The child is grown, the dream is gone, and I have become comfortably numb.
Comme d'habitude je suis dans le dernier bus de la journée, mes pupilles doivent sûrement être dilatées au point de prendre toute mon iris, pourtant je sens déjà que les effets se sont dissipés, en ce moment je sens des changements, je dois augmenter les doses de plus en plus car rien ne me fait plus effet et même avec la grosse dose que j'ai pris ce soir les effets semblent déjà s'être évaporés. La descente est sûrement le pire moment, c'est pour ça qu'un jour on a la formidable idée de se dire "tiens si je descendais pas" et c'est comme ça que vous tombez dedans. J'entends les battements de mon coeur cogner contre mes tempes, cette violence interne est semblable à un grand coup de marteau qu'on m'assène directement depuis l'intérieur de mon crâne contre les parois de ce dernier. J'essaye de réguler ma respiration moi-même, pour me calmer, pour me détendre, pour m'oublier. Je me concentre donc simplement sur mon air, expirer, inspirer, pas besoin de penser à plus que ça pour le moment. Je suis assis plutôt dans le fond de bus, là où je sais que je peux être tranquille, là où je peux m'assoir et gentiment attendre mon arrêt la plupart du temps en paix car rares sont les gens qui prennent le dernier bus de la journée. Il m'arrive même parfois d'être tout seul. Cette fois ce n'est pas le cas, une jeune femme est dans le bus également. Je m'amuse à lui inventer une vie, imaginant quelles peuvent bien être les raisons qui l'amènent toute seule dans un bus aussi tard. Dans ma tête elle est infirmière, elle a travaillé tard, et elle est épuisée, la seule chose qu'elle veut c'est poser la tête sur son oreiller avant de partir dans un sommeil profond. Je souris en me demandant si elle est vraiment celle que je m'imagine, en sachant pertinemment qu'elle pourrait être tout et n'importe quoi, et je ne saurai sûrement jamais ce qu'elle est vraiment. Et c'est bien, ça laisse libre court à mon imagination, dans mon esprit elle sera l'infirmière pour toujours.
Le chauffeur fait un arrêt dans bayside, et je suis sur le point de me dire que c'est inutile quand je vois un homme rentrer dans le bus. Il a l'air alcoolisé et pas vraiment net. Quand je dis pas net, ce n'est pas le même genre de pas net que moi car quand on me regarde je me doute que certains doivent se dire que je n'ai pas l'air net mais ce mec dégage une impression bizarre. Un sentiment d'insécurité peut-être ? Je ne sais pas, je le sens capable de faire une connerie et je ne suis pas franchement rassuré. Mes sens me reviennent, et je surveille l'homme du coin de l’œil. J'ai comme un pré-sentiment, une intuition qui n'indique rien de bon.
I am good, I am grounded, Davy says that I look taller. I can’t get my head around it, I keep feeling smaller and smaller. Remember when you lost your shit and drove the car into the garden, And you got out and said I’m sorry to the vines, and no one saw it. ▬Cole & Lisbeth
Le cercle réservé aux artistes n'est pas si fermé qu'on pourrait le croire. La preuve, même en s'étant installée à Brisbane il y a moins d'un an, Lisbeth parvient à se faire inviter dans des soirées techniquement réservées au haut-gratin artistique de la ville. Elle peut presque croire qu'elle en fait partie, tant on souhaite l'intégrer. Presque... car son côté solitaire prend toujours bien vite le pas, et elle est incapable de rester bien longtemps entourée. Cette soirée se déroulait à Bayside, aussi, connaissant son penchant pour le bon vin, Lisbeth avait préféré s'y rendre en bus afin de ne pas dépenser des milles et des cents pour un taxi qui la conduirait de son domicile à sa soirée et inversement. Il y avait des bus jusqu'après minuit, pourquoi donc s'embêter avec un taxi hors de prix ? Elle n'en était pas à sa première fois dans les transports en commun, bien loin de là. Seulement, le soir... Il y avait toujours cette petite appréhension qu'elle détestait. Cette peur que quelqu'un la prenne pour cible. Plusieurs de ses contacts lui ont demandé comment elle était venue à la soirée, et surtout comment elle comptait repartir. Tous masculins. Et Lisbeth n'est pas naïve. Du moins... pas de cette façon-là. Elle se doute que s'ils s'enquièrent d'une telle information, ce n'est pas pour en faire un tableau. Aussi a-t-elle préféré le bus. L'arrêt de la ligne qui la conduirait directement chez elle n'était pas très loin de la maison dans laquelle tous ces artistes avaient été invités. Elle avait fait de timides sourires aux passants qu'elle avait croisés alors qu'elle attendait son bus. Tous lui avaient répondu, avec plus ou moins de compassion. Une femme seule... C'est soit qu'elle n'a pas d'amis, soit qu'elle s'est faite abandonner. Lisbeth connaît bien ce genre de pensée, elle s'en inquiète souvent pour les autres. Le bus était arrivé, et elle était simplement montée dedans après avoir payé son billet au chauffeur, qui l'avait, lui aussi, regardée avec cette petite lueur de compassion entre ses iris. Désormais assise, la jeune illustratrice se sent un peu plus rassurée, mais pas complètement. Elle a cette sorte de sixième sens, elle attend que quelque chose se passe, et elle sait que cela va arriver. Ce qu'elle ne sait pas, c'est comment elle pourrait réagir. Elle se contente de croiser les doigts, de regarder innocemment par la fenêtre en feignant d'ignorer la fatigue qui la prend. L'effet de l'alcool n'arrange pas ses affaires. Le bus continue son petit bonhomme de chemin, jusqu'à un arrêt. Lisbeth se redresse un peu sur son siège, et se retourne vers l'arrière du bus. Il n'y a pas grand monde dedans, seulement un autre homme qui semble avoir, comme elle, tout juste la trentaine. Elle se remet dans le sens de la marche, tenant bien son sac sur ses genoux, et regarde avec une discrète attention l'homme qui est en train de monter dans le bus. Il peine à payer sa place au chauffeur, et Lisbeth hausse un sourcil. Il termine, elle tourne la tête en direction de la fenêtre, à sa droite. Pourvu qu'il ne la remarque pas, pourvu qu'il aille s'asseoir derrière, loin d'elle... Elle se risque à un rapide coup d'oeil en direction de l'avant du bus, il est juste devant elle, il lui sourit grassement en se tenant à la barre avoisinant les deux sièges devant Lisbeth. Elle lui rend son sourire, et détourne immédiatement le regard, pour lui signifier qu'elle n'a aucune envie de parler. Et surtout pas à... quelqu'un dans ce genre. Le bus redémarre. Lisbeth serre les deux lanières de son sac entre ses doigts, qu'elle sent blanchir peu à peu. Elle tente de le cacher, mais elle est terrifiée par cet homme qui se trouve à quelques centimètres d'elle et qui ne la lâche pas des yeux. "Hey." finit-il par lui lancer. Elle ne répond pas. Feint de n'avoir rien entendu. Mais il recommence, sur un ton plus fort et plus insistant. "Hey la belle assise, là." C'est presque un grognement, et Lisbeth se sent plus irritée qu'apeurée, désormais. "Quoi ?" elle finit par répondre, en tournant vivement la tête vers lui. Elle espère que son ton va le faire fuir, mais il sourit de plus belle et vient s'asseoir juste à côté d'elle. Elle a un léger mouvement de recul alors qu'il lui demande ce qu'elle fait aussi tard et aussi seule dans un bus. Tout à coup, elle hésite entre se lever pour se rapprocher du chauffeur, et se lever pour demander un arrêt et prendre le bus suivant de la ligne, mais il lui faudrait rester au moins une demi-heure seule dehors... Espérant que l'homme se lasse, elle reste silencieuse et tourne la tête avec véhémence en direction de la fenêtre, croisant intérieurement tous les doigts qu'elle imagine pour qu'il la laisse tranquille ou que son arrêt soit le prochain.
Je sens que tout comme moi, la jeune femme présente elle aussi dans le bus se raidit à l'entrée de l'homme, mon pressentiment s'intensifie quand je le vois s'approcher de la jeune femme, commencer à lui parler, et insister alors qu'elle feint de ne pas avoir entendu sa remarque, essayant de se sortir de la situation comme elle le peut. Il finit carrément par s'assoir à côté d'elle, sans aucune gêne et aucune limite. Je ne comprendrai jamais pourquoi les hommes font ça. Pourquoi une femme ne peut pas sortir seule tard le soir sans devoir avoir peur que e genre de crétin vienne l'emmerder. Je compatis pour elle, parce que dans le fond je suis pareil. On ne peut pas vraiment dire que j'aurai de quoi me défendre non plus, si on m'abordait comme ça, de force. J'entends la jeune femme répondre à l'homme d'un ton dur et agacé, en espérant que ça le fasse fuir sûrement. Mes pensées se bouscoulent, est ce que je ne devrai pas faire quelque chose ? Après tout, si je viens l'aider peut-être que ça fera peur à l'homme qui la lâchera ? Mais je ne peux pas simplement me pointer comme une fleur l'air de rien en demandant si tout va bien, il ne la laissera jamais tranquille si je fonctionne comme ça. Alors je creuse dans mon esprit, à la recherche de l'idée magique qui pourrait la sortir de cette situation. Seulement j'ai l'impression que la came a rouillé les rouages de mon esprit, j'ai presque l'impression de tourner au ralentis tellement je n'arrive pas à penser. Peut-être autant à cause de la came que de l'adrénaline apportée par la situation, en fin de compte.
Et soudain ça y est, je sais. Je ne sais pas vraiment d'où me sort cette idée mais j'ai le sentiment que c'est la bonne. J'entends que l'homme continue de lui parler mais je suis trop loin pour entendre distinctement ce qu'il lui dit, et peut-être que je ne veux pas vraiment savoir non plus. Je finis par me lever de mon siège, en essayant d'avoir l'air assuré et confiant à propos de ce que je suis en train de faire. J'arrive à leur niveau, et me tourne vers la jeune femme, d'abord avec une mine un peu confuse, avant d'afficher un grand sourire comme si j'avais retrouvé quelqu'un du passé. Et pour cause. « Oh, Carol bah ça alors ! » Oui, parce que c'est ça mon plan. Faire semblant de la connaître. J'espère que ça va passer, que mes talents d'acteurs vont être suffisants pour faire glisser le tout et j'espère surtout que la jeune femme va comprendre que j'essaye de l'aider et va simplement rentrer dans mon jeu. De toute façon dans le doute, je ne laisse pas assez de temps pour qu'elle me réponde et je m'empresse d'enchaîner. « Il me semblait bien que j'avais reconnu ta voix, mais c'est dingue ce que tu as changé dis donc ! » Je parle avec un ton enjoué, qui n'est tellement pas moi en temps normal, mais je suppose que chacun doit faire sa petite concession pour que mon plan fonctionne. Je lui lance aussi un petit regard entendu en coin, juste histoire de la rassurer et pour faire en sorte que, si elle ne l'a pas déjà compris, je fais ça pour l'aider. Je me tourne ensuite vers l'homme, reprend une bonne dose de confiance en moi l'espace d'un instant avant de lui demander avec un aplomb que je ne me connaissais pas, décidément on en apprend tous les jours, « Est ce ça vous dérange si je prend votre place pour m'assoir à côté de ma cousine ? Ça doit faire des années qu'on ne s'est pas vus ! » Je souris au crétin, avec un sourire faux, pour qu'il comprenne lui aussi que si il ne dégage pas alors je compte bien l'y forcer.
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Même quand elle a tourné la tête vers la fenêtre, l’homme continue d’adresser la parole à Lisbeth. Elle n’a plus envie de lui répondre. Elle l’a déjà fait une seule fois, et elle trouve que c’était bien trop pour ce qu’il semble chercher. Peut-être est-il alcoolisé au possible, mais cela ne le dispense pas de se comporter de manière correcte avec ce qui l’entoure… L’illustratrice est terrifiée que l’homme commence à se rapprocher physiquement d’elle. Les deux sièges de bus sont déjà bien collés, mais elle a réussi à mettre un peu de distance en se rapprochant de la fenêtre. Et elle semble presque ne faire qu’un avec elle… Non, elle ne peut plus s’en rapprocher. Evidemment, ce qu’elle redoutait finit par arriver, quelques secondes à peine après. Elle sent un mouvement tout contre elle. Quelque chose vient à la rencontre de sa hanche. Le cerveau de Lisbeth fonctionne à la vitesse de l’éclair. Elle se demande à la fois quelle partie de l’homme peut être entrée en contact avec sa hanche, que ferait le chauffeur si elle se mettait à crier, si l’alcoolisé la suivrait si elle partait en direction d’une autre place, si elle devait le frapper pour qu’il la laisse tranquille… Tant d’informations qui passaient à toute vitesse entre ses neurones. Soudain, une voix hélant le prénom “Carol” la sort de sa torpeur involontaire. Elle stoppe son activité cérébrale pour quelques secondes et tourne le visage en direction de l’allée, où l’homme qu’elle avait vu plus au fond dans le bus se tenait, à l’une des barres de soutien. Lisbeth hausse un sourcil, se demandant ce qu’il cherche à faire, mais elle comprend bien vite lorsqu’il s’adresse de nouveau à elle avec un regard lourd de sous-entendus. Il cherche à l’aider. Sentant les larmes lui monter aux yeux, Lisbeth trouve le courage de se lever. Le contact d’origine inconnue disparaît de contre sa hanche. Un léger vertige la prend. Elle s’agrippe à la barre à laquelle l’homme du fond du bus se tient, pendant que ce dernier demande à l’inconnu alcoolisé s’il peut s’asseoir à sa place, à côté de sa prétendue cousine. ”Oh, allons plutôt nous asseoir au fond du bus Will, tu veux ? On a des tas de choses à se raconter, c’est surprenant de te croiser ici !” fait Lisbeth sur le même ton enjoué que son sauveur et en lui donnant une tape sur l’épaule. Pour accompagner ses paroles, elle fait un pas en direction de l’arrière du bus, et supplie l’homme du regard de lui accorder cette faveur, même s’il a déjà commencé à la sortir d’affaire. Elle a envie de s’éloigner le plus possible de cet homme insistant et parfaitement vulgaire.
Je vois dans son regard qu'elle percute presque de suite que j'essaye de l'aider. Je suis content qu'elle n'ait pas mis plus de temps que ça, parce que je ne sais pas vraiment ce que j'aurai pu faire de plus pour lui faire comprendre que je sais bien qu'elle ne s'appelle pas Carol et qu'elle n'est pas ma cousine. Je vois également dans son regard qu'elle est plutôt terrifiée par l'homme qui se tient à côté d'elle, j'espère juste qu'il ne s'est pas passé quelque chose que je n'ai pu voir de là où j'étais, que je ne sois pas déjà arrivé un peu trop tard. Sa réponse qui m'incite à lui suivre au fond du bus, c'est à dire le plus loin possible de l'homme ne me rassure pas vraiment quant à ce qui s'est peut-être passé. Je la suis vers le fond du bus, la regarde s'asseoir avec de m'asseoir à côté d'elle, en gardant une distance largement raisonnable entre nous deux pour ne pas la brusquer par rapport au contact peu agréable qu'elle vient d'avoir. Je reprend mon ton joué, et parle avec un volume beaucoup trop important pour quelqu'un qui parle normalement, mais je tiens simplement à faire comprendre à ce psychopathe que je ne compte pas laisser la jeune femme livrée à elle même. « Comment va ta mère ? Toujours la même cette sacrée tatie ? » Une fois ma question posée, j'attends un peu, jette un coup d'oeil vers l'avant du bus pour être sûr que l'homme ne peut pas m'attendre si je parle doucement. Je murmure donc doucement à la jeune femme, « Ça va ? Il t'a fait quelque chose ce connard ? Tu descends où ? » Je lui souris doucement, les yeux pleins de compassion, presque désolé de ne pas avoir été plus à l'avant du bus, désolé pas l'avoir sorti de là encore plus tôt, désolé qu'il s'en soit pris à elle et pas à moi. Désolé qu'elle soit considérée plus vulnérable que moi simplement parce que c'est une femme. Ce genre de situation me révolte, ce genre de comportement, ce genre de personne. Je ne comprendrai jamais comment de telles choses peuvent arriver et que cela semble normal pour quasiment tout le monde. Que de telles choses se déroulent dans une indifférence presque totale. Je lui murmure à nouveau, doucement, avec un ton protecteur, presque que pourrait le faire un grand frère avec sa petite sœur « Je vais pas te laisser toute seule avec lui, t'en fais pas. » Je la regarde, elle est jolie, simple, même si elle semble désorientée dans le moment présent, ce que je comprend tout à fait. J'attendrai son arrêt et rentrerai chez moi à pied s'il le faut, je refuse de la laisser rentrer seule sachant ce qui vient de lui arriver, bien sûr je ne peux pas sauver tout le monde, et qui sait il ne lui arrivera sûrement rien une fois qu'on sera débarrassés de ce pervers là, mais je n'aurai pas la conscience tranquille si je ne suis pas sûr qu'elle est bien rentrée chez elle. C'est le genre de situation où on se doit d'aider son prochain et d'être unis, même sans se connaître, parce que c'est une situation dans laquelle chacun pourrait se retrouver un jour.
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Heureusement pour elle et pour la crise de panique qui commençait à monter, le sauveur de Lisbeth fait un pas juste après elle pour lui signifier qu’elle peut partir vers le fond du bus, qu’il la suit. Elle a la tête qui tourne, en marchant doucement vers l’endroit visé. Elle s’accroche à toutes les barres verticales qu’elle rencontre, s’agrippe parfois à celles au-dessus des sièges du bus de nuit. La lumière est toujours si blafarde que ça, dans les bus ? Ou bien est-ce parce qu’il fait nuit et qu’elle vient d’avoir très peur ? Peur qui n’est toujours pas passée, d’ailleurs. Même quand elle s’asseoit à la dernière rangée du bus, sur le siège le plus à l’extrémité, juste à côté de la fenêtre. Devant elle, deux autres sièges. Sur la même rangée, et à un siège de distance, le jeune inconnu qui l’a sauvée de l’homme vulgaire et ivre. Lisbeth tente de calmer sa respiration. De s’éloigner de son ancienne place a totalement laissé échapper le vent de panique qui soufflait discrètement en elle, et il faut qu’elle se ressaisisse. Le jeune homme reste dans le jeu, et Lisbeth s’efforce de tourner la tête pour lui sourire, juste au cas où l’autre devant les suive. Mais ce n’est pas le cas. Il a bougé vers l’avant du bus, non loin du chauffeur. Lisbeth peut réellement souffler, il a mordu à l’hameçon. Son sauveur a dû le remarquer aussi, mais il s’adresse à elle à un volume qui ne permet qu’à Lisbeth d’entendre ce qu’il dit. Il la tutoie, mais elle ne s’en formalise pas du tout pour le moment. Elle est bien trop encore sous le coup de l’émotion, et surtout bien trop reconnaissante. ”Oui ça va… et non, il ne m’a rien fait,” souffle-t-elle avant d’ajouter d’une petite voix : ”Je descends à l’arrêt du centre commercial, à Redcliffe.” L’inconnu tente de la rassurer, elle croise son regard de temps en temps même si le sien ne parvient pas à se fixer sur quelque chose. Elle est en état d’hyper-vigilance, et elle ne sait pas s’il lui reste des anxiolytiques à la maison. Lisbeth a bu, mais ça sera pas la première fois qu’elle procédera à ce mélange. Elle a l’habitude, ça la rend plus somnolente qu’autre chose. Pas plus mal après un tel épisode… Elle sent qu’elle va paniquer pour rien au moindre bruit une fois qu’elle sera dans son appartement. Finalement elle n’a pas tant hâte de rentrer que ça. ”T’inquiète pas, tu en as déjà fait beaucoup…” tente-t-elle à l’attention de son sauveur, en tournant un peu la tête vers lui. Ils sont encore loin de son quartier, de toute façon. Et l’homme va sûrement descendre avant. ”Merci, au fait...” murmure Lisbeth en plantant son regard apeuré dans celui de l’inconnu non loin d’elle.
Elle s'agrippe à tout ce qui passe sous sa main, visiblement altérée par la rencontre qu'elle vient de faire. Qui ne le serait pas, en même temps ? Je n'ose même pas imaginer comment elle doit se sentir, ni quelles marques cette rencontre vont lui laisser sur le long terme, plus que sur le court terme d'ailleurs. Elle en sortira sûrement plus méfiante, plus vigilante, plus apeurée dans un certain sens, comme si cette rencontre malencontreuse avait le pouvoir d'augmenter d'un cran une sorte de peur paranoïaque qui ne vous quitte vraiment jamais. Malgré le fait qu'elle m'assure qu'il ne lui a rien fait, je pense à moi-même qu'il a beau ne pas lui avoir fait quelque physiquement, il est toutefois clair qu'il lui a fait quelque chose psychologiquement. Et je ne saurai pas dire ce qui est le pire. Elle parle avec une petite voix, presque affaiblie, comme cassée dans certains mots qu'elle prononce. Elle souffle quand l'homme se déplace, quand il s'éloigne. Son arrêt est encore loin, avec un peu de chance il va se lasser et descendre dès qu'il le pourra. Redcliffe est deux arrêts avant le mien donc de toute façon je peux rester avec elle d'ici là et si elle le souhaite je pourrai descendre avec elle. « Moi je descends à Pine Rivers. » Comme un pacte tacite, qui la laisse savoir que je serai là jusqu'à ce qu'elle descende, et que je pourrai même la raccompagner si elle le souhaite. Mais je la sens méfiante, ce qui est normal après tout, vu ce qui vient de lui arriver, elle n'a aucune certitude, aucune façon d'être sûre que je ne suis pas comme le gros pervers qui vient de l'aborder. Elle me dit de ne pas m'inquiéter, mais je sais que c'est simplement une façon de parler, peut-être parce qu'elle ne veut pas trop m'en demander ou tout simplement parce qu'elle ne veut pas que je l'aide, et dans les deux cas, je la comprends, ou du moins j'essaye de la comprendre comme je peux, d'imaginer ce qu'elle peut ressentir, même tout ce que je peux imaginer n'est pas sûrement pas à la hauteur de ce qu'elle vient de vivre. Ses yeux ne croisent les miens que très rarement, comme si elle était perdue, apeurée, qu'elle ne savait pas vraiment si elle pouvait vraiment me faire confiance. Je laisse un silence après son remerciement, parce que je ne sais pas vraiment comment réagir et surtout que je n'ai pas l'impression de mériter son remerciement, que je n'ai pas l'impression d'avoir réagi assez tôt, que je n'ai pas l'impression d'avoir fait quelque chose qui mérite un remerciement, simplement quelque chose d'humain, de normal. Mon regard est perdu dans le vide, dans le vide que sont mes pensées à ce moment précis. Je ne sais pas vraiment quoi dire, parce que les mots ne me semblent pas suffisants. Alors je laisse ce silence, pour peser mes mots, pour qu'ils aient assez d'importance. « J'aurai aimé pouvoir faire plus. » Comme si ma phrase s'évanouissait dans le silence, qu'elle s'imprimait dans l'espace et dans nos deux esprits. « J'aurai aimé ne rien avoir à faire du tout. » Sûrement la chose la plus vraie de tout ce que j'ai dit ce soir. J'aurai aimé ne rien avoir à faire, que cela n'arrive pas, pas à elle, pas à personne, jamais. Que la nature humaine ne soit pas ce qu'elle est. Mais rien ne se passe jamais comme on le voudrait, et le monde est loin d'être parfait comme on peut le croire quand on est pas forcément confronté aux autres. « Moi c'est Cole au fait. » Je ne sais pas vraiment pourquoi je lui dis ça, je ne sais pas vraiment quel est le but, peut-être changer un peu de sujet, lui permettre de me connaître un tout petit peu plus, pour qu'elle se sente un peu plus en confiance, un peu plus en sécurité.
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Lisbeth essaie de rester maîtresse d'elle-même, après la peur qu'elle vient d'avoir, et qui la tenaille encore au font de ses entrailles. Elle sait d'aventure que c'est plutôt dangereux pour une femme seule de prendre les transports en commun et se balader dans la rue, surtout la nuit. Et ça ne devrait même pas l'être... Elle sent que la rage pousse doucement la peur en dehors de son corps. Ce n'est pas plus mal, il s'agit d'un sentiment qui rend bien moins vulnérable, au contraire. Elle a la rage de devoir se méfier, elle a la rage d'avoir la peur au ventre et de devoir se réparer encore une fois. Un incident pas très grave, somme toute, sur le plan physique, mais sur le plan psychologique ? Désormais, Lisbeth sait qu'elle y repensera à chaque fois qu'elle prendra le bus. Et même de jour. Elle sentira à nouveau l'odeur presque putride de l'homme qui s'est assis à côté d'elle, à la limite de lui faire des attouchements. Juste parce qu'elle est née femme. Juste parce qu'on la croit faible. Et face à ces situations, oui, elle l'est, Lisbeth... Son sauveur, toujours à deux sièges d'elle, l'informe qu'il s'arrête à Pine Rivers, et Lisbeth laisse échapper un soupir de soulagement. C'est encore après son arrêt. Ca veut dire qu'elle ne se retrouvera pas toute seule dans le bus, et en un sens elle se sent plus à l'aise à cette pensée. ”Ca doit vous coûter cher, en ticket, depuis l'extrémité de Bayside...” lui répond-t-elle. Elle a besoin de faire la conversation, de parler d'autre chose. De se calmer. Impérativement. Le sauveur déclare ensuite à Lisbeth qu'il aurait aimé faire plus, et surtout ne rien avoir besoin de faire. Pour toute réponse, la brunette hoche la tête en fermant les yeux. Son coeur bat de moins en moins fort dans sa poitrine. L'alcool et la peur ne font vraiment pas bon ménage. Mais Lisbeth, elle n'avait pas du tout prévu d'avoir peur, en rentrant simplement chez elle après cette soirée entourée d'artistes de tous horizons. L'inconnu près d'elle se présente sous le nom de Cole, et Lisbeth se met à sourire. Ses paupières se soulèvent, en même temps que ses fesses du siège. Elle se déplace un peu et vient s'asseoir juste à côté du dénommé Cole, pour lui tendre sa main encore un peu tremblante. ”Et moi Lisbeth.” Elle trouve qu'il a une tête à s'appeler Will, quand même. Cole ça lui va moins bien. Au même moment, le bus marque un arrêt. La jeune femme détourne son regard de Cole et voit que l'homme qui l'a importuné descend en titubant du bus. Ils ne sont plus que tous les deux. Le véhicule redémarre, et Lisbeth soupire grassement. Plus de danger. Normalement.
Je sens qu'elle réfléchit, qu'elle pense à tout et à rien, je n'imagine même pas ce qui lui passe par la tête à ce moment précis, dans ce bus, le visage éclairé par intermittence par les lampadaires bordant la route, route qu'elle a du emprunté plus d'une fois sans qu'il ne lui arrive jamais rien, sans qu'elle n'ait jamais peur de rien. Route qu'elle empruntera désormais la peur au ventre. Le sentiment d'insécurité presque débordant, comme si il était trop grand pour son petit corps à elle. Route où à moi, il ne me serait jamais rien arrivé. Cette pensée m'amène un goût amer dans la bouche, celui de la honte, honte d'être un homme, honte d'être une partie de cette humanité, de cette société qui croit avoir la main mise sur les femmes sans qu'elles aient à donner leur avis. Tout dans ce que je viens de voir me révolte. Certains diraient que c'est comme cela qu'on se rend compte de la nature de nos valeurs, de qui on est dans les situations où nous devons aider les autres, mais j'aurai préféré ne jamais découvrir tout ça. J'aurai préféré ne pas savoir quelle serait ma réaction face à une jeune femme subissant ce qui semble faire partie du quotidien de nos jours. Ce qui semble faire partie inévitablement du monde dans lequel nous vivons. Tous pensent qu'on ne peut rien y faire, que les gens sont comme ça, et qu'ils ne changeront pas. Mais je refuse de croire ça, je refuse de penser que cette situation de peur et d'insécurité qui règne chez certains soit inévitable, simplement parce qu'ils sont différents de leur prochain. Je revois les images des coups que j'ai pu voir pleuvoir au cours de ma vie, je revois les agressions homophobes, que j'ai pu vivre, que mes amis ont pu vivre, les agressions de tout genre auxquelles j'ai pu assister, le racisme ordinaire et bien sûr, désormais je revois cette situation, cette jeune femme, la peur au ventre, l'anxiété au bord des lèvres et mon goût amer dans la bouche. J'ose espérer un changement, un jour, j'ose en rêver et penser qu'il est possible que la nature humaine soit plus forte, qu'elle soit meilleure que ce qu'elle nous laisse entrevoir.
Sa remarque sur les tickets de bus me fait rire doucement, c'est vrai que les tickets ne sont pas donné, mais on va dire que j'en ai largement les moyens. Et puis je m'étais toujours dit que j'étais plus en sécurité en prenant le bus qu'en marchant dans rue au milieu de la nuit. Mon sourire s'évanouit de mon visage, quand je me rend compte que je m'étais trompé, en fin de compte. Comme si je ne m'étais jamais vraiment rendu compte que finalement la sécurité pouvait s'envoler, peu importe que l'on soit dans un bus ou non. Elle se rapproche de moi, me tend sa main, se présente. Lisbeth. Je lui souris, attrape doucement sa main et la serre. Elle soupire grassement quand le bus fait un arrêt, et une fois que je tourne la tête, je comprend pourquoi : l'homme vient de sortir du bus. C'est comme si un poids venait de s'enlever de ses épaules. Moi aussi je me sens un peu plus léger, même si ça n'enlève pas vraiment grand chose à la situation dans laquelle nous nous trouvons. « Bon, au moins on sera plus tranquilles comme ça... » Ma façon de dire que c'est déjà ça qu'il soit parti dans un certain sens. « Et pour les tickets de bus c'est sûr que c'est pas donné mais bon avec quelques verres dans le sang voilà quoi ! » Je change de sujet, pour qu'elle puisse penser à autre chose, pour que les choses se détendent.
I am good, I am grounded, Davy says that I look taller. I can’t get my head around it, I keep feeling smaller and smaller. Remember when you lost your shit and drove the car into the garden, And you got out and said I’m sorry to the vines, and no one saw it. ▬Cole & Lisbeth
Le poids qui se trouvait quelque part derrière l’estomac de Lisbeth s’envole littéralement quand l’homme qui l’a importunée descend du bus après l’arrêt de celui-ci. Le véhicule reprend doucement son trajet. Le dénommé Cole, désormais juste à côté de Lisbeth, lance qu’ils seront désormais tranquilles. Elle ne peut qu’acquiescer en haussant les sourcils. Elle a vraiment eu peur, cette fois. Elle n’en est pas à sa première fois de harcèlement dans un lieu public, mais c’est beaucoup plus inquiétant quand ça arrive le soir, quand personne n’est là pour prendre sa défense. Si Cole n’avait pas été là… Lisbeth n’ose même pas imaginer ce que l’homme alcoolisé aurait pu lui faire. Le chauffeur n’aurait certainement pas bougé, son travail est plus important que le reste. Est-il seulement capable d’entendre ce qui se passe dans le bus quand sa petite vitre de contact est fermée, au cours des trajets ? Lisbeth en doute fort. A côté d’elle, Cole ajoute que ce n’est pas grave pour les tickets. Sa dernière remarque fait rire Lisbeth, qui tourne à nouveau la tête vers lui. ”Quelques verres dans le sang ?”, s’enquiert-elle. Elle se demande si son sauveur est, comme elle, sous l’emprise de la boisson après une soirée. Ca ne l’étonnerait pas spécialement, il n’a pas l’air beaucoup plus âgé qu’elle. ”Alors nous sommes deux à être un peu éméchés,” ajoute Lisbeth directement après. Elle peut se détendre, maintenant, et ils peuvent changer de sujet. L’arrêt auquel elle souhaite arriver n’est plus qu’à quelques minutes, et le trafic à l’heure là lui permettra d’arriver rapidement à son domicile. Elle se demande néanmoins si Cole va descendre avec elle à son arrêt à Redcliffe, ou s’il va simplement continuer son trajet dans le bus jusqu’à sa destination à lui.
Elle semble plus légère quand on change de sujet, sa voix se délie, et son corps semble être soulagé d'un poids aussi bien physique que psychologique. Je me doute que ce n'est pas la première fois qu'elle est confrontée à cette situation mais elle a tout de même l'air marquée par ce qu'il vient de lui arriver. Et je ne vais pas mentir, assister à la scène m'a sûrement marqué moi aussi, je ne m'en rend peut-être pas bien compte pour l'instant, mais j'ai tout de même l'impression que quelque chose a changé dans le fond. Peut-être simplement une nouvelle partie de la foi que j'ai en l'humanité qui s'est envolé. Ma remarque sur les verres la fait rire, j'en déduis qu'elle doit sûrement être dans le même cas que moi et ma supposition est confirmée par sa remarque suivante. Je souris à mon tour en rigolant doucement, plutôt soulagé de l'insouciance retrouvée. Avec son rire et le tournant pris par la conversation, je peux enfin voir la jeune femme qu'elle est vraiment, la jeune femme rieuse, qui doit sûrement avoir à peu près le même âge que moi et qui sort s'amuser un soir pour décompresser. « Ça me rassure alors je me sens moins seul. » ajoutais-je en me tournant vers elle, le sourire aux lèvres.
On arrive assez vite à son arrêt, les lumières tamisées des lampadaires de Redcliffe éclaire nos visages, elle commence à se lever et je la suis. Avant même qu'elle ne puisse dire quoi que ce soit, je lui lance d'un ton doux, presque protecteur, sans vraiment savoir pourquoi parce qu'au delà de ce qui lui est arrivé, elle m'inspire une sympathie plus qu'importante, « Je descend à celui là juste parce que je préfère finir à pieds. » Ma façon d'éviter qu'elle se sente coupable d'une certaine façon ou qu'elle essaye de me persuader de rester dans le bus. Le fait de descendre du bus et de sentir l'air frais de la nuit qui fouette mon visage me fait du bien, me réveille, me sort de la chaleur presque oppressante qui était tombée sur moi dans le bus sans que je ne m'en rende vraiment compte. Je glisse mes mains dans mes poches, les yeux relevé vers le ciel pour profiter un instant du moment. Mon regard se repose sur Lisbeth alors que nous commençons à nous mettre en marche. « Tu fais quoi dans la vie sinon ? » Ce n'est même pas histoire de faire la conversation mais vraiment parce que cela m'intéresse.
I am good, I am grounded, Davy says that I look taller. I can’t get my head around it, I keep feeling smaller and smaller. Remember when you lost your shit and drove the car into the garden, And you got out and said I’m sorry to the vines, and no one saw it. ▬Cole & Lisbeth
C’est un nouveau rire léger qui s’échappe des lèvres de Lisbeth quand le dénommé Cole lui dit qu’il se sent moins seul. Le reste du trajet se passe dans un silence ponctué de quelques remarques sans trop d’intérêt. La brunette n’en veut pas à son sauveur, au contraire, elle a besoin de récupérer et de se calmer. Le silence l’aide à cela. L’arrêt visé par la jeune femme finit par arriver, et c’est dans un sourire qu’elle amorce un geste pour se lever de son siège. Elle lance un regard à Cole pour qu’il bouge un peu, car elle doit lui passer devant pour sortir de la rangée, et elle ne voudrait pas heurter ses jambes. Au même moment, il lui lance d’une voix très douce qu’il descend à cet arrêt-là. Lisbeth hausse les sourcils, tout en s’engageant dans l’allée principale du bus pour rejoindre la porte arrière de ce dernier. ”Si je me souviens bien, vous m’avez dit que vous deviez descendre à Pine Rivers, et ce n’est pas la porte à côté...” répond timidement Lisbeth, se doutant que c’est à cause d’elle qu’il se justifie de la sorte. Certes, elle trouve que Cole est très gentleman, de vouloir l’accompagner - si elle ne se trompe pas sur les intentions du jeune homme-, mais Lisbeth estime qu’ils ne se connaissent pas assez pour qu’il se sente obligé de la chaperonner de la sorte. Elle s’approche de l’une des barres verticales juste devant la sortie arrière du bus et s’y agrippe fermement. Sa tête lui tourne encore un peu ; certainement le résultat du trop plein d’émotions auquel elle a dû faire face pendant ce trajet en bus de nuit. Elle est vaccinée pour des semaines, là… Le véhicule s’arrête en douceur, et Lisbeth est la première à descendre. Cole la suit de près, ce qui lui arrache un léger sourire. Il est finalement descendu en même temps qu’elle pour s’assurer qu’elle rentre bien chez elle en toute sécurité. Quelle galanterie. Ils se mettent tous deux en marche, et l’étrange silence nocturne est vite brisé par Cole. Elle relève à peine le tutoiement. Il est en droit de cesser de la vouvoyer, après tout il lui a presque sauvé la vie. Ou du moins sa santé mentale. Lisbeth tourne son visage vers Cole et croise son regard, avant de lui répondre : ”Je suis illustratrice. J’ai la chance de pouvoir vivre d’une de mes passions...” avoue-t-elle dans un murmure. ”Et toi ?” demande-t-elle ensuite à son acolyte.
Je sens qu'elle n'est pas très à l'aise quand je sors avec elle du bus. Du coup, je m'en veux un peu l'espace d'un instant, je n'aurai peut-être pas du l'accompagner, je ne sais pas trop ce que j'étais censé faire ou pas, mais j'aurai du me douter qu'elle n'avait peut-être pas envie que je fasse un petit bout de son chemin avec elle, ou tout simplement qu'elle n'en ressentait pas le besoin. Sa remarque ne fait d'ailleurs que confirmer mon impression. Je ne sais pas vraiment quoi lui répondre parce qu'elle a raison, Pine Rivers n'est pas vraiment à côté en terme de quartier, et je vais mettre plus de temps à pieds qu'en bus c'est certain, alors je me contente de lui sourire, en faisant presque mine que je n'ai pas entendu, et puis sa remarque n'avait pas vraiment l'air d'attendre une réponse de toute manière. Dans un certain sens, ça me fait plaisir de descendre avant mon arrêt, de pouvoir marcher un peu, ça devrait me faire du bien, et puis ça ne m'arrive pas souvent alors autant en profiter. Et puis il ne fait pas froid ce soir, il est pourtant déjà plutôt tard mais l'air est doux, presque annonçant déjà la belle saison qui était sur le point d'arriver. Nos regards se croisent une fois ma question posée, je ne me rend même compte que je l'ai tutoyé, c'est venu un peu malgré moi et j'ai toujours eu un peu de mal avec le vouvoiement de toute façon. Surtout en étant encore sous l'emprise de la came. Elle me répond donc qu'elle est illustratrice, et je souris, sachant qu'elle ne peut sûrement pas voir ce sourire, mais je souris pour moi, parce que je trouve ça drôle, presque une coïncidence, qu'elle exerce un des métiers qui me faisait rêver quand j'étais plus jeune. « C'est vrai que c'est une sacré chance. Je rêvais de faire un métier dans ce genre là quand j'étais gosse. » Je n'oublie pas qu'elle m'a quand même demandé ce qu'il en était pour moi, ce que je faisais moi dans la vie, et comme d'habitude je ne sais presque pas quoi répondre parce qu'il n'y a rien à répondre. C'est toujours un peu honteux dans un certain sens, de se dire au chômage, mais j'ai la chance que les gens pensent la plupart du temps que je suis au chômage parce que je ne trouve pas de travail, parce que les employeurs sont de plus en plus exigeants. J'ai la chance qu'ils ne puissent pas savoir que je n'ai pas fait d'études supérieures, que je n'ai pas de diplômes, et que je ne cherche tout simplement même pas de travail parce que je sais bien que personne ne veut embaucher un camé sans qualifications, ce qui est assez logique dans le fond. Je prend une petite inspiration, avant de me lancer, « J'ai pas de boulot pour l'instant mais bon... J'aimerai vraiment bosser dans l'art si j'en avais l'occasion, ou au moins essayer de faire quelque chose dans ce domaine. » C'est l'un de seul domaine qui plaît d'ailleurs, une des seules choses qui m'attire, qui pourrait me motiver à me lever le matin et à devenir meilleur chaque jour. Et puis je pense à autre chose, en même temps, et je me sens obligé de l'ajouter, ça sort presque malgré moi, « Et puis c'est l'un des seuls domaines où l'on donne sa chance à tout le monde. »
I am good, I am grounded, Davy says that I look taller. I can’t get my head around it, I keep feeling smaller and smaller. Remember when you lost your shit and drove the car into the garden, And you got out and said I’m sorry to the vines, and no one saw it. ▬Cole & Lisbeth
Quand ils se mettent tous deux à marcher dans la nuit noire à peine ponctuée de quelques lampadaires de-ci de-là, Lisbeth est plutôt contente, finalement, que Cole l'accompagne un peu. Certes, elle se sent redevable désormais, mais au moins elle est sûre de rentrer chez elle entière car elle se doute bien que si un homme ou une femme malintentionnée s'approche, Cole fera office de dissuasion, même s'il ne fait rien pour. C'est un truc avec lequel Lisbeth a appris à vivre : l'absence d'homme à son côté. Elle sait d'aventure que la présence d'un homme avec elle a beaucoup plus tendance à effrayer, lorsqu'une femme marche dans la rue. Les potentiels agresseurs se sentent en danger, et moins confiants. Un homme c'est fort, ça frappe. Lisbeth ne sait pas trop si Cole est de ceux-là, mais elle préfère se dire qu'il ne leur arrivera rien. La conversation prend une tournure plus agréable que quand ils étaient encore dans le bus, surtout que Lisbeth peut parler de ce qui la passionne et occupe le plus clair de son temps : son métier. Cole lui apprend que lui aussi fait partie de ceux qui rêvaient étant enfants de travailler dans l'art. Il est vrai que c'est un domaine qui attire, de par sa liaison directe avec les passions des individus. On ne travaille généralement pas dans cette branche pour faire en sorte d'avoir un boulot seulement alimentaire, même si certains métiers de la branche ne touchent pas directement à la création. Une fois que Cole a dit qu'effectivement Lisbeth avait de la chance, et après qu'elle a hoché la tête sans savoir si le jeune homme pouvait voir son mouvement, il reprend sur son activité à lui. ”Dans l'art aussi ? Pour faire quoi exactement ?” s'enquit Lisbeth. Si elle en avait la possibilité, elle lui proposerait de bosser à ses côtés, mais sur quoi et comment ? A sa connaissance, aucune place n'est disponible au salon de tatouage, et il faut déjà s'être fait un certain nom pour se lancer en freelance... Lisbeth doute que Cole ait un portfolio bien rempli, surtout qu'il ne souhaite d'ailleurs peut-être pas du tout se lancer dans la même branche que Lisbeth.
J'ai comme l'impression qu'elle se détend un peu quand je commence à mentionner l'art et surtout la chance qu'elle a d'en avoir fait son métier. Je me sens moi aussi plus à l'aise en abordant un sujet un peu plus léger. Son regard se tourne vers moi, elle me demande ce que je voulais faire en particulier. Bonne question, question à laquelle j'ai plusieurs réponses. Beaucoup de choses avaient pu me passer par la tête, des idées plus ou moins bonnes d'ailleurs. J'avais pensé à l'illustration, comme Lisbeth, mais je dois bien avouer que cela m'était vite passé. Au vu de ce que j'arrive à produire comme qualité et style de dessin, je ne pense pas que l'illustration est vraiment ce qui me conviendrait le mieux. J'aimerai être assez bon pour être un artiste, exposer mes oeuvres dans une galerie, galerie qui pourrait même être la mienne pourquoi pas, pour pouvoir choisir d'exposer ce que je veux, aussi bien mes œuvres que celle des autres. Cette pensée avait quelque chose de réconfortant. Le tatouage était aussi un domaine plutôt attirant. Sûrement parce qu'il était, dans un certain sens, plus accessible que celui des galeries. « Il y pas mal de domaines qui m'intéressent en fait. » Je prends une respiration, appréciant le temps d'une seconde la douceur du froid venant comme caresser mes joues. « J'aimerai beaucoup pouvoir exposer dans des galeries, participer à des expos des trucs du genre... Mais c'est beaucoup de demandes et peu d'élus, je pense pas avoir vraiment assez de talent. » Je la regard en lui souriant doucement, elle même doit savoir que l'art est un domaine exigent, laissant peu de place à la médiocrité ou simplement à ceux pouvant être un peu moins bons que les autres. « Du coup je me dis que quand je me sentirai prêt je pourrai peut-être me tourner vers un truc un peu plus terre à terre, tout ce qui est tatouage peut-être. » Mais pour cela encore faudrait-il que je me sente prêt à avoir un job, à être une personne à peu près normale. Bizarre de penser tout ça, tandis que les effets de la came commencent à quitter mon corps, me ramenant sur la terre avec la même violence que celle d'un parachute défectueux me projetant à toute vitesse sur le sol.
Et ça fait déjà un moment que je vois ce sol se rapprocher de plus en plus. Cette discussion me fait un peu réfléchir, comme à chaque fois que mon esprit commence à s'éclaircir. « Mais je pense pas être prêt pour tout ça. J'espère le devenir un jour mais pour l'instant ça me paraît compliqué. » Mes mains retrouvent leur place dans les poches de ma veste, la tête une peu rentrée dans le col de cette même veste. Je la regarde, reportant mon attention sur elle, le regard bienveillant, avant de lui demander, « Et toi, t'as toujours voulu être illustratrice ? »