'ils puissent rester tout de même proches, mais elle l'espérait secrètement. Elle allait respecter les désirs de Jamie, ce qu'il voulait qu'elle fasse, même s'il lui demandait de rester loin de lui. Elle tenait énormément à lui malgré tout. De l'affection, dirait-on.
We all are living in a dream but life ain’t what it seems, oh everything’s a mess. And all these sorrows I have seen they lead me to believe that everything’s a mess.
Tout le monde sait que je n’ai qu'une parole. Mes promesses sont sacrées, et aucun mot n’est jamais utilisé pour rien. Tout est pesé, mesuré, calculé, réfléchi. C’est pourquoi mes paroles peuvent être d'autant plus radicales et blessantes lorsque je perds mes moyens ; même dans de pareils moments, les syllabes incisives sont le parfait reflet de ma pensée du moment, acérées comme des lames de rasoir. Et c'est pourquoi tout ce qui n’est pas à la hauteur de mes idées, de mes émotions, ne traverse pas mes lèvres. Plutôt garder la bouche que de me faire mal comprendre, d'être approximatif. Quand j'ai dit que Joanne n'aurait pas de choix à faire, c'était la vérité. Puisqu'elle est incapable d'en faire un, je le ferai pour elle. J'ai un avantage ; je sais ce que je veux. Je veux une très longue liste de choses à vrai dire, mais par dessus tout, à cet instant, je veux la vérité. Le silence s'éternise et mon coeur bat de plus en plus fort. De plus en plus lentement. Un bruit de tambour, le rythme de la marche du condamné. Ça frappe jusqu'à mes tempes, ça fait trembler mon corps, ça me retourne l'estomac. La vérité vient, se lie autour de mon cou, et me jette dans le vide. Je ne peux ni respirer, ni me débattre. Je sens mes muscles se raidir, puis se secouer sous un frisson froid. Bien sûr qu'elle l'aime. La nausée serre ma gorge, un vertige me tourne la tête. Un de ces moments où l'on se sent hors de son corps, spectateur impuissant de sa vie. Quand on sent une obscurité vous envahir, vous caresser, vous geler au fil des secondes comme un cadavre. Quand vous ne voyez plus rien, n’entendez plus rien, et vous finissez par douter d'être encore conscient. Désorienté, cette réalité niée ne vous est pas familière, trop cruelle, trop terrible. Il y a cette boule dans ma gorge qui semble bloquer tout mon corps à elle seule. Juste là, entre les deux cervicales. Bien sûr qu'elle l'aime, j'suis bête. Complètement stupide, sot, ahuri, abruti. Qu'est-ce que j'espérais… je m'attendais à cette réponse pourtant. Je la connaissais depuis plus longtemps que Joanne elle-même. C'est tout autre chose de l’entendre, qu'elle l'articule, qu'elle le pense. C’est beaucoup trop réel. Et beaucoup trop douloureux. Avant de le remarquer, de le sentir venir, de l'empêcher, de grosses larmes ont roulé sur mes joues. Je me force à respirer, plus par nécessité que par envie. L’air vibre dans ma gorge, brûlant, transportant le goût amer d'une nausée tenace. Toujours mes membres sont tétanisés, mes yeux fixés sur le fleuve. La fièvre fait son entrée, effet de rejet de cette information. Ma bouche s'assèche et se tapie de scies. Elle n’a jamais rien pensé de tout ce qu'elle m’a dit. Pas. Un. Mot. Elle m'a bercé d'illusions. Et maintenant j'ai la certitude que je ne récupérerai jamais ma famille. Je pensais les yeux secs ; les revoilà débordants de peine. Elle s’est moqué de moi, elle n’a jamais eu la moindre intention de reconstruire quoi que ce soit. J’étais tellement aveuglé par l’espoir. Par l'amour. Maintenant toute une armée marche sur mon coeur, le piétine, le transperce, le coupe en morceaux, en attache d'autres et continue le massacre jusqu'à ce qu'il ne reste rien. Quand je reviens à moi, il me semble avoir bu bien trop. La même impression que le monde tourne à l’envers. Le sentiment que je cherche à gagner depuis des mois, elle a offert à quelqu'un d'autre. À celui que je hais. Au seul que je ne pourrais jamais détrôner. J'ai été si naïf. Si naïf… Je tire un trait sur ce si parfait portrait de famille. Sur tout, à vrai dire. Le brouillard obscur se dissipe. Mes yeux revoient le fleuve et les lumières. Ma tête est lourde, mon crâne pris d'une douleur lancinante. Je devine les larmes qui finissent leur course en bas de mon menton. Machinalement, vidé et soudainement épuisé, je me relève. “Je dois y aller.” je souffle, la voix étouffée. La mascarade a assez duré. Le choix étant tout indiqué, c'est sans un mot de plus que je quitte Joanne. Je ne prête plus attention au reste. Cette obscurité m'empêche de voir, d'entendre, mais sûrement pas de ressentir cette détresse de plein fouet. Je devine la silhouette de ma voiture, mon refuge pour mes jambes qui lâchent et mes mains qui tremblent. Mon front se pose sur le volant, désormais la peine inonde mes joues. Ma bouche ouverte n'émet aucun son malgré mon envie d'hurler cette douleur. Je pourrais passer ma main à travers ma poitrine pour crever moi-même ce coeur qui me fait tant souffrir, le faire taire, le tuer de mes propres mains, qu'on en finisse immédiatement avec la douleur. Plus tard, dans cette semi-conscience, ce choc, je parviens à conduire la voiture jusqu'à chez moi. Le cadeau de Joanne est resté sur le quai.