Joanne avait vu juste. La vie de Ginny n'était pas aussi tranquille qu'elle ne pouvait le laisser croire. Elle ne voulait pas inquiéter, ni être prise de pitié, certainement. Ou bien elle pensait qu'elle n'était pas à plaindre, malgré tout. "Heureusement qu'ils sont là, nos bouts de chou." dit-alors Joanne dans un souffle avec un léger sourire suspendu à ses lèvres. Malgré leur âge, les bêtises et tous les caprices qui allaient avec. Du moins, ce n'était pas ce qui pouvait tracasser Joanne. Oui, parfois les âneries de son garçon l'agaçaient parfois un petit peu, surtout qu'il fallait souvent nettoyer derrière. Mais Joanne préférait largement cela à ses propres problèmes personnels, ceux qui l'empêchaient souvent de dormir ou de passer une agréable soirée lorsque Daniel était au lit. La vie, quand il était là, réveillé, était bien plus simple que lorsqu'il était dans les bras de Morphée. On pouvait dire qu'elle ne vivait plus que pour lui, dans un sens. C'était son centre, sa raison, son bonheur, sa force. Joanne avait proposé à la belle brune de se confier, de s'ouvrir à elle. La jeune femme était une bonne oreille, et donnait souvent de précieux conseils qu'elle n'était pas fichue de prendre en compte elle-même. "Tu sais... Pour avoir déjà atteint certaines limites, certains extrêmes que je n'aurais jamais pensé franchir, je pense être... bien placée pour savoir que garder les choses pour soi n'est pas la solution la plus judicieuse." On pouvait aisément lire sur son visage les souffrances psychiques qu'elle avait traversé à force de se torturer l'esprit pour parfois trois fois rien, parfois même sans rien. "On se dit que ça va passer, qu'on réussira à se débrouiller. Et je ne voudrais pas que tu arrives un jour aussi bas que j'ai pu l'être. C'est vraiment quelque chose que je ne souhaite à personne, alors..." L'émotion de Joanne faisait un peu trembler sa voix. Oh, elle n'était pas encore sortie d'affaire, elle y travaillait encore beaucoup, au moins deux fois par semaine avec son psy. Elle était encore fragile. Ginny préférait par contre être elle l'oreille attentive. Elle faisait comprendre qu'elle ne comptait pas se mêler de quoi que ce soit, quoi qu'il puisse se dire entre elles. Joanne savait à quoi elle faisait allusion. La dernière personne qui était prête à lui accorder une telle écoute, c'était Sophia. Mais cela faisait presque deux ans qu'elle ne donnait absolument plus de nouvelles. Joanne lui fit un vague sourire, laissant échapper un "Merci." avant de reporter son attention sur son fils. Ginny comptait effectivement passer dès qu'elle le pouvait à l'hôtel pour voir par elle-même la beauté de la vue que bénéficiait la petite blonde. "Peut-être, mais je n'y crois pas." répondit Joanne. "Cette fois-ci, disons que c'était exceptionnel. Mais je ne me vois pas partir souvent, surtout que Daniel était encore un peu petit pour pouvoir en profiter pleinement. J'aimerais attendre qu'il soit encore un peu plus grand pour envisager un voyage. Nous avons déjà notre cocon à nous à la maison, et il y a déjà tant à faire sur Brisbane." assura-t-elle à Ginny avec un sourire. Et surtout, Joanne ne voulait pas pour le moment puiser dans l'argent que Jamie lui avait donné en début d'année pour des vacances dont Daniel ne se souviendra pas et dont il ne profitera pas. "Ca attendra encore un peu." Joanne n'avait pas prévu de partir avant un petit bout de temps. Et puis, elle venait à peine d'être embauchée, elle n'allait pas se permettre d'imposer des congés durant les prochains mois. Ginny évoquait la maternité, et tout ce qu'on pouvait cacher aux jeunes mamans avant qu'elles n'aient accouché. "Ca devient notre trésor le plus précieux." résuma Joanne, avec un léger sourire. "C'est peut-être ridicule, mais c'est quelque chose que j'assume entièrement." Toutes les mamans devaient être pareilles, dansle fond. Certaines l'exprimaient plus que d'autres. Ginny prouvait de minute en minute qu'elle ne voulait que du bien pour Joanne. Elle espérait pour elle que ce weekend lui permette de se ressourcer. "Je l'espère pour toi aussi, vraiment." répondit Joanne avec un rictus des plus sincères. Suite à quoi la petite blonde dit quelque chose qui semblait surprendre Ginny. Celle-ci ne tarda pas à lui répliquer afin de lui assurer que ce qu'elle pouvoit penser était foncièrement faux. Ginny avait un détachement suffisant pour faire la part des choses. Elle préférait avoir les versions de chacun, faire son propre avis sur les personnes et ne pas se baser sur les préjugés. Joanne la regardait avec une grande reconnaissance. C'était comme si elles faisaient table rase toutes les deux, pour partir sur de bonnes bases. On pouvait deviner qu'elles cherchaient toutes les deux à maintenir et à préserver cette amitié naissante, à la faire grandir. C'était au tour de Ginny de chercher à gratter un peu la surface. Mais elle cherchait, étrangement à comprendre ce qu'il y avant lui. Joanne soupira. Alors que le ciel s'assombrissait, Daniel commençait à fatiguer et il devenait toujours particulièrement câlin à ce moment là. C'est pourquoi il venait se blottir contre sa mère. Elle l'avait prise sur ses genoux, son ventre contre son torse. Daniel avait appuyé sa tempe contre sa poitrine, suçotant une tétine que Joanne venait de lui donner. "Avant lui... Je me remettais depuis un an de mon divorce. Mon ex-mari avait mis fin à dix ans de relation dont trois ans de mariage pour une raison qu'il n'a jamais voulu m'avancer et qu'il ne m'a révélé que lorsque nous nous étions revus, un et demi après le divorce." Joanne arbora un sourire triste. "J'ai découvert ce jour-là que l'on pouvait divorcer par amour." Mais ils avaient encore des sentiments pour l'un l'autre, des sentiments qui avaient eu le temps d'évoluer sur dix années consécutives. Mais beaucoup de choses avaient changé, eux aussi avaient changé. Difficile de dire où ils en étaient tous les deux à l'heure actuelle. "Nous formions un bon groupe, avec lui, ma meilleure amie, ses amis à lui. C'était ma nouvelle famille, parce que je suis arrivée à Brisbane ma première année de fac. Je ne connaissais personne ici, je suis originaire de Perth." Le regard de Joanne s'était perdu. Elle regardait dans le vide, resongeant à ces longues soirées sur la plage, ou blottie contre Hassan à regarder un bon film. Une vie simple et bien remplie tout de même. Joanne préférait ne pas évoquer le manque de nouvelles de son frère, Reever, qui avait fait sa vie aux Etats-Unis, ni des relations tendues avec ses parents ou sa soeur. "Avec ce divorce, j'ai perdu mon mari, meilleur ami, toute la vie que nous nous étions construite et... peu de temps après le divorce, j'ai fait... une fausse-couche. J'ai tant perdu d'un coup." Joanne baissa les yeux. C'était encore un sujet sensible. "J'amie m'a sauvée de cette mauvaise passe." Parce que seule, elle ne se serait jamais remise de tout ceci. Joanne avait tout résumé dans les grandes lignes, elle trouvait que c'était déjà bien trop. Elle ignorait d'où venait cette aisance qu'elle avait avec Ginny, de parler d'elle. Ginny voulait garder Jamie loin d'elles, parce qu'elle, elle ne s'intéressait qu'à Joanne, et Joanne ne s'ntéressait qu'à elle. "Ca fait longtemps que... Que je n'ai pas pu parler à quelqu'un qui se sente prête à m'écouter. Très longtemps, même." dit-elle d'une voix douce, touchée par l'immense gentillesse de son interlocutrice. "Mais là, ce sont des questions à cent balles." dit-elle ensuite d'un rire nerveux. "Je ne préfère pas me le poser, parce que je ne sais même pas quoi répondre. Ou du moins, ce que je pense me semble impossible de toute façon, alors à quoi bon les verbaliser ?" dit-elle avec un haussement d'épaules. Joanne regardait son fils, qui avait fini par s'assoupir contre elle. Elle lui caressait doucement le cheveux et préférait attendre encore un petit peu avant de la déposer dans la poussette pour qu'il commence sa nuit. "Et Ginny, elle ? Elle ne parle pas trop d'elle, elle. Comment elle va ?" finit-elle par lui demander, avec un sourire à la fois doux, rassurant, et encourageant.
You've lost your game, you've got to let it go. It feels the same. Now we're here, all alone. You want to see if we can take it back. But who are you to say we're not on track? We will find a way to set things straight in our hearts. We will find our way somehow.
Ses bonnes intentions qui font chaud au cœur. Ce n’était pas beaucoup, juste un souhait, un truc simple, envoyé en réciprocité avec ce que j’avais bien pu lui dire, mais au ton employé et à la douceur qui caresse son regard, je comprends qu’elle aussi souhaite que tout aille pour le mieux. Ce n’est pas simple et je sais bien qu’il faut beaucoup plus que de simples paroles pour chasser le nuage noir qui menace d’exploser au-dessus de nos vis respectives, mais juste comme ça, au bord du cours d’eau, avec la nuit qui subtilement se profile à l’horizon, avec la brise qui nous accompagne et les babillements de Daniel qui résonnent à nos côtés, j’ai presque envie de la croire. Qu’à mon retour, les décisions se seront prises toutes seules, que la facilité l’aura emporté, que j’arriverai surtout à lâcher prise complètement, et à chasser tous ces doutes qui pullulent sans vraiment trouver leur conclusion. Lorsque Joanne finit par prendre la parole, je m’installe un peu plus confortablement, m’assurant de lui accorder toute mon attention. En nos brèves rencontres, elle n’avait jamais été celle qui s’ouvrait énormément sur sa vie et avec raison, nos conversations tournaient presque toujours autour de l’art et de ses dérivés. Mais voilà qu’elle prend doucement ses aises à travers mes questions, et cela me surprend agréablement. Au sens où je la sens un peu plus en confiance, un peu moins sur la défensive que tout à l’heure, dans le train. Bien sûr, l’idée derrière étant de l’écouter, je reste muette le plus longtemps possible, même si le statut qu’elle m’apprend me semble bien sortir de nulle part. Idiote que j’étais, je n’avais jamais pensé à son avant à elle. Si pour ma part il était teinté d’Ezra et de nos promesses de jeunes gamins encore trop rêveurs pour savoir ce qui se tramait devant eux, voilà que j’apprends maintenant qu’elle avait déjà été avec quelqu’un, et qui plus est, la bague au doigt. Elle dénotera sûrement la surprise sur mon visage alors que son récit se poursuit, et qu’elle mentionne ce divorce qui semble encore la laisser brisée. Je le reconnais, ce voile qui passe sur ses iris, et cette nostalgie mal placée qui lui brise le cœur plus elle poursuit. Et voilà que cette petite phrase, que cette précision sur la raison qui a poussé son mari à rompre leurs vœux me reste en travers de la tête, de la gorge, du cœur. Divorcer par amour. Ça résonne et ça fait mal, ça blesse et ça explique, aussi horrible cela soit-il. Ces mots qu’Edward avait pu me dire alors que je lui présentais les papiers du divorce, cette douleur qu’il avait pu faire naître en moi, cette impression de l’avoir tenu en cage surtout, d’avoir tout gâché, de l’avoir laissé m’aimer alors que je savais pertinemment qu’il méritait tout sauf ça, tout sauf moi. L’accent chantant, subtil mais facile à déceler pour une native de Brisbane comme moi est expliqué alors que la blonde poursuit, ailleurs, remontant même jusqu’à ses racines. Perth alors. Joli coin, jolie parcelle de terre australienne. Simple interlude pour revenir à l’essentiel, et à tout ce qu’elle a pu perdre, tout ce qui lui a explosé en plein visage, tout ce qui s’est détruit le jour où son chemin a quitté celui avec qui elle avait tout bâti. Désagréable impression de déjà vu pour ma part, ma fuite forcée vers Londres me rappellant dangereusement cette douleur qu’elle raconte, ce vide qu’une relation, qu’un fantôme d’avant avait laissé. Je frissonne, et pas parce que j’ai froid non, mais parce que je résonne. « Woah… ça a dû en prendre beaucoup, pour retrouver la motivation, le goût. Tu… tu es impressionnante. » que je souffle, une fois qu’elle a fait une pause, une fois qu’elle m’en donne le droit. J’ose imaginer comment elle a pu se sentir à l’époque, cœur brisé, éclaté en mille morceaux, idéaux qu’on balaie du revers de la main sans laisser la moindre issue, la moindre lumière. Et Jamie arriva. Jamie et cette lueur dans le regard de Joanne, qui malgré leur historique, malgré leur situation actuelle, change imperceptiblement à la mention de mon ami. Jamie et son timing impeccable, Jamie et ses promesses, Jamie et sa force, sa puissance, sa solidité qui avait dû la supporter, qui avait assurément tout donné pour qu’elle aime à nouveau, pour qu’elle ait confiance. Je laisse un sourire compréhensif se dessiner sur mes lèvres, la mention trop douce pour la soulever. Elle était belle l’histoire où Joanne apprenait à vivre à nouveau, à ses côtés. Peu importe la finalité, n’en restait pas moins qu’elle avait compris qu'elle le pouvait, encore. Et déjà ça, ça valait tout l’or du monde. « Pas besoin d’attendre encore des tas d’années pour recommencer… on a tout un week-end si le besoin est là. » je laisse échapper un petit rire, voulant l’amuser, la rassurer. Je ne pouvais pas concevoir qu’elle ait pu vivre et ressentir tout ça toute seule, espérant qu’à un moment ou un autre de son parcours elle ait pu se confier que ce soit à sa meilleure amie, ou à sa famille, ou à quiconque ayant pu être là pour elle. Même si à l’entendre, il apparaît qu’elle ait été bien seule… et qu’elle le soit encore. « Ça arrivera. La graine est semée, les réponses viendront quand tu t’y attendras le moins. » le silence et la réflexion faisaient des miracles lorsqu’on leur laissait assez de place, je l’avais compris depuis un bon moment déjà. L’idée n’étant pas de la bombarder, mais plutôt de l’encourager à voir un peu plus loin, à penser un peu plus fort. Elle n’avait pas besoin de tout me dire, je n’en attendais pas autant d’elle, et je souhaitais qu’elle garde un jardin secret, autant envers moi qu’envers tous ceux qui pouvaient l’entourer, maintenant et plus tard. Ce genre de confessions, de parcelles qui la rendent humaine, vraie, qu’elle se garde, ses trésors, ses forces, ses outils. Mais au-delà de cela, au-delà de la réflexion en soi, et des réponses qui ne lui revenaient qu’à elle seule, sa confiance déjà bien établie me touchait. Assez pour la couvrir d’un regard bienveillant, et assez aussi pour oublier complètement que ce serait bien vite à moi de remplir ma part du marché, et de m’aventurer sur un terrain tout aussi glissant. Car qui pose les questions se retrouve bien souvent à devoir y donner ses propres réponses. « Elle aimait bien quand le micro était tendu sur quelqu’un d’autre. » rire nerveux pour la peine, et je termine mon breuvage avant de glisser la bouteille dans mon sac, pensive. Joanne ne voulait pas s’immiscer, elle y allait étape par étape, aucune incruste ici, juste de la douceur, de la compréhension. Et de l’amour, que je reconnais, du bout de ses doigts jusqu’à ses prunelles. « Je… j’ai pas l’habitude de me le demander, tu sais. Ça fait presque deux ans que je passe la majorité de mon temps à l’hôpital, avec Noah. C’est comment il va lui, qui m’importe.» justifications stupides, mais pourtant totalement honnêtes. C’était bien là la racine du problème, le fait d’avoir rangé mes émotions et ma propre vie dans un petit compartiment scellé, où j’en oubliais complètement le monde extérieur, et son infini de possibilités. Joanne insiste gentiment du regard, sans mot dire, assez pour que j’arrête tout de même de tirer sur la corde, et que je me montre un peu plus compréhensive. La jeune femme m’avait tout de même laissé entrer sur tout un monde, le sien, quelques minutes plus tôt. « Ok, ok, pas d’excuses. Alors, comment je vais. » j’inspire, comme si la Terre entière était à l’écoute, bien qu’au final, qu’on soit attentif ou non, la réponse n'en serait que tout aussi impulsive, décousue. Vraie. « Je vais vite. J’ai l’impression que tout défile, que tout se succède. Depuis quelques mois, on dirait que tout a décidé d’arriver, que tout se passe, que ce qui stagnait est relancé, à la vitesse maximum. » comme une douce ironie, mes mots se succèdent un peu plus vite que prévu, s’enchaînent les uns aux autres, amplifiant cet effet de rapidité, d’essoufflement qui me pèse depuis longtemps. « La peinture, déjà. Je voulais m’y remettre en douceur, et je donne maintenant des cours… et on m’invite à assister à des vernissages. » un nouveau rire, alors que j’attrape au vol le regard de Joanne, confiante, qui me fait signe de poursuivre, toujours aussi respectueuse et attentive, discrète. « Je ne me plains pas, c’est juste… c’est juste que j’ai eu l’impression de vivre en berne si longtemps que là, d’être au beau milieu de tout ce qui se met en branle, c’est beaucoup d’un seul coup. » Parce que ce n’est pas un côté où l’autre qui se précipite, mais bien ma vie entière qui se dépêche d’avancer, et qui à mes yeux foncera directement dans un mur si je ne ralentis pas la cadence, si je n’impose pas un temps d’arrêt, une pause à mon cœur, et à ma tête. « J’avais trouvé un équilibre aussi, à un moment. C’était pas grand-chose, mais ça allait doucement, c’était facile. Avant de partir à Disney avec Noah et… un ami. Un ami et nos deux gamins. » j’évite les précisions supplémentaires, simplement parce que la réalité est là. Et que je suis beaucoup trop occupée à tout nier en bloc pour avoir la force ou l’énergie d’y distinguer un autre raisonnement possible, évident. « Quand je suis revenue, tout a capoté. Noah a eu une rechute, je… me suis disputée avec mes parents, avec Matt et… » comme si tout se plaçait au même moment, comme si tout arrivait en même temps. Comme si, après le calme, la tempête s’était levée avec pour seule motivation de chambouler tous mes repères, me forçant à m’enraciner ailleurs, mieux, plus profondément. Seulement, cela signifiait aussi qu’il fallait tout recommencer, tout reconstruire. Et autant un nouveau départ était la seule solution plausible, autant je restais ancrée à quelque chose, à ce sentiment, à ce malaise, ce mal-être. De longues minutes passent avant que je lève la tête vers Joanne, presqu'au ralenti. « Il y a un truc qui m’est resté en tête, quand tu as parlé du divorce. Divorcer par amour. » que je répète, les mots qui mettent un temps fou à se former au bout de ma langue, à s’affirmer à ses oreilles. « Est-ce que tu connais sa raison, maintenant ? » j’ose espérer que Joanne a pu faire la paix avec la situation, qu’elle en sait maintenant un peu plus, un peu mieux sur les fameux motifs. Une autre question me brûle les lèvres. « Est-ce que tu le comprends ? » voilà déjà une piste, une bribe de quelque chose d’utile, de nécessaire surtout, si elle, si je, si on voulait faire la part de choses, et clore tout un chapitre. « Si tu avais été à sa place… tu aurais fait pareil? »
Made by Neon Demon
Dernière édition par Ginny McGrath le Mer 2 Aoû 2017 - 4:28, édité 2 fois
En dehors de son psychologue, Joanne n'avait pas souvenir de la personne à qui elle avait intégralment raconté son histoire avec Hassan. Ce n'était que dans les grandes lignes, bien évidemment, mais c'était amplement suffisant pour que Ginny puisse connaître la vie de la blonde avant qu'elle ne croise le chemin de Jamie. On ne se rendait pas souvent compte de ce que ce que l'on pouvait avoir vécu avant, qu'il s'agisse d'événements majeurs ou mineurs. Ils construisaient les personnalités, étaient la raison de certains tempéraments, l'explication de ce qu'ils étaient désormais. Ce qui faisait que chaque histoire était unique, singulière, malgré les similitudes que l'on pouvait se trouver en l'un l'autre. Il était plus facile de comprendre lorsque l'on avait vécu une expérience relativement similaire, mais jamais ô grand jamais on ne pouvait définir avec exactitude comme cette personne le vivait, l'endurait, faisait face. L'histoire de Joanne et celle de Ginny étaient foncièrement différentes. Et malgré tout, bien qu'elles devaient encore ignorer bien des faits, elles retrouvaient quelques rapprochements. Du moins, suffisamment pour avoir une vague idée du vécu de l'autre et ce qui leur permettait de ne pas se retrouver dans l'incapacité à dire quoi que ce soit. Et les premiers mots choisis par Ginny était surprenants. Joanne ne voyait pas en quoi elle méritait des éloges. "Je ne vois pas en quoi ça peut être impressionnant." répondit doucement Joanne, avec un sourire triste. "J'étais devant le fait accompli et je n'avais pas d'autres choix que de faire avec, comme je le pouvais." Joanne avait un très mauvais souvenir du psychologue à qui on l'avait adressé, c'était d'ailleurs à ce moment là que fut née son aversion pour cette branche du personnel paramédical. Aversion qui s'était largement calmée ces derniers temps, mais elle ne restait pas moins méfiante. "L'année qui a suivi, je n'étais rien. J'étais dans ce cycle métro-boulot-dodo, avec ma soeur qui voulait à tout prix que je sorte un peu, que je fasse de nouvelles rencontres. J'y allais uniquement pour lui faire plaisir." Il fallait dire que c'était un peu grâce à sa soeur qu'elle avait connu Jamie. Si elle n'était pas rentrée dans ce bar ce soir là, elle ne l'aurait peut-être jamais connu. Ginny faisait preuve d'un optimisme démesuré. Elle n'avait pas tous les remèdes pour tous les maux, mais c'était comme si elle voulait maintenir cet espoir là, qu'à ses yeux, aucune cause n'était véritablement perdue. Que les solutions seront trouvées, que les problèmes seront résolus. Chaque chose en son temps. Joanne était reconnaissante de l'avoir dans son entourage. Elle avait l'impression d'en avoir énormément dit sur elle-même sans avoir été pour le moment une oreille attentive en retour. Elle se doutait bien que la brune avait énormément de choses à raconter et Joanne tenait à lui prouver sa présence et sa bienveillance. Bien que rieuse, Ginny confessait qu'elle préférait ne pas être celle qui racontait sa vie. Joanne lui sourit avec sincérité mais demeurait silencieuse, voyant bien qu'elle n'était plus si loin de prendre la parole d'elle-même. "Je pense que c'est la priorité de toutes les mamans. De faire passer son enfants avant soi." commenta doucement Joanne. Elle aussi, préférait s'oublier et consacrer sa vie à son fils. Ginny semblait avoir quelques difficultés à se lancer, à se confier. Soit elle ne le faisait pas souvent, soit elle avait peur d'être jugée ou d'avoir des ennuis. Joanne misait sur la première option. Pour la brune, tout allait absolument trop vite. Sa vie défilait devant elle et elle avait l'impression de ne pas pouvoir rattraper le train qui était déjà en train de rouler. Entre la maladie de son fils, un nouvel élan dans sa carrière professionnelle. Bien que Ginny restait dans la confidence, il y avait certains détails pour lesquelles elle restait très évasive. C'était assez évident pour que Joanne puisse le constater. "Tu sais, je n'ai jamais vraiment cru au hasard." dit Joanne après que son amie ait finie d'expliquer son vécu. "Ca va trop vite pour toi, il y a trop de choses d'un coup. C'était peut-être inattendu pour toi, mais peut-être qu'il y a cette sorte de force qui voulait te mettre un peu au défi, pour te montrer ce dont tu es capable. Et comme je le vois moi, d'un point de vue extérieure, même si toi tu sens perdue, que tu aies l'impression de ne pas suivre le rythme, ça ne se ressent pas. Je pense surtout à ta carrière, en disant ça. Que peut-être, on voulait te faire rendre compte de ce que tu es capable, jusqu'où ça peut te mener, avoir un semblant de ce qui peut t'attendre. Je pense que ça te fait reprendre du poil de la bête. Ca te montre ce dont tu es capable de surmonter, en dépit de tout le reste." dit-elle avec un sourire encourageant. "Peut-être comme un coup de fouet, quelque chose qui secoue. Ca fait mal, ce n'est pas agréable, mais ça permet de relancher la machine, de se rappeler qu'on existe pour les autres mais aussi pour soi, et je suis prête à parier que Noah est incroyablement fier de toi. Je suis certaine qu'il doit se dire que toi aussi t'es une battante, tout comme lui, que tu veux continuer, que tu en veux encore et encore, que tu vis pour ce que tu aimes et ceux que tu aimes. Ca lui donne du courage à lui aussi, tu sais. Ce genre d'énergie, ça se transmet directement de la mère à l'enfant, dans les deux sens." Joanne marqua une brève pause. Elle était douée pour avoir bien plus d'optimisme pour les autres que pour elle-même. "Ca fait beaucoup d'un coup, j'en ai bien conscience. Un gros coup dur. Mais j'ai bon espoir que ça se résoudrait petit à petit. La lumière au bout du tunnel n'en sera que plus belle." lui assura-t-elle. "Et... cet ami, dont tu parlais tout à l'heure. Etait-ce vraiment qu'un... ami ?" Joanne avait contastaté que la brune avait pris un temps pour décider du mot qu'elle allait prononcer. Après un court moment de silence, Ginny releva à son tour des termes qui l'avait laissé particulièrement perplexe. Joanne n'était pas vraiment surprise que ce soit le sujet du divorce. Elle acquiesça d'un signe de tête pour répondre à sa question et prit quelques secondes avant de parvenir à articuler tout bas. "Il... Il avait un cancer et il ne lui restait plus beaucoup de temps à vivre. Il préférait me savoir être divorcée plutôt qu'être sa veuve, alors il a tenu secret sa maladie parce qu'il savait que je n'aurais jamais voulu le laisser tomber. Ca aussi, il le savait. Il était aussi persuadé que... que je ne m'en serais jamais remise, si j'avais été avec lui jusqu'au bout. Et ce n'était pas ce qu'il souhaitait pour moi." Tout ceci rendait encore Joanne très triste, bien que cela soit finalement derrière eux désormais. Enfin, rien n'était sorti, Hassan n'était pas encore en rémission totale. Le tout n'en était pas moins difficile. "Et je le comprends, oui, bien qu'au fond, si les choses avaient été autrement, j'aurais préféré rester avec lui. Hassan aurait aussi préféré sûrement que je sois là. Mais il fait partie de ces personnes qui... qui savent mieux que moi-même ce qu'il y a de mieux pour moi. S'il avait été égoïste, il aurait voulu que je sois là. Mais Hassan ne l'est pas et il n'aurait pas supporté l'idée que je me sacrifie pour lui, en quelque sorte." Le ton laissait deviné que Joanne ne se serait guère soucier d'elle si les choses avaient été différentes. Elle sanglotait. "Si nos rôles avaient été échangés, je... Je ne pense pas que j'aurais pu le cacher comme lui a pu le faire avec moi. Déjà que je n'arrive pas vraiment à cacher mes émotions, alors lui dissimuler ce genre d'informations, il m'aurait grillée juste en croisant mon regard." Joanne força un sourire et marqua une longue pause. "Ce qui fait, en soi, le divorce le plus irrésolu qui soit. On avait signé les papiers alors que nous nous aimions encore. Et... Il s'avère que deux ans sans se voir et même par la suite, à avoir... des échanges assez tendus, n'ont pas suffi à faire taire nos sentiments pour l'un l'autre." La voix de Joanne tremblait, elle arrivait sur la corde sensible. "Et c'est ça qui a détruit Jamie, c'est ça qui..." La jeune femme prit une profonde inspiration pour retenir ses pleurs. "Et même si j'ai des sentiments pour lui aussi, c'est..." Elle essuyait ses joues humides et hoquetait de temps en temps. "Ces foutus triangles amoureux..." Voilà le deuxième dans lequel elle était encastrée, elle était bien placée pour savoir que ça ne se finissait jamais bien. "Tu peux me détester, maintenant." dit-elle en forçant un sourire. Daniel s'était endormi, elle l'allongea délicatement dans la poussette afin qu'il puisse commencer sa nuit et en profita ensuite pour récupérer un mouchoir dans son sac à main.
You've lost your game, you've got to let it go. It feels the same. Now we're here, all alone. You want to see if we can take it back. But who are you to say we're not on track? We will find a way to set things straight in our hearts. We will find our way somehow.
Et je souris à la mention de Daniel, de Noah, de nos fils qui à eux seuls prennent une grande partie de notre vie, si ce n’est toute la place disponible. Et c’est suffisant à mes yeux, ce n’est pas trop, pas intrusif, pas déplacé. Il est ma seule certitude, ma seule nécessité, et honnêtement, à la lumière des derniers événements et de la débandade à travers laquelle je m’étais moi-même mise, je n’avais pas envie de voir, d’imaginer ou même d’ajouter quoi que ce soit d’autre à ma liste de priorités. Et quelque chose me disait que Joanne pensait exactement la même chose. « Ça vient avec le contrat, même pas dans les petits caractères. » pas mère indigne, pas mère parfaite. Il y avait des jours qui étaient particulièrement difficiles, et même avant que Noah soit hospitalisé. Des jours où je rêvais de mon lit, d’un gros pyjama hideux, de quantité illimitée de café et de rien d’autre. Et des jours où je n’aurais pas vu mon bonheur possible que s’il passait par un rire, même minime, du gamin. C’était difficile, c’était le boulot le plus demandant, le plus exigeant au monde, mais c’était le job pour lequel j’avais signé, et j’assumerais jusqu’à la dernière seconde, espérons-le qui viendrait dans des dizaines et des dizaines d’années. Évidemment, lorsque la jeune femme me demande de parler un peu, elle précise que ce sont des mots à mon sujet qu’elle désire entendre, et non à propos de Noah, ce qui est tout à fait compréhensible. Ne vient-elle pas de m’ouvrir son cœur sur ce qui la tracasse, alors que je sens le malaise se dissiper un peu plus entre nous, étrangement? Alors soit, je commence en douceur, je m’assume à peine, je soupire, mais je parle. Chaque mot éloigne la présence de Jamie un peu trop ambiante à mon goût pour rester impartiale, chaque parole ajoute une touche un peu plus personnelle de ma part à la discussion. J’essaie de simplifier, j’essaie de dédramatiser surtout… et j’échoue lamentablement, à voir mes mots qui se cherchent, mes lèvres qui se serrent, mes doigts qui se triturent. « Tout de suite ça me semble plus excitant et positif quand c’est toi qui en parle… » il n’en faut pas beaucoup avant que Joanne prenne elle-même la parole et tente de m’amener une nouvelle façon de voir les choses, un autre angle qui me semble justifié, bien que ludique. J’avais le nez directement dans la situation, elle observait de très loin, mais n’empêche qu’elle apportait quelques points qui mériteraient probablement réflexion une fois que j’aurais déposé la tête sur l’oreiller, prête à fixer le plafond pour les quelques heures qui me sépareraient de demain. La vie qui apporte son lot de défis, la vie qui me met à rude épreuve – je connaissais. Ne vous méprenez pas ; oui, ça pouvait être pire. Je me contentais du statut quo, du stand by de Noah dans son lit d’hôpital, et de mon incapacité à me poser pour réfléchir à la suite des choses par désintérêt total. Mais il était vrai que lorsqu’il s’agissait de m’accrocher, de bucher fort, de donner tout ce que j’ai en espérant que ça passe un peu mieux, un peu plus fort, ça finissait toujours par aller. J’étais adepte du « je suis là où je dois être, au moment où je dois l’être », et maintenant, cela semblait aux yeux de la blonde le meilleur moment de me le rappeler. « T’as jamais pensé à faire coach de vie? Parce que Noah et moi, on prend nos billets pour ta prochaine conférence dans l’heure. » la blague qui trouve son chemin facilement, qui détend un peu plus l’atmosphère, alors que j’étais perdue dans mes pensées et dans l’état que je faisais de mon quotidien actuel, et de comment je gérais le tout avec mon fils, devant mon fils. Je ne mentirais pas, j’y revenais souvent à ce point, à savoir ce que lui pense de moi. J’étais la maman la plus fière de l’univers, la plus impressionnée, fascinée par ce que le gamin arrivait à faire, à subir depuis sa naissance – et ce que moi je pouvais lui apprendre. Je me voulais forte, fière, puissante à ses côtés, pour lui montrer qu’on était deux battants, que rien ne pouvait vraiment nous atteindre, nous faire peur, tant qu’on était tous les deux. Et voilà le meilleur moment de le lui montrer, selon la jeune femme. Ce à quoi je ne peux qu’acquiescer, même si c’est un tout nouveau chapitre des plus ardus qui m’attend à mon retour à Brisbane. « Ça en fait beaucoup…. Et avant, ça m’a jamais vraiment fait peur tu sais. Passer de Brisbane à Londres c’était tout un défi, un changement de cap complet, tout laisser derrière pour ne même plus y penser alors… alors j’imagine que revenir ici fait que je recommence là où j’en étais à l’époque. Ou du moins, que je dois conclure ce qui était commencé avant de voir plus loin. Peut-être. J’sais pas. » j'hausse les épaules, constatant que malgré tout, je m’étais fait subir beaucoup par le passé, et que j’étais tout de même là aujourd’hui pour en parler. À voir si j’allais m’infliger le même traitement, ou si le simple fait d’en parler un peu ce soir, d’échanger me donnerait de nouvelles pistes pour aller de l’avant – et surtout pour lâcher prise. Pourquoi est-ce que c’était aussi difficile de laisser aller, de ne pas ressasser? « Oui, un ami. » ah, voilà. Entre le passé qui s’affirme, le présent qui se refuse et l’avenir qui s’impose sans savoir, le point d’éclat de tout ça resterait toujours le même : c’était trop compliqué, ce n’était pas le moment, rien n’était parfait. Joanne tente justement de creuser – et avec raison, je n’avais pas été particulièrement forte sur ce point. J’en avais peut-être un peu trop déblatéré au sujet du Brody, non sans banaliser. « Le genre d'ami qui me demande de l’aider à peaufiner sa technique pour emballer une nana en 5 minutes top chrono, et qui me texte des selfies de double menton à 4h du mat’. » après les baisers échangés, après les regards, après la soirée et le reste, ce n’était tout de même pas une possibilité. Il était ainsi fait, j’étais toujours la même, et je ne me verrais pas m’embarquer dans une telle histoire, si loin de celle que j’étais, simplement pour de beaux yeux et une capacité impeccable à chasser le moindre de mes problèmes une blague sur ta mère à la fois. Elle ne semble pas convaincue, j’essaie de me convaincre moi-même. « Le genre d’ami avec qui c’est pas compliqué, et avec qui je tiens à ce que ça reste ainsi. » voilà qui clos le sujet, ou du moins, qui le simplifie. Mine de rien, certaines paroles de la blonde me restent en tête, et c’est peut-être un peu trop guidée par ma curiosité – culpabilité – que je lui demande de préciser des points, m’emballant sans en avoir vraiment le droit. Je me retiens vite, interdite, réalisant que Joanne en beaucoup sur le cœur – et surtout que plus elle articule, plus je me sens encombrante, tout sauf à ma place. Elle semble à l’aise toutefois, en confiance, et je n’ose pas l’interrompre dans son discours, pour la simple et unique raison que chaque mot la soulage d’un énorme poids qu’elle tient sur ses épaules. Objective, du moins, en tentant de l’être le plus possible, je reste silencieuse durant tout le récit, cherchant à y trouver ce que j’avais besoin, le raisonnement par lequel elle a pu passer pour peut-être, je dis bien peut-être, arriver à y trouver un élément ou un autre qui puisse m’aider à mieux cerner Edward, à mieux me cerner durant les prochaines procédures qui nous guettent. Pourtant, je manque un souffle et un autre, et Joanne personnifie un peu plus cet homme dont on m’a déjà parlé, ce profil que j’ai tenté de glisser dans un coin de ma mémoire, plus intéressée à offrir mon support à Jamie d’abord, puis à Joanne qui semblait elle aussi en avoir besoin. Cet inconnu qu’on m’a décrit d’un côté et de l’autre, cet homme qui a tout brisé selon l’un et qui a tout donné selon l’une est vite nommé, et la coïncidence est trop grande pour qu’elle ne soit pas véridique. Hassan donc, cet ami, ce visage souriant, aimant, ce grand cœur qui est peut-être, probablement, assurément le lien entre plusieurs causes et tellement d’effets. Je me garde toutefois de faire le rapprochement à haute voix, pas le bon moment, pas le bon endroit, pas rien du tout. « Être un livre ouvert, la pire des malédictions quoi. » la simple mention de Joanne et de son incapacité à cacher ses sentiments me rappelle de nombreuses situations où j’ai moi-même était trahie par ce qui se tramait dans ma tête, dans mon cœur. La maladie qui ronge, qui guette, et qui brûle tout sur son passage. Joanne qui se voit mettre devant le fait accompli, qui perd tout, Hassan qui sacrifie le reste. Jamie qui arrive à travers, qui tente de rallumer, de sauver ce qui reste, Hassan qui revient, qui espère faire amende honorable, Joanne qui s’entremêle, qui s’y perd. L’avant qui rejoint l’après, les deux mondes, les deux réalités qui s’entrechoquent, et l’incompréhension totale qui couronne son visage marqué par la tristesse, l’interrogation. « Et malgré tout ce qui s’est passé, malgré tout ce qui est arrivé entre vous deux… vous… tu as toujours des… » sentiments? Je ne termine pas ma phrase, me sentant déjà bien trop intrusive. Surtout alors qu’elle craint de nouveau que je la déteste, ce que je balaie du revers du la main. Évidemment qu’elle en a toujours, des sentiments, malgré Jamie, malgré tout ce qu’elle ressent pour lui. Une histoire aussi triste et inachevée avec son ex-mari a suffi à chambouler les bases, aussi solides soient-elles, et même si j’ignore tout de ce qui est bon ou non, de ce qui est blanc ou noir, il me semble qu’elle a tout de même parlé beaucoup de lui, et très peu d’elle. Ce qui, à mon sens, reste la priorité, si elle veut s’assurer de bien avancer, mais surtout si nous voulons éviter de jouer sur trop de fronts. « Je comprends Jamie. Je comprends… Hassan. Je te comprends aussi un peu plus… mais la situation, je…. c’est tout un retour en arrière, quoi. Tu serais prête à relancer malgré tout le bagage que vous avez accumulé? À recommencer du début? » Joanne en avait partagé énormément, et j’espérais ne pas avoir aidé à remuer le couteau dans la plaie toujours à vif de ses blessures. « Pardon, je voulais pas être trop indiscrète. » que je souffle, franche. Je me refuse à lui en demander plus, à insister, autant que je sens avoir touché le maximum de ce que je pouvais avancer de mon côté sans en avoir le tournis. « Si on pouvait mettre tout ça de côté, la vie serait tellement plus simple. » je soupire, m’appuyant sur l’arrière, levant le regard vers le ciel, les nuages qui pullulent, et les quelques bribes d’une nuit qu’on voit se profiler à l’horizon. « Je te jure, si j’avais un sac, ou un dossier, ou une boîte où je pouvais empiler tout ce que je peux bien ressentir là tout de suite, pour l’un ou l’autre, pour le passé, le présent, le futur, tout ce qui est contradictoire et que je ne comprends pas… ça serait si simple. » la vie n’en serait que mieux faite, les épaules plus légères, les décisions moins difficiles, les cœurs moins brisés. « Je suis désolée, je pose trop de questions et il se fait tard et… » elle lève un regard vers moi, que j’accroche, bienveillante. Ça ira Joanne, on est plus fortes que ça, plus solides. Si je peux le faire, toi aussi. La main qui se faufile dans mon sac, j’y trouve le carton pour lequel je regardais à la base. Il ne s’agit pas d’adieux, il ne s’agit que d’une pause, pour réfléchir à tout ce qui a été dit, ce qui est encore à dire. « Tiens. Si tu veux passer au vernissage demain. Je ne peux pas te promettre que ce sera sans mecs, mais les toiles sont jolies. Elles inspirent un jour meilleur. Du moins, j’aime le voir comme ça. » et un sourire de plus, pour la route.
Maman, c'était un boulot à plein temps. Un métier que Joanne avait toujours voulu exercer mais sa santé lui avait mis de nombreux bâtons dans les roues, lui empêchant pendant de longues années d'atteindre son rêve. Et elle avait eu Daniel, son petit miracle, son petit trésor. Elle l'appelait constamment ainsi et se rappelait chaque jour la chance qu'elle avait de l'avoir. Elle n'en perdait pas une minute, gardait tous les bons comme les mauvais moments, les coups de moue et ces purs instants de joie. Ginny savait ce que c'était, elles pouvaient se comprendre aisément sur ce point. Il fallait avouer que Joanne rêverait d'avoir un moment rien que pour elle, mais dès qu'elle voulait se lancer, elle culpabilisait de laisser Daniel derrière elle. Rien qu'une soirée de temps en temps, se disait-elle, elle pouvait bien se le permettre. Mais elle ne rentrait jamais bien tard et passait toujours un temps dans la chambre du petit avant de songer à se coucher. Leur relation était plus que fusionnelle, et ce depuis la naissance du petit. Le discours de Joanne débordait d'optimisme lorsqu'il s'agissait de parler à Ginny. Elle tentait d'en sortir le mieux, lui faire voir le verre à moitié plein. Joanne n'en savait que très peu, finalement, mais elle tentait d'utiliser les éléments qui lui avaient déjà été donnés. Au moins, ça faisait un peu sourire la belle brune, suffisamment pour qu'elle glisse une petite plaisanterie en plein milieu. Cela dit, Joanne ne se voyait pas être coache de vie : qui prendrait au sérieux une femme qui n'était pas fichue d'appliquer ses conseils sur sa propre vie ? Cela n'avait pas de sens. Ginny voulait rendre son fils jaloux, ou se montrer au moins aussi forte que lui. Elle devait également avoir beaucoup de choses à gérer dans sa vie et cela n'était pas un fleuve tranquille. "Je ne suis peut-être pas la mieux placée pour te donner des conseils, ou te dire ce qu'il faudrait faire, mais je serai toujours là, si jamais tu ressens le besoin d'en parler." dit-elle avec un sourire timide. "Peut-être que ce weekend te permettra de te décider sur ces conclusions que tu dois faire, sur ces histoires que tu voudrais peut-être continuer." Son rictus devenait tout de même encourageant. Joanne tentait de creuser là où elle le pouvait, comme pour cet ami. Peut-être que c'en était plus qu'un, peut-être qu'il était autre chose pour elle. Ginny en parlait avec un certain détachement, trouvant toutes les excuses possibles pour ne le définir que comme un ami. Elle préférait clore le sujet, mais Joanne restait perplexe. Elle comprenait par là que c'était certainement bien plus compliqué que ce que la brune voudrait laisser croire. Du moins, Joanne n'achetait pas totalement ce qu'elle venait de dire mais elle ne préférait pas insister. Ginny allait certainement se montrer plus loquace lorsqu'elle se sentira prête. La brune se sentait en revanche bien plus curieuse d'en savoir plus sur Joanne. Cette dernière se surprenait de l'aisance qu'elle avait en parlant de sa relation compliquée avec Hassan. Elle avait besoin d'en parler à quelqu'un, tout simplement. De A à Z, en essayant de ne pas oublier les détails qui étaient importants à notifier. Etre incapable de dissimuler ses émotions et ses sentiments était parfois insupportable, parfois bien utile. "Il faut pourtant que j'essaie de faire avec." Au bout de trente et un ans, elle commençait à s'y faire, à l'accepter, du moins. Ginny était perplexe, dubitative. Mais sa question sonnait presque comme une accusation aux oreilles de la petite blonde. Elle baissait la tête, hoquetait. "Pour être honnête, je ne sais pas trop vers où je vais. Je me suis dit qu'on... qu'on pourrait essayer, voir ce que ça donne, je n'en sais rien." dit-elle la voix tremblante. Mais Ginny avait juste sur un point : avec tous les bagages qu'ils avaient derrière eux, pouvaient-ils tout reprendre du début ? Est-ce que ça pourrait marcher ? Elle avait pendant des mois deux hommes qui étaient prêts à tout pour elle et Joanne sentait qu'elle allait tout ruiner. Elle préférait rapidement se murer dans son silence –un autre de ses nombreux talents–, en dire plus ne ferait que rendre une mauvaise image d'elle et c'était bien la dernière chose dont elle avait besoin. Cette douleur dans sa poitrine était si vive, cumulée avec une oppression thoracique qui lui donnait l'impression de suffoquer. Elle sanglotait silencieusement, se trouvant pendant un temps peut-être bien idiote d'en avoir déjà tant dit. Ginny laissait comprendre qu'elle la comprenait un peu plus, mais ce n'était certainement pas autant que sa compassion pour Jamie, ou pour Hassan.La jeune femme regardait dans le vide, avec cette tristesse peu descriptible au fond de ses yeux. Elle en avait besoin, mais elle se demandait si finalement, ce n'était pas une bonne idée de s'être autant confiée. Alors que ce n'était qu'une partie de ses problèmes. "Mais ce n'est pas simple, rien ne l'est." dit Joanne tout bas, d'un ton las, voire même désespéré. Elle se sentait affaiblie, épuisée et elle ne parvenait plus à entrevoir un quelconque optimisme. "Il y en a certainement qui y arrive, avec beaucoup de détachement." Mais ce n'était pas son cas, ni celui de Ginny apparemment. Elle s'excusa une nouvelle fois de s'être montrée trop intrusive. "Ce n'est pas grave." souffla Joanne tout bas, se disant qu'il fallait bien qu'elle réagisse à un moment donner à ses excuses. "C'est certainement moi qui en ai trop dit, à la base." Joanne se demandait alors si elle n'aurait pas du faire comme la brune, rester vague, relativement évasive. Ca aurait été peut-être mieux. Ginny restait bienveillante envers elle toute circonstance, même lorsqu'il n'y avait que leur regard qui se croisait. Peut-être que la brune la pensait aussi forte qu'elle, mais Joanne en doutait sérieusement. Plus les jours avançaient, plus elle se disait qu'il n'y avait plus grand chose à retirer d'elle, plus rien même. La belle artiste tendait ensuite le carton sur lequel était inscrit l'adresse où avait lieu le vernissage. "Merci." dit-elle d'une voix étouffée par le chagrin. "Je... Je tâcherai de passer. Dans l'après-midi, je pense." Elle rangea précieusement le carton dans son sac à main. Le fond de l'air se fit particulièrement frais, même un peu trop pour la très frileuse Joanne. Après quelques minutes de silence, elle dit. "Merci d'avoir pris le temps de m'écouter... Je me doute bien que ça doit être compliqué pour toi, de rester impartiale, d'entendre ma version des faits, même si tu es loin de tout savoir je pense... Je ne suis pas celle qui est à plaindre. Je ne le mérite pas, du moins." Joanne forçait un sourire avant de se lever. Elle enfila rapidement un gilet qu'elle avait emmené avec elle et retira les freins de la poussette. "On se croisera certainement demain, du coup." Là, son sourire était sincère, malgré ses yeux encore bien humides et la fatigue qu'elle ressentait. Tout ce qu'elle désirait, c'était d'être au fond de son lit. "N'oublie pas de saisir la moindre opportunité qui se présente à toi. C'est déjà une change géniale que tu as d'avoir été invitée comme ça et je suis certaine que de belles surprises t'y attendent. Alors profites-en, donne tout ce que tu as. Qui sait, tu repartiras peut-être à Brisbane avec un beau bagage pour ton avenir professionnel." lui conseilla-t-elle. Ginny avait absolument toutes ses chances, il fallait qu'elle fonce, qu'elle dépasse ses propres limites. "Passe une bonne soirée, Ginny, on se croisera peut-être demain. Dans tous les cas, je croiserai les doigts pour toi." Un dernier sourire avant que Joanne ne reprenne la route vers son hôtel. Elle se sentait lessivée, après avoir autant parlé et elle appréhendait beaucoup ce que Ginny pouvait désormais en penser. Elle appréciait beaucoup la jeune femme et ne voudrait pas qu'elle se tourne contre elle à cause de toutes ces révélations, cet élan de grande sincérité. Une fois arrivée dans sa chambre, elle mit Daniel en pyjama et le coucha, et elle n'attendait ensuite pas plus longtemps pour faire de même. Bien qu'épuisée, Joanne prenait beaucoup de temps pour s'endormir. C'était habituel chez elle et elle refusait catégoriquement de prendre quoi que ce soit pour y remédier si elle était toute seule avec Daniel. Elle avait peur de ne pas se réveiller ou de ne pas l'entendre. La tête au fond de son oreiller, Joanne songeait à tout ce qui a été échangé avec Ginny jusqu'ici. Du bon, et un peu de moins bon. Elle réalisait par la suite qu'elle ne s'était pas montrée des plus amicales et le regrettait. Les questions de Ginny l'avaient beaucoup heurtée et Joanne pensait avoir fait mauvaise impression. On ne pouvait pas lui reprocher d'avoir été curieuse, Joanne l'était aussi. Et bien que cela lui faisait du bien de partager tous ses soucis, en discuter faisait à nouveau saigner toutes ses plaies, à vif, en y ajoutant une pincée de sel. Joanne devait la revoir, elle voulait s'excuser pour son comportement. Daniel se réveillait vers huit heures le lendemain. Joanne l'avait pris avec elle un peu dans le lit le temps qu'elle se réveille, partageant câlins et baisers pendant quelques minutes. Après un petit déjeuner copieux et avoir profité du paysage le temps de digérer un peu, mère et fils se rendaient en ville pour se promener un peu. Ils avaient mangé dans un petit restaurant près des ports à midi. Et elle comptait passer dans la galerie Lorsqu'elle était arrivée, elle voyait Ginny et la dénommée Dannie Hayes discuter ensemble. La brune ne l'avait pas encore vu, et Joanne en profita donc pour faire un petit tour. Daniel jouait au fond de la poussette avec son canard en peluche, il était calme et allait certainement bien entamer sa sieste. Lorsque le regard de Ginny et de Joanne se croisait enfin, la blonde fit un signe de salutations avec sa main, un sourire timide suspendu à ses lèvres. Elle n'aurait pas voulu interrompre une conversation qui pourrait grandement jouer sur l'avenir professionnelle de son amie.
You've lost your game, you've got to let it go. It feels the same. Now we're here, all alone. You want to see if we can take it back. But who are you to say we're not on track? We will find a way to set things straight in our hearts. We will find our way somehow.
Elle était perdue, Dieu seul savait à quel point je l’étais aussi. Mais étrangement, plutôt que de sentir le stress s’accroître, l’angoisse colorer mes inquiétudes, j'étais de plus en plus calme. La tolérance probablement, la capacité d’endurance qui se développe. Peut-être aussi sa présence, aussi déplacée soit-elle face à mon amitié avec Jamie. Le fait de voir des ressemblances, le fait de comprendre un peu mieux, d’en rire même, parce qu’il le faut bien. « Ça, je comprends amplement. Il y a des jours où je rêverais qu’on me donne une boussole en me pointant là où il faut que j’aille, d’autres où j’ai juste envie de fermer les yeux et de foncer là où ça semble le mieux, et d’autres encore où je préfère rester sous la couette et tout nier en bloc devant Netflix. » joli trio, que je ponctue d’un rire qui fait du bien, qui soulage. Autant j’avais détesté qu’on se moque de moi en contrôlant tous mes moindres faits et gestes à Londres, autant ce besoin d’avoir le chemin tout tracé m’apaisait, parfois. Autrement, je ne visais que la plus pure et simple liberté, celle où je lâcherais prise et où je ne m’en ferais plus avec rien. Option qui me faisait de plus en plus envie – finalement. Et si ce week-end ponctuait le moment où je décidais simplement de laisser la vie suivre son cours, sans tenter de la prédire, de la choisir, de la mettre en œuvre? À force de vouloir trop tourner, triturer, analyser, j’en avais perdu mon centre, et à la fin, ça en devenait épuisant. Une inspiration et je garde cette résolution dans un coin bien évident de ma tête, l’espoir d’un jour nouveau qui se dessine, que je peux presque toucher du doigt si j’arrête de m’en faire, si j’y vais pas à pas, priorité par priorité, et rien d’autre. Comme avant. Plus forte. Joanne quant à elle est maintenant résignée. Sa voix a changé, elle a doucement froncé les sourcils, elle s’affirme à travers ses doutes, d’une décision que plusieurs pourraient juger, mais qui me semble tout de même rester fidèle à son discours. « Si tu penses que… que c’est la meilleure chose pour toi… tu sais, y’a pas de bonne ou de mauvaise réponse. Y’a que la réponse avec laquelle tu es la plus à l’aise. » peu importe le choix qu’elle ferait, peu importe la personne avec qui elle décidera d’être, et même, si elle choisissait de simplement se refuser l’un et l’autre, c’était à elle de vivre avec la finalité, de vivre avec les conséquences aussi. Personne ne prendrait sa place, personne de partagerait son fardeau. Aussi mieux qu’elle l’assume au centuple, et qu’elle aille de l’avant par elle-même. Et elle s’accorde à mes fantasmes un peu trop ludiques de ne plus rien ressentir, de tout ranger, de faire fi du reste et de ne garder que ce qui est filtré, testé, approuvé. Elle me fait sourire Joanne, parce que je sais qu’elle me comprend encore plus qu’elle ne pourrait le dire. « Ces gens-là sont bénis. » viendra conclure cet interlude d’envie, de nous envers eux. Si c’était plus simple, grandir, devenir une adulte, assumer ses responsabilités, c’était aussi et surtout une question d’attitude. Rien ne semblait facile lorsqu’on s’en plaignait au départ, rien n’était simple si on y voyait les complications dès les premières bribes. Si nos cœurs brisés trouvaient compliqué d’aimer à nouveau, ou du moins d’y noter la possibilité, on devrait chacune et avant tout prioriser la compassion, le temps, le droit à l’erreur. Y penser me fait douter, de moi comme de nous, mais je range ça aussi avec tout le reste. Un grand vide, un grand ménage, et un changement complet de conversation lorsqu’après lui avoir présenté mes excuses d’avoir peut-être un peu trop insisté, c’est de demain dont je parle. Demain et la promesse d’un pas de plus dans la bonne direction, peut-être. « Je suis certaine que tu aimeras Dannie. Elle est sympa, le genre artiste à la tête dans les nuages. Elle m’a fait une très bonne première impression. » Joanne pense à voix haute, ajoutant qu’elle viendra peut-être en après-midi. J’hoche de la tête, ne voulant pas la presser, me disant que peut-être aura-t-elle trouvé mieux à faire pour elle, pour Daniel, pour repartir à sa façon. Justement, à ce propos. Ma fameuse tendance à jouer l’impartiale, à essayer d’être sur tous les fronts, à voir le bon en chacun. J’ai en travers de la gorge de nombreux moments où tenter d’être l’avocat du Diable, tenter d’être entre deux parties particulièrement amères l’une envers l’autre n’avait fait que du tort, mais je préfère tout de même espérer. Espérer aider, ne serait-ce que l’une d’entre elles. Parce que le simple fait de laisser quelqu’un derrière, peu importe son camp, ses couleurs, son allégeance, me terrasse encore plus que de raison. « Je suis là pour être utile où il le faut. » et après avoir tout donné ce que je pouvais à Jamie, après lui avoir offert le mieux que j'avais à offrir en de telles circonstances, Joanne avait probablement été mise sur mon chemin pour la même raison. Ses mots accompagnent mes mouvements maintenant que je me lève, ramasse mes affaires, nettoie distraitement ma place. Une opportunité, hen. Voyons si à mon tour j’arriverai demain et après-demain et la semaine prochaine et le mois suivant à garder en tête mes promesses, à avancer plutôt que de stagner. Mais l’entendre l’illustrer à voix haute me conforte – et si elle avait raison. « Et n’oublie pas de te laisser une chance. De ne plus penser à l’un ou à l’autre, mais de penser à toi et rien qu’à toi un peu. Quand tu fermes les yeux, ce que tu vois, ce que tu veux, ça devrait être ce vers quoi tu t’en vas, pas nécessairement le choix le plus logique, ni la décision la plus simple. » s’il y avait bien quelque chose que j’avais appris à la dure, c’était de ne penser qu’à soi en moment de crise. Que de se sauver d’abord sauverait les autres autour. Oui, j’avais eu des moments plus noirs à Londres et oui, la maladie de Noah me consumait presqu’autant que lui, mais ce week-end, et ces quelques instants où je me retirais dans l’atelier pour respirer mieux et faire le vide, c’était là où je puisais toute la force, toute la confiance de continuer. Il fallait qu’elle se trouve elle-même des repères, des piliers, qui ne dépendent que d’elle et de personne d’autre. Je lui montrerais même un jour, si elle le voulait bien. « Rentrez bien tous les deux, dormez sur vos deux oreilles. » un signe de main échangé, un dernier sourire, et je rentre à pied vers l’auberge où j’ai posé mes valises quelques heures plus tôt.
Évidemment, la nuit est mouvementée. Le lit est confortable, les oreillers sentent bon la lavande, mais je ne ressasse que l’horaire qui m’attend, le rendez-vous avec l’artiste, les fameuses raisons derrière son invitation. La réflexion est différente toutefois, et chasse bon nombre de fois le reste de remonter à la surface. Je voulais m’isoler d’eux, j’avais réussi en occupant mes pensées à autre chose. Avec quelques poussières d’heures de sommeil à peine en banque, je réussi tout de même plutôt facilement à trouver la galerie que Dannie m’a indiquée au début de la semaine, et c’est à l’heure que j'en passe la porte. J’y découvre un immense espace illuminé, bordé de fenêtres, tout en blanc, épuré. Le plancher glisse et reluit, on l’a ciré, et le bruit de mes pas résonne beaucoup plus fort que je ne l’assume, lorsque je réalise que je suis encore seule ou du moins, que les autres invités ne sont pas des plus apparents. « Ginny, ici! » une tête rousse sort d’un coin de mur et s’agite dans ma direction, attirant mon attention alors que je m’empresse d’aller voir Dannie et ce dont elle a besoin. « Tu m’aides? » évidement que je pense, avant d’éclater de rire et de me faufiler à ses côtés pour soulever l’autre extrémité d’une table qu’elle a décidé de déplacer d’un extrême à l’autre de la salle. Toujours en train d’organiser l’espace, elle me semble particulièrement dernière minute mais ne laisse pas son absence de ponctualité assombrir son sourire. Elle rayonne. « Ah, je suis tellement contente que tu aies pu venir! Le vernissage sera dans le grand hall, mais il y a toute cette exposition à l’arrière que j’aimerais que tu vois. Je pense que ça te tapera dans l’œil, il y a de quoi remuer pas mal de créativité. » raconte-t-elle, me faisant maintenant signe de la suivre, le meuble posé. Je me souviens de son éloquence en classe, de ses questions toujours brillantes, de sa capacité à articuler un concept aux autres autour d’elle qui n’étaient pas aussi habitués que nous à manier le pinceau. Et son aisance déteint presque sur moi, maintenant que nous passons dans une autre pièce, celle présentée précédemment, un peu plus petite, néanmoins très intéressante. « Dannie c’est… c’est de toi tout ça? » je ne la regarde même plus, entièrement impolie, parcourant les murs des yeux à la recherche de son coup de crayon que je ne reconnais pas. Les œuvres sont splendides, uniques, fortes, affirmées. Elles jouent de couleurs franches et d’impressions, bien loin d’un style classique, beaucoup plus risqué. J’adore. « De ma fiancée. Je suis avec Alannah depuis un peu plus de trois ans, elle a enfin accepté de se joindre à moi pour une exposition. Mais elle est tellement talentueuse que j’ai préféré lui offrir une place rien qu’à elle. » muette, j’admire encore un peu, comprenant sans plus d’explications pourquoi Dannie a autant insisté pour qu’une salle entière de l’endroit soit dédiée à ce travail. « Elle a tellement de talent… toi aussi. Je… le détail… et dire que tu as assisté à un de mes ateliers alors que j’en apprends plus ici que ce que j’ai bien pu te partager. » elle éclate de rire et je la suis, mal à l’aise tout de même. Je n’arriverai jamais à passer outre le fait que je n’avais rien d’une enseignante, et donc, que le syndrome de l’imposteur était plus que présent à chaque fois que je réalisais à quel point j’avais à apprendre de mes étudiants. Brr. « Ne dis pas de folies, on a des styles complètement différents! » Dannie me rassure, du moins, elle tente. Un canevas attire un peu plus mes iris, et elle me fait signe d’aller voir, me laissant détailler le tout en silence, analyser pour mon propre plaisir, voir la technique entre les couleurs. « J’ai envie de faire cela avec d’autres artistes, tu sais. De leur prêter cette salle, de leur laisser carte blanche. » oh. Oh que je la vois venir. Et que je me raidis, automatiquement. Elle voit sûrement le changement, et dans ma posture et dans mon regard, avant de déposer une main chaleureuse sur mon bras. Coup d'oeil complice, elle inspire. « Il faut que j’y retourne, on parle plus tard. Merci encore d’être là, Ginny. Amuse-toi bien! » et aussi vite qu’elle m’a entièrement retournée, la voilà qui disparaît, les voix des arrivants qui empli la galerie depuis de longues minutes déjà. Je ne reste pas seule bien longtemps, retournant sur mes pas, et remarquant Joanne parmi les gens présents. Un énième soubresaut plus tard après que Dannie et celle qui semble être Alannah m’aient salué de loin, et je gagne mon amie avec les gorge sèche, les mains moites. « Vous êtes venus! » je suis un peu trop enthousiaste pour ne pas paraître suspecte, et je m’en rends bien vite compte. Allez Ginny, inspire, elle ne t’a rien demandé du tout encore, elle a juste discuté. « Tu as pu faire un tour un peu? J’étais dans la salle derrière, on me montrait l’expo en parallèle. » que j’explique à la jeune femme, partageant quelques sourires avec Daniel qui semble déjà avoir les yeux qui piquent, yeux pré-sieste sûrement. « Je sais que c’est un peu moins ton style, mais... » les toiles autour de nous sont beaucoup plus contemporaines que celles auxquelles elle est habituée, que celles qu’elle aime. Je prends tout de même la chance de l’inviter à me suivre, alors que je retourne vers la fameuse chambre pour une seconde fois. « J’aimerais savoir ce que tu penses de celle-là. » retrouvant l’œuvre qui m’avait ému la première fois, je guide Joanne et Daniel tout devant, avide de parler de beau, et de chasser à nouveau cette vague de doute qui menace de monter et gâcher le zen que j’avais pu atteindre depuis que j’ai quitté Brisbane.
Il y avait peut-être un point que Ginny ignorait de la blonde. Lui demander de trouver ce qu'il y avait de meilleur pour elle, faire un choix qui est le plus adapté pour elle. C'était une chose que Joanne n'avait jamais su faire. Elle avait toujours vécu corps et âme pour les autres, au point de s'oublier pas trop souvent. Jamie avait tenté à maintes reprises de lui trouver une activité qu'elle pouvait faire seule, un temps qui n'appartiendrait qu'à elle. Mais elle n'y était jamais parvenue. Aussi réglée qu'un automate, elle avait appris à exister pour Jamie et pour leur fils pendant tout ce temps. Si la maison était intégralement nettoyée, le dîner déjà prêt, tous les impératifs réglés, elle ne savait plus quoi faire d'elle-même, alors elle attendait. Que le temps passe, que Daniel ait à nouveau besoin d'elle, que Jamie soit à nouveau là. C'était un autre point qui s'était développé après son divorce. Autant dire que l'année ayant suivi ce dernier, Joanne n'était pas grand chose, ni personne. Elle attendait. Son travail et la garde de Daniel l'empêchaient quelque peu de revenir dans cette phase, ça la sauvait. Elle avait arrêté la danse à nouveau, parce que ses horaires ne collaient plus avec les bons créneaux, mais elle restait toujours en contact avec son cavalier habituel. De plus, Joanne culpabiliserait bien de trop vis-à-vis de Daniel si elle multipliait les sorties et les activités. Il y avait déjà eu ce restaurant avec Hassan, l'autre soir. Elle préférait se passer de commentaires, ne pas raconter tout ça à Ginny. La brune comprendrait sûrement, mais... Elle estimait qu'elle en avait déjà beaucoup et qu'elle ne voudrait certainement pas en entendre davantage pour le moment. Mais non, Joanne ne se permettrait jamais de se laisser une chance, elle estimait qu'elle n'en avait pas le droit. Néanmoins, ces paroles résonnaient comme un écho dans sa tête une bonne partie de la matinée, le lendemain. Elle tentait toujours d'y songer, d'y réfléchir, croyant désespérément à un remère miracle, mais il n'en était rien. Aucune issue, aucune bride, aucun indice. Son coeur se serrait à chaque fois dans sa poitrine. Penser à elle ? Mais pour quoi faire ? La jeune femme avait déambulé dans la galerie l'après-midi, attendant que Ginny ne se libère. La brune semblait particulièrement enthousiaste, quoi qu'un brin nerveuse. "Oui, j'ai jeté un oeil à quelques oeuvres." dit-elle d'un ton calme. "Ce n'est pas vraiment ma tasse de thé." ajouta-t-elle sur le ton de la confession. "Je n'ai jamais vraiment réussi à interpréter des oeuvres venant de ce mouvement là. Et ne pas y parvenir parce que c'est un art qui ne me correspond pas, c'est particulièrement frustrant." Elle rit nerveusement. "Mais d'un point de vue esthétique, ça reste très beau." Elle ne pouvait guère en dire plus. Ginny avait bien conscience que ce n'était pas le mouvement artistique que Joanne préférait, et loin de là. La brune tenait cependant à lui montrer une toile dans une salle annexe, qui semblait lui avoir préalablement tapé dans l'oeil. Joanne l'avait donc suivie jusqu'à cet oeuvre. Avec le bruit de fond, Daniel eut un petit regain d'énergie et désirait alors sortir de sa poussette. Joanne le laissait alors un peu gambader, tout en gardant un oeil sur lui, mais il ne s'éloignait jamais vraiment de sa mère. Comme bien souvent, il faisait des regards charmeurs à ceux qu le regardaient, puis il faisait son timide en venant se réfugier sous les jupes de sa mère. "De nos jours, une oeuvre d'art, c'est comme lire dans l'esprti de son artiste. Le choix des couleurs, le soucis du détail, la manière dont est appliquée la peinture, tout est retranscrit, tout est dit. Alors qu'à l'époque, c'était principalement des commandes, il fallait parfaire l'image d'un souverain, afficher tous les objets et détails possibles pour montrer leur puissance, leur grandeur. Même si on devinait aisément les artistes les plus meurtris, et les plus passionnés." dit-elle, pensant à voix haute. "De nos jours, les artistes ne se laissent plus guider par ces contraintes, ils laissent libre court à leurs envies, à ce qu'ils veulent montrer." Impossible de ne pas penser à Jamie à ce moment là. Il peignait parfois des oeuvres très abstraites, qui n'étaient absolument pas du domaine de Joanne. Cependant cette dernière avait toujours réussi à les décrypter. L'Anglais était parfois même surpris qu'elle note certains détails. "Je trouve que ça rend chaque tableau assez intime, ça m'embarrasserait presque de les regarder de près." dit-elle avec un petit rire. "J'aime beaucoup le soucis du détail dans celui-ci, ainsi que le choix des couleurs, c'est très harmonieux." C'était certainement ce qu'elle préférait, les détails. Les indices cachés, ces petites choses que le grand public ne remarquerait pas forcément. "J'aime beaucoup." conclut-elle. Joanne ne savait pas vraiment quoi dire de plus. "Je suppose que la toile a du te taper dans l'oeil pour que tu aies tenu à me la montrer." Elle regardait Ginny d'un air complice. Daniel, collé aux jambes de sa mère, tendit les bras en l'air pour réclamer d'être porté en répétant incessamment "Maman... Maman...Porter." Joanne le prit alors et le petit se blottit immédiatement contre elle, réposant sa tête sur son épaule. "Alors, une opportunité s'est-elle présentée ?" demanda-t-elle au bout de quelques minutes de silence. Elle l'avait vu en grande discussion avec Dannie, Joanne n'avait pas trop osé les interrompre. "Oh mais, tu as ramené une amie avec toi ? Tu ne me l'avais pas dit !" dit Dannie, qui venait tout juste d'apparaître. Joanne se présenta rapidement et la rousse tombait ensuite rapidement sous le charme de Daniel – comme à peu près tout le monde. Surtout qu'à son âge, le petit savait déjà jouer de son charme, avec les yeux de sa mère et beaucoup d'expressions de son père. S'en suivit un peu de small talk, et c'était avec grand plaisir que Dannie apprit où travaillait Joanne. Une conservatrice dans le coin, cela ne pouvait avoir que du bon. Et au bout d'un moment, l'air de rien, Joanne dit, avec un brin d'enthousiasme. "Je ne sais pas si Ginny vous l'a dit, mais elle a ramené l'une de ses toiles avec elle. Un essai, selon elle, mais je pense vraiment que ça vaut le coup d'oeil." Le regard de Dannie s'illumina. "C'est vrai ? Ginny, montre-moi ça, j'ai vraiment envie de le voir maintenant ! Il faut que je le montre à Alannah, je suis certaine qu'elle va adorer ton style aussi." Joanne esquissa un sourire mutin, largement satisfaite de sa manoeuvre. Autant décupler les chances de son amie, qui sait ce qu'elle pourrait avoir à la clé. A vrai dire, maintenant que Joanne avait pu faire le tour de l'ensemble de la galerie, elle visualisait parfaitement une exposition avec des oeuvres de la belle brune, ici même. Et étrangement, elle était soudainement persuadée que ça allait se faire. S'il fallait un petit coup de pouce du destin, Joanne ferait tout ce qui est en son pouvoir pour que ça se réalise, parce que Ginny le méritait amplement, et elle avait besoin que son talent soit enfin vraiment mis en avant.
You've lost your game, you've got to let it go. It feels the same. Now we're here, all alone. You want to see if we can take it back. But who are you to say we're not on track? We will find a way to set things straight in our hearts. We will find our way somehow.
Les efforts que fait Joanne pour tenter de s’accommoder à l’art contemporain me font esquisser un grand, un énorme sourire. Parce qu’elle essaie du moins, qu’elle tente, et que malgré tout elle arrive à y trouver du positif. La pauvre, elle semble bien triturée de ne pas pouvoir aimer, de ne pas pouvoir comprendre et je balaie le tout d’un signe de la main, banalisant parce qu’au final, on est là pour apprécier l’art tout court, pour apprécier ce qu’on y trouve. « Il y a pire, t’inquiètes. » il y aura toujours pire que de ne pas aimer un tableau, que de ne pas comprendre une ligne, une couleur, et s’il y a bien quelqu’un avec qui elle peut le vivre sans paniquer, sans s’en vouloir, c’est moi. N’avais-je pas mis l’art de côté pendant des années, avant d’ouvrir mon atelier à autant de gens aux idées qui se mélangent et surtout, qui différent entièrement des miennes? « L’effort est là, on dirait presque que tu y crois. » je suis sarcastique, doucement, et mon rire la rassurera le temps que ses iris commentent la beauté des toiles qui l’entourent. Ça fera amplement. La galerie se remplissant autour de nous, je vois Dannie qui accueille d’autres invités, qui butine de l’un à l’autre, non sans imaginer ce à quoi je ressemblerais, si un tel événement arrivait autour de mes propres toiles. Si le parcours de la peintre m’avait émue lorsqu’elle m’avait raconté être passée de rien du tout à l’Eureka, je réalise que je suis encore bien loin, très loin d’être prête pour assumer autant mes canevas au point de les afficher sur les murs d’une salle où ils seront à la merci des paires d’yeux présentes. Un jour peut-être… pour l’instant, je préférais apprécier, observer, profiter. Et en discuter avec Joanne qui, dès qu’on la lance sur ce sujet, devient des plus loquaces. « Ça respire la liberté, ça laisse beaucoup plus de place à ce que la personne voit, au-delà de ce que l’artiste veut. J’aime autant l’un que l’autre tu vois, à l’époque on imposait et on admirait, aujourd’hui on questionne et on s’inspire. » j’avais toujours adoré discuter d’art avec elle et avec Jamie. Nos visions et nos intérêts divergeaient, mais nous arrivions toujours à nous enflammer sur telle œuvre ou tel artiste, laissant nos réflexions venir à voix haute, s’écorcher pour mieux s’entrecouper. Évidemment, l’entendre prendre position me pince au cœur, le Keynes n’étant pas là pour l’appuyer ou l’erroner avec ses propres opinions, mais je préfère laisser cette déception de côté, question de ne pas manquer une seule bribe de ce que la blonde a à dire, elle qui de base était déçue de ne pas arriver à saisir ce style. Je trouve qu’elle se débrouille bien justement. « C’est là où on tombe soit sur du beau et du lourd, soit du sur synthétique et du vide. » c’était malheureusement le problème avec l’art contemporain. On pouvait avoir droit à de véritables petites perles, rares, de talent brut qui venait au monde sous nos yeux sans le moindre avertissement, ou à un gâchis où l’artiste se prenait pour le nouvel Andy Warhol des temps modernes, jouant de couleurs criardes et de scandales pour faire parler fort alors que rien n’avait de valeur au bout de son pinceau. Heureusement, depuis mon entrée dans la galerie, je sentais que ni Dannie ni Alannah n’étaient de cette école, ce qui était une petite victoire en soi. « Tu vois… moi je suis à l’aise. Parce que je me questionne sur ce que ça me fait ressentir, plutôt que ce qui a été décidé au départ. Je pense que c’est ce qui caractérise beaucoup plus l’art contemporain – on analyse le ressenti plutôt que la technique. » à mon contraire, Joanne se disait embarrassée devant une des toiles présentes qu’elle aurait à détailler de trop près. Entrant dans la bulle de l’artiste peut-être, restant sur les bases, sur l’œil du peintre qui n’aurait pas nécessairement voulu l’inclure dans son intimité. Tout en le lui expliquant, j’atteins finalement à ses côtés la toile que je souhaitais lui montrer, la laissant l’observer d’elle-même, la commenter, le temps qu’il faut. Je reste en retrait, surveillant furtivement Daniel qui trottine autour – instinct de mère qui ressort – avant de reporter mon attention sur la jeune femme qui a pris la pause nécessaire, nuque arquée, shipant tous les angles du croquis. Me souvenant de ma première impression sur le tableau, des longues minutes que j’y ai passées devant une Dannie curieuse, j’acquiesce à la supposition de Joanne avant de lui faire signe de s’approcher, de justement voir ce qui m’a tapé dans l’œil comme elle le comprend vivement. « Regarde… c’est ça qui est venu me chercher, direct. Regarde derrière, là, on dirait une tâche, on dirait un amas de couleurs, rien de bien précis. Mais quand tu t’approches justement, y’a tous ces détails, totalement visibles, calculés. Le chaos qui cache le beau… » je ne pointe pas, je fais confiance à ses prunelles avides pour comprendre exactement où le focus se trouve, de suivre mes mots pour le localiser dans le coin extérieur, et une fois qu’elle l’a, une fois qu’elle le repère, je laisse aller la blague, comme Jamie l’aurait probablement fait s’il avait été à nos côtés. « … ou l’artiste qui a échappé son pot de peinture sur un croquis à la va vite, et qui a essayé de rendre ça sympa à l’œil. » je rigole, mais cela n’enlève en rien l’importance que ce petit truc tout simple, l’émotion qu’il a générée, le résultat que cela a eu sur mon appréciation globale de ce qu’Alannah a pu mettre en place dans l’annexe. Silencieuses, nous profitons encore un peu du calme autour de nous, la salle étant nettement moins populaire que l’attraction principale, que nous rejoindrons assez vite lorsque Joanne tente une nouvelle question. Ça fait plaisir de la voir un peu plus dans son élément, le caractère malaise de notre rencontre au hasard d’hier étant de plus en plus loin. Il fallait se rendre à l’évidence, si notre chemin s’était croisé dans le train, si nous étions venues ici avec le même objectif à peu de détails près, c’était qu’il y avait quelque chose là, qu’on devait le comprendre du moins. Opportunités me semble le bon terme lorsqu’elle l’apporte, relatant silencieusement les quelques mots que Dannie a pu me dire avant de quitter la salle, mots que j’ai gardés en travers de la gorge avant de pouvoir changer de sujet et d’humeur, la blonde à mes côtés. « Rien de formulé clairement non. Et ça me va, j’aime laisser les choses aller, prendre mes aises, me remettre dans le bain… » malgré tout ce qu’elle avait bien pu me dire hier, malgré mes dernières réflexions, malgré ma nuit blanche qui avait remué le reste, je préférais tout de même trouver mon rythme avant de me lancer tête première, surtout en ce qui a trait à mon art. Apparemment, mentionner le tout suffit à faire approcher Dannie, et c’est forte de son charisme naturel qu’elle se présente à Joanne – et s’enthousiasme de l’entendre parler de son travail, de sa venue ici, et de la présence de Daniel qui la séduit d’un battement de cil. Si les salutations faites me laissent l’impression que nos chemins se sépareront de nouveau pour que l’artiste reparte serrer des mains, Joanne me prend de court en mentionnant le croquis que je lui ai montré la veille, le seul, celui que j’ai amené dans un excès de zèle alors que Dannie m’avait dit être intéressée à voir ce que je pouvais bien faire ces jours-ci. « Je… c’est… dans mon sac. Je reviens. » devant l’entrain de la rousse, et le regard soutenu de la blonde, je me sens bien petite tout à coup, et surtout incapable de faire autre chose que d’enclencher mes pas un à un, allant vers les vestiaires où ma veste et ma besace m’attendent. Je sais que Joanne a voulu bien faire, je sais qu’elle est pleine de bonnes intentions, mais en farfouillant dans mes affaires, je ne peux que maugréer que c’est trop tôt, trop vite, que rien n’est parfait, que je ne suis pas foncièrement prête. Prête à quoi? Je l’ignore, et c’est ce qui me terrifie le plus. Regagnant les deux femmes, c’est la mine basse et les iris noirs que je finis par tendre la feuille désuète vers Dannie. L’idée romanesque d’y aller avec un seul dessin, de me la jouer artiste maudite à fond, me semble bien ridicule maintenant que la peintre tient le papier aux coins froissés entre ses doigts. « Hum. » je me liquéfie. Incapable de dire, de penser quoi que ce soit, mes mains s’enfouissent dans mes poches et je sens mes épaules se voûter sous l’exclamation de Dannie, sous le silence pesant qui me fait remettre ma vie entière en doute, ridiculiser les quelques bribes de bonheur que j’avais pu avoir depuis que les workshops avaient lieu. « C’est qu’un croquis, c’est rien de bien détaillé, c’est pas grand chose… » que je justifie bêtement, espérant juste que la conversation se termine, que je puisse repartir de mon côté, qu’on oublie tout sans la moindre envie de recommencer. Alannah à qui Dannie avait fait signe plus tôt finit par se libérer et venir à nos côtés, ce qui renforce mon impression d’imposteur, et que ses rétines à elle aussi détaillent maintenant mon vulgaire dessin. « Ça serait… » quoi? Absolument rien? « Hum. » c’en est trop et je leur retire délicatement la feuille des mains, évitant le regard de Joanne que je sens particulièrement insistant. Trop. « Je suis désolée, c’est con, j’aurais dû apporter autre chose, j’ai pris le premier du bord, ça en ressemble pas du tout à ce à quoi tu t’attendais… » Dannie efface mes mots du revers de la main, secoue la tête, échange un regard avec sa fiancée avant de sourire de plus belle. « Viens. Venez. » je traîne des pieds, et si ce n’était pas de la présence de la blonde près de moi, j’aurais prétexté devoir partir loin, le plus loin possible sans jamais regarder derrière plutôt que de les suivre. Mais voilà, la curiosité, et une certaine forme de courage probablement suffisent à motiver mes pas, et à suivre le cortège vers une section du vernissage principal, là où Dannie semble vouloir nous amener absolument. Un pan de mur blanc complètement vide, une page blanche sur laquelle crayonner, un océan de possibilités. Elle y dépose grossièrement mon croquis, le tien du bout du pouce, hoche vigoureusement de la tête et accentue la scène en me regardant par-dessus son épaule, ravie. « Et après tu ne me diras pas que tu n’as pas ta place ici. » elle éclate de rire et je pince les lèvres, fronce les sourcils, observe le whole picture, essaie de comprendre le message qu’elle veut passer. Les couleurs vont bien ensemble, la position me semble juste, la lumière tombe bien… mais, mais. Une impulsion que je ne comprends pas suffit à me faire avancer vers elle, prendre le dessin et le remonter un peu plus, le cambrer vers la gauche, suivre la ligne d’architecture pour l’amplifier. « Il… il irait mieux là. » Dannie éclate de nouveau de rire, observant le tout l’œil brillant. L'ensemble est parfait, balancé, comme si chaque pièce était là où elle devait être, comme si c'était parfait, un peu trop. Dans quoi est-ce que je me suis bien foutue? Ce ne sera que lorsque nous sommes seules de nouveau Joanne et moi que je finis par lui adresser la parole, moqueuse. « Alors, tu veux une cote, ou ? »
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Dernière édition par Ginny McGrath le Ven 11 Aoû 2017 - 14:28, édité 1 fois
"C'est exactement ça, oui." souligna Joanne avec un sourire. "Ici, je t'assure, je trouve ça beau." lui assura-t-elle. "Pour moi, ça définit bien l'art. Je comprends en revanche moins les personnes qui affirment que poser une grenade sur un fauteuil de bureau, c'est de l'art." Elle arqua un sourcil. "Parce que oui, une fois, dans un musée, j'ai vu une grenade posée sur une chaise et la valeur de cette oeuvre s'élevait à plus de 10 000$. Alors qu'il y a beaucoup d'artistes qui passent à la trappe et qui font de véritables merveilles." Joanne se rendait compte à quel point elle appréciait discuter art avec Ginny malgré tout. Son amie avait ses propres points de vue, des mouvements qu'elle préférait sûrement à d'autres. Mais c'était tout ce qui faisait la richesse d'une conversation. "Je ne me suis jamais vraiment questionnée sur ce que je pouvais ressentir devant une oeuvre. C'est curieux." dit-elle avec un petit rire amusé. "Alors que moi je cherche plutôt à ce que l'artiste a pu ressentir en peignant, par exemple. Je cherche à comprendre il ou elle a préféré prendre cette couleur plutôt qu'une autre, pourquoi il ou elle a insisté sur un détail plutôt que sur autre chose. Nous avons une approche différente, je trouve ça chouette." Cette idée faisait beaucoup sourire la petite blonde. "On m'a appris à se pencher autant sur la technique que sur les émotions, la manière dont un joue sur l'autre et vice-versa. Les analyses, etc." Joanne se rappelait de ses cours à la fac, certains d'entre eux étaient particulièrement barbants, parfois, surtout lorsqu'il s'agissait de se pencher sur des oeuvres qui ne l'inspiraient pas vraiment. Ginny prenait un franc plaisir à montrer à la blonde. Celle-ci s'approchait légèrement pour observer les détails de plus près. Le chaos qui cache le beau. Ca aussi, ça lui rappelait Jamie. Après une première rencontre tumultueuse, un véritable chaos, elle avait pu voir par la suite toute la beauté en lui. De plus, elle se demandait si derrière le chaos qu'était sa relation avec Hassan jusqu'à très récemment, ils avaient une chance tous les deux de faire quelque chose de beau. La phrase laissée par Ginny, traînant, n'était pas anodine pour la machine infernale qui orchestrait toutes les pensées de Joanne. Elle laissa échapper un rire suite à la petite plaisanterie de son amie, et continuait de contempler l'oeuvre d'art pendant qu'elles discutaient d'opportunités. Rien de clair pour le moment, mais sa phrase laissait comprendre qu'il y avait eu quelque chose. Joanne comptait bien lancer la machinerie et elle s'y était prise à coeur joie dès qu'elle avait fait la connaissance de Dannie. Si cette tentative échouait, la brune aurait toutes les raisons du monde d'en vouloir à Joanne, mais pour une fois, cette dernière était sûre de ce qu'elle faisait et certaines qu'il n'y allait avoir que des retours positifs. Alors que Ginny ne veuille pas trop la regarder ne la gênait pas. Elle restait bien silencieuse après avoir remis son oeuvre à Dannie, qui ne devenait pas très éloquente. Juste des "hum" qui se suivaient et qui auraient fait suer n'importe qui. Alannah finit par les rejoindre pour admirer à son tour le croquis de Ginny. La petite blonde suivait le petit groupe, le sourire pendu aux lèvres. Dannie plaçait le croquis sur un mur encore vierge de toute décoration, sous le regard stupéfait de Ginny. Celle-ci finit même par prendre les devants et replacer un peu son oeuvre. L'amie de la brune finit par s'éclipser, laissant Ginny et Joanne seules. "Non merci, je ne veux rien." dit-elle en riant, particulièrement fière. "J'ai fait ma bonne action du weekend, objectif rempli." Elle lâchait un petit tout en continuant de câlinant Daniel, qui, cette fois-ci, n'allait pas tarder à s'endormir. "Je t'avais dit qu'elle allait aimer." lui dit-elle d'un ton plus doux. "Tu pourrais faire une sorte de books, avec des clichés des oeuvres dont tu es le plus fière, pour que tu puisses les lui montrer. Je pourrais t'aider si tu veux." Joanne était confiante. "Les montrer à Dannie et Alannah, et peut-être que tu auras droit d'exposer un peu plus qu'un seul tableau. Tu as vu comme elles ont adoré. Deux artistes ont aimé ce que tu fais Ginny, même si ce n'est qu'un croquis, même si c'est encore expérimental. Imagine l'émerveillement devant un de tes tableaux aboutis." Le regard de Joanne s'illuminait. Elle était certaine que Ginny pouvait réussir dans cette voie, même si elle semblait terrorisée. "Permets-toi d'accepter que de belles choses t'arrivent Ginny. Je sais que tu dois certainement t'attendre au revers de la médaille, mais il n'y en a pas. Tu as du talent, ça te fait peut-être peur de le montrer, et pourtant, j'avoue avoir forcé un peu le destin pour que ça se fasse, mais ce n'est pas moi qui ai dessiné ça, ce n'est pas moi non plus qui ai eu l'idée de l'emmener. Je pense que tu as besoin de prendre un peu confiance en toi, disons je t'ai juste donné le coup de pouce dont tu avais besoin. Et je serai là pour t'épauler et t'aider à te laisser là-dedans, tu seras jamais seule, d'accord ?" Joanne n'était pas consultante, ni galeriste, mais elle travaillait dans le domaine de l'art, elle avait quelques adresses. "Je te propose qu'on continue de parcourir la galerie pour découvrir le reste et... aussi que je mette Daniel dans la poussette parce qu'il commence à se faire lourd et... qu'on revienne par exemple demain et voir si Dannie a eu des retours concernant le croquis qu'elle vient tout juste d'exposer au grand public. Tu auras des premiers retours, tu sauras à quoi t'en tenir. Et s'il le faut, je viendrai avec toi si tu as besoin d'un soutien moral." Elles retournaient auprès de la poussette que Joanne avait laissé dans un coup pour y déposer Daniel afin qu'il poursuive sa sieste. "Dannie l'a dit elle-même, tu as ta place ici." dit-elle alors qu'elles commençaient à parcourir la galerie. "Quand tu vois tout ça, tu n'es pas en train de te demander : pourquoi pas moi ?" dit-elle avec un léger sourire. "Tu pourras toujours compter sur moi si tu as besoin de soutien ou de conseils dans tout ça. Je serai toujours là."
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Sa bonne action du jour, donc? J’esquisse un sourire alors qu’elle se veut rassurante, bienveillante. Au-delà du soubresaut qu’elle m’a causé alors que le simple fait de mettre mon croquis embryonnaire entre les mains de Dannie m’avait entièrement retournée, je finis par comprendre le raisonnement, m’y prendre à son propre piège. Joanne avait eu raison de pousser un peu, au même titre qu’il fallait que j’arrête de craindre le changement, que j’arrête d’avoir peur de la vie qui allait si vite. Je survivais aux côtés de Noah depuis plus de 2 ans maintenant, ça me semblait donc particulièrement ridicule de me prendre la tête pour un simple dessin, pour une exposition qu’on ne m’avait même pas encore proposée textuellement. Inspire, expire, tout va mieux. « Ce qui veut dire que maintenant tu peux te transformer en bad Joanne, teindre tes cheveux en noir et cambrioler des banques? » la simple idée m’arrache un éclat de rire. Si la jeune femme était ce qui se rapprochait le plus de la douceur incarnée, j’étais tout de même curieuse de voir ce que ça pouvait donner si un jour elle décidait de balancer ses dictats, de se casser un peu, de jouer d’une confiance et d’un aplomb à toute épreuve. Je l’envierais à ce moment, très probablement, restant ancrée à mes vieilles habitudes chancelantes au deuxième rang. « Je… je ne sais pas ce qu’elles ont pu y trouver de si différent, mais… c’est flatteur. » mon silence ponctué de mauvais humour lui met la puce à l’oreille, et elle tente à nouveau de me rassurer maintenant que nous quittons le McGrath accroché à la va-vite pour recommencer à tourner à travers la galerie. Loin de moi l’idée d’aller chercher sa pitié ou une quelconque forme d’encouragement. Objective, je voyais bien que le papier n’avait pas sa place à travers le vinyle, et qu’il jurait à côté des couleurs affirmées et des traits de crayons de Dannie qu’on reconnaissait dans toute la salle. Ce n’était qu’un strict point de vue esthétique qui me remettait en question à l’instant, et pas un énième doute de plus en moi et en mes capacités. Encore heureux. « En quittant l’Académie en mi-année, j'ai jamais vraiment eu à faire le processus. On m’avait expliqué comment être exposée en galerie, quelles démarches suivre… j’ai rangé ça au fond des boîtes avec mon matériel de peinture. » je hausse les épaules, constatant, sans la moindre once de plainte. Joanne prend doucement le temps de me guider à travers les prochaines étapes, elle qui semble définitivement plus hardie lorsqu’il s’agissait d’art, qui plus est du mien. Je reconnais dans sa voix un tout autre engouement, une passion qui ressort, qui chantonne, et ça me plaît presque, ça me convainc presque, de savoir qu’elle y croit à ce point. Je jure, son entrain réussi même à me calmer, alors que je visse mes iris sur elle et loin du papier que je voyais encore trôner par-dessus son épaule. Et si je laissais une chance? Et si je faisais confiance? J’étais tout de même venue ici, j’avais tout de même glissé cette feuille dans mon cahier, je me tenais encore debout et j’avais même joué de l’assurance à replacer l'oeuvre une fois affichée par Dannie. Southport était signe de pause oui, mais de renouveau. J’avais besoin de relancer, de faire confiance, de me recharger, de prendre racines. Les workshops, la peinture que j’avais retrouvée, la passion que j’avais à en parler depuis que j’avais passé la porte de la galerie… tout ça et plus encore provoquent un nouveau soupir, celui du lâcher prise, celui de l’essai, celui de l’erreur peut-être – que j’assumerais s’il le fallait. En temps et lieu. « Et puis, ce n’est qu’un tableau, qu’une galerie, qu’une idée. Même pas à Brisbane – personne ne pourra voir si c’est complètement nul et vide de talent. » mon ton est trop sérieux, et je tente de garder l’air le plus fermé possible avant d’éclater de rire. Un peu de confiance Ginny, ça ne te ferait pas de tort. « J’rigole. Je… merci Joanne. C’était pas nécessaire, je sais que je peux être nulle pour ce genre de chose, qu’à force de mettre ça au second plan, j’ai perdu de la passion que j’avais d’avant mais… qui sait. » elle n’était pas obligée, pour des milliers de raisons. Tout ce qui me rattachais encore à Jamie, et aux souvenirs que cela devait générer en elle. Mon manque de tonus lorsqu’il était sujet de me mettre de l’avant, ou du moins de mettre ce que mes pinceaux occasionnaient à la vue de tous. Et pourtant, elle insistait, elle restait là, elle ne bougeait pas. « Bon plan. » j’irais doucement, j’irais à tâtons, j’irais pas à pas… mais j’irais. Voilà. « Je n’ai jamais rêvé à être célèbre, tu sais, ou exposée dans toutes les galeries du coin. L’idée, c’était faire des tableaux, avoir un atelier, vendre quelques toiles assez pour payer le loyer et les courses. J’avais pas des rêves de grandeur, je voulais simplement… faire ce que j’aime. » Joanne qui me laisse regarder, observer, détailler autour en me demandant si j’avais déjà voulu me voir affichée m’amène à réfléchir à l’avant. Alors que j’avais signé mes premiers devoirs, que j’avais pris possession de mon chevalet attitré, que j’avais mis le dernier coup de fusain sur l’examen technique finalisant le semestre. Je n’aspirais pas à devenir une artiste qu’on s’arrache, à voir mon nom jugé et acclamé, à faire une Auden de moi – non. Le simple fait de vivre de ce que j’aimais le plus au monde me suffisait – suffirait. « On dirait qu’elle me nargue, t’as vu. » que je rigole un peu, la pression qui retombe tout naturellement après cet élan de confiance, maintenant que le fameux croquis retrouve sa place dans mon champ de vision. C’était un mélange contradictoire, d’émotions qui s’entrecoupent, la fierté et la peur, le regret et l’espoir. Motivant, et effrayant. « Oh, Ginny! J’ai quelqu’un ici qui veut te rencontrer. » la voix de Dannie résonne derrière moi, pendant que Joanne termine d’installer Daniel dans sa poussette. Je fais volte-face en tentant de garder l’expression la plus potable possible. Donner une petite pause à mon cœur aujourd’hui, c’était de trop ou? « Pat est propriétaire de la galerie. C’est lui qui a organisé le vernissage d’aujourd’hui. J’ai rencontré Ginny chez elle, à un atelier de peinture qu’elle donnait dans son loft. Ça a été le coup de foudre. » bam, mes pommettes deviennent complètement rouges alors que le fameux Pat me tend la main, en hochant silencieusement la tête – comme tout le monde ici, seigneur. « Avec Dannie, c’est toujours des coups de foudre. » qu’il esquisse à la blague, échangeant un regard complice avec la rousse. « C’est d’elle aussi, le croquis accroché plus loin, au coin. » qu’elle en rajoute, et par chance le grand gaillard face à moi, barbe fournie et cheveux longs, ne lâche pas de suite ma main sinon j’aurais bien vite retrouvé le sol. Foutues montagnes russes. « Ça me semble un peu décousu là, sans rien pour le présenter, pas de cadre, pas de contexte. Mais les gens s’y arrêtent. » il commente, me quittant des yeux pour détailler le fameux sujet de tous mes heurts, et toutes mes fiertés. « Je peux aller le retirer… » je bafoue, ravalant ma honte de m’être si facilement emballée plus tôt sous les encouragements d’une Joanne probablement trop enjouée pour ce que le geste signifiait vraiment. Il me retient. « J’aimerais mieux qu’on pense à comment on pourrait davantage l’habiller. Comment on pourrait lui permettre de mieux assumer sa place. » je jure que mes nerfs finiront par imploser d’ici la fin de ce week-end. Il me tend sa carte, coordonnées et possibilités assumées, avant de nous laisser entre filles. Dannie est fière, Joanne semble l’être toute autant, et je ne me reconnais pas lorsque je tends les doigts pour nous attraper trois coupes sur un plateau de service qu’on passe non loin. « Je ne le dirai pas souvent mais… j’ai besoin d’un mimosa. »
"Je ne suis pas certaine que ce doit être facile de me voir comme une bad girl." dit Joanne en riant un peu. Même elle, elle ne parvenait pas à se voir ainsi, encore moins à cambrioler un lieu. Quelle drôle d'idée, se dit-elle. Oui, parfois elle était malicieuse, peut-être même bien espiègle, mais cela ne se passait que durant des moments assez intimes. Il fallait vraiment bien la connaître pour la voir ainsi. Mais Ginny venait à peine d'avoir l'occasion de la voir sous un autre jour peut-être. Quand une Joanne avait une idée en tête et qu'elle comptait bien y parvenir, tant elle était persuadée et sûre de ce qu'elle pensait. Elle ne doutait pas du talent de Ginny. La blonde n'avait peut-être pas la notoriété ni l'emploi le plus adapté pour la faire connaître mais elle comptait bien aider Ginny dans cette voie. Il avait suffi, pour le coup, de lui faire sortir un croquis de son sac et le résultat était plus que positif. La brune restait avant tout perplexe, même lorsqu'elle disait que c'était flatteur. Elle avait encore une certaine réserve concernant tout ceci. Si elle avait besoin d'avoir plus de retours sur cette idée, on allait lui en donner. Cela prenait toujours beaucoup de temps, d'avoir à nouveau confiance en soi et ce en quoi on était capable de faire. Joanne n'était que trop bien placée pour le savoir et elle se disait qu'elle devrait peut-être en prendre de la graine. Mais le plus important, sur le moment, c'était d'aider Ginny. Elle s'était fixée cet objectif et elle comptait bien s'y tenir. "Tu devrais peut-être alors ressortir ces documents là, alors." lui répondit-elle avec un sourire rassurant. "Pas forcément pour se lancer directement, mais au moins pour comprendre les démarches, prendre le temps, ne brûler aucune étape. Histoire de s'attendre à tout, et ensuite, si le coeur t'en dit, te lancer dans la recherche de galeries, en trouver une à ton image." C'était une sacrée démarche, mais Joanne trouvait que ça en valait la peine. Plein d'artistes s'y essayaient, alors pourquoi pas elle ? Elle avait le talent, la passion, il lui fallait surtout le coup de pouce pour qu'elle se lancer et s'envole. Joanne ne doutait pas de son talent. "On prendra le temps qu'il faut, celui dont tu as besoin." Pas trop non plus, histoire qu'elle ne fasse pas de pas en arrière. La brune ne restait certaine de rien, elle ne prenait pas cette première étape comme de l'acquis, ce qui était en soi une bonne chose. "Peut-être pas encore à Brisbane. Mais ce n'est peut-être pas plus mal de commencer à exposer dans une plus petite ville et ensuite exposer sur Brisbane. Si tu acquis une petite notoriété par ici, je pense que de nouvelles portes s'ouvriront à toi à Brisbane, bien plus que ceux qui préfèrent exposer directement là-bas. Tu as déjà des contacts ici, autant les utiliser à bon escient." proposa Joanne en haussant à son tour les épaules, un sourire aux lèvres. Bien sûr que le comportement de Ginny face à son propre talent lui rappelait Jamie. Joanne serait bien aveugle pour ne pas constater les similitudes. Mais elle n'avait jamais réussi à convaincre Jamie pour ça. Elle y était parvenue lorsqu'il rêvait de revenir derrière le micro et il avait fini par animer une émission quotidienne qui était devenue sacrément populaire. "Je pense que tu l'as toujours, la passion." dit-elle avec un air attendri, peut-être même maternel. "Elle a juste été étouffée par tous tes tracas, ce qui est normal, mais il serait peut-être temps de renverser la tendance." Mais il ne fallait rien précipité et Ginny était bien d'accord sur ce point. "Je n'ai pas pour objectif de te rendre célèbre, je me doute bien que ce n'est pas ce que tu recherches. J'adorerai te voir vivre de ta passion, te voir vivre tout court, Ginny. Le prochain vernissage sera le tien, et ça reste de loin le meilleur moyen de vendre des tableaux à ce jour. Concentre-toi sur tes objectifs. Si tu te fiches de la notoriété, eh bien soit. Tu fais ce que tu aimes, tu en vis, et tu ne pourras que te faire plaisir et faire plaisir à Noah, comme ça. Il te verra faire ce que tu aimes et je pense que tous les enfants rêvent de voir leur maman heureuse et épanouie. Tu lui transmettras comme ça le même optimisme. Ca ne guérit peut-être pas tout, mais ça booste le moral." C'est pour ça que Joanne tentait de ne jamais pleurer ou être triste en présence de Daniel. Le peu de positif qu'il restait en elle, elle le lui dédiait entièrement. Toute son énergie aussi, elle lui offrait tout ce qu'elle avait de plus beau à lui donner. Dannie finit par réapparaître avec le propriétaire de la galerie. Les moeurs allaient bien vite apparemment puisqu'il avait également vu le croquis de la belle brune. Celle-ci se décomposa en entendant la première phrase. Mais ensuite, le sourire de Joanne ne fit que s'étirer davantage : pari gagné. Toute retournée, Ginny récupérait trois coupes de cocktails. Elles trinquèrent toute ensemble, jusqu'à ce que Dannie ne soit sollicitée par quelqu'un d'autre. "Et voilà comment lancer la machine." chuchota-t-elle à Ginny avec un regard malicieux. "C'est maintenant à toi de voir si tu veux véritablement t'y lancer ou pas. Comme je te l'ai dit, petit à petit. Et tu ne seras jamais seule si le projet t'inspire, je sais qu'il n'y aura pas que moi pour t'encourager sur cette voie." Cela faisait le plus grand bien à Joanne de se concentrer sur autre chose, de penser à autre chose. Elle savait pertinemment que de ressasser encore et encore ces dernières semaines, voire ces derniers mois ne l'aideraient en rien. Elle n'avancerait pas. "On devrait aller boire un coup ailleurs." suggéra-t-elle. "Ca t'évitera d'avoir les yeux rivés sur ton croquis et toutes les personnes qui s'en approchent. J'ai l'impression que tu vas finir par me tomber dans les bras tellement tu ne tiendras pas plus debout." Un cocktail de plus, ça ne pourrait pas leur faire de mal. Et Joanne voulait s'asseoir un petit peu. Après avoir marché toute la matinée et être restée debout une partie de l'après-midi avait épuisé ses jambes. "On trouvera bien un endroit sympathique dans le coin. Ca te dit ?" Joanne l'interrogeait alors du regard, afin de voir si la belle brune approuvait son idée.
You've lost your game, you've got to let it go. It feels the same. Now we're here, all alone. You want to see if we can take it back. But who are you to say we're not on track? We will find a way to set things straight in our hearts. We will find our way somehow.
Joanne comprend tout de suite que le simple fait de m’imaginer exposée à Brisbane me donne une jolie combinaison de frissons incontrôlables. Pas si vite petit chat, que je pense à moi-même, alors que mon cœur saute un tour puis un autre à la réalisation que oui, un jour peut-être, pas si lointain que cela, j’allais vivre de ce rêve que je chérissais. Émotions contradictoires, craintes affirmées, mais un espoir, tout mince, tangible, que l’atelier ne servirait pas toujours aux autres, et peut-être bientôt à moi. « Ça me convient, de commencer plus petit. Déjà commencer tout court, quoi. » j’esquisse un sourire timide, le genre qui s’assume à peine, qui fait écho à ces doutes qui seront probablement toujours là, même la journée où je signerai ma première vente, où on passera cette porte pour voir mes tableaux, où je serai affichée ailleurs que derrière un établi couvert de peinture séchée. Elle me fait du bien, la blonde, lorsqu’elle parle de passion, de rêve, d’ambition. Elle me fait du bien parce qu’à son tour elle a l’œil qui brille, elle parle de ce qu’elle aime, elle est contagieuse et elle me donne envie de mieux, de plus, de beau, d’oser. Vague de confiance et d’assurance qui me submerge, et qui quitte mon corps dès le moment où on se plante devant moi, Dannie d’abord, le propriétaire de la galerie ensuite. Avec leurs phrases en suspens et leur compte à rebours, ils me tournent dans tous les sens et je retiens les tremblements, l’envie de m’en balancer aussi, de me barrer non sans laisser le souvenir de mes jointures qui s’éclatent sur un canevas au passage. Je laisse aller, carte en main, l’autre qui s’éclipse après m’avoir fait une place dans son monde, paraît-il. Il est encore trop nébuleux pour moi, il n’a rien précisé et je déteste être laissée en suspens, dans l’attente, pourtant je m’y conforte en ne trouvant aucune attache, aucune restriction autre que celle que je me mets suite à ses mots. « C’est moi où ça va vite? Vraiment, vraiment vite? » que je répondrai à Joanne trop longtemps après, me mutant dans un silence qui me fait du bien, qui aide mon souffle à redevenir régulier, qui me contrôle sous l’angoisse. Je le réaliserai que plus tard, je n’y réfléchirai vraiment qu’une fois seule, enfouie sous les couvertures… ou suivant cette coupe de mimosa que j’attrape sur le plateau du serveur, en tendant une à mon amie, et l’autre à l’artiste. Une longue gorgée suivra, le temps que je me remette finalement de mes esprits, que Dannie vole vers de nouvelles aventures et que Joanne se sente le moindrement festive. J’hausse le sourcil, sachant qu’elle autant que moi n’était pas portée sur l’alcool, mais n’avions-nous pas décidé que ce week-end, autant pour l’une que pour l’autre sera bénéfique, libérateur? Si elle a su être si avenante durant cette épopée qu’a été ma visite ici, je pouvais bien me plier à cette demande. Et dans les faits, le fameux cocktail ingéré plus tôt me semblait presque virgin, ce qui me laissait tout de même du jeu. Un autre verre ne ferait pas de tort pour les nerfs, et limite, il aiderait à annihiler mes derniers doutes le temps d’agir un peu, de vivre un peu, de risquer un peu. Voilà ce que je voulais au fond, non? « Partante. » que je résume, d’un seul mot, hochant résolument de la tête pour appuyer ma décision. Une petite motivation plus tard et je reprendrais le contrôle, je reprendrais du pouvoir. Les paroles de Pat, de Dannie, d’Alannah, de Joanne se répondent dans ma tête, et mes épaules se redressent naturellement. J’ignore le déclic qui se fait, j’ignore cette vague de chaleur, de confiance qui prend d’assaut la Ginny dépitée que j’avais bien pu être depuis trop longtemps, et ça me semble presque trop facile, trop simple… autant capitaliser sur cela, maintenant, et m’interroger sur le pourquoi du comment plus tard. Ou pas du tout. Comme pour tout le reste. « Laisse-moi dire au revoir à Dannie et je te rejoins aux vestiaires. » que je propose, la blonde étant déjà en train de s’occuper de Daniel et de leurs propres affaires. Je trouve facilement à distance la crinière rousse de Dannie et la rejoint quelques secondes plus tard. Les échanges sont brefs, rien de bien glorieux pour rebondir sur ce qu’elle a pu me dire depuis mon arrivée, mais je remarque le regard qu’elle lance à Pat, et il me semble que tous les deux sont sur la même longueur d’onde sur… quelque chose. J’ignore quoi, je le prends comme il passe, et je tire ma révérence avant de me triturer l’esprit trop à nouveau. Joanne est fin prête dans le hall lorsque je la retrouve enfin, et je passe ma veste sur mes épaules avant de la suivre vers l’extérieur, l’air frais de Southport en fin de journée. La brise est douce, le soleil brille encore et les quelques bruits de la ville contrastent avec le calme presque méditatif de la galerie où nous nous trouvions. Un coup d’œil à gauche, un autre à droite, et je lance la marche, rythme des plus lents pour profiter encore un peu du paysage. « On m’a donné des références autour. » j’exhibe mon téléphone sur lequel j’ai noté le tout – la batterie semble encore tenir le coup, et aucun appel de l’hôpital ou d’Ezra ne semble s’être faufilé durant mon absence. Bien. « Dannie a mentionné qu’elle passerait peut-être nous voir, tout dépendant où nous en sommes. » Joanne s’adapte à mon pas, alors que je lui propose l’idée, hypothèse qui restera aléatoire tant que notre choix ne se sera pas posé sur un endroit en particulier. Mon regard dévie sur les affiches que l’on croise, parfois des cafés, des restaurants, une auberge ou deux, quelques commerces. La galerie se trouve dans un quartier de la ville particulièrement actif, rendant la chasse assez facile. Un logo finit par m’intéresser un peu plus, Blue Coral qu’on peut y lire, et mes quelques pas dans la direction de l’établissement s’additionnent d’un coup d’œil contre la baie vitrée qui me convainc de suite. Joanne n’est pas longue à séduire entre les sofas confortables, l’espace pour y circuler avec la poussette, la jolie carte de cocktails et les quelques items à grignoter. Fière de ma trouvaille, je laisse passer la famille avant de suivre, et nous finissions par nous installer confortablement sur un canapé en bordure de la grande fenêtre. Les volets sont ouverts, le vent marin vient nous caresser les épaules, et l’ambiance décontractée a tout de suite pour effet de me relaxer complètement. « Je… je n’ai jamais vraiment été du genre à boire pour célébrer quelque chose… boire tout court, en fait. » que je commente, la carte des boissons entre les doigts, laissant mes iris parcourir les différents verres proposés. Mon choix finit par s’arrêter sur un old fashioned, classique, jamais vraiment détrôné à mes yeux. Joanne passe elle aussi commande, et il ne faut qu’une poignée de minutes avant qu’on nous serve notre dû. L’œil malicieux, le sourire en coin, je lève mon verre dans l’attente que la jeune femme fasse de même. « On trinque à quoi ? » silence, petite gêne même. On y réfléchit. « Aux nouveaux départs. » cela me semble à propos. Le crystal cognant l’un sur l’autre, ce n’est qu’une gorgée plus tard que je me cale un peu plus sur les coussins, l’envie de rêvasser qui supplante le reste. « Si tu pouvais changer quelque chose dans ta vie, n’importe quoi. Pour qu’elle soit meilleure. Ce serait quoi ? »
Elle avait bien deviné que la brune ne voyait pas encore trop grand. Elle ne voyait pas grand chose encore à vrai dire et tout ce qui était en train de se passer lui semblait irréel, inconcevable. Ginny ne partait pas de grand-chose, elle avait baissé les bras, elle avait dédié sa vie à son fils malade. Mais elle avait désormais l'occasion de penser un peu à elle. Alors autant partir doucement, de commencer dans ce début de projet dans une plus petite ville. Au moins qu'elle retrouve un peu de confiance en elle-même, qu'elle finisse par se dire par elle-même qu'elle en était tout à fait capable. Joanne trouvait que c'était déjà bien encouageant de voir qu'elle voulait commencer tout court. Elle était encore timide, incertaine et personne ne pouvait le lui reprocher. A sa place, la petite blonde douterait énormément d'elle-même aussi. Mais elle lui sourit, rassurante, confiante, l'étant bien plus pour les autres que pour soi. En plus des dernières minutes particulièrement intenses que Ginny venait de vivre, elle trouvait qu'elles étaient passées particulièrement vite. Tout était bien trop à la hâte à son goût et cela semblait la perturbait. "Dis-toi que c'est comme un élan qu'il faut prendre." répondit Joanne avec douceur. "C'est comme si tu te lançais sur un tremplin. Il faut d'abord prendre beaucoup de vitesse pour prendre son envol. Je peux comprendre que ça fasse peur, mais mieux tu prendrais cet élan, plus haut tu t'envoleras." C'était la seule comparaison qu'elle pouvait lui faire et c'était celle qui lui semblait être le plus juste. Histoire de calmer un peu ses nerfs et de la détendre un petit peu, la petite blonde proposait à son amie d'aller boire un verre ailleurs. Elle ne voulait pas que Ginny passe le reste de sa journée à ne penser qu'à cela sans qu'elle ne profite un peu de Southport. Elle accepta volontiers, tenant à saluer dans un premier Dannie avant de partir. Cela laissait le temps nécessaire à Joanne de bien installer le petit dans sa poussette. Elles retrouvèrent donc la rue, Ginny s'armant de son téléphone pour trouver une bonne adresse dans les environs. "Nous voir ? Te voir, plutôt." répondit Joanne en riant. Elles marchaient assez lentement, rien ne pressait après tout. Les deux jeunes femmes semblaient enfin avoir trouvé un endroit qui pourrait les satisfaire et qui répondait à leurs différents citères. Elles ne se laissaient pas prier bien longtemps pour entrer dans le bar et s'y installer. Une fois assise, elle sortait le petit de la poussette. Ayant bien vu que cette pile de coussins avait l'air particulièrement confortable, il s'installait à côté de sa mère, sa peluche et l'un de ses petits livres préférés en main. Il semblait ravi, approuvant également le choix du bar. Après avoir choisi sa propre boisson, elle commandait aussi un verre de sirop, lui aussi avait droit à un petit plaisir. Ce n'était pas comme si Joanne permettait qu'il y ait régulièrement des écarts. "Depuis que j'ai juste Daniel, je ne consomme pratiquement plus d'alcool, mais... durant une soirée, je ne refuse jamais un verre ou deux." Joanne était surtout adepte de champagne et de vin. "A ton nouveau départ, surtout." corrigea Joanne avec un sourire en faisant tinter son verre avec le sien. Elle voulait montrer le geste à Daniel et elle le guida pour faire de mon verre avec son petit verre à pipette dans lequel elle avait préalablement le sirop à l'eau. Il ne comprenait pas trop sur le coup, mais elle lui donnait le temps de lui expliquer. Sa bouille perplexe l'amusait un peu, mais le petit était persévérant. Un peu brusque dans son geste, mais persévérant. Alors que Ginny prenait ses aises sur le canapé, Joanne restait toujours bien droite. Elle ne permettait de se vautrer que dans son propre fauteuil. Elle demeurait longuement silencieuse après la question posée par son amie. "J'essaie... de ne pas trop penser à ce genre de choses." dit-elle, avec un très léger sourire. "J'ai déjà un talent certain pour... pour ressasser disons. C'est ce qui m'a fait défaut pour... pour presque tout, en fait." Autant avec Jamie qu'avec Hassan. Il y avait simplement énormément de choses qu'elle n'arrive pas à ranger dans une boîte dans sa tête, pour conclure que c'était du passé, qu'il fallait faire avec. "Alors qu'est-ce que ce serait si je commençais à me demander tout ce que je pourrais changer ?" Elle rit nerveusement, quoi qu'un peu tristement, aussi. "C'est... C'est qui a en très grande partie compliqué ma relation avec Jamie, quand nous étions ensemble." dit-elle après un long moment d'hésitation. "Des histoires que je ne parvenais pas à oublier, et je me disais qu'il en resterait toujours un peu, tu sais ? Que ça n'était jamais vraiment fini, que je ne serais jamais véritablement sereine, parce que ça restait. Parce que c'était toujours là." Toutes ces histoires avec Kelya, avec Hannah, même avec l'ex-femme de Jamie. La blonde avait tout simplement eu du mal à accepter qu'il puisse y avoir d'autres femmes aussi proches de lui au courant de sa vie. "Il avait fini par croire que j'étais paranoïaque et il avait toutes les raisons de le croire." Elle ne pouvait pas le lui reprocher et ne le voulait pas. Mais Joanne avait eu finalement raison sur quelques points, notamment après les révélations qu'Hannah avait pu lui faire lors de leur rencontre hasardeuse. "Mais j'ai découvert récemment qu'il y avait un peu de vérité dans toute cette paranoïa." La relation qu'elle avait entretenu avec Jamie était assez singulière, ils avaient été très possessifs l'un envers l'autre. Joanne marquait une pause, réalisant à quel point elle avait dévié la question. "Mon... Disons que j'essaie plus de penser à ce que je pourrais faire pour que ma vie semble meilleure plutôt à ce que j'aurais pu faire. Je ne me sens pas plus avancée, mais..." Elle haussa les épaules. C'est déjà un début, se dit-elle. Du moins, c'était ce que son psychologue voulait lui faire comprendre. Certes elle tentait de voir comment les choses allaient avec Hassan, quoi que ce dernier lui avait posé un lapin au dernier moment, à leur dernier rendez-vous. "Le plus important pour moi, c'est faire en sorte qu'il ait toujours cette adorable sourire sur son visage." dit-elle en indiquant Daniel en le regard avec cet amour démesuré qu'elle lui portait. Il racontait son histoire à sa peluche. Joanne lui caressait doucement les cheveux. "Et qu'il revoit bientôt son père." Jamie n'avait pas la force de s'occuper de Daniel pour le moment, c'était trop dur pour lui, de le voir, de se rappeler tout ce qu'il n'avait plus rien qu'en croisant ses yeux, les mêmes que sa mère. "Je ne sais pas vraiment vers où je vais." dit-elle finalement, dépitée. "Ca n'a jamais été mon fort, de prendre des décisions, et pour le peu de fois où j'en prends, je... Je ne me sens pas plus avancée." conclut-elle, un brin dépitée.
You've lost your game, you've got to let it go. It feels the same. Now we're here, all alone. You want to see if we can take it back. But who are you to say we're not on track? We will find a way to set things straight in our hearts. We will find our way somehow.
Le rictus de malaise qui se dessine sur les lèvres de Joanne me fait mal au cœur, un peu. Parce que le nouveau départ tant attendu dont on discutait hier lui semble plus difficile, plus impossible à concrétiser de son côté que du mien. Je dois avouer qu’il faut une belle, une immense dose de courage pour décider de tout mettre à plat et de recommencer plus forte, mais j’espérais qu’elle soit un peu plus réceptive, qu’elle partage l’engouement presque, que peu importe sa situation, peu importe ses amours compliqués, peu importe ce que j’ai pu entendre de la bouche de Jamie, ou même de la petite blonde, le retour à Brisbane se ferait avec un peu plus de clarté, d’espoir. Mais c’est bien mal me connaître de croire que je lâcherai le morceau, l’ayant vu si tenace à m’encourager à sauter plus tôt aujourd’hui. Au jeu de celles qui donnent des conseils sans les suivre, nous nous surpassions d’heure en heure. « Je suis prête à partager. » mon sourire n’est que plus contagieux, assez qu’on peut très bien le deviner alors que je porte mon verre à mes lèvres. Pourtant, je comprends bien vite que Joanne ne s’oppose pas à l’idée, simplement, elle sait que si elle s’y met, la douleur ne sera que plus lancinante, les regrets prendront toute la place. Ressasser, réfléchir, tourner dans tous les sens, triturer, voilà encore une ressemblance entre nous dont je me passerais, pour être honnête. Les nuits d’insomnies étant le meilleur moment pour évoquer entre une pleine lune, un croquis et une tasse de café bouillant tout ce qui bloque, ce qui m’empêche d’avancer, ce qui m’attache… et je soupire, conciliante. « À qui le dis-tu… » là où je voyais le premier pas vers nos résolutions, ou du moins les miennes, elle me fait réaliser une chose importante, ce à quoi je me fie toujours, je me fiais plutôt, avant de m’emporter dans un élan de confiance un peu trop assumée. Tout est déjà fait, le présent est le présent, le passé derrière. J’étais championne dans l’art de rationaliser, d’y aller avec les faits, avec la réalité pure et dure et rien d’autre. Et mine de rien, avec la galerie, le verre, et les discussions introspectives qui planent depuis que j’ai quitté la ville, j’avais perdu ce sens du concret, de l’objectif. Bonne chose, ou non ? Je l’ignorais, plus surprise qu’autrement. « C’est sûrement ça justement, parce que tu n’as pas pu avoir une vraie conclusion, qu’elle soit heureuse ou triste. » lorsqu’elle parle de son ex-mari, lorsqu’elle parle du Keynes, lorsqu’elle mentionne ces visages, ces hommes que je connais déjà, que j’ai vu évoluer, que j’ai vu grandir presque, à travers les aléas de leurs vies, je ne peux que me braquer un peu plus. Axer sur elle, toujours sur elle, sur ma raison, sur le pourquoi je ne l’ai pas laissé aussi seule que je l’aurais dû, si je m’étais fermée à toutes possibilités. J’étais là d’abord et avant tout pour lui offrir une oreille, pour être utile, pour lui permettre de se confier, peu importe ce qui se tramait dans sa tête, dans son cœur. La ligne était mince entre mes relations, mais je tâchais de ne jamais infuser ce qu’on avait pu me raconter d’un côté dans ce qui se tramait de l’autre. Loyauté mal placée pour certains, j’y voyais plutôt une façon de prouver les deux côtés de la médaille, et surtout, de ne jamais laisser quelqu’un derrière, peu importe sa position. Cogner sur une personne déjà au sol, ne pas tendre la main pour cause de conflit d’intérêt, très peu pour moi. Et lorsqu’elle mentionne que ça n’était jamais vraiment fini, je souris de nouveau, tristement, nostalgique même. Oh, qu’elle comprend. « Ma première histoire d'amour... ça ne s’est pas bien fini, et j’arrive tout juste à avoir un peu de closure. Et tout ça date de presque dix ans. » un rire dépité qui suit, presque soulagé. Pas besoin d’entrer dans les détails ni dans toutes les complications reliées à Ezra, à Noah, à Edward, à Londres, à Matt et encore. Je n’avais pas envie d’assombrir encore plus mon tableau en balançant à Joanne les anciennes magouilles découvertes récemment au sujet de mes parents et de mon frère, n’empêche que la blessure était toujours bien à vif. J’avais pu avoir un moment avec Ezra où on avait fait le tour de tout ce qui s’était tramé derrière nous durant les dernières années, et j’étais repartie de chez lui avec l’impression que tout irait mieux, maintenant qu’on relançait sur de bonnes bases, maintenant qu’on se faisait confiance à nouveau. Mais il manquait quelque chose, il manquait ce qu’on avait perdu la journée où on m’a dit qu’il ne voulait pas de notre fils, et où on lui avait dit de ne plus jamais m’approcher. Il manquait ce qui recollerait nos cœurs, il manquait l’innocence d’avant, celle où on croyait que la vie était devant nous. Et malgré tout l’amour qu’on se portait, l’inconfort restait là, l’incertitude même. J’étais effrayée à l’idée qu’on ne réussisse jamais à surmonter, qu’on passe à côté de moments merveilleux à cause de cette épée de Damoclès qui menaçait de nous tomber dessus, mais il faudrait vivre et voir avant de savoir, apparemment. Joanne quant à elle semble toujours accrochée à des impressions qu’elle a pu avoir jadis, que ce soit des sensations, des personnes, ou même des paroles peut-être, qui lui était resté dédiées. Je vois bien que de le lui rappeler, même sans mettre le doigt dessus, la met dans tous ses états, et son dépit, son air désillusionné me font froncer les sourcils. Même si la vie était difficile, même si les épreuves pullulaient, même si rien ni personne n’allait dans la bonne direction, il y avait toujours quelque chose qu’on puisse faire, non ? S’apitoyer sur son sort faisait un temps, et elle autant que moi avions assez donné en la matière pour avoir droit à une petite remise en question, alcoolisée ou non. Une lampée de cocktail plus tard, et j’ose, m’adressant à elle tout comme à moi. « Tu n’as pas l’impression de stagner justement, si tu n’essaies pas d’améliorer là où ça bloque? » il y avait des situations où cela était plus simple, d’autres où c’était carrément impossible. Malgré tout mon bon vouloir, je ne pourrais jamais trouver un rein pour mon fils en misant sur la pensée positive. Malgré ses intentions honorables, elle ne pourrait pas changer d’un claquement de doigts et avec de beaux mantras inspirants ce que Jamie pensait d’elle à l’heure actuelle. Mais il y avait bien des sphères, bien des éléments qu’on pouvait contrôler ? Elle lâche prise un peu plus, s’adressant à Daniel, rappelant qu’encore une fois, c’était lui sa priorité, ce que je ne comprends que trop. Pourtant, j’entends les bribes de ce qu’elle a bien pu me dire à propos de Noah, à propos du gamin qui n’en serait que mieux de voir sa mère forte et fière, en confiance, à l’aise. À mon sens, Daniel en sortirait vainqueur si Joanne s’inspirait de cette philosophie elle aussi. « Jamie est un bon père, je n’en ai jamais douté, et je sais que toi aussi. Ça viendra. » il n’y a rien de plus à ajouter là-dessus, sachant que la situation devra être réglée entre eux, et eux seuls. En temps et lieu, lorsque la blessure serait un peu moins à vif, un peu moins intense. Un long silence finit de nouveau par s’installer, comme si chacune de nous avait besoin de ce petit moment, de cette pause, pour bien assimiler, mieux comprendre ce qui venait de se dire. C’était une routine que l’on développait doucement, et qui me semblait des plus bénéfiques à voir les décisions un peu plus assurées que j’avais pu prendre entre ce matin et maintenant. Parlant de décisions… « Tu sais quoi ? J’ai l’impression qu’on se casse trop la tête, toi et moi. » sa dernière confession met le point d’honneur à ce que je mijote depuis tout à l’heure, à savoir quoi faire, comment le faire, pour ne plus rester immobile, spectateur, face à ce qui se passe, ce qui se trame sans qu’on n’ait un seul mot à dire. « Niveau choix et décisions, je comprends absolument comment ça peut bloquer, que ce soit parce qu’on ignore où on veut aller, ou même parce qu’on ne sait pas du tout ce qui sera le mieux, le plus simple. » autant la rassurer déjà, et lui montrer que rien ici ne sert à brusquer, à aller trop vite, à brûler des étapes. Mais déjà, je sens avoir capté son attention, et je m’en réjouis. « Je nous mets au défi de prendre une décision, juste une, ce week-end. Pour que tout aille mieux à notre retour. » ses iris ne flanchent pas, je souffle un peu, maintenant plus que convaincue qu’il s’agit là d’un premier pas raisonnable pour se respecter mieux à travers nos chaos respectifs. « Pas le droit de se défiler. » juste au cas où elle explore en silence différentes options de s’esquiver.
Joanne ne rationalisait pas, elle n'y arrivait pas. Ou du moins, elle n'y arrivait plus depuis quelques années. Il avait fallu que des événements conséquents viennent bousculer sa vie pour qu'elle remette absolument tout en question. Surtout qu'elle se mette elle-même en question, à doute de ses moindres faits et gestes. Elle était venue à se demander si elle n'avait pas tout simplement perdu sa tête, en même temps d'avoir perdu le reste. Ginny semblait comprendre, bien que leur vie était bien différente et qu'elles tentaient de surmonter comme elles le pouvaient. Elle se sentait ridicule et particulièrement idiote. "Je n'ai pas pu avoir de conclusions à ce moment là parce que je voulais savoir si ce que je pensais était vrai ou non. Et ça l'était en grande partie." dit-elle avec un sourire triste. "Je suppose que maintenant, comme je le sais, la conclusion est faite. Mais qu'est-ce que j'y gagne ? C'est trop tard, désormais." dit Joanne, défaitiste. Hannah était venue trop tard avec ses aveux, elle avait tout laisser en suspens pendant des mois, se fichant bien que la blonde se persuadait qu'elle n'était plus que bonne à être internée. La cruauté n'avait apparemment pas de limites. Pire que ça, elle était parfaitement indifférente aux dommages collatéraux. Mais tout ceci n'avait plus d'intérêt. Elle avait perdu Jamie, l'avait révulsé avec des mots qu'il craignait et qu'il avait fini par entendre. Ginny parlait de sa propre expérience, avouant qu'elle parvenait à peine à se remettre d'une histoire d'amour vieille de plusieurs années. Joanne se demandait si elle cherchait à ne pas l'inquiéter à ce sujet, qu'il était peut-être normal qu'elle ne se remette pas de ses ruptures. "J'ai deux histoires d'amour, ça me suffit amplement." dit-elle avec un sourire triste, peut-être même ironique. Ginny devait certainement déjà avoir une vague idée de ce qu'il s'était passé avec Jamie. Et la petite blonde ne savait que trop penser du fait qu' Hassan ait annulé leur dernière sortie en date au dernier moment. Oui, elle ne savait pas où aller, elle stagnait, s'enracinant dans tous ses problèmes. "Je sais pas quoi faire." On devinait sur son visage un certain désespoir. "J'ignore ce que je pourrais améliorer. Et Dieu sait combien j'adorerai pouvoir me racheter près de lui. Je saurai même me contenter du fait qu'il ne me regarde plus comme il l'a fait la dernière fois que nous nous sommes vus. Si je n'ai le droit qu'à une seule chose, je choisirai ça." dit-elle avec un faible sourire. Bien sûr qu'au fond, Joanne espèrait que ça se résolve d'une manière ou d'une autre. Mais si elle parvenait à ce premier palier, ce premier objectif, ce serait déjà pour elle une très belle victoire. "Oui, il est un bon père." dit Joanne avec un beau sourire. "Mais il pense que je ne me soucie que du fait qu'il passe du temps avec Daniel pour que je sois seule avec Hassan. Mais ce n'est pas vrai." dit-elle en levant ses yeux brillants vers Ginny. "Je te jure que ce n'est pas pour ça." Elle craignait que la brune ne se range du côté de l'avis de Jamie, elle ressentait le besoin de justifier son raisonnement. "Je veux juste... Enfin, je sais que Jamie aime Daniel plus que tout. Et je peux comprendre pourquoi il ne peut pas le voir pour l'instant. Et il prendra le temps qu'il lui faudra. Mais Daniel a besoin de lui, et Jamie a besoin de voir son fils." Elle déglutit difficilement sa salive. "J'ai déjà gâché beaucoup trop de choses. Je ne me le pardonnerai jamais si j'entraîne dans ma chute la relation entre Jamie et son fils." Joanne baissait les yeux, ressentant une vive oppression thoracique, une sensation très désagréable. Ginny avait raison sur un point : elles se cassaient trop la tête. Son amie en souriait même. Mais elle avait raison. Les yeux de Joanne s'arrondirent lorsque la brune se mit en tête qu'elles se mettent au défi. "Décider d'une chose pour que tout aille mieux ?" répéta-t-elle, bien interloquée. "Une bonne partie du weekend est déjà passée. Le délai est assez court, du coup." Et ça la faisait un petit peu paniquer, à vrai dire. Surtout que, lorsqu'elle tentait déjà de trouver quelque chose, peut-être même une issue, Ginny précisa qu'il était hors de question que l'une d'entre elles ne se défile. "Je n'ai pas su jusqu'ici ce que je pourrais faire pour que... tout aille mieux." dit-elle, un brin dépitée. Joanne but une gorgée de son cocktail et commençait déjà y réfléchir. Elles respectaient toutes les deux ces pauses silencieuses, qui n'avaient rien d'étrange. "Il y a déjà quelque chose que j'ai fait. Enfin, ce n'est pas pour lui, directement." s'hésita-t-elle à dire esuite. "Ce n'est pas grand chose non plus. Mais je m'étais faite une promesse." Joanne jouait nerveusement avec ses doigts. "Quand j'ai démissionné de mon poste de directrice pour la fondation Oliver Keynes, je sais que j'ai déçu Jamie. Il n'était pas fier de moi parce que je ne sais pas su tenir compte des conseils qu'il pouvait me donner pour faire face aux coups durs. Au lieu de ça, j'étais un peu trop réceptive aux critiques, et pas assez aux remarques positives et encourageantes que l'on n'a pas me faire. Mais dans ma tête, ce n'était pas cohérent qu'une simple petite conservatrice se retrouve à la tête d'une fondation qui mérite d'être connue et il semblait si sûr de son choix lorsqu'il m'a parlée de poste." Se rappelait de tout ceci la rendait particulièrement nostalgique. "Et j'ai tenté au mieux d'y contribuer, de proposer des projets, certains étaient minimes, d'autres conséquents. Une crèche a pu être mise en place en Angleterre, et nous avions commencé à élaborer un projet afin de créer une structure similaire non loin de Brisbane. Je suppose que le projet a été avorté une fois que je suis partie. Je me suis énormément attachée à cette cause, tu sais. Je ne me sentais pas à la hauteur, et encore moins digne d'avoir cette responsabilité bien qu'elle me tenait à coeur. Tu vois le regard des ces gamins, de ces adolescents s'illuminer, ça vaut tout l'or du monde. Et plus le temps passe, plus je réalise combien ça me manque." Joanne regardait dans le vide. Elle avait passé de très beaux moments, là-bas. Elle avait sous-estimé le travail qu'elle y faisait. Car tout était à refaire. "Je vais paraître égoïste, mais quelque part, j'espère que l'on a malgré tout un bon souvenir de moi. Que malgré tout, peut-être que Jamie ne regrette pas trop le choix qu'il avait fait l'année dernière." Joanne levait enfin à nouveau les yeux vers la brune. "Alors, quelques semaines après avoir démissionné, je me suis faite la promesse que j'y contribuerai à nouveau une fois que j'aurai à nouveau un emploi stable. Ce qui est le cas désormais. Je verse une partie de mon salaire pour la fondation chaque mois. Je sais ce que les donateurs déversent comme somme, je les ai vu moi-même, et ce que je donne à côté, ce n'est rien. Mais je me plais à me dire que ça suffira largement, ne serait-ce que pour acheter de nouveaux crayons de couleurs ou d'autres matériels pour les loisirs créatifs, ou pour une sortie quelconque, une intervention... C'est un versement anonyme. J'aurais trop peur de ce que l'on pourrait penser si on voyait mon nom réapparaître." Mais Joanne s'y tenait et comptait bien poursuivre ainsi. Ce n'était pas par bonne conscience, elle tenait vraiment à y mettre un peu du sien pour aider tous ces jeunes en détresse. Elle avait surtout peur de ce que Jamie pourrait en penser. Il la trouverait certainement ridicule. "Je pense que c'est l'une des très rares bonnes choses que j'ai pu faire depuis le début de l'année." confessa-t-elle tristement. "Mais après, trouver quoi décider pour que les choses semblent meilleures une fois que nous serons de retour à Brisbane, j'avoue que je sèche. Je ne sais pas vraiment ce que je pourrais faire." Elle se disait depuis sa conversation avec Jamie qu'il fallait laisser le temps au temps. Elle ne pouvait rien faire de mieux selon elle, mais il semblerait que Ginny perçoive les choses d'un tout autre point de vue. "Tu as déjà une idée, toi ? Quelque chose que tu voudrais régler en priorité ?" lui demanda-t-elle, espérant trouver dans ses paroles des éléments de réponse pour elle. "Je veux dire, jusqu'ici, tu es déjà bien plus avancée que depuis le moment où tu as mis le pied dans le train. Une très belle avancée, déjà." dit-elle avec un sourire discret. Car Joanne peinait depuis longtemps à esquisser un franc sourire. L'on devinait toujours une pointe de tristesse, de lassitude, de manque d'entrain. Mais on devinait que ce n'était pas à prendre personnellement. Joanne était tout simplement épuisée et à cours de ressources, la raison même de ce weekend loin de Brisbane. Peut-être y trouverait-elle bien plus que ce qu'elle avait pu espérer jusqu'ici.