Je l’écoute et je réponds. Je trouve déjà que notre conversation relève d’une grande avancée. Seulement, quand ma sœur dérive sur un sujet qui m’a l’air bien plus sérieux, elle capte ma curiosité et un désir malsain d’en savoir plus. Que va-t-elle faire aux Etats-Unis et encore plus précisément en Floride ? Il est vrai que de nombreuses réponses me viennent en tête mais ai-je la bonne ? Le dire directement aurait été simple, je ne vois pas pourquoi elle ferait un mystère d’un film tourné là-bas. Mais quoi d’autre ? Qu’est-ce que Cora Coverdale, idole des australiens pourraient bien faire là-bas de si étrange pour ne pas en parler ouvertement ? Sa réflexion est trop longue à mes yeux et j’ai l’impression d’attendre les notes d’un concours, savoir si oui ou non j’irais plus loin, savoir si ma vie va changer du tout au tout. Pourtant on parle de Cora et ma réaction me surprend moi-même. Qu’est-ce que j’attends réellement de cette révélation ? Aucun miracle, ça j’en suis à peu près sûre. Une explication ? Qu’est-ce qu’elle irait trouver là-bas ? Un autre ennui ? C’est ce qu’il y a de plus probable. « Je suis allée voir un avocat il y’a quelques semaines. » Sourcils froncés, je dois être en train de créer ma première ride du front. Un avocat ? En Floride ? Elle a fait un crime que seul la Floride ne puni pas ? Ou est-ce un avocat, le fruit et elle va le faire pousser là-bas les terres y étant plus riches ? J’hoche la tête, tentant de la pousser dans sa révélation. J’ai horreur du suspens… « Tu t’souviens, il y’a plusieurs années, quand j’avais annoncé que j’arrêtais la série pour prendre des vacances, étudier d’autres projets ? » Je soulève les sourcils cette fois-ci. Bien entendu que je m’en souviens. J’étais gamine, mais comment oublier ? Comment oublier l’espoir de mon frère. Sa joie quand il m’a dit que Cora arrêtait sa carrière. Qu’elle allait probablement revenir à la maison et peut-être que nous pourrions véritablement la voir ? Je me rappelle parfaitement la déception et son renfermement quelques temps plus tard quand elle n’est pas revenue mais s’est encore plus éloigné. Bien sûr que je me rappelle et pas en bien. « Oui, et donc ? » Après le chenil, elle va nous faire quoi ? Un club d’échangisme et elle va les étudier dans les pays plus libertins ?
« La vérité, c’est qu’à l’époque, j’avais dix-sept ans et que je suis tombée enceinte bêtement… » Les mots se détachent dans mon esprit. Enceinte ? Bêtement ? Cora a été enceinte ? Quand, comment ? Comment la presse n’a pu telle pas voir ce détail ? Quand a-t-elle avorté ? Difficilement je tente de suivre le reste de son discours et n’en comprends que quelques mots dont le nom de notre mère. « …que vu mon jeune âge, ça ne pouvait pas se savoir donc Danielle m’a exilé en Europe le temps que le temps que ça passe. » C’est impensable. Elle ment. Une grossesse ça ne se ‘passe pas’. Au mieux ça s’arrête, au pire ça se continue. Je ne vois pas d’étape entre les deux. Qu’est-ce que Cora avait décidé de faire et pourquoi Danielle l’avait-elle envoyé si loin, la province d’à côté autorise l’avortement… Mais Cora a été enceinte ? Le trouble doit parfaitement se lire sur mon visage, mais je ne suis plus, trop d’informations m’arrivent et des questions par milliers fusent à leur suite. « C’est un garçon, et c’est en Floride qu’il vit. » D’un coup mon cœur s’arrête, ma respiration se coupe et j’ai l’impression de perdre toute la chaleur de mon corps. C’est donc cela que nous ressentons lorsque nous passons de l’autre côté ? Ou peut-être est-ce un arrêt cardiaque ? Un garçon ? En Floride ? Mais alors, elle… Mes lèvres s’entrouvrent et je reste muette. Je n’arrive pas à respirer et ça me panique d’autant plus, je refuse de faire une crise devant Cora, d’autant plus avec une révélation comme celle-ci. J’ai l’impression que des minutes passent avant que je retrouve ma respiration et la parole, avant que je vois à nouveau devant moi et le sérieux de ma sœur, pourtant, seulement une poignée de secondes viennent de s’écouler. « Tu es maman ? » Oui, je vous l’accorde, la question est absurde mais dans ce genre de situation, il faut dire les choses clairement. Sèche et douce à la fois, ma voix porte suffisamment pour que seule Cora m'entendent. Ma tête fait de rapides mouvements allant de gauche à droite alors que ma main vient aider mes tempes à contrôler leurs flux sanguins. « Attends, tu me dis que tu as eu un enfant, que personne ne le sait et qu’il vit en Floride. Mais qu’est-ce que tu vas faire là-bas, le voir ? Il te connait ? » Je suis peut-être brusque, directe mais il faut mettre les choses au clair. Qu’est-ce qu’il fait là-bas ? Est-ce que les choses se sont passées ? « Pourquoi il est là-bas ? Pourquoi on ne le sait pas ? » De nouveau, je dois avoir le visage dur et pourtant ce n’est pas ce que je veux, juste comprendre et savoir : nous étions donc si loin d’être de sa famille pour que même nous, son frère et sa sœur ne soyons pas au courant du fait qu’elle ait un enfant ? Ou peut-être que… « Finn est au courant ? » Stop Bryn, laisse la répondre…
Bryn & Cora Hey, sister, know the water's sweet but blood is thickers
P
Il était désormais impossible pour elle de faire marche arrière. Elle avait posé une question simple, si Bryn voulait savoir maintenant ou si elle préférait que la conversation reste simple, dans l’ordre de la découverte de l’autre pour une fois. La culpabilité l’avait rattrapé, s’ajoutant à non-envie de courir vers l’échec avec sa petite sœur parce qu’elle lui aura menti en lui omettant cette histoire que ne sera bientôt plus un secret, parce qu’elle n’aura pas dit la vérité tant qu’il est encore temps alors qu’elle venait de se jurer de ne plus avoir de secret l’une pour l’autre. Cora ne pouvait plus reculer et c’est sans préparation, sans avoir aucune idée de l’endroit où ses mots l’amènent qu’elle commence les explications, à raconter l’histoire, à justifier. Pourquoi la Floride ? Pourquoi ce secret ? Ce n’est pas simple pour elle, d’admettre qu’elle a été assez idiote à dix-sept ans pour avoir un enfant. Ce n’est pas simple de se placer là, juste en dessous du regard de Bryn sans aucun bouclier pour pouvoir se protéger de son jugement. Ce n’est pas simple d’être à nue avec cette histoire, parce que tout allait si bien il y’a dix minutes et qu’elle a peur que tout rechange dans la minute. « Tu es maman ? » L’utilisation du mot lui pince le cœur. Jamais elle ne l’avait proprement utilisé pour se qualifier. Cela semble encore bien trop pour elle qui, il y’a quelques mois en étant encore à se plonger droit dans le travail pour ne pas penser à longueur de journée à ce qu’il s’était produit, à la naissance mais le constat est là, elle est maman même si elle n’a encore jamais pu tenir son fils, même s’il ignore tout de son existence et que la vie a fait qu’elle n’est pas sa maman, c’est tout de même ainsi qu’elle se sent. « Oui. » répond t-elle, d’une toute petite voix alors que Bryn semble ailleurs, pas complètement avec elle. Cora ne poursuit pas, ne voulant pas non plus lui faire trop peur, ou la noyer sous les informations. « Attends, tu me dis que tu as eu un enfant, que personne ne le sait et qu’il vit en Floride. Mais qu’est-ce que tu vas faire là-bas, le voir ? Il te connait ? » Bryn est curieuse. Tellement loin des discours moralisateurs de Finn, c’est un soulagement sur le moment, puis Cora réalise qu’elle réagit tout aussi bien parce qu’elle n’a pas été précise sur ses raisons de partir là-bas. « Non, il ignore qui je suis. » Réponse brève. Mais Cora n’a pas le temps d’expliquer plus que d’autres questions arrivent. « Pourquoi il est là-bas ? Pourquoi on ne le sait pas ? » Le moment devient plus difficile. Si c’était déjà compliqué pour les mots de cette conversation, expliquer le reste était encore plus effrayant. « Finn est au courant ? » « Depuis hier soir. » Pour elle, la première chose à faire était de l’assurer qu’elle en avait autant omis à lui qu’à elle. Elle avait souhaité leur parler à deux moments différents, Finn étant son jumeau, il avait paru naturel qu’il sache en premier. « Ce qu’il s’est passé, c’est que … » Elle ne voulait pas user de termes trop forts pour la perdre. Après tout, Bryn n’avait pas connu leur mère comme elle. C’était difficile de dire les choses et qu’elles soient crédibles. « Danielle avait tellement ma carrière à cœur, qu’elle a juste tout fait pour que ça reste un secret, et elle a réussi, on est parti à l’étranger plusieurs mois, j’ai accouché là-bas et … »Elle lui a volé son enfant pour que d’autres personnes s’en occupent. Non, elle ne peut pas dire ça comme ça. « Elle estimait que je n’avais pas de quoi être maman, que j’étais trop jeune, que c’était mauvais pour moi alors, maintenant il a d’autres parents et j’ai juste eu mes yeux pour pleurer. » Doux euphémisme. « C’est après ça que, j’ai arrêté la télévision et que je suis partie, je voulais juste être loin et le temps a passé, j’ai retrouvé sa trace il y’a quelques mois et là, je m’apprête à essayer de le récupérer. » C’est pas joli de remuer tout ça, à un point que mettre des mots sur certains actes est encore trop compliqué. Elle a si honte à ce moment précis, elle est incapable de croiser le regard de sa cadette.
Cora, maman ? La voix de ma sœur m’atteint mais mon monde s’écroule. Il y a quelque chose que j’ai loupé, que je ne comprends pas. Je ne comprends rien. Comment peut-elle être maman ? Comment aurait-elle pu le cacher ? Je suis perplexe et en même temps, je ne vois aucune raison pour laquelle elle irait inventer cette histoire. J’ai la gorge serrée, nouée entre deux émotions. L’inquiétude pour Cora et le dédain. C’est peut-être fort pour le reste du monde, mais je ne vois qu’une conclusion à cette histoire : sauf si elle le cache sous sa robe, lui aussi elle l’a abandonné… Il faut donc croire qu’on ne se refait pas. Enfin, peut-être que… Si la question de l’abandon est réelle, celle du comment est encore plus grande. Je suis actuellement à une très bonne place pour le savoir, faire des erreurs sous la coupe de Danielle est une tâche des plus complexes. Nos moindres faits et gestes sont étudiés, jusqu’à mon alimentation – ce qui me pose probablement le plus grand problème… Alors tomber enceinte aussi jeune ? Est-ce une rébellion ? Une tentative manquée de faire son intéressante ? Qu’est-ce qui avait bien pu lui passer par la tête ? Alors qu’avoir un être qui pousse à l’intérieur de moi représente une de mes plus grandes phobies, ma sœur l’a vécu alors qu’elle n’avait pas dix-huit ans ? J’ai presque envie de sourire. Nous n’avons réellement pas eu la même vie… « Oui.» Sa voix faible et fragile me donne un frisson. J’ai réellement envie de compatir pour elle, d’être là, mais en même temps tout mon esprit me demande de faire attention, de ne pas lui faire confiance, de connaître l’histoire avant de faire un geste et surtout… qu’une histoire difficile n’enlèvera pas les années horribles que Finn a vécu par sa faute… Pourtant je veux en savoir plus et part à la recherche d’informations. « Non, il ignore qui je suis. » Ma respiration se stoppe à nouveau. Alors pourquoi ? Veux-t-elle réellement détruire la vie de ce gosse ? Ma lancée de question est déjà prête pourtant et je me lance, alors que de nouvelles m’assaillissent. Il faut que je me calme, que je réfléchisse, pourtant cela devient complexe car plus je m’avance, moins je comprends et plus je veux en savoir. Et avant de la laisser aller plus loin, avant de jouer les curieuses, je dois savoir une chose : Finn ? « Depuis hier soir.» Partagée entre l’énervement, l’agacement et le soulagement, je me repositionne dans mon fauteuil dans un souffle, la laissant prendre la parole, notant intérieurement tous mes commentaires.
«Ce qu’il s’est passé, c’est que …» Je suis toute ouïe. Pourtant, je reste sur mes gardes, ne sachant pas réellement ce qu’elle est capable de me sortir… « Danielle avait tellement ma carrière à cœur, qu’elle a juste tout fait pour que ça reste un secret, et elle a réussi, on est parti à l’étranger plusieurs mois, j’ai accouché là-bas et … » Je reste de marbre, plissant un peu les yeux pour mieux entendre ce qu’elle me dit et lui éviter de monter le son et que l’histoire se retrouve le lendemain dans les journaux. Parties quelques mois à l’étranger ? Je me doute que notre mère a voulu camouflé cet évènement. Imaginez, la jeune actrice prodige d’Australie qui se retrouve à faire l’erreur de toutes adolescentes perdues, impensable… « Elle estimait que je n’avais pas de quoi être maman, que j’étais trop jeune, que c’était mauvais pour moi alors, maintenant il a d’autres parents et j’ai juste eu mes yeux pour pleurer.» J’ai honte de le penser, mais… Aurait-elle pu être une mère pour cet enfant ? Elle n’était qu’une gamine pourrie gâtée, aurait-elle réussi à faire grandir cet enfant à l’abri des problèmes liés à son travail et sa popularité ? « C’est après ça que, j’ai arrêté la télévision et que je suis partie, je voulais juste être loin et le temps a passé, j’ai retrouvé sa trace il y’a quelques mois et là, je m’apprête à essayer de le récupérer. » Pour la première fois de ma vie, je ne sais pas quoi dire. Sans voix, je fais face à ma sœur, sans réussir à accrocher son regard. Pour la première fois, c’est moi qui cherche ses iris alors que les siens fuient vers le sol. Je ne l’ai jamais trouvé tant humaine et à la fois, j’ai cette petite voix qui me répète qu’elle devrait laisser cet enfant tranquille… Qu’attend-elle de moi ? Que je lui fasse la morale ? Je suis certaine que Finn la lui a faite. Que je l’encourage ? Je ne suis pas sûre de le vouloir et encore moins d’en être capable. Que je la prenne dans mes bras et lui dise que je la soutiens ? J’aurais pu. Seulement, je ne me rappelle pas avoir eu l’inverse et égoïstement, je ne suis pas sûre de pouvoir lui offrir le creux de mes bras, déjà réservé à si peu de personne… Seulement, je sens ma respiration s’accélérer et ma vue se troubler. Je dois me concentrer sur ma respiration pour ne pas craquer, pas devant elle. Mes doigts s’entrelacent alors que le silence nous englobe, comme un vieil ami pour une fois accueilli avec moins de joie qu’habituellement. Alors que tout défile dans ma tête, je ne peux me retirer cette scène. Si c’était moi ? Après tout, je suis celle qui aujourd’hui pactise avec notre mère sans rien dire, profitant de sa présence en connaissant les termes d’un contrat à son avantage. Si c’était moi ? Si je tombais enceinte demain comment réagirais-je ? La réponse n’est sans doute pas la bonne, mais cette question me brûle les lèvres. Pourquoi n’a-t-elle pas mis un terme à cette grossesse ? Haussant les épaules, je lui murmure presque. « Je suis désolée Cora. » Réellement. Je me mords doucement la lèvre et relève le regard vers la chevelure de feu de ma sœur. Alors que des centaines de questions me viennent, je refuse de céder, tentant, pour la première fois de la prendre avec des pincettes et retenant ma rage pour certains points comme le fait que Finn ne m’ait rien dit, qu’il n’ait pas été au courant plus tôt, qu’elle ne nous ait rien dit, qu’elle ne réagisse que maintenant, que… « J’ai simplement deux questions et demie après je ne chercherais pas à savoir plus que ce que tu voudras me dire mais… Pourquoi tu n’as rien dit plus tôt ? et… » Ma gorge se noue à cette question, mes paupières lourdes se ferment avant que je les rouvre de force. « Pourquoi est-ce que tu veux le récupérer ? S’il est heureux avec ses parents adoptifs, ce n’est pas mieux pour lui ? » C’est un garçon qui a grandi douze ans avec deux personnes qu’il considère comme ses parents et elle veut lui arracher cela pour l’amener dans un nouveau pays, avec une mère célibataire, trop jeune et sans expérience et qui vit encore un peu dans ses films ? « Ne crois pas que je minimise tes sentiments, je me doute que tu dois en souffrir, mais je veux m’assurer que tu ne fais pas ça pour ton bonheur uniquement, mais bien pour lui. » C’est ce qui me fait peur, ce que je redoute. Que comme depuis sa plus tendre enfance, elle ait pensé cette action qu’autour de sa personne… C'est bien ça qui les différencie... A 18 ans, Finn avait déjà un enfant et j'avais 10 ans à cette époque. Elle aurait du venir le voir, elle a préféré fuir et nous ignorer, refermant la porte des possibilités avec nous et pour elle. Il aurait su réagir... Seulement nous ne sommes pas là pour reprendre le passer mais bien réfléchir à l'avenir, non ? Je me surprends moi-même de parler ainsi pour Cora. « Enfin, tu arrives à gérer ça ? Et si Danielle l'apprend ?» La dernière chose dont j'ai envie actuellement est que notre mère prenne part à cette histoire, dévoilant par la même occasion son occupation du moment...
Bryn & Cora Hey, sister, know the water's sweet but blood is thickers
L
e silence est lourd, long et le malaise ne fait que grandir à l’intérieur de Cora. Elle fixe le sol, cherchant à deviner si le regard de sa sœur trahit de la colère, de la déception ou de la pitié (voire les trois à la fois, voire pire). Elle n’arrive pas à relever la tête pour chercher à croiser ses prunelles. Elle a juste honte de l’histoire et beaucoup trop peur d’entendre de nouveaux jugements qu’elle n’est pas prête à entendre. Sa discussion avec Finn de la veille avait suffi à ce qu’elle se monte le film de ce que la benjamine de la famille dirait, après tout, elle n’est pas différente de son frère. « Je suis désolée Cora. » Qu’elle murmure, amenant le visage de la star à finalement se lever vers elle. Cora est muette, il y’a tellement de question sur le visage de Bryn qu’elle ne sait même plus quoi dire, il y’a tellement de choses à expliquer et en même temps, elle a déjà tout dit. « J’ai simplement deux questions et demie après je ne chercherais pas à savoir plus que ce que tu voudras me dire mais… Pourquoi tu n’as rien dit plus tôt ? et… » Répondre que jusqu’à il y’a quelques semaines, elle n’avait absolument aucune raison ‘en parler. Qu’il était hors de question qu’elle offre à son frère et sa sœur une histoire qu’ils pourraient utilisé pour l’accabler plus qu’ils ne le font déjà. Doit-elle lui dire simplement qu’elle n’avait pas confiance en eux pour qu’ils comprennent ? Que le secret était déjà assez pénible à porter pour y ajouter leurs blâmes. Non, trop honnête. « Pourquoi est-ce que tu veux le récupérer ? S’il est heureux avec ses parents adoptifs, ce n’est pas mieux pour lui ? » Finn avait posé la même question. Enfin, il avait eu cette même pensée et une seconde fois, ça lui fait mal que l’on voit ces gens-là comme « les parents adoptifs » plutôt que comme ceux qui ont profité d’une situation de détresse pour adopter un enfant illégalement. Des conversations qu’elle a eu, c’est peut-être le pire des sentiments, qu’on la voit comme celle qui va briser la vie d’une famille alors que cette famille n’existerait pas si on l’avait déjà brisée elle. Elle ravale sa salive. Laisse Bryn terminer. « Ne crois pas que je minimise tes sentiments, je me doute que tu dois en souffrir, mais je veux m’assurer que tu ne fais pas ça pour ton bonheur uniquement, mais bien pour lui. » Donc, elle ne ferait ça que par pur égoïsme ? Peut-être. Mais si elle ne le faisait pas, on dirait que c’est de la lâcheté. Dans les deux cas, on la jugerait. « Si je ne me bats pas pour le récupérer, j’ai tout autant à faire que de me foutre en l’air. » Qu’elle répond franchement, les mots lui arrachant le fond de la gorge en sortant à cause de la difficulté d’en faire l’aveux à haute. « Je le cherche depuis qu’il est né. Je vis avec le fait qu’on m’ait pris mon fils depuis douze ans, tu sais ce qu’il faut pour le supporter ? » Non, elle ne sait pas. Finn l’a toujours couvé, là où sa mère l’exploitait pour en faire une fortune. « On me l’a pris Bryn, bien sûr que la situation serait bien meilleure si je continuais de me taire. Mais, je ne peux pas. » Elle insiste sur la négation. D’avoir appris où il est, ça a tout bousculer, ça a rendu le petit atteignable, réel, présent, retrouvé. C’est juste impossible de l’ignorer. « Traite moi d’égoïste, si tu veux. Ça ne changera rien. » Elle hausse les épaules. Elle n’arrêtera pas ses démarches juste pour les bonnes grâces de sa sœur. « Enfin, tu arrives à gérer ça ? Et si Danielle l'apprend ?» Comme si Danielle était encore une ombre noire à planer sur elle. « Elle l’apprendra. Et je m’en fiche totalement, j’ai trente ans, j’ai passé l’âge d’avoir peur de ma mère. » Au contraire, elle avait bien l’intention de la faire enfermée pour un moment.
« Si je ne me bats pas pour le récupérer, j’ai tout autant à faire que de me foutre en l’air. » Je m’arrête. Toutes pensées, idées, respirations, gestes deviennent impensables alors que ma sœur m’annonce aussi facilement que si elle ne le récupère pas, elle se… Je n’y crois pas, elle n’ait pas sérieuse ? Lentement, je reprends mes esprits, mes ongles s’insérant doucement dans le creux de ma main. A quoi bon dire ce genre de connerie ? Je n’ai jamais fait d’efforts pour recevoir convenable Cora, je n’ai jamais adressé de véritable sourire à ma sœur depuis mes six ans, je tente de l’oublier mais elle reste ma sœur. Elle reste la personne que j’essaie de toucher depuis toujours, celle que je tente d’impressionner, de surpasser. Elle est ce morceau de famille qui me manque, celui que je cherche vainement, en sachant pertinemment que je le repousse de toutes mes forces par peur d’un nouvel abandon. « Je le cherche depuis qu’il est né. Je vis avec le fait qu’on m’ait pris mon fils depuis douze ans, tu sais ce qu’il faut pour le supporter ? » Et ça va être moi la fautive maintenant ? Je plisse les yeux, la dureté de ses propos se lisant dans mon regard. Mon cœur me fait battre, tambourinant plus rapidement qu’il n’en a l’habitude. Partagée entre l’envie de lui répondre, de l’écouter et de foutre le camp, je sers simplement les dents, attendant de voir jusqu’où elle ira, en me faisant mal à la mâchoire. « On me l’a pris Bryn, bien sûr que la situation serait bien meilleure si je continuais de me taire. Mais, je ne peux pas. » Pourquoi j’ai cette fine impression que tout se retourne contre moi alors que j’ai fait des efforts surhumains pour ne pas l’accuser, pour ne pas être méchante ou violente contre elle ? Je vais finir folle… « Traite moi d’égoïste, si tu veux. Ça ne changera rien. » Je la vois faire comme si le monde était contre elle et voit parfaitement en elle, l’actrice qui m’a toujours irisé le poil, le voilà le drama. Tentant de ne pas m’énerver, je me plonge contre le dossier de mon siège, la regardant sévèrement. Je n’aime pas ça, ce n’est pas dans ma nature, abandonner le contrôle, le sourire et l’optimisme, mais là, je ne vois pas comment faire autrement, je ne le vois jamais avec ma sœur… Les répliques sanglantes me viennent facilement à l’esprit mais je me laisse le temps, préférant, ne pas finir par un combat de coq. Est-ce moi ou nous avons inversé les rôles aujourd’hui ?
« Primo, je ne t’ai jamais traité d’égoïste, si tu veux le faire, libre à toi, mais je n’ai fait que poser une question. » Qu’on remette un peu les éléments à leur place. C’est trop facile de me donner le rôle de la méchante à chaque fois. Cette fois-ci, ce n’est pas le cas, j’aimerais au moins que l’on respecte. « Ensuite, je ne sais pas ce que tu as mal pris, mais je ne t’attaquais pas, je voulais voir si tu avais pris le temps de penser à tout avant de foncer tête baisser récupérer un gosse à l’autre bout du globe. » L’agacement doit finalement commencer à s’entendre au fond de ma voix bien que je tente de la lisser au maximum, mais après tout, elle ne mérite peut-être pas un tel traitement, ou peut-être ne connait-elle pas d’autre traitement ? « Pour finir, je veux bien tenter de te comprendre, d’écouter, et de voir ce qui est faisable, mais ne joue plus jamais la carte de te ‘foutre en l’air’, sinon la conversation est finie, tout comme tout ce qui peut rester de notre relation. » Franche, ma voix est dure mais je ne supporte pas ça. Cette vision qu’elle vient de m’imposer, d’elle entrain de s’ôter la vie, je ne le supporte simplement pas. Risible, n’est-ce pas ? De la part de cette petite sœur qui a tout fait pour que la grande soit mal ? Mais mon dessein n’était pas celui-ci mais une compréhension de sa part, sur nos besoins, nos attentes, sur le fait que nous voulions d’elle d’en notre vie et non uniquement de son argent. Même s’il aurait pu sincèrement aider mon frère à une époque… Pour finir, je ne sais pas si elle a oublié pourquoi elle paie des milliers de dollars mon université tous les ans, mais je me forme en gouvernance et politique public, pour l’environnement mais également sur le féminisme et les droits de l’homme, c’est une cause me touche et pour laquelle je ne supporte pas les injustices, même à ma pire ennemie, alors à ma sœur… Sur beaucoup de sujet, j’avoue lui avoir souhaité pas uniquement du bonheur, mais sur celui-là…
Tentant de redescendre l’atmosphère maladroitement, je lui demande tout de même comment, elle gère tout ça et si Danielle, notre génitrice est au courant de son regain d’énergie dans cette histoire. Je me doute que non, j’en aurais entendu parlé, mais, comme je ne sais jamais rien avec elles… « Elle l’apprendra. Et je m’en fiche totalement, j’ai trente ans, j’ai passé l’âge d’avoir peur de ma mère. » Mon cœur se serre à nouveau, c’est donc réellement la guerre entre les deux ? Je vais donc me retrouver au milieu, pire qu’un dommage collatéral, je serais le nouvel ennemi numéro un… Prions pour que Finn n’y soit pas mêlée… J’hoche la tête, faussement sûre de moi. Seulement, je me questionne, réfléchit un instant et fronce le front. « Qu’est-ce que tu comptes faire, Cora ? » Intriguée, j’ai l’impression de mettre le doigt sur quelque chose et préférerait qu’elle ne me dise rien, pourtant, je viens d’en faire la demande… Qu’est-ce qu’elle compte faire avec notre mère ? Qu’est-ce qu’elle va faire avec son fils ? Le connaitre avant de le ramener ? L’arracher de sa famille sans rien annoncer ? Arriver avec une armada d’avocat pour gagner ce combat, promettant d’être long et difficile ? « Juste Cora… » Plus douce, ma voix a de nouveau cette fragilité que je n’aime pas, celle de l’enfant brisée que j’ai pu être et de cette petite fille qui a toujours rêvé de quelque chose de plus. « Je ne suis pas contre toi, pas cette fois-ci. » Je ne dis pas pour le reste, mais nous avons dit essayer non ? Alors pour la première fois de ma vie, je ne dis pas non à mes petites voix qui me disent qu’elle est ma sœur et que je dois la soutenir dans ce genre de moment, sans les prendre dans mes bras, je ne les écrase pas, tentant un entre deux. Me protégeant, tout en regardant ce que cela pourrait donner…
Bryn & Cora Hey, sister, know the water's sweet but blood is thickers
A
border la question du suicide n’est pas le mouvement le plus intelligent. Elle n’est pas fière lorsqu’elle répond à Bryn, les mots raclent sa gorge comme s’ils ne voulaient pas sortir, l’aveu est difficile mais la pensée est bien là, depuis le premier jour. C’est l’incertitude qui l’a fait tenir, l’espoir aussi qu’un jour, justice soit faite. Mais le trou géant laissé par la disparition du bébé n’avait fait que puiser toutes ses forces et aujourd’hui, elle donne ce qu’il reste pour pouvoir fermer cette page de sa vie. Elle aurait aimé apporter une autre réponse à sa sœur, parce qu’elle le voit sur son visage que la confession ne la ravie pas mais, Cora ne peut pas imaginer continuer à vivre avec elle-même si elle reste les bras croisés. C’est juste impensable. Et le fait que Bryn sous-entende qu’elle ne puisse faire ça que pour elle ne fait que lui rajouter un coup. C’est dur à entendre. C’est dur à savoir. Parce qu’elle n’a pas tort la benjamine, Cora fait ça pour elle, égoïstement et ça fait mal de voir qu’elle est jugée pour ça, même si c’est mérité, c’est mal en un sens. C’est au bien d’Arthur qu’elle devrait penser, même si celui-ci est avec ces gens et pas avec elle. Mais, elle en est incapable et c’est assumé. « Primo, je ne t’ai jamais traité d’égoïste, si tu veux le faire, libre à toi, mais je n’ai fait que poser une question. » Elle n’a pas utilisé le mot, certes, mais qu’elle ne lui fasse pas croire que la pensée n’était pas là. Elle a pu être maladroite, mais Cora a toute les raisons d’être blessée par cette maladresse. « Ensuite, je ne sais pas ce que tu as mal pris, mais je ne t’attaquais pas, je voulais voir si tu avais pris le temps de penser à tout avant de foncer tête baisser récupérer un gosse à l’autre bout du globe. » « Parce que, demande à quelqu’un s’il ne fait pas quelque chose pour « son propre bonheur » ce n’est pas sous-entendre que la personne est égoïste ? Je veux bien comprendre que ce n’était pas ton intention mais, ce sont les mots que tu as employé Bryn. » Elle soutient, même si elle le voit que sa sœur n’aime pas la tournure de cette conversation, qu’elle se contient pour que l’échange reste le plus sociable possible. « Pour finir, je veux bien tenter de te comprendre, d’écouter, et de voir ce qui est faisable, mais ne joue plus jamais la carte de te ‘foutre en l’air’, sinon la conversation est finie, tout comme tout ce qui peut rester de notre relation. » Elle ne sait que dire de sa réaction. Elle s’imagine que les rôles avaient été inversés, elle aussi n’aurait pas apprécié ce genre de confession mais elle avait posé une question, Cora avait répondu honnêtement et elle ne pouvait rien si c’était ça la réponse. Bryn ne semble pas comprendre la force mentale qu’il faut pour vivre ce genre d’évènement et continuer à avancer. « Je ne t’en parlerais plus alors. » dit-elle en esquissant un sourire, en reprenant une voix douce et calme, pour la ménager, rien non plus n’indique qu’elle ira se trancher les veines dans la journée. « Mais pour te répondre, oui, j’ai pensé à tout, oui, j’ai déjà tout prévu avec des avocats, je voulais juste vous le dire à Finn et toi, avant que ça n’arrive. » Elle prend un air plus inquiet, avant de nommer la chose. « La Presse. » Ce qui fait au moins d’une bonne nouvelle si Bryn arrive à être loin de l’Australie quand tout le battage médiatique aura lieu. Et là vient la question qu’elle attendait. Forcément, si la presse l’apprenait, Danielle l’apprendrait et Cora était déjà préparée à ça. Elle avait déjà pris ses dispositions. . « Qu’est-ce que tu comptes faire, Cora ? » Qu’elle demande, réellement curieuse, là où Cora aurait pensé que ça ne lui ferait rien. Après tout, leur mère, c’est personne. Déjà pour elle, alors pour eux. « Juste tourner la page. Ça ira très bien tu verras. » Elle lui assure, elle ne lui dit pas tout, ce qui rompt leur précédente promesse, mais en même temps et malgré tout ce qu’elle a fait, c’est pas simple d’admettre que l’on va envoyer sa mère derrière les barreaux. « Juste Cora… » Elle reprend la parole, la sort de ses pensées. « Je ne suis pas contre toi, pas cette fois-ci. » Elle saisit sa main posée sur la table, la serre très fort avant de lui répondre. « Je sais. » dans un souffle, pour finalement se reprendre un peu avant de verser une larme qui serait sûrement de trop. « C’est juste que, cette histoire, ça réveille tellement d’émotion en moi, tellement de souvenir, de rancœur que j’ai accumulé pendant des années. C’est pas facile de garder les idées claires. Mais, je suis prête, je suis juste désolée d’avoir gardé tout ça pour moi tout ce temps et je suis désolée de te faire subir ça. »
Je crois que la situation est bien plus complexe que nous le voulons. Nous venons simplement de se promettre d’essayer à se connaître et voilà que ma sœur me lance l’annonce de la décennie. J’ai toujours du mal à comprendre pourquoi elle ne l’a pas fait plutôt. Elle qui tente par tous les moyens de se rapprocher de Finn et moi depuis des années, pourquoi ne pas nous l’avoir dit plus tôt ? Pourquoi ne pas nous avoir impliquée ? Nous sommes froids et distants avec elle mais nous ne sommes pas inhumains et peut-être qu’une annonce faite avant les démarches aurait facilité nos ententes. Je me doute d’un mal être, d’une incertitude face à cet évènement. Son bébé lui a été enlevé mais pourquoi vouloir à ce point le vivre seul ? Toute sa vie elle aura réellement prit les mauvaises décisions… Prenant toujours des décisions en réfléchissant à moitié, je pense qu’il faut qu’elle arrête d’attendre que sa vie s’écrive dans un scénario mais plus qu’elle en soit la scénariste. Malheureusement, même en tentant ce poste, elle loupe des étapes, comme si nous ne vivions pas dans la même réalité, comme si seul le personnage principal dans le rôle de Cora Coverdale était sans cesse le centre d’intérêt et que jamais l’avis ou le ressenti des autres protagonistes étaient jugé important. « Parce que, demande à quelqu’un s’il ne fait pas quelque chose pour « son propre bonheur » ce n’est pas sous-entendre que la personne est égoïste ? Je veux bien comprendre que ce n’était pas ton intention mais, ce sont les mots que tu as employé Bryn. » J’ai envie de lever les yeux au ciel mais me retient. Mon dieu, cet entretien m’épuise. Ce n’est plus un café dont j’ai besoin mais d’un rhum sec. Et puis qu’elle pense ce qui lui chante, oui c’est une démarche égoïste comme tout ce qu’elle entreprend. SI c’est ça qu’elle souhaite entendre, je peux me lancer mais je ne suis pas sûre que cela aide notre débat. Je me suffis à lever les sourcils et hausser les épaules tout en continuant. « Je ne t’en parlerais plus alors. » Cette fois-ci, c’est plus fort que moi, mes yeux se lèvent et je ne retiens plus ma mine dépitée sur mon visage. Bien que son visage a elle se pare d’un sourire doux comme si elle allait s’adresser à un enfant ou un handicapé. Je ne réagis pas, ça ne sert à rien, je préfère la laisser continuer sinon mieux vaut que je m’en aille maintenant. « Mais pour te répondre, oui, j’ai pensé à tout, oui, j’ai déjà tout prévu avec des avocats, je voulais juste vous le dire à Finn et toi, avant que ça n’arrive. La Presse. » Un rire jaune s’échappe d’entre mes lèvres. « C’est trop gentil de ta part…» Je comprends, notre réaction aurait été pire si nous l’avions appris par les magazines, mais après tout, un peu comme nous avons appris tous les pans de la vie de notre sœur, non ? Je suis amer mais comment faire autrement ? Elle veut nous protéger de la presse ? Au fond, je m’en fiche de ça, ce n’a jamais été le plus dur mais bien ça. Le fait qu’elle nous prévienne toujours juste avant que la presse ne l’apprenne. Pourquoi pas nous prévenir au début, bien avant ? Au moment où nous pouvons faire quelque chose, émettre un avis. Sinon, qu’attend-elle réellement de nous ? Un sourire, une claque dans le dos et un « bonne chance ». Très peu pour moi. Pourtant, je me reprends, sentant que je vais la braquer et ne voulant pas refaire de scandale. Levant les mains comme une excuse, je respire en me calmant. « Désolée, c’était mal placé. » Pourtant je l’ai encore en travers de la gorge mais ne dirait rien, m’épatant moi-même du sang froid dont je fais preuve depuis que nous sommes assises.
Le sujet de notre mère et de la suite vient sur le tapis et je ne peux m’empêcher de m’en inquiéter. Bien plus que je ne l’aurais fait il y a un an. Que veut-elle faire ? Je me sens un peu à l’étroit et ait du mal à respirer. « Juste tourner la page. Ça ira très bien tu verras. » Pour qui ?! Les palpitations de mon cœur se font plus rapides et ma respiration difficile. Merde. Comment m’échapper ? Comment éviter tout ça ? Je ne peux sereinement pas prendre la défense de notre mère mais comment lui dire qu’elle ne doit rien faire de trop osé, sinon je perds mon manager et probablement mon frère et sa confiance pour la fin de mes jours ? Je peux supporter de perdre Danielle, même si elle est utile, elle s’est imposée et n’a jamais été une mère pour moi. Finn par contre, c’est hors de question. Je ne peux être la nouvelle Cora à ses yeux… Je mets du temps à faire comme si de rien était, tente un sourire. Il doit sonner faux. Je dois boire une gorgée pour tenter de reprendre de la contenance et préfère changer de sujet, montrer que je ne suis pas comme elle, que je ne suis pas non plus ce qu’elle pense. Malgré tout, je reste humaine et au fond, elle reste ma sœur, non ? Reprenant la parole après un temps de repos, j’attire son attention et frissonne à son contact. Woh ! Ça c’était inattendu. Mon esprit se vide alors que les mains de ma sœur compressent tendrement mais fermement la mienne. Je panique, ma cage thoracique se resserrant sur mes poumons alors que ma vue devient floue. Je ne dois pas craquer, je ne dois pas craquer. Etrangement, me concentrant sur ce contact, chaud et sincère, ma respiration se calme et mon cœur se pince. C’est de ça que j’ai toujours eu besoin. De ce contact lorsque ma vie ne tournait plus rond, de cette attention, de son regard sincère posé sur moi. Peut-être qu’avec ça, jamais Finn aurait eu à voir une de mes crises aller jusqu’au bout. Parce que même s’il a toujours tout fait, Finn lui-même n’était pas entier, il lui manquait une partie de lui, cette partie qui me fait face... « Je sais. » Ma gorge se serre. J’étouffe, pas de panique mais d’incompréhension. Pourquoi, pourquoi est-ce que j’ai cette impression que mon attention pour elle nous bouleverse toutes les deux à ce point ? N’est-ce pas censé être naturel ? Je n’arrive pas à la voir clairement, mais j’ai l’impression que je ne suis pas la seule à être légèrement troublée… « C’est juste que, cette histoire, ça réveille tellement d’émotion en moi, tellement de souvenir, de rancœur que j’ai accumulé pendant des années. C’est pas facile de garder les idées claires. Mais, je suis prête, je suis juste désolée d’avoir gardé tout ça pour moi tout ce temps et je suis désolée de te faire subir ça. » Continuant les montagnes russes, je déchiffre doucement ses paroles. J’hésite, ma main souhaitant se rétracter mais son contact me gardant sur terre. Pourtant ma vue se dégage, un sourire s’étend sur mes lèvres. Je me mords la lèvre mais ne peux réellement m’en empêcher. « Bienvenue au club… » Soufflais-je. Des sentiments, de la rancœur, retrouvés à tel point que nos idées ne sont plus claires ? C’est un peu ce que je vis à chaque fois que je suis à ses côtés, et je n’ose imaginer ce que ressent Finn… « De me faire subir quoi Cora ? » Je sens que je suis sur la ligne, celle qui peut me faire tomber dans une crise comme celle qui peut m’amener à l’énervement, ne sachant toujours pas laquelle choisir, également tentée par la douceur et la compassion… Ma voix se fait douce, fragile et perturbée par le manque d’air ressenti quelques secondes plus tôt. « J’accepte tes excuses pour le fait d’avoir tout gardé pour toi, après tout, c’est ta vie. Et… » Je souris réellement, s’en est presque ironique au final, non ? « Tu sais que je préfère que tu me fasses « subir » ça, plutôt que les quinze premières années de ma vie ? » Ce n’est pas dit sur le ton du reproche, c’est simplement la réalité. Otant ma main des siennes, je me recule dans mon fauteuil, le laissant m’englober et tentant d’y trouver un repos mérité. J’ai la main tremblante et le cœur finissant un marathon. Je suis exténuée et je n’aurais jamais dû m’accorder ce temps de repos. Soufflant, je tente de me retrouver alors qu’un rire nerveux s’empare de moi. Décidément, seule trois femmes auront réussi à me mettre dans ce genre d’état, et Cora doit remporter la palme. Me passant les mains sur le visage, je tente de reprendre contenance sans faire attention à ma sœur face à moi. « Désolée, je… ça fait beaucoup pour un repas que je pensais écourter… » Alors que je pensais être libre en quelques minutes, me voilà face à elle depuis plus d’une heure ayant dégagé les sujets de notre querelle éternelle, Finn ainsi qu’une annonce à laquelle on ne s’attend pas réellement. « Du coup, pour savoir, tu te lances quand dans tout ça ? » Afin d’être prête entre les annonces, les demandes, les interrogations des personnes étant proches de moi uniquement pour en savoir plus sur ma sœur et surtout savoir quand je dois fuir sur la plage la plus reculée d’Australie pour être tranquille et prier pour que ma propre carrière ne pâtisse pas de ses actes…
Bryn & Cora Hey, sister, know the water's sweet but blood is thickers
E
lle n’arrive pas à se sentir plus à l’aise maintenant qu’elle vient d’avouer son secret. Désormais, ce sont les conséquences d’autant d’années à ne rien avoir dit qui sont matière à appréhension, alors quelques heures minutes plus tôt, c’était encore la réaction de Bryn qui lui faisait peur. Elle commence à se faire à l’idée que cette boule là, dans le creux de l’estomac ne s’arrêtera jamais quand il s’agira d’être avec son frère et sa sœur. Elle aurait cru que ça irait mieux, quand elles ont creusé l’abçès, qu’elles se sont promis de mieux se connaître mais Cora avait un peu fichu ça en l’air en avouant d’emblée qu’elle avait eu un enfant. Avait-elle fait le mauvais choix pour autant ? Elle ne pense pas, elle n’a pas été honnête pendant des années, pour des raisons qui sont matière à débat et qu’elle préfère ne pas aborder maintenant, mais aujourd’hui, elle est comme libre. Elle n’a désormais, plus rien à cacher et si ça ne la tranquillise pas encore, elle garde en tête que c’est mieux. Maintenant, il ne reste qu’à gérer le reste du monde, qu’elle se prépare au déferlement de haine qu’elle recevra. Elle sait que ça ne sera pas facile, mais ce qu’elle regrette le plus, c’est que ça va inévitablement toucher le reste de la fratrie. « C’est trop gentil de ta part…» Que Bryn laisse échapper, laissant planer un froid sur la conversation. Cora sait qu’elle l’a mérité, que souvent, ils se retrouvent bien malgré eux dans des articles vides qui traitent de sa vie, c’est sensée vendre le papier mais ça n’est pas point handicapant. Elle sait que sa façon de vivre a une incidence sur eux. Elle ne l’a pas choisi, ou du moins, elle ne l’a pas voulu, mais là, c’est pire car Cora n’a jamais attiré l’attention comme ça et qu’elle ne se fait pas d’illusion sur le fait qu’on va les préserver. t. « Désolée, c’était mal placé. » Qu’elle ajoute, Cora ne dit rien. Défendre son cas, ça ne sert à rien. Bryn ne comprendrait pas.
Elle aborde ses prétentions avec beaucoup de délicatesse. Elle ne sait pas encore comment la suite va se passer. Elle n’a pas la main mise dessus, elle a juste prévu qui elle attaquerait et Danielle Coverdale est bien sûr en haut de la liste. Cora a toujours eu une relation très compliquée avec sa mère. Elle l’avait élevé, en la privant de beaucoup de chose, en étant sévère voir même injuste, en la brimant et en lui retirant toute vie normale, mais elle avait été là et encore aujourd’hui, elle l’était, faute de mieux. Mais, ça ne retire pas ce qu’elle a fait de mal et la liste est longue, à commencer par l’enlèvement d’Arthur. Bryn semble suprêmement bien intéressée du sort de la génitrice mais Cora suppose que, c’est parce que comme Finn, elle veut lui faire payer ces années de pure ignorance.
« Bienvenue au club… » répond ironiquement Bryn face aux excuses, on ne peut plus sincères de Cora. Elle les prend comme une envie d’alléger l’atmosphère, ce qui ajoute de la douceur sur son visage, là où la peur s’était installée. « De me faire subir quoi Cora ? » « Tout ça. » Qu’elle répond, parce que la liste est longue, qu’elle n’aurait probablement pas assez du peu de temps qu’elles ont devant elles pour les énumérer. Elle est désolée de lui faire subir chaque conséquence de ses choix lorsqu’ils la concernent de près ou de loin. « Je suis désolée de ta faire subir la presse, mon nom, mon absence, mes choix. Je … » Elle s’interromps, la liste est longue et elle ne sait pas comment matérialiser ses pensées. « J’accepte tes excuses pour le fait d’avoir tout gardé pour toi, après tout, c’est ta vie. Et…Tu sais que je préfère que tu me fasses « subir » ça, plutôt que les quinze premières années de ma vie ? »» Elle esquisse un sourire, pas fière de ça même si beaucoup de choses se sont faites malgré elle. Elle ne s’excuse pas à nouveau, ne cherche pas à se défendre non plus. L’heure est au ressenti de la benjamine. « Désolée, je… ça fait beaucoup pour un repas que je pensais écourter… » Forcément, cela faisait un moment qu’elles parlaient. De mémoire, elles n’avaient jamais une entrevue aussi ensemble depuis que Bryn n’était plus une enfant. « Du coup, pour savoir, tu te lances quand dans tout ça ? » Excellente question. Les dossiers n’étaient pas fini. Son avocate a encore à faire. « Après le nouvel an. J’attends encore que l’on récupère certains documents. » précise Cora avant d’ajouter. « Mais, si tu veux retrouver tes amis maintenant, tu peux y aller. On pourra parler de ça plus tard. » Qu’elle appuie en voyant que sa sœur ne pourrait probablement pas encaisser une annonce de plus, et que de toute, ses amis devaient se demander où elle est. « E tout cas, je suis contente d’avoir eu cette conversation avec toi. » Et c’est sincère, elle adresse un signe au serveur, pour régler les cafés. Le téléphone sur la table vibre, Cora le montre du nez. « Tes amis t’attendent. »
Alors que je ne contrôle plus mes sentiments dans cette situation, je laisse la colère et la méchanceté prendre le dessus. Je m’en veux, pour une fois, elle n’a rien fait qui le mérite, pourtant, je n’arrive pas à faire autrement. Passant de la douceur à la vacherie, je ne peux dicter mes mots, mes pensées ne s’éclaircissant pas. « Tout ça.» Tout ça ? Elle veut donc ne pas me faire subir une discussion dans un café ? Je pense qu’elle veut dire plus, toute cette histoire mais est-ce qu’elle incorpore tout le reste dans son tout ça ? Comment lui faire comprendre que nous avons souffert de son métier, sa popularité mais que ce n’était pas le pire. Cette partie-là, nous aurions pu la gérer si seulement elle était avec nous. C’est l’ignorance et l’abandon qui sont difficiles à mettre de côté. « Je suis désolée de ta faire subir la presse, mon nom, mon absence, mes choix. Je … » Alors qu’elle se lance dans cette liste que je pourrais démonter petit à petit, en commençant par le nom – qui n’est pas uniquement le sien qu’elle s’en rappelle et elle n’est pas la personne qui me l’a donné – mes lèvres forment une moue. Elle s’arrête et je reprends, l’excusant sans savoir pourquoi ou comment. Je ne sais pas ce qu’elle a pu me faire aujourd’hui mais je crois que la bonne étoile était sur nos têtes, ou la sienne en l’occurrence… Pourtant, tout ce que je dis, je le pense. Je lui pardonnerais ce genre de moment, un placardage médiatique, ce que je ne pourrais pardonner facilement c’est la vie que Finn a mené et même si ce n’est pas à moi de pardonner pour ça, j’ai du mal à oublier… Pourtant, nous ne pouvons refaire ce monde, refaire notre vie. Le fait qu’elle ne rajoute rien m’apaise. Je n’aurais pas supporter un nouveau désolée.
Le fait qu’elle veuille impliquer notre génitrice dans son histoire ne m’arrange pas spécialement, d’où mon intérêt soudain pour son devenir. Même si ce dernier peut passer comme malsain, comme une revanche de ma part sur notre mère, c’est plus de son avenir que je m’inquiète. Sans elle, je ne sais pas réellement comment faire tenir ma carrière et ce n’est pas maintenant qu’il faut que je la lâche si je veux faire une véritable percée. « Après le nouvel an. J’attends encore que l’on récupère certains documents. » Sympa, elle lui laisse Noël, en même temps, ce n’est pas comme si elle avait du monde avec qui le passer. Pas chez les Coverdale en tout cas… J’acquiesce, suivant les dire de ma sœur et tentant d’imaginer quel type de document elle peut bien devoir avoir pour ce genre d’affaire. « Mais, si tu veux retrouver tes amis maintenant, tu peux y aller. On pourra parler de ça plus tard. » Mes quoi ? J’ouvre grands les yeux, comprenant que nous sommes entrées dans le café il y a déjà bien plus de dix minutes, peut-être même une heure. Je me rappelle lui avoir parlé de mon plan d’après, j’avoue, je m’en veux un peu maintenant… « En tout cas, je suis contente d’avoir eu cette conversation avec toi. » Je suis donc réellement mise à la porte, c’est cela ? Je cligne des yeux, souris, sans savoir comment agir, ni quoi dire. Elle appelle le serveur, mon portable vibre. Sérieusement, on ne peut pas avoir trente minutes de retard tranquillement ? « Tes amis t’attendent. » Je souris, hochant la tête de droite à gauche. « Ils vont m’attendre longtemps. » Il est hors de question que j’aille les rejoindre, pas dans cet état-là. J’ai besoin de voir Lola, ou Simon, peut-être un de mes Hazard-Perry mais personne d’autre. Non. J’ai besoin d’être seule. J’attrape mes affaires, sans pour autant me lever, attendant qu’elle paie l’addition. « J’ai été heureuse de pouvoir parler avec toi aussi. » C’est la vérité, même si le dire me fait presque mal, comme si je n’imaginais même pas cela possible. J’attrape mon téléphone, envoi rapidement un message à mes amis pour les prévenir de ne pas s’occuper de moi et reviens à ma sœur, mon regard se plantant sans le vouloir dans son regard sincère. « Merci Cora. » Pour me l’avoir dit mais surtout pour m’avoir écouté. Même si je trouve cela mérité, n’importe qui n’aurait pu se prendre tous mes discours en pleine face de cette manière. Elle est restée, droite et sans trop de débordement. Pour cela, et pour la première fois depuis longtemps, je la respecte, sincèrement. « Bon courage en tout cas pour tout et promis, la prochaine fois, je ne prévois rien pour mettre fin à notre repas. » Déjà un grand pas en avant, j’imagine une prochaine fois, ce que je n’ai jamais fait, sauf pour mes chèques chaque semestre… Je récupère mon skate, seul moyen de locomotion possible pour moi avant de sortir, suivi de mon aînée. « Rentre bien et fais attention à toi. » Phrase que je n’ai probablement jamais utilisée face à elle. Pourtant, je la pense. Attention en rentrant mais surtout en se lançant dans son combat pour son fils. Et puis après tout, ça veut dire que je suis tata ? Creep, j’ai presque autant d’écart avec lui qu’avec les jumeaux… Sans savoir d’où cet élan me vient, j’enlace rapidement ma sœur avant de me retirer et de lui adresser un sourire. Nous aurons plus avancé aujourd’hui que les dix dernières années, en même temps, quand j’y met un peu du mien… Et puis, je peux faire quoi quand elle me dit qu’on lui a arraché son enfant ? Le cœur pincé, je me tourne pour repartir en direction de ma maison, sans même prendre la peine de poser ma planche sur le sol, tentant plutôt de reprendre notre conversation sans plus y trouver de sens… Mon lit attend moi, j’arrive !