It's like a stageWithout a crowd My best performance But no one's proud All I wanna do All I wanna do Is say I love you
Quelques paroles bienveillantes ne pouvaient pas être de trop pour rappeler à Joanne de ne pas complètement s'oublier. Bien que je la soupçonne d'avoir parfaitement conscience de ce mode de vie qu'elle adopte dès qu'un événement éveille son inquiétude et son anxiété, et qui n'est pas vraiment sain, rien qu'un rappel peut suffire à la pousser à faire attention. Je me contente de sourire légèrement, notant que même les cernes ne peuvent pas flétrir son joli visage. Elle pointe la boisson chaude et le petit-déjeuner qu'elle a tout de même pensé à prendre pour elle, ce qui est en effet un bon début. « C'est pas mal. » j'approuve, me contentant bien de savoir que Joanne compte tout de même se nourrir, ce qui est souvent le plus ardu avec elle dans les moments de stress. Tandis qu'elle attend que son chocolat tiédisse, je l'encourage à me raconter ses journées au musée. Depuis que je lui ai présenté Simon, je n'ai pas douté une seule seconde qu'elle y avait sa place et qu'elle saurait le prouver. J'aime la voir parler de ce lieu avec un sourire aux lèvres, l'air de particulièrement bien s'y plaire. La petite blonde sait être humble, parfois beaucoup trop et tomber dans la dépréciation, mais au moins elle n'en fait pas trop et cherche avant tout à plaire, à se fondre dans le décor auprès de ses collègues et supérieurs. Je sais ce que c'est, oui, d'être le dernier arrivé à un post convoité… et de tout gâcher instantanément. Joanne s'en sort bien mieux que moi de ce côté-là. Je sais que si elle s'en donne les moyens, elle pourrait bien s'installer définitivement dans ce musée, pourquoi pas faire carrière, et s'assurer un emploi à vie dans ce lieu d'une richesse folle dont il est impossible de se lasser. Elle me raconte avec le même enthousiasme sa rencontre avec l'un des principaux donateurs dont elle apprécie le professionnalisme. Elle m'apparaît dans son élément, et cela me satisfait amplement. C'est dans la continuité de la thématique artistique que Joanne me montre la dernière grosse bêtise de notre fils ; une belle fresque murale dans le salon qui n'a pas véritablement plu à sa mère. « C'est bel et bien mon garçon ! » je m'exclame dans un rire en observant la photo. Sur le moment, la réaction de la jeune femme ne fut pas de ce genre, bien que la simple peur de se prendre un savon suffisait à servir de leçon à Daniel. « Il cherche simplement à exprimer sa fibre artistique. » dis-je en haussant les épaules pour le dédouaner un brin. Malheureusement, sa tentative de participation à la décoration intérieure de la maison n'a pas été très fructueuse. J'observe Joanne soudainement mettre fin à ses tirades et lâche un petit rire tandis qu'elle se demande, gênée, si elle monopolise trop la discussion. « Absolument pas. » je réponds avec un sourire charmé par ce petit bout de femme qui sait à la fois me surprendre par certaines de ses initiatives et me charmer par ces mimiques qu'elle a depuis toujours, cette douceur naturelle dont on ne peut la dissocier. « J'aime t'écouter et savoir comment tu vas. Et je suis content que tout se passe bien pour toi. » De plus, la laisser parler me permet de déguster ce scones tranquillement, sans avoir à faire quoi que ce soit d'autre qu'acquiescer de temps en temps. Joanne est une belle personne qui mérite que de belles choses lui arrivent. Elle a toujours mérité mieux que tout ce que je pouvais offrir, mais si, grâce à moi, elle a obtenu un emploi dans lequel elle s'épanouit pleinement, alors c'est une récompense à mes yeux. Lorsque je n'en bois pas, je tripote le gobelet de thé du bout des doigts, le faisant régulièrement tourner sur lui-même sans le moindre autre but que d'occuper mes mains. Je pense beaucoup malgré moi, et n'importe quel détail est la porte ouverte à de grandes introspections. Toutes les erreurs que j'ai pu commettre, tout ce que j'ai fait de travers et qui aurait pu constituer des regrets à emporter avec moi dans la tombe, me sautent aux yeux et me donnent envie de me coller des gifles. Je me trouve idiot et finalement, puni à la juste hauteur de mes erreurs. « Merci de t'occuper de Daniel comme tu le fais, dis-je au bout d'un petit moment de silence. Je sais que je suis devenu ce que je redoutais le plus, et je n'ai pas su endosser mon rôle comme je l'aurais du. Je sais que tu as essayé d'aider et que ça ne fonctionnait pas. Mais j'ai toujours su qu'il était heureux malgré tout avec toi. » Parce que Joanne est une bonne mère, la meilleure qui soit pour lui. Elle sait exactement comment lui parler, comment lui apprendre les choses, et comment le faire sourire. Ils ont cette relation toute particulière qui forme une parfaite harmonie. Et j'ai été l'ombre sur le tableau bien trop longtemps en étant le père absent que je m'étais promis de ne jamais devenir. Bien des promesses sont tombées à l'eau. La petite blonde s'est toujours efforcée de maintenir le contact, quand bien même je le rejetais systématiquement. Elle comprenait, elle était patiente. Elle l'a toujours été avec moi. Je lui en ai toujours demandé bien trop sous couvert de ces états d'âmes capables de me dévorer. « Je me rattraperai. » je lui assure, bien décidé à l'appliquer. Lorsque mes parents avaient tenté de nous retirer notre garçon, l'électrochoc avait été fort efficace mais n'avait pas suffi à surmonter l'éclatement de cette famille qui avait surmonté cette épreuve. Cette nouvelle piqûre de rappel fait son effet à son tour.
Bien que l'on admettait que Joanne avait largement sa place au sein du musée, celle-ci estimait qu'elle avait toujours ses preuves à faire, et qu'il fallait constamment démontrer que l'on pouvait toujours et encore aller plus loin. Aller au delà de ses propres limites, montrer ce dont on était véritablement capable. La jeune femme n'avait jusqu'ici jamais véritablement su comment s'y prendre. Il lui avait fallu énormément de temps rien que pour oser sortir des sentiers battus, sans pour autant trop en s'éloigner. Mais là, ce nouvel emploi était synonyme de nouvelles initiatives, d'une sorte de renouveau. Elle ignorait si c'était l'ambiance au travail, la liberté qu'on lui accorder pour présenter d'éventuels projets ou de simples idées, mais elle avait l'impression d'approcher d'un tremplin et qu'il ne lui fallait finalement pas grand chose pour qu'elle prenne son élan. Il fallait trouver quoi, puis comment, où, quand, et tout allait se faire tout seul. Il lui manquait encore des éléments, comme si le chemin était tout tracé, mais elle en voyait déjà le croquis. Ce qui, pour une personne ayant un caractère tel que Joanne, était surprenant et particulièrement encourageant. Et voir Jamie sourire, heureux d'entendre que de ce côté là, tout allait bien pour elle, ne la rendait que plus heureuse. De fil en aiguille, la jeune femme avait fini par montrer au brun le dernier exploit de leur fils. Désormais, cette bêtises faisait rire, bien sûr. Et avec des parents aussi ancrés dans l'art en général, il n'était pas surprenant que Daniel s'essaie à quelques expériences. Seulement, voyant qu'elle enchaînait les sujets de conversation, la petite blonde craignait être trop oppressante ou envahissante avec tout ce qu'elle avait à raconter. Mais cela ne semblait pas déranger Jamie, bien au contraire. Il lui souriait même, et ce rictus était rapidement contagieux. Elle avait l'impression de le voir serein, qu'il se sentait bien en dépit de la situation. Joanne ne se souvenait plus de la dernière fois où ils avaient pu discuter autant tous les deux sans le moindre malaise, sans que les voix ne s'élèvent. Elle réalisait combien cela lui avait manqué, de discuter de tout et de rien avec lui, de prendre des nouvelles, de s'intéresser à l'un l'autre finalement, pour en savoir toujours un peu plus sur lui. Elle était touchée de l'entendre dire qu'il aimait toujours autant l'écouter. La jeune femme se permit enfin de boire une gorgée de son chocolat ainsi que de prendre un petit gâteau qu'elle grignotait avec lenteur, et par très petites bouchées. S'en suivit un long moment de silence où Jamie semblait particulièrement pensif. Joanne se doutait bien qu'une telle expérience forçait une personne à revisiter toutes ces questions existentielles, à se requestionner, à réévaluer sa vie. Et la première chose à laquelle il songeait était leur fils, et l'angoisse qu'il avait que d'être devenu ce père absent. "Je n'en doute pas." lui souffla-t-elle avec un sourire, le regard particulièrement doux. "Et tu le rends heureux aussi, je t'assure. Ces derniers mois ont été compliqués, je sais que c'était extrêmement difficile pour toi, ça n'a été facile pour personne et je pense que même ça, Daniel en a eu conscience. Et tu vois, il ne t'en veut pas. A chaque fois qu'il te voit, tout ce qu'il veut, c'est être dans les bras de son papa. Ca en dit déjà long, tu ne crois pas ?" lui dit-elle avec un large sourire. Daniel avait besoin d'une figure masculine, un autre exemple à suivre et Joanne avait toujours fait au mieux pour maintenir ce lien entre son enfant et son père. Jamie était déterminé de reprendre son rôle en bonne et due forme, comme cela devrait l'être. "Déjà là, tu vas le voir un petit peu tous les soirs, et nous verrons comment nous nous organiserons une fois que tu pourras sortir d'ici. Mais c'est déjà un bon début, non ?" Il savait très bien que Joanne était capable de beaucoup de choses quand elle avait une idée bien précise en tête. A s'arranger, à trouver des alternatives malgré les contraintes qui étaient parfois nombreuses. "Et je fais au mieux, pour Daniel." dit-elle après un petit temps de pause. "Je me demande souvent si je fais bien, s'il m'en veut de me voir arriver le chercher tard à la crèche, s'il trouve que je ne passe pas assez de temps avec lui. J'avoue que je doute souvent." dit-elle avec un sourire gêné. "Mais quand je le vois quasiment tout le temps sourire, jouer avec les chiens, créer son petit monde, et parfois même faire quelques bêtises, je me dis que peut-être que je ne m'en sors pas si mal que ça." dit-elle avec un petit sourire. La vie de mère célibataire était intense et chargée, Joanne avait très vite appris à profiter de chaque minute avec son fils. Daniel restait leur trésor, le plus précieux qui soit. Voyant qu'il jouait toujours avec son gobelet de thé, la jeune femme prit délicatement l'une de ses mains pour le sortir de ses pensées. "Eh, Ca va aller." dit-elle avec un sourire affectueux, le regard tendre. "Tu as toujours eu ta place dans le coeur de Daniel, et tu l'auras toujours. S'il est déjà heureux, j'ai hâte de pouvoir voir de mes propres yeux le bonheur qu'il ressentira quand il passera autant de temps avec son père à nouveau. Et avec ton nouveau boulot, je suis certaine que ça va très bien se passer aussi." Certes, l'élan a été coupé au début suite à son arrêt cardiaque. "Vois ça comme un faux départ, pour le travail, tu ne pourras que mieux reprendre ensuite. Tout va très bien se passer." Joanne ne lui avouera certainement jamais qu'elle avait acheté le numéro de GQ où il faisait la couverture. Mais elle savait qu'il était capable de briller et de s'élancer dans ce nouveau job. Elle serrait un peu plus sa main dans la sienne. "Sois aussi déterminé pour ça que tu ne l'es pour Daniel, et tout ira parfaitement bien. Je le sais." dit-elle avec un large sourire. Jamie était un bourreau du travail, elle le savait bien. Et pour elle, ce n'était pas un problème médical mal venu qui allait absolument tout entacher. Non, elle voyait le tout avec énormément d'optimisme et d'entrain et c'était bien ce dont il avait besoin. Il y avait un aspect qu'ils contournaient incroyablement bien tous les deux. Des aveux à demi-mots, des gestes d'affection qui n'étaient plus vraiment amicaux. Elle savait qu'ils allaient devoir en parler, qu'elle allait devoir expliquer ses mots, son baiser. Mais pour le moment, il était surtout temps de montrer à Jamie que ce n'était qu'un nouveau chapitre de sa vie, qu'il y avait certes des remises en question, mais aussi beaucoup de motivation à retrouver pour entreprendre le lendemain d'un bon pied.
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S'il y a bien un véritable amour au premier regard qui a eu lieu dans ma vie, il s'agit du jour où Daniel est né. Bien que mon affection pour ce petit être en devenir n'avait fait que grandir au fil des mois, lorsqu'il fut déposé dans mes bras, cette explosion d'émotions est tout bonnement indescriptible. Il est immédiatement devenu mon trésor le plus précieux, celui pour lequel l'on devient capable de braver les flammes. Je ferais tout pour lui, et pourtant, pendant bien longtemps, la seule chose que j'ai été capable de faire fut de l'éviter, de m'en éloigner. Et ce n'était pas tant pour lui que pour moi, pour satisfaire le besoin égoïste de guérir dans mon coin sans m'encombrer de facteurs de peine. A ce moment-là, malgré tout l'amour que j'avais pour lui, je suis parvenu à faire passer mes besoins avant les siens, et cela n'est pas ce qu'un parent fait. C'est être tout le contraire d'un bon père. Alors certes, à un âge pareil, l'on connaît la rancune et l'on est capable d'être en colère contre quelqu'un, mais nul petit garçon ne saurait tourner le dos à sa famille. Les enfants donnent plus de chances que de raison, ils savent encaisser bien plus que nous ne le pensons. Ils ont une foi sans bornes pour leurs parents. Daniel a toujours été capable de me pardonner mes absences et de sauter dans mes bras comme si de rien n'était en espérant à chaque fois que l'écart entre deux visites ne serait plus jamais aussi long, uniquement parce que je suis son père. « Ca en dit long sur mes absences, je pense. » dis-je tout bas. Le manque n'est pas ce que je souhaite susciter chez lui. Cette constante attente du moment où papa passera la porte sans avoir la certitude que ce jour viendra. Cela est exactement tout ce que je voulais éviter en devenant père, tout ce que je m'étais juré de ne jamais faire. J'ai failli, et ces derniers mois ne sont qu'un concentré d'échecs. Malgré tout, j'essaye tant bien que mal de faire un peu mien l'optimisme de Joanne. J'acquiesce lorsqu'elle me rappelle que cette convalescence est le moment idéal pour renouer avec Daniel. Je sais qu'une fois de retour chez moi, je ne reproduirai pas les mêmes erreurs. Moi aussi, je veux le voir sourire, jouer avec Ben et Milo, explorer sa chambre et mettre le salon à sac, être un facteur de joie dans sa vie, et non d'attente, d'angoisse. « Tu es la meilleure, je le sais. » dis-je avec un sourire. Cette petite blonde jongle avec ses carrières de conservatrice et de mère avec brio, il n'y a aucun doute à émettre à ce sujet, d'autant plus lorsque l'on sait l'ampleur de la tache tandis qu'elle traînait mes états d'âme comme un boulet à son pied. Cela est bien la preuve qu'elle est plus forte qu'elle ne le prétend. Ses petites épaules soutiennent absolument tout en ce moment, à commencer par cette situation, mon arrêt cardiaque et tout ce que ceci soulève. Elle n'a besoin que de mots, qu'elle a toujours mieux maniés que moi, et de sa main qui se glisse autour de la mienne pour la serrer délicatement. Les doutes ne s'envolent pas dans un claquement de doigts, ces nuages planent toujours au-dessus de ma tête, la crainte de mal faire, la peur d'avoir tout ruiné au travail et ne jamais pouvoir redresser la barre -tout ce que je n'avoue jamais et pas même à demi-mot. Mais Joanne m'allège de ce poids au moment où j'en ai le plus besoin. « Merci, Joanne. » Le contact n'est pas bien long, ce qui me permet de reprendre mon petit-déjeuner où je l'ai laissé. Cette atmosphère est spéciale, les pensées qui traversent les lèvres comme sans filtre, si ce n'est qu'un ; le nom qui réunit cette tendresse, ces sourires et ces regards, cette affection sans définition aussi concrète que niée, les œillères bien en place pour le temps de mon hospitalisation. « C'est tellement cliché, d'être plongé dans ce grand questionnement sur la vie après une attaque. » je lance plus légèrement avec un petit rire, conscient que je ne suis qu'un parmi d'autres à traverser cette étape, à se demander autant pourquoi, comment, et après ? Un de plus qui réalise toutes les regrets qu'il n'aurait pas voulu emporter dans la tombe. Je tente de ne pas trop y penser, pourtant le spectre de cette possibilité me frôle constamment, cette autre réalité où je ne serais pas ici, et Joanne tiendrait une main plus froide que la sienne. Elle, en revanche, me paraît loin de ces préoccupations. « C'est rare de t'entendre être plus optimiste que moi. » je remarque avant de reprendre une gorgée de thé et une bouchée de scones, un petit rictus amusé au coin de la bouche.
Malgré les chagrins qu'elle avait du apaiser et les larmes qu'elle avait du essuyer sur les joues de son fils, jamais Joanne n'avait reproché à Jamie de ne pas être là. Parce que leur petit exprimait de temps en temps le besoin de voir son papa et c'était une maman bien démunie que Daniel avait en face de lui. Elle avait fait tout son possible tout en évitant de se montrer trop insistante et ça n'avait pas marché. Alors elle prenait le temps de lui expliquer, de lui garantir qu'il reverrait bientôt son papa en le serrant fort dans ses bras. C'était un crève-coeur à chaque fois et Joanne espérait que sa courte mémoire de bébé lui fasse oublier ces quelques moments où il ressentait un vide auprès de lui. Alors entendre Jamie dire qu'il comptait bien reprendre les choses comme elles devraient être rassurait la jeune femme. Elle n'avait pas douté un seul instant qu'il reviendrait auprès de lui, mais elle se demandait tout simplement quand. Et il semblerait que ce qui lui était arrivé l'avait décidé à prendre certaines choses en main, histoire d'avoir un peu plus de mainmise sur sa propre vie. La jeune femme tentait de se faire le plus optimiste possible, parce qu'elle l'était tout simplement. De le voir là, réveillé, presque comme si de rien n'était malgré tout ce qui lui était arrivé lui donnait espoir. Lorsque l'on pense que tout est perdu et que finalement, il y a toujours moyen de se rattraper d'une manière ou d'une autre. Le bel homme balayait d'une seule phrase les quelques doutes de Joanne sur sa capacité à être mère et femme active à la fois. Elle était grandement touchée par le compliment de Jamie, elle avait toujours accordé énormément de valeurs aux mots de Jamie. Parce qu'il ne faisait pas d'éloges à tout le monde, il était au contraire bien souvent plus pointilleux qu'autre chose. Timide, elle baissa les yeux un instant. Ils ne se tenaient pas la main bien longtemps, Jamie comptant poursuivre tranquillement son petit-déjeuner. Joanne en profitait également pour grignoter un petit peu, quoi qu'elle n'avait pas vraiment d'appétit. Alors elle se contentait principalement de boire son chocolat chaud par petites gorgées. La petite blonde rit doucement à sa remarque. "Cliché, peut-être." commença-t-elle. "Mais je pense que c'est essentiel et que ça peut aider à ... répondre à certaines questions dont on ne savait jamais la réponse et à retrouver quelles sont ses véritables priorités." Et cela ne concernait pas que lui. Joanne se doutait bien que tout l'entourage proche de Jamie avait vécu son arrêt comme une véritable claque. "Ce n'est certes pas le moyen le plus idéal pour parvenir à ce genre de questionnement. C'est même beaucoup trop radical." Mais pourtant c'était ce qui marchait certainement le mieux quand on avait la tête trop dans le guidon. Elle lui souriait, ou du moins, elle souriait parce qu'elle le voyait sourire. Jamie était surpris de la voir aussi optimiste. En effet, cela ne faisait plus partie de ces qualité premières depuis quelques temps, quoi qu'elle s'était toujours montrée plus positive pour les autres que pour elle-même. La jeune femme rit nerveusement. "Je te surprends jour après jour, pas vrai ?" dit-elle avec amusement, en posant à nouveau son gobelet sur l'adaptable. Elle continuait de rire un peu toute seule. Elle se sentait beaucoup mieux depuis quelques semaines, malgré la relation étrange qu'elle avait avec Jamie, le baiser échangé le jour où il était venu voir Daniel. Elle ignorait depuis comment se positionner par rapport à Hassan et de ce fait, avait amenuisé la fréquence de leurs rencontres. Joanne le regardait terminer son petit-déjeuner improvisé toujours avec tant d'appétit. Un petit moment de silence qu'elle passait à le contempler. Peu à peu, elle retrouvait une envie, non, même un besoin que son esprit avait préféré laisser de côté, pour qu'elle l'oublie. Ce besoin de le toucher, d'avoir toujours un contact physique avec lui. Plongée dans ses pensées, elle ignorait comment faire, ou si elle pouvait tout simplement le faire. Lorsqu'il était endormi, elle pouvait lui tenir indéfiniment la main, l'embrasser autant qu'elle le voulait. Il y avait cette sorte de timidité, cette sorte de pudeur qui était bel et bien là, et qui la retenait. Lorsqu'elle levait les yeux sur ses joues, elle avait envie d'y poser délicatement sa main, s'ils admiraient ses lèvres, elle avait envie de les effleurer avec les siennes, s'ils contemplaient ses cheveux, elle voulait y glisser sa main. Ces vagues idées firent accélérer son rythme cardiaque et la déroutaient totalement, si bien qu'elle était plongée dans une absence dont elle se sortit toute seule par quelques clignements d'yeux. Elle ignorait si ses joues avaient rosi suite à ses pensées, à moins que la pâleur due à la fatigue ne soit trop tenace. "Désolée, j'étais ailleurs." dit-elle avec un rire nerveux, comme une adolescente amoureuse qui avait peur de se faire griller. Une fois que Jamie avait fini son thé, elle récupéra le gobelet en carton afin de le jeter. Elle retrouvait ensuite sa place sur la chaise. "Il reste encore des scones, tu pourras en manger plus tard dans la jounée si ça te dit." dit-elle en fermant le sachet afin de protéger un peu les viennoiseries. "Et puis, si tu veux dire à haute voix ces questionnements, même sans attendre de réponse en retour, tu sais que tu peux toujours compter sur moi, n'est-ce pas ? Parfois, ça fait tout simplement du bien de le dire, de l'extérioriser." Joanne savait de quoi elle parlait. Elle avait pu évacuer bon nombre de ses pensées qu'elle n'avait jamais osé dire à qui que ce soit à son psychologue et grâce à cela, elle se sentait déjà plus légère. Parfois, c'était juste trop gros pour pouvoir le garder pour soi. Désormais, elle voyait sa main posée par dessus la couverture. Cela lui faisait penser à leur premier restaurant ensemble, la timidité qu'il y avait à la simple idée de s'effleurer les doigts. Des sensations que Joanne mourraient d'envie de retrouver. Ils échangeaient des regards, des sourires. Parfois il n'y avait pas grand chose à se dire. Et c'était sans qu'elle ne se rende compte que ses doigts avaient trouvé le chemin pour s'approcher de ceux de Jamie, avec lenteur. Elle sursauta légèrement lorsqu'elle sentit qu'elle effleurait à peine sa peau. Son coeur battait la chamade. "Je me demandais si tu te souvenais de quelque chose, durant tout le temps où tu étais inconscient. Est-ce qu'on rêve dans ces cas-là ou...c'est rien d'autre qu'un trou noir ?" finit-elle par demander après quelques secondes de silence, sans plus oser bouger sa main.
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Habituellement, de nous deux, je suis celui qui ne se laisse jamais abattre. Je ne baisse pas les bras, quoi qu'il arrive ; je m'agrippe, je tiens bon, souvent bien trop, incapable de lâcher prise. Je suis celui qui trouve toujours matière à sourire, qui déniche le bon dans les pires moments, des enseignements qui nous grandissent. Mais pour cette fois toute particulière, pour ce moment précis, je ne sais pas quoi penser, quoi en dire. Je reste démuni, toutes armes baissées, résigné à cette vulnérabilité qui m'a éclatée à la figure, victime de cette extrême fatigue et emporté malgré moi dans le courant des grandes interrogations soulevées par un tel traumatisme. Je suis perdu, il faut le dire, mais au moins je ne suis pas seul. Avoir Joanne près de moi est un véritable salut. Que ses paroles me renvoient tout l'optimisme perdu sur le chemin du retour vers le royaume des vivants me permet de voir une petite lumière au coeur de tout ceci. Elle endosse ce rôle parfaitement. Je la vois, souriante, solide, et je suis heureux qu'elle soit capable de réunir tout ce courage pour moi. Elle ne cède pas à l'angoisse qui pourrait malmener ses poumons fragiles, elle ne se laisse pas noyer par des peurs uniquement motivées par ce qui a eu lieu et qui appartient désormais à un passé gravé dans la pierre. Non, elle est calme, posée, presque sereine, encourageante et tendre. Telle qu'elle sait que j'ai besoin d'elle à cet instant, elle qui n'a jamais eu les réactions attendues, les comportements espérés. Une surprise, c'en est une, et une bonne pour sûr. « On dirait bien, Miss Prescott. » je réponds avec ce même rictus amusé, intrigué. Sa courte absence passe inaperçue ; trop occupé à finir mon thé et mon gâteau dans le silence, j'apprécie le calme et n'ai de plus à raconter que la blancheur des murs de la chambre est la même que la veille et le jour précédent où elle se trouvait déjà à mes côtés. Tout ce qu'il y a à raconter est interne, intime. Tous les pourquoi frustrés car sans réponse, et les autres questions qui doivent attendre le moment opportun. « Disons que, pour le moment, j'essaye surtout de trouver un sens à tout ça. Même s'il n'y en a peut-être pas, même si c'était tout simplement injuste et comme ça, sans raison. J'ai envie de trouver un sens à ce qui est arrivé, j'en ai besoin, parce que… je ne peux pas croire qu'on puisse vivre ce genre de chose sans qu'il y ait un but. » Je n'ai jamais cru au hasard, uniquement au destin. Aux tours qu'il nous joue, aux messages qu'il nous transmet ; je crois qu'il crée des suggestions de chemins à suivre, aiguille nos pas, et que selon nos décisions, nos paroles et nos actions, se dessine notre vie. Pas de Dieu, pas de Paradis ou d'Enfer, uniquement le destin qui propose, distribue les cartes, et observe dans mener la partie. Je cherche sûrement à rationaliser ce qui n'a pas lieu de l'être. Trouver un moyen de fuir un très basique « parce que » au grand « pourquoi moi ? ». Trouver une justice là où il n'y en a peut-être pas, uniquement pour avoir quelque chose auquel se raccrocher. La question de Joanne me laisse sans voix quelques secondes. Je songe immédiatement à sa grand-mère, et à la peine que cela lui ferait d'assimiler ma réponse, mon expérience, à la mort de cette femme qu'elle aimait tant. Il n'y a rien de romantique dans la mort, il n'y a rien tout court. « Je ne sais pas si tout le monde le vit de la même manière, mais pour ma part, je me rappelle à peine du moment où c'est arrivé. Et si j'essaye de sonder un peu mes souvenirs, tout ce qu'il y a c'est de l'obscurité, et beaucoup de peur. » Une peur qui prend aux tripes, vous serre la gorge, vous paralyse. Il n'y a rien de pire. « Du coup, j'évite d'essayer de me souvenir. » je conclus avec un sourire triste, néanmoins il est hors de question de laisser cette note sombre flotter dans l'air sans la balayer immédiatement. Je m'entends alors lancer ; « Peut-être que c'est une nouvelle date à me tatouer. » Parmi les événements les plus marquants de ma vie, juste en dessous de la date de naissance de Daniel, celle de l'arrêt cardiaque qui remit tout mon monde en perspective. Je ne compte pas le faire, bien sûr, mais l'idée est amusante. « Toi aussi tu penses que c'était comme une sonnette d'alarme ? » je demande ensuite, plus sérieux. Une question qui se présente comme la partie visible d'un véritable icerberg d'interrogations auxquelles personne ne répondra.
Peut-être que Joanne avait changé dans la mesure où elle ne se laissait plus vraiment morfondre dans ses idées noires dépourvues de tout optimisme, de toute lueur. Bien sûr, il y avait encore des soirées où elle remettait bien des choses en question et où elle laissait un peu sa paranoïa semer un peu le désordre dans son esprit, mais cela lui passait après une nuit de sommeil, même si celle-ci était courte. De toute façon, elle n'avait plus le temps pour cela. Sa principale motivation était son fils, avec cette peur de le décevoir un jour parce qu'elle n'était pas assez forte, parce qu'elle n'avait pas tenu le coup. Mais Joanne définissait la force autrement que Jamie, qui elle la voyait à ce moment là plus solide que Jamie. Pour elle, une personne forte était celle qui ne pleurait, celle qui parvenait à garder la tête haute quoi qu'il advienne, qui ne craignait rien, qui n'avait pas peur de se jeter à l'eau, et ainsi de suite. Et dans cette définition qu'elle s'était construite au fil du temps, elle ne s'y retrouvait et ne soupçonnait donc absolument pas tout ce qu'elle avait en elle, qui était peut-être plus solide que n'importe quelle autre personne. Elle était fragile sur de nombreux points, ce n'était un secret pour personne. Et pourtant. Avant de vouloir confier ses pensées les plus intimes, Jamie se questionnait beaucoup. Lui, tout comme elle, ne laissait aucune place au hasard. Tout avait un sens, une raison d'exister. Le chemin n'était pas tout tracé non plus, mais il y avait des étapes obligatoires à franchir et celle-ci en faisait certainement partie. Joanne acquiesçait d'un signe de tête de temps en temps, l'écoutant avec attention. Elle aussi voulait connaître la raison de toute cette mascarade. Un tel événement n'avait rien d'anodin, Joanne était également persuadée que cela devait avoir une signification, qu'il y avait un message caché derrière ce drame. Curieuse, elle avait posé une question pour le moins singulière qui laissait Jamie sans voix dans un premier temps. Il savait que la jeune femme avait un imaginaire particulièrement développé et qu'il ne lui suffisait de pas grand chose pour étoffer ce qu'elle pensait déjà de tout ceci. Et cela s'était particulièrement développé depuis qu'ils avaient découvert l'existence de Dan et Lucy, de Celso et Grace. Elle était quasiment obsédée par le dernier couple mentionné et dès qu'elle en avait l'occasion, elle se lançait dans des recherches sur la période concernée. Le moindre indice, la moindre donnée était selon elle bonne à prendre et elle le rajoutait dans la pile de paperasse qu'elle avait déjà accumulé à ce sujet. Et puis, impossible pour elle de ne pas avoir une pensée pour sa grand-mère, partie un an plus tôt. Joanne cherchait certainement dans la récompense de Jamie un réconfort, quelque chose de positif qui lui permettrait de savoir si sa grand-mère était effectivement dans un monde meilleur. Bien que baptisée, Joanne avait ses propres croyances, mais elle respectait celles de sa grand-mère et de l'espoir qu'elle avait à l'idée d'aller au Paradis. Mais la réponse que lui donnait Jamie n'avait rien de réconfortant, et ne correspondait pas à ses quelques attentes. "Oh." souffla-t-elle tout bas. De l'entendre évoquer toutes ces sensations négatives l'effrayait elle-même et son visage se ternit l'espace de quelques secondes. Elle avait peur pour sa grand-mère désormais. Mais elle retrouvait le sourire au plus vite, ayant bien compris que Jamie ne voulait pas s'éterniser sur ce sujet. Mais il était certain que la jeune femme allait y resonger à un moment plus calme, certainement lorsque Jamie ressentira le besoin de dormir un peu. Elle retrouva rapidement le sourire, balayant ses pensées d'un geste de la tête. A son tour d'être surprise par la question que lui posait le brun. Elle trouvait ça étrange qu'il lui demande son avis sur cette interrogation dont la réponse pouvait être incroyablement longue. Joanne réfléchit quelques secondes, songeant à la manière dont elle allait répondre. "Je ne pense pas que ce soit de cause organique." souffla-t-elle, songeuse, avant de s'éclaircir la voix. "Que ce qui t'es arrivé, ce soit dû à une défaillance, parce que tu as une qualité de vie irréprochable. Tu prends bien plus soin de toi que la majorité des personnes sur cette planète. Je pense que ce qui a causé... tout ça, ça vient d'ailleurs." Joanne prenait un peu de temps à formuler ses phrases, afin que le bel homme puisse comprendre au mieux ce qu'elle voulait dire. "Les médecins trouveraient peut-être ça parfaitement ridicule." Elle haussait vaguement les épaules, se mit à jouer avec ses propres doigts, mais avec douceur pour commencer. "C'est comme... les fois où je fais mes malaises. Après le divorce et ma première fausse couche, après les menaces de Kelya... Je crois qu'au bout d'un moment, l'esprit ne peut tellement plus supporter certaines choses qu'il...finit par s'arrêter de fonctionner, comme un blocage parce que la douleur est trop importante ou qu'il sait qu'on ne le tolérera pas. Et qu'à partir de là, le corps arrête de suivre aussi." Joanne peinait à décrire la manière dont elle voyait les choses. "Je sais que ce n'est pas très médical comme discours mais je suis convaincue qu'il y a bien plus qu'un coeur qui bat, que du sang qui circule dans les veines et de l'air qui entre dans les poumons. Il y a une donnée que les médecins n'arrivent pas à décrire ni à voir sous un microscope, l'âme. Et je suis intimement convaincue qu'elle a une grande part à jouer sur notre santé, sur notre organisme, des choses que les médecins n'arriveront jamais à expliquer. Un peu comme l'effet placebo, tu vois ? Ou que les personnes qui ont envie de vivre ou de profiter de la vie se remette d'un cancer alors qu'un professionnel leur avait dit qu'il était condamné. Il y en a plein, des histoires comme ça." Elle levait enfin les yeux vers lui. "Donc je me dis que peut-être, le moment où c'est arrivé, c'était peut-être le moment où la goutte d'eau a fait déborder le vase. Je ne sais pas s'il s'est passé quelque chose de particulier au moment où ça c'est passé, mais au fond de toi, on a du penser que c'était trop, et qu'il fallait que ça s'arrête, parce que c'était trop insupportable, ou peut-être trop douloureux, ou peut-être quelque chose qui te mettait trop la pression, je n'en sais rien. Sachant qu'il y a déjà eu toute l'accumulation de l'année passée, de ce que je t'ai fait vivre, des accusations, du boulot et même de tout ce que tu as pu enduré jusqu'ici depuis le début. C'est beaucoup de choses, Jamie. Et là, quoi qu'il s'est passé, je pense que c'était juste trop pour toi." Les options étaient multiples et Joanne n'était pas là pour déterminer la cause de ce qu'il s'était passé. "Le chirurgien voit ça comme une sonnette d'alarme et il doit avoir un peu raison, sûrement. Je vois plutôt ça comme une remise à zéro. Que là, tout est à plat, et que tu as à nouveau toutes les cartes en mains pour reprendre le tout le plus justement et le plus solidement possible. Ce sera peut-être plus facile pour faire le tri, reprendre tes priorités. Une occasion de tout reprendre, bien comme il faut, pour te garantir de bien plus beaux jours par la suite. Tu l'as déjà fait d'ailleurs, à l'instant, par rapport à Daniel." Elle lui souriait avec tendresse. "Le pire est passé maintenant, et je pense que désormais, tu peux voir ça comme une aubaine, une occasion de reprendre ta vie en main." Joanne lui prit doucement la main et plongea son regard dans le sien. "Tu as toujours su voir le bon côté des choses, même dans les pires moments, même dans les plus douloureux. Et je suis certaine que tu trouveras tout ce que ceci peut t'apporter par la suite. Et que si tu ne te sens pas de le faire tout seul, tu sais très bien que je serai toujours là pour toi." lui souffla-t-elle avec un sourire serein. Joanne lui faisait confiance, elle le savait capable de refaire tout ceci, même si les premières semaines allaient sans doute être déroutantes pour lui dans la mesure où il serait certainement encore dans une phase de vulnérabilité. "Et toi ? Tu vois tout ça comment ?"
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Un signal d'alarme, oui. Mais provient-il du corps ou de l'esprit ? Là est la question d'après Joanne qui voit au delà du simple diagnostic, au delà des faits physiques. Elle aussi cherche un sens à toute ceci en réalité, elle aussi se rassure avec des théories qui deviennent des convictions. Que le mal vient de l'âme plus qu'autre chose, que celle-ci cherchait à mettre un stop à la douleur. Plus que momentanée, celle qui prend ses racines dans les premières années de ma vie ; toutes les blessures qui n’ont jamais pris le temps de guérir, elles qui ont laissé mes nerfs à vif et qui ont, au fil des années, fait de moi celui que je suis. Il y a eu le coup en trop à encaisser, et la volonté qui ne fut finalement pas suffisante pour prendre sur moi. Je sais très exactement quel est le déclencheur, lorsque la jeune femme le mentionne. Le moment auquel l'incident a eu lieu. Je me souviens du lieu, je me souviens d'Hassan et de tout ce que nous nous sommes dit. Cet abandon, bras baissés et armes à terre, la fin de la guerre et lui repartant avec ma bénédiction ainsi qu'une armistice. Un trait tiré sur absolument tout ce pour quoi j'avais de toute manière cessé de me battre depuis des mois. Je n’attendais que le moment où j'aurais le courage d'officialiser, d'apposer ce point final. Il n’était pas prévu que cela soit également le mien. Mais il n’y a pas de hasard, non, et ce souvenir m'apparaît comme une clé. La première partie d'une équation à laquelle il manque encore un facteur, le pourquoi qui demeure en suspend, qui nargue. La finalité qui n'apparaîtra que plus tard, quand je n’y penserai plus. “Je ne sais pas.” je souffle lorsque Joanne me demande ma version, ma théorie, ce qui signifie plutôt qu'à cet instant mes pensées demeureront uniquement miennes. L'hypothèse d'avoir été forcé à remettre ma vie à plat, à subir cette remise à zéro, ne m'enchante pas tellement vu le timing. Néanmoins je m'en contente, n’ayant pas d'autre perspective en tête que celle de profiter de cette piqûre de rappel pour faire mieux. “Mais j'espère que tu as raison.” j'ajoute avec un faible sourire. J'espère qu'il y aura quelque chose à tirer de cette histoire au final, quelque chose de mieux que les bonnes résolutions du nouvel an. La fatigue l'emporte sur mon optimisme naturel et je dédie à la petite blonde la mission de voir le bon côté pour nous deux. Cette fois, elle y est bien plus douée que moi. Pensif, me revoilà plongé dans le mustisme. Joanne reste près de moi sans se laisser déranger par ces silences. Ma tête se repose lourdement sur l'oreiller du lit d'hôpital -et je donnerais n'importe quoi pour retrouver ma propre chambre, un coussin décent, le poids des chiens sur mes pieds et l'odeur familière de mes draps, de ma chambre, ma maison. Je somnole, me surprend à craindre de fermer les yeux pour la première fois depuis mon réveil après l'accident. Moins par peur incohérente de soudainement mourir après avoir survécu à tout ceci que par crainte de revivre les souvenirs de ce moment que Joanne vient de soulever et secouer dans mon esprit. Toute la conversation résonne à mes oreilles, l’irritante voix de l’ex-mari de Joanne qui s'efface alors que je me remémore l'intensité de la douleur qui m’a terrassé. J'oscille entre l'envie de révéler ces événements à la jeune femme ou les garder pour moi -voire attendre que Hassan fasse le sale boulot pour moi. Car cela revient à lui avouer que j’avais laissé tomber, abandonné et que j'étais lié à cet engagement tacite entre lui et moi, celui de ne pas me mettre sur son chemin, de ne plus faire partie du décor. Un accord trahi au moment où elle m’a embrassé, la veille, et à chaque minute depuis où je ne souhaite qu'une chose ; qu'elle recommence. Je me trouve soudainement malhonnête. “Est-ce qu'ils t'ont dit comment va s'annoncer la suite ? Quand est-ce que je vais pouvoir rentrer chez moi ?” je demande finalement. Quid de la thérapie, la médication, mon quotidien dès à présent qui sera forcément impacté par ce qu'il s'est passé et qui m'empêche un peu plus de me montrer positif et optimiste.
Joanne n'était pas la science infuse, loin de là. Elle avait ses propres croyances, des raisons que son imagination mettait en avant dès qu'elle trouvait la moindre preuve concrète. Loin d'être cartésienne, elle avait une pensée magique qui lui avait été toujours d'un grand secours durant son enfance. Ainsi, elle était fermement convaincue que son arrêt cardiaque n'était pas dû à une défaillance organique, qu'il s'agissait d'autre choses. Jamie, muré dans son silence, ne laissait transparaître aucune de ses pensées. Il gardait certainement beaucoup de choses pour lui et Joanne ne comptait pas lui forcer la main pour en savoir plus. Bien sûr qu'elle voudrait savoir pourquoi Jamie et Hassan se trouvaient dans la même pièce, le sujet de leur conversations. Ils se détestaient, et c'était un euphémisme, et l'une comme l'autre ne voudrait certainement pas se retrouver au même endroit sauf en cas d'extrême nécessité. Il préférait se reposer sur l'optimisme en naissant de Joanne, mais certainement bien ancré en elle. La petite blonde préférait croire que c'était l'occasion de revoir ses priorités, de mettre en avant les points les plus importants de sa vie. Elle lui souriait, ses yeux brillaient. Elle savait qu'il y parviendrait, qu'il réussirait à surmonter cette épreuve et à en ressortir encore plus fort. Le bel homme demeurait silencieux, bien pensif. Joanne restait près de lui sans être dérangée par le manque de conversation. Comme durant leur relation, parfois, les mots n'avaient tout simplement pas leur place. Alors elle se contentait de le regarder avec affection, d'être attentive à la moindre de ses expressions, à tenter de décrypter ce dont il pourrait avoir besoin ou non. Elle caressait du bout des doigts son avant-bras avec sa main libre, voyant bien qu'il luttait contre le sommeil. Mais il s'empêchait de s'assoupir, craignant quelque chose que Joanne ignorait. Elle continuait de veiller sur lui, attentive aux moindres besoins. "Le médecin m'a dit que tu as passé la période la plus critique, ils sont confiants. Là, ils t'ont enlevé les dispositifs médicaux qui nécessitent une surveillance accrue une fois retiré. Passé ce temps là, ils t'enlèveront les perfusions, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que les électrodes." Joanne lui souriait durant toutes les explications qu'elle lui donnait. "Il faut que tu restes encore allongé quelques heures, les infirmières m'ont dit que tu pourrais peut-être te lever dans la soirée, sinon demain matin au plus tard avec l'accord du médecin. Il m'a dit que tu allais devoir prendre un traitement tous les jours, deux médicaments si j'ai tout compris, mais au bout de quelques mois tu n'en auras plus qu'un avec une dose plus faible." La petite blonde avait écouté toutes ces informations avec attention, bien enregistré dans son crâne. "Il faut éviter de porter des charges lourdes pendant une semaine, comme porter Daniel de toi-même par exemple, le temps que le tout cicatrise. Mais après tu pourras reprendre le cours de ta vie, quoi que le médecin insiste pour ce mois de repos. Il encourage le fait de reprendre le sport dès la semaine prochaine également. Pareil pour la conduite, ça devra attendre la semaine prochaine pour que tu puisses rouler de toi même en voiture." La seule chose qui allait véritablement changé était le fait d'avoir des médicaments à prendre en plus. Elle savait que cette optique là ne le réjouissait absolument pas. "Et si tout va bien, ils ont dit que tu pourrais sortir demain ou après-demain si tout se passe bien d'ici là, à la condition que tu ne sois pas seul à la maison pendant les quarante-huit heures après être sorti de l'hôpital." Elle espérait que savoir qu'il rentrerait à la maison plus tôt qu'il ne pouvait le penser le réjouirait un peu. "Je resterai avec toi." C'était décidé, il ne pouvait rien y changer. Joanne lui aurait bien proposé de rester chez elle, à Toowong, mais elle se disait qu'il préférerait le confort de sa propre maison, avec Ben et Milo. Elle serait là avec Daniel en plus, elle pourrait se charger de faire la cuisine, de faire tout ce que Jamie ne pourra pas faire pendant ce temps là. "Tu auras une consultation avec le cardiologue dans un mois, aussi, et tu en auras ensuite quelques fois jusqu'à ce que ton traitement soit stabilisé. Mais il m'a assurée que tu allais pouvoir reprendre le cours de ta vie, à la condition que tu prennes plus soin de toi." Le chirurgien le lui avait déjà dit, le lui avait déjà fait comprendre. Joanne se redressa pour s'asseoir sur le bord du lit. "Donc, au plus tard, après-demain soir, tu seras chez toi." dit-elle avec un sourire, émue. Joanne avait déposé sur ses cuisses la main de Jamie qu'elle tenait. L'envie de se rapprocher de lui était bien présente. Bien sûr qu'elle y pensait. Ce qu'elle craignait, c'étaitt tout ce qu'il se passerait une fois qu'il serait sorti de l'hôpital. Là, ils avaient leur bulle, leur univers à nouveau et tout ceci allait devoir se confronter à la réalité. Des questions qui demandaient une réponse, des explications qui les attendaient juste là au bout de leur nez. Mais ce n'était pas encore le moment. Pour l'instant, Joanne avait à nouveau reposé sa tête sur son torse, à écouter son coeur battre par elle-même plutôt que par les bips du monitoring. Elle aussi, rêvait d'un lit confortable, d'une couette dans laquelle elle se dissimulerait pour quelques heures de sommeil. Ca la perturbait, d'avoir autant envie de dormir. Un fin sourire étirait ses lèvres, grâce à la satisfaction d'entendre les battements de son coeur. "Je crois que je pourrais m'endormir là." dit-elle tout bas en riant un peu. Beaucoup de choses rendait Joanne bien plus affectueuse qu'elle ne l'était déjà, et la fatigue en faisait partie. Trait bien hérité par leur fils, qui ne voulait que des câlins lorsque ses paupières commençaient à se faire lourdes. Elle embrassa la main de Jamie avant de se redresser finalement, les cheveux un peu en bataille. L'envie d'approcher son visage du sien devenait de plus en plus importantes, et de moins en moins soutenable. "Et après ces quarante-huit heures à veiller sur toi, je tâcherai de passer le plus souvent possible, m'assurer que tu n'aies besoin de rien. Je pourrai t'amener Daniel après la crèche pour que tu puisses passer du temps avec lui. J'arriverait à m'organiser."
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Le mot suivant n'était pas plus facile à entendre que le précédent, et ce malgré les sourires de Joanne, malgré tout le mal qu'elle se donnait pour me rassurer. Je tente pourtant de trouver de petits éléments de réconfort -ils sont immédiatement balayés par une autre inquiétude, un autre embarras. J’ai hâte que l'on me retire toutes les perfusions autant que je le redoute, j'aimerais quitter ce lit et dégourdir les jambes mais je crains de constater, à ce moment, l'effort que cela me demandera. Je soupire à l'évocation d'un traitement supplémentaire, je serre les dents à l'idée de ne même pas pouvoir porter mon fils dans mes bras, qu'importe s'il ne s'agit que de quelques jours. Je n'ai jamais supporté être entravé, diminué, et je m'y résigne fort difficilement. D'ici après-demain, donc, je pourrai retourner chez moi. Joanne ne compte pas me laisser la mettre à la porte et refuser son aide ; je vois bien qu'elle y tient tout particulièrement, alors j’acquiesce d'un signe de tête. Je ne trouve rien à dire, j'encaisse. Je n'ai, de toute manière, aucun choix ni aucun contrôle sur la situation. J’en ris presque que l'on exige de moi de faire plus attention alors que la jeune femme le disait elle-même ; difficile de faire mieux. Et je ne peux pas, ne veux pas ralentir le rythme, alors ce coeur aura intérêt à suivre. “Bien.” je souffle. Tout sera peut-être plus simple une fois chez moi. Une chambre d'hôpital a le don de tout rendre plus terrible, plus effrayant, plus glauque. Ou peut-être que tout sera encore plus concret, appliqué directement à la réalité. Je ne songe même pas à ce qu'il adviendra de Joanne et moi, accordant déjà très peu de crédit à l'affection qui semble flotter dans l'air, autant qu'à un rêve, dans cette bulle où elle m'embrasse et je ne me demande pas si elle est sincère, où je n'ai pas assez d'énergie pour douter, où je n'ai pas la volonté de remettre en question, car j'en ai besoin. Si la petite blonde a détraqué ce coeur, peut-être qu'elle peut aider à le réparer. Alors qu'elle se penche et pose sa tête sur mon torse, usée, je caresse ses cheveux ; “Il faut que tu te reposes.” dis-je tout bas, sachant qu'elle ne l'appliquerait pas avant que je sois totalement remis -ou autant que l'on peut l'être après ce genre d'incident. Elle se redresse, quelques mèches en bataille méritant d'être remises en place et que je discipline légèrement du bout de ces doigts qu'elle affuble d'un baiser. Ayant bien du mal à me projeter où que ce soit pour le moment, j'approuve simplement les dires de Joanne. N’avoir rien d'autre à faire que de laisser les autres prendre soin de ma personne et s'en inquiéter, ce n’est pas bien compliqué. Peu à peu la silhouette de Joanne est un mirage qui disparaît derrière mes paupières closes. Je m'endors durant quelques heures et suis réveillé pour déjeuner. Dans l'après-midi, emprunt à l'ennui, je tente de me lancer dans un croquis qui n’aboutit à rien de bien satisfaisant. Je n’ose pas dessiner Joanne, toujours près de moi, même si je pourrais effectuer son visage sans avoir à la regarder. Quant à Daniel, mon dernier portrait de lui remonte à bien trop longtemps pour un petit garçon grandissant si vite, si bien que je ne m'y risquerais pas. Plus tard, les infirmières passent, le médecin rend visite. J'insiste pour qu'on me laisse faire quelque pas dès ce soir, sans vraiment laisser le choix à qui que ce soit, et sûrement pas à moi-même. Alors ainsi soit-il ; c'est allégé des perfusions que je peux passer mes pieds d'un côté du lit, puis les pose sur le sol froid de la chambre d'hôpital, chaque étape prenant le temps nécessaire -celui de laisser le sang circuler dans les jambes, et que les murs cessent de tanguer. Et lorsque je peux effectuer un pas, puis un autre, je me sens enfin plus humain et moins larvaire. Je retrouve le sourire ; je suis bel et bien plus vivant que mort. “J’ai l’air prêt à rencontrer la Reine, non ?” je lance à Joanne, totalement à mon avantage dans cette chemise d'hôpital. Puisqu'il n'est pas bien difficile de rester debout, j'en profite pour faire signe à la jeune femme d'approcher. L'ordre de grandeur est à nouveau normal, le sommet de son crâne sous la ligne de mes épaules, ce qui la rend toujours aussi adorable. Et je la prend dans les bras juste un court instant, avant que l'on me conseille de retourner prendre la place du malade dans le lit.
Malgré le très long silence de Jamie face à une réalité et un avenir qui ne l'enthousiasmait guère, la jeune femme restait optimiste pour eux deux. Cela aurait pu être bien pire, se disait-elle constamment à elle-même, dans ses pensées. Même le fait de savoir qu'il pourrait rentrer le surlendemain ne lui rendait pas le sourire. Il soupirait, acquiesçait de temps en temps d'un simple signe de tête, pour finalement ne dire qu'un mot. Elle se sentait désolée pour lui, de ne pas pouvoir faire plus pour l'aider, pour faire avancer les choses. Pour le moment, elle ne pouvait rien être d'autre qu'une présence pour lui, pour qu'il ne soit et ne se sente pas seul. Joanne avait bon espoir qu'il se porterait bien mieux une fois qu'il sera à la maison, chez lui, entouré de meubles et d'objets familiers, qui lui apporteront sérénité et confort. "Tout ira déjà mieux lorsque tu seras rentré à la maison." lui souffla-t-elle avec un léger sourire, persuadée de ce qu'elle se disait. C'était sûr, c'était certain. Exténuée par les heures qui s'enchaînaient sans qu'elle ne s'endorme véritablement, Joanne s'était permise de déposer une nouvelle fois sa tête contre son torse, à écouter son coeur battre. Un léger frisson la parcourut lorsqu'elle sentait les doigts du bel homme se glisser entre ses mèches blondes. Une telle affection lui manquait énormément. Oui, elle savait qu'elle devait se reposer, mais elle ne le pouvait tout simplement pas. Pour elle, elle ne pouvait pas se permettre d'aller dormir, d'aller se changer les idées, d'aller se détendre tant qu'il était encore dans un lit d'hôpital. Peut-être qu'après cela, elle se permettrait un peu de temps pour elle. Mais pour le moment, c'était quelque chose de totalement inconcevable pour elle. Une fois redressée, Jamie se permit de replacer quelques une de ses mèches, qui n'étaient pas en place. Mais elle sentait que l'affection n'était plus la même qu'il y a quelques heures. Non pas qu'il était méfiant, mais elle avait l'impression de sentir qu'il n'accordait que peu d'importance à tout ce qu'il s'était passé dans cette chambre depuis son réveil. Joanne pouvait comprendre, leur relation était des plus étranges ces derniers temps et elle ne voulait pas l'harasser avec tout ceci pour le moment. Ils en auraient bientôt tout le loisir, certainement. Il finit par s'assoupir. Joanne avait regagné sa place sur la chaise, à veiller sur lui durant tout ce temps. Après manger, il tentait de dessiner mais il n'y eut pas de francs résultats. Il avait certainement l'esprit ailleurs, à avoir bien hâte de retrouver ses activités comme il l'entendait. Il montra alors son impatience en exigeant d'être levé lors de la visite du médecin et des infirmières, et ils finirent par se plier à sa demande. Joanne n'était jamais bien loin, particulièrement émue de le voir assis au bord du lit, puis debout sur ses deux pieds. La guérison ne semblait que plus réel à ce moment là. Elle n'était jamais bien loin, si jamais il avait une perte d'équilibre, ou besoin de quoi que ce soit. Un magnifique sourire illumina le visage de Jamie, et c'était plutôt contagieux dans la mesure Joanne souriait tout de suite après. Elle rit à sa remarque. "On ne peut plus prêt, oui." répondit-elle avec amusement afin de pousser la plaisanterie un peu plus loin. Jamie lui fit signe d'approcher, ce qu'elle fit sans prononcer le moindre mot. Son coeur s'accélérait sensiblement lorsqu'il la prit dans ses bras. Cela n'avait durer que quelques secondes et juste au moment où Joanne s'était permise de poser ses mains sur son dos pour le serrer un peu plus contre elle, l'une des infirmières avait conseillé qu'il se rallonge. Les soignants quittaient ensuite la pièce. "Ca me fait tellement plaisir d'avoir pu te voir faire quelques pas." dit-elle, émue aux larmes, alors qu'elle l'aidait à recouvrir ses jambes avec un drap avant de retrouver sa place assise. "Comme tu as déjà fait quelques pas, et qu'ils ont vu de même que tout s'est bien passé, tu pourras peut-être même sortir demain." ajouta-t-elle d'un air enthousiaste. "Je peux tenter d'aller plaider ta cause auprès des médecins. Je peux tenter de faire des puppy eyes, peut-être que ça va convaincre." dit-elle en riant, bien que son idée était à considérer. Elle croisait ses jambes, toujours le sourire aux lèvres. "Tu seras bien mieux dans ton propre lit lorsque tu voudras te reposer." Ce sera bien mieux que de rester entre quatre murs blancs à longueur de journée. "Je vais leur en parler dès que l'occasion se présentera." décida-t-elle toute seule, sachant pertinemment que Jamie serait bien heureux de passer une nuit en moins ici qu'initialement prévu. "Pour le dîner de ce soir, je peux aller chercher quelque chose de l'extérieur si tu veux. J'irai récupérer ce qu'il faut tout en allant chercher Daniel." proposa-t-elle. "Qu'est-ce qui te ferait plaisir ?" Joanne tentait de trouver les quelques petites choses qui pourraient rendre son hospitalisation moins désagréable qu'elle ne l'était initialement. Ce n'était que trois fois rien, rien qu'un repas, mais ça changeait déjà bien des plateaux servis dans l'établissement. "Et si je croise le médecin et qu'il donne son accord, j'irai chercher des vêtements chez toi, pour que tout soit prêt demain pour que tu puisses rentrer." Cette idée enthousiasmait Joanne plus que tout. Elle pouvait se montrer convaincante quand elle le voulait, c'était certainement la meilleure occasion pour elle de le prouver et ainsi permettre à Jamie de quitter enfin ce lit. Il se portera beaucoup mieux à partir de ce moment là, elle en était persuadée.
It's like a stageWithout a crowd My best performance But no one's proud All I wanna do All I wanna do Is say I love you
L'humour dédramatise, minimalise, et permet au moIns de retrouver le sourire un instant, de ne plus se sentir abattu. Une étreinte rassure et remercie, plus que tous les mots qui puissent être articulés. À peu de choses près, c'est la normalité à nouveau. Si on fait abstraction des machines, de l'hôpital, d'Hassan, et des coeurs brisés, oui. C'est presque comme si de rien n'était. L'ordre du médecin tombe, je retourne dans le lit, sentant bien que je ne dois pas trop m'en demander trop vite -ce que je ferai malgré tout, même si cela ne me fera pas guérir plus vite. La chambre vidée du personnel, Joanne demeure à mes cotés. Il semblerait que ses yeux bleus ne désemplissent jamais de larmes traduisant aussi bien la joie que la peine, ce qui s'avère plutôt perturbant par moments. Mais je mets cela sur le compte de la fatigue, oubliant presque de prendre en compte qu'il y a quelques jours, j'étais sur une table d'opération sans assurance de ne pas finir dans un frigo au sous-sol. “Pitié, n'en fais pas tout un événement, ce n’est que trois pas.” dis-je à la jeune femme en remontant la couverture sur mes jambes étendues. Je n’ai aucune envie d'être considéré comme un éclopé dont le moindre progrès mérite sa propre petite fête. Pourtant Joanne insiste pour que ces quelques pas penchent dans la balance en faveur d'un retour rapide à la maison, ce que je ne suis pas en mesure d'empêcher, une partie de moi espérant timidement qu'il est en effet possible de rentrer chez moi dès demain. “Si ça ne marche pas alors c'est eux qui ont un coeur dysfonctionnel.” dis-je alors que la petite blonde se propose de jouer de ses charmes -mais cela pourrait sûrement être plus efficace si ses jolis yeux n'étaient pas constamment bouffis de larmes qui s'écoulent comme le Nil sur ses joues, séchant à peine que de nouvelles vagues viennent les humidifier. Ma tête retrouve avec presque trop de plaisir le confort de l'oreiller, mais il est vrai que cela ne vaudra jamais mon propre lit. Joanne, toujours très attentive à ce que mes papilles délicates n’aient pas à subir la gastronomie de l'hôpital, se propose d'aller chercher à dîner, à partager ensemble et avec Daniel. “Hm, un énorme burger à trois étages, avec du bacon bien gras, une bonne portion de frites arôme cholestérol à côté, un litre de soda, puis une bonne part de cheesecake avec un double expresso.” je réponds pour plaisanter, listant à peu près tout ce qu'il n’est plus question de manger -quoi que cela n’ait quasiment jamais été le cas. Si l'élaboration du menu me passe complètement par-dessus la tête, l'idée de revoir mon fils me réjouit plus que de mesure. Je sais que dès lors où je retrouverai une vie normale, je ne laisserai plus passer une occasion de le voir. Il n’est plus question de m'enfoncer dans ma propre bêtise et d’en faire un dommage collatéral. Il grandit bien trop vite, plus vite que je ne l'aurais pensé, et surtout, sans moi depuis des mois. Je ne laisserai plus le temps me filer entre les doigts. Depuis que je me suis levé, même si cela n'était qu'une minute, Joanne se fait plus enthousiaste encore. Plus que moi, elle semble ne tenir qu'à un fil, tant et si bien que je ne saurais pas prédire si elle pleurerait encore si le médecin venait à refuser que je quitte l'établissement avant la date imposée en premier lieu. “Ne compte pas trop dessus, ils ont bien l'air décidés à me garder aussi longtemps que possible.” Parce qu'ils voient bien le bourreau de travail qui se “reposera” avec un ordinateur sur les genoux et ses mails ouverts en permanence, celui qui refusera de ralentir, de mettre un stop nécessaire, qui n’attendra pas plus de trois jours avant de porter son fils dans ses bras et peut-être quatre avant de reprendre le volant. Celui dont il faut forcer le repos tant qu'ils le le tiennent, tant que cela est encore entre leurs mains. “Mais j'adorerais revoir Daniel.” j'ajoute avec un petit sourire, peut-être égoïste de vouloir imposer cet environnement à un petit garçon. Mais je songe que la vision de son père dans un lit d'hôpital ne sera, dans quelques années, qu'un très vague souvenir dont il doutera lui-même. Un souvenir que nous chercherons tous à oublier, à vrai dire.
Ce n'était peut-être que trois pas pour Jamie, mais pour elle, c'était la preuve qu'il allait bel et bien mieux. Après avoir attendu la moindre nouvelle pendant des heures, après avoir patienter à son chevet jusqu'à ce qu'il ouvre les yeux, il ne lui fallait plus grand chose pour l'émouvoir et pour réaliser qu'il allait bien, qu'il s'en remettait petit à petit. Peut-être que cela avait quelque chose de dégradant pour lui, ou que ce n'était pas une preuve suffisante de sa bonne santé. Lui, ce qu'il voulait, c'était retrouver son emploi au plus tôt, retrouver un rythme de vie qui lui correspondait bien plus. Installée à nouveau à ses côtés, elle proposait d'user un peu de son charme pour convaincre les médecins de le faire sortir plus tôt de l'hôpital. Un sourire à la fois timide et amusé étirait les lèvres roses de la jeune femme lorsque Jamie disait que les médecins seraient sans coeur s'ils ne cédaient pas à la demande de la jeune femme. Au fond, elle voyait ça comme un compliment. Histoire de lui faire un peu oublier l'hôpital, elle lui avait proposé de chercher à manger à l'extérieur sur le chemin pour aller récupérer Daniel à la crèche. Elle rit doucement en entendant le menu peu diététique que Jamie faisait. Ce qui le motivait particulièrement, c'était de voir Daniel. Il semblerait qu'il ne veuille plus manquer une seule opportunité pour le voir, ce qui réjouissait énormément Joanne. La simple idée que leur fils puisse profiter à nouveau de ses deux parents, bien qu'ils n'étaient pas ensemble, lui mettait du baume au coeur. Jamie voulait certainement faire relativiser la petite blonde en lui rappelant qu'il y ait de grandes chances que les médecins refusent de le faire sortir d'aussi tôt. Il ne voulait peut-être pas la voir déçue, ou bien la voir pleurer encore une fois pour un oui ou pour un non. Joanne était dans un tel état de fatigue que sa sensibilité devenait extrême, à fleur de peau. Jamie rebondit sur le fait de vouloir voir Daniel. Ses yeux pétillaient d'excitation à la simple idée de le revoir, ce qui ravit Joanne. "Je vais aller le chercher de ce pas, alors." dit-elle avec un sourire, en se levant de sa chaise. Encore une fois, la jeune femme voulait l'embrasser. Ne serait-ce qu'un baiser sur le front, ou sur la joue. Idéalement, sur les lèvres, bien évidemment, car ce contact lui manquait plus que tout autre chose. Son sac à main sur les épaules, les clés de son Audi en main, elle lançait un "A tout à l'heure." à Jamie d'un ton doux et affectueux. Le pas était hâtif, mais la conduite, malgré l'épuisement, prudente. Joanne commençait par passer à la crèche. Elle annonçait à Daniel dans la foulée que le petit irait voir son père et suite à cela, il tenait définitivement en place. Puis il y avait un petit détour par un traiteur réputé pour prendre les premiers plats qui lui inspiraient quelque chose. L'ambiance de l'hôpital intimidait beaucoup le petit, qui avait agripper le bas de la robe de sa mère et ne se détachait absolument pas d'elle. Idéalement, il aurait voulu être porté, mais Joanne avait les mains pleines. Les retrouvailles entre père et fils étaient toujours aussi belles à voir, elle ne se lassait pas de les admirer. Surtout que Jamie était raccordé à bien moins de dispositifs médicaux, ce qui lui facilitait les mouvements et Joanne pouvait se permettre d'être un peu moins attentive par rapport au risque que le petit n'arrache n'importe quoi. Comme ça, ils avaient l'allure d'une famille. Ils se contentaient d'un bonheur particulièrement simple, se délestant de tout ce qui pouvait les peser. Une sorte d'insouciance que Joanne acceptait volontiers, surtout avec toutes les émotions de ces derniers jours, toutes ces conversations qui avaient soulevé bien des choses. Elle savait que ce n'était pas qu'illusoire, que ce n'était pas qu'une façade. Non, il y avait, dans ce moment là, quelque chose de particulièrement sincère, de vrai. Tous les sourires n'exprimaient qu'une joie de vivre, tous les sourires étaient vraiment doux, joyeux, sereins. Une atmosphère chaleureuse malgré les circonstances, qui apaisaient tous les maux. Une situation qui leur avait tous permis de mettre en avant ce qu'il y avait vraiment de plus important.