« Vivre sans Matt... » Qu’elle murmure tout doucement. Forcément, dit comme ça, ça parait ahurissant, voir même impossible. Il avait toujours été là, à veiller sur elle, à combler ses besoins et à faire en sorte qu’elle reste intacte, que la dureté du monde ne la touche pas. Et il avait échoué. Il avait été l’instrument de son malheur. Pour Tad, c’est là l’opportunité pour elle d’évoluer seule et de commencer une nouvelle vie où personne ne se permet de lui dire quoi faire. C’est sûr, c’est un tout nouveau concept qu’elle doit commencer à saisir et assimiler. Forcément, elle va passer un long moment hors de sa zone de confort, parce que les liens qui la retenaient étaient durs et serrés très fort. Mais il sait qu’elle peut le faire, il sait qu’elle peut devenir la seule personne à décider de ce qu’il adviendra de ses jours prochains. « Même si ça fait presque deux ans que j’y arrive, c’est un concept qui me semble encore tellement difficile à assimiler. » Et il le voit sur son visage. C’est tout ce que son regard lui répond, que, ça se voit. La grimace est drôle. Tad est silencieux. C’est très difficile de parler de Matt, de son bannissement en quelque sorte, parce qu’il le mériterait lui aussi mais qu’il est trop peureux, ou trop attaché à Gin, pour lui suggérer l’idée, pour lui partager qu’elle ne devrait vraiment pas lui pardonner aussi vite parce qu’il mérite qu’elle lui en veuille. Mais, malgré cette certitude, il est incapable d’appuyer plus fort sur son cas, de peur qu’elle ne l’écoute. « T’as pas besoin, de commenter. T’as pas besoin de choisir de camp, de te justifier, de t’excuser même. » Et pourtant, si, il en a besoin. C’est toute sa conscience qui travaille. De mémoire, Tad n’avait jamais pris une décision aussi lourde de conséquence, et qu’on se le dise, il avait échoué avec elle. C’était pas sa faute, il n’avait rien demandé. Il le sait, il le plaide. Mais son silence avait amené la situation, il avait été le gars qui avait le pouvoir de désamorcer la bombe et il ne l’a pas fait. Qu’importe ses intentions, seul le résultat compte. Et que Ginny soit aussi bonne, aussi généreuse, ça ne fait que creuser le trou. « Si, il le faut. Je ne m’excuserais jamais assez pour ce que j’ai fait. » Ou pas fait. C’est en fonction du point de vue. « La seule chose que je te demande, c’est d’être là si un jour je flanche, si à un moment ou un autre je pense à aller le voir sur un coup de tête. Pour le moment ça va, je tiens bon, je gère. » Et il acquiesce, bien volontiers, passant son bras par-dessus une épaule pour aller l’embrasser sur le front. Il sait que le moment viendra plus vite qu’elle ne le pense, qu’elle aura le besoin de confronter Matt à un moment et Tad se promet d’être présent. De l’aider à ne pas se remettre à la merci de son frère. « S’il faut que je sois là, je serais là. » Qu’il répond, décidé à être celui qu’elle pense qu’il est, le meilleur ami qui la connait par cœur. « Quand je serai rendue là, tu sauras, je te dirai. En attendant, je préfère rester ici à roter l’hymne nationale avec toi. » « Ecoute, ce programme me sied. La prochaine, je ferais en sorte de boire beaucoup d’eau. » Et il prend son air détaché, celui du mec qui tient à ce que la conversation redevienne chill, qui ne veut pas polluer plus ce moment avec d’autres sujets noirs. L’ombre de Matt a assez plané comme ça. « Tu savais que j’ai toujours dit à Jill que tu serais le premier de nous deux qui se marierait? » La révélation le surprend. Il se demande d’où elle tient ça. « Avec Céline ? Bwah, la compétition était serrée avec René. Je suis trop jeune. » Parce que well, vu le pépère, les cheveux blancs doivent être dans les critères de beauté de la star. Mais Tad préfère en rire, s’amuser de la situation. « Pour le moment, je pense qu’on est mieux à profiter de ce temps de non-mariés ensemble. Ça fait quoi ? Huit ans que c’était arrivé ? Céline attendra. » Il plaisante, il allège l’ambiance en regardant son bout de papier. Aah, Céline. Il avait quand même des aspirations top level à l’époque. « Je t’imaginais en tournée à travers les États-Unis, t’arrêter à Las Vegas, dire “i do” sur fond d’Elvis cheap. » Il aimerait dire qu’il est étonné que l’imagination de la demoiselle soit si prolifique mais non, en fait. « Si j’avais fait ça, t’aurais été derrière moi à filmer la cérémonie. » Evidemment, et vu la Gin de l’époque, elle l’aurait mis en musique sur un fond de violon criant et mal accordé pour que ça ait l’air branché ancien. « Il est encore temps de joindre ma prophétie à ton rêve de gamin. » Qu’elle ajoute en secouant le petit papier, ce qui serait trop beau pour être vrai. « Elle attend que toi. » Et sa voix de fée de dessin animé, celle qui annonce au prince d’aller courir ses rêves pour pécho la princesse, ça le fait rire. Et ça la fait rire aussi. Et délaissant là les petits papiers épluchés, tous les deux prennent place devant leur série préféré, à observer la blonde dézinguer vampire sur vampire. « Je t’aime, Tad. » Que Ginny finit par lui balancer alors qu’il ne sont que deux corps mous, posés comme des vaches sur le canapé de sa mère. Probablement que si cette dernière entrait là, elle serait là à râler que cela va abîmer le précieux meuble. « Et je t’aimerais encore plus si tu me faisais l’honneur, que dis-je l’immense privilège, de nous composer un nouveau mixtape, à Noah et moi. » Et elle revient sur la mixtape, ça, il le sent, c’est quelque chose qu’il va être obligé de faire. « Pour accompagner l'infâme semaine de peinture qui nous attend au deuxième étage. » Qu’elle ajoute, le faisant éclater de rire au passage. « Okay okay. Je t’en ferais une, pour m’assurer que les murs sont empreints d’une bonne vibe. » Et aussi parce qu’il sera là et que y’aurait rien de pire pour lui que l’on mettre la radio. « Si je peux, je trouverais même le temps de faire une compo. » Là, il s’aventure sur un terrain glissant, parce que s’il n’a pas le temps, elle l’attendra au tournant. Et le silence revient un peu, jusqu’à ce qu’il le coupe à son tour. « Au fait, moi aussi, je t’aime. Tu es le nord de ma boussole. Et maintenant, question importante : tu veux de la crème glacée ? J’en ai à la pistache. » Qu’il appuie, pour lui faire envie avant de se manger un coussin pour ce qui doit être la pire déclaration ever.