Avait-elle seulement conscience du chamboulement qu’elle était en train de créer dans son esprit ? Par sa simple présomption elle venait de balayer d’un revers de main la seule et unique relation d’Hassan que ce dernier imaginait être encore limpide. Les accusations insensées et la jalousie de Sohan avaient eu raison de l’amitié qui les avait toujours liés Hassan et lui, quant à Qasim le brun n’était pas certain qu’il pourrait un jour pardonner à son frère les années de non-dits et de mensonges dont il s’était récemment rendu coupable … Non, au fil de ces dernières semaines Yasmine lui était apparue comme la dernière personne à qui il pouvait accorder une totale confiance, en dépit des embûches venues écorner leur relation ces derniers temps. Et l’aveu de Joanne, aussi bien intentionné soit-il – du moins il l’espérait – venait de faire voler en éclat l’une de ses dernières certitudes. Avait-il à ce point été aveugle pour ne pas remarquer dans les mots de la brune à son égard autre chose que la simple expression d’une affection aussi profonde qu’innocente ? Et que lui restait-il maintenant, si même Yasmine n’était plus une certitude inébranlable ?
« Réfléchis-y à tête reposée, dans un premier temps. » Mais y réfléchir pour quoi, comment, dans quel but et à quel prix ? S’il prenait le risque d’aborder le sujet avec Yasmine il prenait aussi le risque de perdre une amie, il n’y aurait pas de retour en arrière, et la brune n’était pas qu’une amie parmi d’autres, elle était un pilier, une confidente, une acolyte … Elle était sans conteste l’une des femmes de sa vie, et à ce titre-là le brun doutait d’être capable de se relever s’il la perdait. Dieu sait qu’il n’avait jamais vraiment su se relever d’avoir perdu Joanne. Et jusqu’à maintenant il n’avait jamais vraiment eu la sensation de la retrouver, à vrai dire … Pas comme il l’espérait, en tout cas, pas comme il l’aimerait. La blonde excellait dans l’air de faire un pas en avant puis deux en arrière, et malgré toute volonté de lui laisser le temps et l’espace dont elle avait besoin Hassan se sentait parfois comme David contre Goliath, incapable de faire le poids face aux exigences toujours plus nombreuses de la jeune femme à son égard.
Tout dans ses paroles et dans sa manière de lui exposer les choses prouvait qu’elle ne portait pas réellement crédit à ce dont il tentait de la convaincre. Elle le mettait en garde contre l’impossibilité de remplacer Jamie aux yeux de Daniel alors même qu’il n’avait jamais voulu qu’il en soit autrement, elle réclamait du temps et de la compréhension de sa part alors qu’il ne cessait de lui en donner depuis qu’ils s’étaient retrouvés, et il ne fallait pas chercher bien loin pour comprendre qu’elle le tenait pour responsable de tous les chambardements qui allaient et venaient dans son existence …
Tiens-toi tranquille et tout ira mieux, pouvait-il presque entendre.
Disparais et tout sera réglé, avait-il peur de comprendre. Et il restait-là pourtant, rien ne semblait vouloir changer mais il restait là, parce qu’il espérait, parce qu’il l’aimait, parce qu’à intervalles réguliers elle insufflait juste assez d’espoir et de témoignage d’intérêt pour qu’il continue d’y croire et préfère lui trouver des excuses plutôt que d’imaginer qu’elle le torturait par besoin d’attention.
« Je l’espère aussi. » avait-elle fini par répondre à voix basse, détournant le regard tandis qu’il espérait au contraire avoir droit à ce qu’elle le regarde droit dans les yeux pour y voir qu’il était sincère.
« A vrai dire, c’est tout ce que je demande. Il n’y a rien de plus important à mes yeux. Et à défaut de me réconcilier avec lui, rien ne me ferait plus plaisir que de voir cette situation-là se régler. » Il avait acquiescé en silence, ne voyant rien à y ajouter, conscient que rien dans cette situation n’était de son ressort et qu’il n’en était que spectateur, attendant avec autant d’angoisse que d’incertitude le dénouement final. De toute cette histoire dépendait aussi le chapitre suivant, pour elle, pour eux, pour la place qu’elle accepterait ou non de lui donner et qui ne serait pas juste celle laissée vacante par un autre.
« Je suis une pro pour tout ressasser et en tirer des conclusions qui au final n’ont pas vraiment de sens. Somehow, j’arrive à comprendre comment tu as pu en tirer une telle conclusion, donc je ne trouve pas ça stupide. » lui avait-elle finalement assuré avec une certaine douceur tandis qu’il tentait de mettre des mots sur ce qui le faisait douter, lui.
« Nous voulons nous donner du temps, et ce pour de multiples raisons. Parmi elles, nous laisser des temps de réflexion, et ça fait partie de ces choses auxquelles je n'ai pas encore vraiment songé jusqu'ici. » Il avait dégluti en silence. Une épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête, une de plus … L'histoire de sa vie, des catastrophes pendant au-dessus de sa tête et plus la moindre certitude.
Pas qu'il ne s'imagine un instant que des questionnements il n'y en avait aucun du côté de Joanne, les interrogations n'étaient probablement pas les mêmes mais l'incertitude demeurait, palpable. Lorsqu'elle avait répondu entre deux larmes
« Même si c'est quelque chose de particulièrement romantique et touchant, ce que tu viens de me dire … Je ne me pardonnerai jamais d'être ton calvaire pour le restant de mes jours. » il avait secoué la tête
« Ce sont tes mots, pas les miens. » Et d'ajouter devant son air interrogateur
« Je t’ai jamais considéré comme un calvaire, Joanne. Même si je sais que maintenant que tu t’es mis cette idée en tête que je le dise ne suffira pas à te convaincre du contraire. » La blonde était butée, cela pouvait être autant une qualité qu’un défaut, et d’ailleurs tandis qu’il tentait d’arrondir les angles et de dédramatiser un peu le tableau plus noir que noir qu’elle dressait de l’avis de ses proches à son sujet, elle s’était obstinée
« Je sais juste pas si je pourrais tolérer une nouvelle confrontation avec Yasmine … Encore moins si j’en ai une un jour avec Qasim. » La mention de son aîné avait arraché à Hassan un sourire amer
« Qasim n’est pas vraiment en position de dire quoi que ce soit, à l’heure actuelle. » Et surtout pas d’accuser qui que ce soit – Joanne ou quelqu’un d’autre – de mettre le boxon dans son existence, parce qu’il n’était plus tout blanc dans l’histoire non plus, désormais.
« Laisse-moi gérer ce qui concerne ma famille, d’accord … Te focalise pas là-dessus. » C’était son problème à lui, après tout, pas celui de Joanne. Ce n’était pas à elle de gérer les humeurs et les opinions de son entourage.
« Et je ne suis pas encore prête pour un couscous, non. Mon estomac, encore moins. » Laissant échapper un léger rire, Hassan avait embrassé avec douceur le sommet du crâne de Joanne avant de murmurer
« Le mien non plus, je dois t’avouer. » avec une pointe d’amusement. Mais c’était un peu l’obsession de Fatima – qui pensait bien faire et à qui il ne pouvait pas vraiment en vouloir – le gaver comme une oie en espérant faire totalement disparaitre ces joues encore un peu creusées que le manque d’appétit et le sommeil aléatoire continuaient d’entretenir. Parce qu’elle avait toujours en tête la silhouette rachitique d’un Hassan délesté de la moitié de son poids ; Il ne lui reprochait pas, lui aussi avait parfois l’impression de toujours le distinguer lorsqu’il croisait son reflet. Purement psychologique, parait-il.
Gardant Joanne contre lui sans plus rien dire, le bout de ses doigts jouant machinalement avec une mèche de ses cheveux tandis qu’elle terminait de sécher ses larmes, il avait simplement acquiescé d’un signe de tête lorsqu’elle avait fait remarquer
« On devrait rentrer. » et laissé ses mains glisser le long des bras de la jeune femme
« J’ai un peu trop bu pour être capable de faire quoi que ce soit, là. Et il y a eu beaucoup trop d’émotions en une seule soirée. » Quittant le muret contre lequel ils étaient installés, Hassan avait présenté son bras à Joanne pour qu’elle le saisisse en ajoutant avec une pointe d’espièglerie
« Un peu trop de punch aussi, uh ? » Mais ce n’était pas une nouveauté, la tolérance de la blonde à l’alcool n’était pas bien haute. Du moins si Hassan en croyait les standards à ce sujet depuis toujours, lui-même difficilement en position de jauger.
« Je peux appeler un taxi pour rentrer, passer par Toowong te fait quand même faire un sacré détour. » Ce n’était pas le trajet le plus direct pour rejoindre Logan City, en effet. Pour autant le brun avait secoué la tête
« Ça ne me dérange pas … Je serais plus rassuré de te savoir bien arrivée chez toi. » Parce qu’elle était alcoolisée, pour commencer, mais aussi parce qu’elle vivait à Toowong et que même des mois après Hassan continuait de garder dans un coin de sa tête l’agression de Yasmine et le brin de paranoïa qu’il avait développé à ce sujet.
« Je te nomme responsable en chef de la radio, ça c’est une offre qui ne se refuse pas. » Ce n’était probablement pas l’argument qui avait fait pencher la balance, mais néanmoins la blonde avait esquissé un sourire et accepté la proposition, permettant à Hassan d’avoir la certitude qu’elle était arrivée à bon port lorsqu’il l’avait déposée devant chez elle et avait attendu qu’elle ait refermé la porte et que la lumière du perron se soit éteinte. Ensuite seulement s’était-il autorisé à remettre le contact et à reprendre la route.