| | | (#)Sam 20 Jan 2018 - 21:24 | |
| L’héritière fit la moue, un plissement boudeur vint ourler ses lèvres suite à la réponse du pilote. Elle n’ignorait pas ce à quoi il faisait allusion. Les dessous du monde des affaires, la vérité sur ses contrats à plusieurs millions qui se négociaient surtout dans des chambres d’hôtels, pendant des fêtes grandioses plutôt qu’autour d’une table, dans un grand immeuble, bref, partout sauf dans un environnement de travail. Elle en avait d’abord eu conscience, dès qu’elle s’était frottée au monde du travail, en effectuant des stages mais maintenant qu’elle tentait de s’y faire une place, elle devait s’approprier cet état d’esprit et faire preuve de créativité pour trouver des méthodes de persuasion. Elle était chanceuse, la nature et les gènes ne l’avaient pas crée ingrate et sans surprise, c’était cette beauté qui accomplissait une grande part du boulot. Elle n’aimait ce statut d’objet qu’on imposait aux femmes, tout juste utile à être observées et à être agréables pour les regards. Si sa génération connaissait certains changements de mentalité, les gens — et surtout les hommes — qu’elle croisait dans sa vie professionnelle avaient des mentalités figées, sur laquelle la poussière s’accumulait. Au contraire, Carlisle semblait fier de sa fiancée, possédant la beauté et l’intelligence. Ils semblaient être un couple équilibré (au moins avant les infidélités , où il n’était pas intimidé qu’elle ait du caractère, un poste à responsabilité, il donnait même l’impression d’être un pilier important de sa vie, un véritable soutien. Elle envia Amal, les hommes de la veine de Carlisle se faisaient rares, ou alors elle n’était pas dans les bons cercles pour les rencontrer. Cette pensée ne fit que renforcer la sympathie qu’elle ressentait à son égard, assez pour lui faire une fleur. Elle avait anticipé son refus, il était bien trop droit pour accepter. Elle lui sourit, pendant qu’il se justifiait, refusant de bénéficier d’un quelconque traitement de valeur visiblement, puisqu’il évoquait ses collègues. Elle hochait doucement de la tête, montrant qu’elle comprenait sa composition, il aurait été inutile d’insister. Ils ne s’étaient pas vus si souvent mais elle commençait à cerner quel genre d’homme il était, car étonnamment, il ne faisait plus preuve d’autant de réserve. L’avoir attaqué de front, la première fois qu’ils s’étaient rencontrés avait été la mauvaise stratégie, elle en avait amèrement pris conscience quand il l’avait éconduite mais si elle n’était pas aussi obstiné, elle n’aurait pas pris le temps de le connaître. Elle l’abordait différemment cette fois-ci, restant aussi pétillante et imprévisible, elle se montrait sous un autre jour, lui dévoilait une Andrina différente, loin des airs de princesse et des manières de diva. Quand elle s’adressait à lui, parfois, ses mots dépassaient sa pensée, prise dans sa volonté de le confronter. Nina parlait avec la fougue de sa jeunesse, c’était le langage de l’aventure et des rêves, là où il usait du langage de la sagesse et de l’expérience. Il la reprit, sans dureté, lui faisant comprendre qu’elle avait fait une erreur de jugement sur lui. « Je ne voulais pas dire du mal de votre fiancée. J’ai du mal m’exprimer. Je n’insinuai en aucun cas qu’elle était un frein pour vous. » se hâta-t-elle de rectifier. « Après tout, je ne vous connais pas encore très bien. C’est indélicat de ma part de vous donner mon avis sans que vous ne l’ayez sollicité. » s’excusa-t-elle. Elle était connue pour être passionnée et sa langue ne restait pas longtemps dans sa poche quand le sujet lui tenait à coeur. Elle s’était toujours permise beaucoup de chose puisqu’on réparait souvent les pots cassés à sa place, après coup. Carlisle ne lui en tint pas rigueur. Elle se promit cependant de réfléchir un peu plus avant de l’ouvrir. Elle commençait à aimer leurs discussions, loin des sujets ennuyeux et frivoles, elle aimait l’écouter parler de tout, de rien, et de lui, surtout. « Je vous souhaite d’être heureux longtemps alors, en vivant votre passion. J’aurai également du mal à m’en remettre si un pilote comme vous veniez à nous quitter. » Un regard complice jeté en sa direction avant qu’ils ne sortent des souterrains, plongeant dans la chaleur douce qui enveloppait la ville. Le moment était propice aux discussions tranquilles, aux flâneries, aux confessions sur soi teintées d’humour et de légèreté. Elle se mord la lèvre, nerveuse, tentant de faire partir le poids de sa poitrine quand le pilote lui parle de son père. Disait-il la vérité ? Essayait-il de lui redonner le sourire ? Cette révélation lui fit un drôle d’effet et elle se sentit basculer du côté de la route, heureusement, parvint à retrouver l’équilibre, tenant toujours fermement le poignet du pilote. Pourtant, le doute fut de courte durée et en un rien de temps, elle se souvint que son père comme Simon se devaient de paraître impeccables aux yeux de tout le monde. Quel spectacle plus attendrissant que celui d’un père fier de sa fille ? De même pour son petit-ami qui jouait les amoureux transis, si convaincant dans ce rôle… normal que Carlisle n’y voit que du feu. Elle ne répliqua rien au pilote, consciente qu’il avait cherché les paroles pour lui faire plaisir. « Et vous, alors, Carlisle ? Quelle impression je vous ai faite la première fois que nous nous sommes parlés ? Arrêtons de faire comme si je ne m’étais pas jetée sur vous, comme si vous ne m’aviez pas envoyé sur les roses et comme si vous n’aviez pas eu totalement raison de le faire. » C’était encore embarrassant d’y repenser. Impossible pour elle d’oublier. Elle essuyait rarement des rejets. Leur rencontre. Un mal pour un bien ? « Peut-être. » Ils ne savaient où allait les mener toute cette histoire. Le dénouement était rarement heureux là où Andrina était impliquée, elle prit soin de le prévenir mais il prit cela à la légère. Il avait peut-être échappé à rire dans sa vie et ne voyait pas comment une jeune femme de vingt-et-un ans pourrait impacter sa vie. « Il est encore temps… » lui suggéra-t-elle. Elle détourna les yeux la première et gloussa, ôtant tout effet dramatique qu’aurait pu créer sa réplique. La décision appartenait au pilote mais d’après de précédentes paroles, elle pouvait s’attendre de lui à ce qu’il joigne à la partie. Qui sait, il révélerait tôt ou tard ce grand méchant loup dont il parlait. Pour l’instant, elle avait un peu l’ascendant. Elle s’amusa de le voir bredouiller, gêné qu’elle l’ait si ouvertement complimenté sur son apparence et c’est souvent qu’elle l’embrasse du regard, lui servant ses regards appuyés de ses yeux de biche. Flirt, pas flirt ? Il ne semblait pas y être sensible, ce qui ne les empêchait pas de passer une très bonne soirée. Ils parlent, rient, boivent, rient encore, se partagent même leurs plats. Elle n’a pas honte de commander tous ses plats préférés, aussi nombreux soient-ils, même si les codes de bonne conduite de la gent féminine voudraient qu’elle fasse preuve de réserve. Au contraire, cela avait l’air de l’amuser qu’elle soit si gloutonne et cela devait le rassurer qu’elle n’ait sauté un repas que par pure obligation vu comme elle avait de l’appétit et appréciait de manger. Elle aimait les plaisirs simples. Comme lui ? Il semblerait. Était-ce grâce à ça qu’elle avait piqué sa curiosité ? « Ça me flatte que vous ayez l'air si intéressé par ma personne. » Elle était sincèrement surprise par tant d'engouement de sa part à vouloir en savoir plus sur elle. « Rassurez-moi, vous n'êtes pas un émissaire de mon père censé lui rapporter toutes mes activités ? » Dans ce cas, ce serait carrément l'arroseur arrosé, elle qui pensait garder une longueur d'avance partout. Mais non, même si l'idée était plausible, son père n'était pas aussi futé (ou tordu ?) et il aurait aussi fallu, que son géniteur veuille se tenir au courant de ses faits et gestes. Même s'ils n'avait pas une relation aussi houleuse qu'avec sa mère, il n'en restait pas moins un père abonné aux absences. Blague mise-à-part, elle tint sa promesse, parla de ses différentes activités avec sincérité. Cela signifiait qu'elle lui évoqua autant les aspects positifs, sa passion pour la lecture et le sport, le basket surtout, puis rappela leurs points communs, en lui parlant aussi du tennis et du piano... mais aussi sa proprension à la fête ou à la paresse. Il y avait des jours où elle restait chez elle, seule et cela lui convenait bien pour recharger ses batteries. La liste fut exhaustive, elle détaillait l'origine de ses activités, leur fréquence, ne fut pas avare en anecdotes. Le portrait qu'elle se fit auprès de Carlisle fut tout de même celui d'une jeune femme dynamique, ayant les défauts des personnes de son âge, peut-être, mais elle avait su se rendre attachante. Elle poursuivit dans ses réponses mais pour le coup, cette question l'embarrassait. Elle posa ses avant-bras l'un sur l'autre sur le rebord de la table et se pencha en avant, l'air de réfléchir. « Je vous admirerai encore plus, Carlisle, si vous me disiez qu'à mon âge, vous saviez déjà comment vous vouliez mener votre vie et à quoi vous aspiriez. » Elle pensait à beaucoup de choses, des plus futiles aux plus pragmatiques, elle réfléchissait beaucoup mais cela ne signifiait que ses pensées aient abouties à un seul et unique but défini. « Quel était votre état d’esprit ? Est-ce que vous avez beaucoup changé ? » l'interrogea-t-elle, relevant son avant-bras pour faire reposer son menton sur sa main. Elle finit par pousser un long soupir, sans perdre ce petit sourire mutin. « C'est compliqué comme question...je ne sais pas si j'ai le droit à un joker... ? Il me faudrait plus de temps pour vous répondre ... ou plus d'alcool. » conclue-t-elle avec amusement en regardant le milieu de la table où trônaient vides, les trois bières chacun qu'ils avaient commandé pour accompagner leur repas. Elle jugea qu'il était temps qu'ils partent, ayant déjà fini leur repas depuis longtemps, ils papotaient mais elle avait encore des choses prévues. Elle régla l'addition auprès des gérants, une somme dérisoire, vu la qualité des plats et tout ce qu'ils avaient commandé. Elle fut généreuse en pourboire aussi, sans manquer d'échanger avec eux quelques mots en mandarin, sentant le regard de Carlisle sur elle. Chacun de ses gestes étaient aussi réfléchis et calculés qu'un déplacement pendant une partie d'échecs ne signifiait pas qu'elle était complètement détachée des moments qu'elle vivait. Loin de là, elle profitait de chaque instant. Elle avait apprécié ce repas, simple mais succulent, la compagnie du pilote, leur conversation et l'atmosphère légère entre eux. Elle passait un excellent moment. « Rentrons. » invectiva-t-elle sans dureté, juste pour lui indiquer qu'ils allaient rependre la route et retourner à l'hôtel. Voyant que Carlisle allait emprunter le même chemin grâce auquel ils étaient arrivés, elle le tira vers une autre direction en désignant de l'index une autre rue. « La fête n'est pas finie. » Et elle plongea avec lui dans un quartier très animé. Elle connaissait bien cette zone et partagea avec lui l'histoire de certains bâtiments, qu'on lui avait elle-même raconté lors de des précédentes visites. Elle jouait avec amusement les guides pour le pilote. Il y avait quelque chose de nouveau à remarquer, presqu'à chaque coin de rue et Nina avait certainement les réponses à toutes les questions qu'aurait pu se poser le pilote sur un objet ou une pratique. Pour couronner le tout, sans prévenir, elle profitait de l'excuse tacite que représentait la foule pour s'accrocher à son bras tandis qu'ils avançaient. Ils déambulèrent dans le quartier, Nina trouva plaisant cette petite balade, en plein coeur de Hong Kong, avant de gagner une bouche de métro pour rejoindre l’hôtel. |
| | | | (#)Mar 23 Jan 2018 - 22:21 | |
| « Il n’y a pas de mal. Je comprends votre point de vue ; nombreux sont les couples qui agissent en symbiose. Ils oublient leur propre identité au profit de celle de duo. » Admit Carlisle en haussant les épaules. Amal et lui avaient d’ailleurs quelques connaissances qui se comportaient de cette façon ; ils faisaient tout ensemble, sans jamais se dissocier l’un de l’autre. L’individu s’était progressivement effacé, pour laisser place à une entité nouvelle. Parfois positive, elle pouvait aussi se révéler être destructrice : qu’adviendrait-il de ses hommes et de ses femmes, le jour où il perdrait leur moitié ? Que se passerait-il, le jour où les désaccords les mèneraient tout droit vers une rupture inévitable ? A quoi, ou à qui pourraient-ils se raccrocher ? Amal et Carlisle n’avaient jamais voulu jouer à ce jeu dangereux ; leur relation de couple était importante, mais ils se laissaient aussi suffisamment d’espace pour qu’ils puissent, chacun, s’épanouir en tant qu’être, en tant qu’individu. « Ne vous excusez pas. » Rectifia le pilote. Il n’était aucunement blessé ou agacé par les propos de son interlocutrice ; ils ne faisaient que parler. Il n’y avait aucune animosité entre eux, et Nina avait parfaitement le droit d’exposer son point de vue sans risquer de subir le courroux du pilote. « Il n’y a aucun mal à dire ce que l’on pense, ou ce que l’on ressent. » Ajouta le pilote en souriant. C’était là un conseil qu’il donnait volontiers aux autres, mais qu’il s’appliquait rarement à lui-même. En matière de communication, le fils Bishop avait des progrès à faire ; sa situation professionnelle n’en serait que plus clair. Il pourrait clairement et définitivement dire merde à son père, sans pour autant se brouiller éternellement avec lui. Encore faudrait-il que le géniteur entende ce qu’il avait à dire. Il rit de la plaisanterie de Nina, et secoua la tête. « Vous savez, il vous suffira juste de recruter un autre pilote de chasse. Personne n’est irremplaçable. » Et surtout pas lui, pensa-t-il avec réalisme. L’Australienne pouvait bien essayer de le convaincre du contraire, il ne se laisserait jamais berner. Professionnellement parlant, en tout cas. Personnellement parlant, c’était une autre paire de manches ; c’était d’ailleurs ce qu’il cherchait à expliquer à Nina qui, visiblement, peinait à le croire. N’était-elle pas entourée de ses proches ? Ils n’étaient peut-être pas parfaits, mais ils avaient l’air de sincèrement tenir à elle. « Vous n’êtes pas convaincue, n’est-ce pas ? » La question était rhétorique, et n’appelait aucune réponse. Il suffisait de voir la moue qu’elle affichait pour le comprendre. Il en fût sincèrement navré ; à son sens, Andrina Farrell méritait mieux. Elle était paumée, mais certainement pas méchante. « J’ai d’abord été perplexe. » Admit le pilote, qui se souvenait très bien de sa première rencontre avec l’héritière. Comme à son habitude lors des soirées organisées par la compagnie, Carlisle s’était montré discret, réservé presque. Il avait échangé quelques mots avec certains de ses collègues, mais avait laissé Amal – et son charme naturel – faire le travail à sa place. Il avait pris une coupe de champagne, jetant un coup d’œil de temps à autre en direction de sa fiancée pour s’assurer que tout se déroulait bien. Et puis, brusquement, une petite tornade brune avait débarqué dans son champ de vision. Elle avait voulu attirer son attention, le distraire, le faire sortir de sa réserve. Si elle n’y était pas pleinement parvenue, elle n’avait pas pour autant non plus échouer ; Carlisle avait passé une bonne soirée, contrairement à d’habitude. « Je vous ai trouvée audacieuse. » Finit-il par dire, un petit sourire au coin des lèvres. Elle savait qu’il n’était pas homme à prendre ; elle avait pourtant décidé de tenter sa chance, les yeux fermés. « Culottée, même. » Rectifia le pilote en laissant échapper un petit rire. Il songea, non sans une certaine ironie, que nombreux étaient ses collègues qui auraient aimé être à sa place. La jeunesse et la beauté de l’héritière Farrell étaient deux atouts indéniables. « Désolé, si je me suis montré un peu… Abrupt. Néanmoins, il valait mieux que je sois franc ; vous faire espérer ou miroiter quelque chose n’aurait pas été honnête de ma part. » Libre à elle, désormais, de changer de proie. Et si elle manquait de discernement ou avait la flemme de partir en mission séduction, Carlisle pouvait lui fournir une liste non-exhaustive de ses collègues qui bavaient sur elle. « Je préfère prendre le risque. » Commenta le pilote, alors que sa main partait à la recherche de son paquet de cigarettes. Il a eu tôt fait d’en retirer une du paquet, de la porter à ses lèvres, et de l’allumer. Tous deux jouaient avec leurs vies respectives, mais d’une façon différente. Ils défiaient les lois, envoyaient valser les sermons et autres bons conseils qu’ils avaient un jour reçu. Ils partagèrent leur repas, discutèrent, parlèrent de leurs projets. « Votre père ne sait même pas qui je suis. » Fit remarquer Carlisle en haussant les épaules. En gros, l’Australienne pouvait être rassurée : elle ne risquait rien. Il n’était pas un petit toutou missionné par la famille Farrell, pour aller ensuite tout cafter. Elle pouvait se comporter naturellement, et oublier ses craintes. « Et puis, comment dire… Si jamais j’étais envoyé par votre père, je ne suis pas sûr qu’il approuverait les méthodes utilisées. » Plaisanta-t-il, rentrant dans le jeu de Nina. A demi-mots, il reconnaissait que les moments qui venaient de s’écouler n’étaient pas… Tout à fait anodins. Ils avaient flirté, flirtaient encore même. Ils partagèrent quelques anecdotes, se découvraient des points communs et des différences. Mais Andrina finit par botter en touche, lorsque le pilote lui demanda quels étaient ses projets d’avenir. « J’ai eu quelques désillusions. » Admit le fils Bishop. Contrairement à ce que son statut laissait présager, il était diplômé de l’université de Berkeley en physique nucléaire et en management. Deux domaines distincts, qui n’avaient pas grand-chose en commun – mais qui lui avaient permis de s’émanciper de son père. Et puis, quand il était revenu en Australie, il s’était dit que s’engager dans l’armée n’était pas une idée absurde. Il avait un profil intéressant. Il pouvait intéresser ses supérieurs – et ça avait d’ailleurs été le cas. « Mais sinon, non, je n’ai pas beaucoup changé. » Mais il avait vieilli, et acquis en maturité et en sagesse. En tout cas, c’était ce qu’il pensait. Mais en compagnie d’Andrine Farrell, bizarrement, il n’était plus tout à fait convaincu. Elle avait un drôle d’effet sur lui. « Par pitié, évitez. Je ne voudrais pas qu’on vous greffe un nouveau foie avant la trentaine. » Plaisanta l’Australien, alors qu’il vidait sa troisième bière et s’allumait une énième cigarette. Ils quittèrent finalement le restaurant, et alors que l’Australien pensait rentrer directement à l’hôtel, l’héritière en décida autrement. Elle l’entraîna dans une rue animée, lui montra ce qu’il y avait à voir, lui expliqua ce qu’il y avait à savoir. Et lui, patient et intéressé, l’écoutait avec attention. Elle était accrochée à son bras, et il ne fit rien pour la repousser. Etrangement, la situation lui parut normale. Evidente, même. Il n’avait envie d’être nulle part, plutôt qu’ici. Il la suivit, partout. Le long des rues, dans le métro, sur le chemin pour se rendre à l’hôtel. « C’est ici que nos chemins se séparent. » Murmura-t-il, alors qu’un sourire étirait ses lèvres. Il était temps que chacun regagne sa place, son statut, et fasse de cette soirée un agréable souvenir. « J’ai passé une excellente soirée. » Déclara le pilote, inclinant légèrement la tête en direction de l’héritière. Il ne mentait pas ; il n’avait pas vu le temps passer. Il hésita pendant une fraction de seconde, puis franchit une énième barrière. Avec douceur, il déposa ses lèvres sur la joue d’Andrina Farrell. « Faites de beaux rêves, Mademoiselle Farrell. » Il s’éloigna, et avant d’entrer dans l’ascenseur, se retourna vers l’héritière. Il partagea un dernier regard complice avec elle, et disparut dans la cage d’acier.
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| | | | (#)Jeu 25 Jan 2018 - 18:06 | |
| Le temps défile, autour d’eux, les gens vivent, ça afflue de partout, ça crie, ça rit, ça chante, même quand ils ne font que parler, cette langue sonnait comme une mélodie. Elle le prive peut-être d’une contemplation silencieuse en accaparant ainsi son attention. Elle a toujours quelque chose à lui montrer, un commentaire à lui faire, lui laissant peu de répit entre deux vagues d’information mais il ne semble pas s’en formaliser. Il est là, il l’écoute et elle n’entend rien d’autre que le son de sa voix quand il lui parle. La conversation est légère, leurs rires s’entrelacent, leurs corps s’entrechoquent et se frottent, sans se repousser. Des sourires qu’elle lui offre sans condition, son visage adorable et rose des vapeurs d’alcool qui l’ont gagné tourné vers lui à chaque fois qu’il lui parle, son masque s’efface et laisse entrevoir sa nature bienheureuse. Elle avait trouvé son exutoire près de lui et sa façon spéciale d’interagir avec elle. Parce qu’elle se sentait comprise, il lui semblait être débarrassée d’un poids pesant sur son âme et d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, personne n’avait jamais éveillé chez elle un tel sentiment. Une scène innocente se joue, leurs bras qui se tiennent dans un moment interdit, tout ça à la fois insufflait à cette promenade un vent de liberté. Malheureuse, le destin, qu’elle avait déjà bien trop provoqué, ne pouvait pas prendre le pas sur le cours de la vie. Elle n’avait qu’une dernière faveur : lui demander qu’il leur accorde l’éternité pour ce soir. Souhait impossible, elle n’en est pas déçue pour autant, elle sait qu’elle conservera précieusement le souvenir de cette nuit. Elle le nourrirait encore, souvent, en repensant à tout ce qu’ils s’étaient dit. Alors elle n’est ni heureuse, ni malheureuse quand ils passent l’entrée de l’hôtel et que d’un mouvement coordonné, ils s’éloignent l’un de l’autre, comme si leur inconscient présageait que d’autres employés de la compagnie auraient pu les surprendre. Arrivés au bout du hall, de sa voix chaleureuse, il prend congé. Bien plus à l’aise quand elle est Andrina jeune femme et non pas Andrina l’héritière, il conserve tout de même ses habitudes, reprenant une certaine réserve pour celle qu’il considérait comme sa patronne. Elle est la première surprise de le voir se pencher vers sa joue, après la fraction de seconde qu’il lui faut pour comprendre ses intentions, juste avant de sentir le contact. Ce n’est qu’un chaste baiser mais elle trouve l’idée jolie. Loin des formalités qu’on s’oblige car elle sont rassurantes, entre tous les mots qu’il aurait pu prononcer, il leur a préféré à la place un geste, il a eu cette délicatesse. Ce contact cristallisait à lui seul tout ce qu’elle avait pu ressentir ce soir, en sa compagnie. Elle se détendit, soulagée qu’il ait eu la vivacité d’esprit d’être bref, elle n’était pas habituée aux marques d’affection, de quelque genre que ce soit, quand elle n’en était pas l’initiatrice. « A bientôt. » Malgré l’expression indéchiffrable sur le visage de la môme, elle finit par lui sourire,ne le quittant pas des yeux jusqu’à ce que les portes de l’ascenseur ne se referme sur lui. Elle n’eût qu’un seul regret : ne pas pouvoir assister à sa réaction quand il découvrirait qu’elle lui avait laissé une petite attention pour son anniversaire. Ils n’avaient soulevé à aucun moment mais il saurait forcément que tout n’était qu’une manigance de sa part. Elle venait d’avoir la confirmation par le jeune homme à l’accueil que toutes ses exigences avaient été respectées et satisfaite, elle monta à son étage. Elle s’était déjà montrée beaucoup plus extravagante auparavant là, il ne leur avait fallu que de glisser sur une table roulante joliment décorée avec des bougies, un panier de fruit qui ferait office de gâteau d’anniversaire, son cadeau dans un écrin, une boussole de gousset antique et en état de marche, si le mécanisme tenait toujours le coup depuis sa restauration, qu’elle avait fait acheter dans un bric-à-brac du coin. L’objet était simplement joli, en tant que pilote, il aurait des outils bien plus sophistiqués pour retrouver son chemin, en plus de savoir lire le ciel et les nuages mais elle lui offrait surtout pour la symbolique. Explorez le monde, naviguez dans les cieux, vous irez toujours dans la bonne direction… Plus encore, comme une promesse, la boussole l’aiderait à retrouver son chemin en toutes circonstances. La preuve en est, il avait accepté de dîner avec elle ce soir, malgré leurs positions respectives, leurs différences évidentes, il s’était lancé dans cette aventure avec elle et il en était ressorti sain et sauf. Elle savait qu’il serait homme à apprécier l’attention mais le plus important, qu’il serait de ceux qui chercheraient la signification de ce geste, voyant au delà la valeur esthétique et décorative de l’objet.
Enfin seule dans sa grande chambre, elle se déshabilla et enfila un pyjama. Pas le temps de paresser sur son téléphone, elle avait un vol à prendre de main pour s’envoler vers Sydney et rejoindre Henry Gilmore, son père d’adoption qui devait subir une série d’examens médicaux. Le seul temps qu’elle s’accorda pour rêvasser un peu et revivre mentalement cette soirée fut dans sa salle de bain, pour démaquiller ses lèvres et suivre sa routine habituel pour le soin de sa peau. Elle avait pris de jolies couleurs suite à tout ce qu’elle avait mangé et les quelques bières, à moins que ce ne soit l’émotion ? En tous cas, elle se trouva bonne mine, loin d’avoir le même esprit que quand elle s’était surprise dans le miroir avant de partir. Était-ce l’effet qu’il avait sur elle ? Elle se sentait plus en confiance, moins incertaine de se montrer elle-même, telle qu’elle était vraiment. Andrina souriait devant son miroir, se regardant sous tous les angles et appréciant le spectacle qu’elle y voyait. Elle rit toute seule, devant son miroir, s’accordant même à faire quelques grimaces et à tirer la langue à son propre reflet. Après avoir appliqué soigneusement de la crème hydratante sur sa peau méthodiquement nettoyée au préalable, elle quitte la salle de bain et rejoint son lit. Peut-être qu’il dormait déjà. Avait-il pensé à elle avant de fermer les paupières ? Danserait-elle dans ses rêves ? Et demain, traverserait-elle ses pensées ? Elle le voulait. Elle réfléchit encore, longtemps après avoir éteint la lumière, se demandant notamment s’il s’était interrogé sur la signification de son cadeau… autant qu’elle s’interrogeait sur la signification de ce baiser. Audacieuse. Culottée. Ces mots sortis de sa bouche n’avaient pas une connotation si négative. Il prenait le risque de la côtoyer, il l’avait dit lui même, alors qu’elle le prévenait de ce à quoi il s’exposait. Elle avait trop bien choisi ses mots. Ils ne laissaient pas présager sa véritable nature, ne couvraient pas l’étendue de tous les dégâts qu’elle était capable de causer, le pilote était loin de se douter qu’il y avait plus derrière le masque de l’héritière que la jeune femme pétillante, pouvant faire preuve de compassion et de bienveillance. Elle préservait sa nature joyeuse et innocente, ne la dévoilait qu’aux rares privilégiés qui gagnaient sa confiance, mais si on creusait plus loin encore, on faisait des découvertes moins agréables. Il y a bien longtemps, dans la solitude de son royaume doré, elle avait rencontré un monstre avec qui elle s’était liée d’amitié. Il comblait sa solitude et en contrepartie, elle le nourrissait de ses peurs, de ses angoisses et de toutes les émotions négatives qui pouvaient chagriner son cœur d’enfant. Il était là, sommeillant à l’intérieur, bien tapi, depuis toutes ses années, ils ne s’étaient jamais séparés. Il allégeait ses peines, ses bons et loyaux services lui avaient permis de mieux supporter la vie et elle aurait pu tout donner pour lui. C’était son ami de toujours. Comment pouvait-elle l’abandonner ? Elle s’endormait avec lui chaque soir, sans réaliser que ce monstre était son entrave. Il l'obligeait à s'éloigner du monde. Là où elle pensait se protéger des blessures que les autres pouvaient causer, en la délaissant seule et malheureuse, même s'ils avaient promis de l'aimer, lui avait un autre dessein. Il la forçait à s'éloigner de tous, hommes et femmes, car il ne saurait pas reconnaître parmi eux, à temps, celui ou celle qui entraînerait Nina à se détourner de lui. L'amour pansement des maux. L'amour, c'était son ennemi juré parce qu'à son contact, il était anéanti en peu de temps. L'amour, c'était le remède contre les peurs, les angoisses, les chagrins et il y avait aussi une âme qui pouvait vous aider à souffrir toute la douleur du monde ; son ami-monstre devenait inutile alors. Il la retenait près d’elle, refusant de la partager avec d’autre, sabotant tout ce qui aurait pu la rapprocher de son but dans sa quête du bonheur. Car si elle devenait heureuse, de quoi allait-il se nourrir ? Elle ne se fiait à personne d'autre qu'à ce vieux compagnon, par habitude, parce qu'il avait su se rendre indispensable. Elle n'avait jamais dévoilé son existence à personne. Elle ignorait qu'il pouvait aussi être réveillé sans qu'elle ne l'appelle, juste parce qu'il sentirait le danger, flairerait la menace dès qu'un résident de son cœur aspirerait à prendre possession des lieux, pour la durée, au moins jusqu'à ce qu'il cesse de battre. Ce secret faisait d'elle une bombe à retardement, une ogive nucléaire de destruction massive, imprévisible. Programmée pour détruire quiconque oserait l'aimer. Mais pire, car l'amour ne se contrôlait pas et obéissait à ses propres loi, c'est surtout la personne qu'elle aimerait déraisonnement, inconditionnellement, qui souffrirait la fureur de son monstre intérieur. - Spoiler:
la fin sonne comme une menace
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