Would you help me to find a new way, would you guide me through all this again ? Don't let me slip away, I need you here till the very end, so stay here with me. ☆☆☆
Arrêtant la voiture le long du trottoir au niveau du numéro trente-sept, Hassan avait senti à nouveau un brin d’angoisse papillonner dans son estomac tandis qu’il coupait le moteur. Les doigts de sa main gauche toujours crispés autour du levier de vitesse, il avait observé pendant quelques secondes encore la porte de la maison de Joanne, où la lumière dans le vestibule trahissait la présence de la blonde de l’autre côté de la porte. Il n’était pas naïf, dans cette tentative commune de faire table rase que tous les deux semblaient avoir entrepris, décommander une soirée au dernier moment comme il l’avait fait la semaine précédente lui avait très certainement fait perdre plus de points qu’il n’en avait gagné lorsqu’ils avaient dîné au Black Hide. Et ce qu’il sentait maintenant peser sur ses épaules c’était la pression de devoir se rattraper s’il n’avait pas envie que cette nouvelle tentative se solde par un échec cuisant dont il ne pourrait que se blâmer. Se sentant comme pris sur le fait lorsque la porte de la maison s’était ouverte et le palier éclairé, il avait réalisé que Joanne lui tournait toujours le dos, en grande discussion avec ce que le brun en concluait être la baby-sitter. Retirant les clefs du contact, il avait joué à celui qui venait à peine d’arriver et avait quitté la voiture pour remonter l’allée de la maison, le bruit de ses pas arrivant jusqu’aux oreilles de la blonde qui s’était tournée de trois-quarts vers lui. « Bonsoir. » Bien que la politesse soit adressée aux deux femmes, le regard d’Hassan lui ne s’était pas vraiment détaché de Joanne, à qui il s’était risqué à glisser un « Tu es superbe. » après qu’elle ait définitivement pris congé de la baby-sitter et que cette dernière ait refermé la porte, les laissant tous les deux sur le perron. Voyant le regard de Joanne glisser sur la voiture il avait expliqué « J’étais pas sûr que la moto, tu … enfin, Matteo a bien voulu me laisser sa voiture. » Inutile de créer un malaise chez la jeune femme en la forçant à chevaucher un deux-roues alors qu’elle était vêtue d’une robe. Il avait encore en tête l’air un peu surpris qu’elle lui avait adressé lorsqu’ils étaient sortis du restaurant l’autre soir, en découvrant qu’il ne conduisait plus une voiture mais un deux roues ; Jusque-là il n’avait jamais songé à le mentionner. Peut-être avait-elle pris ça pour un symptôme de pré-crise de la quarantaine, qui sait, mais il valait sans doute mieux cela que d’être plus explicite sur les déboires routiers qui l’avaient amené à abandonner – pour le moment – l’idée de posséder une voiture. La laissant prendre place côté passager, il s’était lui à nouveau glissé derrière le volant, baissant machinalement le volume de la radio pour qu’elle ne soit plus qu’un simple bruit de fond. Les goûts musicaux de Matteo n’étaient pas forcément les siens, mais Hassan n’avait pas l’intention de dérégler les stations préenregistrées par le propriétaire de la voiture ; Il n’aimait simplement pas conduire sans bruit de fond, de la même manière que la télévision était toujours allumée chez lui-même lorsqu’il ne la regardait ou ne l’écoutait même pas. Le bruit de fond, ni plus ni moins.
Tournant au coin de la rue, il avait profité du premier feu rouge pour tourner la tête vers la blonde et lui décrocher un sourire censé briser la glace. Faible sourire en retour, demi-victoire, pas de quoi crier à la réussite. « C’est une tradition française. Le bal des pompiers, du moins c’est ce que m’a assuré la collègue qui m’en a parlé. » Au cas où elle n’aurait pas encore compris qu’il essayait de lui tendre une perche de conversation pour éviter que le trajet n'en devienne malaisant. Peine perdue, pourtant, et c’était surtout le silence qui avait dominé pendant le quart d’heure de trajet qui avait suivi. Les doigts plus crispés sur le volant qu’il ne l’aurait voulu, Hassan oscillait intérieurement entre l’auto-flagellation – c’était lui qui avait annulé leur précédent rendez-vous, après tout – et l’agacement – il n’avait plus le droit au moindre faux-pas, alors ? – et s’était garé sur le parking avec un défaitisme dont il peinait à se raisonner. « Attends, hey … » À peine sortie elle s’apprêtait à s’éloigner du véhicule pour rejoindre l’intérieur et la musique qui s’en échappait déjà, avant qu’il ne l’arrête en l’attrapant par la main. « Je suis désolé, pour la semaine dernière. » Autant mettre les choses à plat maintenant, s'ils espéraient sauver le reste de la soirée et ne pas se morfondre dans leurs rancœurs respectives. « J’avais vraiment envie de te voir, je t’assure, c'est juste que … » Ses lèvres s’étaient pincées avec hésitation « Disons que c’était un jour sans. Je sais que ça doit n’avoir aucun sens dit comme ça, mais je … C’est juste que y’a certains jours où ça va, et d’autre où c'est plus … compliqué. Et ce jour-là ça l’était. » Et comme il le craignait, en le disant à haute-voix il avait l’impression que cela n’avait aucun sens, et que jamais elle ne le prendrait au sérieux. « J’essaye de faire en sorte que ça change, que y'ait de plus en plus de jours avec, et de moins en moins de jours sans, mais je me connais. Et je sais que je ne suis encore pas de bonne compagnie certains jours, j’avais pas envie de t’imposer ça. » Sa mélancolie latente, celle qui lui nouait la gorge et le rendait puis susceptible, moins patient, moins ouvert … Il aurait ruiné la soirée, encore plus qu’en décidant d’annuler, ça il en était quasiment certain. « Laisse-moi une chance de me rattraper. » Il attendait, épaules basses et regard hésitant, la fierté d’un chiot pris en train de faire une bêtise, mais ses doigts refusant malgré tout de lâcher ceux de la blonde.
Ayant toujours bien en tête le message qu'il lui avait envoyé pour annuler leur précédente sortie, Joanne n'était vraiment sereine pour celle qui était prévue cette fois-ci. Elle gardait son téléphone près elle pendant qu'elle se préparait, s'attendant à ce qu'il fasse la même chose. La jeune femme s'était beaucoup interrogée, elle s'était beaucoup remise en question. Peut-être que finalement, le restaurant ne lui avait pas plu. Joanne avait pourtant jouer le jeu, en tenant éloignés loin d'eux les sujets qui pouvaient blesser ou qui pouvaient alourdir l'atmosphère. Ils avaient passé une bonne soirée, et pourtant. Pourquoi était-ce toujours si compliqué ? Joanne se posait encore la question. Elle était jusqu'ici persuadée qu'à partir du moment où elle aurait fait un choix, tout semblerait évident, le chemin serait tout tracé. Mais il n'en était rien. La sonnette retentit dans la maison, faisant sursauter la jeune femme qui était jusqu'ici bien dans ses pensées, face à son miroir. Elle avait fait un effort, tout de même. La jeune femme n'a jamais été dans l'excès en matière de maquillage. Elle venait à peine de finir de parfaire ses boucles blondes. En prenant Daniel dans ses bras, elle rejoignit le rez-de-chaussée pour ouvrir à Suzie, la baby-sitter habituelle. L'étudiante était toujours très arrangeante et elle avait un excellent contact avec le petit. Joanne la payait toujours un peu plus que ce qu'elle demandait en fin de soirée. La petite blonde avait vu une voiture garée devant chez elle, supposant qu'il s'agissait d'Hassan. Elle avait la boule au ventre, et une certaine amertume, aussi. "Je dois y aller." dit-elle à la baby-sitter. Elle embrassa encore une fois Daniel et le câlina quelques secondes en lui précisant d'être bien sage avant d'ouvrir la porte d'entrée. C'était toujours un petit déchirement, ce genre de moments là. Hassan s'était approché entre temps et leur souhaita bonsoir. Une fois qu'ils n'étaient plus qu'eux deux, il se permettait de lui glisser un compliment qui la fit sourire timidement. Voilà qu'il avait changé de véhicule. Joanne se rappelait aisément de la stupéfaction ressentie au moment où elle avait vu le deux-roues du brun. Il n'en avait jamais parlé, jamais mentionné l'envie, et elle ne savait pas comment interpréter ce revirement dans sa vie. Et elle estimait qu'elle n'avait pas vraiment son avis à donner. Joanne restait muette face aux explications d'Hassan, précisant que la voiture n'était pas la sienne. Ils s'y installèrent et le trajet ne fut synonyme que d'un lourd silence entre eux. Hassan avait tenté de démarrer une discussion, mais elle ne le relançait pas. Joanne se demandait s'il fallait faire comme au restaurant, éviter les sujets qui fâchent. Une fois arrivé sur place, avec la musique et l'ambiance joyeuse, tout irait mieux, se disait-elle. Tous les prétextes étaient bons pour espérer que tout aille mieux. Alors Joanne sortait rapidement de la voiture, mais avant qu'ils ne puissent s'approcher de la salle, Hassan lui prit la main. Bien qu'elle lui en voulait, elle l'écoutait avec attention. Elle ne comprenait pas trop cette histoire de jours avec et de jours sans, se disant que tout le monde en avait et que la Terre s'arrêterait certainement de tourner si on annulait tout et n'importe quoi si l'on s'était levé du pied gauche. Alors quoi, c'était encore une autre donnée supplémentaire à prendre en compte pour leurs prochains rendez-vous ? Joanne devinait sans mal qu'il y aurait d'autres sorties d'annulées, en dernière minute. "Tu ne t'es jamais dit qu'au contraire, ça pourrait te faire de bien, de sortir dans ces moments là ? Que cette journée sans devienne une journée avec ?"lui demanda-t-elle alors. Si leur relation se développait, les choses seraient-elles toujours ainsi ? Qu'il se voit comme une fardeau, c'était une chose. Joanne connaissait bien ce sentiment aussi. Et même si Hassan avait jusqu'ici voulu ne pas lui imposer beaucoup de choses, Joanne se disait qu'il était peut-être temps de s'entraider. "Laisse tomber, oublie ce que je viens de dire." souffla-t-elle. Il se connaissait bien mieux lui-même qu'elle, après tout, pas vrai ? Hassan gardait précieusement la main de la jeune femme dans la sienne comme s'il craignait qu'elle ne lui file entre les doigts. Un fin sourire étira les lèvres de la jeune femme. "C'est déjà le cas en m'ayant invitée à ce bal, non ?" Ses traits se radoucirent. Il était connu que Joanne pardonnait facilement. Mais elle n'oubliait pas. Elle aimait laisser des chances aux autres, parce qu'elle était persuadée que l'on ne pouvait se prouver que par un premier tir. Non, il fallait recommencer, encore et encore, suffisamment pour parvenir à cerner la personne. Joanne préférait garder une petite réserve tout de même. Elle ne pouvait pas dire qu'elle ne le connaissait pas, elle ne pouvait pas dire qu'elle ignorait ce que c'était, de passer toute une vie à ses côtés. Ils étaient un peu entre deux et cela compliquait un peu les choses. Joanne emboîta le pas, autant passer à autre chose le plus vite possible, autant fuir les éventuelles sources de conflits. Ils rejoignirent donc la salle où les festivités battaient son plein. Ses iris bleus scrutaient l'ensemble. Le buffet d'un côté, la piste de danse de l'autre. Lorsqu'elle avait vu tout ce qui avait été préparé, elle eut une idée. "Je te laisse admirer les beaux pompiers, je reviens tout de suite." lui lança-t-elle d'un air taquin, espérant que cela aide à alléger un peu l'atmosphère. Elle ne s'absentait que deux minutes, avec deux verres en main. "Je me suis dit que tu aimerais avoir un peu de punch, il paraît qu'il est délicieux." Les liquides de chaque verre était de couleur. Bien sûr que c'était une plaisanterie. "C'est une blague vieille de treize ans maintenant." Une vie entière. Elle rit doucement. "Mais toujours efficace." Elle tendit l'un des verres. "Celui-là est sans alcool." lui assura-t-elle. "Et si on m'a menti, eh bien, je boirai les deux. Quelle dévotion." Elle riait un peu. Ce n'était pas comme si elle conduisait. Ils trinquaient ensemble, le sourire de Joanne restait timide.
Un peu refroidi par le silence que Joanne s’était obstinée à conserver durant tout le trajet en voiture, en semblant totalement ignorer ses tentatives pour alléger un peu l’atmosphère, Hassan en était venu à se demander s’il y aurait quoi que ce soit à sauver de cette soirée qui pourtant débutait à peine. Qu’était-il supposé faire si elle décidait de se montrer aussi peu loquace une fois sur place, et si tel était son projet à quoi bon avoir accepté son invitation ? A moins qu’elle ne soit simplement décidée à le faire ramer artificiellement, comme si la situation n’était pas déjà suffisamment compliquée. Tentant malgré tout d’apporter maladroitement une justification de la dernière chance, il s’était heurté à un manque flagrant de compréhension de la blonde, qui semblant n’y voir qu’un caprice de sa part avait rétorqué fraichement « Tu ne t’es jamais dit qu’au contraire, ça pourrait te faire du bien, de sortir dans ces moments-là ? Que cette journée sans devienne une journée avec ? » Pincé par sa façon détournée de l’accuser de mauvaise volonté, Hassan avait serré les lèvres pour s’éviter de réagir sous le coup de la vexation. « Laisse tomber, oublie ce que je viens de dire. » Trop tard, ce qui était dit était dit. Et un peu amer de voir que Joanne ne le prenait pas au sérieux alors qu’il s’était justement imaginé qu’elle serait la mieux placée pour comprendre, il s’était contenté de répondre – sans doute un peu plus sèchement qu’il n’en avait l’intention « Si c’était aussi simple je m’abrutirais pas de cachets depuis un an et demi pour tenter de régler le problème. » Mais soit, il aurait sans doute mieux fait de s’en tenir à une explication fabriquée probablement plus crédible aux yeux de la blonde, plutôt que de tenter l’honnêteté d’une explication qui n’impliquait que de lui faire aveuglément confiance. Espérer une chance de se rattraper lui semblait alors difficilement envisageable, mais puisque Joanne avait accordé « C’est déjà le cas en m’ayant invitée à ce bal, non ? » Il s’était contenté d’un hochement de tête qui voulait tout et rien dire à la fois, et avait préféré ne rien répondre et clôturer ainsi cette tentative d’explication qui, à ses yeux, relevait plus de l’échec que de la réussite.
Ravalant le brin de mélancolie que venait de provoquer la discussion dans son for intérieur, le brun avait laissé la main de Joanne lui échapper tandis que la jeune femme ouvrait la marche pour les mener à l’intérieur. Lorsqu’elle s’était éclipsée à peine arrivée en prétextant « Je te laisse admirer les beaux pompiers, je reviens tout de suite. » il avait esquissé un sourire pour la forme à sa plaisanterie, mais non sans se demander s’il allait la revoir ou si le tout de suite n’était qu’une excuse destinée à lui faire perdre du temps pendant qu’elle prenait la poudre d’escampette. La perdant néanmoins des yeux tandis qu’elle se faufilait au travers de la foule, Hassan n’avait pas eu d’autre choix que de faire confiance à Joanne et d’attendre son retour tout en laissant ses yeux vagabonder parmi les personnes présentes. A la recherche d’un ou plusieurs visages connus, sans doute, mais dans l’immédiat aucun n’avait retenu son attention et plus rapidement qu’il ne l’aurait pensé Joanne était finalement réapparue, un sourire aux lèvres et un verre en plastique dans chaque main « L’espace d’un instant j’ai eu peur que ce soit toi qui m’abandonne pour un beau pompier. » Esquissant un nouveau sourire cette fois-ci un peu plus naturel, sentant son malaise se dissiper peu à peu, il s’était saisi du verre qu’elle lui avait tendu en annonçant « Je me suis dit que tu aimerais avoir un peu de punch, il parait qu’il est délicieux. » Dubitatif, il s’était demandé si le temps pouvait avoir fait à ce point-là son œuvre pour qu’elle oublie ce genre d’informations, avant qu’un soupir de soulagement ne lui échappe lorsqu’elle avait repris d’un ton malicieux « C’est une blague vielle de treize ans maintenant. Mais toujours efficace. » Laissant échapper un léger rire, Hassan avait secoué la tête en admettant « Et je me suis encore laissé avoir comme un bleu. » et laissé ses narines juger par elles-mêmes de l’absence d’alcool dans le verre que la blonde lui avait tendu. On avait coutume de dire qu’un punch réussi était un punch où l’alcool savait se camoufler, mais pour quelqu’un qui ne buvait jamais impossible de se méprendre. « Celui-là est sans alcool. Et si on m’a menti, eh bien, je boirai les deux. Quelle dévotion. » Son visage affichait un air gentiment narquois « Quel admirable sens du sacrifice. Mais je ne voudrais pas qu’on m’accuse de t’avoir amenée ici pour te faire boire. » Là aussi la plaisanterie – quoi que moyennement drôle à l’époque – aurait un peu eu le goût de réchauffé. Portant finalement le verre à ses lèvres, son regard et celui de Joanne rivé l’un vers l’autre comme attendant le verdict, Hassan avait ménagé le suspense et finalement laissé échapper une grimace dépitée « Je crois que tu vas devoir te dévouer. » Le visage de Joanne traduisant en un quart de seconde l’effet que lui inspirait le fait de s’être trompée, le brun n’avait pas tenu plus de deux ou trois secondes avant de la gratifier d’un petit rire « Tu devrais voir ta tête, c’est presque aussi magique que la première fois. » A farceur, farceur et demi, comme on dit. Dissipant le doute en avalant une bonne gorgée de punch – effectivement non-alcoolisé – il avait balayé la pièce du regard « J’espère que tu te débrouilles toujours aussi bien sur une piste de danse, parce que je comptais un peu sur toi pour me remettre sur les rails et compenser mon côté un peu rouillé. » Elle ne s’en étonnerait pas sans doute, d’apprendre que sans elle ce n’était clairement pas le genre d’activité qu’il avait entretenu.
Ce début de soirée était presque synonyme de catastrophe. Il y avait ce mélange de froideur et d'amertume qui régnait, Joanne ayant un peu de mal à digérer l'annulation de dernière-minute de leur précédent rendez-vous, Hassan peinant à lui faire comprendre les raisons de celle-ci. Ce n'était pas faute d'essayer et la petite blonde ne voulait qu'en savoir plus. Peut-être que la question était mal tournée, peut-être que le ton employé n'était pas le bon, mais son questionnement partait d'un bon sentiment. Hassan ne l'avait clairement pas ressenti de cette façon, étant donné le ton particulèrement sec qu'il avait opté pour lui répondre. Si Joanne était bien sensible à une chose, c'était le changement de tonalité dans la voix. Petite, son père n'avait même pas besoin de trop l'élever lorsqu'il s'agissait de la punir ou de la gronder. Le ton était à peine différent que cela suffisait amplement à la faire fondre en larmes et à lui faire regretter ses quelques bêtises. Là, le tableau était à peu près le même. Rien n'était propice à poursuivre la conversation, à espérer arrondir les coins pour que ça aille. Ces débuts se terminaient sur une mauvaise, faisant alors régner un inconfort et un malaise certain entre eux. Ils étaient tous les deux dépressifs, et le vivaient chacune différemment. La petite blonde n'avait pas de bons ou de mauvais jours. Elle avait un fond de tristesse et de mélancolie quasi constant. Tout ce qu'elle voulait, c'était de comprendre comment il fonctionnait lui. C'était un échec cuisant. Joanne tentait de rattraper les pots cassés, en relevant le fait que son ex-mari voulait se rattraper en l'invitant à ce fameux bal. Mais malgré tout, la petite blonde s'y rendait sans une réelle sérénité. Joanne tentait de ravaler ce mauvais moment et de se dire que ça n'allait pas ruiner le reste de la soirée. Elle était dans cette lancée, depuis le weekend passé avec Ginny, où elle ne devait plus ressasser. Elle n'oubliait pas, mais elle devait arrêter d'y penser constamment. Tout va bien se passer, tout va bien se passer. C'était la phrase qu'elle se répétait alors qu'elle se frayait un chemin dans la foule pour leur chercher des boissons. En revenant, elle ne savait pas vraiment comment interpréter ce qu'il disait. Si c'était véritablement une plaisanterie ou s'il avait véritablement songé à ce qu'elle puisse le laisser en plan en prétextant aller chercher à boire. Et si c'était le cas, il était désormais bien confirmé qu'il n'y avait plus vraiment de confiance entre eux et qu'il y avait véritablement tout à refaire. Il valait mieux pour elle qu'elle ne réponde rien, de peur de faire un nouveau faux pas. Elle lui sourit doucement. Alors autant reprendre un moment qui avait marqué leur relation. Et contre toute attente, Hassan s'était fait totalement avoir, ce qui arracha un sourire bien amusé et fier à la jeune femme. Il comptait bien lui rendre pareille en lui faisant croire que le punch était en fait alcoolisé. Joanne eut un léger vertige, son coeur ratait un battement. Elle était pourtant certaine d'avoir vérifié qu'il n'y avait pas d'alcool dans son verre. Elle rit doucement avant de boire quelques gorgées de sa boisson. Hassan confiait ensuite qu'il n'avait plus danser depuis bien longtemps et qu'il comptait beaucoup sur elle pour ça. Parce qu'il savait que, aussi timide pouvait-elle être, Joanne adorait danser. "Rouillé ? Vraiment ?" lui demanda-t-elle les yeux pétillants, un sourcil arqué. Elle finit son verre, peut-être un peu trop rapidement, puis lui prit la main afin de l'emmener sur la piste de danse, qu'importe s'il avait fini son verre ou non. "C'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas." lui assura-t-elle. Mêlés aux autres, il faisait particulièrement chaud. Le DJ qui animait la soirée semblait avoir un large répertoire, mettant des morceaux des années disco, tout comme des plus actuels. Joanne était véritablement lancée une fois qu'on le se mit à jouer Footloose, elle adorait cette chanson là. Elle invitait Hassan à se dévergonder un peu plus, étant beaucoup moins serein et certain de ses pas. Elle le prenait par les mains, échangeait des regards et des sourires avec lui. Joanne s'amusait, elle lâchait un peu prise, même si ce n'était que pour quelques minutes. Oublier tous les petits soucis, tout ce qui avait pu ruiner le début de la soirée. La musique devint bien plus douce quelques morceaux plus tard. C'était typique, durant n'importe quelle soirée. Là, tout le monde se mettait deux par deux pour danser, tous les couples et les couples en devenir. La magie des slows. Joanne posait ses mains sur ses épaules et se rapprochait un peu de lui, le sourire aux lèvres. Peut-être que le punch était particulièrement arrosé pour qu'elle se sente aussi à l'aise. Mais la boisson était tellement sucrée que ça ne se sentait même pas. "Comme le vélo, je te l'avais dit." lui dit-elle tout bas avec un sourire satisfait. Leur danse ne se résumait qu'à un léger balancement, un peu comme tout le monde, à vrai dire, tous essoufflés par les danses précédentes. "Si tout reprend de plus belle après la chanson là, je pense que j'aurai besoin de boire quelque chose de nouveau." dit-elle en riant. La température était rapidement montée dans la salle, aussi grande puisse-t-elle être. Il y avait de plus en plus de monde, la piste de danse s'élargit bien au-delà des parquets qui avaient été installés. Joanne lui souriait avec une certaine tendresse, elle passait un bon moment avec lui. "Je te mentirai si je te disais que je n'attends pas secrètement, et avec impatience, la Macarena" dit-elle avec un rire un peu nerveux. Mais ça, il devait certainement s'en douter. "Mais si ça reste juste comme ça l'est maintenant, ça me va aussi." reprit-elle avec une voix plus douce. Une musique calme, une danse lente, quelques regards. Ils avaient tous les deux besoin de cette douceur là, tous les deux.
Bien que totalement placebo puisque dépourvu d’alcool, le verre de punch que lui avait ramené Joanne donnait à Hassan l’impression de l’aider à se détendre un peu, et à laisser dehors ce qui avait entaché le début de la soirée. Le brun était doué pour ce genre de choses, compartimenter les émotions, sans doute bien plus que son ex-femme, et bien que pétri d’angoisse et de déception à l’idée de devoir jouer la même comédie avec elle qu’avec les autres pour espérer trouver encore grâce à ses yeux, il avait décidé de remettre ce questionnement profond à plus tard. À un autre moment que ce soir. Le nez dans son verre et les épaules se dénouant peu à peu, il s’était laissé inspirer par la musique et par les occupants de la piste de danse pour pousser la blonde à prendre les commandes de la suite des évènements. Elle aimait véritablement cela, danser, quand Hassan se contentait lui d'avoir suffisamment le sens du rythme pour savoir se mouvoir sans faire honte à sa partenaire mais sans pour autant être très friand de la chose. « Rouillé ? Vraiment ? » Le sourire narquois prouvant à Hassan qu'il avait réveillé l’instinct de Joanne, il s’était laissé entraîner sans résistance par la jeune femme, qui terminant son verre cul-sec avait assuré « C’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas. » comme pour parer à un éventuel changement d’avis de la part du brun. Bien loin de cela pourtant, Hassan avait terminé lui aussi son verre et s’était laissé mener au milieu des autres occupants de la piste de danse un fin sourire aux lèvres. Danser en compagnie de Joanne était facile, ou tout du moins elle parvenait à rendre cela facile ; Elle savait vous guider, vous donner un rythme, et vous transmettre un peu de sa satisfaction à être là. Cela faisait partie des rares occasions où elle semblait se délester de ses hésitations et de sa timidité, et cela lui conférait une assurance qui la rendait particulièrement séduisante.
Suivant ses pas, saisissant parfois ses mains, la faisant tourner à quelques occasions et laissant son rire se mêler parfois à celui de Joanne avec légèreté, il avait accueilli avec candeur le changement de rythme imposé par le nouveau morceau qui débutait, liant par deux bon nombre des occupants de la piste de danse. Une occasion pour tout le monde de reprendre son souffle autant que ses esprits, les mains de Joanne accrochant les épaules d’Hassan alors que celles de ce dernier allaient se croiser derrière la taille de la jeune femme. « Comme le vélo, je te l’avais dit. » Les lèvres du brun s’étirant en un nouveau sourire, il avait fait valoir « J'ai eu un bon professeur. » et accompagné la réflexion d’un clin d’œil espiègle. Le tempo plus lent et l’instrumentalisation plus douce de la musique avaient plongé la pièce dans une torpeur agréable, et reprenant avec légèreté la blonde avait remarqué « Si tout reprend de plus belle après la chanson là, je pense que j’aurai besoin de boire quelque chose de nouveau. Je te mentirais si je te disais que je n’attends pas secrètement, et avec impatience, la Macarena. » Laissant échapper un léger rire Hassan avait secoué la tête en questionnant d’un ton faussement surpris « Tiens donc, pourquoi ça ne m’étonne pas ? » Probablement parce que contre toute attente – mais heureusement – il restait encore certaines choses qui ne changeaient pas. « Mais si ça reste juste comme ça l’est maintenant, ça me va aussi. » Le regard qu’ils avaient échangé durant peut-être une fraction de seconde de plus que les précédents, le brun avait penché légèrement la tête sur le côté « Ce qui sous-entendrait que mon potentiel est équivalent à celui de la Macarena, tu m’en vois flatté. » Arborant un regard amusé, Hassan laissait parfois sa tête se balancer lentement au rythme du standard ultime que représentait Moonriver, et alors que la mélodie arrivait à sa conclusion il avait saisi Joanne un peu plus fermement par la taille et l’avait faite basculer en arrière avec douceur, les suspendant quelques instants dans cette position avant que la fin du morceau ne laisse place à un suivant.
En lieu et place d’un autre standard ou de la très attendue Macarena, un morceau de zouk n’inspirant à Hassan qu’un dépit relatif avait pris le relais, lui permettant de rendre à Joanne sa liberté de mouvement et de faire remarquer d’un ton plein d’une exagérée désolation « Je suis sûr que j’étais à ça de surpasser la Macarena, c’est trop bête. » Plissant le nez d’un air faussement boudeur, il avait saisi la main de Joanne pour la mener hors de la piste de danse et leur octroyer une pause rafraîchissement. Alors qu’ils faisaient leur choix du côté du buffet des boissons, le brun avait vu son attention accaparée par la machine à barbe à papa derrière laquelle un adolescent rouquin avec un nez en trompette s’occupait de confectionner des boules de coton sucré aux couleurs pastels. « Tu te dévoues pour en manger avec moi ? Je vais droit vers l’overdose de sucre si je mange tout ça à moi tout seul. » Mais elle lui faisait vraiment envie, et c’était un peu l’éternel dilemme auquel il se confrontait à chaque fois. « C’est pile ce qu’il nous faut pour reprendre des forces avant de repartir dans la bataille. » C’était là le seul argument valable qu’il venait de trouver, l'espérant suffisant en y ajoutant un soupçon de regard de chien battu. « Un verre, une barbe à papa et un petit tour dehors pour prendre l'air, il fait une de ces chaleurs … » Allez Joanne, dis oui que susurrait la voix d’Hassan dans sa propre tête avec l’espièglerie dont il savait parfois faire preuve et que Joanne n’était pas sans connaître sur le bout des doigts.
Mêlée à la foule, Joanne avait toujours été persuadée que personne ne la voyait, que personne ne la remarquerait. Avec quelques gouttes d'alcool en plus dans le sang, elle mettait un petit peu sa timidité et son côté réservé de côté pour véritablement s'amuser. Bien que la danse n'était pas ce qu'il préférait, Hassan avait suivi Joanne et l'accompagnait, avec comme un sourire de satisfaction sur ses lèvres. Ce n'était pas grand chose. Juste quelques pas, quelques mouvements avec les bras. A force d'avoir eu des cours, la petite blonde s'était dotée d'une assurance et d'un peu grâce – bien plus qu'elle ne saurait jamais l'admettre. La musique devenait ensuite plus douce, ce qui leur laissait le temps de reprendre leur souffle et de discuter un peu. Un moment de douceur, assez simple en soi. "Ce n'est pas moi qui t'ai tout appris non plus." répondit-elle en riant, en arquant un sourcil. "Je n'ai fait que... que de mettre en avant tout ton potention, en toute modestie." La mine exagérée, un large sourire aux lèvres, la petite blonde riait de sa plaisanterie. Parce que c'était bien le fait que cette phrase ne lui ressemble absolument pas qui rendait le tout assez comique. A ses yeux, il y avait quelques chansons qui étaient indispensables pour passer une bonne soirée de ce genre. Ce n'était plus vraiment un secret pour Hassan, il la connaissait bien, après tout. Et même si elle avait changé sur beaucoup de points, il y avait quelques aspects de sa personnalités qui n'avaient pas changé au fil des années. "A la hauteur de la Macarena, quel honneur." lui souffla-t-elle avec un large sourire amusé. A la fin du morceau, Hassan fit délicatement basculer la petite blonde en arrière, comme toute bonne fin de slow qui se respecte. Il fallait avouer que la musique suivante cassait un petit peu l'ambiance et que le style choisi n'était clairement pas leur tasse de thé. Hassan avait pris sa main afin de l'extirper de la foule dansante. Et rien que de sortir de ce concentré de monde octroayait déjà une belle bouffée d'air pour la jeune femme, bien que la chaleur dans la salle ne faisait qu'augmenter au fil des minutes. Elle avait l'impression qu'il y avait encore plus de monde qu'avant. C'était l'occasion idéale pour aller se désaltérer et peut-être manger un petit quelque chose. Joanne allait volontiers reprendre un verre de punch – elle n'aimait de toute façon pas mélanger trop d'alcool en une seule soirée. Sans grande surprise, Hassan avait repéré la machine à barbe-à-papa et adorerait en manger une. Le regard du brun devenait alors comme celui d'un enfant qui rêvait d'avoir un jouet bien spécifique, presque comme si sa vie en dépendant. De véritables puppy eyes qui feraient craquer n'importe qui. "Tu as peur de frôler l'hypoglycémie ?" demanda-t-elle en plaisantant, juste pour le taquiner un peu. "Va pour une barbe-à-papa, alors." Ce n'était pas comme s'il avait foncièrement besoin de son accord. Joanne en mangerait, c'était certain, mais ce serait bien mins que la moitié. De son côté, elle récupéra son verre de punch et une fois la barbe-à-papa faite, ils se rendirent à l'extérieur. L'air y était bien plus frais, suffisamment pour que Joanne ait envie de remettre son gilet sur les épaules. Elle restait la frileuse qu'elle était après tout. Elle piquait de temps en temps du bout des doigts un peu de la friandise que tenait Hassan pendant qu'ils marchaient d'un pas lent autour du bâtiment. Parfois, il n'y avait pas grand chose à dire. La fête battait son plein à l'intérieur et il était certain qu'elle manquait des chansons qu'elle devait beaucoup aimer. Mais un peu de calme ne lui faisait pas de mal. Elle échangeait parfois quelques regards, quelques sourires avec lui. Il fallait dire que la boisson de Joanne était bien plus alcoolisée qu'on ne pourrait le sentir et elle commençait à en ressentir quelques effets. Rien de bien extravagant. Mais il y avait cette sensation de légèreté, de détachement, une légère desinhibiton, aussi. Ils finirent par s'asseoir un petit muret. Joanne n'avait jamais été la plus douée pour trouver de nouveaux sujets de conversation. Elle avait principalement son travail et son fils en tête et elle n'était pas certaine s'il voulait entendre parler soit de l'un, soit de l'autre. Elle s'était toujours demandée comment Hassan pouvait percevoir le petit, s'il avait trouvé un positionnement, ou s'il préférait rester en retrait et trouver une solution lorsqu'il n'aurait plus le choix. Daniel faisait partie de l'équation, il devait en avoir conscience. Et jusqu'à ce jour, Joanne n'avait trouvé aucune alternative pour que le tout puisse fonctionner en harmonie. Ce n'était certainement pas encore à l'ordre du jour. "J'avais repris les cours de danse de salon." finit-elle par dire, ne sachant quoi dire d'autre. "J'avais arrêté après le divorce, et j'avais repris l'année dernière. J'ai même sympathisé avec un homme qui était devenu mon partenaire habituel, Wesley. Mais j'avais arrêté, parce que je culpabilisais beaucoup vis-à-vis de Daniel, et comme je quitter le musée assez tard en ce moment, j'aurais de toute façon louper les cours. Mais Wesley réserve de temps en temps une salle et nous nous y retrouvons de temps en temps. C'est vraiment un gars bien. Excellent cuisinier et raide dingue amoureux de son compagnon, ça fait très cliché dit comme ça, mais c'est pourtant bien vrai." dit-elle en riant sur la fin. Il était finalement devenu un bon ami de Joanne, avec le temps. "Mais ça m'a fait du bien, de reprendre une activité que j'avais durant des années." Ca et les visites hebdomadaires chez le psychologue lui avaient certainement été d'une grande aide, mais il y avait eu aussi tout ce weekend passé avec Ginny, qui l'avait poussé dans ses retranchements, qu'elle reprenne sa vie peut-être d'une autre façon. Le processus restait tout aussi lent, avec quelques embûches, mais Joanne avait l'étrange impression de mieux y arriver avec cet élan supplémentaire. Elle vida son verre de punch. "J'ai envie d'aller mieux et je me dis que, j'ai déjà beaucoup d'outils en main pour y parvenir." lui dit-elle avec un sourire discret. "J'ai de nouveau un travail, sur un poste qui me plaît et dont les missions sont plus qu'intéressantes, j'ai un fils qui grandit merveilleusement, j'ai l'impression de voir un peu plus de monde comparé aux derniers mois. Tout ne se fait pas en un claquement de doigts, mais à la longue, je me dis que je n'aurais peut-être pas du désespérer à ce point." confessa-t-elle avec un rire nerveux. S'il y avait quelque chose d'autre à savoir, c'était que l'alcool rendait Joanne particulièrement honnête, et franche. "Et puis, on est en train de s'accorder une chance, là, tous les deux, malgré tout. C'est déjà bien plus que je ne l'aurais espéré." dit-elle avec un sourire encourageant. Joanne s'était pendant longtemps persuadée qu'en voyant à quel point elle avait changé, Hassan ne voudrait plus tenter quoi que ce soit avec elle. "Je dois avouer que j'aurais encore besoin d'une chose." avoua-t-elle après un petit moment de réflexion. "C'est d'avoir des nouvelles de Sophia. Je ne demande pas à la revoir, même si j'adorerais, mais un message, un coup de téléphone, n'importe. J'aimerais juste savoir si elle va bien."
Il y avait toujours eu une certaine complémentarité dans le duo que Joanne et Hassan formaient sur une piste de danse. La blonde possédait la technique, le brun la capacité à se laisser aller en oubliant totalement ce qui l’entourait ; Et ce soir-là encore, quelques minutes lui avaient suffit à ne plus rien voir d’autre que Joanne, comme si elle et lui étaient seuls au milieu de nulle part, et non pas au milieu de la foule compacte qui s’était lancée sur la piste de danse. « Ce n'est pas moi qui t’ai tout appris non plus. Je n'ai fait que … que mettre en avant tout ton potentiel, en toute modestie. » La réflexion autant que l'air exagérément sérieux de Joanne avaient arraché au brun un léger rire, que la mention de la Macarena avait mué en un sourire espiègle « À la hauteur de la Macarena, quel honneur. » Se laissant l’un et l’autre finalement porter en silence par le rythme plus doux de la mélodie qui avaient suivi, ils avaient quitté la piste à la fin du morceau et rejoint main dans la main le buffet pour s'accorder une pause. L’appétit d’Hassan allant souvent de paire avec son humeur, il avait soudainement trouvé un intérêt particulier pour la machine à barbe à papa qui tournait à plein régime à l’une des extrémités du buffet ; Bien qu'en toute objectivité il soit ici plus question de gourmandise que d’appétit à proprement parler. Et comme pour chaque démonstration de gourmandise il s’agissait de ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre. « Tu as peur de frôler l’hypoglycémie ? » S’était gentiment moquée Joanne lorsqu’il avait proposé de partager, et dodelinant la tête en répondant « Quelque chose comme ça, oui. » il s’était fendu d'un nouveau sourire plein de satisfaction lorsque la blonde avait adopté ce petit air qu’elle avait toujours lorsqu’elle était sur le point de céder, acquiesçant finalement « Va pour une barbe à papa, alors. » Avec presque autant de satisfaction que s'il avait eu trente ans de moins, Hassan en avait donc commandé une qu’il avait choisie verte, et finalement accompagné Joanne – elle-même armée d’un nouveau verre de punch – tous les deux étaient allés s’aérer un peu à l’extérieur, le brun accueillant avec un léger soupir de soulagement la fraîcheur de l'air et le niveau sonore drastiquement redescendu de plusieurs décibels.
Laissant sa barbe à papa à portée des doigts de la blonde pour qu’elle puisse se servir quand bon lui semblait, il l’avait laissée mener leur route jusqu’à un muret où l’un et l’autre avaient fini par s'asseoir. Joanne semblait songeuse, et parce qu’il n’osait pas vraiment interrompre le fil de ses pensées il s’était contenté d’arracher un nouveau bout de nuage en sucre et de le porter à ses lèvres en tentant d’éviter à ses doigts de devenir collants. « J’avais repris les cours de danse de salon. » avait-elle finalement fait savoir lorsque son esprit était revenu parmi eux. « J’avais arrêté après le divorce, et j’avais repris l'année dernière. J'ai même sympathisé avec un homme qui était devenu mon partenaire habituel, Weasley. Mais j’avais arrêté, parce que je culpabilisais beaucoup vis-à-vis de Daniel, et comme je quitte le musée assez tard en ce moment, j’aurais de toute façon loupé les cours. Mais Weasley réserve de temps en temps une salle et nous nous y retrouvons de temps en temps. C’est vraiment un gars bien. Excellent cuisinier et raide dingue amoureux de son compagnon, ça fait très cliché dit comme ça, mais c’est pourtant bien vrai. » Lui arrachant un sourire, la révélation avait presque réussi à lui soutirer une réflexion sur le fait qu’il en connaissait un autre, lui, qui se défendait bien en cuisine et n’avait eu d’yeux que pour sa moitié, mais de peur d’être présomptueux sans doute il avait préféré garder cette pensée pour lui, et avait plutôt laissé Joanne conclure « Mais ça m’a fait du bien, de reprendre une activité que j’avais durant des années. » Il avait agité la tête d’un air compréhensif, ne sachant que trop bien ce qu’elle voulait dire. « Je comprends, ça m’a fait un peu le même effet de reprendre le rugby … Au départ j’ai eu peur que ce soit une mauvaise idée, mais finalement c’était un bon moyen de m’aérer l’esprit. De me vider un peu la tête. » Et dieu sait que tout ce qui permettait ce simple fait était bon à prendre actuellement. Le ton toujours empreint d’une certaine douceur, le brun avait repris « Et puis tu as toujours l’air tellement … apaisée, quand tu danses. Plus légère. Tout à l’heure aussi. » Un fait qui avait sauté aux yeux d’Hassan, probablement parce qu’il n’avait pas eu l’occasion de voir Joanne comme ça depuis ce qui lui semblait être une éternité. C’était presque le cas. Et ce n’était pas simplement l’effet du punch, ça il en était certain.
Ce n'était pas forcément chose facile, la position dans laquelle ils se retrouvaient tous les deux n'était pas des plus simple : avouer ce qui n’allait pas, ou simplement avouer que ça n’allait pas, d’ailleurs. A une époque cela n’aurait pas été aussi difficile parce qu’ils se disaient tout – ou presque – mais aujourd’hui l’impression de pouvoir tout dire à l’autre avait été remplacée par une impression de ne pas pouvoir laisser transparaître à l’autre ce qui clochait, ce qui n’allait pas, ce qui ne tournait pas rond. Par peur du jugement, peut-être, ou simplement par peur de se tirer une balle dans le pied dans cette tentative timide de recoller les morceaux. Sa première tentative, sur le parking, s’était soldée par ce qui ressemblait à un échec, aussi avait-il été un peu surpris d’entendre maintenant Joanne lui avouer « J’ai envie d’aller mieux et je me dis que, j’ai déjà beaucoup d’outils en main pour y parvenir. J’ai de nouveau un travail, sur un poste qui me plaît et dont les missions sont plus qu’intéressantes, j’ai un fils qui grandit merveilleusement, j’ai l’impression de voir un peu plus de monde comparé à ces derniers mois. Tout ne se fait pas en un claquement de doigts, mais à la longue, je me dis que je n’aurais peut-être pas du désespérer à ce point. » Lui offrant un sourire bienveillant, Hassan avait acquiescé avec douceur « Bien sûr, qu’il ne faut pas désespérer. Je crois que c’est simplement plus difficile de faire preuve d’optimisme pour soi-même que pour les autres … ça demande un plus grand travail sur soi. Et de la volonté, et tu donnes l’impression d’avoir enfin trouvé où la puiser. Tu as fait le plus dur, dans un sens. » Impossible pour lui de savoir où au juste, chez autrui ou bien simplement chez elle-même, mais peu importe … C’était le résultat, l’important. « Et puis, on est en train de s’accorder une chance, là, tous les deux, malgré tout. C’est déjà bien plus que je ne l’aurais espéré. » L’aveu secouant un peu son estomac et l’emplissant d’un brin de fébrilité, le brun avait esquissé un sourire un peu plus timide que les précédents, mais pas moins sincère « Moi aussi … J’veux dire, c’est au-delà de ce que je me pensais en droit d’espérer. Et ça compte, beaucoup … Même si je sais que j’envoie pas toujours les bons signaux. » A une époque il n’aurait eu aucun mal, à une époque il avait eu le cœur sur les lèvres et aucun mal à mettre des mots sur ses sentiments. Aujourd’hui il se sentait comme un jouet cassé qu’on n’était pas encore parvenu à réparer. « Je dois t’avouer que j’aurais encore besoin d’une chose. » avait finalement repris la jeune femme, Hassan lui adressant un regard curieux « C’est d’avoir des nouvelles de Sophia. Je ne demande pas à la revoir, même si j’adorerais, mais un message, un coup de téléphone, n’importe. J’aimerais juste savoir si elle va bien. » Lui n’avait jamais vraiment osé questionner Joanne à ce sujet. Elle lui avait seulement dit que Sophia ne faisait plus partie du paysage, et lui n’avait pas eu le cran de poser plus de questions, persuadé que la blonde estimerait que cela ne le regardait pas … Est-ce que Sophia était allée jusqu’à lui révéler la manière odieuse dont il s’était comporté avec elle, pour qu’elle le laisse tranquille ? « Je ne savais pas qu’elle t’avais laissée sans nouvelles … Je pensais, je sais pas, je croyais que tu savais où elle était. » Ou au moins qu’elle l’aurait appris depuis l’époque où elle l’avait mentionné. « Il s’était passé quelque chose de particulier, avant son départ … ? » Il ne savait même pas réellement de quand datait le dit départ. « J’aurais bien aimé la revoir, aussi. Je lui dois des excuses. » Et il aurait aimé pouvoir les lui présenter en bonne et due forme. Pas seulement pour soulager sa propre conscience, mais aussi pour qu’elle sache qu’il ne pensait pas le quart de ce qu’il lui avait jeté à la figure lors de leur dernière discussion. Elle ne méritait pas les mots tranchants qu’il avait eu à son égard.
Les oreilles de Joanne sifflaient un peu une fois qu'elle était en dehors de la grande salle. On avait toujours un peu de mal à trouver le juste volume pour ne pas dégrader l'ouïe de toute le monde, mais aussi que tout le mone puisse entendre la musique malgré le brouhaha. La jeune femme aimait beaucoup ce genre de soirées, mais elle appréciait le calme tout autant, alors avoir un moment éloignée de cette source de bruit. C'était encore mieux avec de quoi se désaltérer et grignoter. Joanne piquait de temps en temps un peu de barbe-à-papa, à petite dose. Elle adorait cela, mais elle avait peur de trop en prendre et de ne plus rien laisser à Hassan. Ils avaient par s'asseoir tous les deux sur un muret. L'alcool dénouait la langue de la petite blonde et semblait plus ouverte à parler de choses particulièrement personnelles. Hassan connaissait très bien à quel point Joanne aimait la danse, qu'elle en avait toujours un peu, de près ou de loin. C'était son élément, bien qu'après le divorce, la perte de confiance en soi ait grandement lésé son aisance, finissant par douter de ses propres capacités. Avoir repris la danse après tout ceci était une étape particulièrement importante pour elle. Qu'elle ait accepté de s'accorder un moment pour elle. Elle ne se le permettait plus vraiment depuis qu'elle travaillait au QAGOMA, culpabilisant énormément à l'idée même de penser un peu à elle-même et de ne pas passer assez de temps avec Daniel. Le brun avait eu à peu de choses près le même ressenti lorsqu'il avait repris le rugby. Cela faisait toujours gentiment sourire Joanne, à chaque fois qu'elle se rappelait combien leur activité sportive respective était à l'opposé de l'autre. Elle acquiesça d'un signe de tête en écoutant ce qu'il disait, étant bien d'accord avec lui sur les effets positifs de cette reprise en main. "Tu es sûr que ce n'est pas plutôt l'effet de l'alcool que tu as vu tout à l'heure ?" lui demanda-t-elle d'un air taquin, en portant le verre à sa bouche pour en boire une gorgée. "Parce qu'il est quand même sacrément corsé." Mais au regard appuyé qu'il lui lançait, Hassan se faisait bien comprendre. Joanne, timide, sourit nerveusement tout en baissant la tête. "Après je dois avouer que ça fait longtemps que je n'y suis pas retournée. Mais je n'ose pas vraiment, vis-à-vis de Daniel." reconnut-elle, avec un vague haussement d'épaules. "C'est peut-être bizarre, dit comme ça, mais j'ai toujours peur qu'il finisse par m'en vouloir. Certains trouveraient ça absurde, qu'un petit garçon d'un et demi puisse ressentir une certaine rancoeur envers sa mère, mais ça reste une idée dont je n'arrive pas à me défaire. Les semaines dont déjà bien chargées, je l'emmène tôt le matin à la crèche pour le récupérer assez tard le soir." Et Joanne n'avait d'yeux que pour son fils et même si elle commençait à en avoir l'habitude, il y avait toujours parfois des matins où elle partait le coeur serré après avoir déposé le petit à la crèche. Elle se demandait si elle parlait trop de lui, si cela agaçait Hassan. D'un sens, ça lui brûlait les lèvres de lui demander comment lui voyait les choses par rapport au petit, s'il était véritablement prêt à l'accepter, en quelque sorte. Elle se le demandait tous les jours. La situation était assez délicate à ce sujet. Puis, au fur et à mesure, la conversation devenait de plus en plus intime, de plus en plus personnelle. Parler des problèmes que Joanne avait parfois bien du mal à trouver les bons mots pour se faire comprendre. Encore une fois, le punch y était encore pour quelque chose. "Je ne suis pas certaine d'avoir fait le plus dur." lui répondit-elle avec un sourire quelque peu forcé. "On va dire que c'est plutôt la partie immergée de l'iceberg. Il y a encore tout le reste à régler." Parce qu'il y avait tout ce qui était visible, tout ce qui était constaté par une personne extérieure. Mais peut-être même Hassan ignorait tout ce qui pouvait encore la tracasser derrière tout ceci. Ce n'était parfois que des détails, mais l'esprit de Joanne avait le don de toute amplifier, de tout empirer. Il y avait même encore des choses à régler par rapport à lui, mais Hassan semblait tenir à mettre de côté tous leurs différends de côté lorsqu'ils avaient convenu de faire quelques sorties ensemble. Et Joanne ne pouvait définitivement pas vivre avec ça indéfiniment. Elle tentait, pour lui, de faire preuve d'optimisme et d'engouement. Elle s'avouait chanceuse du fait qu'ils se permettent au moins d'essayer, de voir ce que ça donne tous les deux. Hassan semblait être tout aussi ravi de cette opportunité. En l'écoutant, Joanne lui souriait avec une certaine tendresse. Il reconnaissait qu'il avait du mal à envoyer les bons signaux comme il le disait. Mais il n'en pensait apparemment pas moins. Il était vrai que, durant leurs années passés ensemble, il n'avait jamais eu aucun problème pour exprimer ses sentiments, que ce soit par les mots, les gestes et les attentions. Ils devaient tout réapprendre de l'un l'autre, finalement. S'il y avait bien une chose qui manquait à Joanne, c'était des nouvelles de sa meilleure amie. Hassan semblait surpris que la blonde ne sache finalement rien de ce départ inexpliqué et précipité. Elle secoua négativement la tête bien tristement. "Je ne sais pas où elle est, ni pourquoi. Il y avait déjà eu une fois où elle voulait partir, elle me disait que c'était des problèmes de coeur, ça n'allait pas trop. Et c'était juste au moment où j'avais appris que j'étais enceinte. Sur le coup, c'était un argument de taille pour qu'elle reste, mais ça n'a pas fait long feu." Joanne soupira. Bien sûr qu'elle devait aussi manquer à Hassan, ils formaient une sacrée bande à l'époque, avec Rhett. "Des excuses ?" lui demanda-t-elle, interloquée, les sourcils légèrement froncés. Elle ne voyait pas de quoi il pouvait bien parler. Elle finit son verre de punch et déposa le gobelet à côté d'elle. Un long moment de silence s'imposa, avant que Joanne ne reprenne. "Je vais paraître idiote, et certainement beaucoup trop dans le drama, mais j'ai parfois l'impression d'être celle qui est toxique, tu vois ?" Elle parlait à voix basse, elle avait le coeur bien serré dans sa poitrine. "Il y a eu d'abord Reever, puis toi même si c'était pour d'autres raisons, je n'ai plus de nouvelles de Rhett, puis Sophia, puis Jamie, je n'ai plus franchement de contact avec ma soeur, avec mes parents, on essaie de se parler un peu, mais j'ai du mal." Joanne, bien que triste sur le moment, souriait. "Ca me fait penser à ces personnages typiques de films, tu sais, la personne qui est trop toxique et où tout le monde réalise qu'il vaudrait mieux rester loin d'elle pour aller mieux." Celle qui pensait bien faire, mais qui en fait, ne faisait que tout empirer. C'était typiquement Joanne. Elle haussait les épaules. Elle se savait maladroite, elle savait qu'elle avait fait beaucoup d'erreurs et qu'elle en ferait encore, c'était un fait qu'elle avait fini par accepter. Mais à force, elle n'osait plus vraiment faire quoi que ce soit et cela ne l'aidait pas vraiment lorsqu'il s'agissait de faire des choix, prendre des décisions importantes. Au contraire, ce sentiment avait certainement tout accru. "C'est juste qu'à force de voir tout le monde partir ou s'éloigner, je me remets beaucoup en question." dit-elle en relevant la tête en sa direction. "En ce moment, j'essaie de me dire que ce n'est peut-être pas plus mal, de se remettre en question. Il paraît que ça aide à avancer." L'exercice de trouver le bon côté de toutes ces choses était difficile, mais Joanne tentait de faire au mieux, d'essayer de ressortir quelque chose de positif. "Désolée d'avoir miné l'ambiance, ce n'était pas mon intention." dit-elle avec un rire nerveux. Mais elle comptait bien vite passer cette petite inerlude un peu plus triste pour retrouver l'ambiance qu'il y avait avant cela. Joanne arrivait doucement à un point où elle ne contrôlait plus trop tout ce qu'elle disait. "J'ai bien envie d'un autre verre, et de quelque chose de plus consistant à manger, sinon tu finiras par me ramasser par terre. J'ai vu qu'ils faisaient des crêpes." Pas de gaufres. Quelque part, dans son esprit, ce met n'était destiné qu'à Jamie, comme si elle ne pouvait plus qu'en faire avec lui. D'une main, Joanne reprit son gobelet, de l'autre, elle prit la main d'Hassan une fois qu'elle était levée, afin de l'emmener avec elle pour retourner dans la salle, et se replonger dans cet amas de bruits devenant particulièrement assourdissant pour la jeune femme.
Joanne donnait parfois l’impression de ne jamais se satisfaire du temps et de l’attention qu’elle accordait à son fils, dont même Hassan qui n’en était pas quotidiennement témoin ne doutait pourtant pas un instant. Les enfants n’étaient pas stupides, pas plus qu’ils n’étaient aveugles, ils comprenaient et intégraient bien plus de choses que leurs parents ne pouvaient le penser, le brun avait plusieurs fois eu l’occasion de s’en rendre compte depuis qu’il était bénévole à l’hôpital. Parfois la question qu’un tout petit posait à une infirmière ou à lui – le monsieur qui lit des histoires – faute d’oser la poser à l’un de ses parents lui serrait le cœur, et lui faisait prendre conscience d’à quel point les enfants étaient comme des éponges à émotions, s’imprégnant de celles de père ou mère, les bonnes comme les moins bonnes. « … Les semaines sont déjà bien chargées, je l’emmène tôt le matin à la crèche pour le récupérer assez tard le soir. » admettait-elle finalement un brin anxieuse, comme si ce simple constat était supposé faire d'elle une mauvaise mère quand en réalité il concernait la grande majorité des femmes ayant décidé d'allier vie familiale et vie professionnelle. La blonde semblait beaucoup douter, à propos de son fils, à propos d’elle-même, douter et malgré tout entrevoir une lueur d’espoir dans une situation qui avait jusque-là stagné et qu’elle semblait réapprivoiser d’après ses propres dires. « Je ne suis pas certaine d’avoir fait le plus dur. » avait-elle pourtant nuancé. « On va dire que c’est plutôt la partie émergée de l’iceberg. Il y a encore tout le reste à régler. » Bien qu’une partie de lui aurait aimé en savoir plus, savoir ce que « tout le reste » englobait parce que là-dedans peut-être y’aurait-il eu certaines choses pour lesquelles il aurait été en mesure de l’aider, de l’épauler, il ne souhaitait pas bousculer les règles du jeu en réclamant une quelconque confidence de la jeune femme. Il fallait que cela vienne d'eux, ce qu’ils se sentaient peu à peu assez à l’aise pour révéler – ou pas – et ce qu’ils décidaient de partager par eux-mêmes, par besoin ou par envie. Faute d’en savoir plus Hassan s’était contenté d'esquisser un sourire apaisant « Mais c'est déjà un bon début. » Il fallait simplement qu’elle parvienne à se focaliser sur le positif avant de s'attarder sur le négatif, parce que c’était à cela qu’elle pourrait se raccrocher lorsqu'elle était prise d’un doute ou d’un coup de blues comme on en chopait parfois sans crier gare.
L’une des grandes difficulté à laquelle ils se retrouvaient confrontés dans cette tentative pour reconstruire une relation résidait à n’en pas douter dans la nécessité de savoir faire le tri entre leurs propres incertitudes et celles de l’autre, et de ne pas les laisser guider leurs décisions comme la peur pouvait parfois influer sur un comportement. Des signaux difficiles à décrypter Joanne lui en envoyait des tas, mais Hassan savait que tout aussi involontairement il en envoyait d'autres qui déroutaient tout autant la blonde que lui pouvait l’être, et qu’il ne tenait qu’à eux de savoir s’en accommoder et se tendre la main pour parvenir à dépasser l’obstacle ensemble plutôt que chacun de leur côté. La langue se déliant un peu Joanne se montrait plus loquace sur ses doutes, ses craintes, et s’ouvrait à certaines confidences parmi lesquelles le désarroi qu'avait provoqué chez elle la disparition subite de Sophia. « Je ne sais pas où elle est, ni pourquoi. Il y avait déjà eu une fois où elle voulait partir, elle me disait que c’était des problèmes de cœur, ça n'allait pas trop. Et c’était juste au moment où j’avais appris que j’étais enceinte. Sur le coup, c’était un argument de taille pour qu’elle reste, mais ça n’a pas fait long feu. » lui avait-elle finalement avoué lorsqu’il avait admis ne pas s’être imaginée que Sophia avait simplement disparu. Lui la pensait simplement partie, peut-être sur un coup de tête, peut-être pas, mais il pensait que dans un cas comme dans l’autre son ex-femme avait eu le fin mot de cette histoire. « Des excuses ? » Ses sourcils s’étaient froncés, Hassan à demi-surpris seulement que la rousse n'ait jamais parlé à son amie de la dernière discussion que le brun et elle avaient échangé. « Quand on a … quand j’ai – demandé le divorce elle a débarqué à mon bureau comme une furie pour avoir des explications, du Sophia tout craché. » Malgré que le sujet réveille quelques douloureux souvenirs, la réflexion avait arraché un sourire pensif au brun. Sophia et la langue qu'elle ne gardait jamais dans sa poche, il y aurait tant eu à dire à ce sujet. « Elle voulait savoir pourquoi, comment, elle m’a demandé si j’avais une maîtresse, des problèmes avec la justice, ou dieu sait quoi d’autres … Elle voulait m’aider, je pense, résoudre ce qui me faisait prendre une décision aussi insensée. » Mais Sophia n’aurait rien pu faire, Joanne le savait aussi bien que lui maintenant. « Mais ça m’aidait pas et elle remuait le couteau dans la plaie, j’avais pas besoin de ça, j’avais juste envie que tout ça s’arrête. J’ai dit des choses que je regrette, et que je ne pensais pas. » Des choses pour lesquelles il aurait aimé s’excuser un jour, non plus par courrier comme sa mort prématurée aurait du l’entraîner, mais de vive voix.
Joanne terminant son verre, Hassan espérant que si l’alcool lui déliait un peu la langue l’impression de pouvoir se confier à lui sans gêne était aussi un peu pour quelque chose dans la volonté de la jeune femme de lui livrer un peu de ce qu’elle avait sur le cœur, il l’avait écoutée reprendre après quelques instants de silence « Je vais paraitre idiote, et certainement beaucoup trop dans le drama, mais j’ai parfois l’impression d’être celle qui est toxique, tu vois ? » Hassan avait froncé les sourcils, mais l’avait laissée aller jusqu’au bout de sa pensée « Il y a d’abord eu Reever, puis toi même si c’était pour d’autres raisons, je n’ai plus de nouvelles de Rhett, puis Sophia, puis Jamie, je n’ai plus franchement de contacts avec ma sœur, avec mes parents, on essaye de se parler un peu, mais j’ai du mal. Ça me fait penser à ces personnages typiques de films, tu sais, la personne qui est trop toxique et où tout le monde réalise qu’il vaudrait mieux rester loin d’elle pour aller mieux. » Le portrait que Joanne était en train de dresser d’elle-même serrait le cœur et la gorge d’Hassan, et tirait avec tristesse le début de ride au coin de ses yeux. « C'est juste qu’à force de voir tout le monde partir ou s’éloigner, je me remets beaucoup en question. En ce moment, j'essaie de me dire que ce n’est peut-être pas plus mal, de se remettre en question. Il parait que ça aide à avancer. » Lentement, elle avait relevé vers lui un regard incertain « Désolée d’avoir miné l’ambiance, ce n’était pas mon intention. » À son rire nerveux autant qu’à ses excuses le brun avait secoué la tête avec souci « Non, ne t'excuse pas … Tu n’as pas à l’être. » avait-il assuré d’une voix douce. « Je ne veux pas que tu te sente désolée de me dire ce que tu as dans la tête, ou sur le cœur. » Il avait l’impression de peiner à le lui faire comprendre, ou qu’elle ne le pensait pas sincèrement intéressé, mais c’était tout le contraire. « Je ne peux pas parler au nom de Sophia ou de ta famille, mais en ce qui me concerne c'est tout sauf comme ça que je te vois. T’as toujours été une bonne personne Jo’ … soucieuse des autres – même ceux que tu connais à peine, dévouée, généreuse, attentive. J’aimerais tellement que tu te vois ne serait-ce qu’une seule fois comme moi je te vois. » Descendant du muret sur lequel ils étaient installés, le brun avait glissé une main contre la joue de Joanne avec affection « Que tu puisses admirer ta force plutôt que de ne voir que tes faiblesses. Tu fais des erreurs, moi aussi, tes parents … Tout le monde en fait. Mais tu t’es relevée de tellement de choses, t’as traversé tellement de trucs qui auraient pu te mettre à terre définitivement … T’as été plus forte que nous tous. » Malgré lui une certaine fébrilité s'était emparée de sa voix, la faisant trembler de manière à peine perceptible.
Comme si toutes ces confidences l'avaient épuisée, Joanne avait soudainement eu l’air fatiguée et s’était remise debout comme pour se réveiller un peu. Son bâton de barbe à papa désormais dénué de tout reste de sucre, Hassan avait acquiescé d’un signe de tête lorsque la jeune femme avait proposé « J’ai bien envie d’un autre verre, et de quelque chose de plus consistant à manger, sinon tu finiras par me ramasser par terre. J’ai vu qu’ils faisaient des crêpes. » et l’avait laissée faire lorsqu’elle avait attrapé sa main pour les mener à nouveau vers l’intérieur. Retrouvant un brouhaha et une cohue qui finalement ne lui manquaient pas tant que ça, le brun avait malgré tout docilement suivi Joanne jusqu’au buffet « Une crêpe pour toi, donc ? » demandait-il confirmation tandis qu’ils atteignaient le stand, laissant à Joanne le soin de préciser ce qu’elle souhaitait pour l’agrémenter. Lorsqu’il avait été question de lui en revanche il avait secoué la tête « Merci, j’ai déjà eu ce qu'il me fallait. » Disant cela il avait agité le bâton de bois, dont il s’était d’ailleurs débarrassé la seconde suivante dans la poubelle la plus proche. « En plus je suis sûr que j’en ai plein la barbe … » avait-il d’ailleurs marmonné en reposant les yeux sur Joanne, attendant d’elle que le fait qu’ils soient à nouveau en pleine lumière lui permettre de confirmer – ou d’infirmer – ce fait. A en juger par l’expression sur le visage de la jeune femme il avait vu juste, semble-t-il. « Quoi, j’en ai tant que ça ? » Machinalement il avait passé les doigts sur sa barbe pour tenter d’arranger la situation, sans vraiment être certain d’y avoir changé quoi que ce soit ou même de n’avoir pas empiré les choses. Sa gourmandise le perdrait peut-être, un jour. « Aide-moi, au lieu de te moquer. » avait-il finalement demandé d’un ton faussement boudeur – mais armé d’un sourire non moins sincère, lui – tandis que Joanne attendait sa crêpe.
De base, Joanne était un peu dure envers elle-même. Rien d'excessif, mais c'était suffisant pour elle pour douter de ses capacités, surtout lors des périodes d'examen, où on pouvait la retrouver plus d'une fois en larmes, dépassée par les événements tant elle craignait de ne pas avoir son année. Mais cela s'était particulièrement accru depuis son divorce, où elle ne se pardonnait aucun faux pas, où rien de ce qu'elle faisait n'était assez bien. Elle pouvait faire mieux. Travailler mieux, être une meilleure mère, mieux gérer sa vie amoureuse. Et dans cette optique, cela ne lui était pas vraiment bénéfique, bien au contraire. A force de douter et de se rabaisser, Joanne finissait au fond. C'était un excellent élément pour sa dépression, histoire de générer de nouvelles idées noires rien que pour la jeune femme. Alors qu'Hassan était rongé du même mal, il se montrait particulièrement optimiste par rapport à elle. Il était bien plus facile de l'être pour les autres. Elle sourit simplement à sa remarque, ne sachant que dire de plus à ce sujet. L'alcool faisait son effet la jeune femme se confiait sur une amie qu'ils avaient en commun et dont Joanne n'avait plus aucune nouvelle depuis de longs mois. Le brun désirait apparemment s'entretenir avec Sophia, lui devant des excuses. Perplexe, Joanne demandait davantage d'informations à ce sujet, comprenant là qu'il lui en manquait apparemment beaucoup. Hassan s'expliquait assez succinctement. Cela expliquait beaucoup de choses, notamment l'énorme rancoeur que la belle rousse avait envers l'ex-mari d'Hassan. Elle était remontée comme une pendule à cette époque et ne semblait pas vouloir lui pardonner le divorce. "Il y a des choses qui ne changeront certainement pas." dit-elle avec un sourire à la fois triste et amusé. "Sa persévérance lui fait parfois défaut." Comme le disait Hassan, c'était du Sophia tout craché. Il avait certainement dit ce qu'il fallait pour la repousser et faire en sorte qu'elle ne l'approche plus. "Si on la revoit un jour, si elle te donne la chance de t'expliquer, je pense qu'elle pourrait te le pardonner." pensa-t-elle à voix haute. A vrai dire, parfois, Sophia avait du mal à passer outre, à pardonner. Mais les raisons d'Hassan étaient légitimes, il avait ses chances. Les confidences s'enchaînaient, Joanne pouvait remercier l'alcool de lui octroyer autant d'aisance à se confier sur des sujets qu'elle n'arrivait pas à aborder si facilement. Hassan était d'une oreille attentive, il l'avait toujours été. Il jugeait bon de lui rappeler qu'elle pouvait se confier à lui, sur tout ce qui lui pesait sur le coeur. Mais en dehors de cela, la petite blonde avait effectivement encore un lourd dont elle ne pouvait se débarasser qu'en en parlant avec lui. Touchée malgré tout, tout ce qu'elle pouvait lui offrir était un sourire assez triste. Il ne cessait de la complimenter, de faire une liste de toutes les qualités qu'il pouvait trouver chez elle. En dix ans de relation, il avait largement eu le temps d'en faire l'inventaire. Posant une main délicate sur sa joue, il semblait vouloir lui pardonner toutes les erreurs qu'elle avait pu faire. Lui non plus n'était pas tout blanc dans cette histoire, personne ne l'était vraiment. Même si elle restait murée dans son silence, Joanne l'écoutait avec attention. Elle relevait les yeux vers lui. "Je ne pense pas être plus forte que qui que ce soit." dit-elle avec un sourire triste et bien gêné. Joanne soupira. "Tu as toujours voulu ne voir que le meilleur de moi-même, depuis toujours, malgré mon nombre incalculable de défauts." Elle riait doucement, mais la reconnaissance était bien visible dans le regard qu'elle lui lançait. Ses paroles lui avaient donné assez de regain du moins pour aller chercher un autre verre, et pourquoi pas manger un petit quelque chose. Cela lui permettait également de sortir un peu de sa torpeur. Le bruit n'avait rien d'envieux. A vrai dire, Joanne comptait bien ressortir de la salle dès qu'ils avaient récupéré nourriture et boisson. Elle acquiesça d'un signe de tête à la question qui ne demandait finalement qu'une confirmation avant de passer commande. Juste une crêpe au sucre, rien d'extravagant. Hassan, quant à lui, ne voulait rien mangé de plus. Elle rit doucement à sa réflexion, puis lui faisait croire, en un regard, qu'il avait effectivement de la barbe-à-papa de partout. Elle le laissait mariner et s'inquiéter de son apparence le temps que la crêpe n'atterrisse dans ses mains. "C'est pas vrai, en fait, il n'y a rien du tout. Pas de sucre dans ta belle barbe." lui dit-elle avec un clin d'oeil malicieux. "Et dire que je suis censée être celle qui se fait avoir le plus facilement." dit-elle en riant. Ses petites fourberies à elle marchaient encore, apparemment. Joanne lui suggéra de retourner dehors, ce qu'il accepta volontiers. Au tour de la petite blonde de manger un peu. Pendant ce temps, Hassan avait eu la gentillesse de lui tenir son verre de punch, encore une fois bien rempli, le temps qu'elle mange cette petite gourmandise. Une fois fini, elle s'essuya rapidement les mains avec la serviette fournie et la jeta dans la poubelle avant de récupérer son verre et de libérer les mains du brun. Il marchait tranquillement dans la cour. Même pour la frileuse qu'était Joanne, l'air frais lui faisait du bien. Bien plus que la chaleur insupportable qu'il y avait désormais à l'intérieur. Ils restaient silencieux encore quelques minutes. "Jamais je n'aurai pensé préféré rester à l'extérieur, loin de la musique, durrant une soirée de ce genre." constata-t-elle avec un sourire amusé. Mais il était vrai que Joanne, même si c'était déjà le cas de base, appréciait de plus en plus le calme, le silence, la sérénité. Elle buvait quelques gorgées de son punch. D'ailleurs, elle en ressentait de plus en plus les effets, avec les deux verres précédents. "Tu as dit tout à l'heure que tu ne veux pas que je me sente désolée de te dire ce que je peux avoir en tête." reprit-elle, mot pour mot, en repensant à l'une de leurs conversations précédentes. "Mais je vais l'être quand même parce que... Ca peut changer pas mal de choses." Pour ne pas dire absolument tout bousculer. Joanne se devait d'admettre qu'elle abusait un peu des effets que le punch avait sur elle, et de sa langue déliée pour parler plus ouvertement. Mais elle tenait à revenir sur le sujet qu'elle n'avait pas su aborder correctement lorsqu'elle était venue chez lui. "Ca me travaille depuis le début de l'année, et je ne sais pas trop quoi en faire. Tout ce que je veux, c'est ce que tu me crois, Hassan." Parce qu'elle savait que c'était le genre d'informations qu'il ne prenait pas véritablement au sérieux, d'ailleurs, elle en avait déjà eu la preuve. "Et je préfère te le dire avant qu'on... qu'on continue d'essayer d'aller plus loin." Afin que ça ne soit pas trop tard. Joanne prit une profonde inspiration. Même avec l'alcool, c'était compliqué pour elle. "Je pense que Yasmine est amoureuse de toi." finit-elle par lui dire, en gardant le visage bien bas. "A vrai dire, j'en suis quasi certaine." Joanne était plus que nerveuse. "Je voulais déjà t'en parler... enfin la dernière fois, tu sais ? Histoire de mettre ça au clair avant qu'on se donne cette chance. Mais j'ai pas pu..." Joanne s'en était retenue au dernier moment. Et c'était une information qu'elle ne pouvait plus garder pour elle, encore moins s'ils s'essayaient à quelque chose tous les deux. C'était une donnée à prendre en compte, à gérer d'une façon ou d'une autre. Le fait était que, elle craignait être entrée dans un énième triangle amoureux. Et c'était bien une chose que la jeune femme ne parviendrait plus à gérer, toutes ses expériences dans ce domaine l'avaient véritablement épuisées. Malgré tout, Joanne parvenait à lui sourire, de temps en temps. Il pouvait tout de même deviner la sincérité de ses paroles et voir qu'elle ne faisait pas une plaisanterie à ce sujet. Ils avaient toujours su bien parler entre eux, se confier sur tout et n'importe quoi bien que les derniers mois prouvaient que c'était compliqué en ce moment. Mais Joanne savait qu'ils en étaient capables, qu'ils pouvaient parler de sujets délicats au plus grand calme, en restant à l'écoute, en pensant à deux. Elle espérait retrouver, pour ce sujet, cette complicité là, même si les risques que l'émotion prenne le dessus étaient bien présents. Il fallait essayer avant tout et c'était ce qu'elle s'efforçait de faire. "A moins que tu ne l'aies déjà remarqué par toi-même, je n'en sais rien." reprit-elle alors, en haussant les épaules. "Alors peut-être que te le dire est une énième erreur de ma part, et j'en suis désolée si c'est le cas. Mais... Je ne pouvais plus garder ça pour moi, Hassan, encore moins parce que ça te concerne directement." Yasmine était un sujet sensible. Il l'avait toujours vu plus comme une soeur qu'une prétendante et c'était bien le genre de révélations qui pouvaient bouleverser plusieurs vies.
S’il était déjà arrivé à Hassan de se poser la question, de se demander si Sophia avait un jour évoqué la conversation qu’elle et lui avaient eue peu après sa décision de se séparer de Joanne, il n’avait jamais osé chercher la réponse auprès de la blonde de peur de vendre une mèche qui ne nécessitait pas forcément de l’être. Lorsque le sujet de la disparition subite de la rousse avait été mis sur le tapis néanmoins, il avait admis sans trop en dire que la manière dont elle et lui s’étaient quittés méritait qu’il puisse, un jour, lui présenter des excuses dignes de ce nom. « Il y a des choses qui ne changeront certainement pas. » avait en tout cas admis Joanne avec un vague sourire, face à la première réaction qui avait été celle de Sophia en apprenant leur divorce. « Sa persévérance lui fait parfois défaut. » A cela pourtant Hassan avait doucement secoué la tête, estimant lui au contraire qu’il s’agissait là de tout sauf d’un défaut. « Mais elle m’a prouvé ce jour-là que tu aurais quelqu’un sur qui compter ... Que tu ne serais pas toute seule. Quelque part ça m’a rassuré. » Les mots échangés avec Sophia restaient eux un mauvais souvenir, mais pas le fait d’avoir vu de ses propres yeux que même s’il n’était plus là il y aurait toujours quelqu’un pour défendre bec et ongles les intérêts de Joanne. Sans doute était-ce également de là que venait le brin de rancœur du brun à l’égard de Sophia ; Elle n’avait pas été capable de la protéger de Jamie. Pas capable de voir la menace cachée sous les airs d’homme respectable. Mais là n’était pas le sujet, actuellement. « Si on la revoit un jour, si elle te donne une chance de t’expliquer, je pense qu’elle pourrait te le pardonner. » Il espérait. Il espérait sincèrement. Et en même temps il imaginait mal la jeune femme lui refuser au moins la possibilité de remettre carte sur table, quant à son tour elle avait pris la décision de s’évaporer sans explication. Cela semblait tellement difficile de savoir ce que Sophia avait dans la tête au moment de son départ, sans le moindre indice … Cela semblait donner à Hassan un faible avant-goût de l’incrédulité qu’avait pu constituer aux yeux d’autrui sa propre décision d’éloignement quelques années en arrière.
Portée par l’alcool, une fatigue évidente et le cours de la discussion Joanne avait admis sans trop espérer de solution les doutes qui, enchaînés à sa cheville, lui donnaient à la fois l’impression de stagner et d’être le poids à la cheville d’autrui. Autrui consistant en une liste plus longue qu’il ne l’aurait cru. « Je ne pense pas être plus forte que qui que ce soit. » avait-elle pourtant assuré avec un fond de tristesse lorsqu’il l’avait contredite, Hassan plus au fait de ce que Joanne lui avait apporté en treize ans qu’en ce qu’elle lui avait pris. « Tu as toujours voulu ne voir que le meilleur de moi-même, depuis toujours, malgré mon nombre incalculable de défauts. » Sans doute, il s’il ne cherchait pas à nier cette affirmation il ne savait pas vraiment en revanche s’il était supposé prendre la remarque comme un reproche ou un compliment. Elle avait souri, pourtant, et provoqué le nouveau sourire d’Hassan lorsque laissant sa main quitter doucement sa joue il avait fait remarquer « Est-ce que tu n’en as pas souvent fait de même avec moi ? » avec la certitude que, au moins à une époque, elle aussi voyait avant tout le meilleur chez lui. « Et ce n’est pas tout à fait vrai … » Penchant lentement la tête, il avait repris avec douceur « Je connais tes défauts sur le bout des doigts, autant que tes qualités … J’ai juste appris à les aimer autant que le reste. » A l’aimer elle dans son ensemble, en somme, avec ses qualités, avec ses défauts, avec ses doutes et ses certitudes. Offrant en conclusion à cela un léger clin d’œil, il avait laissé la blonde l’attraper par la main et les mener jusqu’à l’intérieur où, bien plus que le bruit, les protestations de l’estomac de la jeune femme les avaient menés à nouveau jusqu’au buffet. Une crêpe au sucre pour la demoiselle, et pour lui simplement l’impression que le sucre, en plus d’avoir calé son déjà maigre appétit, s’était aventuré partout dans sa barbe sous l’œil amusé de Joanne à qui avait échappé un éclat de rire. « C’est pas vrai, en fait, il n’y a rien du tout. Pas de sucre dans ta belle barbe. Et dire que je suis censée être celle qui se fait avoir le plus facilement. » Roulant des yeux d’un air boudeur pour la forme, Hassan avait fini par en rire lui aussi, secouant simplement la tête en faisant savoir d’un ton faussement sérieux « On plaisante pas avec la barbe, c’est un sujet de première importance, oh. » avant de la laisser attendre sa crêpe tandis qu’il allait leur chercher à boire un peu plus loin. Refill de la même chose tant pour elle que pour lui, avec seulement la dose d’alcool pour différencier leurs deux verres. Leurs provisions faites, ils n’avaient pas eu besoin de se concerter pour tomber d’accord sur le fait que retourner dehors était leur meilleure option, la blonde remarquant d’ailleurs « Jamais je n’aurais pensé préférer rester à l’extérieur, loin de la musique, durant une soirée de ce genre. » Pas certain que cela fasse rire Joanne – bien que lui aurait probablement trouvé cela drôle – il avait gardé pour lui le commentaire qui lui était venu à l’esprit et selon lequel ils étaient peut-être simplement en train de vieillir, en fin de compte.
Laissant à la jeune femme le temps de manger sa crêpe tranquillement, gardant leurs verres chacun dans une main, il lui avait rendu le sien lorsqu’elle l’avait demandé et avait recentré toute son attention sur elle lorsqu’elle avait repris d’une voix hésitante « Tu as dit tout à l’heure que tu ne veux pas que je me sente désolée de te dire ce que je peux avoir en tête. » Il avait acquiescé d’un signe de tête, attentif, et toujours aussi certain de ce fait. « Mais je vais l’être quand même parce que … Ça peut changer pas mal de choses. Ça me travaille depuis le début de l’année, et je ne sais pas trop quoi en faire. Tout ce que je veux, c’est que tu me croies, Hassan. Et je préfère te le dire avant qu'on … qu’on continue d’essayer d’aller plus loin. » Malgré lui l’expression sur le visage d’Hassan trahissait un début d’angoisse quant à ce que Joanne s’apprêtait à lui dire, angoisse probablement liée au fait qu’il n’avait pas la moindre idée de ce dont elle voulait parler. Y’avait-il quelque chose qu’il avait fait, lui avait-il fait du tort, à elle ou à quelqu’un d’autre ? Les questions tournaient à toute allure dans son esprit lorsqu’après une inspiration nécessaire la blonde avait jeté tel un pavé dans la mare « Je pense que Yasmine est amoureuse de toi. À vrai dire, j’en suis quasi-certaine. » Les doigts grattant nerveusement contre les bords de son verre, évitait son regard et avait avoué « Je voulais déjà t’en parler … enfin la dernière fois, tu sais ? Histoire de mettre ça au clair avant qu’on se donne cette chance. Mais j’ai pas pu … » À nouveau ils avaient arrêté leur marche pour s’installer contre le muret qui les avait accueilli lors de leur première sortie. Silencieux, Hassan oscillait entre un trouble évident mais également une certaine lassitude ; Lassitude parce que cette conversation il avait l’impression de l’avoir déjà eue, trouble parce que s’il l’avait effectivement déjà eue qu’elle soit évoquée par Joanne ne lui faisait pas le même effet que lorsque c’était Priam qui décidait de mettre les pieds dans le plat. Priam semblait avoir simplement envie de voir Hassan se caser avec quelqu’un, et ne connaissait probablement pas assez Yasmine pour la voir autrement que comme la présence féminine la plus constante dans son entourage. L’œil de Joanne sur les liens qu’il partageait avec Yasmine étaient supposés être différents, parce qu’elle en avait été témoin pendant plus longtemps. Et parce qu’elle connaissait les liens invisibles qui rassemblaient Hassan – et Qasim – avec les Khadji. « A moins que tu ne l’aies déjà remarqué par toi-même, je n’en sais rien. » avait finalement repris Joanne face au silence qui s’éternisait chez le brun. « Alors peut-être que te le dire est une énième erreur de ma part, et j’en suis désolée si c’est le cas. Mais … je ne pouvais pas garder ça pour moi, Hassan, encore moins parce que ça te concerne directement. » Silencieusement toujours, et dans une volonté de peser ses mots pour ne pas dire quelque chose qui puisse être mal compris ou mal interprété à nouveau, Hassan avait pris le temps de boire une nouvelle gorgée de son verre avant de formuler une réponse « J’ai plus la même relation avec Yasmine maintenant qu’il y a trois ans, tu sais. » Inutile de se voiler la face, bien que Joanne ne soit pas forcément la personne la plus à même de s’en être aperçue. « J’me suis beaucoup reposé sur elle ces trois dernières années. Probablement un peu trop. » Assez pour qu’il en voit le retour de bâton maintenant, et l’impression que pesait sur les épaules de la brune un poids qu’il avait lui-même créé.
L’immobilisme lui donnant soudainement des fourmis dans les jambes, il avait quitté le muret pour faire quelques pas, abandonnant son verre à côté de Joanne à qui il avait tourné le dos quelques instants en laissant échapper un soupir. Il ne se voyait pas déballer les moindres détails de ce qui avait jonché sa relation avec Yasmine ces dernières années, le rôle qu’elle avait joué dans le vivre avec de sa maladie, l’inversion momentanée – ou pas vraiment – dans leurs rôles donnant parfois l’impression qu’elle était subitement devenue l’aînée, la raisonnable, la voix de la sagesse … Son rôle et sa place dans la manière dont il tentait désormais de laisser derrière lui l’épisode de sa tentative de suicide, dont elle avait épongé les dégâts bien plus que les autres, bien plus que Qasim. « Je la vois plus de la même manière qu’avant, je ne vais pas essayer de te faire croire le contraire, et probablement qu’elle non plus ne me voit plus de la même façon … Elle devrait pas avoir à le faire parce que c’est pas sa responsabilité, mais elle est devenue plus protectrice qu’une maman ours avec moi. » La comparaison lui avait provoqué un léger rire, comme s’il tentait d’adoucir une conversation qu’il trouvait trop lourde. « Elle est comme ça parce qu’elle m’a vu à mon pire, à plusieurs niveau, et crois-moi quand je te dis que je pèse mes mots. » Physiquement, psychologiquement, elle l’avait vu devenir une loque une première fois du fait de sa leucémie, et une seconde fois du fait de cette dépression sournoise dont il ne parvenait pas totalement à se défaire et dont, même s’il ne s’en vantait pas, il n’était toujours pas guéri. « Je crois que c’est ça, que tu as vu … Ce que tu prends pour du sentiment amoureux. Y’a une proximité qui n’était pas là avant, parce que y’a des choses que j’ai partagé avec elle qui ne sont comparables à rien d’autre, des choses pour lesquelles même Qasim n’aurait pas été l’oreille la plus adaptée. Mais justement parce qu’elle était là au pire, je doute qu’il y ait la moindre chance qu’on puisse développer un quelconque sentiment amoureux dans ce genre de situation. À part dans Grey’s Anatomy. » Laissant échapper un nouveau rire, nerveux, il avait secoué la tête en soupirant, et était finalement retourné s'asseoir à côté de Joanne. « Et puis elle … Ce qu’elle veut c’est quelqu’un avec qui fonder une famille. Et on sait bien toi et moi que j’suis plus vraiment la personne indiquée pour ça, si tenté que tu aies raison et que je l'ai été un jour. » Étrangement il avait moins de mal à l’imaginer ayant – en partie – raison que lorsque la remarque émanait de Priam. Une histoire d’intuition féminine, sans doute, et le fait que Joanne, même sans l’apprécier, connaissait Yasmine depuis plus longtemps que le rugbyman. Mais le constat, lui, restait tout aussi amer : même si Joanne avait partiellement raison, même si à refuser de voir Yasmine évoluer il en aurait ignoré des sentiments dont il n’aurait pas eu conscience, désormais Hassan ne faisait plus l’affaire. Ni pour elle ni pour aucune femme aux yeux de qui le couple devait servir de base à la fondation d’une famille. C’était un peu ça le drame de sa vie, désormais. « Parfois j’ai même plus l’impression d’être suffisant pour toi, tu sais. » Pour elle, dont le noyau familial s’était pourtant déjà construit, ailleurs, et répondait au nom de Daniel. Elle n’en avait peut-être même pas conscience, Joanne, du crève-cœur et du complexe que cela représentait pour lui ; Mais il l'assumait suffisamment peu pour ne pas oser la regarder dans les yeux et fixer ses pieds en jouant nerveusement avec son gobelet.
L'une des premières choses à laquelle Hassan avait du se confronter pour pouvoir approcher Joanne, c'était bien Sophia. Il était donc logique qu'elle soit également la dernière personne qui lui tienne tête au moment de l'annonce d'un divorce que la rousse ne s'expliquait pas. Elle savait ce qu'elle voulait et ne comptait pas laisser Hassan s'en sortir si aisément, sachant pertinemment pourquoi sa meilleure amie n'avait même pas osé lui tenir tête au moment de l'annonce. Ce jour là, il avait fallu que quelqu'un le fasse pour Joanne, et qui de mieux que sa meilleure amie ? Ils la connaissaient bien tous les deux et sa réaction ne les surprenait pas. En revanche, aucun des deux ne parvenait à expliquer les raisons de sa soudaine disparation de Brisbane. Joanne souriait un peu, tristement. Impossible d'esquisser un rictus franc lorsqu'ils mentionnaient de près ou de loin leur séparation. Cela faisait trois ans, il y avait encore des détails que Joanne ne parvenait pas à résoudre. Mais Hassan avait eu raison sur ce point, son ex-femme n'avait pas été seule après que les papiers soient signés. Il s'était même soucié de ces détails. Cela touchait Joanne, d'une certaine manière. Il avait toujours été particulièrement attentionné avec elle. A force de la connaître et de la découvrir, il avait toujours su usé des bons mots et des bons gestes pour communiquer correctement avec la petite blonde. Hassan avait toujours voulu voir le meilleur en elle, et Joanne se disait parfois, surtout durant leurs débuts, que l'amour le rendait un peu aveugle et qu'il ne prêtait tout simplement pas attention à la montagne de défauts qui la constituait. Il suffisait de la connaître un peu pour deviner sa fragilité et certaines de ses tendances qu'elle avait fini par trouver particulièrement révulsantes avec le temps. Joanne se trouvait toujours bien plus de défauts que de qualités, au grand désarroi de ses proches. Le divorce n'avait en rien arrangé les choses. "Il me semble que tu as tout simplement tiré un trait sur les défauts que j'aime le moins." lui répondit-elle avec un sourire à la fois amusé et attendri. Le premier étant bien évidemment la cigarette. Inutile d'essayer de deviner quelle serait sa réaction si elle savait que son ex-mari avait repris cette fâcheuse habitude. Et le deuxième sur la liste était certainement la réputation que Sophia lui avait trouvé lorsqu'elle avait compris que Joanne n'avait que d'yeux pour lui. "Je pense que certains de mes défauts se sont particulièrement... développés, disons. Peut-être que tu ne les aimeras plus tels qu'ils sont à ce jour." Notamment le fait qu'elle doutait constamment de pratiquement tout, tout le temps, surtout d'elle-même. Cela lui avait porté préjudice plus d'une fois mais il semblerait que de ce côté là, elle soit parvenue sur une bonne pente. "Es-tu franchement sûr de pouvoir aimer tout ça autant qu'avant ?" lui demanda-t-elle un peu plus sérieusement. Quelque part, elle connaissait déjà sa réponse, mais elle voulait en avoir le coeur net, l'entendre de sa propre bouche. Ils avaient donc fini par se rendre à l'intérieur pour satisfaire l'appétit et la soif de la petite blonde, alors qu'Hassan s'inquiétait de l'apparence de sa barbe. La perche étant tendue, Joanne en a profité pour le faire marcher un petit peu. Il restait sur la même longueur d'onde en plaisantant un petit peu –quoi que. "C'est vrai que tu es parfois un peu précieux sur certains sujets, hein ?" dit-elle en riant, toujours dans le but de le taquiner un peu. "Mais je t'assure qu'il n'y a rien, tu es très bien comme ça." lui assura-t-elle plus sérieusement avec un sourire alors plus tendre. Sans avoir besoin d'argumenter sur quoi que ce soit, ils optèrent immédiatement de retourner à l'extérieur pour qu'ils puissent consommer et discuter plus tranquillement. Joanne revenait sur le fait qu'il s'était toujours senti prêt à m'écouter et elle tenait à profiter de ce rappel pour lui partager une chose qui lui pesait depuis de nombreux mois. Quoi qu'avant dénoncer quoi que ce soit, elle voulait s'assurer qu'il ne se plonge dans une sorte de déni pour échapper à une réalité plus qu’évidente. Il attendait donc patiemment que la petite blonde ne se jette enfin dans le grand bain, hésitante au possible. Elle avait bien vu qu’Hassan était un peu moins à l'aise après qu'elle l’avoir prévenu. Elle ignorait ce qui pouvait bien lui faire et espérait que cela ne lèse pas son écoute ou son jugement. Joanne lui avait toujours fait confiance par rapport à ça. N’y allant pas par quatre chemins, elle se montrait pour une fois directe, et cela avait généré chez lui quelques signes de nervosité. Retrouvant leur place initiale près du muret, le brun demeurait très longuement silencieux. Peut-être réfléchissait-il sur la manière d'avancer les choses, peut-être était-il confus par cette révélation. Joanne n'aurait pas été surprise qu'il ne s'en soit pas rendu compte jusqu'ici. Voyant qu'il ne réagissait pour le moment pas plus que ça, elle décida de rebondir un peu, ne supportant pas ce silence qui devenait de plus en plus pesant pour elle. Hassan admit que sa relation avait Yasmine avait beaucoup évolué au cours de ces dernières années. Et avant de s'enfoncer plus dans une conversation qui pouvait tout de même rapidement dégénérer, il s'était levé du muret pour faire quelques pas, laissant Joanne installée seule là. Elle buvait régulièrement dans son verre, espérant parfois que l'alcool lui permette de calmer ces palpitations particulièrement inconfortables. Le brun lui avait même tourné le dos à un moment donné et Joanne l'avait entendu soupirer, et voyait cela comme étant un mauvais présage. Il reprenait enfin la parole, se lançant dans une tirade qu'elle écoutait avec attention. Les rires qu'il lâchait parfois ne la faisait même pas sourire. Car à ce moment là, Joanne réalisait qu'elle avait encore quand même beaucoup de mal à accepter qu'il ait voulu que Yasmine soit là pour l'un des pires moments de sa vie, renonçant ainsi à sa femme, bien que le divorce ait été exécuté pour une intention plus noble et plus supportable pour elle. Mais c'était tout comme s'il avait tiré un trait sur ses vœux de mariage dès qu'il avait su le diagnostic de sa maladie. Elle savait qu'il voulait se séparer d'elle pour la protéger, pour lui permettre d'avancer. Mais de l'autre côté, entendre dire que son lien avec Yasmine n'avait fait que se renforcer au cours de cette épreuve. Sur le moment, Joanne avait l'impression d'être sur la touche, et rien d'autre. Selon lui, à cause de ce rapprochement, il était impossible qu'ils puissent développer quoi que ce soit. La petite blonde pensait en revanche tout l'inverse. "Pour le meilleur et pour le pire." souffla-t-elle tout bas, les yeux baissés. C'était un peu la base de tout mariage, ce que l'on entend le plus couramment lors de l'échange des voeux. "Je n'ai pas été là pour le pire, Hassan. Elle, si." lui dit-elle après avoir marqué une courte pause. "Et le fait que ce soit toi qui ait voulu qu'il en soit ainsi, ça ne change rien. Les faits sont ce qu'ils sont, pas la peine de me trouver des excuses." Parce que des excuses de la part de Joanne, Yasmine ne voulait pas les entendre. Ce n'était pas assez pour justifier son comportement au moment du divorce, pas assez pour ne pas avoir cherché à comprendre pourquoi il voulait mettre un terme à leur mariage. "Et justement, que c'est peut-être parce qu'elle a vu le pire de toi, qu'elle est tout à fait capable de t'aimer exactement pour ce que tu es, et je te prierai de me croire en disant ça." Tout comme elle aimait Jamie tout en sachant très bien ce dont il pouvait être capable. "Tu ne pense pas que, lorsque l'on a même su faire face, gérer, le pire de la personne que l'on aime, cela permet d'autant plus le reste de ce qu'elle est, d'aimer encore plus tous ses bons côtés, comme les mauvais ? Tu ne crois pas qu'il y a une sorte de sentiment d’invincibilité qui se génère lorsque l'on traverse ce genre d'expérience ?" lui demanda-t-elle, la voix quelque peu tremblante. "Tu me l'as dit toi-même tout à l'heure. Avec le temps, tu as même su apprécier mes propres défauts, toutes choses négatives, la partie noire du tableau, toutes ces choses dont tu as parfaitement conscience. En quoi ce serait différent pour Yasmine vis-à-vis de toi ?" Pour Joanne, c'était aussi clair que de l'eau de roche. "Quand on s'est vues, j'ai à peine effleurer cette possibilité. Et sa réaction n'était vraiment pas celle d'une maman ours, comme tu peux le dire. Je suis la dernière personne à qui elle voudra se confier, mais la simple manière dont elle a réagi à ma supposition est une réponse en elle-même. Je pense avoir touché du doigt un point sensible, elle a aussi fait volte-face et s'est renfermée comme une huître." Hassan se réinstallait sur le muret, apparemment conscient qu'il ne pouvait pas apporter à la brune ce qu'elle voulait. "Elle t'en a parlé ? Le lui as-tu demandé ?" Parce qu'entre les suppositions et la réalité, il y avait souvent des écarts inattendus."Est-ce qu'elle t'as dit textuellement, qu'elle voulait avoir des enfants ?" La famille de Yasmine restait très traditionnelle, peut-être que c'était cette même tradition qui la poussait à suivre des principes dont elle ne voulait pas forcément. "Prenons un autre exemple. Supposons que j'ai été là, supposons que nous étions encore ensemble quand j'ai fait ma fausse-couche, que tu aies été là pour entendre que ça allait être très difficile pour moi d'avoir des enfants, alors que tu sais très bien que c'est mon plus grand rêve. Est-ce que, au bout d'un moment, à force d'échecs, tu aurais cessé de m'aimer ? Est-ce que tu aurais envisagé de pouvoir vivre toute une vie avec moi tout en ayant connaissance qu'il y avait peu de chances que nous puissions être parents... de façon naturelle ?" Non pas que Joanne mettait en doute les diverses techniques permettant d'avoir un enfant, mais elle était assez bornée à ce sujet. Elle voulait que ce soit normal, comme pour les grossesses dont elle ne cessait entendre parler lorsqu'elle était au travail ou en sortie avec d'autres amis. Au fond, elle était assez curieuse d'entendre la réponse d'Hassan à ses questions. "Ca, ça aurait été le pire de moi, de ne pas avoir pu te donner un enfant. Avec la dépression qui va avec, les complications, tout ce qui s'en suit. Mais est-ce que ça t'aurait empêché de vouloir encore vivre avec moi ?" Elle sourit, tristement, et marquait une longue pause, émue aux larmes. Parler de ses fausse-couches était toujours extrêmement difficile pour elle. "Je pense que quand je l'ai rencontré en début d'année, elle savait déjà tout ça, Hassan. Et pourtant, sa réaction était vraiment celle d'une femme qui est amoureuse, pas d'une femme que l'on considère comme une soeur et qui avait été là durant les pires années de ta vie." Joanne restait particulièrement certaine de ses propos. Elle ignorait si son ex-mari tentait de contourner le sujet, de trouver des explications sur ce que présentait la petite blonde. Elle n'était pas au bout de ses surprises, surtout avec la phrase qu'il venait de lui dire, comme si c'était un coup de massue sur la tête. Elle la redressa, pour constater qu'Hassan ne lui adressait pas un regard. Joanne restait longuement silencieuse. "C'est réciproque." souffla-t-elle finalement. Les problématiques de chacun n'étaient pas toujours au même endroit, mais il y avait tout de même certains point qui se rejoignaient. "Et c'est compliqué, pour nous tous." Pour lui, pour elle, pour Daniel, pour Jamie. "J'ai remarqué plus d'une fois que tu n'étais pas franchement à l'aise avec Daniel." commença-t-elle. "Et je comprends que tu aies des difficultés à te positionner vis-à-vis de lui, de moi, et même de Jamie. Se trouver une place au milieu de tout ça, ce n'est pas facile. Je le passe avant beaucoup, beaucoup de choses, parce que j'estime que pour son âge, il souffre déjà bien assez du fait que ce soit encore trop difficile pour Jamie de passer du temps avec lui." Joanne pouvait se résumer à une seule phrase : jamais sans mon fils. Et c'était une réalité parce qu'elle était seule à s'occuper de lui depuis plusieurs mois, et mère et fils disposaient d'une relation plus que fusionnel qui était largement perceptible sans trop avoir à les connaître. Il était donc normal pour Hassan, qu'il se sente un peu mis sur le côté. "Pourquoi tu penses ça, précisément ? A cause de Daniel ? Du fait que tu ne puisses pas fonder une famille ?" D'une main délicate, elle redressa sa tête afin qu'il la regarde, enfin. "Explique-le moi..." lui souffla-t-elle avec une certaine tendresse alors qu'elle s'était mise à lui caresser la joue avec son pouce. Ils se prouvaient à chacun qu'ils étaient capables de parler ensemble, relativement calmement, de sujets pourtant sensibles mais qu'il fallait aborder avant que cela ne tourne au vinaigre. Une preuve dont ils avaient certainement besoin, après des mois et des mois à ne plus se comprendre. Il semblerait qu'ils parviennent à être sur une même longueur d'ondes, même si ce n'était que temporaire. Et quelque part, depuis qu'ils se revoyaient, ça avait beaucoup manqué à Joanne de pouvoir lui parler de cette façon là, alors, autant profiter de l'occasion pour creuser un peu plus.
La crêpe achetée et la barbe intacte les deux ex-époux avaient regagné l’extérieur non sans un certain soulagement, Joanne semblant avoir profité de sa pause dégustation pour cogiter sur la discussion qu’ils avaient eu avant de retourner à l’intérieur, et après avoir fait état d’une hésitation passagère elle s’était décidée à mettre le doigt sur un sujet qui semblait la tracasser. D’abord surpris, Hassan s’était senti un peu déboussolé par les révélations et les certitudes avancées par la blonde concernant Yasmine ; La brune était un sujet sensible à plusieurs égards, à la fois parce que les événements de ces dernières années avaient redistribué les cartes de leur relation, mais également parce que malgré ce qu’ils tentaient de se répéter la situation entre la brune et lui était actuellement moins idyllique qu’elle ne le devrait. Sa tentative de suicide comme sommet de l’iceberg n’était que la partie immergée d’un amas de dysfonctionnement qui leur avait causé du mal tant à l’un qu’à l’autre. Y’avait cette confiance qu’ils avaient sans plus savoir la témoigner à force qu’elle ait été maltraitée, ces choses qu’ils n’osaient plus dire par peur de faire pire quand à une époque il n’y aurait eu aucun filtre entre elle et lui. Y’avait cette accusation silencieuse qu’elle avait eu à son égard, lorsque la tempête de novembre précédent s’était déroulée alors qu’ils étaient à des milliers de kilomètres de là, parce qu’Hassan avait eu le malheur de suggérer que le moment était peut-être venu d’aller respirer un autre air. Et puis cet intérêt qu’elle s’était trouvée, sans le savoir, pour un homme qu’Hassan méprisait et n’attendait que de voir disparaître pour tenter de prétendre qu’il n’avait jamais existé. Y’avait eu la déception dans son regard à elle lorsqu’il avait admis le retour de Joanne dans son existence, aussi, et cette lassitude qu’elle semblait avoir pour son incapacité à communiquer avec sa facilité d’antan. Et ça l’angoissait au fond, de se dire que par-dessus tout ça trônait peut-être une donnée majeure qu’il n’avait pas été capable de voir. Une donnée à laquelle il peinait à croire et que son inconscient tenait absolument à expliquer par d’autres moyens, d’autres faits. Des faits qu’il avait tenté d’expliquer à Joanne, en tentant d’y mettre les formes suffisantes pour que la situation puisse être comprise de la jeune femme malgré les éléments qu’elle ne possédait pas. Il essayait de lui faire comprendre que bien sûr le regard que Yasmine portait sur lui avait changé, aussi fatalement qu’elle l’avait regardé aller de plus en plus mal, s’éteindre à petit feu dans un certain sens, pour aujourd’hui assister à une sorte de renaissance poussive et mal organisée, et que pour avoir croisé la jeune femme quelques mois auparavant il était probablement logique qu’elle lui ait trouvé un comportement changé, et une manière de protéger les intérêts d’Hassan plus incisive que par le passé.
Autant de faits qui aux yeux du brun constituaient une preuve irréfutable, mais que Joanne elle interprétait d’une toute autre manière. « Pour le meilleur et pour le pire. » c’était finalement ce qu’elle avait murmuré, gorge serrée, captant le regard interrogatif de son ex- époux. « Je n’ai pas été là pour le pire, Hassan. Elle si. Et le fait que ce soit toi qui ait voulu qu’il en soit ainsi, ça ne change rien. Les faits sont ce qu’ils sont, pas la peine de me trouver des excuses. » Il fronçait les sourcils, la voyant dériver sur une pente qui la mènerait à des conclusions qui n’avaient rien à voir avec ses intentions à lui. « Et justement, c’est peut-être parce qu’elle a vu le pire de toi, qu’elle est tout à fait capable de t’aimer exactement pour ce que tu es, et je te prierais de me croire en disant ça. » Il essayait, il essayait vraiment mais il ne parvenait pas à le croire. Il n’avait rien dit, pour ne pas l’interrompre, mais il n’y croyait pas. « […] Tu ne crois pas qu’il y a une sorte de sentiment d’invincibilité qui se génère lorsque l’on traverse ce genre d’expérience ? » Invincibilité. Le mot lui avait arraché un rire amer, mais rien d’autre. C’était la preuve qu’elle restait à mille lieux de s’imaginer ce à quoi elle avait échappé en n’étant pas là tout du long, qu’elle n’avait absolument pas conscience qu’il n’y avait rien de mystique, rien de majestueux à se battre contre la maladie qui l’avait rongé. On n’en ressortait pas invincible, on n’en ressortait même pas indemne. « Tu me l’as dit toi-même tout à l’heure. Avec le temps, tu as même su apprécier mes propres défauts, toutes choses négatives, la partie noire du tableau, toutes ces choses dont tu as parfaitement conscience. En quoi ça serait différent pour Yasmine vis-à-vis de toi ? » Parce que ce n’était pas comparable, à ses yeux. Parce que ses relations avec Joanne et Yasmine n’avaient jamais tant été une opposition qu’une complémentarité à ses yeux, parce qu’il avait besoin de l’une et de l’autre, chacune pour des raisons différentes. Mais il n’était pas question de lui ; Il était question de Yasmine, alors … « J’en sais rien, Joanne. » il avait soupiré, passant une main lasse sur son visage. Elle lui en demandait trop, elle attendait de lui qu’il se mette dans la tête de Yasmine et il n’en était pas capable … Plus les mois passaient plus il se rendait compte qu’il n’avait aucune idée de ce qui se tramait dans la tête de la brune, de toute façon. « […] Je pense avoir touché du doigt un point sensible, elle a aussi fait volte-face et s’est renfermée comme une huître. » La révélation de la blonde lui apparaissant presque glaçante, il avait relevé les yeux vers elle avec stupeur « Tu l’as accusée de ne pas être honnête à propos de ses sentiments envers moi ? » Stupeur, et la crainte grandissante de comprendre le pourquoi du comportement de Yasmine envers lui, depuis. De comprendre la distance supplémentaire, l’espacement des moments passés ensembles, le regard fuyant, parfois, sans qu’il ne parvienne à comprendre précisément pourquoi.
Et puis, les épaules alourdies par les révélations et la façon presque accablante qu’avait Joanne de lui exposer la situation comme s’il était coupable de quelque chose, refusant ses arguments et campant sur ses positions au seul prétexte de son intuition féminine, il avait fini par abandonner. Perdre un bout de terrain en lui accordant le bénéfice du doute, il n’y croyait pas plus que la seconde précédente mais la phrase avait été formulée dans un sens contraire avec ce si tenté que tu aies raison en guise de paraphe. Mais Joanne restait là, désireuse d’extorquer dieu sait quels aveux et contrant ses arguments par d’autres qu’elle imaginait sans doute imparables. « Elle t’en a parlé ? Le lui as-tu demandé ? Est-ce qu’elle t’a dit textuellement qu’elle voulait des enfants ? » Et chaque question versait sur sel sur ses plaies parce que non il n’avait pas demandé mais oui, oui elle voulait des enfants, elle voulait même plus que ça, elle voulait ce que ses parents avaient eu, elle l’avait dit, il l’avait entendu … Et ça n’avait rien, rien à voir avec ce qu’Hassan était capable d’offrir à qui que ce soit, plus maintenant. « Prenons un autre exemple. […] Est-ce que, au bout d’un moment, à force d’échecs, tu aurais cessé de m’aimer ? Est-ce que tu aurais envisagé de pouvoir vivre toute une vie avec moi tout en ayant connaissance, qu’il y avait peu de chances que nous puissions être parents … de façon naturelle ? » Il avait voulu répondre, interrompre, poussé par ses propres certitudes, mais sans lui en laisser le temps ou la possibilité elle avait continué « Ça, ça aurait été le pire pour moi, de ne pas avoir pu te donner d’enfant. Avec la dépression qui va avec, les complications, tout ce qui s’en suit. Mais est-ce que ça t’aurait empêché de vouloir encore vivre avec moi ? » Il serrait la mâchoire, elle appuyait sur des boutons plus sensible qu’elle ne l’imaginait, remuait le couteau dans des plaies déjà béantes, et il souffrait, à chaque mot, à chaque question, ça n’en finissait jamais. « Mais c’est pas toi, Joanne. Qui n’aura pas d’enfant alors que c’est ton plus grand rêve, qui subit la dépression que ça engendre et l’impression que plus rien n’a de sens … Et je te le reproche pas, au contraire t’imagines pas à quel point je suis heureux pour toi, que tu aies pu construire tout ça. Mais j’ai déjà eu le temps de cogiter de mon côté. Je t’assure. Retourner le problème dans tous les sens, me demander comment j’aurais géré les choses si la situation avait été inverse, penser à cet enfant qu’on aurait pu avoir, me demander à quoi il aurait ressemblé, compter quel âge il aurait, comment on l’aurait appelé … J’y ai déjà pensé. J’y pense toujours. Et c’est toujours une douleur aussi insupportable. » Il n’aurait pas d’enfants, il fallait qu’il l’accepte. Pas avec Yasmine, pas avec une autre. Il n’aurait pas d’enfant avec Joanne, la chance était passée, la seule et unique, il fallait qu’il l’accepte, aussi. Facile à dire, mais impossible à réaliser. Et Joanne qui insistait, une dernière fois, mettait le point final à sa souffrance en tentant à tout prix de lui faire admettre qu’elle avait raison. Parce qu’elle voulait avoir raison, ou avoir une raison de le laisser, peut-être. « Je pense que quand je l’ai rencontrée en début d’année, elle savait déjà tout ça, Hassan. Et pourtant, sa réaction était vraiment celle d’une femme qui est amoureuse, pas d’une femme que l’on considère comme une sœur et qui a été là durant les pires années de ta vie. » Elle mélangeait tout. Les sentiments de Yasmine et ses sentiments à lui, les aspirations de Yasmine et ses aspirations à elle. Et elle se trompait, à nouveau, et avec certitude cette fois-ci. « En début d’année. Avant qu’elle décide de changer de métier pour devenir sage-femme – et tu la verrais, elle est rayonnante depuis qu’elle travaille en maternité. Avant qu’elle porte un toast en l’honneur de ses parents, du couple et des parents merveilleux qu’ils sont et d’à quel point elle espère leur ressembler un jour. Avant qu’elle s’entiche de ce … type que sa mère lui a mis dans les pattes, et qui n’a fait que les utiliser l’une et l’autre. » Il aurait probablement continué la liste, si nouée par un sanglot qu’il refusait catégoriquement de laisser échapper sa gorgée avait refusée de le laisser poursuivre. Au lieu de ça il avait pris la grande inspiration supposée calmer son flot de paroles, et essuyé d’un revers de la main la larme orpheline qu’il n’avait pas réussi à retenir parce qu’elle l’avait remis sur le tapis et qu’il y pensait à nouveau : à cet enfant qu’ils auraient pu – auraient dû – avoir, qui aurait eu un visage, un prénom, un anniversaire. « Peut-être que t’as raison … » avait-il finalement murmuré, soudainement las, éteint. « Peut-être qu’à une époque Yasmine avait des espérances à propos de moi dont j’avais pas conscience. Je sais pas … J’en sais rien. Mais la question ne se pose plus. » Question réglée, presque avant d’avoir été posée. Drame silencieux d’une interrogation qu’Hassan ne maitrisait pas et qui ne ferait désormais que rajouter à ce qui pesait déjà sur ses épaules, tous les jours. Et entacherait sa relation avec Yasmine, peut-être, parce que maintenant il saurait qu’elle le regardait comme celui qui aurait pu mais s’était révélé ne pas être suffisant.
L’était-il seulement pour la blonde ? Il ne comprenait pas ce que Joanne cherchait, c’était comme si à nouveau elle jouait les boomerangs et cherchait un moyen de se défaire après avoir décidé de revenir, sans culpabilité aucune. Il essayait pourtant, il faisait de son mieux, il faisait son possible … Mais elle continuait de gratter, de chercher la faille, la petite bête, la raison de pouvoir lui coller sur le dos un éventuel échec. Il n’était pas suffisant, il n’était plus suffisant – il l'était, avant. Avant qu’elle ne fonde une famille avec un autre et ne lui refile le rôle ingrat de celui qui n’avait pas été capable de lui donner tout ça, comme s’il l’avait voulu. « C’est réciproque. » Silencieux, fatigué, Hassan n’avait pas relevé les yeux et n’était même pas certain de ce qui, au juste, était supposément réciproque. « Et c’est compliqué, pour nous tous. J’ai remarqué plus d’une fois que tu n’étais pas franchement à l’aise avec Daniel. Et je comprends que tu aies des difficultés à te positionner vis-à-vis de lui, de moi, et même de Jamie. Se trouver une place au milieu de tout ça, ce n’est pas facile. Je le passe avant beaucoup, beaucoup de choses, parce que j’estime que pour son âge, il souffre déjà bien assez du fait que ce soit encore trop difficile pour Jamie de passer du temps avec lui. » Le regard toujours happé par le gravier sous ses pieds, le brun s’était surpris à secouer la tête au fur et à mesure des mots de Joanne comme pour dire que non, non, elle n’y était pas du tout. Ce n’était pas Daniel le problème, pas plus son existence que la manière dont Joanne organisait son temps … Ça n’avait rien à voir. « Pourquoi tu penses ça, précisément ? À cause de Daniel ? Du fait que tu ne puisses pas fonder une famille ? Explique-moi … » A contrecœur il l’avait laissée attraper à nouveau son regard, baigné d’une tristesse qu’il ne saurait exprimer, et son cœur s’emballant momentanément lorsqu’elle avait caressé sa joue avec douceur. Et là, avait-il eu envie de demander, j’ai toujours l’air d’être invincible ? « J’ai aucun problème avec Daniel, je … Il est adorable. Et j’ai jamais espéré ou même pensé que tu ne devrais pas en faire ta priorité, c’est ton fils Joanne, bien sûr qu’il doit rester prioritaire. J’ai jamais voulu qu’il en soit autrement … Mais tu as raison, je ne sais pas comment me positionner. » Ce n’était pas vraiment la réponse à la question de la blonde, pourquoi il pensait ce qu’il pensait, mais il sentait que ce point-là méritait d’être éclairci lui aussi. Plus encore que la question de ses propres états d’âmes. « J’ai aucune idée de ce que tu attends de moi, vis-à-vis de Daniel … Si je lui adresse la parole, si je lui tends un jouet, j’ai toujours peur que tu t’imagines que j’essaye de m’imposer, ou de réclamer une place qui n’est pas la mienne. Et c’est encore plus compliqué en sachant que son père doit probablement haïr la simple idée que je me trouve dans la même pièce que son fils. » Hassan n’était pas dupe, à ce sujet. « Alors dans le doute, je me suis dit que tu préfèrerais que je m’efface, autant que possible. » Et donc qu’il conserve une sorte de distance de sécurité vis-à-vis de son fils, pour ne pas faire de vague, pour ne pas risquer de provoquer plus de problèmes qu’il n’avait déjà l’impression d’en causer à Joanne. « Et c’est pas à cause de lui, que je t’ai dit ce que je t’ai dit … » Qu’elle lui donnait l’impression de ne pas être assez, ou plus assez. Les doigts d’Hassan étaient venus glisser contre ceux que la jeune femme avait posés contre sa joue avec hésitation. « Mais si tu en veux d’autres ? Des enfants. » Maintenant qu’elle savait qu’elle en avait la possibilité, la capacité. « Parce que tu avais raison tout à l’heure, bien sûr que je serais resté même si ça avait été compliqué, ou impossible. On se serait débrouillés autrement, on aurait trouvé un autre moyen … y’a d’autres options, on en aurait discuté. Mais même ça je peux plus l’envisager, maintenant. » Même l’adoption, au fond, quelle agence d’adoption serait assez inconsciente pour accepter le dossier de quelqu’un qui avait ses antécédents médicaux, et qui avait essayé de se suicider par-dessus le marché. Aucune chance. « Et j’ai … Si on décide de recoller les morceaux, si on se donne vraiment cette seconde chance. J’ai pas envie qu’avec le recul tu finisses par regretter, et par me détester. »
Ce n'était pas ainsi que Joanne avait imaginé leur conversation. Elle espérait que leur conversation puisse se passer de la même façon qu'avant, le plus posément possible bien que les sujets soient particulièrement sensibles. Elle savait que Yasmine faisait partie de ces sujets là et la blonde aurait certainement préféré contourner le sujet. Mais elle ne voulait plus vivre avec tout ça sur la conscience. Yasmine l'avait accusée de beaucoup trop de choses et même si les mots d'Hassan l'avaient rassurée, elle savait que son entourage ne la détestait pas moins. Cela soulevait de nombreuses problématiques et ce n'était pas facile pour lui non plus, et il avait du malgré lui prendre le rôle de catalyseur afin de limiter la casse des deux côtés. Et alors qu'elle continuait à argument la façon dont elle voyait leur relation, elle observait les réactions de son ex-mari. Un rire quelque peu amer par ci, un regard triste par là, elle devinait qu'il n'était véritablement pas d'accord avec ses propos. Joanne pouvait être têtue et parfois assez bornée. Mais ce n'était pas les mots qui la qualifiaient à ce moment là. Tout ce qu'elle cherchait à faire, c'était de lui faire comprendre son raisonnement à elle. Elle avait conscience qu'il lui manquait des éléments, Hassan lui avait largement fait comprendre qu'elle n'en savait finalement pas grand chose. Mais elle concluait avec ce qu'elle avait. Joanne aurait du s'en douter, qu'il y aura à nouveau des moments où ils ne parviendraient plus à se comprendre. Où il y avait bien trop de sentiments et de passif en jeu pour garder l'esprit loin de la brume et loin des tourments. Elle désenchantait totalement et entendait Hassan finalement dire qu'il n'en savait rien. Elle ignorait s'il ne voulait pas chercher, pas savoir, ou s'il y avait autre chose. "J'étais à fleur de peau, à cause de ses réactions et de toutes les choses dont elle m'accusait largement avec ses sous-entendus, j'ai fini par lui demander si elle n'était pas amoureuse de toi et elle s'est totalement braquée. Je ne dirais pas qu'elle est devenue une furie mais elle s'est vraiment bien énervée quand je lui ai avancé la supposition que j'avais faite." expliqua-t-elle dans les grandes lignes, avec un soupir. Le reste de la conversation que la blonde avait eu avec elle, Hassan en connaissait déjà les grandes lignes. "Je ne l'ai accusé de rien du tout, j'ai supposé." Après, peut-être que Yasmine se mentait aussi elle-même. Encore une fois, Joanne n'en savait rien. Et à ce stade, elle n'avait pas vraiment envie de la connaître davantage. Elle réalisait qu'elle faisait face à un mur lorsqu'Hassan partageait une nouvelle fois sa souffrance quant au fait qu'il n'aurait jamais d'enfants et le deuil qu'il n'avait toujours pas résolu de cet enfant qui n'avait jamais vu le jour. Joanne aurait bien voulu lui dire qu'elle en souffrait aussi toujours, comme chacune de ses fausse-couches d'ailleurs, mais elle l'entendait déjà que elle, elle avait Daniel. Et lui aussi touchait une corde sensible, parce qu'il ignorait combien de fois elle avait du perdre un enfant, aussi minuscule chacun était à chaque fois, avant d'avoir pu accoucher d'un enfant en pleine santé. Le ratio était on ne peut plus déséquilibré. Les lèvres pincées, ses yeux bleus inondés de larmes, Joanne préférait regarder ailleurs. Elle l'écoutait toujours attentivement, à conclure lui-même ce sujet là pas parce que c'était résolu, mais parce qu'il ne voulait plus en entendre parler. Joanne prenait de longues minutes pour ravaler ses larmes, pour tenter d'être ensuite la plus douce possible lorsqu'il exprimait son mal-être vis-à-vis d'elle. Hassan n'avait pas idée combien elle prenait sur elle sur le moment pour taire leur discussion précédente et de limiter les pots cassés. Il avait son opinion, elle avait le sien, et il semblerait qu'il n'y ait aucun moyen pour qu'ils trouvent un terrain d'entente. Et dire qu'à une période de leur vie commune, à la moindre contrariété, ils se réconciliaient dans l'heure, ou au pire, dans la journée, sans jamais rien laisser traîner. Elle voulait lui faire comprendre qu'elle était à son écoute, bien qu'ils étaient tous les deux bouleversés par leur précédente conversation. Il n'était pas contre le fait qu'elle priorise constamment son fils, mais malgré tout, cela ne lui facilitait pas la tâche quant à la manière dont il devrait se comporter avec le petit. "Je sais que tu ne veux pas t'imposer, et que tu ne prendras le rôle de père. Et tu as raison, je ne laisserai pas ce genre de choses faire, parce que Daniel a son papa." dit-elle avec douceur. Mais il avait raison sur un point, Jamie n'apprécierait certainement qu'Hassan passe du temps avec le petit. Le fait qu'ils se détestent jouait beaucoup, mais Joanne supposait que son ex-fiancé aurait surtout peur d'être oublié par Daniel, que celui-ci ne le considère plus comme son père. Joanne s'évertuait tous les jours à maintenir ce lien même s'il était pour le moment absent et c'était loin d'être facile. Parfois, le fils de Joanne avait de gros chagrins, réclamant la présence de son père –non, la présence de ses deux parents, en même temps. Il n'y avait pas vraiment de solutions miracles à ce sujet. "Je pensais qu'il te mettait mal à l'aise dans la mesure où... c'est mon fils, justement." Et qu'Hassan n'en soit pas le père. Daniel était l'incarnation de ce dont Joanne avaitt toujours rêvé, de ce que Jamie voulait, et de ce qu'Hassan ne pourra certainement jamais avoir. A travers les mêmes grands yeux bleus de sa mère, le petit leur suscitait à tous de vives émotions. "J'avoue que je ne sais pas vraiment non plus... Ce dont j'ai envie, c'est que, dans un premier temps, Jamie parvienne à revoir Daniel, à passer un peu de temps avec lui, et que la garde se remette en place, finalement. C'est pour ça que je préférais le faire garder pour quand on se voit, je vois bien que tu n'es pas à l'aise avec lui." Joanne continuait de lui caresser tendrement la joue. "Mais j'aimerais vraiment que les choses se tassent avec Jamie, par rapport à Daniel aussi, je pense qu'à partir de ce moment là, on arrivera peut-être à mieux définir les choses." Elle pensait que c'était ce qu'il y avait de mieux à faire. Encore attendre un peu, faire stagner et voir comment les choses se présenteront le moment voulu. Joanne ne tenait pas à froisser son ex-fiancé d'une quelconque manière, elle tenait toujours beaucoup à lui et elle savait qu'il était un bon père. Mais là n'était apparemment pas le problème. Hassan se projetait dans leur relation, si celle-ci fonctionnait comme ils pouvaient l'espérer. Bien sûr que Joanne voulait d'autres enfants. Elle voulait que Daniel ait un petit frère ou une petite soeur avec qui s'amuser. Elle-même rêvait de revivre une grossesse, malgré tous les tracas, tous les symptômes, malgré son accouchement qui avait tout de même été très compliqué. "Je ne suis pas certaine que les autres... moyens comme tu dis, auraient fonctionné, si j'avais accepté qu'on y est recours. C'est pas la conception en elle-même qui pose problème, c'est la capacité de le garder. Je ne pense pas que tu veux savoir combien j'en ai perdu." dit-elle dans un murmure, la gorge bien trop serrée, son regard perdu ailleurs. Joanne voulait être maman, de A à Z, elle était très bornée à ce sujet. Peut-être que si elle commençait véritablement à désespérer, elle aurait songé à d'autres options, mais elle voulait encore essayer autant que possible. La petite blonde finit par se lever et lui prit la main pour qu'il fasse de même pour le prendre dans ses bras avant de prendre son visage entre ses mains, avec un sourire tendre. Au fond, Hassan devait certainement avoir la réponse à sa question, lorsqu'il lui avait demandé si elle voulait d'autres enfants. Il savait très bien que si elle le pouvait, elle n'en voudrait pas qu'un seul. La jeune femme ne se voyait pas le lui dire directement, voyant bien qu'il se sentait déjà suffisamment rabaissé. "Te détester parce que tu ne peux plus avoir d'enfants ?" lui demanda-t-elle tout bas, le regard inquiet. "Ce n'est pas une raison de détester quelqu'un. Certainement pas pour moi, en tout cas. Ce ne sont pas des choses qu'on peut vraiment choisir." Joanne n'avait plus les mots, elle ne savait pas vraiment quoi dire face à ses craintes. Elle ne saurait dire s'il voulait en venir à quelque chose, ou s'il tenait vraiment à lui partager ses craintes avant d'éventuellement aller plus loin. La jeune femme était habituée à avoir des regrets, elle en avait beaucoup eu au cours de ces dernières années. Des phrases, des gestes, des actions. La liste des raisons de son sentiment de culpabilité était affreusement longue. "Quoi qu'il advienne, tu restes un ami, Hassan. L'un des plus proches que j'ai jamais eu." lui dit-elle finalement avec un sourire. "Et je pense que nous sommes capables tous les deux d'évaluer si ça peut toujours fonctionner ou non." Elle marqua une courte pause. "Ce qui me fait le plus peur, c'est moi. Je ne suis plus la moitié de celle que tu as connu, et je t'admirerai toujours pour la force dont tu as fait preuve pour traverser tout ce que tu as vécu, même si tu ne voudras jamais l'admettre." Sans qu'elle ne s'en rende compte, des larmes avaient bordé ses yeux. "J'ai peur que si je fais une rechute, tu tombes avec moi, je suis terrifiée à l'idée des regards que tes proches me lanceront lorsque je les reverrai. Parce que je sais qu'une grand partie d'entre eux me déteste, Hassan. Et il n'y a rien que je puisse faire pour trouver grâce à leurs yeux, rien du tout. Ils me détestent, Hassan, je le sais. C'est pas faute d'essayer d'aller mieux, vraiment, j'essaie de... d'avancer, de prendre des initiatives, d'être plus passive sur certaines choses et plus active sur d'autres. Mais ça me fout une pression monstrueuse parce que je sais à quel point tu tiens à eux, je sais à quel point tu les aimes. Moi non plus, je me sens pas à la hauteur." En dépit de ses sentiments, elle n'était même plus certaine si elle était vraiment le genre de personnes dont il avait besoin auprès de lui actuellement. Certainement pas en voyant comment se passait la majorité de leurs rencontres. Ils comptaient tous les deux avancer prudemment dans cette relation avant de s'engager véritablement. Il fallait qu'ils apprennent à mettre de côté des sentiments qui avaient le temps de mûrir pendant une dizaines d'années pour admettre, si oui ou non, ils pouvaient correspondre malgré tous les bouleversements dont ils avaient du faire face chacun ces dernières années. "Et moi ? Malgré tout ce que je te fais vivre comme calvaire –dis pas le contraire, parce que c'est vrai–, est-ce que je te suffis, telle que je suis maintenant ?" Ils auraient pu en sourire, de cette situation. "Regarde-nous, tous les deux à se demander si on est encore suffisant pour l'un l'autre." souffla-t-elle à un très discret rictus gêné.
Ce n’était pas la faute de Joanne au fond, et ce n’était pas tant qu’Hassan lui reprochait quoi que ce soit … C’était le sujet qui était sensible, à l’image de la fragilité qu’il pensait être celle de sa relation avec Yasmine actuellement. Comme si tout ne tenait qu’à un fil que le prochain faux pas ou la prochaine dispute terminerait de couper de manière définitive. Ce n’était pas sans raison qu’il n’avait toujours pas parlé à Yasmine du fait que Joanne lui avait avoué leur entrevue, quand bien même il avait dit à la blonde qu’il le ferait … Il ne parvenait jamais à trouver le bon moment, il avait peur de jeter de l’huile sur le feu, et maintenant il se disait qu’il aurait sans doute fait bien pire que cela en vendant la mèche. « J’étais à fleur de peau, à cause de ses réactions et de toutes les choses dont elle m’accusait largement avec ses sous-entendus, j’ai fini par lui demander si elle n’était pas amoureuse de toi et elle s’est totalement braquée. Je ne dirais pas qu’elle est devenue une furie mais elle s’est vraiment bien énervée quand je lui ai avancé la supposition que j’avais faite. » s’était finalement justifiée Joanne en soupirant, probablement à contrecœur. « Je ne l’ai accusée de rien du tout, j’ai supposé. » Au tour d’Hassan de baisser les yeux en soupirant, l’air penaud. En réalité c’était lui qui accusait Joanne alors qu’il n’y avait pas lieu … Elle n’était pas responsable de ce qui se passait entre Yasmine et lui. Et les excuses, finalement, étaient venues dans un murmure « Je sais … Excuse-moi. J’ai juste aucune idée de ce que je suis censé faire de cette information. » Est-ce qu’il était supposé changer son comportement ? En parler à Yasmine, lui poser lui-même la question ? Il n’arrivait pas à voir en quoi cela pourrait être une bonne idée. Il connaissait la brune et sa pudeur sur ce genre de sujets, c’était comme ça qu’on l’avait élevée, c’était comme ça qu’on aurait sans doute terminé d’élever Hassan également s’il n’avait pas perdu ses parents justement à l’âge où l’on commençait à s’intéresser aux relations amoureuses et charnelles. Et il y repensait maintenant, aux deux baisers furtifs échangés avec la brune il y avait de cela plusieurs mois ; Deux baisers qu’il n’avait pas pris au sérieux, à peine l’affaire d’une demi-seconde, l’expression maladroite des chamboulements qui survenaient à l’époque – son déménagement, son départ pour Téhéran, et le souvenir de son accident de voiture encore vif. Et finalement tellement de choses s'étaient passées depuis, d'autres chamboulements, sa mésaventure iranienne, la tempête du mois de novembre, Salim, Joanne … Tellement de choses que ces deux baisers avaient été relégués au fond, tout au fond de leurs esprits à l'un et à l'autre, et puis oubliés, finalement. Peut-être parce que tout ça n'avait pas lieu d'être au fond, parce que ce à quoi disait aspirer Yasmine n'était pas compatible avec ce qu'était capable de lui donner Hassan.
Et il n'était même pas certain que les attentes de Joanne soient beaucoup plus compatibles à ce sujet, en fin de compte. Peut-être qu'il y pensait simplement trop, qu'il se focalisait simplement trop là-dessus, mais il ne parvenait pas à penser à autre chose … Il n'arrivait pas à passer outre, encore moins à l'accepter et quelque part cela virait à l'obsession. Mais il l'avait toujours imaginé de cette façon, son futur ; Y'en a que ça faisait ricaner, le cliché de la jolie maison avec les rires d'enfants et les jappements du chien qui s'en échappaient, avec le père et la mère qui prenaient le soleil dans un coin du jardin en gardant un œil attendri sur leur marmaille en train de chahuter gentiment. Mais Hassan ne trouvait pas ça drôle ou ringard, lui, c'était ce qu'il voulait, c'était ce qu'il avait toujours espéré avoir, un jour. Et fallait qu'il fasse une croix là-dessus, on attendait de lui qu'il s'estime heureux parce qu'après tout il avait au moins la maison et le chien et qu'on ne pouvait pas tout avoir dans la vie … On lui demandait de se contenter du futile et de renoncer à l'essentiel. Avoir la femme qu'on aimait à ses côtés et pouvoir construire une famille avec elle, c'était ça l'essentiel, et là où la première lui donnait l'impression de pouvoir s’évaporer à chaque instant il fallait aussi qu'il fasse le deuil de la seconde. Et ça le rongeait, de ne pas trouver quelqu'un qui comprenne réellement ce qu'il avait dans la tête … Joanne essayait, pleine de bonnes intentions et persuadée que leur situation était similaire mais elle ne l'était pas. Y'avait ce petit bout d'elle qui grandirait, qu'elle regarderait et qu'elle aiderait à s'épanouir jusqu'à devenir adulte, qui l'appellerait maman en souriant et peu importe ce qu'il y aurait eu avant et après elle aurait toujours ça, et elle ne serait jamais en mesure de ressentir le vide monstrueusement douloureux que la privation de cette perspective provoquait chez Hassan. Mais ce n'était pas sa faute à elle, pas sa faute à lui … fallait simplement qu'il accepte. On en revenait toujours à la même chose, au même blocage qu'il ne savait pas comment dépasser seul. Que la blonde y voit la raison pour laquelle son ex-mari semblait mal à l'aise en présence de Daniel en revanche avait provoqué chez Hassan un regard de surprise, parce qu'il n'en était rien … Jamais l'idée de faire peser ses regrets ou son amertume sur les épaules de cet enfant qui n'avait rien demandé à personne ne lui avait traversé l'esprit. Non, ce n'était pas la place de Daniel, le souci … c'était de ne pas savoir où était sa place à lui. « Je sais que tu ne veux pas t'imposer, et que tu ne prendras pas le rôle de père. Et tu as raison, je ne laisserai pas ce genre de chose faire, parce que Daniel a son papa. » lui avait-elle cependant assuré tandis qu'il tentait d'expliquer le pourquoi de son comportement. « Je pensais qu'il te mettait mal à l'aise dans la mesure où … c'est mon fils, justement. » L'aveu avait froncé les sourcils d'Hassan, comprenant que ses intentions – y compris concernant leur discussion précédente - n'étaient toujours pas claires aux yeux de Joanne. « Non, non bien sûr que non … » Il avait doucement secoué la tête, et laissé ses doigts glisser contre la main que la blonde avait posé contre sa joue. « Je le pense vraiment, quand je te dis que je suis content pour toi. Que j'ai pas encore réussi à accepter le fait que je n'aurai pas d'enfants, et que toi tu aies eu cette chance, c'est deux choses totalement différentes … Tu es faite pour être mère, je l'ai toujours su, et t'imagines pas comme ça me rend heureux pour toi, que tu aies droit à ça, parce que tu le mérites. » Et bien sûr que ça lui avait fait mal, au début. Il s'en souvenait encore, du trou béant dans sa poitrine lorsqu'il avait vu Joanne passer la porte du vétérinaire avec ce bébé dans les bras l'année précédente … il ne l'avait pas vu venir, et cela lui avait fait l'effet d'une gifle monumentale. Mais Joanne avait le droit à ça, au bonheur d'être une mère, et faute d'avoir pu être celui avec qui elle l'était devenue Hassan avait appris à se contenter de cela. Du fait qu'elle le soit, malgré tout. Y'avait que sa place à lui maintenant, qui posait toujours question et qu'il n'osait pas réclamer, c'était ce qu'il tentait de lui expliquer. « J'avoue que je ne sais pas vraiment non plus … Ce dont j'ai envie, c'est que, dans un premier temps, Jamie parvienne à revoir Daniel, à passer un peu de temps avec lui, et que la garde se mette en place, finalement. C'est pour ça que je préférais le faire garder pour quand on se voit, je vois bien que tu n'es pas à l'aise avec lui. » Disons qu'il le deviendrait sans doute un peu plus lorsque la situation globale serait mieux encadrée. Mieux définie. « Mais j'aimerais vraiment que les choses se tassent avec Jamie. » avait-elle repris « Par rapport à Daniel aussi, je pense qu'à partir de ce moment-là, on arrivera peut-être mieux à définir les choses. » Doucement le brun avait acquiescé, pas vraiment inquiet quant à la capacité de Joanne à se démener pour trouver un compromis. « Prends le temps nécessaire, j'attends pas de toi que tu trouves une solution immédiatement … Je ne voulais simplement pas que tu penses que j'ai un souci avec ton fils. » Ou la moindre envie qu'elle gère son temps d'une autre manière, ce n'était pas le cas non plus. « Et je sais que ça semble assez dur à croire, mais j'ai vraiment envie que la situation s'arrange avec Jamie, concernant Daniel. » avait-il finalement ajouté d'un ton précautionneux, soucieux que Joanne ne remette pas sa parole en doute au simple prétexte de ses griefs vis-à-vis du concerné.
Pourtant, quand bien même un certain équilibre finirait par être trouvé, les craintes d'Hassan n'en demeuraient quant à elle pas moins réelles, parce qu'il ne savait pas si Joanne prenait pleinement la mesure du choix qui s'offrait à elle. Rester avec lui et envisager la possibilité que Daniel soit le seul et unique enfant qu'elle aurait – Prioriser son désir d'être mère une nouvelle fois et envisager le fait qu'Hassan ne soit pas le plus indiqué pour y parvenir. Et cela apparaissait de plus en plus comme un choix cornélien tandis que la jeune femme expliquait « Je ne suis pas certaine que les autres … moyens, comme tu dis, auraient fonctionné si j'avais accepté qu'on y ait recours. C'est pas la conception en elle-même qui pose problème, c'est la capacité de le garder. Je ne pense pas que tu veux savoir combien j'en ai perdu. » Et son sang de se glacer un instant, ses doigts se resserrant par automatisme autour du poignet de Joanne. Beaucoup. Il n'avait pas besoin de poser la question pour deviner que c’en était la réponse. Et il n’avait pas commenté, pas osé faire remarquer que l’adoption aussi était une possibilité, parce que Joanne ne semblait pas prête à l’entendre et que cela ne rimait à rien, de toute façon, de construire tant d’hypothèses sur quelques choses qui s’était passé des années en arrières et ne pouvait pas être changé. Sa crainte à lui était ailleurs, et puisqu’elle semblait vouloir l’entendre il avait fini par l’avouer, toucher du bout du doigt l’éventualité qu’un jour, si elle restait avec lui, elle le déteste « Te détester parce que tu ne peux plus avoir d’enfants ? » Non, le détester parce que rester avec lui c’était prendre le risque de ne plus en avoir elle non plus. Encore plus si l’adoption ne lui semblait pas une option envisageable. Le détester de passer à côté d’une autre possibilité de vie, en somme. « Ce n’est pas une raison de détester quelqu’un. Certainement pas pour moi, en tout cas. Ce ne sont pas des choses qu’on peut vraiment choisir. » Il avait agité doucement la tête, se laissant faire lorsqu’elle avait attrapé sa main, sentant son cœur palpiter un peu plus vite lorsqu’elle l’avait serré dans ses bras et qu’il avait respiré un bref instant le parfum dans ses cheveux « Tu trouves ça stupide ? » avait-il finalement murmuré, penaud, lorsqu’elle avait attrapé son visage entre ses mains pour capter à nouveau son regard. Ça l’était peut-être après tout, il ne savait pas trop. C’était une crainte, ça n’avait pas forcément de sens. « Quoi qu’il advienne tu restes un ami, Hassan. L’un des plus proches que j’ai jamais eu. Et je pense que nous sommes capables tous les deux d’évaluer si ça peut toujours fonctionner ou non. » De l’étreinte qui avait précédé Hassan avait conservé ses bras autour de la taille de Joanne, et écoutait en silence « Ce qui me fait le plus peur, c’est moi. Je ne suis plus la moitié de celle que tu as connue, et je t’admirerai toujours pour la force dont tu as fait preuve pour traverser tout ce que tu as vécu, même si tu ne voudras jamais l’admettre. J’ai peur que si je fais une rechute, tu tombes avec moi, je suis terrifiée à l’idée des regards que tes proches me lanceront lorsque je les reverrai. Parce que je sais qu’une grande partie d’eux me déteste, Hassan. Et il n’y a rien que je puisse faire pour trouver grâce à leurs yeux, rien du tout. Ils me détestent Hassan, je le sais. C’est pas faute d’essayer d’aller mieux, vraiment, j’essaie de … d’avancer, de prendre des initiatives, d’être plus passive sur certaines choses et plus active sur d’autres. Mais ça me fout une pression monstrueuse parce que je sais à quel point tu tiens à eux, je sais à quel point tu les aimes. Moi non plus, je ne me sens pas à la hauteur. » Outre les larmes qui se bousculaient Joanne donnait l’impression de se laisser emporter par ses mots au point d’en oublier de respirer, et une main remontant pour caresser son dos avec douceur il avait chuchoté quelques instants pour la pousser à ralentir son débit. « Et moi ? Malgré tout ce que je te fais vivre comme calvaire – dis pas le contraire, parce que c’est vrai – est-ce que je te suffis, telle que je suis maintenant ? » Elle avait relevé ses yeux embués vers lui, avant de détourner furtivement le regard en commentant d’un ton incertain « Regarde-nous, tous les deux à se demander si on est encore suffisant l’un pour l’autre. » Un passage obligé bien plus qu’un constat accablant, selon Hassan. Essuyant une larme sur la joue de la blonde, il avait conservé un ton doux plus proche du murmure pour répondre « Si c’est toi, mon calvaire, il peut bien durer l’éternité – fois deux – je signe tout de suite. » et esquissé un sourire bienveillant. « Et ils ne te détestent pas … Ils sont, disons frileux ? Comme tes parents avec moi, je suppose. Mais Olivia m’a demandé de tes nouvelles la dernière fois que je suis descendu à Sydney, et Fatima m’a demandé deux fois ce que j’attendais pour te transmettre une invitation à dîner – que j’ai préféré mettre provisoirement de côté, parce que ça me semblait incompatible avec le fait qu’on se soit dit qu’on prenait les choses en douceur et que je voulais pas que tu te sentes brusquée, mais hey, maintenant tu sauras qu’à l'occasion, elle compte sur toi pour avoir une nouvelle excuse de faire du couscous pour vingt-cinq personne même s’il n’y en a que quatre à table. » Ça avait l’air de ressembler à un rire, ce qu’il venait de provoquer chez Joanne, ou au moins à un sourire entre deux larmes qui roulaient sur sa joue, et les essuyant du bout du pouce il avait repris avec plus de sérieux, mais toujours une certaine douceur « Bref … ça ne ressemble pas à des gens qui te détestent, je crois. Et s’il reste une ou deux têtes de mule … parait que j’en suis une, moi aussi. » Sourire, et un baiser léger qu’il était venu déposer contre sa tempe avant de la serrer à son tour quelques instants dans ses bras, car si d’ordinaire il manquait rarement de mots, à de rares occasions – comme maintenant – un câlin disait mieux que n’importe quel discours maladroit.