You've lost your game, you've got to let it go. It feels the same. Now we're here, all alone. You want to see if we can take it back. But who are you to say we're not on track? We will find a way to set things straight in our hearts. We will find our way somehow.
J’avais amené un croquis, un seul. Ce n’était pas une illumination divine qui l’avait choisi pour moi, ni une quelconque limitation. Mes carnets étaient remplis, mes idées débordaient, inspiration que j’avais depuis longtemps perdue qui revenait peu à peu, force violente, et l’impression de reprendre doucement ma place derrière un chevalet. Devant. C’était un travail de plusieurs mois, de nuits blanches, de canevas barbouillés, de secrets, de tentatives. J’avais retrouvé mes pinceaux et un peu de contenance, j’avais les ongles colorés sur une base régulière, la peau bariolée. Cet atelier qu’Edward m’avait offert à Noël dernier avait commencé à me ressembler un peu plus, comme Jamie l’avait prédit. Des croquis à droite, des toiles à gauche, de la peinture sur les rainures et un peu plus d’ambiance, de cœur, de saveur. J’y passais mes journées, mes soirées, mes week-ends, et entre les visites à l’hôpital pour m’assurer que tout allait bien pour Noah, je recommençais doucement à peindre. Qui l’aurait cru. D’abord pour moi, principalement pour moi surtout, et pour les autres un peu. Pour un cadeau par ci, une pensée par là. Une aquarelle toute en douceur, un fusain un peu plus sérieux, une huile qui se mélange, une gravure qui insiste. À force, j’avais même osé ouvrir les portes du loft à des workshops, rien de bien sérieux, rien de bien construit. Une journée par semaine où j’étais un peu moins sauvage, cachée, où je laissais d’autres artistes passer par l’atelier, tester les matériaux, y ajouter des bribes de leur histoire à eux aussi. C’était un immense travail sur moi, sur ce que j’avais réussi à si bien enfouir avec le temps, sur ce qui se plaquait, caché, refoulé, depuis Londres. Une suite d’événements, de motivations, de discussions, des gens, des visages, des encouragements, des défis. On m’avait dit que j’avais tout gâché, bien que je le savais depuis plus longtemps encore. Goût amer et l’envie de me prouver que je n’étais pas qu’une ombre, d’arrêter même de me barricader derrière Noah et sa maladie, de vivre un peu. De lui offrir une mère forte, et pas juste une loque, un semblant de. Saul échange un regard à la dérobée alors que je ne lâche pas le croquis, le fameux, des yeux. « C’est pas le plus beau, c’est pas le meilleur, mais c’est celui qui ressemble le plus à ce que je veux lui montrer. Je crois. » un léger rire qui passe par mes lèvres, et mes iris se posent maintenant sur la route qui défile en bordure de la voiture. « Merci, d’aller me porter à la gare. Ça aide un peu au trac, juste un peu hen. » il sait. Il sait et il n’insiste pas, il ne me rassure pas à outrance, il n’est pas dérangeant, dérangé. Saul est simplement là, oreille attentive, et c’est plus que suffisant. Un croquis donc, et une idée un peu floue de ce que j’ai envie de dévoiler, de partager. C’était une artiste rencontrée lors d’un de mes ateliers, Dannie, qui m’avait mentionné sa carrière relancée, son intérêt, ses envies. Elle organisait une exposition ce week-end, dans une aile de Gallery One à Southport, et m’avait glissé un mot de tout le chemin qu’elle avait pu parcourir pour se retrouver là. Passé trouble, problèmes personnels et autres attaches d’avant qui avaient assombri son regard à un moment, et le déclic s’était fait. « J’ai hâte de la revoir. Je ne sais pas d’où, ni de comment, mais je sens que j’ai à apprendre d’elle. » que je glisse, un peu à moi, un peu à Saul, alors qu’il stationne la voiture sur le parking. Elle m’avait invitée à passer, chaudement même, et si j’avais voulu refuser par habitude, j’avais accepté par lassitude. Celle de ne plus me reconnaître. Noah était entre bonnes mains, et je ne serais qu’à 2 heures et des poussières de Brisbane, ce qui n’était pas plus mal pour me changer un peu les idées. De force. Pour prendre l’air aussi, et laisser de côté tout ce qui a bien pu se déclencher dans ma vie, exploser de part et d’autre, depuis la récente mention du divorce à Edward. Si tout avait été beaucoup trop vite et trop mal, ce ne serait pas de refus que je laisserais la vie et son quotidien difficile derrière moi pour un petit week-end. Je ne m’inquiétais pas, je savais que tous et chacun seraient toujours là à mon retour, et que mes problèmes, mes interrogations et mes remords m’attendraient sagement au chaud le temps que je fasse le vide pour mieux faire le plein. Voilà qui était assuré. Alors j’inspire. J’embrasse mon ami, je lui souris aussi, sincèrement. Sac à dos sur l’épaule, doigts caressant le bout de papier que je range dans ma besace entre les pages d'un cahier pour ne pas l’abîmer, et j’entame un pas et puis deux vers le pont d’embarquement. Ce n’est que quelques minutes après avoir pénétré dans le train et trouvé ma place que je la vois, installée au fond du wagon. J’ai le cœur qui se serre en pensant à notre dernière entrevue, surtout à celle qu’elle a bien pu avoir avec Jamie durant cette même soirée. Je me fais violence, à me risquer dans sa direction. Tout me crie de ne pas m’en mêler, de ne pas la saluer, de laisser le tout entre les mains de la vie, de laisser du temps. J’ai à tout mal de trahir Jamie même, ami, confident, que je n’avais encore jamais vu aussi acide, aussi amer que depuis quelques temps, mais… mais. Je ne peux pas me résoudre à la laisser seule à son banc. Je prends sur moi, j’inspire, je ne veux pas déranger surtout. Et j’ose « Cette place est prise ? » j’évite à toute trace de miséricorde ou même d’inquiétude de colorer mon expression. Elle a besoin de beaucoup mieux que de la simple pitié.
La meilleure chose à faire était certainement de partir. Temporairement bien sûr. Ne pas faire comme Sophia sans laisser de nouvelles. Mais il fallait qu'elle change un peu d'air, qu'elle pense peut-être un peu à elle, et à Daniel. Même si Brisbane était la ville de son coeur, la petite blonde ressentait le besoin de s'en éloigner l'espace d'un weekend. Elle avait toujours eu peu de l'inconnu, mais elle avait besoin de voir quelques nouveautés. Un weekend complet, par chance, elle ne travaillait pas ce samedi-là. Même son psychologue l'avait encouragé dans cette initiative. Joanne ne voulait pas trop aller loin non plus. Elle avait trouvé un hôtel qui lui semblait particulièrement sympathique à Southport et elle ne s'était plus rendue là-bas depuis quelques années. De plus, elle avait repéré une galerie là-bas qu'elle comptait bien visiter. Ce n'était pas vraiment pour son travail parce que ce n'était pas vraiment le style d'oeuvres qu'elle adorait étudier et référencer. Joanne avait trouvé des billets de train sur internet. C'était la première fois pour son garçon, le train. Lui avait déjà pris l'avion – autant commencer par le plus impressionnant. Sinon, elle faisait tous ses trajets avec lui en voiture. Elle avait d'ailleurs déposé cette dernière à la gare pour le weekend. Emmener un petit d'un an et demi pour un weekend exigeait d'emmener tout de même un grande valise. Il fallait un certain nombre de vêtements de rechange, de couche, de quoi préparer le biberon, et la liste était particulièrement longue. Sutout que Joanne était un peu trop prévoyante et avait la fâcheuse tendance à embarquer avec elle bien plus que nécessaire pour son fils. Celui-ci, bien qu'il soit assez aventureux dans l'âme, mais il restait bien sous les jupes de sa mère lorsqu'il s'agissait de marcher dans la gare. Joanne préférait qu'il en soit ainsi, même s'il n'y avait pas encore beaucoup de monde. Avec une main, elle tenait ses petits doigts, avec l'autre, elle faisait rouler la grosse valise avec l'ensemble de leurs affaires. Au bout d'un moment, il voulait être pris dans les bras, ce qui ne facilitait guère la tâche de la jeune maman. Celle-ci parvint à quai tant bien que mal. Elle déposa sa valise dans la compartiment prévu pour cela et s'installa sur un banc libre. Il n'y avait pas encore beaucoup de monde. La petite blonde s'installa près de la fenêtre. Elle retira la veste qu'elle avait enfilé à son fils afin qu'il n'ait pas trop chaud durant le voyage puis le prit sur ses genoux pour lui montrer le paysage. Elle avait emmené avec elle un petit livre dédié aux enfants de son âge qui avait comme sujet les trains. Elle le lui racontait depuis quelques jours, en faisant les bruitages typiques de ce moyen de locomotion. Daniel avait beaucoup de mal à prononcer ce mot, ce qui faisait toujours un peu sourire Joanne. Elle avait également embarqué toute la panoplie de jouets pour lui pour ne pas qu'il s'ennuie. Elle avait bon espoir qu'il finisse par s'endormir sur le trajet. Mais pour le moment, elle le regardait gambader dans le wagon avec son canard en peluche et se précipitait parfois vers Joanne pour lui raconter une nouvelle histoire. C'était parfois un peu de charabia, mais on pouvait percevoir quelques mots distincts dans ses récits. Alors que Daniel jouait avec sa peluche qu'il avait posé sur les genoux de sa mère, celle-ci entendit une voix plus que familière. Elle leva immédiatement les yeux et la pésence de Ginny se confirmait. Joanne sentait également son coeur se serrer, à l'idée de l'avoir là, juste en face d'elle. C'était l'amie de Jamie, et elle était là lors de la réception au QAGOMA. Muette comme une tombe, les iris bleus de la jeune femme parcouraient le reste du wagon, qui disposait encore de beaucoup de places vacantes. Alors, pourquoi vouloir se mettre à côté d'elle ? Joanne ne pouvait pas s'empêcher de faire preuve d'un tout petit peu de méfiance envers Ginny. Elle se demandait ce qu'elle lui voulait. Le fait qu'elles se trouvent dans le même pour la même destination la laissait également perplexe. Après quelques secondes de réflexion, elle finit enfin par répondre. "... Non, non. Installe-toi." dit-elle presque tout bas, avec un faible sourire. Elle se décalait un peu plus contre la fenêtre pour lui laisser un maximum de places. Pourtant, Ginny était une amie. Mais elle était bien plus proche de Jamie, et il était difficile pour elle de ne pas s'attendre à être sermonnée, d'une certaine façon. En somme, sa présence la mettait un peu mal à l'aise. Daniel l'observait avec ses grands yeux bleus –exactement les mêmes que sa mère– et lui faisait ensuite un grand sourire avant de réclamer d'être sur les genoux de Joanne. Elle laissait le temps à la brune de s'installer avant d'oser dire quoi que ce soit. "Qu'est-ce qui... t'amène à Southport ?" demanda-t-elle timidement avec un faible sourire. Joanne ne voulait pas lui demander si ça allait. On ne lui retournerait que la question, et elle ne désirait pas y répondre. Et Ginny avait déjà une vague idée de ce qui se tramait dans sa vie dernièrement. "Je... Je pars en weekend là-bas, j'avais envie de changer un peu d'air." exliqua-t-elle avec un sourire nerveux. "Et puis, Daniel n'a encore jamais pris le train, c'était l'occasion." Elle caressait doucement les cheveux bruns de son garçon en le regardant avec tendresse.
You've lost your game, you've got to let it go. It feels the same. Now we're here, all alone. You want to see if we can take it back. But who are you to say we're not on track? We will find a way to set things straight in our hearts. We will find our way somehow.
Étrangement, j’étais calme en entrant dans le train. La pression de la fuite, bien qu’elle soit calculée et réfléchie, n’aidant pas j’avais l’impression que tout aurait pu se mettre en travers de notre route alors que Saul me raccompagnait à la gare. Une fois hors de la voiture, les pieds sur le bitume, la tête dans les nuages, j’avais soufflé. C’était la bonne décision, l’une de plusieurs à venir je pense même. Si tout le reste semblait s’effriter du bout de mes doigts, l’art lui, restait toujours là, immuable, tangible, concret, à m’attendre. À me soulager. Edward ne me parlait plus depuis la fameuse soirée au restaurant – et la façon dont nous nous étions quitté me brisait encore le cœur. Cette trahison qu’il avait déboulée avec violence me suffisait à ne pas vouloir en rajouter une couche, à lui laisser du temps, à ne pas le brusquer dans sa réflexion. Matt, mes parents et les récentes révélations m’étaient sortis en travers de la gorge aussi. Apprendre que la personne en qui j’avais le plus confiance, mon double, mon frère, mon tout m’avait si facilement menti et arraché à une vie potentielle à laquelle il n’adhérait pas avait suffi à ce que je veuille couper définitivement toute forme de communication avec lui. Ezra entrait à tâtons dans notre vie à Noah et moi et c’était sans surprise que j’apprivoisais son retour avec appréhension. J’en avais toujours rêvé hen, ne vous méprenez pas. Mais c’était simplement une rééducation, un amour bafoué, un cœur brisé que je mettais en berne le temps que se profile une relation douce, vraie, unique avec son fils. Depuis le temps où j’attendais qu’ils se rencontrent, qu’ils se découvrent, qu’ils s’aiment. Ben, oh Ben. J’avais joué avec le feu. J’avais nié tout le reste, j’avais testé, j’avais tenté même, osé. Si je savais dès le départ que ce n’était même pas une option, je m’étais surprise un peu trop souvent à sourire bêtement devant ses mimiques, devant ses blagues, devant nos fous rires trop présents. Et puis quoi, maintenant ? Je me mentais effrontément, et je n’en étais que plus consciente. Alors oui, un week-end ailleurs. Et rien d’autre. Personne, une pause, une longue pause, et un isolement nécessaire. Ce n’était pas moi, de butiner. De me sentir traquée, piégée, de nouveau. Je n’avais pas mis autant de temps et d’énergie sur les papiers du divorce pour finir par être pieds et poings liés à nouveau. On annonce que le quai est ouvert, que le train est en gare et puis voilà, le reste stagne avec soulagement en retrait lorsque ma silhouette s’engouffre dans l’habitacle et que je ne regarde même pas derrière. Figure bien dramatique j’en conçois, mais tellement salvatrice qu’elle m’occasionne un soupir, et un autre. Ça ira, ça irait, ça allait. 29B trouvé, je glisse mon sac dans la cabine avant de faire volte-face avec l’envie de m’écrouler, un livre à la main, et de laisser les kilomètres se succéder le temps que ma cage thoracique soit plus légère. Et je la vois. Petit bout de femme que je reconnais pour l’avoir vue quelques fois déjà, blonde au sourire qui fuie un peu trop à mon goût, elle qui avait laissé un souvenir si doux jadis. Mais c’était avant. Avant tout ce qui a bien pu se passer entre Jamie et elle, avant les derniers événements, avant la grande finale, du moins, aux yeux de mon ami. Loin de moi l’idée de me mêler de ce qui ne me regarde pas entre eux alors que je laisse mes affaires à ma place pour me faufiler près d’elle, amende honorable. Je n’ai même pas envie de mentionner le Keynes, déjà parce que je n’ai pas le droit, surtout parce que ce n’est pas nécessaire. Et je le reconnais, ce regard-là, celui qu'elle étrenne. Épuisé, las, vide. Je le reconnais pour l’avoir arboré durant plusieurs années, pour le côtoyer encore un peu parfois, trop souvent à mes yeux. Elle est méfiante – je ne peux pas lui en vouloir, je le serais moi aussi. « Je n’en ai que pour quelques minutes. » que je me justifie, douce, ne voulant pas lui faire l’affront de m’imposer de la sorte trop longtemps. Joanne a sûrement autre chose de prévu pour le voyage, et de voir Daniel sur ses genoux me confirme qu’elle aura probablement à gérer toute crise potentielle si le bonhomme n’est pas à l’aise avec ce genre de moyen de transport. Je suis brève, mais néanmoins intéressée. Elle avait toujours su rebondir avec brio sur nos discussions animées lorsque Jamie et moi nous nous enflammions sur telle toile ou tel peintre. Autant joindre l’utile à l’agréable, et lui changer les idées au passage. Elle m’enlève les mots de la bouche en me demandant d’abord ce que je compte faire à Southport. « Un vernissage tout simple. J’ai été invitée par une peintre géniale qui a assisté à un de mes ateliers, alors j’en profite pour partir à l’aventure un peu pour le week-end. » je n’ai jamais eu l’habitude de faire dans le small talk, pourtant, les mots semblent couler un peu plus facilement qu’à l’habitude. « Je ne sais pas si tu la connais, Dannie Hayes. Elle est plutôt moderne, mais elle a un style vraiment intéressant. Je pense que tu l’aimerais. » Je mets cela – et avec raison – sur l’art. Je devenais toujours une autre personne, plus articulée, plus confiante, lorsqu’on me lançait sur le sujet. « Oh, vrai ? On entend beaucoup de bien de la ville, ça semble super pour une escapade de quelques jours. » voilà que Joanne me confirme qu’elle aussi a prévu séjourné en ville pour les deux prochains jours, et je ne peux que m’étonner franchement de la coïncidence. Daniel babille et j’arque un sourcil. Disons que le plan initial de fuir un peu Brisbane et ce qui s’y trame semble plaire à plus de gens que je ne le crois. « Il s'en sort comme un champion. » je pointe doucement du menton le garçon qui se contente de regarder de ses grands yeux les voyageurs et l’ensemble du wagon dans un mutisme des plus rassurants. Un silence confortable s’installe entre nous deux, et je sens qu’elle me jauge, probablement justifiée. J’y vois là le signal de les laisser à deux, le plus naturellement du monde. « Bon, je ne vous dérangerai pas plus longtemps. » aimable au possible, je me relève doucement de mon siège, sentant les moteurs qui commencent à s’activer. « Je… » bon voyage ? bonne route ? À plus ? Je ne sais tellement pas sur quel pied danser entre Jamie et Joanne que je préfère me retirer sans plus de dommages collatéraux. Si elle souhaite discuter, si elle a besoin de se changer les idées, elle saura que je suis là, que je n’ai pas l’intention de le mentionner, ou de mentionner toute cette histoire. Mais ce ne sera pas à moi de le lui forcer, de nouveau. « Ça te fera du bien, je crois. D'être hors de la ville. Je comprends, le besoin de partir un peu, de faire le point, tout ça. M’enfin bref, fais attention à toi. » ça suffira. Et ces mots que j’articule avec tant de facilité pour elle, me semblent encore si difficiles à maîtriser pour moi. Comme toujours.
En semaine, Joanne avait l'avantage de ne pas avoir le temps de penser à sa vie amoureuse. Elle se levait de bonne heure le matin pour déposer Daniel à la crèche, elle allait ensuite au boulot, elle cherchait le petit le soir-même et s'occupait de lui jusqu'au coucher. D'un autre côté, elle appréhendait aussi ce weekend, parce qu'elle n'aura qu'à penser à elle-même et à son petit garçon pour deux. Et jusqu'ici elle faisait son maximum pour ne pas penser à Jamie, ou Hassan. Elle avait besoin de détachement, mais elle ignorait de ce qu'elle pourrait en faire. La hasard avait voulu que Ginny soit là. Il était encore plus curieux que la belle brune ait voulu aborder la conversation avec elle. Elle était avant tout l'amie de Jamie, alors pourquoi aurait-elle envie de discuter avec celle qui lui avait brisé son coeur. Ginny lui assura qu'elle ne restera pas bien longtemps à ses côtés, certainement juste pour échanger quelques mots par simple politesse. Contre toute attente, la brune restait particulièrement douce et patiente avec Joanne, qui demeurait pour le moment un peu plus sur la défensive. Il s'avérait qu'elle avait un beau programme de prévu pour ce weekend là. Joanne secoua timidement la tête. "Non, je ne la connais pas." lui répondit-elle tout bas, presque comme un murmure. "Je suis... disons très sélective par rapport à l'art moderne, c'est vraiment du cas par cas." Joanne, elle, ce qu'elle préférait par-dessus tout, c'était des oeuvres bien plus anciennes. C'était cette passion pour l'histoire et l'art qui lui avait permis de trouver l'emploi de ses rêves. Certes, elle ne mettrait pas un de ces tableaux chez elle en guise de décoration. "J'y jetterai peut-être un oeil ce weekend." C'était une idée de sortie comme une autre, Joanne n'avait pas encore programmé quoi que ce soit pour le weekend, elle voulait se laisser surprendre en étant sur place. "C'est un sacré weekend qui t'attend alors, pour toi." dit-elle avec un petit sourire. "Je suis déjà allée à Southport il y a plusieurs années, c'est une belle ville, oui." Ca changeait de Brisbane, du moins. Joanne n'en demandait pas plus. Daniel attirait l'attention de la brune, retrouvant son habitude à jouer les charmeurs avec des personnes que Joanne ne semblait pas trop craindre. "Je ne me fais pas trop de soucis pour lui." répondit-elle en regardant son fils. Celui-ci sursauta dès que les moteurs du train furent allumés. Il tendit immédiatement les bras pour que Joanne le mette sur ses genoux. Elle le rassurait, lui chuchotait tout bas que c'était normal. Ginny jugea que c'était le moment le plus opportun pour se trouver une autre place. Elle semblait savoir de quoi elle parlait, en parlant de ce petit séjour de prévu. Joanne comprenait sans mal que c'était à peu près pour les mêmes raisons qu'elle se retirait de Brisbane, en plus d'une belle opportunité pour ses talents d'artiste. Elle savait ce qu'il s'était passé, après tout. Ginny avait du rapidement faire le lien entre ce weekend et ce qu'il s'était passé avec Jamie. "Tu... Tu peux rester assise ici, si tu veux." se risqua-t-elle à dire. Elle avait l'impression que la brune se sentait obligée de partir. Il était vrai qu'elle n'était pas des plus loquaces ni des plus ouvertes. Joanne ne savait pas sur quel pied danser avec Ginny. Mais celle-ci ne semblait absolument pas lui en tenir rigueur. "Daniel sera calme, vu comment il s'installe, je pense qu'il finira pas s'endormir. Et... même, ce n'est pas vraiment un enfant turbulent, il ne t'embêtera pas trop." expliqua-t-elle. Ginny avait aussi un gamin, elle savait ce que c'était. Mais elle jugeait de le lui rappeler, si jamais elle comptait refuser à cause de cela. Hésitante, elle prit un certain moment avant de reprendre la parole. "On pourrait... discuter, le temps du voyage." suggéra-t-elle. "Tu pourrais me parler de la raison pour laquelle tu as été invitée là-bas, si c'est pour toi une opportunité professionnelle ou... ou même d'autre chose si tu veux." A vrai dire, Joanne estimait qu'elle n'avait rien de très palpitant à raconter, ou rien qui ne puisse l'intéresser, mais que la belle brune semblait avoir beaucoup plus de choses intéressantes. Le train commençait à avancer, et à sortir de la gare. Le temps était assez nuageux ce jour-là, elle espérait qu'il fasse un peu plus beau à Southport. Et plus chaud aussi, parce que Joanne restait avant tout frileuse. A vrai dire, au fur et à mesure de sa réflexion, elle serait même contente de pouvoir partager le trajet avec Ginny. Cette dernière ne semblait pas lui reprocher quoi que ce soit, alors autant lever un peu se garde et se montrer tout aussi sociable que Ginny l'avait été jusqu'ici.
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D’où je connaissais Joanne, déjà ? Lire cette expression que je ne maîtrise que trop sur son visage me semble sorti tout droit d’ailleurs, si ma mémoire ne me fait pas défaut. Elle était la petite blonde papillonnant au bras de Jamie, à une époque. Elle était ce cerveau sur deux pattes qui se cachait dans les méandres des archives à la recherche de l’histoire derrière une toile d’antan, un classique. Elle était cette petite voix qui ne s’impose pas, qui s’ajoutait aux nôtres alors qu’il y a un moment, nous avions passé un dîner entier à nous extasier sur une collection française rassemblant artefacts de plusieurs centaines d’années, et qui selon nous avaient chacun des significations et des consonances différentes. Avant que tout parte en fumée, avant que je ne retrouve un Jamie agressif et dépassé dans mon atelier il n’y a pas si longtemps. Avant que je n’assiste à la débandade que cette soirée au QAGOMA avait pu être, entre eux deux. Jamie et moi, cet accord tacite, ce silence bienveillant, ce non-jugement qu’on s’efforçait de maintenir. Je le respectais trop pour le bassiner avec ma vie sentimentale – quoi qu’absente jusqu’à tout récemment – et il n’entrait presque jamais dans ses propres détails à lui. Nous étions plus que ça, plus que deux pauvres cœurs esseulés en quête de confirmation, de conseils, d’épaule sur laquelle pleurer. Chacun bercé par son orgueil, chacun bien souvent incapable de mettre en mots ses tourments, c’était l’art et la peinture et les couleurs et l’interprétation qui nous guidaient plus souvent qu’autrement. Il m’avait vu dans des états incroyables, je pouvais en dire autant, mais jamais je n’avais senti de jugement de sa part, d’œil accusateur, de réprimande. Et j’étais bien fière de faire de même. Loin de moi l’idée d’intervenir entre Joanne et lui, loin de moi l’idée d’oser même aborder le sujet sans qu’il ne l’ait mis lui-même sur la table, et qu’il m’ait demandé de me prononcer, de prendre position, de choisir un camp. Ce qu’il ne faisait pas, et je ne l’aimais que plus pour cela. Je laisse mes iris caresser la silhouette de Joanne un instant, constatant. La raison de ma présence à ses côtés est tout à fait simple, plausible, et loin de la trahison d’un ami à mes yeux. Même si Edward pouvait vous dire franchement que je n’avais aucune conscience de ce qu'était trahir ou non, à mon sens ici, je ne prenais pas partie, je n’étais pas d’un côté ou de l’autre de la dispute. Je m’assurais simplement que Joanne allait bien. Que cette femme au regard si nostalgique, si cassé, s’en remettrait. J’avais été là à une époque, j’y étais même encore parfois. Et je savais la différence positive que cela faisait lorsque, une inconnue, ou une connaissance, ou une amie de longue date même pouvait faire, d’un petit sourire, d’une conversation banale, d’un geste gentil. Je ne veux pas m’incruster, je ne veux pas lui imposer ma présence, je veux simplement qu’elle sache qu'un jour ça ira mieux. Et la convaincre m’aidera sûrement à me convaincre au passage. « Noah adore l’avion. L’autobus l’endort, le train aussi. Mais l’avion… il se colle à un hublot et il regarde par la fenêtre jusqu’à être incapable de rester éveillé. » que j’ajoute, souriant de plus belle à Daniel qui se love dans les bras de Joanne dès que le train commence doucement à avancer. Le souvenir de Noah au retour de Disney, partageant la fenêtre avec Adam en rondes de 10 minutes chacun me revient en tête, et je félicite en silence, fierté, mon fils qui s’était comporté en vrai pro du décollage jusqu’à l’atterrissage. Et voilà, le signal de mon départ est lancé. Je n’ai pas envie de m’éterniser, non plus de forcer Joanne à me parler, alors qu’elle doit facilement associer mon visage à celui de Jamie, puisque c’est à ce moment qu’elle m’a vue pour la dernière fois. Pour toutes les fois, au final. Mon bouquin m’appelle, silence rassurant, et elle ne sera que plus contente de retrouver la paix elle aussi avec un Daniel qui tangue déjà au fil des mouvements du véhicule. Mais elle m’arrête dans mon élan et j’arque la tête, curieuse. En voilà une autre qui est hésitante lorsqu’elle s’affirme… et je ne peux que sourire de plus belle. « Je ne voulais pas m’imposer tu sais. » elle lira entre les lignes que je parle autant d’en ce moment qu’à l’exposition où j’étais apparue avec Jamie. Ce n’était pas moi de m’immiscer dans quoi que ce soit, j’avais déjà assez à gérer de mon propre côté fallait dire. « Oh, Daniel ne me fait pas peur. » je laisse aller un rire, finissant par refaire le trajet en inverse, et m’installant sur le siège face à Joanne. « Ce sont 5 premières années de cascades et de pirouettes auxquelles j'ai eu droit avec le mien. Je suis capable d’en prendre. » je laisse passer le reste, sachant que la jeune femme connaît un peu l’histoire et la maladie de Noah. Au moins, le début de la vie du gamin avait été rocambolesque – et j’osais espérer qu’un bras cassé ou qu’une côte fêlée redeviendrait mon simple quotidien un jour, et le sien. Le temps que Daniel trouve une position confortable, je laisse mes prunelles suivre le chemin qui se profile. La nature qui nous entoure et les nuages qui doucement se succèdent me rassurent, me calment aussi. La voix de Joanne me sort de ma rêverie. La voilà un peu plus loquace. Chuchotement pour ne pas déranger le petit être doucement assoupi, je tente une première confession. « Elle a sûrement fait erreur sur la personne, en vrai. » et un rire gêné, un. « Elle a jeté un coup d’œil à mes vieux croquis, à des dessins que j’avais faits à Londres, il y a longtemps. Et elle a beaucoup aimé. » j’hausse les épaules, pensive. « Je n’ai plus du tout ce style-là, j’ai appris, j’ai changé. Mais elle tenait quand même à ce que je vienne, elle disait que j’aimerais ses toiles, que je me retrouverais dans son art. » l’articuler me fait rouler des yeux. Hilare, j’attrape le regard de Joanne de façon complice pour la première fois depuis longtemps. « À savoir si elle sera déçue lorsqu’elle verra ce que je fais maintenant, ou si ce sera moi qui n’aimera pas ses toiles et qui devra le lui dire tôt ou tard. » valait mieux rester en apparence dans ce cas, et profiter du voyage pour ce qu’il est. Une escapade loin de tout, canevas en prime. « Et toi ? Tu as prévu quelque chose en particulier avec Daniel ? On annonce du beau temps tout le week-end. » cela changerait de l’hiver un brin gris de Brisbane. « J’imagine que tu as déjà fait du repérage, mais je pourrais demander à Dannie si elle a des références de galeries ou de musées qui te plairaient bien. » ça, je sais qu’elle appréciera. Quelques minutes passent le temps que Joanne me partage les grandes lignes de son périple, et voilà que j’aperçois au bout du couloir le cart de boissons et collations. Yeux ronds, monnaie qui tique, et je me prépare à la gâterie de l’après-midi. « Café ? C’est moi qui offre. »
Difficile de se positionner vis-à-vis de Ginny. Cela devait être difficile même pour cette dernière. Elle aimait beaucoup Jamie et semblait toujours beaucoup apprécier Joanne. Rester totalement neutre dans de telles histoires était quasiment impossible, pas lorsque l'on était impliqué émotionnellement. La brune les aimait tous les deux et voilà qu'elle ne pouvait que les regarder se quereller et se haïr. C'était peut-être par pure sympathie qu'elle avait approché Joanne, et non par pitié. Elles avaient tant en commun, il serait dommage de gâcher une amitié naissante à cause de tout ceci. La bienveillance existait encore, même si elle était souvent très mal interprétée. "Daniel a déjà pris l'avion, plusieurs fois. Mais il était bien trop petit pour en avoir un quelconque souvenir. S'il le reprend un jour, je pense qu'il serait exactement comme Noah. C'est un petit garçon particulièrement curieux." dit Joanne en s'installant un peu mieux sur le siège pour être plus confortablement assise. Ses doigts caressaient le dos de son fils, qui restait bien silencieux, perplexe par le bruit du train. Ginny ne semblait pas vouloir imposer davantage sa présence à Joanne. Il était vrai que ça la mettait un peu mal à l'aise, mais cette impression s'évaporait lentement. Au début, Joanne se demandait simplement ce qu'elle pouvait bien lui vouloir. Elle pensait forcément à Jamie en la voyant, mais c'était déjà le cas avant qu'elles ne se croisent. "Je le sais." lui assura-t-elle, arborant un sourire plus que triste en se rappelant la soirée au QAGOMA. Jamie l'avait emmenée avec lui, elle n'avait pas à se reprocher quoi que ce soit par rapport à cela. "C'était plutôt moi qui m'étais imposée." Mais son supérieur l'y avait quelque peu obligée, ce n'était pas comme si Joanne avait tenté de faire en sorte d'infliger sa présence à Jamie, et ni à Ginny, pour le coup. La belle brune finit par s'asseoir en face de Joanne, ajoutant que ce n'était certainement pas le petit qui l'effrayait. Elle savait ce que c'était, d'avoir un fils. Même si Noah était malade et que sa vie était bien différente de celle de Daniel rien qu'à cause de cela. Par chance, lui avait une santé de fer, comme son père. La petite blonde se montrait un peu plus causante alors, histoire de faire passer le temps. Daniel se laissait bercer par les caresses de sa mère, bien lové dans ses bras. Elle avait fini par lui sortir la tétine de son sac pour la lui mettre en bouche, sentant bien qu'il n'allait pas tarder à s'endormir. "Tu sais, je pense qu'elle s'y attend, que tu n'aies pas le même style que tu pouvais avoir avant." commenta-t-elle. "Tout artiste évolue selon ses expériences personnelles, ses découvertes. Il a de nouvelles sources d'inspiration, des envies d'exprimer d'autres choses. S'il veut peindre exactement la même chose qu'il y a quelques années, avec le même esprit, le même message qu'il voulait faire passer à ce moment, il n'y parviendrait pas." Elle sourit faiblement. "Picasso en est l'exemple parfait. Ses oeuvres au début des années 1900 étaient bien plus réalistes que quelques années plus tard, avec le cubisme. Ses expériences l'ont mené à ces changements là." C'était un exemple typique, mais il y en avait bien d'autres. "Quoi qu'il advienne, ça restera une belle expérience pour toi. C'est un bon moyen de montrer ce dont tu es capable de faire. Tu devrais avoir confiance en ton talent. Laisse-toi surprendre, et surprends les autres." dit-elle d'un ton encourageant, avec un sourire sincère sur ses lèvres. Joanne était bien plus douée pour mettre en avant les autres et les inciter à les lancer dans des voies qui leur étaient tout tracées plutôt que de penser à elle. "Rien de particulier, non. J'ai juste pris des billets de train et réservé l'hôtel, je n'ai pas vraiment songé au reste. Ca dépendra surtout de Daniel, mais je ne pense pas faire beaucoup de musées ou de galeries, il faut qu'il s'amuse lui aussi. Je pense que je lui montrerai le port et j'ai vu qu'il y a un parc à proximité avec des aires de jeux. Une promenade à la plage aussi, certainement." Joanne était assez évasive, elle n'en savait trop rien. Elle qui préférait toujours bien planifier un voyage, là, elle se montrait particulièrement flexible par rapport au programme des deux jours passés à Southport. "Mais si tu peux lui demander, oui, je suis toujours preneuse de bonnes adresses. Si ce n'est pas ce weekend, je me trouverai bien l'occasion d'y retourner si quelque chose m'intéresse." répondit tout de même Joanne. Quelques minutes plus tard, la brune proposa une boisson chaude à son amie, tenant à l'inviter. "Un thé, s'il y en a. Sinon, un jus de fruits, n'importe lequel." lui dit-elle. Elle réapparut une minute plus avec les deux boissons en main. "Merci beaucoup, Ginny." dit-elle en prenant le gobelet en tâchant de ne pas trop bousculer Daniel bien qu'il n'avait toujours pas les yeux fermés. Il regardait le paysage défiler devant ses yeux, à travers la fenêtre. Après quoi, la petite blonde ne savait plus trop quoi dire. Elle soufflait sur la surface de son thé afin de le refroidir, parce qu'elle ne le buvait que très tiède. Après un moment de silence, elle finit par dire. "Je... Je suis sincèrement désolée si j'ai gâché ta soirée, la dernière fois." Inutile d'en dire davantage, Ginny comprendre de quoi elle parlait. Joanne ne savait plus si ça remontait à quelques jours, quelques semaines. Elle avait la gorge nouée rien qu'en se remémorant tout ce qui s'était dit. "Sache juste que... Je ne voulais pas tout ruiner. Je suis... désolée." Ses yeux se mirent à briller un peu plus, émue. Joanne n'avait qui lui venait à l'esprit, mais elle s'en voulait beaucoup. Elle craignait que Ginny ne lui reproche cela, bien que ça ne lui ressemblait pas. La blonde jugeait tout de même bon de présenter ses excuses, en espérant qu'elle ne lui en tienne pas rigueur.
You've lost your game, you've got to let it go. It feels the same. Now we're here, all alone. You want to see if we can take it back. But who are you to say we're not on track? We will find a way to set things straight in our hearts. We will find our way somehow.
Voilà qu’elle rebondit sur mes propres mots, et je sens un frisson activer mon échine. Non Joanne, ne t’enlise pas là-dedans, oublie, laisse passer. Ça vaudra mieux, je peux te l’assurer. « Don’t mention it. » je suis égoïste et je ne m’en cache pas. Loin de moi l’idée de donner mon avis sur quoi que ce soit les reliant, loin de moi l’envie de m’avancer sur sa présence, sur leur soirée, sur leur bulle, leur discorde. Restons entre les lignes, restons brèves, restons polies. Je m’en voudrais trop d’activer la plaie, de toute façon. Je m’installe tout de même sur le siège face à elle, attentive, m’emportant même au passage lorsqu’elle touche une corde sensible, ce week-end, cette invitation, cet art que j’allais voir, duquel j’allais parler, rêver. Je ne me souvenais même plus de la dernière fois où on m’avait lancé sur le sujet, vraiment, sans aucune autre arrière-pensée. Dédicace silencieuse à Auden qui s’en était pris à moi – avec raison – lors de mon passage à l’Académie, et qui avait de par le fait même bousillé mes premiers pas, mon retour, à l’aveugle. Je ne lui en tenais pas rigueur, mais cette altercation entre l’artiste et moi ne m’avait confirmé que trop que j’étais prête à remettre les pieds dans le domaine, à tenter de m’y faire une place, de la garder surtout. Cohérence. « Je ne me suis même pas reconnue, c’est ça qui est le pire. » un petit rire qui passe, et je m’installe un peu plus confortablement dans le siège de cuir ciré. Il fallait dire que j’avais dû mettre plusieurs minutes à détailler les traits, incertaine, avant de réaliser que c’était bien ma signature que j’y lisais, au bas. « J’ai pas reconnu ce que je faisais avant, ça m’a pris un long moment avant de réaliser que c’était bien moi qui avait tracé ces trucs-là, jadis, et pas un étudiant qui avait laissé ses croquis à l’atelier. » la surprise, le déni, l’ennui, l’oubli, un peu de tout ça et même d’ailleurs. Ces cahiers qui étaient restés cachés dans mes boîtes de longues années, avant qu’Edward ne déterre le tout pour l’installer bien confortablement dans ce loft qu’il m’avait offert. Rest is history. « Il y a aussi le fait que j’ai arrêté, pendant 5 ans. Et je me sens tellement incertaine quand je regarde ce que j’ai fait, au début, quand j’ai repris. Les traits de crayon qui fuient, les couleurs qui s’affirment à peine. J’ai changé d’angle, ce n’est même plus une redirection, c’est une réinvention complète. » l’évolution en soi, la loi du plus fort, de la plus forte. Je souris à la mention de Picasso et à sa complète métamorphose, elle a bien raison au fond. Ce n’est que la suite logique, ce n’est que la nature qui fait bien les choses. Et elle était loin la Ginny rêveuse, celle qui écoutait, studieuse, qui grattait le papier comme on le lui montrait, qui appliquait les enseignements de ses professeurs à la lettre, pas de place à l’improvisation. Stuck up oui, mais déterminée, avide. Je ne retrouvais plus cette technique, cette éthique dans mes figures, ces règles qu’on nous relatait avec ardeur. Des courbes plus libres, des erreurs qui se peaufinent, des idées qui se mélangent. Et une Ginny qui s’adapte aussi, qui s’apprivoise. « Mais je comprends, et t’as raison… c’est la beauté de la chose, de laisser la vie t’inspirer, de lui faire assez confiance pour la suivre et qu’elle guide ce que tu as envie de faire, comme œuvres. C’est juste... dépaysant. Et vraiment, vraiment surprenant parfois. Comme tu dis, exactement ça. » sortir du carcan, out of the box, oublier les dictats. La fillette linéaire que j’étais jadis se retrouve à jouer avec l’inconnu dans sa vie depuis si longtemps qu’à force, cela transparaît dans toutes les sphères qu’elle peut bien toucher. « J’ai apporté ce croquis-là, aussi. C’est con, c’est pas quelque chose de remarquable en soi, mais ça représente mes idées actuelles, le style que j’essaie de peaufiner. En espérant qu’au moins, ça lui parle. » je joins le geste à la parole en lui passant le croquis, le sortant doucement de mon sac pour le lisser avant de le passer à ses mains. On y reconnait les mouvements, les bleus, les verts, les silhouettes volages, l’aquarelle. Mais rien n’est moins sûr, clair surtout. C’est un dessin d’émotions d’abord, de ressenti, pas d’un sujet fixe, exprimé. Elle le détaillera en silence de longues minutes, à travers lesquelles je suis étrangement confortable. Ses commentaires ne me font pas peur, d’autant plus que je n’appréhende rien. Je respectais beaucoup l’avis artistique de Joanne, ses interprétations étaient toujours justes, concises, construites. Elle était en plein dans la bonne branche si vous vouliez savoir, et même si mon style ne correspondait pas à celui qu’elle étudiait ardemment, je savais qu’elle saurait le comprendre sans plus de cérémonies. De ça, nous passons maintenant à elle, à son planning, à son week-end, son escapade. Non sans peser mes mots, je réalise qu’elle aussi a prévu peu, qu’elle se laisse plutôt guider par l’instant, et même si je suis surprise qu’elle me le confirme, c’est un soulagement qui passe à travers mes paroles. Tant mieux pour elle, pour son petit cœur aussi. « Aucun plan c’est très souvent le meilleur plan. Mis à part la chambre que j’ai louée et le vernissage, je n’ai rien non plus. J’avais pas envie, de planifier. Ça bousille la créativité, alors je prends largement cette excuse au sens propre du terme. » j’en connais plusieurs qui rigoleraient de m’entendre, jaune bien sûr. Il fût un temps où j’étais si rigide, si stressée par la simple idée de ne pas avoir de plan précis que j’en devenais difficile à suivre. Puis Ezra était arrivé, et avait fait ressortir cette facette de moi, ce côté plus libre, moins dépendant aussi. Il m’avait mis en confiance, assez pour que je fasse confiance à mon tour. Et Noah ensuite, l’imprévu au summum, la raison première de mon besoin de vivre au jour le jour maintenant. L’avenir ne m’intéresse plus. Joanne reste tout de même réceptive à mes quelques propositions de galeries, et je prends une note mentale de les lui transmettre au fil des prochains jours si de bonnes références viennent sur le sujet ce dont je ne doute pas. Il est venu le temps d’un café, et d’un thé pour la petite blonde, et je ne me fais pas prier pour m’extirper du siège et aller commander. Ravie du parfum qui caresse mes narines, je trottine vers nos places en profitant de la chaleur qui brûle doucement mes doigts gelés, et passe le gobelet à la principale intéressée. « 'Plaisir. » un doux moment de répit, les paupières qui se font presque lourdes, et j’aurais facilement pu sombrer moi aussi dans une petite sieste bien réparatrice avant que Joanne ne reprenne la conversation – et qu’elle provoque un nouveau soubresaut pour ma part. Il fallait que je m’y attende, que ce sujet soit mentionné, qu’il soit ambiant, omniprésent. Il comptait tellement pour elle, c’était compréhensible. Toutefois, « Tu sais… » je m’interromps, cherchant mes mots. Je ne voulais pas prendre cette pente glissante, je n’y tenais pas, je souhaitais un répit d’eux, de toutes ces histoires, mais surtout, je ne me voyais pas n’être pas le moins du monde loyale. Alors je contemple, et j’évite son regard sans même le réaliser. « J’ai appris à la dure que les excuses, c’est pas ça qu’il faut. C’est pas de ça que les gens ont besoin, toi pareil. » ni Edward ni Ezra n’en voulaient, et je le comprenais un peu mieux maintenant que j’en attendais aussi beaucoup plus de la part de mes parents, et de mon frère. « C’est une question d’actions, de preuves tangibles, pas de paroles. Ça vaut mieux d’agir et de prouver en silence que de parler et de finir par s’embourber dans des promesses. » mes mots sont lents, importants, pesés. J’entoure mon verre de carton de mes doigts hésitants, bien que mon discours est tout à fait réfléchi et assumé. Bienveillant. « Ma soirée devrait être le dernier de tes soucis, je suis très bien en mesure de ruiner mes propres plans toute seule, tu sais. » et la blague qui se mêle d’elle-même, beaucoup trop facile pour que je laisse passer. « On trinque ? À ce week-end où on laisse tout le reste derrière. Juste un peu. Ça attendra notre retour, t’inquiètes pas. » voilà que mes iris pleins de promesses, et aussi compréhensifs que je puisse les transmettre, accrochent les siens.
Ginny ne voulait même pas en parler, même pas le mentionner. La petite blonde ne savait pas comment le prendre : si elle ne voulait pas s'en mêler, ni en parler, ni s'inclure dans toute cette histoire. Non, Joanne ne devait pas en dire le moindre mot. De toute façon, la plaie était déjà bel et bien ouverte depuis longtemps, difficile pour Ginny d'empirer les choses en disant quelque chose de particulier. La brune restait en dehors de tout ceci et semblait bien plus motivée à discuter de la raison principale de son voyage, et de ses oeuvres. Elle disait ne pas se reconnaître dans ses propres tableaux. Aux yeux de Joanne, Ginny ne faisait que se redécouvrir, telle qu'elle était désormais. Elle sourit faiblement entendant la belle brune rire. "Ca prouve que tu as aussi beaucoup changé, toi, si tu n'arrives plus vraiment à décrypter ce que tu faisais avant. Tu as de nouvelles sources d'inspiration, de nouvelles motivations. Quand tu regarderas ce que tu fais maintenant dans cinq ans, tu te diras exactement la même chose." commenta Joanne. Elle ne suivait pas vraiment les artistes actuels, elle ne s'y était jamais véritablement intéressée. Elle se souvenait surtout qu'elle prenait le temps de regarder ce que peignait ou dessinait Jamie, lorsqu'ils traînaient ensemble dans leur atelier. Elle ne se permettait jamais d'y aller s'il ne s'y trouvait pas, encore. Mais elle avait toujours adoré ce qu'il faisait. "Laisse-toi dépayser, alors." l'encouragea-t-elle. "Laisse-toi surprendre par ce dont tu es capable de faire, ça t'ouvrira bien plus de portes que tu ne puisse le penser." L'art était un moyen de libre expression, il ne fallait pas que Ginny se limite parce qu'elle n'osait pas. Peut-être appréhendait-elle cette nouvelel partie d'elle, qui se dévoilait sur chacun de ses nouveaux croquis. La brune tendit un croquis à Joanne, un papier qu'elle comptait montrer à la femme dont elle lui avait parlé un peu plus tôt. La conservatrice n'avait jamais vu d'autres oeuvres de Ginny, elle aurait voulu avoir un autre moyen de comparaison. Joanne observait longuement les couleurs choisies, c'était assez éloigné du réalisme. "C'est très libre d'interprétation." commenta Joanne. C'était un bon point. "Je veux dire, les formes que l'on y devine, il pourrait très bien s'agir de silhouettes, mais d'autres pourraient y voir autre chose. Tout en exprimant ce que tu ressens toi, tu laisses une certaine liberté d'imagination à ceux qui le regardent, je trouve que c'est une facette particulièrement intéressante." Elle lui sourit et lui rendit le croquis en faisant bien attention de ne pas l'abîmer d'une quelconque façon. "J'adorerais voir tes autres créations." conclut-elle, espérant que Ginny accepte un jour. Elles discutaient ensuite de leur programme pour le weekend prévu. La brune trouvait que c'était une bonne chose, de ne rien avoir de prévu de particulier. "J'avoue préférer savoir quoi faire de mes journées. Je n'ai juste pas eu le temps cette semaine de véritablement me pencher sur tout ça." confessa Joanne avec un sourire gêné. Cela l'empêchait d'avoir des moments où elle ne savait pas quoi faire, car c'était bien souvent durant ces laps de temps qu'elle se mettait à penser – et ce n'était pas ce qu'elle recherchait en se retirant à Southport pour deux jours. Avoir un cadre bien précis était particulièrement rassurant pour elle. Joanne n'avait pas l'esprit aussi libre qu'un artiste, mais il était aussi torturé, c'était certain. Ginny fit un aller-retour pour chercher deux boissons chaudes qu'elle ne tarda pas à ramener. Après quelques minutes de silence, la blonde abordait un sujet particulièrement sensible et il fallait dire que la réaction de Ginny était assez inattendue. Elle avait l'impression d'entendre Jamie, lui qui avait horreur des excuses. Il disait exactement la même chose qu'elle. Des actions, des preuves tangibles, elle ne demandait qu'à en trouver, qu'à savoir quoi faire. Mais Jamie avait été clair : il ne voulait plus la voir, elle devait l'oublier. Se souvenir de cet échange serrait sa gorge et créait une vive oppression thoracique dans sa poitrine. Au moins, Joanne savait désormais que son interlocutrice ne voulait pas entendre quoi que ce soit de cette histoire. Quelque peu à fleur de peau, des larmes venaient embuer la vue de la blonde, sans pour autant couler sur ses joues. Elle se pinçait les lèvres et ne disait rien, se contenter d'un discret signe de tête. Ginny ne pensait certainement pas à mal en voulant trinquer avec elle, pleine d'optimisme et d'enthousiasme pour ce weekend qui s'annonçait. C'était en revanche un peu trop demandé à Joanne de tout laisser derrière. Oh, elle ne se faisait pas de soucis que tout serait encore bien à sa place à son retour. Il n'y avait rien à laisser derrière, tout était encore bien là, bien présent dans l'esprit de Joanne. Jamie avait demandé à ce qu'elle l'oublie, et elle n'y arriverait pas. Elle n'était même pas capable de ça. Daniel finit par se manifester en se redressant et en se mettant debout à côté de Joanne, sa peluche en main. Cela empêchait de longues minutes d'un lourd silence s'imposer entre les deux jeunes femmes. Daniel aimait bien jouer avec les cheveux de sa mère, ou avec ses boucles d'oreille. Elle le laissait faire la plupart du temps sauf lorsqu'il commençait à lui faire mal. Ses yeux bruns, les expressions qu'il faisait parfois, son sourire: il lui rappelait Jamie, constamment. Le trajet suivait son cours et Joanne ne savait pas vraiment quoi dire. Elle tenait tout de même Daniel d'une main, afin de prévenir tout risque de chute, ne sait-on jamais. Il y avait bien une vingtaine de minutes qui s'était écoulée sans que les deux jeunes femmes n'aient dit quoi que ce soit. Mais Joanne avait enfin trouvé un autre sujet de conversation. "Tu vas dormir dans un hôtel, du coup ?" lui demanda-t-elle. "J'ai pu me réserver une chambre a Ramada Plaza. Le bâtiment en soi ne paie pas de mine, mais les chambres ont l'air plutôt jolies. Mais j'avoue m'être fait un peu plaisir en en prenant une avec une vue sur l'océan." Un petit luxe que Joanne pouvait se permettre.
You've lost your game, you've got to let it go. It feels the same. Now we're here, all alone. You want to see if we can take it back. But who are you to say we're not on track? We will find a way to set things straight in our hearts. We will find our way somehow.
Joanne prend le temps de commenter le croquis que je lui ai tendu, et c’est attentive que je tends l’oreille. J’adorais l’entendre parler d’art, ça avait toujours été ainsi. Avec Jamie, elle s’emportait parfois encore plus lorsqu’une histoire, un détail, une parcelle d’une œuvre venait la chercher particulièrement. Si j’avais déjà assisté à quelques-unes de ses envolées lyriques, c’est avec un plaisir renouvelé que je reste réceptive à tout ce qu’elle peut penser de ce que je lui file sous le nez. J’aimais ce qu’elle avançait, plus encore que je ne l’aurais cru, et un énième sourire vient se dessiner sur mes lèvres. « Ça vient naturellement. C’est exactement comment je me sens actuellement, tu sais. J’ai plus du tout envie qu’on m’impose quoi que ce soit, de me sentir forcée aussi. Alors ça se reflète j’imagine. J’y avais juste jamais pensé… de cette façon. » l’entendre avec ses mots me remet doucement en question, maintenant que tout semble si clair, si lié. Avec la situation qui se tramait, les révélations de mes parents qui s’étaient mêlés de trop près, avec Matt, de ma relation avec Ezra à l’époque et de celle avec Edward actuellement, c’est une illumination supplémentaire qui me permet de réaliser qu’en effet, j’ai pris des bribes de mon quotidien et de ce que j’y vis directement pour colorer ces pages. Intéressant. « Tu… tu peux aller jeter un coup d’œil sur mon compte Instagram. » je me sens faussement comme une adolescente à la page alors que je réfère Joanne à ce réseau social – néanmoins, l’inviter à mon atelier me semble un brin déplacé. Elle n’a très certainement pas envie de visiter cet endroit qui respire Jamie d’un mur à l’autre. Ce serait probablement trop difficile, là encore plus, de rester en terrain neutre. « J’ai commencé à y publier un peu plus de toiles. Les artistes qui viennent les dimanches aiment voir, aiment commenter. Et ça me fait toujours plaisir d’échanger avec eux. C’est plus facile, quand on a un écran qui nous sépare, de discuter de ce genre de chose. » l’exemple est complètement inverse à l’instant et je me fais défaut alors que mon débit est beaucoup plus généreux et ludique qu’habituellement, mais elle comprendra. Ce n’était jamais simple de se mettre à nu lorsqu’on discutait d’art, lorsqu’on présentait une œuvre au monde extérieur, lorsqu’on en récoltait les commentaires, les impressions, les avis. Cette plateforme servait de filtre, de canalisateur, et m’avait sauvé bien des maux de tête depuis mon inscription. M’enfin voilà, Ginny 2.0 qui sort son nez de ses livres le temps de se mettre un peu à l’ère internet. Riez pas. D’art c’est maintenant au programme de la blonde que nous nous attardons, et même si je me réjouis pour elle de sa latitude, je dénote qu’elle est tout de même incertaine du résultat à venir. Même, elle me le confirme de ses mots – à savoir que sans ligne conductrice, elle n’est pas à l’aise. J’hoche de la tête par la positive, comprenant son point de vue, espérant toutefois que ce week-end lui permettra de voir autre chose, de tester, et de peut-être même se surprendre positivement au détour. « Tu trouveras sur place, je suis persuadée. Surtout si tu es déjà allée, il y a sûrement des trucs qui ont changés, ou que tu aimerais bien retrouver. Tu y avais fait quoi, à ton dernier séjour ? » je me veux rassurante, la maman en moi qui ressort dans ce genre de situation où l’autre partie est incertaine, malhabile. Ce n’est toutefois pas suffisant, et bientôt, le sujet devient un peu plus glissant, nécessaire, mais trop abrupte pour laisser la jeune femme sans séquelle. Je vois bien que son regard s’assombrit un peu plus, que sa voix est fuyante, qu’elle cherche ses mots, que son silence n’est pas bon présage. Pourtant, j’ai vraiment voulu y aller doucement, mettre des bases solides, ne pas trop tenter, rester juste. La vérité étant aussi et très certainement que je n’ai pas du tout affaire à savoir ce qui peut bien se tramer entre eux deux, que c’est leur jardin secret et que je respecte cela. Mais c’est un petit cœur brisé que je sens face à moi, et si elle ne s’était pas aussi vite fermée, si elle n’était pas passée en mode huître, je… je quoi, Ginny ? Tu aurais partagé tes conseils amoureux sans équivoque ? Tu l’aurais rassurée en lui disant que s’il était le bon, il reviendrait ? Tu aurais relaté ta si grande expérience en matière d’amour pour lui prouver que oui, la fin est toujours heureuse ? La blague. Alors je laisse passer, pour elle comme pour moi. J’appuie ma tête sur la fenêtre glacée qui donne sur le chemin filant à toute vitesse à nos côtés, et j’oublie mon gobelet presque vide de café pour somnoler en silence. Joanne est occupée à câliner Daniel et nos regards curieux, apaisés, distraits se croisent à quelques reprises, sans plus, ce qui n’est pas si mal. Je n’ai pas envie de trop parler, je n’ai pas envie d’être celle qui tique, qui dérange, même si elle m’a dit le contraire plus tôt. Parfois, le silence est plus confortable que quoi que ce soit d’autre, et je m’y plais trop pour troubler le calme de la scène. J’ignore si j’ai fermé l’œil ou si j’ai simplement laissé mon esprit voguer ailleurs lorsque Joanne me tire de ma rêverie, mais je suis contente d’entendre de nouveau sa voix, de voir une possibilité de discussion, un terrain d’entente sur lequel elle est aussi à l’aise que moi. Voilà qui augure bien, mieux. On ne force pas les choses, on les laisse couler. « Dannie m’a réservé une chambre au Vincent Hotel, en bordure d’un joli parc près de la galerie. J’ai rien demandé du tout, elle s’est emballée un peu je pense. Je m’en plains pas, l’endroit a l’air super charmant. » que j’explique, alors que Joanne me demande où je séjournerai. À vrai dire, j’aurais très bien pu dormir dans une auberge de jeunesse, ou dans une chambre d’invités si la peintre en avait une. Je n’avais pas de grandes attentes en matière de logement, pour avoir cumulé les heures et les nuits à me tortiller sur les chaises de plastique inconfortables de la chambre d’hôpital de Noah. À ça s’ajoutaient mes insomnies chroniques, et on avait là droit à un joli cocktail qui confirmait à quel point j’étais low maintenance pour ce genre de chose. Son aveu m’arrache un petit rire supplémentaire, confirmant sa bonne idée. « Oh, bien joué pour l’océan ! Il faut savoir se faire plaisir, parfois. Depuis Londres, les points d'eau sont ma priorité aussi. Ça m'a tellement manqué. » la facilité avec laquelle je relance la conversation me sidère presque, si ce n’est que maintenant les banalités font meilleure mine. Londres lui rappellera peut-être même de bons souvenirs au passage, puisque c’est là où je les ai rencontrés, jadis. Eux, lui. J’inspire, me faisant violence, mais la simple idée, le remord plus tôt mentionné en silence me revient à l’esprit et j’aime mieux mettre les choses au clair. Sans artifice, la stricte vérité. « J’ai pas voulu être brusque tu sais, tout à l’heure. C’est juste que je trouverais dommage que tu sentes le besoin de t’excuser, à moi je veux dire. C'est pas du tout nécessaire. » je parle avec douceur, n’aimant pas trop revenir sur le sujet, mais sentant la justification obligatoire pour alléger un peu plus son cœur. Je lui laisse même le temps d’assimiler, d’attraper mes mots au vol, avant de reprendre sur un tout autre modèle. « Ça me manquait tellement, l’art. D’en parler avec des gens qui comprennent, qui sont du métier. Je ne le réalise que trop que ça m’a vraiment dérangée, de mettre ça en pause, en berne. » c’est un énième coup d’œil à mon carnet qui fait remonter la réflexion à voix haute. Je sais que ce sujet nous touche toutes les deux, je sais aussi qu’elle risque d’aimer que je change la dynamique un peu pour revenir sur une mention qui la fera intervenir. « C’est tout comme si on t'obligeait à arrêter de vouloir analyser chaque toile que tu croises, chaque sculpture que tu vois. T’imagines la torture ? » un léger rire s’en suit, alors que mes iris captent ceux de son fils, de nouveau éveillé. « Il est un peu créatif, déjà, Daniel ? »
Ginny semblait avaler le moindre mot que pouvait dire Joanne lorsqu'elle analyse de manière succincte le croquis qu'elle avait emmené avec elle. Les choses abstraites n'étaient pas son fort, mais Jamie avait peint quelques toiles du même genre, et elle s'était surprise à parvenir à si bien les interpréter. Tout conseil était bon à suivre, mais Joanne n'était pas galeriste, et encore moins artiste, elle n'avait jamais véritablement considérer son sens critique. C'était toujours ceux qui l'écoutaient qui lui faisaient la remarque, qui appréciaient le fait qu'elle attache autant d'importance au moindre détail. Jamie faisait partie de ces personnes-là. Joanne avait son propre talent mais elle ne l'avait jamais considéré comme tel. Ginny semblait tout de même assez perturbée que la petite blonde ait pu la cerner avec une approche bien différente. Des commentaires qui étaient certainement bien constructifs pour elle. Ginny mentionnait son compte Instagram, où elle publiait et commentait avec plus d'aisance ses oeuvres qu'elle dévoilait ainsi au grand public. Joanne n'y allait pas très souvent, elle ne savait plus à quand remontait sa dernière publication. Des semaines entières. Une facilité pour elle de correspondre avec le reste du monde. "Beaucoup utilisent ce genre de réseaux sociaux pour communiquer, c'est une belle alternative." dit Joanne. "J'avoue que j'y passe très rarement mais je tâcherai de guetter tes prochaines publications." Elle notait cette information dans un coin de sa tête parce qu'elle doutait qu'il y ait un quelconque réseau dans ce train. Cela attendra son arrivée à l'hôtel. La blonde partageait l'inconfort et le malaise qu'elle avait à l'idée de ne rien avoir planifié, du moins, pas vraiment. "Ca remonte à des années. J'avais fait un aller-retour avec une amie lorsque nous étions étudiante. Nous avions un exposé à faire et on voulait trouver une galerie qui ne se trouvait pas à Brisbane puisque tout le monde se jetait dessus. Nous avions fait un aller-retour à Southport, du coup." expliqua-t-elle dans les grandes lignes. Joanne y était allée avec Sophia, sa meilleure amie à l'époque, qui ne donnait plus de signe de vie depuis presque deux ans désormais. Un weekend durant lequel elle avait du se séparer d'Hassan pendant deux jours, ce qui avait été bien trop long pour le coup, bien qu'ils s'écrivaient et s'appelaient régulièrement. Malgré les messages, elle ne pouvait pas le serrer dans ses bras comme elle l'aurait voulu. La dénommée Dannie avait réservé une chambre d'hôtel pour Ginny, et Joanne était particulièrement surprise par cette démarche. Si l'artiste en question venait même à payer une chambre d'hôtel pour son invité, c'était qu'elle devait être plus qu'intéressée. Mais Joanne ne fit pas de remarque à ce propos, ne souhaitant pas créer une quelconque pression sur les épaules de la belle brune. Cette dernière approuvait le choix de chambre de son amie. Elle mentionnait spontanément Londres, une ville pleine de souvenirs, aussi pour Joanne. Bien sûr que ça lui rappelait aussi Jamie. Un rien lui rappelait Jamie. Ginny remarqua immédiatement son étourderie. Joanne ne lui en tenait pas rigueur, arborant un vague sourire triste. "C'est pas toi, c'est moi." lui assura-t-elle avec une voix un peu enrouée. "C'est pas grave, je t'assure." Joanne tentait de rassurer son amie par un sourire qu'elle tentait de faire le plus convaincant possible. "Tu n'as pas à te sentir mal par rapport à ça." Ginny avait dit quelque part le fond de sa pensée, elle n'était pas brusque, c'était juste Joanne qui était... Joanne, en somme. Inutile de s'éterniser sur le sujet. Elle lui aurait volontiers dit, lorsque Ginny parlait d'art, que l'on ne se rendait compte que ce que l'on possédait était précieux une fois qu'on l'avait perdu, mais encore une fois, ce célèbre dicton lui rappellerait bien d'autres choses. "Je n'ose pas vraiment imaginer, non." Quoi que Joanne savait à peu près ce que c'était, le jour où elle avait du renoncer à son poste au Museum of Brisbane lorsqu'elle était enceinte de Daniel. "Il aime beaucoup dessiner, oui." répondit-elle en regardant le premier concerné, toujours debout à côté d'elle, en racontant une quelconque histoire à sa peluche. "Il a beauoup hérité de son papa, de ce côté là." La fibre artistique. Joanne ne l'avait pas, mais elle étudiait tout ça, elle restait dans le même domaine. Bizarrement, mentionner Jamie de cette façon, au travers de leur trésor le plus précieux, lui faisait moins de mal. "Après, il est encore un peu trop jeune pour faire d'autres activités créatives, mais j'ai hâte d'en faire plus avec lui. Il va adorer, c'est certain." dit-elle avec un fin sourire, n'ayant que d'yeux pour son petit. Celui-ci lançait un regard charmeur à sa mère alors qu'il savait très bien qu'il prêchait un converti. "Qu'est-ce que tu veux, avec ce sourire là, toi, hein ?" dit-elle à Daniel en lui chatouillant le ventre. Alors que le petit s'esclaffait, Joanne le prit dans ses bras. Elle s'amusait quelques minutes avec lui jusqu'à ce qu'il réclame à boire, et elle sortait de son sac sa tasse à bec remplie d'eau qu'il parvenait à bien tenir tout seul. Elle pensait se débrouiller plutôt bien, comme mère. Arès tout, c'était tout ce dont elle avait rêvé. Elle faisait des erreurs, elle-même apprenait encore dans ce dur exercice. Mais Daniel avait l'air de s'épanouir et d'être heureux et en bonne santé, c'était tout ce qui comptait pour elle. Mine de rien, avec ces nombreuses conversations, le train s'approchait de plus en plus de la gare de Southport. Histoire d'anticiper un petit peu, elle enfila déjà la veste à Daniel. "Nous voilà arrivées." dit alors Joanne, une fois que le train s'était arrêté à quai. Joanne attendait que tous les passagers ne soient partis avant d'envisager de se lever. "Tu... Tu as quelque chose de prévu ce soir ?" lui demanda-t-elle timidement pendant qu'elle se rhabillait. "Ca te dirait qu'on aille manger quelque part ?" Elle ne voulait pas que Ginny se sente obligée de quoi que ce soit, et elle préférait reprendre rapidement. "Si tu ne peux pas, ou si tu préfères rester seule, ce n'est pas grave, ça ne sera que partie remise." Joanne se disait juste que c'était l'occasion, peut-être, de passer un peu de temps avec elle.
You've lost your game, you've got to let it go. It feels the same. Now we're here, all alone. You want to see if we can take it back. But who are you to say we're not on track? We will find a way to set things straight in our hearts. We will find our way somehow.
Je pourrais clore la conversation, je pourrais passer à autre chose, je le faisais si bien en temps normal. Cacher, ravaler, masquer – c’était devenu ma philosophie depuis les dernières semaines. Ne rien laisser paraître, jouer de la blague, sourire, faire comme si. Mais Joanne ne mérite pas que je m’adresse à elle avec désintérêt, peu importe le lien qui l’unit maintenant à Jamie. Elle ne mérite pas que j’arrive avec mes grands chevaux et mes conseils à deux balles, conseils que je ne suis même pas capable de suivre moi-même, que j’essaie d’appliquer, du plus fort que je le peux, mais que ma nature révulse pour la peine. Elle prend le blâme et je laisse une fin voile de compréhension caresser mes iris. Et puis quoi encore. « C'est pas mes affaires, j’ai pas à te dire ce genre de choses-là. » la vérité étant qu’en effet, je jouais avec le feu à lui offrir ces paroles directes. Partis d’une bonne intention, idéaux que j’essayais d’apprivoiser de mon côté, je croyais vraiment que ça ferait mouche, que peut-être même cela pourrait lui être utile, à savoir où et quand. La réflexion derrière nous, il est toujours mieux de garder le tout pour plus tard, ou pour jamais. Elle continuera son chemin, je poursuivrai le mien, et on ne s’en tiendra ni l’une ni l’autre rigueur. « J’ai des crayons s’il veut, et du papier, attends, tiens. » sujet de discussion par excellence qui vient flirter avec notre silence, je m’applique maintenant à fouiller à travers mon sac, cherchant les dits crayons, le papier vierge qui s’y cache également. En bonne maman d’un pseudo-artiste en devenir, j’avais toujours le matériel de base du créatif sous la main, au cas où Noah avait une furieuse envie de gribouiller entre un test et un autre. C’était devenu normal de perdre mon portefeuille entre une boîte de pastel, de chercher mon portable à travers des pages et des pages de cahiers bariolés. Puis je tombe sur des restes d’une soirée antérieure, un chocobo que j’ai tracé selon ma meilleure mémoire, et le portrait qu’il a fait de nous, aux pays de l’arc-en-ciel et des licornes. C’est rien, c’est mal équilibré, ça jure entre les silhouettes et les traits exagérés, et ça s’est faufilé là probablement par erreur, entre une bagarre d’oreillers et une négociation plutôt difficile où j’ai fini par le lui piquer, sans même qu’il le réalise. Ça pince, ça dérange, mais je le réalise à peine parce que déjà, le croquis est balancé au fond de ma bourse, et le matos tendu à Joanne. Il saura quoi en faire Daniel, et sous nos yeux brillants, il ira de sa curiosité naturelle pour imaginer son univers à lui, du bout des mines bien aiguisées. « C’est le meilleur moment, ça. Quand Noah a commencé à fouiller dans mes pinceaux et à demander à apprendre l’aquarelle ou le fusain, au début j’étais pas trop à l’aise. Et j’ai fini par le traîner à une exposition une fois... depuis il veut toujours venir. » le ton qui s’effrite vers la fin, je n’ai pas trop envie de me confondre en plainte alors qu’elle sait très bien ce qui advient du gamin, où il se trouve actuellement, et pourquoi. Mais le simple souvenir du dernier vernissage où je l’ai amené me revient en tête, et c’est un sourire de nostalgie oui, mais de satisfaction qui couronne mes lèvres. Le genre d’expression qui confirme qu’on fait ce qu’on peut, jour après jour, pour se rappeler des bons moments, aussi minimes soient-ils. Note mentale à moi-même – à mon retour, je lui négocierai une nouvelle sortie pour passer au musée à ses côtés et lui offrir un de ces après-midis bien créatifs dont il raffole. Ça faisait trop longtemps, là. Daniel finit par échanger un regard complice avec Joanne, probablement fier des quelques barbots qu’il a pu esquisser sur le papier déjà tout froissé, et la jeune femme partage avec lui un moment tout en douceur, en rires aussi. Ça fait du bien à voir, que malgré tout, elle n’est pas au plus mal. Il y aura toujours ce gamin, son fils, son trésor, et ça semblait plus que lui suffire. Ce genre d’amour, c’est de lui dont on a besoin, et de rien d’autre. « Il a tes yeux, c'est fou comme ils sont identiques. » que je laisse glisser, observant la scène sans aucune gêne. Il était rare que je passais un moment avec ces deux-là – à savoir que Jamie était presque toujours dans les parages lorsque cela avait pu arriver jadis. Je n’avais donc jamais vraiment eu l’occasion de voir leur relation prendre vie, leur complicité se marier, s’ébaucher, se construire. Il est doux ce moment, il est beau, pas compliqué, sympa. Le train continue sa route, le bruit des crayons qui grattent me rassurent aussi. Puis Joanne remarque de son côté de la fenêtre que la gare n’est plus qu’à quelques minutes de nous. Ce fût intéressant, comme voyage. Pas trop intrusif, juste assez. Et je pourrais parier, sans trop me commettre, que ça nous a fait du bien à toutes les deux. Ça n’a rien réglé, ça n’a rien effacé, ça n’a que mis les bases de quelque chose que j’ignore encore, mais ça a bien passé. « J’avais pensé aller aux quais, prendre un petit truc à grignoter, dessiner un peu, rien de bien concis. » que je réponds, me levant de mon siège, à sa demande. Je suis encore prise avec l’impression que je devrais rester seule un peu, que je devrais mariner les restes de la semaine, des semaines précédentes, pour moi-même, mais bon, voilà. Trop d’introspection tue l’introspection, et il n’est pas dit qu’elle souhaite non plus s’imposer, à son tour. Tout de même, je m’assure de le lui préciser lorsqu'elle offre, ne voulant pas non plus qu’elle se prenne de pitié ou autre raison mal famée supplémentaire. « Oh, je… t’es sûre? Faut pas penser que je vais m’ennuyer ou rien, je… je veux pas non plus t’empêcher de décrocher. Tu comprends. » elle avait besoin de cette pause probablement plus que moi, et mon visage, mes remarques, mes souvenirs se rattachaient tellement à cet homme qui prenait partie intégrante de sa vie, j’osais espérer que ma présence ne lui ferait pas la sensation d’un couteau qu’on tourne dans la plaie béante, fraîche. « Mais si tu veux… on peut être seule à trois. Je vous regarderai de loin que si tu m’y autorises, pareil pour vous adresser la parole. » je rigole, me disant qu’il s’agit là d’un bon compromis pour que l’indépendance reste tangible. Mon sac passé sur l’épaule, mes affaires ramassées, je les suis maintenant que tous les passagers finissent par sortir du train, passer la gare, déboucher sur le stationnement à ciel ouvert. Il fait bon, il fait chaud, il fait soleil et bien vite, la silhouette de Joanne répond à mon signe de main, à mes aux revoirs, à ce peut-être plan que j’ai laissé entre ses mains, et qui est tout sauf confirmé, quoi qu’un brin espéré. Aucune heure, aucune précision, mais je suis le plan initial, passant d’abord me rafraîchir à l’hôtel, un peu d’eau sur le visage, pour la peine. Presque satisfaite du résultat, j'ai l’esprit le moindrement vide lorsque je quitte ma chambre pour passer au marché et remplir mon sac de sandwichs, jus et autres délices. Les trottoirs qui claquent, les gens qui sourient, je découvre la ville à travers les yeux neufs de celle qui n'y est jamais venue, m’égarant un nombre incalculable de fois avant de finir par les trouver, ces quais, jolis, simples, sans flafla, qui donnent sur la baie australienne. Une place libre, un arbre qui tangue, et je m’installe, non sans jeter un coup d’œil autour au cas où je reconnaitrais une tête blonde à l’horizon. Joanne ne me semble pas là, et ce n’est pas plus grave, je ne lui en veux pas. Je la comprends, au fond. De prendre ses distances, de vouloir faire le vide, d’arrêter d’y penser, à lui. Et moi, à eux. D’où j’étais partie déjà? D’une promesse de ne pas aller plus loin, d’une nostalgie ancrée, d’un mariage arrangé. Tant de choses s’étaient dites depuis trop longtemps, des secrets qui reviennent à la surface, et cette tentative, bête, de profiter d’un refuge pour construire quelque chose qui était voué à l’échec d’avance. Or was it? Je me replace, j’ouvre un emballage pour lequel je n’ai même pas faim, et je me triture les doigts en finissant par me dire que oui, les réflexions, c’était assez pour aujourd’hui. Comme une réponse, comme une distraction, Joanne finit par apparaître un peu plus loin, longeant les vagues qui s’adoucissent plus la journée s’avance. Sauvée. « Hey, stranger. » résonne, lorsqu’elle finit par arriver à ma hauteur.
Bien sûr que si, c'était un peu les affaires de Ginny. Parce qu'elle était proche de Jamie, parce qu'elle connaissait Joanne, parce que tous les proches du couple finissaient par être touchés, d'une manière ou d'une autre. Joanne comprenait qu'elle ne veuille pas s'avancer et s'engager davantage dans cette histoire. Tout pourrait rapidement tourner rapidement au vinaigre, elle ne pourrait pas prendre parti. Et au bout d'un moment, elle finirait par comprendre bien plus les intentions et réactions de l'un que de l'autre. De quoi ruiner une amitié, et en enjoliver une autre. Une pente glissante sur laquelle personne ne voulait se trouver, et Joanne comprenait. Elle ne se faisait décidément pas à ce sentiment de solitude durant ces moments où, tout ce qu'elle pouvait souhaiter, c'était d'avoir une autre oreille prête à l'écouter, autre que son psychologue. Parce qu'avec lui, ce n'était pas pareil, il la faisait travailler sur d'autres problématiques. Bien que Ginny ne cherchait pas à mal, la jeune femme avait eu l'impression qu'on lui faisait une énième leçon – les sujets étaient particulièrement récurrents, à croire que ça ne rentrait pas, dans cette petite tête blonde. Mais ça partait d'une bonne intention. Un conseil d'ami, en somme. Elles préféraient toutes les deux balayer ce sujet de conversation pour ne pas créer une quelconque tension, et leur attention se tourna directement sur Daniel. Ginny semblait toujours avoir dans son sac de quoi dessiner, ce qui, en soi, n'avait rien de surprenant chez un artiste. Elle confia le matériel au petit afin qu'il puisse s'occuper. Contrairement à sa mère, Daniel s'avérait être droitier. Il finit enfin par s'asseoir pour commencer son dessin dans le plus grand calme. Bien concentré, il avait toujours la langue dehors lorsqu'il crayonnait. "Merci beaucoup." dit alors Joanne à son amie, touchée par cette attention bien que ce ne soit certainement pas grand chose pour elle. "Il sera certainement un artiste alors, comme sa maman, si ça le passionne déjà à ce point." lança-t-elle avec un sourire discret, mais bien présent. "Au QAGOMA, il y a toute une équipe qui organise chaque semaine des activités artistiques ou de découvertes, pour les jours où il n'y a pas école. Tu devrais y inscrire Noah, ça devrait lui plaire." proposa Joanne. "J'y ai emmené Daniel une fois, même s'il est encore un peu petit. Je suis restée avec lui, mais il s'est bien occupé. Et si ça peut te rassurer, je pourrais jeter un coup d'oeil là-bas de temps en temps si tu l'y inscris, pour voir si tout se passe bien si tu ne peux pas être là." Après tout Joanne travaillait dans ce même musée, ce n'était pas bien loin pour elle. Mais leur attention se focalisait très rapidement sur Daniel. Il avait une relation particulièrement fusionnelle avec sa mère, il n'avait jamais aimé la contrarier, il adorait la faire sourire. "Je pense que c'est le seul trait qu'il a du hériter de moi, du point de vue physique." dit-elle avec un sourire, en caressant les cheveux de son garçon. Joanne se sentait toujours aussi chanceuse de l'avoir. Elle ne vivait que pour lui dernièrement. C'était une pensée assez extrême et pourtant correcte. Dès qu'il était au lit, il n'y avait plus qu'elle et se problèmes, pas de petit bout de choux à prendre soin, à bichonner, à aimer. C'était ces moments là, qui étaient le plus dangereux. Lorsque le train s'approchait de la gare, Joanne proposa à la brune de dîner ensemble le soir-même. Par sympathie, mais aussi pour rattraper les quelques maladresses de leur échange dans le train. Elle avait malgré tout un petit programme de prévu pour la soirée. "Si je te le propose, c'est que je suis sûre, oui." lui assura Joanne d'une voix douce. "Je me suis juste dit que... ça pourrait être sympa." Elle haussa les épaules. Ginny ne voulait pas se montrer intrusive et respectait particulièrement les intentions de Joanne lorsque cette dernière avait décidé de partir pour un weekend. Les deux jeunes femmes se saluèrent de loin lorsqu'elles avaient mis le pied à terre, chacune partant de son côté. Il y avait une navette qui pouvait conduire Joanne et son fils jusqu'à l'hôtel, où elle pouvait enfin libérer ses bras en déposant le petit par terre et en mettant la valise dans un coin de la pièce. Elle laissait Daniel découvrir les lieux. Un berceau avait été placé dans un coin de la chambre. Il y avait aussi un deux fauteuils près de la télévision. La première chose que Joanne était d'ouvrir la baie vitrée pour accéder sur le balcon. Elle admirait le paysage pendant quelques minutes, interrompu par Daniel qui voulait être porté. "Tu sais que tu commences quand même faire un peu ton poids, toi ?" lui demanda-t-elle en riant avant de l'embrasser sur la joue. Il était ensuite temps d'ouvrir les bagages, et il s'en donnait à coeur joie à sortir tout et n'importe quoi et à les poser là où il bon lui semblait. Il fouillait beaucoup moins une fois qu'il était tombé sur quelques uns de ses jouets. Daniel n'était pas encore propre, mais il commençait à arriver à dire lorsqu'il faisait ses besoins. Joanne se disait que c'était un bon début. Elle lui avait donc remis les fesses au propre avant de se promener. L'hôtel louait des poussettes, pour le plus grand bonheur de la jeune maman. Elle se promenait donc un peu en ville pour trouver de quoi de manger. Elle avait pris du chinois à emporter, et avait fait en sorte de trouver une petite portion pas trop épicée pour Daniel. Lui aussi, avait droit à un weekend avec quelques écarts. Une fois qu'elle avait tout avec elle, elle se promenait en direction des quais et les longea lorsqu'elle retrouvait Ginny. Elle voulait la revoir, elle ne savait pas trop pourquoi. Il s'avérait que, malgré tout, malgré ce qu'elle pouvait lui rappeler, elle voulait passer du temps avec elle. "Coucou." lui dit-elle avec un sourire en s'installant à côté d'elle, plaçant la poussette en face. "Déballer la valise m'a pris un peu de temps, mais heureusement, Daniel a pu m'aider." dit-elle d'un air amusé. Elle sortait du sachet les plats et les couverts, comptant faire manger Daniel dans un premier temps. Monsieur adorait le riz cantonnais. "Tu m'avais l'air bien pensive, lorsque je suis arrivée. T'aurais-je perturbé dans tes réflexions ?" lui demanda-t-elle en donnant une bouchée de viande à Daniel. Lui semblait se régaler, vu à la vitesse à laquelle il ouvrait la bouche pour en avoir une nouvelle part. Parce que là, oui, il était bien content que ce soit sa mère qui lui donne à manger. "Il faut à tout prix que tu viennes voir la vue de ma chambre d'hôtel, c'est à couper le souffle. Tu pourrais peut-être même y puiser un petit peu d'inspiration, qui sait. Dès que tu as cinq minutes." lui proposa-t-elle. "Le genre de vues qui permet de... de bien décrocher, vraiment." Durant l'espace de ces quelques minutes où Joanne avait prit le temps d'admirer le paysage, elle ne pensait à rien. Un vide qui n'avait que duré quelques minutes, et pourtant, cela lui avait semblé être une éternité. Parce que c'était ce dont elle avait aussi besoin, n'est-ce pas ?
You've lost your game, you've got to let it go. It feels the same. Now we're here, all alone. You want to see if we can take it back. But who are you to say we're not on track? We will find a way to set things straight in our hearts. We will find our way somehow.
Les quais sont beaux, grands, actifs. Au loin, plusieurs voiliers viennent s’y accoster, on voit des allers et des venues dans tous les sens. J’avais toujours été attirée par les points d’eau, du plus loin que je me souvienne. Ça remontait probablement au chalet familial qu’on louait en bord de rivière, quand j’étais gamine. Je me remémore les chasses au trésor dans les bois comme si c’était hier, le kayak avec Matt en bordure du marais, les baignades les jours de canicule, les nuits passées dans les combles à entendre la pluie résonner sur le toit de tôle et les vagues se casser sur le rivage. C’était brumeux, c’était salé, j’inspire pour y toucher un peu plus, à ce souvenir heureux, bien loin des tourments du moment, douceur candide d’une fillette avec la vie devant elle. Et voilà, tout va un peu mieux. Joanne arrive sur l’entrefaite et accompagne ses petits pas distraits d'une poussette, et d’un sourire chaleureux. Je suis contente, qu’elle soit venue. Ce n’était pas nécessaire, ce n’était pas obligatoire, et elle avait toute la liberté de passer, de faire fi, de se rétracter après une invitation des plus sympathiques qu’elle aurait pu regretter une fois dans le confort de sa chambre. Mais la voilà qui se stoppe à ma hauteur et qui même s’installe à mes côtés. L’œil curieux, Daniel étire la tête de sa poussette pour me voir, et je ne peux que rire doucement à la mention de leur installation commune. « La chance, ce petit gentleman! » j’applaudis discrètement à son intention, avant de poursuivre à la blague. « J’espère qu’il a eu un bon pourboire, quand même. » l’effort est là, autant bien le récompenser. La jeune femme exhibe leur repas pour la soirée, et je contemple les victuailles que j’ai moi-même accumulées dans mon sac. Il y aura probablement de sur nutrition ici, si ça continue comme ça. Les accompagnant, je sors une bouteille de jus, un smoothie tropical à l’illustration en aquarelle qui a attiré mon œil direct, puis j’en prends une gorgée et une autre. Ça goûte le soleil. « Perturbée, un peu. Soulagée, beaucoup. Les dernières semaines ont été plutôt chargées en émotions, je sens que ça commence à paraître, que je commence à assimiler tout ce qui se passe, et c’est pas nécessairement sympa à réaliser. Tu m'as sauvée là, en fait. » j’hausse les épaules, constatation à deux balles qui précède. Je n’ai pas particulièrement envie de mettre en mots cette boule qui se forme dans mon estomac, et qui grandit à vue d’œil, mais il faudra bien un jour que je regarde en face la situation – les situations – et que j’avise. Seulement, pas maintenant, pas tout de suite, encore un peu de temps, encore plus longtemps. Je ne suis pas prête, je ne veux pas le concrétiser, et je repousserai aussi loin que je le pourrai. Que je le devrai. « Rien de grave, juste… j’ai besoin d’air, j’étouffais. » que je précise, pour ne pas non plus jouer le drame, jouer la pitié, jouer l’inquiétude. Joanne comprendra que ce n’est pas une question de vie ou de mort, simplement la nécessité d’une pause, à ma façon. Cette invitation à sortir de la ville, à quitter Brisbane, à découvrir une nouvelle artiste le temps de mettre de l’ordre dans ma tête et dans mon cœur arrivant au meilleur moment possible. Sorties toutes les deux de nos routines, Joanne s’émerveille maintenant de la nouvelle vue qui s’offre à elle, et elle m’incite à passer voir, à découvrir à travers mes yeux ce qu’elle a pu admirer déjà. « Oh, tu m’intrigues ! Tu as pris quelques photos ? Dis-moi un peu, ce que tu y vois. » l’engouement est dupliqué maintenant qu’elle mentionne que l’horizon y est inspirant et que j’y puiserais sûrement une vague de créativité. Je dois admettre que je n’ai pas particulièrement porté attention au paysage entourant mon propre hôtel, trop prompte à sortir découvrir les environs plutôt qu’à rester enfermée trop longtemps. Impression que tout se referme sur moi, même. Alors j’avais pris la poudre d’escampette. Et je m’en félicitais, un peu plus. « Ça fait du bien, de sortir de Brisbane. Depuis qu’on a quitté Londres, c’est l’hôpital, l’appartement et l’atelier. En boucle. » je tais bien sûr Disney qui en soit a suffi à recharger mes batteries sans la moindre équivoque, véritable petite oasis à l’autre bout du globe, mais en parler signifierait aussi mentionner à mon interlocutrice la personne avec qui j’y suis allée et pour le moment, son nom est beaucoup plus confortable, beaucoup mieux servi s’il reste enfoui creux à l’intérieur. Mieux. « Ça remonte à longtemps la dernière fois où tu as eu envie de… partir? » loin de moi l’envie de monopoliser la conversation avec mes propres soucis, autant mieux discuter avec elle de ses dernières escapades, de sa liberté sur laquelle elle a peut-être misée un peu plus ces jours-ci. Joanne répond doucement, j’en profite pour échanger quelques regards complices avec Daniel, pour bien vivre ces expériences à travers ses mots, ses souvenirs. La proximité de son gamin qui est pendu à ses lèvres, qui est attentif, comprenant peut-être une bribe sur deux, m’arrache un énième soupir de ravissement – et un élan de mélancolie aussi. « C’est la première fois depuis bien longtemps que je serai un week-end complet loin de lui, de Noah. » je soupire, terminant mon breuvage, pinçant les lèvres pour marquer ma réflexion, ma confirmation. « Il est entre bonnes mains, il a des gens formidables à l’hôpital qui sont vraiment talentueux et qui l’aiment beaucoup, je suis chanceuse qu’il soit aussi bien soutenu, entouré. » je me rassure, j’en ai un peu besoin tout de même. Je sais que tout ira, je sais qu’il va bien, je sais que mon fils est un guerrier, et qu’il ne perdra pas de forces durant 2 petits jours, mais cela me fait néanmoins beaucoup de bien à articuler. Reprenant ma place sur le banc, j’extirpe un sandwich aux légumes grillés de mon sac, remarquant que Joanne a apporté des plats pour elle, et qu’elle s’apprête à manger à son tour. Il serait temps d’alléger un peu plus la conversation là. Qu’en pensez-vous? « J’ai pas apporté mon chargeur de portable, pour le week-end. C’est ma façon à moi de me rebeller, de faire le vide. Et toi? Tu as fait quoi, pour t’assurer de la tranquillité supplémentaire? »
Daniel arrivait à un âge où il voulait quasiment tout faire comme les grands. Bien qu'il passait désormais ses journées en crèche, il avait avant tout comme exemple sa mère et son père. C'était encore très maladroit pour la plupart des choses, surtout lorsqu'il s'agissait de se nourrir. Joanne le trouvait particulièrement drôle lorsqu'il avait son téléphone en plastique en main et qu'il s'inventait un interlocuteur qui comprenait parfaitement son langage à lui. Le temps était à l'essai et à l'imitation. Et bien que cela appelait à faire des nouvelles bêtises, Joanne prenait un malin plaisir à le voir évoluer de la sorte. "Son prix à lui, c'est souvent des bisous et des câlins." répondit Joanne avec un doux sourire en caressant les cheveux du petit. "Ca va, il n'est pas bien difficile." Hormis pour lui faire manger des carottes, c'était sa bête noire depuis qu'il avait commencé les petits pots. Joanne avait réessayé de temps en temps et les résultats n'étaient franchement pas convaincants. Ses robes en avaient un sacré souvenir, de ces essais là. Par contre, la nourriture chinoise semblait bien mieux lui convenir. Pendant que Joanne lui donnait une nouvelle bouchée, elle discutait avec Ginny, qu'elle trouvait alors bien pensive. La belle brune admit sinueusement que tout n'était pas tout rose de son côté non plus. "Juste un peu, perturbée ?" souligna-t-elle avec un sourire plus que compréhensif. Elle se doutait bien que c'était tout de même plus qu'un peu. Son rictus devint plus nerveux lorsqu'elle disait qu'elle l'avait sauvée. Joanne pensait qu'elle exagérait un peu – elle se pensait incapable de sauver qui que ce soit. "Si tu veux mon avis, si tu étouffais au point de vouloir quitter Brisbane l'espace de quelques jours, c'est que ça ne doit pas être anodin, ou rien de grave, comme tu le dis." ajouta-t-elle. "Enfin, peut-être que pour toi, ça te paraît anodin, peut-être même ridicule, mais pour le peu que je te connais, ça ne doit pas être rien." Joanne le savait, c'est tout. Tout le monde avait la fâcheuse tendance de tout minimiser pour ne pas inquiéter, pour se dire que ça finirait par passer. "Je sais qu'on a pas été particulièrement proches toutes les deux jusqu'ici, du moins peut-être pas au point de se confier, mais... Si jamais un jour tu en ressens le besoin, je suis là. Tu peux compter sur moi." Une bien maigre proposition aux yeux de Joanne, mais elle voulait se montrer présente pour elle, qu'importe si elle était proche de Jamie. La petite blonde supposait qu'elle ne devait pas en parler à grand monde. Peut-être qu'elle supposait mal. Elle préférait ensuite parler de la vue qu'offrait sa chambre d'hôtel et la brune montra un vif intérêt. "Non, je n'en ai pas prise." dit-elle d'un air désolé. "Mais je pense que c'est le genre de paysages qui ne rend pas aussi bien en photo qu'en vrai. C'est à voir de ses propres yeux. On arrive à peine à voir la limite entre l'océan et le ciel, j'ai trouvé ça magnifique. Il faudrait regarder la vue à plusieurs moments de la journée je pense. A l'aube, au crépuscule, au beau milieu de la nuit." Elle haussa timidement les épaules. "Ca fait un peu rêver, je trouve. Mais tu devrais venir avec moi, après, il faut que tu vois ça." lui proposa-t-elle avec un certain enthousiasme. Ginny avait trouvé un certain apaisement en quittant Brisbane. Elle était entrée dans une routine dont elle ne parvenait plus à se débarrasser et elle méritait amplement une petite pause pause, un temps où elle n'aurait qu'à penser à elle-même et à se faire plaisir. "Je crois que je n'ai jamais eu envie de partir de Brisbane depuis que j'y suis arrivée. Pas comme ça, en tout cas." répondit Joanne, devenant soudainement bien nerveuse. "Mais quand j'étais avec Jamie, nous avions cette maison de campagne. Et nous adorions y aller le weekend ou dès que nous avions quelques jours de libre, parce qu'il n'y avait que nous. Là-bas, pas de travail, par de risque d'être interrompus ou interférer, nous... nous pouvions ne penser qu'à nous, notre famille. C'était... notre bulle à nous." Joanne avait baissé les yeux, ayant senti sa gorge se serrer par l'émotion, les souvenirs, et les remords. "Mais partir de moi-même, non, je n'en ai jamais eu envie jusqu'ici." Pas même après son divorce. Joanne avait une affection toute particulière dès le premier jour où elle avait mis le pied à Brisbane. Comme toute maman, Ginny avait une certaine appréhension –peut-être même un peu de culpabilité– à l'idée de laisser son propre fils derrière elle l'espace d'un weekend, bien qu'elle avait conscience qu'il était bien pris en charge et qu'il ne risquait rien. "Ton quotidien est loin d'être facile, Ginny, tu as le droit de... de te permettre de souffler un petit peu. Encore plus si tu as d'autres soucis à côté. Je suis certaine que Noah est tout à fait capable de le comprendre et comme tu l'as dit, on s'occupe bien de lui. Mais je peux comprendre que la séparation t'inquiète. Je ne te raconte pas mon état la première fois que j'ai mis Daniel à la crèche. Et encore, ce n'était que pour une demi-journée." dit Joanne en riant nerveusement. Une fois Daniel repu, elle le sortit de la poussette pour qu'il puisse gambader et jouer à proximité. Joanne gardait constamment un oeil sur lui. Daniel a déjà été enlevé une fois, l'attention de sa mère s'était particulièrement accrue depuis. Histoire de décrocher quasi totalement, Ginny avait volontairement oublié le chargeur de son téléphone portable. Un bon moyen de se couper davantage de son quotidien et de profiter au maximum de ces deux jours. "Je n'ai pas besoin de quoi que ce soit pour avoir... de la tranquilité supplémentaire, comme tu dis." dit-elle tout bas, avec un sourire bien triste. Jamie ne voulait plus entendre parler d'elle, avec Hassan, c'était compliqué, elle était toujours un peu en conflit avec ses parents bien que leur relation tendait peu à peu à s'améliorer. "Et j'ai de toute façon la fâcheuse tendance à oublier mon portable lorsque j'ai envie de me promener." Ce qui mettait toujours Jamie hors de lui, d'ailleurs. "Peut-être que j'ai placé un peu trop d'espoir en venant ici. Mais j'ai envie de croire que ça m'aidera à refaire le point, tu sais. Que ça m'aidera à trouver des solutions, peut-être, je n'en sais trop rien." Joanne arrivait à peine à la moitié de son plat, mais son appétit se coupa soudainement. Elle ferma la petite boîte et le remit dans le sachet pour le poser à côté d'elle. "Ca ne doit pas à être facile pour toi, de me parler... Après tout ça." dit-elle en relevant ses yeux tristes vers Ginny. Cette dernière était bien plus proche de Jamie que de Joanne. "Je n'étouffais pas, moi. Je... me sentais de trop. Dans une si grande ville. Je t'assure que c'est possible." dit-elle en levant les yeux pour regarder Daniel lui apportait une fleur qu'il avait accueilli. Elle le remercia, comme à chaque fois qu'il venait lui offrir quelque chose. Joanne avait l'impression que sa présence même, dans la même ville que lui, l'insupportait au possible. Qu'il ne parvenait même plus à tolérer sa simple existence. "Je me suis dit que m'éloigner un peu créera une sorte de manque, au point d'avoir hâte de rentrer, tu vois ? Retrouver le plaisir d'être chez soi, dans ses draps, avec des odeurs familières, ce genre de choses." Joanne jouait nerveusement avec ses doigts. Intérieurement, Joanne mourrait d'envie de lui demander si elle avait des nouvelles de Jamie, de savoir comment il allait. Le ciel commençait peu à peu à se décorer de couleurs plus chaudes, annonçant alors le crépuscule. Les deux jeunes femmes avaient une place de choix, une belle vue, pour pouvoir admirer ce si beau moment. Joanne adorait les couchés de soleil. "Pour être honnête... Je m'attendais à ce que tu ne veuilles plus me parler, à ce que tu me détestes." Ses yeux brillaient par l'émotion. "Ce que j'aurais pu tout à fait comprendre et je l'aurais respecté." Elle lançait un regard à Ginny, un mélange de profonde tristesse, mais aussi d'une très grande reconnaissance. Parce que pendant tout ce temps, Joanne pensait et se sentait particulièrement seule. Il semblerait que finalement, elle ne l'était pas tant que ça.
You've lost your game, you've got to let it go. It feels the same. Now we're here, all alone. You want to see if we can take it back. But who are you to say we're not on track? We will find a way to set things straight in our hearts. We will find our way somehow.
Joanne ne démord pas et j’esquisse un sourire de concession alors qu’elle résume en quelques mots à peine à quel point je suis à côté de la plaque avec mes justifications sur mon état des moins reluisants. « Touché. » je concède, bonne joueuse. Il ne faut pas être aveugle pour voir que je suis beaucoup plus loquace qu’habituellement, que mes mots se succèdent plus rapidement et plus généreusement que lorsque je suis confortable. Une Ginny silencieuse, est une Ginny heureuse. Une Ginny bavarde est une Ginny mal en point. « En fait, c’est plutôt que tout ce qui n’est pas relié de près ou de loin à Noah me paraît tellement futile… tellement sans importance. Il est au centre de tout depuis sa naissance, le reste est superflu, superficiel pour moi. » des problèmes de cœur alors que mon fils lutte entre la vie et la mort… à d’autres. Je n’avais jamais eu besoin d’un garçon à mon bras, je n’avais jamais défini ma vie autour de celle d’un crush, d’un amour, et même si toute l’histoire avec Ezra m’avait cassée à l’époque, c’était beaucoup plus l’idée qu’il ne puisse pas vivre sa famille, qu’il n’ait pas le droit de voir son fils, de le connaître, de l’aimer qui avait porté le dernier coup à mon cœur. Pas la rupture en soi, pas la peine d’amour. Oui, j’en avais morflé et oui, ça avait été difficile à tous les jours, mais ce n’était pas non plus une raison pour me reléguer derrière une déception amoureuse à l’époque, et derrière un casse-tête de cœur actuel. Ce n’était pas moi tout ça, ça ne l’avait jamais été. Être aux prises avec cette overdose de sentiments, avoir des comptes à rendre, des décisions à prendre, choisir un oui ou un non, m’investir, aimer. J’avais essayé, ça ne m’avait pas réussi, maintenant toutes mes forces et toute mon énergie iraient à mon gamin, et à personne d’autre. Il en avait plus besoin que de moi, de toute façon. Joanne est gentille, Joanne est patiente. Elle ne presse pas, elle écoute, elle veut du moins. Mais pour ça, il vaudrait mieux d’abord que j’arrive à affirmer ce qui se passe à haute voix, à lui donner un peu d’importance, plutôt qu’à perfectionner l’art du déni. « C’est gentil. Je pense que le moins j’en parlerai, le mieux ce sera, mais ce n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde tu sais. Et… » je sais qu’elle est déçue, qu’elle voulait aider. Je ne suis pas fermée, je ne suis pas définitive, mais pour le moment, il y a ce déclic que je dois encore faire, cet acte de conscience. Ça viendra, je le sens, mais pour le moment, les récents événements sont tellement encore à vif que je ne sais plus trop par où commencer, par où finir. « Et même si ça peut avoir l’air drôle à dire, tu peux me faire confiance. Je… j’ai aucune intention de me mêler de ce qui ne me regarde pas alors si… si tu veux te vider le cœur, ça ne sortira pas d’ici. T’as pas à t’en faire. » je lui renvoie l’ascenseur, parce que je la sais aussi blessée que moi. Que parfois, on offre ce dont on a le plus besoin, on l’implore en le donnant au plus de gens possible. Daniel gazouille, la petite blonde le câline un brin et voilà, l’interlude sentiments laisse place à la chambre de la demoiselle qui semble promettre une vue particulièrement épatante. Ma créativité est tout de suite attisée, et j’accepte sans plus de cérémonies. « Tu as bien raison. Je passerai, promis. » pas de photos, pas de descriptifs. Juste un coup d’œil qui en vaut mille, et ce sera bien suffisant. Le tout m’amène à réfléchir, et à lui demander si elle-même partait souvent, ou du moins, si elle en ressentait l’envie. Loin de moi l’idée de la culpabiliser, j’y vais même de mes propres confessions. « Si ça se trouve tu auras la piqûre… et tu auras besoin plus souvent que tu penses de tes petits moments à toi, de ton cocon. » un fin sourire s’ajoute à mes mots. Je la verrais bien y prendre goût. Il ne fallait pas trop se méprendre, ce n’était pas parce qu’on était bien à la maison qu’on devait s’y limiter. Un petit arrêt ailleurs pouvait faire le plus de bien au moral, au cœur, à la tête, et ce même quand tout allait à merveille. Joanne relate un souvenir d’avec Jamie au moment où je prends une bouchée de mon sandwich, raison de plus pour garder la bouche et les idées fermées. La dissocier de mon ami viendra facilement au fur et à mesure que la conversation avancera, et ce genre de souvenirs heureux ne me semble pas trop compromettant, au point de le mentionner à Joanne. Au contraire, l’étincelle que je vois scintiller dans ses yeux me confirme que malgré toute leur histoire, il reste encore plusieurs parcelles de beau et de bon qui n’ont pas du tout de raison de disparaître. Noah revenant sur le sujet, c’est presque d’un chuchotement que je confie à Joanne à quel point j’avais dû me faire violence pour le laisser derrière. Malgré tous les bons soins qu’on lui prodiguait, malgré sa santé qui allait un peu mieux, malgré la proposition qui me semblait tombée du ciel… ça restait difficile. Et ça le serait probablement toujours. Pourtant, pour garder une mère forte et solide sur laquelle s’appuyer, le bonhomme avait besoin qu’elle soit la plus en forme possible, non ? « Ils ne nous disent pas ça, quand on devient parents. Qu’à partir de la naissance, y’a plus rien d’autre qui compte, qui a de l’importance. On se dit qu’on arrivera à équilibrer, à pallier, à faire la part des choses parce que ce n’est pas tout, mais c’est pas aussi facile que ça en a l’air. » je roule des yeux, ironique au possible. Le guide du parfait parent ne venait pas avec le bébé, et la loi du gros bon sens était bien souvent ce à quoi on se fiait le plus lorsqu’on mettait un petit humain au monde. Les suppositions et les appréhensions qu’on prenait dès le départ étaient elles aussi souvent relayées aux oubliettes, et on se rendait bien vite compte que la maternité, la paternité, n’était absolument pas comme ce à quoi on s’attendait. Fallait faire avec, alors. « On est ridicules… et moi, avec Noah, la première fois où je l’ai laissé seul avec une infirmière pour une prise de sang, ils ont dû me déplacer de salle pour que j’arrête de scruter par la porte pour voir comment il allait… » et un rire de plus, un bien franc, bien senti. Tous ces secrets que les mères gardaient de peur de se faire juger, tous ces non-dits que personne n’avançait parce qu’au final, on ne ferait jamais l’unanimité. Je sais que Joanne comprendra, je suis même persuadée que comme moi, elle n’est pas du tout parfaite dans son rôle, et c’est ce qui fait la beauté de la chose, ce qui rend sa relation avec Daniel et la mienne avec Noah plus douce, plus unique. « Je te le souhaite, vraiment. Si tu veux, si tu lâches prise assez, je pense qu’il y a matière à ce que ce week-end te fasse du bien. » elle s’est installée un peu plus confortablement, et elle a même ajouté ce qu’elle voulait venir chercher ici, au-delà de la tranquillité forcée que je lui ai expliquée pour ma part. Si je comptais sur un téléphone complètement déchargé pour faire le point, Joanne préfère se laisser guider par l’endroit en lui-même. Je termine ma bouchée lorsque je remarque que Joanne elle, en a assez, et mon appétit d’oiseau fait écho au sien – nous avions vraiment plus de ressemblances qu’il n’y paraissait, toutes les deux. Si je prédis un nouveau sujet de conversation, ou quelques balbutiements de Daniel pour nous relancer, c’est interdite que j’entends la jeune femme me prêter de drôles d’intentions, fondées probablement, lorsqu’on est de son côté, mais complètement illogiques du mien. « Il en faut beaucoup pour que je déteste quelqu’un, alors je dirais que tu as encore énormément à faire pour que je te mette dans cette catégorie-là. » que je réplique, le plus sincèrement du monde. « Je… j’ai tellement fait de gaffes dans ma vie, j’ai tellement été à blâmer pour beaucoup de choses, que je ne me permets pas de juger tu sais. J’aime mieux me faire ma propre opinion des gens que d’écouter ou de voir à travers les autres. » si j’avais passé mon temps à écouter ce que les autres pouvaient bien relater sur leur entourage, j’aurais fini comme tous ces bullies au lycée qui avaient laissé tant de marque sur mon adolescence… très peu pour moi. Et elle me confirme qu’elle n’étouffait pas non, mais plutôt, qu’elle ne se sentait pas à sa place. Curieux, en effet. La réflexion me vient pour l’avoir moi-même eue, une fois arrivée à Londres, déracinée. « Qu’est-ce qui fait que tu aimais ta vie ? Même avant tout ça, même avant… lui… ? » parce qu’il y a toujours une vie avant, et après. Qu’autant on puisse avoir mal, être terrassée, déçue, meurtrie, autant se rattacher aux bases peut faire un miracle. Et encore une fois, cette peur que je ne veuille pas lui adresser la parole, que je la déteste. Ces mots forts, et pourtant je secoue la tête, réflexe. J’essaie de la rassurer, puisqu’en effet, je vois notre relation bien loin de celle que je peux avoir avec Jamie, et c’est là toute la simplicité du concept, et pas l’inverse. « Bon, après, je ne te cacherai pas que c’est plutôt étrange après tout ce qui s’est passé. Mais il sait que je ne suis pas du genre à me mêler de ce qui ne me regarde pas. Que je ne me prononcerai pas sur vous deux, parce que de toute façon, ça serait inutile… » je n’ai pas la prétention de pouvoir, de vouloir leur donner mon opinion sur ce qu’ils vivent, étant de l’extérieur, n’ayant pas tous les détails, ne les voulant pas non plus. « Mais de toute façon, c’est toi que je veux connaitre, pas votre relation. C’est à toi que je veux parler, pas à vous deux. » c’est avec elle que je me trouve après tout, pas avec Jamie. Laissons-lui la liberté de ne pas être attaché à notre conversation. « Comment elle va, Joanne ? Elle en est où, elle a besoin de quoi ? » que je souffle, accrochant mes rétines emplies de bonnes intentions aux siennes. Et de un, pour la prise de conscience.