FÉVRIER 2004 ~ Étirant ses bras au dessus de sa tête en laissant échapper un soupir d’aise, Rhett avait récupéré son gobelet posé dans l’herbe à côté de lui et attrapé la paille entre ses lèvres pour engloutir ce qui restait de son café glacé. La chaleur étouffante de cette fin d’été avait poussé la plupart des élèves près des berges des trois lacs que comptait le campus de l’université, et le petit groupe de cinq avait joué des coudes pour obtenir cette place à l’ombre si précieuse. La tête reposant sur le flanc d’Hassan, Leilani avait entrouvert un œil et cherché à tâtons le poignet du brun pour le soulever et pouvoir observer l’heure sur le cadran de sa montre « On a entraînement dans vingt minutes. » L’air las, la jeune femme n’avait pour autant pas fait le moindre mouvement de nature à laisser penser qu’elle avait l’intention de bouger, tandis que son commentaire arrachait à sa camarade un grognement incertain. Assise contre le tronc de l’arbre sous lequel ils avaient élu momentanément domicile, cette dernière cachait ses yeux mi-clos derrière une paire de lunettes de soleil jaunes pissenlit, et caressait machinalement les cheveux d’Andrea qui la tête posée contre sa cuisse complétait leur fine équipe de paresseux. Redressant sa tête de l’herbe dans laquelle il s’était allongé, Hassan avait vérifié l’heure à son tour en réprimant un bâillement « J’dois être au boulot dans une heure. » Autrement dit lui aussi allait devoir sortir de sa léthargie et se bouger un peu. « Vous venez ce soir ? » Plus vif que les autres, sans doute parce qu’il était le seul à avoir quitté la position allongée depuis déjà plusieurs minutes, Rhett demandait à la cantonade mais avait adressé son regard à Hassan en posant sa question « Il a invité la rouquine de la bibliothèque mais il a peur de se retrouver tout seul avec elle. » avait de son côté fait remarquer Leilani avec une pointe de moquerie. « N’importe quoi. » Roulant des yeux, le blond avait haussé les épaules « Je leur ai proposé de passer, à elle et à son autre copine, mais bon si ça se trouve elles viendront même pas. » Se redressant sur l’un de ses deux coudes Hassan avait laissé ses lunettes de soleil glisser sur le bout de son nez « La petite blonde de la dernière fois ? » Se redressant à son tour, Leilani avait retiré l’élastique autour de son poignet et s’était assise en tailleur pour faire attacher ses cheveux en natte. « Ouais. Je passe te chercher ? » - « Depuis quand tu te donnes autant de mal pour des premières années ? » Repliant ses longues jambes après qu’Andrea les ait libérées, Marian avait affiché un rictus mi-curieux, mi-moqueur « Bon, ça va les questions, vous venez oui ou merde ? » Époussetant un brin d'herbe sur le tee-shirt de Leilani, Hassan avait laissé échapper un rire « Mais oui, on vient. Mais je vous rejoindrai, j’sais pas à quelle heure je vais terminer, avec l’inventaire. » Le brun continuait de s'exécuter de bonne grâce dans l’épicerie qui l’avait embauché tout l’été, malgré la fin de son contrat approchant à grands pas. « T’inquiète pas, on sera là pour essuyer tes larmes si ton rencard t’a pris pour un de ces pervers de sportifs et décide de ne pas venir. » Offrant un rire espiègle et déposant un baiser sur la joue de Rhett, la brune avait enfilé son sac à dos sur ses épaules et échangé un sourire entendu avec Marian « Fais gaffe à qui tu traites de pervers, jeune fille. » Tirant la langue avec candeur, la brune avait attrapé le bras de la blonde et toutes les deux étaient finalement parties de leur côté pour rejoindre le stade d’athlétisme, Rhett et Andrea partant du leur pour rejoindre la résidence étudiante où ils partageaient une chambre. Rituel savamment rodé, Hassan avait lui pris la direction de la gare routière en priant pour ne pas cuire comme un ravioli dans le bus qui le ramènerait à Logan City.

La nuit tombée avait rendu l’air plus respirable, et sortant de la minuscule douche dont disposaient les vestiaires du personnel l’étudiant avait fourré à la va-vite son uniforme dans son casier après avoir retrouvé les vêtements qu'il portait avant d'arriver à l’épicerie. L’inventaire s’était éternisé et il avait renoncé à l’idée de repasser à l'appartement pour se changer, quittant le commerce presque comme un courant d'air et s’engouffrant dans le tramway juste à temps pour ne pas louper le départ. Les doigts butant contre le paquet de cigarettes dans la poche de son jean, il en avait allumé une à peine descendu et l'avait terminée juste à temps pour arriver à destination et écraser son mégot dans le cendrier dressé à l'entrée du pub. « Hassan ! » Alors qu'il scrutait la foule la voix de Marian l’avait interpelé, et remarquant sa silhouette blonde près du bar il s’était faufilé entre les gens pour les rejoindre elle et une autre membre du club d’athlétisme dont il peinait toujours à retenir le prénom « T’as semé les autres ? » Déposant une main amicale sur l’épaule de la jeune femme, Hassan avait profité que le barman passe non loin d’eux pour commander un Perrier avec menthe et citron pendant que Marian répondait « Andy et Lili sont là-bas. » en désignant Andrea et Leilani occupés parmi d’autres sur la piste de dance improvisée « Et Rhett est quelque part par là, il fait du baby-sitting. » La pointe de jalousie déjà un peu perceptible dans la voix de la jeune femme plus tôt dans l'après-midi semblait moins voilée maintenant que le concerné était à proximité. Après s’être fréquentés quelques semaines Marian et Rhett avaient préféré rester bons amis, mais malgré cela la blonde gardait une possessivité envers lui, sans doute inconsciente. Attrapant son verre et piquant un baiser sur la joue de la jeune femme, Hassan l’avait laissée en compagnie de son amie et s’était mis en quête de son acolyte. Reconnaissable entre mille même de dos, la carrure athlétique de Rhett avait finalement attiré son attention près de l’une des alcôves que comptait le pub, et posant une main solide sur son épaule pour s’annoncer le brun s’était dévoilé à la fois à Rhett et aux deux jeunes femmes qui l'accompagnaient « Je vois que les manières de ce grand dadet ne vous ont pas dissuadées de venir, c’est un bon point pour lui. » Premières années, baby-sitting, le brun comprenait un peu mieux la pique derrière le commentaire. Affichant un sourire enjoué il ne s’en était pas moins empressé de se présenter, annonçant « Hassan. » en tendant la main vers la rousse au chemisier rouge tandis que ses yeux, eux, se posaient déjà sur la blonde à la robe d’été qui se tenait à côté d’elle.

C’était principalement la curiosité, ce qui avait poussé Hassan à ne pas faire faux-bond à Rhett et aux autres alors même qu’à peine sorti de l’épicerie le corps du brun aurait tout donné pour aller s’écrouler dans son lit et ne plus bouger un orteil jusqu’au lendemain matin. Tous les quatre auraient compris et ne s’en seraient pas formalisé, probablement avaient-ils même déjà fait une croix sur sa venue à en juger par l’heure qu’indiquait la montre d’Hassan lorsqu’il était descendu du tramway, mais reléguant sa fatigue dans un coin de son crâne leur camarade était bel et bien en chemin, sans avoir réellement eu besoin de se faire prier qui plus est. Parce qu’aux idées parfois farfelues, parfois foireuses de Rhett le brun était toujours le premier à accorder le crédit nécessaire, et que là où il y avait chez Leilani et Andrea amusement et chez Marian une pointe de cynisme à peine dissimulée, le rencard proposé par son équipier n’inspirait à Hassan qu’une curiosité pavée de bonnes intentions. Là où l’une voyait du baby-sitting, lui voyait deux recrues potentielles pour le bureau des étudiants … Deux recrues au physique tout sauf désagréable, Rhett trouvant à la rouquine des qualités qu’Hassan, lui, retrouvait plutôt chez la petite blonde qui semblait ne jamais la quitter d’une semelle. Pas à la bibliothèque, en tout cas. Sa cigarette écrasée avant d’entrer et son verre récupéré au bar pour hydrater sa carcasse, le brun s’était frayé un chemin parmi la foule compacte entassée dans le pub jusqu’à repérer la carrure de Rhett, et s’était invité dans la conversation en glissant une boutade destinée à son acolyte. « On ne va pas non plus se laisser impressionner si facilement. » La réponse le satisfaisant assez pour lui arracher un sourire franc, le brun s’était présenté en tendant une main assurée vers son interlocutrice « Sophia. Et voici Joanne. » Sa main quittant celle de Sophia pour aller à la rencontre de celle de sa voisine, Hassan avait répété « Joanne. » comme pour imprimer le prénom dans un coin de sa tête et adressé un « Enchanté. » qui, s’il s'adressait aux deux, s’était fait sans qu’il n’ait quitté la blonde des yeux. « Je commençais à croire que tu t’étais perdu en chemin. » avait de son côté fait remarquer Rhett avec une pointe de taquinerie, avant de le mettre au fait de ce sur quoi portait la conversation avant qu’il ne l’interrompe. Banalités étudiantes, s’il en fallait, échange de points de vue entre deux regards neufs sur le campus et ce qu’il avait à offrir, et deux regards rodés sur la question maintenant qu’ils entamaient leur cinquième année d’études.

Si les deux garçons semblaient habitués à partager la conversation et se renvoyaient la balle avec la même aisance que lorsqu’ils étaient sur un terrain de sport, Sophia faisait de son côté la conversation pour deux, Joanne se contentant d’écouter à moins que la question ne lui soit directement adressée, Hassan observant à la dérobée tandis qu’elle suivait silencieusement la conversation, et croisant parfois furtivement son regard avant qu’elle préfère aller le poser ailleurs. « Alors, l’équipe de rugby, hein ? » Il y avait régulièrement dans le ton de la rouquine quelque chose de moqueur, ou plutôt de taquin, lorsqu’elle s'adressait à eux, à Rhett plus particulièrement, mais faisant mine de ne rien remarquer – à moins qu’il ne remarque réellement rien, mais Hassan en doutait – ce dernier répondait toujours avec une sincérité presque candide. « Vous devriez venir voir un de nos matchs, à l’occasion. Il y a une sacré ambiance, à chaque fois. » Semblant jauger mentalement l’idée, la jeune femme avait concédé un simple « Mmmh … pourquoi pas, oui. » que sa camarade n’avait pas plus confirmé qu’infirmé, Hassan rajoutant à son tour comme pour faire pencher la balance « Faut pas croire ce qui se raconte, ça ne se résume pas à trente gars qui courent après un ballon, c’est plus subtil que ça. » et se heurtant au même ton que Rhett il l’avait entendu rétorquer « Subtil, vraiment ? » avec un petit sourire en coin, avant de finalement démontrer à grand renfort de références sportives qu'elle connaissait et suivait ce sport avec bien plus d’intérêt qu’elle n'avait voulu le faire croire, donnant lieux à quelques confrontations de points de vue concernant la saison sportive en cours. Leurs verres se vidant au rythme de la conversation, Rhett le premier avait fait remarquer « Il se fait sec, par ici. » et obtenu l’approbation générale. « Sophia, tu viens avec moi ? Je pourrai pas ramener les quatre verres avec le monde qu’il y a. » Tâche ardue mais pas impossible, quoi que lui offrant l'excuse nécessaire pour accaparer la jolie rousse l'espace de quelques instants. Échangeant avec Joanne un regard dont elles deux pouvaient bien savoir le sens, Sophia avait suivi Rhett qui fendait déjà la foule en direction du bar, tandis que visiblement incertaine la blonde justifiait « Désolée pour Sophia. Elle aime juste … beaucoup parler. » en jouant nerveusement avec ses doigts, puis revenait coincer une mèche de cheveux derrière son oreille. « Oh, non, c'est cool. Elle a l'air d’avoir assez de conversation pour deux. » avait-il alors répondu avec amusement, ayant bien remarqué la tendance de Sophia a employer le « nous » pour inclure la blonde à la conversation même lorsque cette dernière n’osait pas le faire. « Et du coup, d’où est-ce que tu viens ? » La conversation précédente l’avait en effet amené à conclure que les deux jeunes femmes cherchaient encore leurs marques et n’étaient pas du coin, la pointe d'accent de Joanne n’étant qu’un indice supplémentaire allant dans ce sens. « Tu verras, c'est une chouette ville ici, y’a des tonnes de trucs à faire et à visiter. Avec le bureau des étudiants on organise un jeu de pistes par équipes à la fin du mois, pour aider les nouveaux à se repérer dans le campus et en ville, si jamais ça vous dit. » Intérieurement il était certain que Rhett le bénirait s’il était là, de proposer une deuxième sortie alors qu'ils n’étaient qu'au beau milieu de la première. « Ça fait longtemps que vous vous connaissez, Sophia et toi ? » À les voir on pouvait aisément penser que oui, mais lorsque l'on venait de loin on avait tendance à vite se raccrocher aux personnes que l’on rencontrait, alors cela ne voulait rien dire.

Il avait presque fallu attendre que Sophia et Rhett s’éloignent pour chercher de quoi se ravitailler pour qu’Hassan ait enfin l’occasion d’entendre la voix de Joanne pour plus de deux secondes consécutives. Pas parce qu’elle donnait l’impression de préférer être n’importe où mais pas là, mais plutôt parce qu’elle semblait se complaire dans le fait de laisser sa copine mener la conversation en se contentant d’acquiescer, n’ouvrant finalement la bouche que lorsque la question lui était directement adressée. Pas pour autant inquiet à l’idée d’un gros blanc éventuel maintenant qu’ils se retrouvaient momentanément en tête à tête, le brun avait tenté d’en apprendre un peu plus sur la jeune femme, par curiosité pure, mais aussi parce qu’il aimait bien savoir à qui il avait affaire de manière générale. « Je viens de Perth. Je sais, c’est pas la porte à côté. » Il avait esquissé un sourire « Pas vraiment, oui. Mais ça explique ce léger accent. » Accent auquel il trouvait quelque chose de raisonnablement exotique, et de pas désagréable. « C’est surtout pour les études, pour les stages que j’aimerais faire aussi par la suite. » lui avait-elle alors expliqué « Je suis dans l’histoire de l’art, j’aimerais bien devenir conservatrice. Traîner à longueur de journée dans un musée, c’est quelque chose qui me plaît beaucoup. » Acquiesçant d’un signe de tête, il avait fait remarquer « C’est chouette, de savoir dès le départ ce que tu veux faire à l’issue de tes études. » Dieu sait que ce n’était pas le cas de tous les élèves qui s’inscrivaient à l’université, pour certains la vocation venaient au fil des études, pour d’autres elle restait encore une grande inconnue même une fois le diplôme en poche. « J’ai déjà eu largement l’occasion de faire le tour des musées à Perth, et je sais qu’ici, certains musées peuvent offrir des promesses d’embauche si on fait des stages en plus, et je veux tenter ma chance. » La blonde semblait déjà avoir des idées bien arrêtées sur la question, et semblait donc avoir trouvé sa vocation bien avant que vienne le temps de choisir son domaine d’études supérieures. « C’est bien, j’aime bien les gens qui savent ce qu’ils veulent. » Se permettant de son côté de lui vanter les mérites de la ville comme tout bon natif de Brisbane qui se respectait, Hassan s’y sentant suffisamment bien pour n’avoir jamais envisagé de vivre ailleurs jusqu’à présent, il avait aussi glissé un mot sur l’une des activités organisées par le bureau des étudiants, auquel il appartenait. Une information qui aurait pu se contenter d’être totalement désintéressée si l’envie d’avoir une excuse pour revoir les deux jeunes femmes n’avait pas doucement germé dans son esprit. « J’avoue que je n’ai pas vraiment pris le temps de visiter pour le moment, je suis arrivée juste quelques jours avant la rentrée et … J’ai un très mauvais sens de l’orientation aussi, je me perds assez facilement. » Se laissant un peu malgré lui attendrir par le rire léger de Joanne, il avait accueilli la suite avec une pointe de satisfaction difficilement dissimulée « Mais pourquoi pas, oui, pour le jeu de pistes. Je vais voir avec Sophia, mais personnellement, l’idée me plait. Je ne suis pas certaine que l’on arrivera à me faire retenir tous les endroits, mais ça pourrait être chouette. » Se gardant bien de faire remarquer que convaincre Sophia s’avérait un peu plus compliqué que de la convaincre elle, il en avait d’ailleurs profité pour demander si les deux jeunes femmes se connaissaient depuis longtemps, possiblement avant le début de l’année scolaire. « On s’est connues à l’Union College, on loge toutes les deux là-bas. On s’est rencontrées, le jour même où je suis arrivée. Et comme on suit les mêmes cours, on ne se lâche pas vraiment. » Amitié récente, donc, bien qu’Hassan ne doute pas que lorsque l’on se retrouvait loin de sa famille ou de son cercle d’amis comme c’était le cas pour Joanne – et peut-être pour la rousse, également – on ait rapidement tendance à se raccrocher aux personnes avec qui l’on avait su sympathiser dès le début. « Oh, vous avez peut-être déjà croisé Leilani alors ! C’est une amie de Rhett et moi, elle est quelque part là-bas, je crois … » Disant cela il avait désigné la masse de gens occupés à se dépenser sur la musique ambiante. « Elle viendra peut-être un peu tout à l’heure, quand elle aura mal aux pieds ou trop soif. Mais elle est à l’Union College aussi. » Et partageait avec Hassan le fait d’avoir obtenu un cursus dans cette université grâce à une bourse, entretenue par ses résultats sportifs.

Se laissant – plus qu’il ne l’aurait imaginé – séduire par l’impression d’une fille avec de la suite dans les idées et qui avait précisément ce qu’elle voulait, sous ses airs timides, le brun s’était presque laissé surprendre par le retour de Rhett et Sophia, le blond lançant un « Il ne te racontait pas trop de bêtises, j’espère ? » gentiment moqueur avant de leur tendre leurs verres. Nouvelle tournée de bière pour les deux jeunes femmes, la même chose pour Rhett, et un Bitter Pellegrino pour Hassan. « Et c’est toi qui dit ça ? » Ricanant du même ton moqueur, le brun avait laissé Joanne expliquer quant à elle « On … On faisait juste un peu connaissance et Hassan m’a parlé du jeu de pistes organisé par le bureau des étudiants. » Cachant mal le sourire en coin qui lui avait échappé, Rhett avait jeté une œillade vers Hassan qui lui avait répondu par un clin d’œil discret ; Évidemment que l’idée lui plaisait. « Ça pourrait être chouette, ouais ! Ou on pourrait aussi une fois visiter par nous-même, à l’occasion. Ce week-end, par exemple. » Haussant les épaules, la rouquine n’avait pas laissé le temps aux deux hommes ou à son amie de répondre avant d’ajouter « Rhett m’a parlé de cet autre pub en ville qui diffuse des matchs de rugby en soirée. On s’est dit que ça pourrait être sympa à faire, un de ces quatre, histoire d’attendre les premiers matchs de la saison de l’équipe universitaire. Histoire de nous montrer toute la subtilité de ce sport. » Le côté volontairement persifleur de Sophia n’étant pas non plus pour déranger Hassan, qui avait accueilli la réflexion d’un léger rire. S’adressant maintenant à Joanne elle avait ajouté « Je lui ai dit qu’on y réfléchirait s’ils sont sages et lorsqu’ils nous auront suggéré une date qui nous conviendra. » Cela en faisant donc en réalité deux qui semblaient du genre à savoir ce qu’elles voulaient. « Et tu as oublié de préciser qu’on était tout le temps sage ? Tu manques à tous tes devoirs, mon vieux. » Affichant une moue faussement boudeuse le jeune homme avait protesté « C’est exactement ce que j’ai dit. Faut croire que cette demoiselle ne m’a pas cru sur parole … » Papillonnant des yeux la concernée avait simplement justifié « Ou bien il faut croire que je suis plus dure en affaires que j’en ai l’air. » et adressé un regard fier vers Joanne. Trempant un instant les lèvres dans son verre, Hassan avait fini par secouer la tête « Ce week-end et la semaine prochaine ça va être compliqué de mon côté entre les entrainements et le boulot, mais après ça je suis sûr qu’on pourra trouver une date qui convient à tout le monde. » S’il y avait bien une chose que lui permettrait le tutorat que ne lui permettait pas son boulot à l’épicerie, c’était d’avoir beaucoup moins de difficultés à jongler entre ses obligations et son temps libre, bien qu’il ne crachait pas dans la soupe et était reconnaissant à son employeur actuel de l’avoir gardé durant les deux années écoulées. Son salaire faisait un peu grise mine à côté de celui de son frère, dont les études étaient terminées, mais Hassan participait malgré tout à la hauteur de ce qu’il pouvait aux frais engendrés par leur colocation.

La conversation avait repris, et interpelant les deux garçons Leilani s’était frayée un passage jusqu’à eux, Andrea dans son sillage. Le même teint hâlé et la même chevelure brune donnait la fausse impression que les deux jeunes gens avaient un air de famille, mais pourtant il n’en était rien et l’accent espagnol à couper au couteau d’Andrea ne laissait aucun doute quant au statut d’étudiant en échange universitaire du jeune homme. Les joues rosies par la chaleur – et probablement par les quelques verres déjà bus – Leilani avait renoué correctement le bas de son tee-shirt autour de sa taille et sautillé jusqu’à eux avant de passer son bras autour de celui d’Hassan. « J’ai chaud ! Tu me donnes un peu de ton verre ? » Lui tendant le dit verre, le brun s’était occupé de faire les présentations « Voilà Leilani, et Andrea. » La jeune femme offrant un immense sourire tandis que l’étudiant lui adressait un signe de tête et un « Enchanté. » articulé de son accent chaleureux, Hassan avait repris « Et voilà Sophia, et Joanne. Elles sont résidentes à l’Union College. » S’exclamant avec enthousiasme « Oh, comme moi ! Peut-être qu’on s’est déjà croisées ? J’ai la chambre 722. » Leilani avait dodeliné sa tête, tandis que Sophia répondait « C’est assez éloigné des nôtres, il me semble. Mais je suis sûre qu’il y aura des raisons de se croiser, l’année ne fait que commencer. » Souriant à nouveau bien que semblant avoir une petite réserve quant à l’arrivée des deux nouveaux venus, la rousse avait écouté tandis que Rhett questionnait « Marian n’est pas avec vous ? » et se voyait répondre par un Andrea à l’anglais hésitant « Oh, je crois elle est déjà repartir. Elle pas venue vous dire bonsoir ? » Évidemment que non, et pas besoin d’avoir dix ans d’études pour deviner un peu pourquoi. S’éclaircissant la gorge Hassan avait bu une dernière gorgée de son verre tandis que Leilani posait une tête fatiguée contre son épaule « On devrait penser à se mettre en route nous aussi, j’avais pas vu l’heure, on doit être sur le terrain à sept heure et quart. Vous rentrez avec nous ? Rhett et Andrea sont au Duchesne College, c’est pas très loin de l’Union. » Seul à ne pas vivre en cité universitaire – bien au-dessus de ses moyens – mais aussi seul à être originaire de la ville, Hassan avait pris l’habitude de faire, parfois, un crochet par les résidences universitaires, Rhett ou Leilani lui offrant de temps à autres l’hospitalité de leur duvet de secours lorsqu’il était trop tard ou que le brun avait une raison ou une autre de vouloir éviter son appartement. Ou son frère. Chacun terminant son verre, Leilani se rabattant à nouveau sur celui d’Hassan lorsque Rhett lui avait fait remarquer que sa bière était une solution plus alcoolisée que raisonnable, la jeune femme avait finalement lâché le bras du brun et entraîné Andrea à sa suite pour ouvrir la marche jusqu’à la sortie du bar. Contre toute attente la température n’était pas beaucoup tombée malgré la nuit, mais l’air était malgré tout plus respirable qu’à l’intérieur, et l’absence de musique reposait un peu leurs tympans. Rhett et Sophia en grand débat concernant le déclin sportif d’un des membres des Waratahs, Hassan avait ralenti un peu le pas pour finalement fermer la marche en compagnie de Joanne. « Du coup, c’est la première fois que tu quittes Perth pour une aussi longue période ? Pas trop le mal du pays, pour l’instant ? » La plage artificielle de Brisbane devait lui sembler bien ridicule, elle, en tout cas. Rien d’étonnant au fait que les amateurs de baignade ou de sable préfèrent s’imposer une heure de route pour aller jusqu’à Gold Coast. « J’ai le droit à un indice, concernant vos critères pour décider si on est assez « sages » ou pas pour espérer vous revoir au pub ? » avait-il finalement demandé en baissant d'un ton, un rictus amusé sur le visage, et les mains s’enfonçant dans les poches de son jean tandis que son regard glissait sur la blonde.

Le lieu et les circonstances n’étaient pas forcément des plus adaptées pour avoir une véritable conversation à deux, et pour Hassan l’idée n’était de toute façon pas là lorsqu’il avait suivi Rhett dans son initiative et consenti à faire un crochet par le pub plutôt que de rentrer directement chez lui après le travail. Le brun était de toute façon ainsi fait, un peu de musique, un verre et quelques visages familiers – ou non – valaient mieux que n'importe quelle autre option qui aurait pu s'offrir à lui. La fatigue et la journée chargée qui les attendait le lendemain – au moins en ce qui les concernait Rhett et lui – aidant le jeune homme avait malgré tout fini par proposer qu'ils amorcent un retour au bercail, le fait qu'ils résident (presque) tous dans le même périmètre repoussant néanmoins à un peu plus tard la séparation du petit groupe. D'abord plongé dans la discussion autour du ballon ovale à laquelle il participait lui aussi avec intérêt, Hassan avait fini par remarquer le ralentissement du pas de Joanne, qui par ailleurs n'avait pas ouvert la bouche depuis leur sortie du pub et semblait avoir besoin qu'on lui tende des perches pour entretenir une conversation. Le brun n'aimait pas voir quelqu'un que l'on mettait de côté ou qui se mettait de côté soi-même, et avait toujours ce besoin maladif d'essayer de trouver une petite place où caser tout le monde. Nul doute que c'était ce qui le rendait aussi à sa place au sein du bureau des étudiants. « Pour le moment, ça peut aller, oui. » lui avait en tout cas assuré Joanne tandis qu'il soulevait la possibilité pour elle d'un début de mal du pays. « Je suppose que ça viendra plus tard. Pour le moment, j'ai surtout hâte de prendre mes marques, de faire mes preuves, aussi. » Un peu surpris, se demandant bien à propos de quoi et auprès de qui avait-elle besoin de prouver quelque chose, il n'avait cependant pas questionné et s'était contenté de hocher la tête lorsqu'elle avait ajouté « Ça fait beaucoup de changements d'un coup, ce n'est pas tout le temps facile, mais je me dis que le jeu en vaut la chandelle. » et était tombé d'accord avec elle sur le principe « T'inquiètes, je suis sûr que tu trouveras vite tes marques. En plus il parait que vous êtes chouchoutés à l'Union. » Il fréquentait Leilani depuis suffisamment longtemps maintenant pour le savoir. « Qui sait, si ça se trouve d'ici à la fin de tes études Brisbane te plaira tellement que tu voudras plus en partir. » Il avait haussé les épaules avec une certaine nonchalance, sans doute pour ne pas donner l’impression qu’il vendait sa ville avec autant de ferveur qu’un employé de l’office du tourisme ; Il n’en pensait pas moins, cela dit. Décidant de changer de sujet de conversation, et baissant encore d’un cran le niveau sonore de sa voix, le brun avait tenté l’air de rien de trouver comment amadouer la rouquine en utilisant la blonde, pour ainsi dire. « Surtout les critères de Sophia, tu veux dire. » lui avait d’ailleurs confirmé Joanne, arrachant à Hassan une moue entendue. « Je l’espère vraiment, que l’on s’y reverra. » avait-elle de son côté affirmé comme si contrairement à Sophia son choix à elle était déjà fait. Et tandis que devant Rhett les interrompait en hélant « Vous êtes sacrément lents ! » Hassan avait fait un demi-tour et effectué quelques pas en marche arrière pour adresser à la blonde un clin d’œil que les autres ne verraient pas, avant de décréter « Je compte sur toi pour convaincre ta tête de mule de copine, alors. » Rattrapant la distance qui les séparait du reste du groupe, bientôt imité par la jeune femme qui avait pressé le pas elle aussi, Hassan s’était à nouveau laissé porter par les conversations quelles qu’elles soient, jusqu’à ce que tous atteignent les abords de l’Union College. Tandis que Sophia prenait poliment congé et que Leilani se targuait d’un « Bonne nuiiiiiit. » qui laissait peu de doute quant à son état alcoolisé, Joanne s’était attardée un instant du côté du brun « J’ai vraiment passé une bonne soirée. J’ai beaucoup aimé, merci beaucoup. Je tenterai de faire en sorte que Sophia soit le plus flexible possible, par rapport à ses fameux critères. » Laissant échapper un léger rire, Hassan avait répondu par un salut à deux doigts et un « A vot’ service ma’m’selle. » amusé, avant que Sophia ne s’impatiente en lançant « Joanne, tu viens ? » après lequel la jeune fille avait tourné les talons. « Vingt dollars que tu lui as tapé dans l’œil. » avait de son côté commenté Rhett d’un ton goguenard. « Pfff, t’es con. » Esquissant un sourire malgré les yeux qu’il avait levé au ciel, le brun avait secoué la tête et emboité le pas à Andrea qui ouvrait la marche.

La semaine suivante était passée à toute vitesse, ponctuée des premiers devoirs à rendre, des premières exigences d’entrainement, des premières inscriptions au tutorat pour lequel Hassan s’était fait embaucher pour compenser la fin de son contrat à l’épicerie. « On même plus le temps pour dormir. » s’était lamenté Andrea dans son adorable anglais lacunaire. Et l’australien n’aurait certainement pas eu l’idée de le contredire, l’entraînement de cinq heures et demi à sept heures et demi du mardi matin lui faisant l’effet d’une méthode de torture digne du Moyen-Âge. Pas d’illusion pourtant dans l’impression d’avoir dormi bien moins que prévu, lorsque sans crier gare son téléphone portable – acheté durant l’été au prétexte qu’effectivement, ces machins avaient leur utilité – avait vibré à proximité, le tirant du sommeil avec un grognement mécontent. « Quelle heure il est ? » avait de son côté marmonné la voix ensommeillée à laquelle appartenait le buste au-dessus duquel il s’était penché pour attraper son jean abandonné au pied du lit, et dans la poche duquel le téléphone se manifestait toujours. « Trop tôt pour ces conneries. Allo ? » Trop tôt, beaucoup trop tôt pour ces conneries, et lorsqu’Hassan avait raccroché quelques instants plus tard sa tête était retombée un instant contre l’oreiller avec dépit tandis que la main féminine glissait contre sa hanche, avant qu’il ne se décide à s’extirper de sous les draps. « Tu vas où ? » Attrapant son jean et cherchant son tee-shirt à tâtons dans la pénombre, il avait secoué la tête « Faire passer à mon frère l’envie d’aller réparer ses conneries à une heure pareille. » Elle n’avait pas pinaillé, elle s’en foutait, peut-être. Sans doute. « J’t’appelle demain. Tout à l’heure. Bref. » avait-il simplement promis, une chaussette à son pied et l’autre toujours à la main quand il avait quitté la chambre. Tôt, trop tôt, bien trop tôt pour ces conneries et sorti bien trop tard du commissariat pour espérer pouvoir se pointer à l’entraînement de cinq heures et demi. Cinq heures vingt-huit, la clef tournait à peine dans la serrure de leur appartement de Logan City, Qasim allait cuver son vin – ou dieu sait quoi d’autre – au fond de son lit, Hassan cherchait son sac de sport en sachant qu’il serait en retard et que comme il n’était pas sans le savoir, il ne faudrait pas espérer se pointer sur le terrain ce matin. « Si vous n’êtes pas fichus d’être à l’heure pas la peine de venir. » c’était la règle, elle n’avait pas changé, il n’y aurait pas d’exception. Et la journée avait été longue, sans fin, harassante, jusqu’à l’heure de l’entraînement du soir auquel le brun s’était pointé en sachant que le « Il a mal digéré un truc hier soir. » avancé par Rhett pour l’excuser aux aurores lui vaudrait au mieux un commentaire railleur de l’entraineur, et au pire quelques tours de terrain avant de rejoindre les autres. Quinze tours, le grand manitou était dans un bon jour, ou pas trop mauvais. Quinze tours sous un soleil agressif, les collisions enchaînées contre les sacs de plaquage et un atelier saut-réception après lesquels Hassan autant que les autres ne rêvait plus que d’une seule chose : une douche. A la sortie du terrain pourtant le brun avait échangé un coup de coude avec le blond en désignant les deux silhouettes féminines plantées sur le bord du terrain mais finalement venues à leur rencontre une fois certaines que leur présence avait été remarquée par les deux intéressés. « Vous en avez mis, du temps. » avait fait remarquer Rhett d’un ton narquois tandis qu’Hassan enchérissait « On commençait à croire que vous vous faisiez désirer. » tout en passant le revers de sa main sur son front. « Ce soir, le Super 12, les Stormers face aux Bulls. Ça vous tente ? » Tentant de ne pas avoir l’air trop fanfaron, Rhett avait fait mine de réfléchir un instant « Hm, oui pourquoi pas … J’crois qu’ils le diffusent au Regatta. Vous connaissez ? C’est à Toowong. » Haussant les épaules Hassan avait lui proposé « On passe vous chercher, au pire ? » entendant ainsi régler le problème de la localisation. « Pas besoin, je sais où c’est. » s’était néanmoins défendue Sophia, dont il ne fallait de toute évidence pas saisir le bras sous prétexte qu’elle vous offrait le petit doigt. « Bon, alors disons neuf heures moins le quart là-bas ? » Alors qu’elles acquiesçaient toutes les deux Joanne avait fait remarquer avec amusement « Vous avez apparemment répondu à tous ses critères. » provoquant ainsi un plissement de nez suspicieux chez son amie qui avait minaudé « On verra. » en lançant un regard à Rhett. « On en reparlera quand vous aurez pris une douche … C’est nécessaire, là. » Affichant un sourire narquois, la rouquine avait néanmoins affiché un air de satisfaction en leur lançant « Bon, alors à ce soir ! » donnant ainsi l’impression que tout se déroulait exactement comme elle l’avait prévu. Qui sait, au fond.

Les articulations ankylosées par l’entraînement et le manque de sommeil, les deux étudiants n’en étaient cependant pas moins au rendez-vous le soir-même, arrivés en avance dans l’espoir de pouvoir se frayer un chemin jusqu’aux balcons dans les étages pour y trouver une place. Adossé à la balustrade, Hassan grillait une cigarette un verre à moitié bu dans l’autre main lorsqu’il avait aperçu Joanne et Sophia qui arrivaient sur le trottoir en contrebas « Les filles, là-haut ! » Les invitant à monter pour les rejoindre, il avait rapidement terminé sa clope avant d’écraser le mégot au fond de son verre terminé en deux ou trois gorgées. Le match allait commencer, de toute manière. « Salut. » Adressant un sourire à l’une, puis à l’autre, le brun avait néanmoins cherché des yeux autour de lui « Vous n’avez pas croisé Rhett en montant ? Il était censé descendre chercher à boire. » Et si les deux jeunes femmes avaient fait un détour par le bar en montant à en juger par les verres qu’elles tenaient à la main, l’acolyte d’Hassan lui n’était pas réapparu. « C’est beau, non ? » Du coin de l’œil il venait d’intercepter le regard de Joanne vers le bout de fleuve au bord duquel le bar était installé. Au loin et au travers des arbres on apercevait les lumières du CBD et du Story Bridge. « C’est pas encore une vieille combine de ton copain pour m’attirer au bar avec lui, hm ? » avait de son côté demandé Sophia d’un ton faussement sérieux – quoi que – pour en revenir à la disparition du blond. « Quoi, on parle de moi ? » avait d’ailleurs piaillé le concerné en réapparaissant deux verres à la main « Mais non. » - « Tout juste. » Les deux phrases débitées en même temps avaient arraché un rire commun à Hassan et à Joanne tandis que Rhett arquait un sourcil suspicieux. « Mouais. Bon. Est-ce qu’Hassan vous a parlé du plus important ? » Du plus important ? Cette fois-ci c’était le brun qui avait arqué un sourcil. « On pronostique sur l’issue du match. Les perdants payent la dernière tournée aux gagnants. Alors ? » Ah, ce plus important là. « Honneur aux dames. » avait décrété Hassan en trempant ses lèvres dans son verre, laissant la parole aux deux amies, et le regard revenant sans cesse vers Joanne.

Rhett avait toujours eu ce côté un peu cœur d’artichaut, et avec lui cette tendance à se laisser facilement happer par ses coups de cœur. Hassan lui avait les pieds sur terre, plus que son ami, probablement parce que n’ayant pas plus d’attentes que de désir de changer sa manière d’aborder ses relations avec la gente féminine. Pour autant il se laissait la plupart du temps entraîner sans protestations dans les combines de Rhett, et savait généralement y trouver son compte ; Alors il enchérissait, appuyait les dires et les propositions de son équipier, et la satisfaction d’entendre Sophia et Joanne accepter la proposition de se voir le soir-même était finalement équivalente sur le visage des deux jeunes hommes. « J’arrive pas à décider si elle nous déteste ou si elle a juste une façon très particulière de témoigner son intérêt. » avait cela dit fait remarquer Rhett en croisant les bras d’un air pensif, après que les deux filles aient tourné les talons et commencé à s’éloigner. « Oh elle est transie d’amour pour nous, ça ne fait aucun doute. » Affichant un sourire gentiment moqueur, Hassan avait donné une tape amicale sur l’épaule du jeune homme et tous les deux avaient pris le chemin des vestiaires pour une douche largement méritée, et non moins nécessaire comme n’avait pas manqué de le faire remarquer Sophia d’un air narquois avant de les laisser. Pas surpris de les voir débarquer au Regatta le soir venu, Hassan l’était du coup simplement presque de les voir arriver à l’heure, ayant imaginé sans mal la rousse convaincre la blonde qu’arriver avec un peu de retard pour se faire désirer ne ferait de mal à personne. Loin de s’en plaindre, il leur avait fait signe depuis l’étage et les avait accueillies avec enthousiasme pendant que Rhett, descendu chercher à boire, se faisait momentanément désirer. De retour, il ne s’était en revanche pas fait prier pour énoncer les termes du pari supposé déterminer qui payerait la dernière tournée de la soirée, Sophia annonçant la couleur en premier « Les Stormers gagneront, j’en mettrais ma main à couper. » et provoquant sans grande surprise un sourire provocateur chez Rhett « De si jolies mains, c’est dommage de s’apprêter à une perdre une aussi bêtement. Bulls. » Évidemment. Et tandis que l’un et l’autre en profitaient pour se chamailler à coup de statistiques de jeu et de progression d’entraînement, Joanne profitait de cette diversion involontaire pour glisser à l’attention du brun « C’est si important que ça, de parier ? Ou n’est-ce qu’une raison de se faire offrir un verre ? » Riant à l’insinuation, Hassan avait secoué doucement la tête « Hmm, disons que cela rajoute un peu d’enjeu, le verre c’est une excuse … Et puis, dans un cas comme dans l’autre il y a cinquante pour cent de chances d’avoir raison. » Et autant de chances d’avoir tort, certes. Rhett prenant son ami à parti pour avoir son avis, celui-ci avait admis un peu à contrecœur « En toute honnêteté, je penche pour une victoire des Stormers … Mais j’vais quand même dire les Bulls, parce que je préfèrerais qu’on se retrouve face à eux si on atteint les demis. » Et la loyauté du brun aux Queensland Reds allait bien au-delà de la perspective de devoir payer un dernier verre aux deux jeunes femmes, option que Rhett et lui auraient probablement proposé de toute façon s’il n’avait pas été question de pari.

Cessant là chamailleries et tentatives pour convaincre l’adversaire, tous les quatre avaient fini par regagner l’intérieur tandis que le balcon se vidait peu à peu de ses occupants à l’approche du coup d’envoi. Sophia d’ailleurs, pas la moins impatiente du groupe, avait fait remarquer « Il faut qu’on se trouve une bonne place, le match va bientôt commencer. » en attrapant la main de Joanne pour la mener à l’intérieur. Échangeant avec Rhett un regard averti, Hassan et lui avaient suivi le mouvement et approuvé le choix de table de la jeune femme, dans un coin de la salle qui permettait d’avoir vu sur l’écran de télévision sans pour autant se mêler aux supporters les plus démonstratifs. Héritant de la place dans l’angle contre le mur, Hassan s’était retrouvé à côté de Joanne et face à Rhett, et avait profité de l’interlude pour boire une partie du verre que lui avait ramené le blond. Couverte par le brouhaha d’avant-match la voix fluette de Joanne était malgré tout parvenue jusqu’aux oreilles du brun tandis qu’elle demandait avec timidité « Est-ce que tu m’en voudrais pour toujours si je te disais que je n’y connais absolument rien en rugby ? » Laissant échapper un léger rire, il s’était penché vers elle pour écouter et entendre un peu mieux tandis qu’elle ajoutait « Ça surprendrait tout australien présent dans la salle et je me ferais certainement huer. Ce n’est pas vraiment … Ce dans quoi j’ai grandi. » Adoptant à son tour le ton de la confidence et un volume sonore qui garderait la conversation à leurs seules oreilles, il avait avoué d’un ton amusé « Pour ne rien te cacher, je m’en doutais un peu. » Elle avait jusqu’à présent plutôt donné l’impression de quelqu’un qui ne savait pas dans quoi elle avait atterri que de quelqu’un qui appréciait – ou pas – le sport de ballon. « Et je n’ai pas vraiment grandi là-dedans non plus si ça peut te rassurer, mes parents ne savaient probablement pas dans quoi ils s’embarquaient quand ils m’ont inscrit au rugby parce que je ne tenais pas en place. » Et c’était peu que de le dire, quand on savait quelle pile électrique Hassan pouvait être lorsqu’il était enfant. « C’est ton premier match, du coup ? Tu sais vraiment pas comment ça fonctionne ? » L’espace d’un instant il s’était malgré tout inquiété du fait que la soirée puisse s’annoncer très longue pour elle, si elle n’avait pas le moindre intérêt pour ce qui se passait à l’écran « Tout ce que je sais, c’est que c’est un sport de gentlemen – enfin c’est ce que tout le monde dit – que les essais marquent beaucoup de points, et qu’ils n’ont le droit de lancer la balle qu’en arrière, c’est tout. » Elle avait attrapé son verre pour en boire une gorgée ou deux, et Hassan de son côté avait temporisé « De gentlemen ça je ne sais pas, mais pour le reste t’as retenu le plus important, c’est déjà pas mal. » Bon, cela restait assez réducteur et le rugby n’aurait probablement pas grand intérêt s’il se limitait à ces deux points-là, mais ils suffisaient en tout cas à comprendre à peu près ce qui se passait sur un terrain. Dans un coin de la pièce, un groupe de touristes – du moins ils en avaient tout l’air – sud-africain s’était enthousiasmé bruyamment, avant que l’arbitre ne donne le coup de sifflet du début de match. « Et là, je suppose que ça vient tout juste de commencer. » avait de son côté fait remarquer Joanne, la mine amusée « Tu vois, tu te débrouilles très bien. » Adressant à la jeune femme un clin d’œil amusé, il avait entrepris de suivre le match tout en tentant de lui expliquer au fur et à mesure les règles appliquées. La nécessité de se tenir dans la zone adéquate pour espérer marquer des points, la possibilité de marquer des buts – rapportant moins de points que les essais – ou de transformer un essai au pied, les erreurs fréquentes et les pénalités qui en découlaient. « Ça, par exemple, ça va probablement valoir un carton-jaune … » avait-il indiqué après qu’un joueur des Bulls ait imprudemment – mais involontairement – laissé l’un de ses crampons terminer dans la mâchoire d’un adversaire. « Voilà. » Carton-jaune, donc. « Ça veut dire qu’il est exclu du terrain pendant dix minutes, et que son équipe va devoir tourner à quatorze au lieu de quinze. » Le joueur des Stormers, lui, avait massé sa mâchoire un instant en grimaçant, et laissé finalement l’équipe de soin traiter le saignement de nez qui était venu avec. Sortie de terrain provisoire et remplacement. « Dans cinq minutes il sera de nouveau sur le terrain, faut vraiment que ce soit un gros bobo pour sortir définitivement. » avait-il par ailleurs fait remarquer en croisant le regard dubitatif de la jeune femme. Ouais, que cela entraîne parfois quelques bobos ne faisait peut-être pas partie des choses qu’elle avait retenu avec les deux trois règles de base qu’elle lui avait énoncé juste avant le coup d’envoi, en fin de compte.

C'était très probablement dans un pari perdant que venait de s'engager Hassan en toute connaissance de cause, l'expression de Rhett affichant bien son hésitation entre s'offusquer ou se réjouir et arrachant au brun un rire franc. « Afin de garantir la victoire à ton équipe favorite ? Ou c'est une excuse parce que tu ne veux pas laisser Rhett tout seul ? » Le ton taquin avec lequel avait été posé la question avait arraché à Hassan un air faussement hésitant avant qu’il ne secoue la tête pour admettre en toute franchise « Hmm, un peu des deux, sans doute. Et puis je préfère mettre mes espoirs sur l’équipe que je veux voir gagner plutôt que sur celle qui devrait gagner … Mon petit côté superstitieux, disons. » Petit côté c’était en réalité peu que de le dire, mais cela Joanne ne le connaissait pas encore suffisamment pour le savoir. Les paris lancés et l'heure du coup d'envoi approchant ils avaient quitté la terrasse pour tâcher de trouver une place où s’installer, Sophia se révélant particulièrement efficace pour jouer des coudes et se faufiler dans la foule à la recherche du meilleur spot. Atterrissant grâce à elle tous les quatre à une table ils s’étaient installés dans le brouhaha et l’effervescence d’avant-match, Rhett et la rousse commentant le choix d’alignement de joueurs des deux entraîneurs tandis que Joanne, elle, avouait à demi-mot et sans que la surprise en soit véritablement une pour Hassan qu’elle n’y connaissait pour ainsi dire pas grand-chose au rugby. Ce qui n’était pas une tare en soit, et embêtait bien plus le brun dans le sens où la jeune femme risquait de trouver cette soirée un brin ennuyante. « Tu es du genre hyperactif ? » avait de son côté questionné la blonde lorsqu’il avait admis être tombé dans la marmite du rugby un peu par hasard, lorsque ses parents avaient entrepris de lui trouver une activité qui calmerait son trop-plein d’énergie. « Ça va, je me suis – un peu – calmé. Mais môme parait qu’on n’était pas mécontent quand le sommeil me tombait dessus. »  s’était-il justifié avec amusement. Partant du postulat qu’elle était en tout cas totalement novice en matière de rugby il avait tenté de savoir si elle n'avait pas au moins déjà vu un match auparavant. « Enfin … peut-être que j’ai du regarder quelques extraits quand je regarde les Jeux Olympiques à la télé – ça c'est intournable pour moi – mais sinon, jamais un match en entier. » Il agitait la tête, se disant que si elle regardait d'autres sports à la télévision cela la rendait sans doute moins réfractaire à l’idée d'en découvrir un nouveau. « Et puis, depuis que je suis arrivée ici, il y a plein de premières fois. Ça, ça ne fait que s’ajouter à la liste, je trouve ça plutôt cool. » Lui offrant un sourire bienveillant il avait acquiescé « Parait que c'est à ça que servent les années universitaires. » Et ça s’était révélé vrai pour lui dans certains domaines, en tout cas.

Le match débutant enfin Hassan avait tenté de au mieux de suivre la partie tout en expliquant au mieux à Joanne ce qu'elle avait besoin d'assimiler pour comprendre ce qui se passait sur le terrain. La pénalité liée à l’obtention d'un carton jaune avait semblé la surprendre « Dix minutes ? C'est quand même sacrément long, par rapport au temps total de match. » Elle n'avait pas tort, mais comme le brun n'avait pas manqué de le faire remarquer « Ce ne serait pas vraiment une sanction si elle n’était pas contraignante. » Et en l’occurrence l’action, aussi involontaire soit-elle, venait d’entraîner une sortie de terrain provisoire pour la victime du coup de pied, qu'elle soit sanctionnée était donc inévitable. « Les gros bobos ? » Elle semblait surprise, lorsqu'il avait évoqué la proportion de blessures un peu plus sérieuses qu’un saignement de nez. « Genre … des entorses ? Des luxations ? Ils se cassent des os parfois ? Tu t'es déjà cassé quelque chose, toi ? » Il avait secoué la tête, et assuré d'un ton rassurant « Cassé jamais, pas en jouant en tout cas. Et je me suis luxé l’épaule l'an dernier pendant un entraînement, mais sinon rien de plus qu’une ou deux bosses et quelques bleus. » Les bleus et bosses étaient en réalité plus courants qu’il ne l'admettrait, mais pour le reste il ne mentait pas ; Sa seule fracture – radius – datait de ses onze ou douze ans et n’avait pas d’autre cause que son imprudence, chose que ses parents ne s’étaient pas privés de le lui faire remarquer. « C’est pas si gentleman que ça comme sport, finalement. » avait en tout cas fait remarquer la jeune femme, pour en revenir au rugby. « Ça reste aussi un sport de contact. » avait simplement fait remarquer Hassan d’un ton patient. « Et on fait rarement d’omelettes sans casser quelques œufs. » Autrement dit on ne se lançait pas dans la pratique de ce sport si l'on avait peur de prendre des coups. Ça ne le dérangeait pas, Hassan, ce n’était pas comme si se taper dessus ou se faire mal était un but en soit … c’était simplement un risque collatéral.

La mi-temps sifflée peu de temps après cet incident – laissant probablement largement le temps au blessé d’être remis sur pieds – avait donné l’occasion de remplir leurs verres, et se levant Sophia avait annoncé non sans une certaine satisfaction « C’est vous qui allez nous payer la tournée en fin de match de toute façon. » avant de disparaître à l’étage du bar en compagnie de Joanne. Les regardant s’éloigner d’un air pensif, Hassan avait reporté son attention sur Rhett et fait remarquer, affichant une moue dubitative « Je crois que ma tête ne lui reviens pas. Sophia. Elle n’a pas arrêté de me lancer son espèce de regard, depuis que le match est commencé. » Il ne voyait pas vraiment d’autre explication, il n’avait pas l’impression de s’être comporté de manière différente avec elle qu’avec Joanne, tout juste avait-il eu un peu moins l’occasion de discuter avec elle qu’avec la blonde. Mais hey, c’était à Rhett qu’il fallait laisser le champ libre. « Tu penses ? » lui avait d’ailleurs demandé le blond, un brin surpris. Pour seule réponse Hassan avait haussé les épaules, il ne voyait pas trop quoi dire de plus. « Elle a peut-être juste pas l’habitude qu’on monopolise sa copine. Vous aviez l’air de bien vous entendre, elle et toi ? » Le sourire narquois de Rhett n’avait pas échappé au brun « Je lui expliquais les règles au fur et à mesure, c’est tout. Elle va quand même pas me reprocher d’être sympa, si ? » L’air boudeur d’Hassan avait été interrompu en même temps que la possibilité d’obtenir une réponse à sa question lorsque les deux jeunes femmes étaient revenues avec leurs boissons. Récupérant son verre de Virgin Tonic le brun avait laissé la place à Joanne de s’installer à nouveau tandis qu’elle confiait dans un sourire « Je pense que j’arriverai mieux à suivre la deuxième partie du match. Mais c’est pas impossible que je te pose encore quelques questions. » Chose qu’elle n’avait effectivement pas manqué de faire une fois la seconde mi-temps lancée. Professeur avisé, Hassan s’était plié à ses questionnements avec bonne volonté, tout en suivant malgré lui l’avancée d’un score de plus en plus implacable. « Je pense que vous pouvez déjà sortir vos portemonnaies. » n’avait d’ailleurs pas manqué de faire remarquer Sophia d’un air triomphant alors que les quelques minutes restantes avaient peu de chance d’inverser le score. « Jo prendra un … Sex on the beach, je pense qu’elle aimera et moi … un Cosmo, sans hésiter. » Pas de cet avis, la blonde avait secoué la tête et rectifié presque aussitôt « Une bière ou un verre de vin fera largement l’affaire pour moi, je vous assure. » Y'avait d'un côté celle qui profitait d'une victoire dont elle n'était pas peu fière et de l'autre celle qui ne semblait pas considérer cette victoire comme la sienne. Au coup de sifflet final, Rhett et Hassan n'avaient eux pas pu retenir un léger soupir de dépit ; Ça sentait le roussi pour les Reds. « Un pari c'est un pari. » avait finalement assuré le brun à l'attention de Joanne avec un sourire, qu'elle ne se sente pas obligée de boire telle ou telle chose.

Le choix final établi les deux garçons étaient redescendus dans cohue de ceux ayant eu la même idée qu'eux, à savoir profiter d'un dernier verre avant de quitter le bar. « J'en reviens pas qu'ils aient perdu. » maugréait Rhett « Et Matfield ? Ma grand-mère aurait fait un meilleur job de capitaine sur ce match. Avec tout le respect que j'ai pour ma grand-mère. » Laissant échapper un rire, Hassan n'avait malgré tout pu qu’acquiescer : le match n'avait pas été exceptionnel, et on imaginait sans mal l'entraîneur des Bulls piquer une colère à leur retour au vestiaire. Après un bon quart d'heure d'attente au bar ils étaient remontés avec les quatre verres et avaient proposé aussitôt « On retourne se poser dehors ? On étouffe ici. » Outre l'automne qui se faisait désirer la concentration de personnes à l'intérieur avait drastiquement fait augmenter la température ambiante. Retrouvant une place sur le balcon qui courait sur toute la façade du bâtiment Hassan s'était accoudé à la balustrade en gardant sa bière – sans alcool – à la main. « Et vous, quand est-ce que la saison des matchs recommence ? » Le regard un peu moins incisif que précédemment - l'effet de l'alcool, peut-être – Sophia sirotait son Cosmo avec délectation « Le mois prochain, on a un match-test le week-end du 20-21 contre l'équipe de la JCU. » D'où la double-dose d'entraînement et la tolérance zéro de l'entraîneur à leur égard. « Et vous serez dans les gradins, bien sûr ? On joue à domicile, vous n'avez aucune excuse. » Papillonnant des yeux de manière exagérée Sophia avait rétorqué « Bien sûr, avec les banderoles et le maillot floqués de ton nom et de ton numéro de joueur. » Désignant la petite blonde elle avait ajouté « Et Joanne en fera de même pour toi, ne t'inquiète pas … » à l'attention d'Hassan. « Enfin, sauf si petite amie pompom-girl jalouse il y a, nous ne sommes pas des briseuses de ménage. » Sourire un brin narquois Rhett avait questionné sans se faire prier « Et tu demandes ça par simple curiosité ou bien tu essayes de jauger tes chances ? » Le sourire d'Hassan suivant le même chemin que celui de son ami tandis que ses yeux passaient de Sophia à Joanne, il avait laissé la rousse s'exclamer « Ça, dans vos rêves ! » et finalement apporté un brin de réponse sérieuse en secouant la tête « Pas de pompom-girl jalouse dans les parages, promis. Votre intégrité physique n'est pas menacée. » Et pas de petite amie non plus, ou rien de suffisamment officiel pour mériter cette qualification en tout cas. Ne semblant d'ailleurs pas entièrement satisfaite de la réponse Sophia s'était permis de faire remarquer d'un air faussement songeur « Des sportifs qui ne profitent pas des occasions d'agiter leurs muscles devant leur armée de groupies, tiens donc … » En jetant une œillade entendue vers Joanne. « Ce cliché ! » S'était mollement défendu Hassan d'un ton amusé, son œillade à lui dirigée vers Rhett.

Hyperactif n’était sans doute pas le terme le mieux adapté, si l’on s’en tenait au sens strictement médical de la chose du moins … Non, Hassan avait simplement été un enfant particulièrement remuant, et dont la curiosité n’avait d’égale que son énergie, mais rien que ses parents n'aient été capable de gérer avec un peu de patience. Reste que le brun n’avait pas été le moins du monde surpris d’apprendre que Joanne était elle une enfant plutôt calme, et sage ; C’était un trait qui ne semblait pas avoir beaucoup changé en grandissant. Leur discussion suivant le même rythme que le match, elle s’était étonnée des sanctions un peu sévères qui pouvaient être appliquées aux joueurs et qu’elle comparait avec celles d’autres sports « Pourtant au foot il me semble que les sanctions ne s’élèvent qu’à quelques minutes alors que le temps de jeu est quand même plus long. » Mais si de là où venaient ses parents le football avait une place de choix – son père n’avait jamais raté une seule coupe du monde sur la chaîne câblée retransmettant les matchs, et peu importe que l’Iran n'en ait jamais passé le premier tour – le brun lui n’en connaissait que très vaguement les règles. « Rien qu’à entendre ce mot, ça fait mal. » avait-elle finalement repris lorsqu’il avait admis s’être luxé une épaule l’année précédente. « C'est ça, de vouloir faire des câlins trop chaleureux. » Était-ce une réponse à son indication ou simplement un remarque concernant la mêlée en cours, Hassan n’en était pas certain mais le sourire amusé qu’il avait adressé à la jeune femme en guise de réponse n’en était pas moins sincère, donnant également le ton de la seconde mi-temps. Et le résultat du match ayant donné le droit à Rhett et Hassan d’offrir le dernier verre collectif, tous les quatre étaient retournés s’installer à l’extérieur fuyant ainsi la cohue et la chaleur intérieures. Le plaisir personnel de Sophia semblait résider dans les cartouches verbales qu'elle grillait chaque fois qu'elle posait une question aux deux hommes en donnant l'impression de chercher la faille, comme si son opinion était déjà faite, ses certitudes déjà établies – et plutôt au désavantage des deux concernés. « Ce fameux cliché doit forcément venir de quelque part, non ? À moins que vous ne soyez de bons samaritains et que vous cherchiez à redorer le blason des sportifs universitaires ? » Y’avait un côté presque sur la défensive chez Sophia, dans sa manière de parer chaque réponse et de piquer à nouveau en retour, Rhett et Hassan cette fois-ci aussi réceptifs dans leur manière de se sentir injustement cloués au pilori « On ne t’a jamais dit que l’habit ne faisait pas le moine ? » avait d’ailleurs questionné Rhett en roulant vaguement des yeux, tandis qu’Hassan renchérissait « Y’a un concept qu’on appelle le bénéfice du doute. » et trempait nonchalamment ses lèvres dans son verre. Un temps silencieuse, Joanne avait finalement repris la parole d’une voix timide en dirigeant son regard vers le brun « J’adorerais venir, moi. Pas … forcément avec le maillot et tout ça, mais ça pourrait être chouette. » Retrouvant un sourire plus franc, il s’apprêtait à répondre mais à nouveau Sophia s’était chargée de trancher « On y réfléchira. » sa façon de vouloir se faire désirer passant progressivement de vaguement amusante à légèrement irritante aux yeux du jeune homme.

La soirée interrompue par l’accident de boisson de la blonde et par les douze coups de minuit – ou presque – avait finalement renvoyé tout ce petit monde chez lui à une heure raisonnable, à la différence qu’au lieu de reprendre le chemin de son appartement Hassan avait trouvé asile dans la chambre de Rhett, repoussant ainsi de vingt-quatre heures supplémentaires son tête-à-tête avec son frère. Il avait définitivement rendu son tablier à l’épicerie le week-end suivant, et entamé le tutorat le lundi entre impatience et incertitude, malgré tout satisfait de disposer désormais d’un peu plus de temps libre que sa charge de travail universitaire se chargeait largement de compenser. « Il va m’en falloir deux litres supplémentaires. » s’était lamentée Leilani en terminant son gobelet de café avant de s’étirer un instant. Assise en tailleur dans l’herbe, elle recopiait les fiches du dernier chapitre de marchés internationaux de l’énergie que lui avait prêté Hassan, ce dernier occupé lui à mâchouiller le bout de son stylo en tentant de trouver une conclusion au devoir de langue étrangère qu’il devait rendre en fin de journée. « Oh, c’est pas Sophia et sa copine, là-bas ? » Tournant la tête dans la direction que la brune avait indiqué du menton Hassan avait demandé « Qui, Joanne ? » en trouvant par lui-même la réponse à sa question en posant les yeux sur les deux jeunes femmes. « Elles ont l’air un peu bêcheuses. Non ? » Le rictus toujours un brin moqueur qu’arborait Marian était ce qui lui donnait ce petit air de peste au premier abord. Il fallait vraiment prendre le temps d’apprendre à la connaître, pour se rendre compte qu’elle n’avait pas un mauvais fond. « Elles sont chouettes. » avait opposé Rhett d’un ton calme, son regard glissant vers Hassan tandis que Leilani s’exclamait avec son engouement habituel « Pourquoi elles ne sont pas venues avec nous ? Elles n’osent pas ? » Peut-être. Ou bien Sophia avait véritablement un problème avec Hassan, auquel cas la décision était calculée. « Oh, pitié. » Soupirant avec exagération, Marian avait étiré ses longues jambes, et corné l’extrémité de la page de son livre « Je croyais qu’on était là pour travailler ? » Certes. « Elles ont l'air de travailler aussi, de toute façon. » avait finalement fait remarquer Hassan en haussant doucement les épaules, clôturant ainsi le débat. Rhett, Leilani et lui les avaient malgré tout saluées d'un signe de la main lorsque les deux jeunes femmes avaient regardé dans leur direction, mais les deux groupes ne s'étaient finalement pas mêlés.

Éparpillés dans leurs cours respectifs durant le reste de la journée, chacun avait vaqué à ses occupations et même Leilani – la seule qui partageait son cursus – avait fini par rejoindre Marian au stade d'athlétisme après leur dernier cours. Ayant encore à faire sur le campus plus tard dans la soirée – réunion bimestrielle du bureau des étudiants – le brun avait préféré rester dans les parages et pris le chemin de la bibliothèque, qui à cette heure-ci commençait à peine à se vider de son flot d'étudiants. Le manuel dont il avait besoin pour avancer l’un de ses devoirs rapidement trouvé sur une étagère, mais la tête pleine des cours de la journée et plus vraiment décidée à se concentrer, il avait continué à flâner au milieu des rayonnages jusqu'à ce qu'une silhouette n'attire son attention et lui fasse faire deux pas en arrière. Sourire farceur sur le visage, il avait longé les étagères avec discrétion et attendu d'être juste derrière Joanne pour lui glisser à l'oreille « C'est ici qu'on se cache ? » lui arrachant un sursaut qui lui avait fait lâcher le livre qu'elle tenait dans les mains « Oh, excuse-moi … Je voulais te faire peur, mais peut-être pas à ce point. » Se baissant pour ramasser le livre et le lui rendre en espérant que cela suffirait à le racheter auprès de la jeune femme, il avait souri une seconde fois et demandé avec curiosité « Tu as perdu ton ombre ? » en faisant bien entendu référence à Sophia. Pas qu'il soit totalement mécontent de tomber sur la blonde sans voir son amie le scruter aussi sec, cela dit, bien qu'il n'ait pas jugé utile de le faire remarquer. En vérité il espérait même sans doute un peu que la rouquine ne soit pas dans les parages, dans l’immédiat, si cela pouvait lui permettre de papoter plus tranquillement avec Joanne.

L'occasion était trop belle, à la fois de la surprendre et de s'amuser – gentiment – à ses dépends, mais également de pouvoir discuter un peu avec la jeune femme sans sentir le regard méfiant ou accusateur de son amie dans son dos. À plusieurs reprises déjà Hassan avait eu l'impression que Joanne s’effaçait volontairement en présence de la rousse, et si son propre tempérament relativement extraverti l'empêchait de comprendre pourquoi elle s'imposait une telle chose, cela avait probablement aussi attisé un peu sa curiosité envers la blonde. « Je suis une cible un peu trop facile. » avait-elle en tout cas fait remarquer avec une pointe de gêne « Et je n'arrive jamais à effrayer qui que ce soit non plus, sinon ça ne serait pas drôle. » Laissant un rire identique à celui de Joanne lui échapper, il avait secoué la tête et répondu avec amusement « Un joli minois comme le tien, j'comprends que ce soit un peu difficile. » Joanne c'était un peu un physique de bébé chat, probablement attendrissante même quand elle essayait de faire les gros yeux pour se donner un air sévère. Ne manquant pas de faire remarquer l'absence de Sophia dans les parages, il ne s'était pas privé d'un rictus satisfait lorsque l’étudiante avait expliqué « Oui, elle a repéré des vêtements en ville et elle ne pouvait pas tenir plus longtemps pour aller les acheter. Mais elle aime beaucoup traîner dans les boutiques, je pense que j'ai plusieurs heures à tuer devant moi. » Note à lui-même : mettre en garde Rhett sur le côté accro du shopping de Sophia. « Et toi, tu as pu semer le reste de ta bande ? Même Rhett, c'est plutôt surprenant. » S'adossant au rayonnage derrière lui avec nonchalance, Hassan avait agité la tête d'un air léger « Pas tant que ça, on n'est pas en cours ensemble. Rhett est en journalisme. Y'a que Leilani qui est en cours avec moi. » C'était d'ailleurs ce qui avait fait le pont entre les garçons et les filles de leur groupe, Andrea s'étant lui rajouté l'année précédente lorsqu'il avait débarqué de son Argentine pour intégrer la résidence universitaire de Rhett. « Je t'ai vu avec tes amis de loin, tout à l'heure. Vous avez l'air particulièrement soudés. » Y'avait quelque chose dans le ton qu'elle avait employé qui ressemblait à de l'hésitation, et qu'il s'était contenté de prendre pour de la peur de dire une bêtise. « On vous a vu aussi oui, fallait venir dire bonjour on ne vous aurait pas mangées. » Cela semblait tellement simple et coulant de source, à lui, comme le sourire franc qui avait accompagné sa réflexion.

Sourire auquel avait succédé un regard, puis un nouveau sourire illustrant presque parfaitement l'expression « un ange passe » avant que, toujours lestée de ses hésitations, Joanne ne propose d'un ton timide « Je … Je comptais aller bouquiner dans un café que j'ai repéré sur le campus hier, qui avait l'air plutôt sympathique. C'est pas dit que je parvienne à le retrouver cela dit. Mais si tu as un peu de temps devant toi, et si je me souviens où il se trouve, ça te dit d'y aller ? » La façon dont elle avait cherché à se justifier en précisant « Tant que c'est l'après-midi, c'est toujours un peu l'heure du goûter pour moi, tant que je l'ai, ça va. » trahissait un peu le fait qu'elle n'avait pas pour habitude de faire ce genre de proposition et rendait attendrissante la manière dont elle avait finalement nuancé « Si ça te dit bien sûr, je ne veux pas te forcer à quoi que ce soit, ou peut-être … peut-être que tu as entraînement ou que tu dois retrouver Rhett, je veux pas interférer dans tes plans. » Résistant à l'envie de faire remarquer que ses hésitations la rendaient attendrissante, pas certain que la chose soit bien comprise comme un compliment et non comme une moquerie, il s'était contenté d'accepter avec enthousiasme « J'ai rien de prévu avant le milieu de la soirée, j'ai une réunion avec le BDE, ma fin d'après-midi est entièrement libre … Et je ne dis jamais non à un café. » Au sourire déjà présent s'était ajouté un clin d'œil complice, après quoi la blonde avait malgré tout cru bon de préciser toujours entre deux eaux « Et … même si je ne retrouve pas ce café, on peut toujours aller dans un autre pas loin. Tant qu'il y a du chocolat chaud, ça me va. Et c'est moi qui régale. J'aimerais juste déposer mes livres dans ma chambre avant, c'est tout. C'est lourd, le poids de la connaissance. » La boutade lui arrachant un léger rire, Hassan n'avait pu empêcher l'air narquois de de faufiler sur son visage tandis qu'il répondait « Je vois, directement la combine pour m'attirer jusque dans ta chambre, t'es une rapide toi. » et voyait le rouge lui monter aux joues avec gêne. Se rappelant malgré tout de leur précédente soirée que Joanne n'était pas une habituée du second degré, il avait rapidement repris « Je plaisante, relax. » et plissé le nez avec amusement « Je nous trouverai une zone de repli si tu ne retrouves pas ton café, t'inquiète. T'as besoin d'aide pour porter tes bouquins en attendant ? » Elle en avait peut-être laissé d'autres avec ses affaires sur l'une des tables de la bibliothèque.

Récupérant chacun leurs affaires avant de quitter les lieux, ils avaient rapidement retrouvé l'extérieur et avec lui le soleil ayant persuadé Hassan de fouiller dans son sac à dos pour récupérer ses lunettes de soleil. « Ça a quand même ses avantages de vivre sur le campus … Même si du coup j'suppose que la tentation de ne jamais mettre le nez en dehors d’ici doit être grande. » Il y avait à peu près tout sur le campus de l’UQ, du coiffeur en passant par l’épicerie ou le médecin généraliste, c’était presque une ville à l’intérieur d’une autre ville. Rien à voir avec la bonne heure et demi de transports que représentait pour Hassan le trajet entre l’université et l’appartement de Logan City qu’il partageait avec son frère ; Raison principale au fait qu’il compte de temps à autre sur un coin du matelas de Rhett ou Leilani. « On étudie quoi au juste, en histoire de l’art ? » avait-il finalement questionné en jetant un œil à l’un des livres qu’il avait obtenu de porter pour la décharger « Désolé, tu me dis si je t’embête avec mes questions. Surtout que celle-là doit être un peu bête … Mais c’est pas vraiment un domaine que je connais, alors ça me parait un peu abstrait. » Tout comme il avait l’habitude que ses propres études paraissent un peu fumeuses aux yeux de celles et ceux qui n’avaient à leur sujet qu’un regard extérieur. Tout ce qu’il savait c’était que la blonde avait pour ambition de devenir conservatrice de musée, mais puisqu’il n’avait pas la moindre idée de ce que pouvait avoir étudié une conservatrice il n’était pas beaucoup plus avancé.