Je ne sais pas si ça va être au goût de Nina mais comme ça s’est présenté de manière naturelle je n’ai pas su dire non. Ma grand mère a proposé qu’on vienne boire le thé avec « ma petite chérie » comme elle dit. On avait prévu de se voir le samedi après midi mais sans trop savoir quoi faire. Moi j’avais bien une idée, on aurait pu rester chez moi et entamer une nouvelle boîte de préservatif pour fêter 2018, mais non, on allait faire quelque chose d’autre ce jour là. Je n’ai pas osé dire à Nina ce que j’avais prévu, de peur qu’elle refuse. Je pense que sur le fait accomplit elle ne pourrait trop rien dire. Et puis c’est ma grand mère, elle est adorable, elle ne va pas pouvoir m’en vouloir. Enfin j’espère pas.

Je récupère les affaires de Nina dans mon appartement, je mets tout ça dans un sac plastique et après m’être regardé dans le miroir une dernière fois, je sors. Direction le centre ville pour aller la récupérer. Plus je m’approche de son appartement plus je suis stressé. C’est pas rien de présenter sa petite amie à sa grand mère quand même. C’est sûrement trop tôt même. Mais ma grand mère est vieille et tellement heureuse de savoir que j’ai quelqu’un, elle voulait trop la rencontrer, je n’ai pas eu le coeur de lui refuser. Peut être que Nina va le faire pour moi et qu’on va devoir annuler tout ça ? J’espère pas.

C’est avec cinq minutes d’avance sur l’horaire que j’arrive chez Nina. Je lui envoie un SMS pour la prévenir et j’attends de la voir arriver. Je souris quand elle apparaît à ma vue et je la mate gentiment. J’ai le droit, c’est ma meuf. Elle entre dans la voiture et je me penche vers elle pour lui faire un baiser sur les lèvres. Ca me fait penser à la chanson que je lui ai écrite. « Kiss me slowly » et je réalise qu’avec le stress de la présenter à ma grand mère, j’ai oublié de prendre ma guitare pour la lui chanter. Tant pis, ce sera pour une autre fois.

« T’es magnifique. »

Je lui dépose un autre baiser sur les lèvres et je lui indique le sac qui est sur le siège arrière pour lui dire que c’est ses affaires. Je prends la route et je commence à être nerveux.

« Hmmmm… On est parti. Direction… »

Je lui jette un coup d’oeil alors que je cherche mes mots.

« Chez ma grand mère. »

Et voilà je l’ai dit.

« Elle voulait qu’on prenne le thé tous les trois. J’ai pas pu lui dire non. Je lui ai parlé de toi y’a quelques semaines et elle a envie de te rencontrer. Promis on reste pas longtemps si t’en as pas envie, mais juste faire acte de présence le temps d’une tasse de thé. En plus elle fait du très bon thé. Elle en a de toutes sortes. Et je te promets que ça va pas être trop chiant. »

Je m’arrête à un feu rouge et je regarde Nina, espérant qu’elle ne m’en veuille pas pour ce plan.

« Pour toi. » dit Nina, en glissant une petite boîte entre les mains de Kane alors qu’elle venait à peine d’entrer dans la voiture. Pour lui, elle a mis une robe d’été bleu pâle, qui met en valeur son teint doré par le soleil et qui paraît bien trop innocente pour qu’il n’ait pas envie de la lui enlever plus tard ou de glisser ses mains en dessous, pour toucher sa chair et la faire rougir. Elle porte aussi l’un de ces grands sourires, qu’elle ne réserve à lui, pour tout ce qui lui fait ressentir et qui la rend bizarre, tarée, assez toquée pour lui offrir des cupcakes. Ça dégueule de mièvrerie et elle se serait donnée des baffes mais elle avait à peine réfléchi, et c’était fait maintenant. Toute la matinée, elle s’était attelée à la pâtisserie des ces gâteaux destinés à Rose qu’elle doit voir ce soir, mais il n’avait pas besoin de le savoir, car quand elle en avait gardé quelques uns pour les lui donner, elle n’avait pensé qu’à lui. Il la complimente gentiment, ça la fait rire, elle est heureuse de le retrouver. Un bonheur, vite teinté d’incompréhension quand il lui annonce où il compte l’emmener.

Disparu le sourire, à sa place, des sourcils froncés et des lèvres pincées. Il s’arrête enfin de parler en même temps que le véhicule se stoppe devant le feu rouge. « Respire. » lâche-t-elle, plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu. « Ne parle pas autant, ça me rend nerveuse, laisse-moi le temps de traiter l’information. » articule-t-elle, lentement, elle sent encore son regard sur lui et un silence flotte entre eux, avant que la voiture ne redémarre. Nina tentait de justifier son changement de ton, enfin, carrément un changement d’attitude s’il avait pu relever son visage si fermé, son air si froid. « Qu’est-ce que tu lui as dit sur moi ? » Sa curiosité parle, ne ratant pas une occasion pour découvrir ce qu’il pensait d’elle à travers la façon dont il l’avait présentée à sa grand-mère. « Elle vit seule ? » Question qui peut sembler futile, voire même hors-propos mais qui avait toute son importance pour amorcer une approche. En effet, s’ils avaient à faire à une petite dame qui vivait seule et qui aimait la visite de son petit-fils pour prendre le thé, elle n’avait aucune raison de paniquer. Par contre, si cela se révélait être une rencontre formelle… elle allait se poser des questions sur la santé mentale de Kane. D’après ses mots, ce ne serait pas long, juste de quoi faire acte de présence, ça la détend à peine de se dire ça, à cause de toutes les questions qui se bousculent dans sa tête à ce moment précis. Elle en aurait, d’ailleurs à poser à l’homme assis à côté d’elle dans la voiture, celui-là même qui lui aurait écrit une chanson mais cela attendra, il lui semblait qu’il ralentissait déjà et cherchait une place pour se garer.

Nina sort de la voiture, enlève les lunettes de soleil qui trônaient sur le haut de son crâne pour les ranger dans son sac puis lisse sa robe avant de venir aux côtés de Kane. Ils marchent côte à côte sur le bout de chemin qui les éloignent de la porte d'entrée mais elle le tire par le poignet avant qu’ils ne l’atteignent, pour le forcer à se retourner et à lui faire face. Finalement, elle hésite et finit par se rétracter : « Non, rien... » Elle céda au besoin de le ménager, même s'il fallait qu'ils aient une conversation, ce n'était pas le moment pour amener ça sur la table. Il pouvait compter sur elle pour que sa grand-mère passe un bon moment. Malgré son air triste, pouvant passer pour de la nervosité, le sourire de Nina se veut rassurant quand sa main se pose sur la joue du blond et que son pouce caresse sa pomette. « Allons-y ? »

Pour moi ? Je regarde de quoi il s’agit. Des cupcakes. Je souris en la regardant, appréciant le geste. Je comprends bien évidemment que c’est elle qui les a cuisiné.

« Oh super merci ! »

On pourrait même les prendre pour chez ma grand mère, mais je suis sûr qu’elle a déjà prévu un tas de trucs à manger avec le thé qu’elle va nous servir. Je dépose les cupcakes délicatement sur le siège arrière et je vais prendre garde à pas faire de virages trop violent pour ne pas qu’ils se retrouvent par terre.

Je regarde Nina au feu rouge, attendant sa réaction à propos de l’invitation forcée chez ma grand mère et elle ne se fait pas attendre. Je sens mon coeur se serrer. Mauvaise idée. Clairement une mauvaise idée. Je m’en veux. Mais c’est trop tard. Sauf si elle me laisse tombé pour l’après midi. Elle dit que je la rends nerveuse, comme ça on est deux. Le feu passe au vert et je redémarre. Ce n’est pas un bon début, mais on avance toujours vers chez ma grand mère, donc peut être qu’on y va quand même. Je sais pas. On dirait. Nina demande ce que j’ai dit à son propos à ma grand mère.

« Oh, pas grand chose. J’ai juste dit que je voyais quelqu’un… Mais tu sais comment sont les grands mères, elles se font des films bien rapidement et elle doit nous imaginer marié déjà. »

J’ai pas eu le courage de lui enlever ses illusions de sa tête. Elle n’a pas grand chose pour se distraire à part la télévision et les bouquins. Nina a encore des questions à propos de ma grand mère. J’y réponds sans soucis.

« Oui elle vit seule. Mon grand père est décédé depuis des années. »

On arrive déjà dans sa résidence et je trouve une place sans soucis. Je coupe le courant et je regarde Nina, attendant de voir si elle veut venir ou pas. Parce que techniquement elle n’a pas dit qu’elle était partante, je l’ai conduite sans savoir si elle allait se prêter au jeu. Apparemment si, vu qu’elle sort de la voiture. Je sors à mon tour, restant silencieux. Je ne sais pas quoi dire pour arranger mon cas, je cherche, mais je ne trouve pas. Rien de nouveau en tout cas.

J’hausse les sourcils quand elle se rétracte. Je ne sais pas ce qu’elle voulait dire mais je ne vais pas la pousser à m’en faire part. Surtout que je sens que c’était un truc du genre « je vais te laisser finalement ». Pas maintenant qu’on est arrivé. Elle se rapproche de moi caresse ma joue.

« Promis on reste pas longtemps. »

Une heure au grand maximum. Je vais prendre sa main et on se rend à l’étage de ma grand mère. Je sonne à la porte et elle nous ouvre. Elle devait être prête pas loin depuis un moment. Du haut de ses 78 ans, ma grand mère est toujours très indépendante. Elle ne se laisse pas aller. Coupe courte, cheveux blanc, elle n’aime pas jeter de l’argent dans les teintures. Elle porte un pantalon de tissu et un haut en dentelles.

« Hey. »

« Kane ! »

Elle tend les bras vers moi et me fait deux grosses bises sur les joues. Elle se détache de moi pour regarder Nina, elle hoche la tête lui tendant la main.

« Tu dois être Nina. Moi c’est Victoria. Mais tu peux m’appeler Tori. »

Elle lui fait un beau sourire.

« Entrez entrez. »

Et on s’exécute.

« Je mets l’eau à chauffer et j’arrive tout de suite. »

Elle ne perd pas de temps, tant mieux. On va dans le salon alors que ma grand mère s’éclipse dans la cuisine. Je lâche doucement la main de Nina, même si je voudrais la garder indéfiniment. Comme si ça la rassurait. Je sais pas. Je suppose. On s’installe sur le canapé. Des tasses sont déjà prêtes sur la table basse avec des gâteaux secs. Ma grand mère refait apparition.

« Je suis si contente que vous soyez venus tous les deux. »

« Merci de nous avoir invité. »

Ma grand mère regarde Nina avec un sourire aux lèvres.

« Beaucoup plus jolie que Diana. »

Mon ex avec qui je suis resté 5 ans il y a de ça de nombreuses années. Je souris en l’entendant et je vais poser ma main sur la cuisse de Nina.

« C’est pas le même genre. »

Je regarde Nina et je lui fais un clin d’oeil.

« Mais oui, je suis d’accord avec toi. »

Ou peut être que c’est mon entrejambe qui parle. Sachant que c’est Nina que je mets dans mon lit, je la trouve beaucoup plus attirante que n’importe quelle autre fille. Ok peut être pas Wendy. Mais Wendy c’est un cas à part.

« Alors ma jolie, tu fais quoi dans la vie ? »

« J’espère que tu vas pas poser trop de question Mamie. »

Je veux pas que Nina se sente examiner.

« Mais non mais non tu me connais ! »

Justement.

« Et puis c’est une grande fille. Laisse la parler. »

Je serre ma main sur la cuisse de Nina, espérant qu’elle ne se sente pas trop nerveuse.

Elle est toujours énervée quand les choses n’allaient comme elle l’aurait imaginé, elle n’avait jamais imaginé que ‘boire le thé avec ma grand-mère’ pouvait être une possibilité quand il avait évoqué la surprise. Elle s’était attendue à tout… sauf à ça et elle détestait les imprévus et tout ce qui faisait qu’elle n’était pas pleinement en contrôle de la situation. Trop d’inconnues dans l’équation et bim, ça faisait dérailler le système et elle s’énervait. Elle dut se faire une raison. Ce n’était pas si affreux et normalement, la mamie de Kane ne pouvait pas être aussi redoutable que des hommes ou des femmes d’affaires expérimentés avec qui on devait passer un contrat. D’ailleurs, elle ne savait même pas pourquoi elle réfléchissait comme ça. Boire le thé chez sa grand-mère était une activité des plus humaines, la conversation n’était jamais difficile avec les personnes âgées car parfois, ils aimaient juste la simplicité et appréciaient juste la présence de ceux qui daignaient leur rendre visite. Elle tenta quelques questions, histoire de mieux appréhender cette rencontre mais elle était très tentée de décliner l’invitation. Elle réfléchissait déjà à des excuses possibles qu’il pourrait lui donner. J’ai juste dit que je voyais quelqu’un… Est-ce que cela signifiait qu’elle avait une place spéciale dans sa vie ? Qu’il n’y avait personne d’autre. Elle se pinça les lèvres. Il allait présenter à sa grand-mère une personne qui, sans lui mentir à proprement parler, ne lui avait pas dit toute la vérité depuis des mois. Elle allait même se les imaginer mariés ? Oh God, on avait bien changé d’époque… pour le meilleur mais surtout pour le pire. S’il y avait bien une catégorie de personne à qui elle n’aurait jamais pu faire de mal c’était bien les vieilles dames et là, elle allait peut-être causer indirectement quelques torts si elle blessait Kane. Gardant ses sourcils froncés, cette pensée était assommante et n’arrêta pas de la tourmenter, si bien, qu’ils se retrouvèrent devant la maison de la mamie de Kane sans qu’elle n’ait pu lui dire qu’elle préférait que cette rencontre n’ait pas lieu. Ils restèrent un moment assis, dans le silence, alors qu’il venait de se garer. Elle ne savait pas quoi lui dire mais tout ce qu’elle savait, c’est qu’elle ne voulait pas le décevoir. Pas lui, pas Kane. Alors, sur cette pensée, elle sortit du véhicule et le suivit.

C’est une dame enjouée et pétillante qui leur ouvre. Il tenait toujours sa main jusqu’à ce qu’il aille saluer sa grand-mère en lui faisant deux grosses bises. Elle les regarde, un petit sourire timide sur le visage, un peu intimidée car ils ont l’air de bien s’aimer. Cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas vu les siens de grands-parents, ils ne lui restaient que ceux du côté maternel mais ils ne devaient pas avoir le même genre de relation. Elle n’eut pas à se présenter, effectivement, Kane avait du lui parler d’elle alors elle se contenta de hocher la tête. « Enchantée, Tori.» fit-elle poliment avant d’entrer. Nina détaille la décoration du salon et sourit un peu plus largement, l’odeur des lieux était agréable. On était tout de suite à l’aise, rien qu’avec ça, comme si on venait d’entrer dans un cocon chaleureux. Elle prend place à côté de Kane dans le canapé. Ils se jettent des regards un peu hésitants, par moment mais pour l’instant, tout se passait bien. Plutôt, il ne s’était rien passé encore, elle s’était contentée de suivre le mouvement, ce qui ne requérait pas trop d’efforts. Elle n’avait pas encore choisi la meilleure tactique, jouer les parfaites petites-amies et charmer son adorable petite mamie ou bien, être assez odieuse pour qu’il n’y ait plus jamais d’invitations de ce genre ? Mh… à juger. Tori revint s’asseoir vers eux quelques minutes plus tard, toujours aussi souriante. Elle exprime sa joie de les voir puis elle glisse des mots à Nina. Elle pensait bien faire, que ce serait sans doute un compliment de comparer sa beauté à la dite-Diana mais cela ne fait que de la rendre mal-à-l’aise. Elle eût une pensée pour l’ex de Kane, sûrement une relation des plus sérieuses si elle avait rencontré Tori et maintenant, c’était elle, Nina, qui se trouvait dans la même situation. Elle se sentit mal, néanmoins, parvint à le cacher grâce à des sourires, profitant du fait que Kane parle plus qu’elle. Sa réserve passerait sans doute pour de la timidité. Ce qu’elle n’est pas et ils le savent tous le deux, si on en croit son sous-entendu en même temps que sa main se pose sur sa cuisse. Elle sait qu’il fait ça pour la rassurer, elle lui en est reconnaissant mais cela ne plaît pas vraiment à sa grand-mère qui, au contraire, insiste pour l’entendre parler. Nina vient poser sa main sur celle de Kane avant de prendre la parole, non sans lui jeter un petit regard avant. « J’étudie la gestion, c’est vaste mais j’aime vraiment le monde des affaires et du commerce. Les problématiques et les décisions à prendre auxquelles une entreprise peut être confrontée, toutes ces choses-là… » Dans les yeux, elle évoque sans hésitation ses études qui la passionnent. Pas sûr que ça parle beaucoup à Tori, on aurait plus dit que Nina répondait à un recruteur qu’autre chose alors elle sourit, masquant sa gêne. — C’est très bien, je n’y connais rien, moi, à ces choses là, mais ça a l’air très intéressant. Ouf, elle soupire intérieurement de soulagement. Une étape de faite. La vieille dame se lève et retourne à la cuisine. Nina en profite pour se tourner vers Kane. « Elle est gentille. » lui fit-elle, avec un petit sourire aux lèvres. « Je m’en sors bien, pour l’instant ? » Posant le menton sur son épaule, ses grands yeux bruns, interrogent les siens, un peu malicieuse, elle se demande si cela méritait déjà un bisou. Elle se détache de lui alors que sa mamie revient vers eux avec la théière. — Je vous ai vu… les taquina-t-elle. Cela fit doucement rire Nina, avant de lancer un regard complice à son petit-fils. Tori préparait son thé sûrement comme on le lui avait appris, avec de vraies feuilles de thé dans un filtre. — Je vais laisser le thé infuser. C’est celui que tu aimes bien, Kane. Et pendant ce temps… Elle l’observa mettre des lunettes sur son nez avant d’attraper sur la table ce qui semblait être son portable. Ses lèvres s’étirèrent en la regardant faire, elle tenait l’écran de son smartphone à distance, l’air de chercher quelque chose. Au bout de quelques minutes, quand finalement, elle pivota pour tenir le portable devant elle, pile poil dans leur direction, elle comprit ce que Tori allait faire. Son premier réflexe fut de se reculer et de se tourner pour se cacher. — Oh non, ne soyez pas timides! Allez, un petit sourire parce que vous êtes très beaux… Ils étaient visiblement forcés à capituler, elle fut incertaine de quelle pose prendre alors se contenta d’imiter Kane. Restant assise sagement à côté de lui, sans le toucher et sourit à l’objectif. — Très bien. J’ai cru qu’il allait falloir te menacer de raconter cette histoire de quand tu étais petit. Elle avait l’air satisfaite en rangeant son téléphone, la photo ferait sûrement le tour de ses copines, fière de montrer son petit-fils. Ses paroles intriguèrent Nina. « Quelle histoire ? » Un air mi-amusé, mi-moqueur sur le visage, elle arqua un sourcil en se tournant vers Kane tout en tendant sa tasse de thé sur sa soucoupe à Tori pour être servie.

Nina ne parle pas beaucoup et c’est pas à son habitude. Je dois avouer qu’il s’agit d’une situation assez hors du commun. On n’a jamais eu à se présenter des membres de notre famille jusqu’à maintenant. C’est donc une nouvelle facette de Nina que je vois en ce moment précis. Elle est intimidé. C’est pas rien pour elle cette rencontre. Pour moi non plus. C’est même un grand pas sachant qu’on se fréquente depuis pas si longtemps que ça. J’ai sûrement été trop vite en besogne, j’aurai dû dire non à ma grand mère pour cette visite. Mais j’ai pas su faire. Je le regretterai peut être plus tard. Pour l’instant, malgré le silence de Nina, ça se passe plutôt pas mal.

Quand elle parle de ses études, j’ai l’impression qu’elle est en plein entretient d’embauche. J’espère que ma grand mère ne vas pas être trop insistante sur les questions. Je lui ai fait la remarque mais on sait jamais avec elle. Elle n’en fait qu’à sa tête. Heureusement elle ne demande pas plus d’information à ce sujet. C’est pas son domaine les affaires, tout ça… Elle file dans la cuisine et Nina me fait une remarque sur elle. Je souris, content qu’elle la voit d’un bon oeil. J’hoche la tête quand elle demande si elle s’en sort bien. Elle se rapproche de moi et je vais déposer un baiser sur son front alors que ma main se trouve toujours sur sa cuisse. Besoin de contact.

« Très bien. Reste toi même et tout ira bien. »

Enfin j’espère. Ma grand mère revient déjà avec le thé. Je souris quand elle fait sa petite remarque. Le thé infuse et on a droit à une petite séance photo. Je roule un peu des yeux.

« Oh non Mamie ! »

En plus Nina n’a pas l’air chaude, elle se détourne de l’objectif. Elle n’a pas l’air de vouloir céder. Son téléphone fièrement dressé vers nous. Elle va peut être se fatiguer avec les bras en l’air comme ça au bout d’un moment ? Nina se redresse et je serre ma main sur sa cuisse comme pour lui donner des bonnes ondes. Je lui promets silencieusement que ce calvaire ne vas pas durer trop longtemps. Une tasse de thé et ciao. On prend finalement la photo et ma grand mère parle d’une histoire quand j’étais petit. Je roule une fois de plus les yeux à cette mention. Nina a l’air curieuse.

« Y’a tellement d’histoires. Je sais pas de laquelle tu parles. »

« Oh si tu sais très bien laquelle. »

Je fais une petite moue, j’ai pas trop envie qu’elle raconte ça à Nina…

« J’étais petit. J’avais 4 ans ! »

Ca ne l’arrête pas pour autant. Elle est déjà toute sourire, se retenant de rire d’avance. Elle se penche un peu comme pour faire une confidence à Nina.

« On était dans un magasin de bricolage et il a fait pipi dans un toilette en exposition. »

Je tourne les yeux vers Nina, espérant qu’elle trouve l’histoire pas trop intéressante. Qu’elle ne me le garde pas contre moi comme le font pas mal de membre de ma famille.

« C’est de moins en moins drôle à chaque fois que tu la racontes Mamie. »

Mais elle est en train de rire, ne se lassant pas de cette anecdote.

« Allé sert nous le thé. »

« Oui oui ça vient ! »

Et elle nous sert enfin. Si elle continue avec ses petites histoires sur moi, c’est clair que je vais le boire en moins de deux ce thé. Je ne rajoute pas de sucre dans mon thé et je le touille quand même pour qu’il refroidisse.

Malheureusement pour moi, ma grand mère va chercher un album photo qui m’est consacré. Je fais une petite moue encore. C’est sûr qu’elle va raconter encore plein d’histoire. Elle va s’asseoir à côté de Nina.

« Je suis sûr que ça l’intéresse pas toutes ces photos. »

Je regarde Nina, mais je ne suis pas sûr de moi du tout pour le coup. Ma grand mère est déjà en train d’ouvrir l’album que je connais par coeur. C’est ma mère qui lui a rempli au fil des ans comme cadeau de Noël avec toutes mes photos d’école entre autres.

Nina se la joue polie, même plus encore, trouvant son équilibre entre réserve et enthousiasme. Elle a toujours été forte pour charmer son monde, donner l’image qu’elle voulait qu’on ait d’elle et au final, il restait juste l’impression d’avoir menti à tout le monde. L’ironie est palpable quand il lui conseille de rester elle-même, ça éveille un drôle de sourire sur son visage, parce qu’il ne se doute de rien, Kane. Bien gentil, il soulage même ces inquiétudes d’un bisou sur le front sans savoir qu’il n’y avait pas que cette rencontre qui la préoccupait, ni la pression de faire bonne impression. De sa bouche, il ne savait même pas ce qu’il entendait par rester elle-même parce qu’il y avait beaucoup de choses qu’ils ignoraient l’un sur l’autre. Il ne devait pas se douter qu’il amenait dans son lit une comédienne pendant leurs nuits entières passées à se chercher, à se découvrir, à se connaître et à se mémoriser, bandante, peut-être, menteuse, irréfutablement. Quand ils étaient deux, cela allait, il était son petit secret mais là, cela dépassait la sphère des tête-à-têtes et pas devant n’importe qui, devant sa grand-mère. Elle se dégoûtait, elle avait l’impression de se voir de l’extérieur être parfaitement ridicule, piégée dans son propre jeu et son éthique personnelle lui défendait d'être méchante avec une vieille dame.

Sans voir la photo, elle s’imaginait qu’ils devaient être très ordinaires, au moins, très mignons, au plus. En tout cas, la photo eût l’air de plaire à Tori. Elle redoubla d’entrain. Oh god… Elle était tellement attendrissante et elle l’amusait beaucoup. Son anecdote ne fut pas aussi extraordinaire qu’elle ne l’avait pensé, car un peu brève, mais elle avait ri aussi, la petite mamie lui avait communiqué son hilarité. Kane souriait aussi, quand elle lui jeta un regard, sûrement habitué à ce qu’on ressorte ses vieux dossier. Sa propre mamie ne devait même pas avoir de photo d’elle chez elle alors qu’elle avait un album consacré à Kane et seulement Kane. Elle ne méritait pas ce moment. C’est vrai, elle avait la désagréable sensation de n’être qu’un imposteur devant la mamie, volant ce moment familial à une autre nana qui aimerait sincèrement son petit-fils et qui s’émerveillerait avec elle devant toutes les histoires qu’elle aurait à lui raconter. Elle paniqua de la voir s’installer à côté d’elle avec l’énorme album et se montra un peu brusque à s’opposer à ce qu’elle se lance dans ses récits. « Je serai très intéressée de découvrir ça une autre fois, Tori. » fit-elle, forçant un sourire, pourtant trop crispée pour sembler naturelle. Elle posa une main sur la couverture de l’album, bloquant la main de la grand-mère et l’empêchant de tourner ne serait-ce que la première page. Elle lut la confusion dans le regard de Tori. Cette dernière n’était pas si naïve, Nina eut l’impression qu’elle avait senti que quelque chose clochait avec elle. Pour palier au regard méfiant — ou perdu, ou plein d'incompréhension, elle ne savait pas trop — et la rassurer, elle lança, sur un ton enjoué. « Cela nous donnera une raison de vous rendre visite une prochaine fois, n’est-ce pas Kane ? » Elle devait l’avoir vexée, - 1000 points d’office, peut-être même qu’elle la trouvait beaucoup moins jolie de Diana maintenant. Elle n’arrivait pas à déchiffrer ce que Tori pensait mais il est clair qu’elle la regardait avec un drôle d’air. Nina n’allait pas tarder à chopper une crampe aux joues, à force de lui accorder ce large sourire, censé l’aider à regagner ses bonnes grâces. La mamie finit par se raviser et l’ambiance changea sensiblement. Dire qu'elle l'avait plombé aurait été un euphémisme. Par conséquent, elle n’osait plus la regarder dans les yeux et espérait que Kane dise quelque chose, parce qu’elle ne fit rien d’autre à part boire son thé, les yeux rivés dans le fond de sa tasse.

Nina met un stop à ma grand mère à propos des photos. Je comprends par là que c’est un peu trop d’informations pour cette visite. Je ne veux pas imaginer qu’elle ne veuille pas réellement voir ces photos. Il doit y avoir autre chose là dessous. Elle parle d’une prochaine fois et ça me rassure. Elle n’est pas contre revoir ma grand mère. En fait c’est clair, elle doit juste vouloir partir d’ici. Ca fait pas très longtemps qu’on est arrivé et on a pas fini de boire notre thé mais je veux bien la comprendre. Moi aussi je suis pas spécialement à l’aise. C’est trop frais entre Nina et moi.

Ma grand mère par contre comprend pas du tout pourquoi elle refuse de voir les photos. Ca se voit clairement sur son visage. Mais quand Nina parle de nouveau de se revoir elle se décrispe quelque peu. Je cherche quelque chose à dire pour enlever le léger malaise qui commence à s’installer.

« On va pas tarder à y aller. »

Je prends ma tasse pour vider un peu plus mon thé, histoire de partir après l’avoir terminé, au moins. Pour dire qu’on est vraiment resté pour le thé, et que pour ça.

« Ah vous les jeunes, toujours trop occupé. »

« Mais on reviendra. »

Comme Nina l’a proposé à deux reprises. C’est que c’était pas tout à fait loupé comme moment non ? Sinon elle ne voudrait pas remettre les pieds ici. Je l’imagine mal avoir fait cette remarque par simple politesse.

« Le thé est vraiment très bon Mamie. »

Et je commence à parler du dernier anniversaire qu’on a fait ensemble, parlant de notre famille. Je mets légèrement Nina de côté dans la conversation mais c’est parce que je pense qu’elle a eu assez à faire à ma grand mère pour aujourd’hui. On termine notre thé, on reste dix minutes de plus et puis je fais comprendre qu’on est sur le départ. Je me lève et j’embrasse ma grand mère sur la joue avant de lui faire un bon hug.

« Merci pour le thé. »

J’embrasse sa joue une fois de plus et je me détache.

« Tu reviens quand tu veux mon chéri. Et toi aussi ma jolie. Tu regretteras pas de venir voir les photos de Kane. »

Je roule les yeux, amusé. Elle ne lâche pas l’affaire.

« Rentrez bien, faites attention. »

Je fais une dernière bise à ma grand mère, oui, je suis affectueux comme ça et puis on est parti.

« Bye. »

Une fois dehors je prends la main de Nina dans la mienne, espérant que ce moment n’ait pas été trop une corvée pour elle.

« T’as envie qu’on aille quelque part en particulier ? Il est encore tôt. »

Il fait beau, il fait chaud, on a encore une belle partie de l’après midi à nous.

Ce n’était qu’une erreur, elle aurait préféré effacer ce moment. Elle devenait irréfléchie pour quelques marques d’attentions et quelques mots doux bien placés, elle était faible à cause de toute l’affection qu’il lui prodiguait et leur relation aurait pu être simple, belle… dans une autre vie. Elle était certaine que les petites mamies avaient le flair pour ces choses-là, d’expérience ou simplement par intuition, elles devaient sentir les petites menteuses dans son genre qui baladaient leur petit-fils. Sans faire preuve de méchanceté, elle avait été trop brusque pour que cela ne soit pas suspect et même quand elle tentait de se rattraper, aussi bonne comédienne soit-elle, elle ne parvenait pas à convaincre Tori. Elle hoche lentement la tête alors que Kane annonce qu’ils ne vont pas s’attarder. Nina relève les yeux pour guetter la réaction de sa mamie. Elle intercepte seulement une moue de déception. Rien d’autre… pour l’instant. Qui sait ce qu’elle dirait à Kane la prochaine fois qu’ils se verraient ou qu’ils se téléphoneraient surtout s’il lui annonçait qu’ils n’étaient plus ensemble. Cette pensée la mit mal-à-l’aise. Il n’y avait jamais eu de déclaration officielle, de demande et en soi, ils n’avaient jamais fixés quel statut, ils avaient l’un pour l’autre. Suite à ça, elle laisse Kane parler, comme au début, rendant l’atmosphère encore plus pesante car elle ne décroche pas un mot pendant un moment, sauf pour complimenter aussi son thé. La mamie, également, se fait un peu moins bavarde jusqu’à ce qu’il lance une conversation sur un autre sujet. Nina a le temps de finir son thé, tout en restant attentive, faisant mine de suivre ce qu’ils disaient. Le calvaire s’achève plus vite qu’elle ne l’aurait cru et son visage retrouve quelques traces de vie, enfin, quand elle le voit se lever et prendre congé. Elle le regarde embrasser affectueusement sa grand-mère, le spectacle est attendrissant, sans plus, difficile de tomber dans la nostalgie de souvenirs que l’on ne possédait pas. Sur le départ, elle la remercie tout de même poliment pour son accueil et elle reparle de l’album photo. « Avec plaisir. » répondit-elle en souriant, sachant que c’était un énième mensonge de plus qui lui préparait une place douillette dans en enfer. « Bonne après-midi, Tori. » Dernier sourire, rideau, à peine avait fait volte-face qu’elle ne réprimait plus sa nervosité. Un mélange de tout, la culpabilité, la colère, la tristesse, la déception, le regret, toutes les choses négatives qu’elle pouvait ressentir faisaient un bouchon dans son ventre et si elle ne l’extériorisait pas, elle allait imploser. Encore incapable de formuler quoique ce soit même quand il lui pose une question, elle contracte la mâchoire, avant de s’arrêter pour lui faire face. « Nulle part. » Elle avait retiré sa main et fuyait, incapable d’affronter son regard, aussi enragée fut-elle, ce n’était pas à cause de lui mais à cause d’elle. Elle se sent coupable, pas à la hauteur de l’idée qu’il se fait d’elle, pas fichue d’être assez bien pour lui s’il n’y avait pas tous ces mensonges. Il a vite fait de la rattraper. « Ne me regarde pas comme ça. » Elle bloque l’air dans ses poumons, avant d’expirer doucement. Il ne devait pas comprendre son changement d’humeur soudain. « J’ai pris un rendez-vous plus tôt que prévu. » lâcha-t-elle froidement. Un mensonge, un test, pour voir s’il allait gober cette vieille excuse. Elle espérait qu’il réagisse de la voir si énervée parce qu’elle avait besoin qu’il lui dise quelque chose. N’importe quoi. Qu’il sorte un peu de ses gonds pour une fois, qu’il lui fasse des reproches, qu’il lui dise à quel point elle était méchante et affreuse. Elle avait besoin d’entendre de la bouche d’un autre, tout ce qu’elle savait déjà sur elle, se cherchant sans cesse des excuses pour fuir ceux auxquels elle s’attachait trop.

Je fronce les sourcils à sa réponse. Nulle part ? Je me tourne vers elle et je remarque qu’elle a pas l’air dans son assiette du tout. Elle lâche ma main et je crois que je ne comprends rien à ce qui est en train de se passer. Alors tout ça n’était que de la comédie ? Elle m’en a voulu tout ce temps chez ma grand mère ? Je remarque bien qu’elle ne me regarde pas dans les yeux alors que je tente tant bien que mal de capter son regard. Elle remarque quand même que je comprends rien. J’ai mille question à lui poser mais j’ose espérer qu’elle va s’expliquer d’elle même. On ne change pas d’humeur aussi vite sans raison.

On est dehors, devant la résidence, bloqué. Enfin moi je suis bloqué. Depuis qu’elle m’a lâché la main j’ai arrêté de marcher vers la voiture.

« Nina ? Qu’est-ce… »

Mais elle reprend la parole disant qu’elle a pris un rendez vous plus tôt. Je fais non de la tête. Je ne la crois pas. Je suis naïf mais pas à ce point là quand même. Comme si d’un coup par enchantement elle avait avancé un rendez vous. Je ne l’ai pas vu sur son téléphone ou quoi une seule fois depuis qu’on est arrivé. C’est tout bonnement impossible. Ou peut être que si ? Non. Elle m’en aurait parlé avant, disant qu’on devrait partir à une certaine heure pour justement ne pas louper son rendez vous. Non, c’est sûr, il n’y a aucun rendez vous. Et puis cette façon qu’elle a eu de m’annoncer ça. Je ne l’avais jamais vu comme dans un état pareil. Elle a l’air d’être super énervé et je ne sais pas ce qui se cache là dessous.

« Et si tu me disais plutôt ce qui se passe ? Je suis pas complètement stupide. »

Je reprends à marcher vers la voiture, parce que si ma grand mère se met à sa fenêtre elle risquerait de nous voir nous disputer là devant et c’est pas la meilleure des choses. Je n’ai pas envie de devoir expliquer tout ça en plus. On rentre dans la voiture, mais je ne la démarre pas.

« On va nulle part tant que tu m’as pas dit ce qu’il se passe… C’était tant une corvée que ça ? C’est les photos qui t’ont fait vriller ? »

Parce que j’ai bien remarqué son refus de les regarder. C’était vraiment très étrange.

« Si j’avais su que ça t’énerverait à ce point là on serait pas venu… T’aurais dû me dire. Je pouvais pas deviner moi ! »

Surtout que je peux comprendre que c’était peut être trop tôt. Je suis en train de me dire que tout ça c’est de ma faute. Y’a pas d’autres raison possible.

Elle ressent une colère glaciale, de celles qui recouvre lentement toutes vos autres émotions, pour s’imposer dans chacune de vos cellules. Elle ralentit sa respiration, tente de contrôler ce corps tout raide et crispé. Elle a bien essayé de soutenir son regard mais d’un côté, elle a bien trop honte de l’image qu’elle renvoie dans le bleu de ses yeux. Alors elle se détourne, ignorant son appel au passage. Elle le laisse derrière, après avoir lâché sa main, elle traçait sa route pour retourner la voiture, pressée de rentrer. Pourtant, il reste bloqué là et elle ne pourra pas entrer dans le véhicule s’il ne l’ouvre pas. « Ouvre ! » Sa voix est aiguë, tranchante, c’est celle des princesses qui ont l’habitude qu’on leur obéisse mais il ne se laisse pas intimider par son numéro, visiblement, préférant obtenir quelques explications. Aussi frivole que cela pu paraître, ils ont l’air tout de même de s’accorder sur un point : ils n’avaient pas envie de se donner en spectacle dans la rue, surtout que depuis leur endroit, elle était presque certaine que Tori aurait pu les surprendre. Elle tombe lourdement sur le siège, s’en suit un long silence où elle le maudit cent fois de ne pas démarrer tout de suite et de la ramener chez elle, il ne la lâche pas. Elle sait ce qui l’attend. Elle a l’habitude des confrontations, elles venaient main dans la main avec ses névroses et son caractère de instable. Elle resta insolemment silencieuse. Elle se refusait de lui accorder un regard depuis qu’ils s’étaient installés, fixant un point loin droit devant elle à travers le pare-brise. Qu’est-ce qu’il voulait qu’elle lui dise ? Il l’avait prise de court, elle détestait ça. Maintenant, il n’y avait aucune chance qu’elle oublie ce qu’elle considérait comme une offense. Mais il y avait plus que ça et clairement, c’est ce qui la mettait le plus en colère. Je t’aime un peu trop, dégage de ma vie, cordialement, merci. Aussi déconnectée du monde normal et des émotions humaines, elle se doutait qu’elle ne pouvait pas amener cette raison sur la table… si encore elle arrivait à l’admettre. Il était temps de mettre de la distance. S’il savait comme il était loin de la vérité en évoquant cette rencontre, l’album photo,… Moins il en savait, plus facilement il s’en remettrait alors elle était déterminée à laisser le puzzle de leur histoire avec des pièces manquantes, il pouvait bien s’imaginer ce qu’il voulait, ce ne serait qu’une idée de plus sur le lot de réputations qu’elle récoltait déjà. Elle poussa un soupir blasé. « Ne me crie pas dessus. » De cette attitude agaçante, elle lui lance un regard réprobateur alors qu’il avait à peine haussé le ton. « Laisse ta grand-mère en dehors de ça. Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Je n’ai pas grand chose autre que l’évidence qui s’impose à nous. Toi, moi, on n’a rien à faire ensemble. » Au moment-même où elle prononçait ces mots, elle ne ressentait rien d’autre qu’un immense flou à l’intérieur. La môme avait réussi à dire ça sans un tremblement dans la voix et peu importe ce qu’ils avaient, ce qu’ils étaient, elle avait mis de la distance par rapport à ses émotions. La désinvolture ? L’arrogance ? Le dédain ? Qu’importe le nom de ce qui l’animait, le résultat était qu’il éveillait un drôle de sourire sur les traits de son visage, un sourire complètement inadapté à la situation.

Si elle pense que je lui crie dessus là elle se fourvoie bien. Elle m’a jamais vu crier et c’est arrivé que très rarement que je m’énerve à ce point là, mais ça arrive. Dans ces cas là faut vraiment pas me prendre pour un con et là j’ai la nette impression que Nina est en train de le faire. Je comprends rien, j’essaie de comprendre, je veux des explications. Je lui donne même des pistes si jamais elle a besoin qu’on lui tire les vers du nez mais non. Apparemment ça n’a rien à voir avec ma grand mère, je sais pas si je dois la croire parce que ça concorde trop avec notre visite. Au fond j’espère qu’elle ne ment pas là dessus, parce que c’est vrai que ma grand mère n’a rien fait qui mérite une telle réaction. Donc je suis perdu. Y’a un truc que je manque, c’est sûr.

Nina dit qu’il est évident qu’on a rien à faire ensemble et je fronce les sourcils alors qu’elle sort ça de nulle part. Elle a l’air tellement sûre d’elle en plus. Mais what the fucking hell ??

« Wow. Okay. »

Je ne la prends pas au sérieux, je ne veux pas croire ce que je suis en train d’entendre. Mais le sourire qui s’affiche sur ses lèvres me dit qu’elle ne bluff pas. Il me dit aussi qu’elle a complètement changé. Je ne la reconnais pas.

« D’un coup comme ça on a plus rien à faire ensemble ? Tu veux pas me donner une once de détail ? Que je comprenne un minimum d’où ça sort. Tu me prends trop pour un con et je supporte pas ça Nina. Vraiment pas. »

Je suis énervé. Elle me prend vraiment trop pour un con. Elle doit se dire que le gentil Kane va rester à se la fermer et bien non. Kane il ose ouvrir sa gueule. Il se laisse pas faire. Ok pas toujours. Mais là clairement je veux avoir le fin mot de cette histoire. J’ai les clés de ma voiture dans la main. Toujours pas dans le contact. On ne décolle pas d’ici tant que j’aurai pas eu une réponse satisfaisante.

La tâche est plus difficile que prévue. Jeune et lâche, elle aurait préféré expédier leur histoire aux oubliettes juste avec un texto mais elle ne se laisse pas démonter pour autant. Elle n'avait pas pu contenir ses émotions alors elle préférait couper-court son jeu avant d'en subir les dommages. Il n'y avait jamais de façon tendre de rompre avec quelqu'un, elle ne craignait pas de le blesser, persuadée que plus elle serait brutale et glaciale, plus facilement il oublierait qu'elle ait pu exister et qu'il ait pu fréquenter une telle harpie. Son sourire disparaît aussitôt que Kane réalise ce qu'elle vient d'annoncer. Pendant le petit moment de flottement, elle sortit de son sac à main son portable, pianotant dessus alors qu'il répliquait. Elle n'aimait pas le ton qu'il prenait avec elle, bien que ce soit légitime, cela l'agaçait déjà et elle gardait ses sourcils froncés, juste après avoir lancé sa recherche pour voir s'il y avait des taxis dans le coin. Son attention revint sur lui, après avoir exagérément levé les yeux au ciel. C'était le spectacle le plus ennuyeux qu'il soit, dans les deux sens du terme. « Je ne veux plus te voir, c'est une raison suffisante ? Qu'est-ce que tu pourrais faire contre ça ? » Elle esquivait sa question, déterminée à ne pas lui donner des détails, comme une façon de le préserver. Nina espérait naïvement qu'il garde une bonne image d'elle et cela n'allait pas être possible si elle lui révélait tous ses mensonges au grand jour. Si elle-même ne parvenait pas à comprendre son propre comportement, aucune chance que lui comprenne et l'excuse. Elle était plus qu'injuste avec lui. Le fait qu'elle cherche à le repousser ne diminuait en rien l'affection qu'elle lui portait mais elle s'interdisait de nourrir quelconque sentiment de la sorte. « Me retenir peut-être ? » Elle sourit à cette pensée ridicule, mesquine au possible. Elle lui jeta un regard en biais. Il l'avait toujours bien traitée et elle le désirait encore, malheureusement, toute l'existence de Nina était incompatible avec un avenir ensemble. Il lui était inconcevable qu'on puisse vouloir s'attacher à quelqu'un comme elle. C'était elle la conne dans l'histoire, enfermée dans ce cercle vicieux puisqu'elle fournissait elle-même toutes les preuves pour leur faire penser qu'ils avaient raison de ne pas l'aimer. « Ça peut te sembler soudain mais c'est mûrement réfléchi, c'est ce qu'il y a de mieux à faire. Ce serait plus simple si tu te contentais de ça comme explication. » conclut-elle d'une voix très calme. Ça n'empêche pas la rancœur. Elle n'est pas désolée, sur le moment, elle ne pense qu'à ses propres intérêts et ç'aurait été une défaite d'admettre qu'elle voulait tout, sauf qu'il quitte sa vie. Pas de pincements au cœur, pas de larmes, elle fait preuve d'un self-control presqu'effrayant pour quelqu'un d'aussi jeune mais ce n'était qu'une armure de glace. Il lui en fallait peu pour se fissurer et craquer.

Elle sort son portable et je suis halluciné. C’est vraiment le moment de pianoter sur son téléphone ? Non je ne crois pas. Elle vient clairement de me dire qu’elle veut rompre avec moi et cela sans raison valable. Sur un coup de tête vraisemblablement. Je suis tellement à côté de la plaque. Je comprends rien et elle ne me donne pas les réponses que je veux. Un simple « je veux plus te voir » de sa part ne me suffit pas. On avait prévu de se voir, elle m’a fait des cookies, y’a vraiment rien qui cloche dans tout ça. Juste la visite chez ma grand mère. Ca doit être à cause de ça. Je ne vois pas d’autres raison plausible.

Je suis bouche bée quand elle pense que je vais chercher à la retenir pour avoir plus d’informations. Non, je ne suis pas comme ça. Je ne vais pas la séquestrer. Si elle ne veut pas donner plus d’information, faudra que je vive avec. Je l’ai assez confronté pour qu’elle me dise le fin mot de cette histoire. En vain, malheureusement. Elle n’a pas l’air de vouloir filer en tout cas, alors j’ai un infime espoir qu’elle me donne plus de détails sur tout ça, mais non. J’ai juste droit à un « c’est mûrement réfléchi ».

« Ah oui ? Alors pourquoi t’as accepté de voir ma grand mère ? Ca n’a pas de sens ! »

Ma voix par un peu dans les aiguës sur la fin. Visiblement je ne me contente pas de ça comme explication non. Je suis trop sur le cul dans cette histoire. Je comprends tellement pas ce retournement de situation.

« Y’a un truc que tu me dis pas et c’est vraiment pas cool Nina. Vraiment pas cool. »

Je soupire et je mets le contact à la voiture. Résigné. Je n’en saurais pas plus. Je suis extrêmement déçu par elle. Je me concentre sur la route, ne cherchant pas à parler plus. Je suis sûr que je n’aurai rien d’autre comme explications venant d’elle. En tout cas j’ai bien compris, elle ne veut plus être avec moi.

Comme si de rien n'était, elle avait sorti son téléphone en plein milieu de la discussion, snobant Kane, au point de ne pas le regarder alors qu'il insistait pour qu'elle lui donne des explications. Elle cherchait un taxi, s'imaginant qu'il la laisserait peut-être ici après cette scène. Il l'a dit clairement, ils ne décolleraient pas avant qu'elle se justifie et obstinée, elle préférait qu'ils se quittent ici plutôt que de lui avouer la vérité. Il lui aurait fallu développer si elle voulait qu'ils comprennent ses intentions, elle n'allait pas se donner cette peine, préférant qu'il l'oublie, ce qui lui faciliterait sa tâche à elle pour l'oublier à son tour. Premier coup qu'elle lui envoie pour le repousser loin, quand elle lui dit sans ménagement qu'elle ne veut plus le voir. Il s'accroche, relève ses contradictions, la confronte. Et il a raison, ça n'a pas de sens et quand la raison lui échappe, c'est son coeur qui s'exprime. « Je ne voulais pas te décevoir !!! » hurle-t-elle dans un élan de sincérité, droit dans les yeux mais une expression dure sur le visage. Cela va mal finir s'ils commençaient à hausser le ton, les deux, si elle n'arrivait pas à se contrôler. Cette réponse l'agaçait. Pour elle, la gamine égoïste, c'était dur à admettre. Cette rencontre avec sa grand-mère était l'élément déclencheur, le feu de warning qui lui avait fait réalisé qu'il prenait une trop grande place dans sa vie, dans son cœur, dans sa tête. Elle se calme, pendant que le silence s'installe, blessée par l'amertume dans sa voix. Elle aurait pu sentir dans sa ton, la confiance qui se faisait la malle et la déception venir prendre sa place. Elle reste silencieuse. C'était pour son bien qu'elle gardait le voile sur ses mensonges, comme s'il y avait encore un truc à sauver entre eux, comme s'il pouvait encore avoir une bonne image d'elle après ce moment. Il ne pouvait pas se douter une seule seconde de tous ses secrets, rompre avant qu'il ne le découvre ou qu'elle soit forcée de lui avouer, était le scénario où elle s'en tirait le mieux. Il démarre, elle hésite un instant, tentée de lui dire qu'elle préférait prendre un taxi, mais se ravise finalement. Elle range son téléphone et même assise confortablement, tout son corps restait tendu et crispé par le malaise ambiant. Ils n'échangent rien pendant qu'ils reprennent la route inverse qu'à l'aller. Elle ne desserre pas les dents en gardant les yeux rivés sur la route. Il double un bus à l'arrêt et elle trouve qu'il roule vite, un peu trop vite, s'il voulait éviter de percuter l'adolescent qui traverse et qu'était caché par le bus. « Attention !!! » lui fait-elle, immédiatement soulagée qu'il ait freiné à temps. Ils se fixent, un peu sonnés. Qu'est-ce ce qui la perturbait le plus ? Qu'ils soient passés à deux doigts d'un truc moche ? Ou bien de recroiser son regard, ses yeux, son visage qu'elle aime tant ? Elle souffle, se détournant de ce spectacle qui lui remuait les tripes et ils reprennent la route.

Ils arrivent au feu rouge, celui en face de leur route à l'aller, il lui semble durer une éternité. Juste le temps de laisser la Nina qu'il connaît, reconnaissable à sa voix plus douce quand elle s'adresse à lui, lui demander : « Tu trouves qu'on était bien ensemble ? » Et elle sous-entend, 't'étais bien avec moi ?', assise sagement à côté de lui, toujours sans le regarder. Elle anticipe sa réaction, sachant qu'il trouverait bizarre qu'elle lui demandait ça tout à coup. Elle l'implore. « S'il-te-plaît, réponds-moi. Rien que ça. J'ai besoin de savoir. » Elle n'était pas en position de lui demander quoique ce soit et lui n'était pas en position de lui devoir quoique ce soit, mais c'était important pour elle, elle espérait qu'il le sente.

Elle ne voulait pas me décevoir ? Je fronce les sourcils et je comprends clairement rien. Je la regarde, attendant qu’elle ajoute quelque chose de plus. Elle avait l’air bien partie pour se confier avec ces quelques mots. Mais non. Rien de plus ne vient. Je reste comme un con avec ces bribes d’explications. Non. C’est même pas des bribes. C’est le néant.

Le trajet en voiture a l’air de durer une éternité dans ce silence pesant. J’espère qu’en lui laissant son temps elle finira par dire autre chose qui fait sens. Je suis tellement énervé que je fais pas trop attention à la route. Je ressasse ce qu’elle m’a dit dans ma tête et toute cette après midi chez ma grand mère. Je freine à temps et je reste un moment à l’arrêt après ça. Je jette un coup d’oeil à Nina et nos regards se croisent. Je ne sais pas trop ce que j’ai dans les yeux en la regardant. Je crois que je suis juste trop déçu d’elle pour montrer autre chose comme sentiment. Je détourne les yeux et reprend la route. On est presque arrivé.

A un feu rouge, Nina change de ton. Elle n’a plus l’air d’être sur les nerfs. Je fronce les sourcils à son ton et à sa question qui est vraiment futile. Je ne dis rien et elle insiste.

« Tu crois vraiment que je vais te donner tes réponses quand moi j’ai droit à rien ? »

Je roule les yeux fortement. Je suis toujours énervé comparé à elle qui a l’air d’être apaisé maintenant.

« Tu rêves. »

Et je reprends la route, bien décidé à la déposer et ne plus la voir après ça. Je roule peut être un poil plus vite que la limite c’est vrai. Je veux juste être débarrassé d’elle maintenant. Elle se fou trop de ma gueule. Je pense quand même à sa question. Pourquoi est-ce qu’elle veut savoir ça maintenant ? Et pourquoi elle n’a pas ressenti qu’on était bien tous les deux ? Parce que oui, on était bien. Elle est pas l’amour de ma vie. Non. Ca c’est clair. Mais on s’entendait bien et le sexe était bon. Alors c’était bien. Pas assez pour que ça dure visiblement.