Toutes les suggestions n'étaient pas si loufoques que ça. Il serait particulièrement aisé de citer cinq ou six noms pour chacune des nouvelles carrières que Benjamin proposait à Cora, car elles ne sortaient pas plus de son imagination que du grotesque d’un monde bien réel qui leur avait fourni des exemples à ne pas suivre à la pelle. Actrice déchue, la palette des possibilités était bien entendu largement plus étendue que la courte et stupide liste dressée par le brun plus enthousiaste à chaque nouvelle idée, s'enfonçant dans les pires scénarios qui s'avéraient paradoxalement être les plus drôles. Question de point de vue. Cora avait les réponses du tac au tac facilement, si bien que le jeune homme se demanda si elle n’avait pas déjà épluché toutes ces options plus ou moins sérieusement avant qu'il ne les énumère. Bien évidemment, elle avait raison, à chaque fois, de débouter et tourner la chose en dérision, l'idée étant de lui faire dédramatiser son manque de perspectives à cet instant de sa vie par la démonstration que les choses pourraient être bien pires. La dignité, il connaissait (contrairement à ce que l'on pouvait penser), il comprenait, et il l'envisageait d'autant plus qu'après un bon bain de boue public la belle rousse ne souhaiterait plus que redorer son blason, même si ce n’était que pour elle-même. C'était là le plus important après tout, et Ben était un important partisan du credo “les autres on s'en fout”. “Ouh, j’adore l’idée.” s'exclama-t-il lorsque la jeune femme suggéra qu'ils se lancent ensemble dans un remake de breaking bad. Il se voyait totalement dans la peau de Saul -il était le seul d'entre eux deux doté d'un diplôme d'avocat, le rôle lui revenait donc de droit. Ce qui faisait de Cora la version féminine de Walter White, ce qui était tout de suite plus difficile à figurer, même en plissant les yeux. “En plus, au final, faudra bel et bien te raser la tête. Pour être dans le personnage.” ajouta-t-il en battant des paupières innocemment. Tout la ramenait à ce détail. Hasard ? Il ne croyait pas. Et il devait bien avoir du popcorn quelque part dans ses placards histoire de reprendre où ils en étaient restés dans ce fameux désert bien des années plus tôt. Mais une Cora sans sa légendaire chevelure ne serait pas aussi vendeur dans le cas où il parviendrait à la soudoyer pour obtenir un petit spot de pub -ce sur quoi il ne comptait absolument pas, la proposition ayant pour unique but de la tacler gentiment sur son statut officiel d'actrice au chômage. Il existait bien des superstars qui acceptaient de tourner des publicités pour de l'eau minérale au Japon histoire d'arrondir les fins de mois. “Et au rabais avec une discount d’ami ?” poussa-t-il avec ce regard bien trop assuré du type persuadé qu'il est impossible de lui dire non. Pourtant, s'il était bien une personne capable de lui coller ces trois lettres à la figure, c'était Cora (et Heidi). Elle avait eu droit au pire et aux infructueux tentatives du meilleur du Brody, des vertes, des pas mûres, de toutes les couleurs. Et tant qu'il serait dans les parages, elle n'en aurait pas terminé. “Réfléchis bien. Être égérie de Brody & Associates, c’est une opportunité en or. Tu ne voudrais pas passer à côté de ça.” conclut-il à la façon d'un de ces businessman dont il avait participé à la signature de nouveaux contrats. Ben aimait les observer et les imiter. Leurs tics de langage, leur gestuelle, tout ce qui faisait d’eux un autre genre d'humains que le commun des mortels ne saisissait pas. Ils formaient, tous, une étude sociologique absolument fascinante. Débiter des âneries ayant la fâcheuse tendance à assécher la bouche, Cora tendit son verre pour enchaîner les boissons, réclamant également de quoi éponger l'alcool. Bien sûr, Ben n’y avait pas songé. À ses yeux, cocktails et cacahuètes faisaient amplement l'affaire. “Tu me connais.” fit-il, admettant que le plan de base n'allait pas plus loin que boire et changer les idées de son amie. Ce qui pouvait bien entendu être arrangé d'un simple appel à la pizzeria du coin -Benjamin était forcément partant, la question ne se posait pas. “Je sais pas si c'est dans mon intérêt de te nourrir.” Tourné vers Cora, le brun posa son bras sur le dossier du canapé, autour des épaules de la jeune femme, puis se pencha légèrement sur elle, le regard mutin. “Je pourrais plutôt continuer de te faire boire, comme ça tu me tombes à nouveau dans les bras, je prends quelques photos compromettantes pour les vendre à la presse (parce qu'il paraît que la côte a augmenté, vois-tu, c'est le moment ou jamais) et je deviens riche.” Ça c'était un sacré plan. Un sacré plan de douchebag. Il n’avait aucune intention d'en appliquer la moindre ligne, quoi qu'il ait déposé une astérisque à côté du premier point, annoté “on sait jamais”. Puisque la carrière de preux chevalier avait été de courte durée, Ben se recyclait en génie du mal. Cela ne pouvait pas être bien difficile. Après tout, il était avocat.
Bien que grotesque, les idées de Ben avaient le mérite de lui faire relativiser sa situation. Elle n’en était pas encore à ce point, si désespérée de choisir une option de vie totalement absurde bien que réaliste puisque largement inspirée des gros titres dans les journaux et elle doit admettre que de débouter chacune de ses propositions aussi vite que l’éclair a un côté rassurant, au moins parce que cela montre qu’elle garde encore un peu d’amour-propre. Evidemment, ce n’est pas ça qui va lui permettre de gagner sa vie maintenant qu’elle a raccroché le seul tablier qu’elle savait porter mais comme Ben l’a dit plus tôt : une chose à la fois. L’instant est à la rigolade et aux plans sur la comète. “En plus, au final, faudra bel et bien te raser la tête. Pour être dans le personnage.” Qu’il précise alors qu’elle leur offre la vision de leur deux personnes dans les baskets d’un dealer et son avocat sur fond de désert. Bien sûr qu’elle serait celle qui incarne Walter White, elle est la seule des deux à avoir un cerveau ce qui la rend tout désignée mais ce serait non sans laisser quelques détails au placard. Tout comme celui que Ben souligne et qui attise la curiosité de l’actrice. « Okay, faut que je pose la question parce que c’est trop de mention pour n’être qu’une coïncidence. T’as un truc pour les chauves, avoue ? » C’est probablement le gin qui lui donne un air aussi sérieux à poser cette question mais vu qu’il l’a déjà mutilé de plusieurs mèches et qu’il amène régulièrement le sujet sur le tapis, ça ne peut pas être pour rien. « Tu peux me le dire. D’apprendre que tu fais les services d’oncologie des hôpitaux pour pécho me choquerait pas. Je peux tout entendre venant de toi. » Qu’elle ajoute, observant qu’il plaide pour le silence pour se dénoncer. Elle lève les mains en l’air, signe qu’il n’y a pas de jugement tandis qu’il relance l’idée qu’elle puisse faire de la pub pour lui. “Et au rabais avec une discount d’ami ?” Son visage est impassible, quand bien même qu’il insiste. “Réfléchis bien. Être égérie de Brody & Associates, c’est une opportunité en or. Tu ne voudrais pas passer à côté de ça.” Et il l’a fait rire ce con avec ses insistances, son air d’homme d’affaire comme si elle était réellement en train de décliner l’offre de sa vie. Malheureusement, à moins d’être allemand et de porter la queue de cheval et les lunettes de soleil comme personne, il n’offre rien qu’elle ne pourrait refuser. « Je préfèrerais le trottoir. » Qu’elle ironise bien qu’en vérité, un véritable débat sur ce qui serait plus dégradant se pose malgré tout. « Puis, Heidi a déjà posé une option il y’a longtemps. Je ne peux pas être ton égérie et la sienne et comme le girl power est plus fort que tout. » Elle hausse les épaules, l’air de souligner que c’est bien dommage de résoudre cette question de cette façon. Et parce que cette joute verbale lui fait doucement réaliser qu’elle commence à perdre sa vison de ce qui est sérieux ou non, elle se dit qu’il serait peut-être temps d’éponger tout ce gin qu’elle a descendu comme du petit lait. Au moins parce qu’elle aimerait augmenter son autonomie d’énergie de plus de vingt minutes. “Tu me connais.” Justement, ce qui l’amène à espérer qu’il aura plus à lui proposer qu’une pasta box restée ouverte depuis trois jours dans son frigo. “Je sais pas si c'est dans mon intérêt de te nourrir.” Ou non. Maintenant, la question est quelle connerie va-t-il encore amené ? “Je pourrais plutôt continuer de te faire boire, comme ça tu me tombes à nouveau dans les bras, je prends quelques photos compromettantes pour les vendre à la presse (parce qu'il paraît que la côte a augmenté, vois-tu, c'est le moment ou jamais) et je deviens riche.” Elle s’arrête net avant d’imaginer la scène, le bruit que ça ferait et est-ce qu’au point où elle en est, ça changerait beaucoup de chose à sa vie ? Elle imagine que oui, au moins pour le peu d’amour propre qu’elle était ravie de savoir encore en sa possession il y’a quelques minutes. « Ce serait une possibilité. » Qu’elle répond, dubitative quant à la probabilité de réalisation, déjà parce qu’il vient de venir aux aveux et parce que bon, elle sait qu’il vaut mieux que ça, aujourd’hui. « Mais, t’aurais pu le faire il y’a des années où le slut shaming était vraiment big et tu ne l’as pas fait, donc je ne suis pas convaincue que tu en serais capable aujourd’hui. J’ai l’impression que t’essaie d’évoluer, ce serait bête de gâcher ça. » Oui, parce que chose curieuse, il n’a fait qu’une référence à ses boobs depuis son arrivée et c’est dix fois moins que d’habitude, ce qui amène Cora a pensé que Ben a pris un peu de plomb dans la cervelle. C’est une impression, mais elle lui fait assez confiance pour être corrigée dans les minutes suivantes si elle se trompe. « Puis, t’aurais masse d’asso féministe au cul parce que je saurais très bien faire en sorte d’attirer leur attention en pleurant sur commande. » Qu’elle poursuit, pointant autre chose comme moyen de défense que sa prétendue maturité nouvelle mais plutôt le fait que les féministe c’est chiant et pas baisable (selon des propos rapportés) et que c’est sacrément tenace quand c’en est après toi. « Et là, c’est le moment où je sors une phrase cliché sur le pauvre exemple que tu donnerais à ton gamin en exploitant la détresse féminine mais je suis pas assez fine connaisseuse de ta fibre paternel pour me le permettre donc, on commande ? Je t’invite si tu veux. »
S’il avait mille et une tactiques de dragues toutes plus nulles et/ou farfelues les unes que les autres, atteignant des seuils de mesquinerie à la morale discutable sur bien des points, Benjamin n’avait pas développé de passion folle, de pulsion irraisonnée, pour les crânes luisants au soleil comme des coquilles d’oeufs fraîchement pondus. Y songeant, il grimaça même, et il se demanda si Cora était réellement sérieuse lorsqu’elle admettait que rien ne l’étonnerait de sa part, même pas cela ; si elle l’imaginait vraiment faire du bringue à une nana sans sourcils ni poil sur le caillou, dalleux à ce point. Le brun était un homme qui savait donner de sa personne d’une manière particulièrement littérale, mais il ne faisait pas la charité non plus et ce don de soi avait des limites dont l’une d’elle venait donc d’être officialisée. Non, il ne faisait pas dans les futurs cadavres, il pouvait trouver mieux avec un effort moindre. Et honnêtement, il ne voulait plus de ces images de visages émaciés aux têtes couvertes de foulards dans son esprit, pas même si cela pouvait amuser Cora et donc lui changer les idées comme tel était le but de la manœuvre en l’invitant ici. Il pouvait être lourd et parfois désespérant, mais il n’oubliait pas ce but principal et il estimait s’en sortir plutôt bien, aussi bizarre cela puisse être tandis qu’il encourageait presque la rouquine à vendre son corps, quitte à refuser d’être face à la caméra pour lui. « Ca aussi ça peut s’arranger. » fit-il, mais il n’était pas un pimp, et il était prêt à parier qu’il serait même particulièrement mauvais dans ce genre de business. Et puis le manteau de fourrure, en été, à Brisbane, ce n’était pas fait pour son sang irlandais. La priorité du clap de fin de carrière de Cora allant à Heidi sous couvert d’un girl power qui lui fit rouler des yeux au ciel, Ben haussa les épaules et se rabattit sur sa dernière carte ; « Donne moi au moins une de ces poupées creepy, je ferais le doublage moi-même. Ou Deb le fera. » Néanmoins, il y avait de quoi douter de la qualité des clients qu’une publicité de ce genre rapporterait à son cabinet fraîchement ouvert. Le brun était prêt à commencer petit pour finir haut, mais il craignait d’être celui à qui l’on enverrait des devis pour exorciser ses locaux et cette fichue poupée. Quoi qu’il en soit, un non était un non, et Benjamin s’y résigna. Une bonne partie de son esprit de contrariété s’amusa à refuser de faire ou commander à manger pour Cora et lui. Il aimait tout simplement pouvoir dire non à cette moue de duchesse, et surtout, il avait plus d’une boutade douteuse dans son sac dans la catégorie vieux pervers au stock de bonbons. Mais il n’était pas mauvais, et par dessus tout, Ben était loyal, et cela rendait tous ses plans d’argent facile bien peu crédibles. « Je suis pas si Darwiniste que ça. Et puis, le slut shaming ne meurt jamais. » renchérit-il, pas peu fier, néanmoins, d’avoir entendu la jeune femme admettre qu’il y avait peut-être du mieux émergeant chez lui depuis qu’ils avaient eu cette aventure d’étudiants. Elle dégaina la carte des féministes, et Dieu savait que l’irlandais en gardait un mauvais souvenir. Il grimaça à nouveau, accordant ce point-là à Cora et se gardant de dire que si elle se montrait aussi crédible en vrai qu’à la télé, elle ne ferait pas tant de bruit. Puis il songea qu’il suffisait de se dire féministe pour perdre toute crédibilité par définition, au final. Au final, ce ne fut pas tant pour la mention d’Adam que Ben céda, mais bien lorsque l’honneur du Brody fut remis en question. « Je sais qu’on fait mieux comme gentleman, mais ne m’insulte pas quand même. Je m’en occupe. » Il attrapa son téléphone et retrouva sans mal l’application de livraison à domicile dont il abusait au point d’en avoir laissé l’icône sur l’écran d’accueil pour un accès direct. La pizzeria était bien entendu dans ses favoris. « Quatre fromages, pour faire un doigt au régime jusqu’au bout ? » suggéra-t-il, mais à la fin, il se contenta de commander ce que lui dicta la jeune femme. En quelques tapotements, il devint un heureux client dont l’estomac devrait attendre entre trente et quarante minutes avant de pouvoir humer le doux parfum du fromage fondu. « Et pour le dessert, j’ai ma petite idée... » ajouta-t-il, rictus mutin animant ses lèvres, le regard posé sur Cora du coin de l’oeil, toujours magnétiquement attiré par son décolleté malgré lui. Il remarqua l’air sur son visage, mélange d’effarement, de dégoût et de lassitude totale. Parce qu’il était Ben, et que ces mots dans sa bouche n’avaient qu’un sens possible -cependant, malgré une quinzaine d’années sur Terre à fournir au monde entier toutes les meilleures raisons du monde de partir de ce postulat à son sujet, il se permit de faire mine d’en être scandalisé ; « Quoi ? Il y a vraiment un gâteau au chocolat dans la cuisine. Sérieux, Cora. » Et il ne mentait même pas pour le principe de donner tort. « Il est entamé et c’est Adam qui l’a fait, précisa-t-il car lui n’avait jamais allumé le four de la cuisine depuis qu’ils avaient emménagé dans cet appartement. Mais il est super bon. Je serais pas étonné que ce soit une recette vegan de mes fesses, vu le temps qu’il passe avec Ginny. De toute manière, c’est pas Loan que je laisserais seule dans une cuisine. » Néanmoins, pour les journées qu’il avait passées avec elle, Adam ne s’en était pas plaint non plus. Le bonhomme n’était pas vraiment du genre à se plaindre de toute manière, ce qui laissait penser que père et mère risquaient bien de se prendre le rattrapage de toutes ces années de self contrôle droit dans la face dès que le début de l’adolescence pointerait le bout de son nez. « Mais... » Et là, le bras glissé le long du dossier du canapé sentait à des kilomètres à la ronde le guet-apens, ni sérieux, ni sans idée derrière la tête. « Si tu insistes, on peut opter pour l’autre dessert que tu avais en tête. » Parce que c'était son idée, forcément. Lui n'avait rien dit, rien fait. Yet.
Disons qu’aujourd’hui, elle est arrivée à un stade où plus rien ne pourrait la surprendre en ce qui concerne Benjamin et ses perversions. Elle sait qu’en plaisantant, elle y va un peu loin mais la vérité est qu’elle ne rigole pas tant que ça quand elle lui demande s’il court les services d’oncologie parce qu’elle l’en juge véritablement capable. Après tout ce qu’elle a vu et entendu venant de lui, elle peut le placer dans n’importe quelle situation qui pourrait prêter au scandale. Seulement, l’ironie de sa pensée c’est que c’est son visage à elle qui fait la une des magazines people pour ses frasques adolescentes alors que lui n’a pas à être inquiété. La rançon du succès en somme. « Donne-moi au moins une de ces poupées creepy, je ferais le doublage moi-même. Ou Deb le fera. » Qu’il argumente alors qu’elle vient de trancher qu’elle ne fera jamais de pub pour son cabinet et que si elle doit rendre service à un ami, elle préfère poursuivre ce qu’elle fait chez Heidi où son place est plus logique. « Tu crois sérieusement que j’ai une poupée à mon effigie chez moi ? Tout l’monde n’est pas aussi égocentrique toi tu sais ? » Qu’elle fait remarquer parce que du moment où sa mère a signé le contrat visant à la fabrication de ces choses-là, il restait hors de question d’en faire l’acquisition. Dieu merci, pour tous les propriétaires qui ont jeté la boite (et comme maintenant, c’est un jouet de collection, elle espère qu’il y’en a peu) la poupée ne ressemble désormais qu’à un vieux jouet avec de longs cheveux roux. « Quoique, Noah en a une. Ginny la lui déniché. » Elle vient de s’en souvenir et en y pensant, elle a un frisson. Elle ignore toujours ce qui est passé par la tête de son amie quand elle a acheté cette chose pour son fils mais aussi jeune et inconscient qu’il soit, ça lui avait fait plaisir. « Ne me demande pas ce qui lui ait passé par la tête, je mets juste de côté pour payer les thérapies du gamin quand il sera plus grand. » Qu’elle coupe, avant que Benjamin ne lui demande s’il faut appeler les services sociaux pour maltraitance psychologique. Pour sûr que cette information n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd et à vrai dire, elle se met le doute toute seule à savoir s’il arriverait à persuader le gamin de lui prêter la dite poupée pour réaliser ses desseins. Seulement, avec Ben, elle aura beau imaginer tous les plans possible de ce dont il est capable et il aura beau insister sur son level d’idiotie, elle sait qu’il ne fera jamais rien pour lui nuire intentionnellement. Leur vieille amourette mise de côté. « Je suis pas si Darwiniste que ça. Et puis, le slut shaming ne meurt jamais. » Elle aimerait clamer l’inverse mais en y réfléchissant deux secondes, malgré une légère amélioration due à une libération des mœurs, elle doit bien avouer qu’il ne faut toujours pas grand-chose pour que le mot en s qualifie une femme. A cela, elle trouve simplement la réponse à sa question dans le fait qu’il a étrangement évolué et qu’aujourd’hui, il se doit d’être un modèle pour quelqu’un. « Je sais qu’on fait mieux comme gentleman, mais ne m’insulte pas quand même. Je m’en occupe. » L’expression de son visage souligne avec blasitude cette chevalerie qu’elle n’attendait et qu’elle juge ridicule, il offre le liquide, elle peut offrir le solide et puis, si elle est vouée à finir à la rue, il a intérêt à profiter de ce genre d’invitation tant qu’elle peut encore se le permettre. « Quatre fromages, pour faire un doigt au régime jusqu’au bout ? » Bah, maintenant qu’elle n’a plus à appréhender Vitto qui lui crierait que la caméra lui donne cinq kilo de plus et qu’elle doit y aller molo sur les chips, autant y aller à fond. Ce soir, c’est le soir de la libération. « Tu veux mourir ? » Parce qu’elle se rappelle vaguement de ce qu’elle obtient quand elle additionne Ben et le lactose, c’est pas joli, c’est pas glamour et elle est presque certaine que même face à elle, il évitera telle vision. « Et pour le dessert, j’ai ma petite idée... » Elle hausse un sourcil. Non pas parce qu’elle pense qu’il implique quoi que ce soit de sexuel dans son programme mais parce qu’il a tout de même une façon propre de la regarder qui peut la décontenancer quand elle assemble parole et gestuel. Il le remarque et avant qu’elle ne pose directement la question, il s’empresse de reprendre comme si tout ça était voulu. « Quoi ? Il y a vraiment un gâteau au chocolat dans la cuisine. Sérieux, Cora. » Elle esquisse un sourire, comme si c’était elle la plus perverse des deux. Elle n’a pas encore assez bu pour l’idée l’effleure alors sa réalisation. « Il est entamé et c’est Adam qui l’a fait mais il est super bon. Je serais pas étonné que ce soit une recette vegan de mes fesses, vu le temps qu’il passe avec Ginny. De toute manière, c’est pas Loan que je laisserais seule dans une cuisine. » Loin d’elle l’idée de sorte n’importe quelle remarque possible sur Loan. Elle ne connait cette femme que de nom et ce serait gênant et extrêmement inconvenant de sa part de remettre en cause le potentiel maternel de quelqu’un quand il s’écrit à ce moment précis plusieurs commentaires concernant l’abandon/l’adoption de son propre enfant. « Dis-toi que maintenant, grâce aux cours de Ginny vous ne mourrez pas de faim. » Enfin, elle pense surtout à Adam, mais là encore : manque de légitimité. « Mais... » Qu’il reprend, en s’approchant d’elle d’une façon qu’elle suspecte faire partie de sa blague. « Si tu insistes, on peut opter pour l’autre dessert que tu avais en tête. » Et bien que quelque part, le vague souvenir de son dernier rapport sexuel qui remonte à des mois lui revient en mémoire, probablement poussé par là par le gin, sa fierté et sa raison parviennent à s’allier pour l’amener à ne pas encourager ce jeu. « Ben, je suis genre jusqu’au cou dans la merde en ce moment. » Avec le scandale, sa mère, son agent, toute sa vie qui est foutu en l’air, bref elle lui épargne l’énumération. « Je pense qu’on ne va donc pas opter pour le dessert que j’ai eu en tête deux secondes et qui serait très indigeste. Le gâteau au chocolat d’Adam me convient. » Qu’elle affirme à haute voix, ne nommant pas la chose qu’elle jugerait gênante à admettre et c’est en parlant de ce gâteau qu’elle réalise à quel point elle entend beaucoup parler d’Adam en ce moment, par Noah qui n’a de cesse de lui raconter combien il est génial de ne plus être à l’hôpital et de pouvoir recevoir son copain. « Mais, Adam passe beaucoup de temps chez Ginny dernièrement, non ? »
L’app de livraison à domicile était en haut de sa liste de favorites, juste à côté de ses mails et de Tinder, ce qui résumait parfaitement ses priorités : travailler, avoir l’estomac plein, et le lit chaud. Le choix d’enseignes proposant était conséquent, à Brisbane, mais Benjamin avait sa sélection personnelle dont il se détournait rarement. Non pas qu’il n'appréciait pas un peu de changement, à l’occasion, mais découvrir une nouvelle carte et faire en sorte que le livreur de se perde pas sur le chemin de l’appartement à chaque fois demandait une dose de temps à perdre qu’il n’avait pas ce soir. Il fit donc appel à la pizzeria habituelle, celle qui savait où se trouvait le bâtiment A2 dans la résidence et ne s’offusquait plus lorsqu’il demandait sa commande sans fromage pour les fois où il ne tenait pas à maltraiter son estomac. Toutes ses allergies et autres intolérances alimentaires étaient une plaie pour lui qui était perpétuellement atteint de flemmite aiguë dès qu’il s’agissait de manier couteaux et poêles dans la cuisine. Le seul objectif étant de ne pas terminer à l’hôpital, le jeune homme ne prêtait vraiment plus attention au reste et gardait un stock conséquent de médocs en tous genres dans un placard de la salle de bains. Alors, entre Reine, Orientale et Quatre Fromages, le choix ne revenait qu’à Cora. Il soupçonnait son pseudo intérêt pour sa santé uniquement motivé par la crainte que la soirée se termine en concours de pets odorants. « Ecoute, ils font pas goût antidiarrhéique. » répondit-il, et puisque la rouquine ne serait pas d’une plus grande aide, il prit les devants et finalisa la commande rapidement. En skippant les desserts proposés comme les brownies micro-ondés, les énormes pots de glace et les pâtisseries surgelées douteuses, la noisette constamment active du cerveau de Ben régissant l’assimilation de chaque détail du quotidien à tout ce qui se passait sous la ceinture ne perdit bien évidemment pas le nord. Il était habituel que les sous-entendus coulent à flot, avec ou sans alcool (ce qui lui fit penser à vérifier le niveau de leurs verres et faire le plein au besoin), et entre son amitié teintée d’amour vache avec Cora ainsi que son égo d’éternel Dom Juan, l’irlandais ne pouvait pas manquer l’occasion de glisser des avances. Il ne plaisait jamais tout à fait, tout en étant rarement complètement sérieux. Cependant, réaliste, il avait conscience de ses chances d’essuyer un refus, voire de se faire ignorer, et il s’en amusait tout autant. Au final, il en faisait presque un runing gag, le coup de l’ex un peu lourd. Lui et Cora se connaissent depuis assez longtemps et avaient assez de recul sur leur pseudo-ancienne relation pour ça. Pour en revenir sur le dessert plus littéralement, il suggéra un gâteau confectionné par Adam. Avoir Ginny dans sa vie lui appris deux trois choses, comme le fait qu’il n’était pas si imbattable que ça à Street Fighter, que le rouge n’était jamais rouge mais pourpre, bordeaux, fushia ou cramoisi, et qu’en tant que parents, lui et Loan avaient encore bien du chemin à faire. « Ouais bah c’était plus fun de dîner des céréales que de la salade de quinoa. » fit-il mine de se plaindre, mais en réalité, la McGrath avait apporté plus de positif que de négatif à leur quotidien. Cora ne manqua pas de noter que les moments passés ensemble se faisaient de plus en plus fréquents, notamment par l’intermédiaire de nos deux mini-bipèdes. Benjamin répondit, l’air de rien ; « Ouais, ils sont bons potes. Enfin, Adam et Noah. Quoi que, Adam et Ginny aussi, en fait. » Il ne se doutait sûrement pas que d’ici quelques mois il se retrouverait pieds nus dans une ruelle sombre d’un coin pas fréquentable du quartier, un t-shirt de diner trois fois trop grand sur le dos, de la sauce burger sur la joue, et le coeur en vrac à cause de celle qui n’était jusqu’à présent qu’une de ces proies inatteignables que l’on chasse pour le simple plaisir de courir après un prix trop bien pour soi.
Elle prend un temps de silence avant de poser la question. Tout simplement, parce qu’elle réalise que son entourage a vécu pendant ses absences et qu’il se peut que quelques trucs aient changé entre temps. Comme par exemple, le fait que Noah lui parle de plus en plus de son copain Adam et qu’étrangement, Ben se soit risqué à parler d’une femme sans y ajouter d’adjectif qu’elle jugerait déplacé. Cela dit, dans la mesure où il parle de sa meilleure amie, ça a un côté bien plus rassurant qu’il ne l’ait pas fait. Toutes ces pensées l’amènent à faire la réflexion que ce petit monde se voit pas mal et sans le dire, mais en le sous entendant, elle ne s’y attendait pas. Ben avait toujours usé de la présence d’Heidi pour tout ce que seule une femme pouvait faire dans son appartement (enfin, tout ce qu’une femme non considérée comme un bout de viande) et elle ne pouvait que s’étonner qu’il fasse ami-ami avec celle que la styliste ne pouvait pas voir en peinture il y’a quelques mois. Décidément, Cora a vraiment manqué de vigilance. « Ouais bah c’était plus fun de dîner des céréales que de la salade de quinoa. » Qu’il justifie, la faisant sourciller une fois de plus parce que, pour n’être elle-même capable que de cuisiner des bols de céréales (et encore, elle a toujours pas acquis la technique où elle n’en met pas partout) jamais Ginny n’a agi en adulte en lui soulignant que le repas n’était pas approprié (bon, dans la mesure où il reste 100% végétal, on s’entend) « Depuis quand Ginny choisit le quinoa aux céréales ? » demande Cora, vachement surprise et un peu curieuse sur ce que Ben semble faire passer par un bon échange de procédé, comme si sa meilleure amie était là dans le but dele pousser à être un meilleur parent. « Tu t’fais avoir, elle est pas si adulte que ça. » ajoute Cora, qui prend plus la situation à la rigolade, bien que dans les fait même si elle ne joue pas à l’adulte, elle reste mâture ce qui n’est absolument pas le cas de l’avocat à ses côtés. « Ouais, ils sont bons potes. Enfin, Adam et Noah. Quoi que, Adam et Ginny aussi, en fait. » Qu’il poursuit, l’amenant à lui demander. « Et pas toi avec Noah ? » Ce qui peut être possible. Mais, ce qu’elle n’admettrait pas parce que personne n’est autorisé à ne pas s’entendre avec son filleule. C’est biaisé. Pas du partiale, mais elle s’en moque dans les faits. Elle finit par boire ce qu’il restait de Gin dans son verre avant de se laisser tomber, de façon à bien être étalée dans le canapé de Ben, qui en devient par ailleurs subitement confortable. Merci l’alcool. « Enfin, c’est que tu la vois. Ginny a toujours une influence positive chez les autres. Encore un peu et quand je viendrais te rendre visite, je trouverais même des fruits dans cette coupe qui te sert de fourre-tout. » Elle pointe du doigts le dit objet sur la table basse qui renferme tout un tas de babiole, le pot des gens désorganisés.
Ginny et lui, c'était une question encore ouverte, une question qu'il ne tranchait pas. Elle était là, ambiante et agréable, et si Benjamin avait parfois bien du mal à détourner les yeux d'elle, les œillères sentimentales étaient bien en place. Il ne prenait pas beaucoup d'espace dans la vie de la jeune femme, il savait sa place. Du moins le pensait-il, autant qu'il niait à demi-mot la place qu'elle avait su se faire dans la sienne. La minimiser était plus facile que de disserter sur les deux ou trois baisers volés qui ne faisaient pas encore sens. Cora le tuerait, de toute manière, s'il tentait de définir ce lien au delà de “la nana qui me fait manger des légumes”. « Depuis quand Ginny choisit le quinoa aux céréales ? » s'étonna-t-elle à raison, parce que les grands élans maternels de Ginny ne valaient absolument pas ceux d'Heidi qui avait embrassé ce rôle corps et âme depuis l'arrivée d'Adam dans son existence bien rangée d'irresponsable invétéré. “Depuis qu'il faut donner l'exemple aux gosses de temps en temps, j'pense.” répondit l'avocat sans grande conviction, haussant les épaules. Un enfant ne se nourrissait pas que de raviolis, et même que si on ne lui ouvrait pas la boîte, ça ne se nourrissait pas tout court. Pas pratique. « Tu t’fais avoir, elle est pas si adulte que ça. » Et Ben songea au premier date, le fromage collé entre les molaires de Ginny, le gras tâchant sa robe. Eux qui s'incrustaient sur un selfie de groupe dès qu'ils en voyaient un, eux qui jouaient aux espions à l'hôpital pour passer le temps et évacuer la peine. “Je l'ai vue à Disneyland, je sais très bien à quoi m'en tenir.” fit-il avec un petit rire nostalgique, revoyant ses yeux briller devant une barbe à papa plus grande que sa tête, le tirant par le bras pour se jeter sur le Space Mountain, et les batailles d'eau dans la piscine de l'hôtel. Si les premiers contacts entre Adam et Noah avaient engendré une forme de jalousie et de compétition -l'un craignant sûrement de se faire voler la vedette auprès de son parent respectif- ce voyage avait fini par les rapprocher. Depuis que Noah était tiré d'affaire, ils passaient une bonne partie de leur temps ensemble. Ils étaient les adultes, dans l'affaire. « Et pas toi avec Noah ? » demanda Cora, comme s'il y avait anguille sous roche. “Si, bien sûr. C'est un sacré bonhomme.” Mais il était la raison qui mettait régulièrement de la distance entre Ginny et l'irlandais. Parce qu'il était malade, parce qu'il ne l'était plus, parce qu'ils devaient réapprendre à vivre, parce qu'il y avait du temps perdu à rattraper. Le travail avait bon dos quand Ben ne voulait tout simplement pas admettre que leurs péripéties le faisaient sentir petit ou de trop. Parfois, c'était bel et bien le travail. « Enfin, c’est que tu la vois. Ginny a toujours une influence positive chez les autres, reprit la rouquine. Encore un peu et quand je viendrais te rendre visite, je trouverais même des fruits dans cette coupe qui te sert de fourre-tout. » Un instant, Benjamin se demanda à quoi elle faisait référence : est-ce que cette coupe n'était pas justement faite pour être un fourre-tout, à la base ? Est-ce qu'il fallait vraiment mettre des fruits ? Non parce que, les papiers de bonbons, les vieux tickets de carte bleue, les clés de la boîte aux lettres, tout ça irait où sinon ? Et puis, exposer des fruits ne sert à rien à part se féliciter soi-même d'en voir dans le salon, mais qui les mange réellement ? Il n'en était visiblement pas là. “J'en serais pas si sûr si j'étais toi, répondit-il. Heidi a fait de son mieux, voilà le résultat. Je suis un produit fini, désolé de te le dire.” Avec tous ses petits défauts de fabrication qui, estimait-il, faisaient son charme. Et sans se faire prier, il prit soin de remplir le verre de Cora tandis que les pizzas s'approchaient un peu plus d'eux à chaque minute qui passait.