Malgré ce que Cole nous envoie à la figure, nous avons bien fait de venir après lui. Je sais que je m’en serais voulu si quelque chose lui été arrivé. Après tout, il a l’air con mais pas mauvais, il ne mérite pas ce qui lui arrive, comme tant d’autres qui ont cédé à la drogue, et ne réussissent plus à en sortir. Et puis Nathan. Nathan avait sûrement besoin de voir ça, aussi, pour comprendre que ce n’est pas en claquement doigt qu’on se sort de ce genre de merde. Il paraît que le plus dure est le sevrage qui peut durer jusqu’à une semaine, les premiers jours étant les plus durs. Après, cela dépend aussi de la constitution de la personne, du temps qu’elle est restée accro, à quoi elle était accro... C’est ce qui me semble, en tout cas. Seulement la meilleure chose à faire c’est sans doute d’avoir des professionnels et des amis pour les soutenir là-dedans. C’est ce qui avait manqué, à mon pote, de réels amis. On s’en été tous voulu en apprenant sa mort, tous.
Cole a trouvé en Nathan quelqu’un qui l’aidera avant même de penser à lui, il est comme ça avec tout le monde ce gamin. Pourtant j’ai l’impression que le junkie n’a pas bien saisi cela, il doit penser que Nathan se cantonnera à des mots, des paroles. Il pense déjà que tout est de sa faute, que c’est lui qui l’a forcé à arrêter et que ça n’est pour personne. Il m’énerve hein, vraiment ce con. C’est sans doute le manque qui le fait dire ça, virer autant de caractère, mais je ne me prive pas pour le recadrer comme je peux. Qu’il redescende sur terre cet abruti, et surtout qu’il arrête de condamner Nath’ ainsi. Ce qui est débile. Ce qu’il subit là est juste le manque dû à sa récente prise, c’est simplement la descente, rien d’autre. Sûrement accentué car il paraît qu’il a diminué la fréquence et les doses, mais tout de même. Il n’y a qu’à lui qu’il peut s’en prendre à ce moment précis, c’est lui qui s’est piqué sans penser aux conséquences. Le vrai sevrage, j’imagine sans problème qu’il sera encore plus douloureux.
Mais du coup, je connais Nathan, et il va s’en vouloir très rapidement une fois que ces paroles auront tournées en boucle dans sa tête, et c’est très mauvais. Mauvais car faux, inutile. Il n’a rien fait, ce n’est absolument pas de sa faute. C’est ce que je dis en m’adressant à Cole, et je le répéterais plus tard à Nathan. Malheureusement, ce qu’il nous crache à la gueule aura bien plus d’impact qu’il ne peut le comprendre en cet instant, dans son état. Je le cherche même sur son terrain, je le secoue, j’aurais pu le baffer si ça l’avait fait reprendre un semblant d’esprit, mais ça aurait eût l’effet inverse. Je le menace aussi, clairement. Ça a l’air de l’amuser, mais s’il croit que je déconne il se fourre le doigt dans l’œil. A moins que ce soit parce que je parle de son dealer... S’il croit aussi que je ne sais pas comment ça fonctionne, il est bien naïf. La drogue ce n’est pas un sac oublié sur un banc et un billet de cinquante qui se balade au vent. Pour la dope comme pour la poudre, à un moment donné si tu veux ta came, faut bien le rencontrer le type, le payer. Certains livrent même, j’avais découvert ça à Londres. Ça tourne dans soirées où y’a de l’oseille, ça tourne...
Qu’il revienne me parler et argumenter sur son incapacité à se sevrer quand il sera moins perturbé, sans doute que je le prendrais au sérieux. Sans doute que j’aurais dû respect pour lui, chose dont je n’ai que très peu à son égard en cet instant au vue de sa conduite. Je ne mâche pas mes mots, je ne fais aucun effort pour être diplomate. Je suis supérieur par le simple fait que j’ai ma conscience, que je ne suis pas aveuglé par je ne sais quel sentiment. Qu’il n’arrête pas seulement pour Nath’, mais pour lui-même aussi. Sinon dès que Nathan sera parti, il replongera, et tous les sacrifices, ma douleur, n’aura servi à rien. Croire qu’il faut aimer les autres avant de s’aimer soi-même pour être heureux, c’est un non-sens, une connerie. Ça n’amène que des complications. Je fais comprendre à Nathan de ne rien dire, pas tout de suite, il aura sa chance plus tard. Et puis il pourra m’engueuler aussi, il aurait le droit. J’essaie de conclure plus tranquillement avec Cole, mais ce dernier dans une dernière fierté que je pensais qu’il n’avait pas – c’est qu’il a finalement des couilles le junkie – refuse ma clope que j’avais pourtant proposée pour qu’il se détende. Parce que ça lui aurait fait du bien. Je souris alors, pas décontenancé pour un sou, et murmurant que ça en fera simplement une de plus pour moi.
Je lui fais aussi clairement comprendre ne plus approcher Nathan dans cet état, puisqu’il peut être violent, autant en gestes qu’en paroles, et que mon meilleur ami n’a plus à revivre ça. Je crois qu’il le comprend, car il se dirige vers la sortie sans problème. De toute façon ce n’est pas comme si nous pouvions tenir une conversation d’adultes en ce moment précis. Autant que chacun retourne à ses occupations pour le moment. Nathan aurait pu prendre la parole, mais il m’a l’air trop assommé par la scène pour savoir quoi dire. Tant pis. Visiblement, Cole n’attendra pas. Ou si, à la porte, mains simplement pour me rappeler que les camés sont tous aussi différents que les gens cleans. Et là je comprends que celui qui marque une limite, une différenciation entre nous, les cleans d’un côté et les camés de l’autre, c’est lui. Pourtant la drogue ne le définie pas, pas plus que le fait qu’il soit gay. C’est une personne avant tout. D’ailleurs c’est un peu comme certains LGBT, « nous contre le reste du monde », et après ils se plaignent de ne pas être acceptés ou ce genre de conneries. Mais il un peu trop dans le brouillard pour le comprendre, étant donné que cela fait des années qu’il a cette vision du monde. Et ça c’est triste, je dois dire.
Je me retiens de lever les yeux au ciel, du coup. Me prend-il donc pour un abruti, à penser qu’ils sont tous pareils ? L’ai-je ne serait-ce que sous-entendu ? Il a mille lieues du premier connard, et à tout autant de distance que celui qui est parti pour éviter de faire revivre ça à Nathan. M’enfin, je lâche tout de même un soupire. Le chouchou a l’air de pensé aussi qu’il est le seul à connaître la « dureté de la vie » ? Et si pour lui se réfugier dans la drogue est une fuite des problèmes de ce monde, alors j’appelle ça chialer. Chialer sans même avoir la lâcheté de le comprendre. Mais bon, ça encore, je lui octroie le bénéfice du doute. Je fais un hochement de tête pour le saluer, puis attend qu’il soit parti pour me tourner vers Nathan.
Il a bien ses petits reproches, mais il est surtout chamboulé. Je lui propose de rentrer, mais pas chez lui, chez moi. A l’appartement, avec Arthur, il aura un peu de compagnie et je suis certain que cela lui fera du bien. Nous discuterons mieux de tout cela demain... Il ne fait pas le difficile, il n’a pas envie de rester et c’est compréhensible. Je l’accompagne jusqu’au dehors, et attend un peu avec lui jusqu’à ce qu’il soit monté dans un taxi auquel nous donnons l’adresse de mon appartement. Je lui souhaite une bonne nuit, lui demande d’embrasser Arthur de ma part, et de surtout faire comme chez lui. Je le prends dans mes bras une dernière fois, le serre fort pour lui assurer que je suis là pour lui, puis il entre dans le taxi. Un dernier coucou de la main et la voiture part. Je pousse un lourd soupire en me passant la main dans les cheveux ; ça c’est largement plus mal passé que prévu... Maintenant je vais retrouver Thomas, mais cette soirée n’aura sûrement pas la même saveur. Avant de revenir sur le terrasse, je fais un détour à la buvette pour prendre un verre de quelque chose d’un peu plus fort, ça sera du vin, classique, parce que je suis sûr de le boire plus vite que mon ombre.
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