Dans les rues de Brisbane, y'avait un vieux cinglé
Rosa, Ambroise & Kyte
- Dans les prisons de Nantes-euh, landidudidudandidudidandidudidudan dans les prisons de Nantes-euh ; y'avait un prisonnier, y'avait un prisonnier ! Personne ne le vint l’vouère, landidudidudandidudidandidudidudan personne ne le vint l’vouère ; que la fille du geôlier, la fille du geôlier !
La maladie, quelle connerie. C’est déjà pas franchement agréable quand on est dans son pieu avec la bergère à côté pour distraire les pensées de sa voix douce et ses petits soins ; alors dans la rue, quand on a pas d’chez soi, c’est tout de même crissement la marde.
- Un jour il lui demaande, landidudidudandidudidandidudidudan un jour il lui demaande : oui que dit-on de moué, que dit-on de moué ? On dit de vous en ville-euh, landidudidudandidudidandidudidudan on dit de vous en ville que vous serez pendu, vous serez pendu-u !
Ses pensées tourbillonnent autant que ses pas, et dans son cœur y’a plus qu’des chansons idiotes pour lui donner du courage. De ces comptines qu’on vous a tellement chantées quand vous êtes mômes que même à l’âge adulte, elles trouvent toujours un moyen de refaire surface. Kyte, ça le dérange pas. Ça lui tient compagnie dans ses longues nuits solitaires. Ça lui réchauffe le cœur quand il grelotte sous une tente, dans un carton, ou contre les murs glacials d’une prison. Ça lui donne un ancrage quand il erre comme une âme en peine. Ville après ville. Pays après pays. Sans famille, sans amis, sans patrie.
- MAIS S’IL FAUT QU’ON ME PENDE-EUH, LANDIDUDIDU DANDIDUDIDANDIDUDIDUDAN ! MAIS S’IL FAUT QU’ON ME PENDE-EUH DÉLIEZ MOI LES PIEDS, DÉLIEZ MOI LES PIEDS !
Il chante furieusement, pour chasser ses pensées moroses et la fièvre et l’accablement qui pointent leurs nez mais qu’il refuse de voir gagner. Et comme la jeunette de la chanson, Kyte se dit qu’il est grand temps de se délier un peu les guibolles. Il fait quelques pas dans la rue, erre en fredonnant le conte d’une glorieuse échappée à travers la Loire, joli fleuve de sa douce France. Tabernak ! c’est qu’il tangue encore plus qu’un marin bourré, et son escapade nocturne n’est pas aussi noble que celle du prisonnier de la chanson. Voilà qu’un traître trottoir apparaît sous ses pieds ! Alors bien sûr, ses jambes elles s’emmêlent, butent contre l’asphalte, et alors son grand corps affaiblit s’échoue sur le sol humide.
- Aaaaah.
Il grogne de mécontentement. Ses tempes le cognent et son menton le pique. Surement qu’il s’est cogné là-dessus dans la bagarre et c’est pas rien, de se prendre un direct en bitume. Mais Kyte, il a connu pire alors il essaie de se relever. Seulement ses vieux membre protestent qu’ils n’ont plus vingt ans, et que les courbatures et les hématomes et les frissons demandent de s’attarder un peu dans un coin. L’âme aussi lourde que son cœur, le guerrier s’avoue vaincu. Ouai ’fin j’ai perdu une bataille mais j’ai pas perdu la guerre ! Il rampe contre quelques marches d’escalier et vole un carton à la poubelle pour s’y blottir et calmer ses tremblements. Il sait pas trop s’il a chaud ou s’il a froid. Il sait juste qu’il se sent comme une vieille chaussette qu’aurait été mâchée par un clébard et recrachée sous les roues d’un camion. Un p’tit somme, y’a qu’ça vrai pour me r’quinquer ! il s’encourage en frictionnant ses membres alourdis.
- Dès qu'il fût sur les rives-euh… landidudidudan… didudi… dandidudidudan ; dès qu'il fût sur les rives-euh… il se mit à chanter… Il se mit à chanter … Je chante… pour les belles landidudidudan… didudi… dandidudidudan… Je chante. Pour les belles. SURTOUT… celle du geôlier. Ah ça oui. Surtout celle du geôlier…
Son chant n’est plus qu’un souffle, et ses yeux se ferment. Mais sa voix enrouée par la maladie parvient encore à articuler quelques rimes, à fredonner quelques vers. Et ça, il se dit dans son délire, ça c’est pas rien. C’est pas rien. D’ailleurs, c’est presque comme une victoire. Et alors que sa cohérence se noie définitivement dans les limbes de sa fièvre, un sourire craquelé vient froisser son visage. C'est qu'entre ses paupières, il perçoit un mouvement. Une peau pâle, des vagues de cheveux chatoyants qui semblent si doux et qui sentent les fleurs et les fruits. Alors il en est certain, c’est forcément la fille du geôlier venue l'arracher à son triste sort, sinon comment expliquer une telle apparition de grâce ? Il tend la main pour la toucher mais ses doigts n’effleurent que du vide, ou peut-être une mèche. Qu’importe, ça ne l’empêche pas de lui déclarer sa flamme avec une passion aussi brûlante que sa température :
- Si je reviens à Nantes-euh, landidudidudandidudidandidudidudan si je reviens à Nantes-euh ; oui je t’épouserai, oui je t’épouserai !
AVENGEDINCHAINS & WHITEFALLS
Petite précision:
Kyte est québécois, le français est donc sa langue maternelle. Dans le texte, ici, il chante en français et pas en anglais j'espère que vos personnages comprennent notre langue
Dernière édition par Kyte Savard le Mer 21 Fév 2018 - 20:42, édité 2 fois
Rosa marchait en direction de son travail, cela allait faire bientôt une semaine qu’elle avait commencé, pourtant, elle n’avait pas encore rencontré ses collègues de travail, en congé ou quelque chose comme ça, elle n’avait pas trop compris. À vrai dire, elle cherchait pas non plus à en savoir plus, trop obnubilée par la prise de nouvelles marques dans cet hôpital qu'elle ne connaissait pas ainsi que par le plaisir simple de travailler à nouveau.
Au détour d’une rue, elle entendit une étrange chanson qui attira son attention. Une litanie aux influences paillardes soulignées par un fort accent Québécois teinté d’alcool. Elle aurait pu continuer tout droit, mais la curiosité piquée à vif, elle bifurqua dans la ruelle, suivant la chanson dont elle commençait à discerner les paroles :
- MAIS S’IL FAUT QU’ON ME PENDE-EUH, LANDIDUDIDU DANDIDUDIDANDIDUDIDUDAN ! MAIS S’IL FAUT QU’ON ME PENDE-EUH DÉLIEZ MOI LES PIEDS, DÉLIEZ MOI LES PIEDS !
Rosa, encore loin, commençait alors à apercevoir le fameux baryton : l’homme titubait, visiblement alcoolisé. Donnerswetter ! , alors que Rosa marchait encore tranquillement, elle entendit un cri : la figure déjà chancelante de l'homme avait glissé et s’était ramassé tête la première sur le trottoir dans un cri sonore. Potentielle commotion cérébrale, note mentalement la légiste alors qu'elle pressait son pas. Malgré le bruit des bottes de la jeune femme s'écrasant contre le bitume ainsi que le tintement conséquent des nombreuses clefs dans la poche de sa veste, l'homme ne semblait pas avoir remarqué la présence de la jeune rouquine ; il se traînait au sol, rampant tant bien que mal vers des escaliers : incapable de se relever. Manque de coordination et manque d’équilibre, note mentalement la légiste. Courant désormais de tout son souffle pour arriver au plus vite au bout de la ruelle, Rosie trouva l’homme en plein délire, abrité contre un carton – couverture de fortune, frottant ses membres engourdis dans un état semi conscient, continuant sa ritournelle.
- Dès qu'il fût sur les rives-euh… landidudidudan… didudi… dandidudidudan ; dès qu'il fût sur les rives-euh… il se mit à chanter… Il se mit à chanter … Je chante… pour les belles landidudidudan… didudi… dandidudidudan… Je chante. Pour les belles. SURTOUT… celle du geôlier. Ah ça oui. Surtout celle du geôlier…
Son chant, auparavant fort et plein d’une ivresse notable certes mais pleine de vie, n'avait rien a voir avec ce dernier couplet. Les mots, soufflés entre ses lèvres, étaient désormais quasiment inaudibles, et ses yeux se refermaient peu à peu. Empâtement de la parole, somnolence, note la légiste. Elle s’approche de l’homme qu’elle peut enfin mieux discerner : cinquantaine révolue, caucasien, les cheveux bruns en bataille, et bien évidemment une forte odeur d’alcool. Etrange... Il affiche pourtant, sur son visage usé, un sourire.remarque Rosa.
Alors qu’elle approche sa main de sa gorge pour prendre son pouls, l’homme lève sa main pour la toucher, elle ne repousse pas, sa main n’effleurant ses cheveux que pendant quelques instants avant de retomber, inerte. Alors, avec le peu d’énergie qu’il lui reste, il murmure à Rosa la fin de sa ritournelle :
- Si je reviens à Nantes-euh, landidudidudandidudidandidudidudan si je reviens à Nantes-euh ; oui je t’épouserai, oui je t’épouserai ! Brève perte de connaissance, et délire, note la légiste.
Sans plus s’offusquer de cette demande en mariage, Rosie touche enfin pour la première fois la peau de cet homme qui lui semble étrangement familier. Bien sûr, elle ne le connaît pas, mais la veste en cuir, l’air gouailleur, les cicatrices de bagarre et l'odeur d'alcool, tout cela renvoie la rouquine à ses Anges Berlinois...
Pas le temps pour le sentimentalisme Rosie, pas le temps.
La main contre la carotide, l'oeil sur sa montre, Rosie compte : 80bpm, merde, hypertension, pourtant il est au bord du coma, Verdammt , pense la légiste.
- Monsieur, vous m’entendez ?, Pas de réponse. Elle met alors sa main dans la sienne.
- Monsieur, si vous m’entendez, serrez ma main. , elle sent alors une faible pression sur sa main.
- Vous pouvez ouvrir les yeux monsieur ?, elle sent alors deux pressions successives: c’est un non.
- Je vais vous ouvrir l’œil pour vous examiner monsieur, je suis médecin ne vous inquiétez pas. , enfin, ce ne sont pas les vivants mon domaine de prédilection, pensa Rosie
Elle entrouvre alors la paupière, et avec la lampe de son téléphone vérifie la dilatation de la pupille : elle réagit, c’est bon signe. Mais il faut faire vite, sans soins décents elle ne donnait pas cher de la peau de l'homme étendu devant elle. Tenter de déplacer l’homme seule serait trop dangereux. Merde. Appeler une ambulance ? Rosie ne connaissait pas encore assez la ville pour indiquer sa position, et cette putain de ruelle n'avait aucun nom. Scheiße. Scheiße.
Accroupie au près du corps, trop concentrée par sa réflexion, Rosie non plus n’entend pas les bruits d'un pas qui remonte la ruelle en grandes enjambées. Alors qu'une main se pose sur son épaule, elle se retourne dans un sursaut, découvrant un visage inconnu. Merci mon dieu, pense la rouquine, de l’aide.
Dans les rues de Brisbane, il y avait un vieux cinglé.
Kyte & Rosa & Ambroise
La journée est belle, le soleil haut et chaud... L’Australie dans toute sa splendeur. Ambroise a eu toutes les peines du monde à aller en cours et ne pas se ruer vers la plage pour surfer. Cela fait un moment qu’il n’est pas allé glisser sur l’eau et ça lui manque terriblement. Mais il ne pouvait pas se permettre de louper ce cours. En revanche il est heureux de se retrouver dehors dès la fin, et choisit de rentrer à pied jusqu’à l’appartement. De là il décidera ensuite s’il a le temps pour aller jusqu’à la plage et si des potes y sont déjà. En attendant, de l’autre côté de la rue, se déroule un spectacle qui attire son attention. Un homme chante assez fort pour être entendu depuis l’autre trottoir, avec un accent québécois à couper littéralement au couteau. Bonnie, après un coup d’œil, s’arrête totalement alors que la voix lui rappelle de vieux souvenirs. Qui datent d’au moins deux ans. Au début il n’y croit pas, et pense qu’il s’agit juste d’un clodo qui lui ressemble, de loin. Et puis le Kyte dont il se souvient avait aussi ce style, alors ça n’est peut-être qu’une projection de son esprit.
Pas de nouvelles depuis deux ans, et Ambroise ne l’a jamais cru mort pour autant. Quelques fois son regard s’est arrêté un peu trop longtemps sur un grand type brun et carré, au visage rude. Mais ça n’était jamais le bon. Il ne l’avouera pas – sa sœur l’a très bien compris de toute façon –, mais le canadien lui manque un peu. Il avait l’impression d’avoir une figure paternelle, enfin, un genre, parce que ça restait Kyte. Et ça il le gardera au fond de son inconscience. Mais reste cet homme qui l’a embarqué en camping un jour où, une fois de plus, il s’est pointé sans prévenir. C’est lui qui lui disaient des choses qu’un père dit à son fils. Nul doute qu’ils auraient pu s’essayer au rugby, au foot, au baseball, ou un autre sport du genre. Kyte l’aurait vanné sur ses muscles discrets, sur la finesse de ses doigts, comme toujours, mais Bonnie ne manquait pas de répondant et cela pouvait durer des heures lorsqu’une Sybille blasée n’intervenait pas. Et Ambroise, ça lui paraissait naturel tout ça.
Et ça lui manque. Aussi, lorsqu’il décide que ses yeux et ses oreilles se sont fait trompés, il cherche à traverser la rue. Il perd alors un instant de vue le bruyant personnage. Atteignant l’autre côté, son regard continu à chercher l’homme. Frustré de ne plus trouver signe de lui, il reprend sa marche en ronchonnant, avant que la voix ne revienne de nouveau. Il n’hésite plus alors sur la direction à prendre et accélère le pas lorsqu’il aperçoit un corps caché sous un carton. Une jeune femme s’accroupit à ses côtés à l’instant et, quelque moment plus tard, Ambroise est enfin près d’eux. Il marque un temps d’arrêt, stoppé à quelques pas derrière la rousse. Son regard s’est paralysé sur le visage de l’homme. De Kyte. Un souffle de soulagement lui échappe ; ce con est en vie, et c’est presque un miracle vu la vie qu’il mène.
Cependant il faudrait être aveugle pour ne pas voir à quel point il est mal. Sûrement malade, ce qui n’est pas si étonnant, mais on est en plein été... D’ici, Ambroise perçoit l’odeur de l’alcool, signe clair qu’un virus n’est pas la seule origine à cet état de semi-conscience. Il porte ensuite son attention sur la jeune femme qui, vu ses gestes, est sans aucun doute dans la santé. Médecin peut-être. Il s’approche de quelques pas de manière à pouvoir poser une main sur son épaule, et signifier ainsi sa présence, car aucun des deux individus ne l’avaient remarqué. « Hé, dans quel état est-il ? » demande le jeune homme en indiquant d’un geste de tête le pauvre homme allongé. Il s’accroupit alors à côté de la rousse, et pousse un lourd soupire. « Mais quel crétin... Il est impossible », marmonne-t-il pour lui-même. Puis il reporte son attention sur la jeune femme. « Vous êtes médecin ? » demande-t-il de but-en-blanc. Autant rentrer dans le vif du sujet. Puis il précise : « J’peux vous aider, et je connais ce type. »
Dans les rues de Brisbane, y'avait un vieux cinglé
Rosa, Ambroise & Kyte
Les yeux de Kyte se ferment, et il a un peu l’impression d’être emporté par un océan brûlant et gelé à la fois. Trimbalé par des vagues trop hautes et qui donnent vaguement la nausée. Y’a du tangage, y’a du roulis, y’a du vent y’a du vent la tempête-euh. Il chantonne mollement dans sa tête. Il aurait bien partagé sa comptine avec le reste du monde, mais les muscles de son visage ne semblent pas vraiment lui répondre, alors il se laisse engloutir dans cette eau visqueuse et sombre qui lui savate la gueule de l’intérieur. Puis une main douce et fraiche se pose sur son cou brûlant. Et alors la mer elle s’efface, peu à peu remplacée par le chant des oiseaux, les caresses du soleil, et puis la douceur de Lenore qui lui parle de sa jolie voix douce coupée à la machette par son accent norvégien dégueulasse. A croire que l’océan a fini par le ramener dans un de ces endroits du monde qu’il aime à appeler « chez lui ». Kyte sent un nouveau sourire lui friper la face, et il aimerait bien ouvrir les yeux pour la regarder, mais il a trop peur que le songe ne lui échappe encore une fois et que Lenore elle disparaisse encore au royaume des morts d’où elle s’est momentanément échappée. Alors il se contente de faire comme elle dit et il fait des petites pressions sur sa main, un peu au hasard, pour le plaisir de cette forme de communication rigolote qu’il n’a jamais tentée avant. Mais son joli rêve prend fin d’une façon assez brutale lorsque sa douce Lenore lui arrache la paupière pour l’éclabousser d’une horrible petite lumière trop vive et piquante.
- Aaaaaaaaah !
Il gueule faiblement en s’agitant comme un paresseux grincheux pour essayer de se dégager. Ses yeux courroucés s’ouvrent à demi et ses prunelles de glace se fixent sur la jeune femme. C’est pas du tout Lenore. Et elle a pas du tout un accent norvégien non plus d'ailleurs. Mais bon, Allemagne, Norvège, c’est kif-kif, n’est-ce pas ? En revanche, elle ressemble à s’y méprendre à la fille du geôlier de tout à l’heure. Mais y’a quand même un truc pas net dans c’t’histoire moi j’te le dis. Il rumine, mauvais. Parce que si c’est la fille du geôlier, pourquoi est-ce qu’elle le torture ainsi ? Et puis c’est pas logique, une « jeunette » ne peut pas être médecin. C’t’inconcevable.
- Toubibs, képis,… tous les mêmes. Il grommelle alors dans sa moustache trop longue. Ça s’prétend d’ton côté 'pis ça t’entube dès qu’tu tournes le dos ! Ah ! On m’la fait pas à moi !
Il fait claquer sa langue dans sa bouche pâteuse, fier de sa réflexion poussée et pertinente. C’est qu’il a de l’entraînement, à refaire le monde avec quelques piliers de bar sympathiques prêts à lui payer quelques coups pour étancher sa misère. D’ailleurs, il pourrait peut-être convaincre la fille du geôlier de le traîner dans un de ces endroits agréable, comme elle a l'air d'avoir l'âme charitable.
- Un bon grog, c’est tout c’qui m’faut !
Il lance l'air de rien. Mais voilà qu’un malotru le coupe dans son argumentation pour s’enquérir de son état. Kyte fronce les sourcils et si ses yeux d’aigle avaient plutôt été des serres, le nouveau venu ne serait plus qu’un tas de chaires sanguinolentes à l'heure qu'il est. C’est pas très vegan !, il se rappelle à l’ordre. Et puis ça l’amène à se demander si le cannibalisme volontaire ne pourrait pas faire une sorte d’exception à la règle. Voilà une réflexion plutôt intéressante, faudrait qu’il en parle avec Jaimie un de ces quatre. Pour la faire sortir de ses gonds et voir ses yeux verts lancer des éclairs. Il en rigolerait presque, mais l’impertinent de tout à l’heure en rajoute une couche et prétend désormais le connaître. Kyte ravale sa raillerie et pointe un doigt tremblotant et accusateur vers la silhouette longiligne qui le surplombe.
- Yada yada yada. Tout l’monde connais c’type. C’type c’est c'lui qui t’emmerde tous les matin à d’mander un peu d’quoi becter à la sortie du métro qui t'avale et t'recrache ailleurs. Celui qu’t’ignores toute l’année mais dont tu t’rappelles l’existence quand faut bien justifier qu’tu peux pas t’occuper des immigrés parce qu’y'a des pauvres types bien d’chez toi qui crèvent dans la rue. Ouai,... tout l’monde connait c’type là. C'lui qui t’fais comprendre que l’école c’est pas si pire pourvu qu’tu finisses pas comme lui. Mais j’vais t’dire un truc moi, mon p’tit gars !
Il lance, prêt au débat comme d'autres sont prêts au combat. Et puis son doigt retombe mollement le long de son corps et sa tête en arrière contre le mur un peu trop dur pour être accueillant.
- Ouai. J’vais t’dire un truc,... t'va vouère !
Sauf qu’il sait plus vraiment quoi. Et puis quelle importance après tout ? Les grandes tirades politiques, ça a jamais été sa came. C’est plutôt un truc qu’il utilise pour faire chier et jauger un peu les gens qu'il croise. Pour les mettre mal à l’aise et troller à cœur joie. Mais là, le cœur, il y est pas. Et son énergie s'enfuit par tous ses pores, alors il revient rapidement à sa première idée.
- J’vais t’dire un truc : ce type, y dirait pas non à un p’tit grog.
Après avoir poussé un cri d’insatisfaction au moment où Rosie vérifiait la réaction de sa pupille, le nouveau patient de Rosie semblait entre revenu un peu plus à lui.
« Toubibs, képis,… tous les mêmes. Ça s’prétend d’ton côté 'pis ça t’entube dès qu’tu tournes le dos ! Ah ! On m’la fait pas à moi ! »
En ce qui concernait les képis, Rosie était pour le moins d’accord. En revanche, en ce qui concernait les médecins, la légiste - sans doute peu objective- n’était pas d’accord, sans pour autant désapprouver son opinion totalement. Elle en avait croisé des solcher wichser, le genre de médecins pour qui les patients ne sont qu'une suite de pathologies a traiter et a renvoyer chez eux. Le genre de foutus raclure qui trouvent un plaisir malsain a maltraiter les internes et les infirmières sous prétexte qu'ils sont là pour ça. Des foutus raclures, si Rosie devait donner son avis.
« Un bon grog, c’est tout c’qui m’faut ! »
« Hé, dans quel état est-il ? », demanda l’inconnu qui avait posé sa main sur l’épaule de la jeune femme un peu plus tôt. « C’est difficile à dire vu l’état du bonhomme. Ça pourrait être grave, vu le choc, ou simplement une bonne grippe doublée d’un état d’ébriété avancé. », lui répondît la rouquine sans sourciller. « Vous êtes médecin ? », s'enquérit le nouvel inconnu. « Légiste. Vous le connaissez ? », enchaina Rosa. « J’peux vous aider, et je connais ce type.», rétorqua le jeune homme, le regard lourd.
« Yada yada yada. Tout l’monde connais c’type. C’type c’est c'lui qui t’emmerde tous les matin à d’mander un peu d’quoi becter à la sortie du métro qui t'avale et t'recrache ailleurs. Celui qu’t’ignores toute l’année mais dont tu t’rappelles l’existence quand faut bien justifier qu’tu peux pas t’occuper des immigrés parce qu’y'a des pauvres types bien d’chez toi qui crèvent dans la rue. Ouai,... tout l’monde connait c’type là. C'lui qui t’fais comprendre que l’école c’est pas si pire pourvu qu’tu finisses pas comme lui. Mais j’vais t’dire un truc moi, mon p’tit gars ! »
Décidément, quel bavard pour un mourant !, pensa Rosa. Elle n'avait pas même eu le temps de réprimer un soupir de soulagement qu'elle avait été interrompue par la tirade du biker et son doigt accusateur pointé vers le jeune homme. Au vu de tous ses événements pour le moins rocambolesque, la berlinoise se posait beaucoup de questions qui – elle le savait- resteraient pour l'instant sans réponse. Quelque chose lui disait que le type en semi-délire a ses pieds était bien plus qu'un simple clochard ivre. Et lui, cet homme gringalet au visage féminin connaissait ce type ? Rosie n'aurait pas parié là dessus si elle les avait vu cote à cote quelques heures plus tot. De plus, le ton dans la voix du jeune homme laissait percevoir qu'il s’agissait de bien plus qu'une simple connaissance : ces deux là avaient de toute évidence un passé en commun.
"Ouai. J’vais t’dire un truc,... t'va vouère !"
La voix de son patient la tira à nouveau de ses pensées : il était essentiel d'agir vite. Son patient, par la force des choses, semblait sombrer à nouveau dans une apathie caractéristique. Il avait du mettre toute son énergie dans sa tirade précédente, quel imbécile. Elle le regarda droit dans les yeux, alors qu'il articulai encore une dernière phrase, presque incompréhensible : "J’vais t’dire un truc : ce type, y dirait pas non à un p’tit grog. "
L'espace d'un instant, il la fixa intensément et Rosie plongea dans ses grands yeux bleus. Ses yeux avait du en voir des choses, le genre de trucs que Rosa ne pouvait même pas imaginer. Et juste l'espace d'une seconde, la tristesse que Rosie enfouissait tout au fond d'elle rencontra celle de cet inconnu qui lui semblait pourtant si familier, il lui sembla qu'elles résonnaient de concert, comme si quelque part ils s’étaient trouvé. Elle se pencha alors délicatement sur lui et déposa un baiser sur la joue de cet homme, poussée par le moment, sans trop chercher a savoir pourquoi. Comme si elle avait senti qu'il en avait besoin. Alors, lentement ses yeux se fermèrent sur son visage apaisé, rappelant à nouveau Rosie à la réalité.
Elle se tourna alors vers le jeune homme : « Il a un nom ? Tu en as un toi aussi ? Il faut absolument le bouger au chaud, il a besoin de soins. L’hôpital ne devrait pas être très loin, tu m’aides à le porter jusqu’aux urgences ? »
Dans les rues de Brisbane, y'avait un vieux cinglé
Rosa, Ambroise & Kyte
La fille du geôlier, elle reste bien silencieuse pendant sa longue tirade. Mais à la fin, elle laisse son regard parler, et Kyte, ça lui coupe le souffle déjà plus très régulier. Y’a comme de la compassion dans ses grand yeux pâles, et une douceur à laquelle il est pas habitué. Mais y’a aussi quelque chose de plus sombre, de plus pénétrant. Et c’est peut-être la fièvre ou bien encore la chanson qui lui trotte encore quelque part dans la tête, mais il se dit qu’ils sont si différents dans le fond. Et c’est plutôt cocasse parce que c’est pas le premier truc qui viendrait à l’esprit en les regardant. Lui, avec son allure de clébard des gouttières et sa face de vieux con. Elle, avec sa grâce un peu éthérée, sa peau pâle et ses longs cheveux de feu qui sentent bon. Le temps est toujours suspendu, et puis voilà que cette créature divine se penche pour lui poser un baiser sur la joue. Doux comme une caresse. Kyte, il cligne bêtement des yeux pour essayer de comprendre ce qui lui arrive, et puis un sourire satisfait étire ses lèvres craquelées tandis que ses paupières se ferment à nouveau. C’est comme si elle venait de l’envoyer faire un tour au pays des fées. Et il serait pas contre le fait de s’y laisser entraîner. D’ailleurs, il sent son corps se détendre et ses vieux os ne le tirent plutôt autant. Il entend vaguement la jolie voix de la fille du geôlier s’élever et sa tonalité le berce plus encore. Il essaie même pas de savoir ce qui se dit, trop occupé à se délecter de l’accent agréable et étrangement familier qui hante ses songes.
Jusqu’à ce mot : hôpital.
Kyte ouvre un œil et braque sa face de vieille chouette mal léchée en direction de ses deux bienfaiteurs. Il essaie de rattraper le fil, de comprendre ce qu’il se dit. Il n’a pas envie d’avoir l’air louche, alors il essaie d’abord de vérifier ce qu’il vient d’entendre. « Tu m’aides à le porter jusqu’aux urgences ? » Elle le condamne innocemment de sa voix douce. Et s'en est trop pour Kyte. A ses mots, son sang ne fait qu’un tour.
- Aaaaaaaaah !
Il gueule, comme à son habitude. Ses bras s’agitent d’abord mollement, puis avec une force qu’il n’était même plus certain de posséder. Le dernier sursaut d’une bête sauvage face à un chasseur. Lorsque l’instinct brouille toutes les terminaisons nerveuses pour prendre le contrôle. Il essaie de se relever, mais la créature divine et son étrange acolyte le maintiennent fermement sur le sol. Le cœur de Kyte bat dans ses tempes et une sueur froide colle ses boucles brunes sur son front. Vaincu, il se laisse retomber en arrière avec un nouveau râle qui sonnerait presque comme un cri d’agonie et résone dans la rue avec la force de son désespoir.
- Pas l’hôpital. Il souffle finalement entre ses dents. Z'avez l’air d’avoir envie d’me sauver la vie. Mais si vous m'amenez là-bas ma parole j'vous assure qu'ça s’rait pire que d’me condamner à mort.
Il sait pas s’il peut faire confiance à ces deux gamins. Il sait juste qu’il n’a plus la force de lutter, et que si jamais les mômes l’embarquent à l’hôpital, le personnel va tout faire pour essayer de l’identifier et prévenir sa famille. « Pour les rassurer », ils diront, mais en fait c’est surtout pour se rassurer eux même et être certains que quelqu’un pourra payer ses factures. Quand c’est une question d’argent, les gens sont toujours prompts à réagir. Ah ça oui. Et quand ils auront fini de remuer leurs fichiers et leurs analyses, y’en a bien un qui finira par se rendre compte qu’ils ont choppé Kyte Savard. Ce type qui passe entre les mailles de la justice depuis plus de vingt ans et qu’est recherché dans pas loin de quatre continents. Ce type qu’ils enfermeraient avant même de s’être assuré qu’il ait avalé ses médicaments. Ce type qu'ils enverraient crever dans une cellule au Canada qu'est toute réservée pour lui.
Dans les rues de Brisbane, il y avait un vieux cinglé.
Kyte & Rosa & Ambroise
Revoir Kyte était facilement la dernière des choses auxquelles Ambroise aurait pensé aujourd'hui. Tous le croyaient bien mort et enterré, en raison de l'absence de nouvelles du gaillard depuis quelques années maintenant. Bonnie ne l'avait jamais cru mort, comme si l'homme ne pouvait tout simplement passer l'arme à gauche – il est de toute façon bien trop chiant pour crever et laisser le monde en paix. Cette réflexion fait sourire intérieurement le jeune australien, mais il est vite interloqué par l'état déplorable dans lequel se trouve Savard. Il s'approche sans hésitation de la jeune rousse accroupie à côté de lui. Il la suppose, à juste titre, médecin. Légiste, certes, mais la base des études reste la même. Elle lui indique penser à une bonne grippe (en plein été, Ambroise pourrait réellement se mettre à rire) ou quelque chose de plus grave, car l'homme est vraiment en plein délire. Mais c'est Kyte, il ne fait jamais les choses à moitié, et il tombe rarement malade, mais quand c'est le cas, on dirait qu'il va y passer. Et c'est sans compter l'alcool. Pas de doute, c'est bien lui.
En revanche, il ne reconnait pas du tout Bonnie. Quoi de plus étonnant dans l'état où il se trouve, et l'étudiant lève simplement les yeux au ciel avec un soupire alors qu'il entame une longue tirade qu'il ne prend même pas la peine d'écouter. Kyte est de toute façon trop faible pour continuer, et répondre ne servirait à rien sur le moment, autant ne pas gaspiller sa propre énergie. Ambroise soutint son regard sans sourciller, attendant patiemment qu'il se calme seul. Comme prévu, son panache retombe avant qu'il n'ai fini la fin de son argumentaire et il replonge doucement vers un sommeil comateux. La situation est pour le moins étrange, mais Bonnie ne se pose pas de question, sauf peut-être pourquoi la rousse penche soudain et embrasse la joue de Kyte. Il est malade certes, mais est-ce là une raison suffisante pour un geste presque intime avec un inconnu ? A moins qu’ils ne se connaissent finalement, Ambroise n’avait pas pensé à cette éventualité, pourtant Kyte connaît tant de gens que ça ne le surprendrait même pas.
En revanche, il en doute quand elle commence à parler de l’emmener à l’hôpital. Il fronce les sourcils, regardant la jeune femme, puis l’homme à terre, mais n’a pas le temps de protester que ce dernier s’en charge comme un grand. Avec le peu de force qui lui reste. Comme à son habitude il commence par gueuler, et Bonnie caresse l’idée de faire demi-tour et de le laisser se dépatouiller tout seul du merdier dans lequel il s’est fourré, mais ça lui enlèverait la satisfaction de lui faire remarquer qu’il lui a sauvé la mise. Encore. Si on compte l’hébergement d’urgence pour échapper au monde comme une façon de sauver une personne. Ainsi, Kyte montre tout son mécontentement à la simple écoute du mot hôpital, avec un peu de théâtralité dans son discours après avoir tenté sans succès de se relever. Ambroise hoche alors doucement la tête, ses yeux vers posés sur l’homme avec une sorte de pitié mêlé de lassitude ; ce type lui en avait fait voir lorsqu’il était venu chez eux sur invitation de Sybille, pour qu’il échappe encore à la justice. Leurs caractères avaient tout de suite fait des étincelles, mais la colocation forcée les avait obligés à trouver quelques terrains d’entente et petit à petit, à s’apprivoiser. Ils étaient sauvages et libres, on ne les retenait pas. Ce genre de points communs particuliers les avaient rapprochés.
« Il s’appelle Kyte, et ouais, on peut pas l’emmener à l’hosto », prit-il la parole dès la fin de la phrase de l’homme, qui retrouvait une apathie fiévreuse et sûrement alcoolisée. « C’est assez compliqué à expliquer mais disons qu’il vaut mieux pour lui qu’il reste en dehors de.. du circuit traditionnel. Ca s’rait lui sauver la vie pour rien. » Car il se ferait chopper par les flics, après rapide examen du personnel soignant qui n’aurait aucun problème à trouver son identité, et directement mis en prison sans passer par la case départ. Il arriverait peut-être à d’échapper encore une fois, mais Ambroise ne supporterait pas d’être lié de près ou de loin à une de ses arrestations. Mine de rien, il l’appréciait le bonhomme. « T’es légiste, il doit bien y avoir un endroit où on peut le cacher le temps qu’il se remette non ? J’habite trop loin pour le ramener chez moi et comme tu dis, il a vraiment besoin de soins... » souligna-t-il, avant de porter son attention sur la belle rousse. Elle paraissait délicate pour une légiste, mais son air froid faisait plutôt écho au cliché véhiculé par les professions côtoyant la mort. C’était un curieux contraste avec la couleur flamboyante de ses cheveux. « Moi c’est Bonnie au fait, et toi ? » Il ne savait rien d’elle, peut-être que ne pas donner son prénom pour le moment serait mieux, qui sait.
Au moment où Rosie avait prononcé le mot hôpital, le corps de l’homme à ses pieds comme empli par le souffle du désespoir s’était contracté, hurlant comme un écorché. Comme assis sur un ressort rouillé le beau diable effleura presque d’un doigt sa superbe perdue. En l’espace d’une fraction de seconde, Rosie et son nouvel acolyte se retrouvèrent au sol, tentant tant bien que mal de maintenir au sol l’homme dont elle ne connaissait toujours pas le nom. Clairement mal en point, il se débattait pourtant toujours, comme une bête.
“Pas l’hôpital. » qu’il murmure « Z'avez l’air d’avoir envie d’me sauver la vie. Mais si vous m'amenez là-bas ma parole j'vous assure qu'ça s’rait pire que d’me condamner à mort. “
Elle se tourna instinctivement vers le jeune homme qui l’accompagnait : l’interrogeant du regard. « Il s’appelle Kyte, et ouais, on peut pas l’emmener à l’hosto », lui lança t-il l’air sérieux. Le jeune homme semblait connaître les tenants et aboutissants de la situation, l’idée même d’emmener l’homme à ses pieds aux urgences était donc désormais exclue. De plus, Rosa se doutait bien que le denomé Kyte était bien plus que le simple biker sans domicile alcoolique qu’il paraissait être; pourtant un grand nombre de questions allaient devoir attendre encore un moment leur réponses : le temps presse, pensa Rosa, et connaître le nom de cet homme semblait déjà être, pour la berlinoise, un bon début.
« C’est assez compliqué à expliquer mais disons qu’il vaut mieux pour lui qu’il reste en dehors de.. du circuit traditionnel. Ca s’rait lui sauver la vie pour rien. » , enchaîna le jeune homme les sourcils durement froncés sur son visage si fin.
« T’es légiste, il doit bien y avoir un endroit où on peut le cacher le temps qu’il se remette non ? J’habite trop loin pour le ramener chez moi et comme tu dis, il a vraiment besoin de soins... » C’était bel et bien le cas, il fallait donc absolument trouver une alternative à l’hôpital. Rosie habitait trop loin pour l’héberger chez elle, et quand bien même le peu de matériel médical personnel qu’elle possédait était toujours comme beaucoup de ses affaires en transit quelque part entre Londres, Berlin et l’Australie. Elle concentra alors toutes ses méninges, tournant et retournant le problème dans la machine fabuleuse qu’était sa petite cervelle. Si Rosa semblait souvent d’apparence froide, c’était quand elle réfléchissait intensément que son “inexpression faciale” atteignait son paroxysme.
« Moi c’est Bonnie au fait, et toi ? », lui dit alors son acolyte désormais nommé troublant la réflexion de la légiste. Rosa avait vu Bonnie la détailler, il devait sans doute se demander comment quelqu’un d’apparence si frêle pouvait gérer ce genre de situation. Semblant toujours d’apparence calme, la jeune berlinoise disposait pourtant d’une grande vivacité d’esprit et d’une force physique conséquente ; la jeune fille pouvait en effet soulever sans peine le cadavre d’un homme de quatre-vingt-dix livres. Un cadavre..., pensa Rosie, frappée par l’épiphanie. L’endroit quasi parfait ! Le bon matériel médical et presque pas un chat, enfin en théorie. L’espace d’un instant, son visage c’était illuminé, et un observateur attentif aurait pût y déceler un sourire à la commissure de ses lèvres.
« Écoutes, je travaille à la morgue, elle n’est pas très loin, il y a une entrée à l’arrière. Si on arrives à le transporter là bas et à entrer discrètement je pourrais m’occuper de lui là bas. Mais pas plus de trois jour ! Après ça il faudra trouver un autre solution.», dit la rouquine.
C’était pas idéal, et Rosie aurait aimé faire plus, mais les autres employés de la morgue n’allait pas tarder à rentrer de le séminaire, ou de leur vacances Rosie ne savait pas trop; et elle se voyait mal leur expliquer la situation. C’est vraiment parfait pour une première semaine de boulot pensa Rosa.
Dans les rues de Brisbane, il y avait un vieux cinglé.
Kyte & Rosa & Ambroise
Le mot hôpital a un effet immédiat sur le... Et bien Ambroise aurait tendance à dire déchet, vu l'état dans lequel se trouve Kyte à ce moment précis, mais ça serait oublier le respect qu'il a pour lui, et la force qu'il connaît chez cet homme. Un increvable, un vrai, qui a connu mille vies à peu de choses près. Ca ne sera pas une grippe qui aura sa peau, et Bonnie ne participera à sa chute en le laissant aller aux urgences. Après l'accès de conscience du type, le jeune homme approuve ses dires, en expliquant de manière peut-être un peu plus claire qu'il est hors de question de l'envoyer là-bas, sinon cela reviendrait à le sauver pour rien. Cependant, son appartement est trop loin, et il a besoin de réels soins. Concerné, il cherche une solution, rapidement car le temps presse, et pose dans le même temps son regard d'émeraude sur la jeune femme. Elle a dit être médecin, et il pense qu'elle est honnête, donc elle a peut-être dans le recoin de sa manche une idée, un lieu, un endroit où Kyte serait au calme, en sécurité, et soigné.
Il en profite pour se présenter, mais n'obtient aucune réponse. Ca lui apprendra à être poli, bref. Il a un instant de doute, devant son silence et cette expression presque vide. Pourtant, il remarque dans ses yeux que ses réflexions vont vite. Alors qu'il la détaille en attendant, il ne juge pas son apparence, après tout lui non plus ne paie pas de mine et pourtant il en a dans la caboche. Et même dans les bras, pour ça il lui faut remercier le surf et la natation, et ça lui sera bien utile lorsqu'il s'agira de supporter le corps à moitié inerte de Kyte. Il note le changement dans les traits de la jeune femme, et elle lui annonce aussitôt qu'ils vont l'emmener à la morgue. Celle-ci n'est pas très loin, il y a du matériel médical, et peu de monde pour les trois prochains jours visiblement. Ambroise est rapide à acquiescer à ce plan, qui lui paraît jouable, surtout si elle y croit. Au bout de trois jours, Kyte devrait tenir debout, et Bonnie lui trouvera bien une place sur son canapé ou, connaissant le bonhomme, il pourra se débrouiller pour dénicher un endroit le temps qu'il se rétablisse complètement. « Ok, parfait, on verra pour la suite, mais ne perdons pas de temps, j'ai l'impression qu'il perd connaissance », dit-il en passant une main devant les yeux mi-clos de Kyte. Aucune réaction. Bonnie se serait inquiété pour toute autre personne à sa place, mais ce gars, il ne le voyait pas mourir. Un peu comme on n'imagine pas que son père ne fera un jour plus parti de ce monde.
Sans tarder donc, ils tentent d'abord de le relever, non sans quelques difficultés. L'homme n'est pas le moins du monde coopératif, et Ambroise ne retient pas forcément des jurons marmonnés dans sa barbe. Mais à deux, ils avancent, petit à petit, à leur rythme, soutenant de chaque côté l'homme malade. Ambroise reste silencieux, conscient de sa compagne d’infortune – oui c’est le terme, Kyte n’est pas un poids plume à trainer, même pour deux personnes – n’a pas forcément envie de parler. En attendant, il se résout à reprendre ses vieilles habitudes au sujet de Kyte ; ne rien dévoiler, autant que possible, et attendre qu’il parle s’il juge que c’est sans risques. Mais c’est déjà un miracle que la jeune rousse n'ait pas posé plus de questions que cela, alors que le sous-texte était clair. L'homme ne fait parti de ses gens lambda qui ont une vie rangée, dans les clous, intégré à la société, loin s'en faut… Et pourtant la médecin n’en paraît pas inquiète, c’est un bon début sûrement. Ils parviennent bientôt à la morgue, et la jeune femme les guide pour emprunter la porte de derrière puis dans les couloirs, ouvrant bientôt la dernière porte de leur périple. Presque épuisé, en tout cas en sueur, Ambroise laisse presque tomber Kyte sur ce qui sera son lit de fortune. Avec l’aide de la rousse, il l’installe un peu mieux, puis alors qu’elle disparaît de son champ de vision, Bonnie en profite pour observer l'homme. Plusieurs années qu’il ne l’a vu, et il le retrouve dans un état déplorable. Il se rapproche, se penche au-dessus de lui, et a le réflexe de poser une main sur son front pour prendre la température. Avec un soupire, il se redresse, en se demandant s’il prévient sa jumelle maintenant ou plus. Le regard toujours baissé sur Kyte, il esquisse une moue blasée. « Toujours dans les emmerdes toi hein… » marmonne-t-il. C’est bien trop tard pour qu’il change, de toute façon.
Dans les rues de Brisbane, y'avait un vieux cinglé
Rosa, Ambroise & Kyte
Un dernier sursaut de rébellion. Une dernière protestation bien placée. Un dernier pic d’énergie avant le néant. Kyte sent son corps se ramollir. Un frisson gèle ses vieux os et sa tête retombe en arrière. Il essaie bien de garder les yeux ouverts encore quelques secondes de plus, juste assez pour entendre où ces deux bras cassés de mômes vont bien pouvoir le traîner. Mais l’alcool et la maladie agissent comme un poison dans ses veines, et son esprit tourmenté sombre dans une brume visqueuse. Ses yeux s’agitent sous ses paupières fermées. Les sons extérieurs lui parviennent comme depuis une autre dimension. Une réalité dans laquelle il n’existe plus vraiment. Le temps et l’espace se confondent et les paroles échangées dans cette rue de Brisbane se mêlent à d’autres en provenance d’un autre temps. Les petits pieds de Bly qui martèlent le sol dans ses nouvelles pointes. Poc. Poc. Poc. Tant de grâce, ça l’émerveille et ça le calme en même temps. A la morgue ! Ça, c’est la voix de la fille du geôlier, il en mettrait sa main à couper. Hey, j’suis pas encore mort, insolente ! Qu’il lui gueule silencieusement. Ouvrir la bouche serait déjà trop d’effort. Alors il se rejoue mentalement cette réplique puissante en boucle mais tabernak ça le fatigue d’avance. Poc. Poc. Poc. Quel âge elle a déjà sa gosse ? Pas de doute que ses petits pieds sont de grands panards maintenant. Des années qu’il a pas vu sa jolie face. Des bras agrippent son corps. Comme ce jour où il a dû l’abandonner en Norvège et quitter le pays pour ne jamais y revenir. Poc. Poc. Poc. Son corps balance au-dessus du vide. Il glisse dans un océan d’étoiles et leur danse serait pas loin de lui donner la migraine.
En proie à son délire, Kyte se laisse traîner dans les ruelles. Il s’agite de temps à autre, laisse échapper des petits râles de rat à moitié crevé par intermittence. Comme pour rappeler sa présence ou souligner que, dans l’histoire, c’est bien lui qui souffre le plus et pas les deux guignols qui ont décidé d’essayer de lui sauver la peau. J’t’en foutrais moué. On peut plus crever tranquillement maintenant… Il radote mollement sans pour autant s’arracher à ses songes. C’est le goût du passé qui coule dans ses veines. Les sourcils de Jaimie qui se froncent alors qu’elle lui demande encore combien de temps il compte partir, et s’il va un jour revenir. T’attache pas gamine. T’attache pas mais aime moi. Aime moi parce que j’ai jamais su le faire tout seul. Va-t’en, mais reviens-moi. Oublie-moi mais me trahi pas. Et surtout sois toujours là. Que lui dirait son cœur s’il osait. Son visage s’efface et avec lui les remords qui lui collent à la peau comme les mites à ses fringues. Je te retrouverais. Peu importe où tu seras, nos chemins se croiseront. Et je continuerais. Jusqu'à ma mort. C’est la voix de Martin qui résonne dans un coin de son esprit et qui vibre dans un bout de son âme. Sa face à jamais figée dans cette expression d’horreur résignée qu’il avait ce jour-là à Yulin, il y a une seconde, il y a deux ans, il y a une éternité. Poc. Poc. Poc. Le sang qui goutte sur le sol de son parquet en Norvège. C’est l’odeur de la morgue, l’odeur aseptisée de la mort, qui ravive ce souvenir. Les lèvres glaciales de sa femme contre les siennes. Son corps rigide et leur dernière étreinte, un échange de chaleur à sens unique, un étrange purgatoire. C’est dommage je trouve qu’un peu de rose vous irait bien La voix enjouée et un peu cassée de Jordan, sa chaleur qui se répand dans tout son corps depuis la main douce qu’elle a posé sur son front. Ce souvenir, c’est le plus récent, et il est tellement vibrant que Kyte jurerait sentir vraiment ses doigts contre sa peau, son souffle chaud alors qu’elle murmure des paroles apaisantes au creux de ses oreilles. Toujours dans les emmerdes toi, hein ? Mais c’est la voix d’Ambroise qui lui parvient, avec la même intensité un peu trop réaliste, et Kyte grince un peu en voyant sa face de mule aux idées audacieuses remplacer la bouille blonde de sa dernière amourette.
Il dévisage le moucheron qui s’ra peut-être jamais un homme mais que Kyte va essayer d’endurcir un peu quand même, pour le principe, presque pour s’donner bonne conscience. Il s’impressionne des détails de sa gueule en grand angle, le côté réaliste de son souvenir qui va jusqu’à dessiner tous les petits plis sous ses yeux plissés et détailler tous les cheveux en bataille qui encadrent son visage où l’enfance se reflète encore. Il attend que cette image soit remplacée par une autre, presque impatient de voir quelle vieillerie de son passé va ressurgir dans son esprit. Mais ça ne part pas, le mécanisme est bloqué et c’est quand même une sacré plaie que ce môme vienne le troller jusque dans son délire fiévreux. « Tête de con. » Il murmure d’une voix enrouée, comme on conjure un mauvais sort. Il sent ses lèvres esquisser un sourire attendri, parce qu’il l’aime quand même cette petite canaille, et puis comme l’image part pas et que le môme lève les yeux au ciel avec ce sarcasme insupportable, Kyte commence à se douter de quelque chose. « Qu’est-ce ‘tu fous là ? » Il grogne, les sourcils froncés et l’air tout juste plus aimable qu’un gardien de prison. L’air est froid, le sol dur, et l’éclairage bleuté lui inspire des sentiments contraires. « Et moi… j’suis où d’ailleurs hein tu peux m'le dire ? » Il reprend en essayant de se redresser un peu. Pas de doute, les rêveries se sont fait la malle. A la place, ses tempes lui tambourinent le crâne et la lumière lui arrache les rétines. Et la fille du geôlier, elle est où ? Cette dernière interrogation reconnecte brutalement ses pensées, et Kyte se redresse d'un coup, profitant de son soudain regain d’énergie pour agripper Ambroise par le col de sa veste. « Elle est où la rouquine ?! » Il aboie comme un vieux chien de garde détraqué. « Tu l’as pas laissé m’amener à l’hôpital hein Bonny ? »
« Ok, parfait, on verra pour la suite, mais ne perdons pas de temps, j'ai l'impression qu'il perd connaissance », acquiesça Bonnie. Ils tentèrent alors sans grand succès de relever Kyte, ce dernier retombant mollement au sol en véritable poids mort. Il semblait avoir presque complètement perdu connaissance. Ils passèrent alors chacun un bras de Kyte autour de leurs épaules, bien résolu à le transporter à destination coûte que coûte. Les deux compagnons d’infortune se redressent alors, et la charge du corps inerte de Kyte prit alors toute son ampleur, bien que répartie entre les deux compères. Rosie et Bonnie après avoir échangé un regard qui en disait long sur l’effort qu’ils allaient réaliser. Ils entamèrent alors une longue marche silencieuse uniquement troublée par le bruit des pieds de Kyte raclant contre le trottoir bétonné, les marmonnements incompréhensible de ce dernier ainsi que par quelques jurons profanés entre les dents de Bonnie. Côté injures, Rosie n’était pas en reste, et le tout en Allemand comme à son habitude. En tout cas, elle bénissait par la pensée son acolyte qui, en plus de soutenir de manière conséquente une bonne partie de Kyte, semblait aussi avoir compris que la discrétion et le silence était de mise. Enfin, pas étonnant, il devait être habitué pensa Rosa, vu de la réaction de Bonnie et de Kyte à la simple mention du mot hôpital, la discrétion ils devaient tout les deux connaître. Rosie connaissait la valeur du silence ainsi que celle de la confiance, et très tôt elle avait appris à observer et à Maul halten.
Poussant porte après porte, ils arrivèrent finalement en terre promise sans avoir été remarqué - miracle de l’égocentrisme de la vie citadine où tout le monde se regarde mais où personne ne vois réellement personne. Ils installèrent alors du mieux qu’ils purent Kyte sur une table en aluminium tout au fond de la morgue. Libère de pois de Kyte, ils poussèrent tout deux un soupir de soulagement ! Rosie laissa ensuite les deux hommes seuls ; elle devait impérativement réunir du matériel, et surtout saluer Ella. Ella, employée de l’accueil de l’hôpital etait surtout une fieffé commère qui ne manquerai pour rien au monde une occasion de raconter tout fait anormal au premier venu. Comme Rosa, nouvelle venue au bataillon de l’équipe hospitalière, arrivait chaque jour par la grande porte de l’hôpital elles échangeaient donc chaque jour depuis son arrivée quelques banalités avant que cette dernière ne rejoigne son hermitage. Ainsi, pour n’éveiller aucun soupçons Rosa sortie à nouveau par la porte de derrière, contourna le bâtiment, et après avoir remis un peu d’ordre dans la tenue, lissant sa veste, nouant ses cheveux ébouriffés en une queue de cheval, elle entra donc par la grande porte, saluant Ella et n’éveillant, elle espérait, aucun soupçons. Elle attrapa au passage du matériel à la réserve ainsi que sa blouse dans son casier et se dirigea à nouveau vers la morgue.
Les portes en acier de l’ascenseur s’ouvrirent devant la légiste lorsqu’il atteignit le niveau -2 pendant que Rosa cherchait son badge au fond de son sac. Et, alors qu’encore deux portes coupe feu se dressaient devant Rosa avant d’atteindre les portes de la morgue, déjà elle entendit un cri. Arschlöcher, pensa Rosa. En moins de temps qu’il ne le fait pour le dire la rouquine débarqua en trombe dans sa morgue fusillant du regard les deux hommes qui se tenaient par le col. « Taisez vous, vous attirez trop l’attention. », lança t’elle laconiquement alors qu’elle accrochait ses affaires au porte manteau et qu’elle enfilait sa blouse. Tirant à elle un petit chariot rempli de matériel, remonta les manches de sa blouse d’un air décidé, et se tourna ensuite vers les deux hommes. « Bon, tu es réveillé, maintenant il va s’agir que tu tiennes debout plus tôt que de secouer ton ami comme ça. » dit elle en redressant le badge sur sa poitrine ou trônait fièrement l’inscription qui la rappelait sans cesse à son devoir : Dr. Rosa Eberhardt, Légiste titulaire.
« Je vais prendre ta tension. » dit-elle son tensiomètre dans la main, d’ailleurs elle ne chercha plus que ça à connaître ce que se disais les deux homme avant son arrivée. « Bonnie tu peux t’asseoir si tu veux », ajouta la rouquine en pointant un tabouret du doigt.
Dans les rues de Brisbane, il y avait un vieux cinglé.
Kyte & Rosa & Ambroise
La route est longue et difficile, ralentis par le poids mort réparti sur leurs épaules, les deux jeunes gens avancent comme ils peuvent, se donnant du courage par quelques jurons. Ambroise note machinalement les mots aux sonorités allemandes sortant de la bouche de la jeune femme, et mais il est trop occupé par le fait de ne pas mourir écrasé sous le poids de Kyte qu’il n’y accorde pas d’attention. L’homme était en train de perdre connaissance, et ils devaient dépêchés. Lorsqu’ils parviennent enfin à l’arrière de la morgue, discrètement, ils ne sont pourtant pas au bout de leur peine. Rosa guide la marche, ouvre les portes, et leur trouve une pièce vide pour y installer Kyte, au moins pour le moment. Quel soulagement de se débarrasser de sa lourdeur pour l’allonger sur la table froide. Ça ne doit pas être rigolo pour lui, mais Ambroise est égoïstement ravi de pouvoir rouler des épaules et se faire craquer le dos. Le tout sans avoir fait de pause, pour ne pas risquer de perdre plus de temps ou d’attirer l’attention. Il lui revaudra ça ce vieux fou. D’ailleurs, lorsque Rosa part à la recherche de quelque chose, Bonnie se penche sur lui et lui parle, mais n’attend aucune réponse.
Il croit que cette ombre de sourire n’est pas pour lui, les yeux vitreux le discernent surement à peine, ou s’imaginent quelqu’un d’autre. Alors il est bien surpris lorsque, après un murmure étranglé traitant quelqu’un de tête de con, il voit dans le regard de Kyte la compréhension, juste avant qu’il ne lui demande ce qu’il fait ici. C’est au tour de Bonnie d’avoir un sourire en coin. L’homme devant lui n’a pas changé d’un pouce, toujours aussi bourru, rentre dedans. Le même visage aux traits burinés, pas plus aimable qu’une pierre mais où l’illumination arrive petit à petit. Il cherche à savoir où il est, mais avant même que l’australien ne puisse répondre, il l’empoigne par le col. Ce sursaut d’énergie le prend de court, mais sa grimace est autant dû à l’étonnement qu’à l’haleine de l’homme qui n’est pas pour raviver l’éclat d’une rose. Il attrape ses poignets pour tenter de se dégager, mais le vieux fou a bien plus de force, ce qui est assez perturbant alors qu’il sort tout juste d’un état semi-comateux. « Non non on est pas à l’hosto- » commence-t-il sèchement, très vite interrompu par le retour de Rosa qui leur intime de se la fermer pour ne pas attirer les ennuis. Lui jetant un regard en coin presque ennuyé, et sévère, il se dégage enfin de la prise de Kyte. « On est à la morgue, c’est là qu’elle bosse », explique-t-il avec un signe de tête en direction de la rousse, qui s’installe comme si elle allait examiner un patient le plus naturellement du monde.
Ambroise la laisse ensuite parler, se reculant même un peu par réflexe. Il n’est pas si proche de Kyte que cela, du moins n’en a-t-il pas conscience. C’est avant tout pour lui ce type étrange, attisant parfois sa curiosité par ses histoires, ou sa lassitude. Mais leurs échanges de tacles restent de haut niveau, et le temps passe rapidement en sa compagnie, ce qui le rend parfois supportable lorsqu’il vient squatter le canapé. Ou venait plutôt, car cela fait deux ans qu’ils ne se sont vus et pourtant, l’étudiant peine à croire qu’autant de temps s’est écoulé. C’est comme s’ils s’étaient quittés hier. Il observe un peu Rosa, et hoche la tête à sa proposition de s’assoir. Prenant place sur le tabouret, qu’il avance un peu plus vers la table pour ne rien manquer de ce qui se dira – il s’inquiète quand même un peu –, et Rosa commence l’auscultation par une prise de tension. Il reste silencieux un moment, ayant parfois un rictus amusé dès que Kyte fait des siennes. Mais il reprend finalement la parole pour s’adresser à lui. « Depuis quand t’es à Brisbane ? » Et surtout, pourquoi. D'ailleurs il était passé où ces dernières années ? Bref. Le ton est presque léger, une question digne d’une conversation des plus banales. Mais le jeune homme se demande surtout ce qu’il foutait dans la rue, alors qu’il est réputé pour sa capacité à débarquer à l’improviste chez les gens pour une nuit ou deux. Que Kyte tombe malade était quand même un comble.
Emi Burton
Spoiler:
Je suis trop désolée du temps de réponse, j'ai honte, mais j'avais complètement zappé que t'avais répondu Rosa... >< Désolée désolée désolée !! J'espère que ça vous ira ! :*
Dans les rues de Brisbane, y'avait un vieux cinglé
Rosa, Ambroise & Kyte
Le regard fou, les naseaux fumants, Kyte s’accroche à Ambroise comme à sa vie. Il a vaguement conscience de ses mains délicates qui essaient de se dégager. Dans d’autres circonstances, sûr qu’il aurait ressenti une pointe de fierté à voir ainsi son Bonnie tenter de se comporter en homme. Mais y’a pas d’place pour l’attendrissement quand c’est l’instinct de survie qui prend les commandes. Les petits yeux suspicieux de Kyte se plissent lorsqu’Ambroise lui confirme qu’ils ne sont pas à l’hôpital. Y’a bien une ou deux questions qui se bousculent dans sa gorge mais la voix tranchante d’une femme lui ordonnant de la fermer cloue son clapet. « Pardon Médême. » Il baragouine machinalement en lâchant un peu sa prise sur le bambin. C’est qu’il a pas trop envie de tenir tête une beauté froide à l’accent guttural dans son genre ; surtout quand elle porte une blouse et des gants et un badge et tout le bordel. Kyte peut presque l’imaginer se saisir d’une grosse seringue et appuyer sur le piston avec un sourire sadique pour en faire suinter le produit le long d’une aiguille trop épaisse. Ça le ramène à des souvenirs de môme, quand l’infirmière sadique de l’école se réjouissait de faire hurler les chiards en leur plantant un vaccin dans le derrière. N’empêche que sa venue lui avait toujours inspiré des sentiments contraires. Et il faut dire que Kyte, il a toujours été attiré par les femmes au sale caractère et avec un brin de folie dans le regard. Ça manque jamais de le rendre dingue. Y’a bien une armée de psys qui seraient trop content de lui diagnostiquer une sorte de névrose en rapport à sa mère. (De toutes les façons, pour les psys, tout se rapporte toujours à la mère.) Mais Kyte, il sait bien que la vérité se trouve plutôt dans son amour pour le danger, le subversif, l’inquiétant, et l’imprévu.
La voix de Bonnie l’arrache à ses fantasmes douteux pour le ramener à la réalité de sa situation plutôt merdique. « La morgue ? » Il peut pas s’empêcher de grogner. « J’sais qu’tu crève d’envie de de t’débarrasser d’moi mais ça m’paraît quand même un peu excessif pour un p’tit rhume de rien du tout. Hein, t’penses pas Bonnie ? » Mais il répond pas, le fourbe. C’est peut-être parce que la rousse s’est interposée pour lui donner de nouvelles instructions, mais Kyte préfère ruminer et se dire que c’est encore qu’Ambroise se croit au-dessus de tout, comme d’habitude. Au-dessus de lui surtout. Sale gosse, j’va lui montrer l’respect moi t’vas vouère. Qu’il grommelle intérieurement en se redressant comme le docteur des macchabés lui a dit. Il pose son cul sur le rebord de la table de métal et jette un coup d’œil nerveux au chariot plein de petits outils flippants à sa droite. « J’me sens bien doc’, j’vous assure qu’c’est pas nécessaire. » Il minaude avec un sourire en coin et son regard le plus séduisant. Mais bosser avec les morts, ça doit vous rendre hermétique à ce genre de charmes parce que voilà que la rouquine lui attrape le bras pour y passer un de ces trucs en plastique insupportables qui serrent et qui grattent pareil. Nah… elle est pas hermétique. J’ai juste un peu perdu la main en taule, c’tout. Il se rassure en guettant le bracelet qui gonfle et se dégonfle autour de ses bras amaigris par la prison et la maladie. Les mouvements s’allongent et déjà sa tête lui tourne à nouveau. Une sueur froide perle sur le front de Kyte et il l’essuie d’un geste fébrile.
La voix de Bonnie procure une distraction plutôt satisfaisante. Il relève les yeux vers la face du môme et réalise qu’il a quand même un peu changé depuis la dernière fois. Qu’il a moins l’air d’un gosse, justement. Oh, il a toujours les traits trop fins pour être honnête, mais disons qu’il y a plus de passé dans son regard. « Que’ques semaines. » Il répond vaguement en essuyant le dos de sa main sur son jean défraîchi. Il crève d’en dire plus. Kyte, ça a jamais été un solitaire. Il se sent pas mieux que quand il peut raconter ses aventures à qui veut bien les entendre. Mais les gens prêts à lui tendre une oreille se font rare, et ceux à qui il accorde sa confiance plus encore. Sa vie de malfrat, elle irait plutôt à un type qu’aime bien les longs silences et la compagnie des poubelles. Mais Bonnie, c’est un bon gars. Kyte sait bien qu’il le trahira pas. Non, c’est plus la rousse qui l’inquiète. Il sait pas trop s’il peut lui faire confiance. Peut-être que de l’avoir laissée l’amener ici c’est déjà une erreur. Peut-être que la cavalerie est en route. Kyte profite du fait qu’elle ait la tête baissée sur sa besogne pour poser un regard appuyé sur la jeune femme. Puis il braque son regard de rapace sur Bonnie et écarquille les yeux avec une petite grimace l’air de dire : « Mon pote, t’vois bien que j’peux pas trop parler là ! » La manœuvre manque de discrétion, mais Kyte est dans un état trop second pour vraiment s’en rendre compte. « J’suis arrivé par la mer. J’ai passé que’que semaines chez une amie. Mais faut croire qu’j’la baisais pas assez bien parce qu’elle est partie du jour au lend’main ! » Il rigole et tape sur sa cuisse pour essayer de pas sentir son pincement au cœur. Jordan, c’est qu’elle lui manque quand même pas mal. Son rire claque dans la pièce et meurt presque aussitôt et tout ce qui résonne encore c’est son inquiétude. Il saura jamais pourquoi elle est partie comme ça, pourquoi elle a déserté son appart, lui et le chat. « Les femmes,... hein ? » Il souffle à l’intention de Rosa. « J’les comprendrai jamais. » Il soupire et secoue la tête, persuadé de la perspicacité de sa remarque. Puis il lève un regard accusateur vers ses deux bienfaiteurs. « Pourquoi c’est qu’vous m’avez ramassé ? J’étais bien dans la rue, c’tait foutrement plus confortable que c’t’infâme lit de taule ! »
AVENGEDINCHAINS & WHITEFALLS
Spoiler:
T'inquiète Bonnie c'était parfait, j'étais morte de rire en lisant tes descriptions de Kyte, tu l'as tellement bien cerné Bon et pardonnez le sexisme de mon personnage, si vous avez envie de le baffer c'est normal : moi aussi.
Après s’être excusé pour le bruit et avoir relâché son copain, Kyte avait l’air tout penaud assis sur le rebord de la table métallique ou des centaines de cadavre avait avant lui déjà prit place. Son compagnon c’était quand à lui assis sur le petit tabouret d’hôpital que Rosa lui avait proposé, après l’avoir approché du cœur des opérations, le dénommé Bonnie observait attentivement la suite des événements. « J’me sens bien doc’, j’vous assure qu’c’est pas nécessaire. », lui assure Kyte, regard de séducteur et sourit de séducteur au lèvres toute fois il allait en falloir plus que ça à l’homme qui une heure plus tôt encore gisait sur la chaussée pour amadouer Rosa. Le doc’, comme il disait, lui jette alors un regard peu convaincu sonnant ainsi le début des opérations et ce sans discussion ! Elle se saisit du tensiomètre avant de le fixer sur le bras nu de Kyte. Rosa regarde l’appareil se gonfler attentivement, l’aiguille osciller, et note le chiffre sur un papier qu’elle prendra soin de détruire après - la berlinoise avait bien compris que aucune trace du passage de Kyte ne devait subsister. Hochant la tête pour elle même, elle est pourtant surprise de l’état de santé apparent de son patient : sa tension était un peu basse mais à peine plus que la moyenne, rien d’alarmant donc, mais pour le moins surprenant vu l’état du type... Il est solide ce gaillard, pensa Rosie, plus solide qu’elle ne l’aurai cru.
« Depuis quand t’es à Brisbane ? », demande le dénommé Bonnie. Le regard de Rosa impassible croise alors celui de Kyte ; elle aurait aimé en apprendre plus sur cet homme - désormais son patient par la force des choses, mais elle avait bien conscience qu’elle n’était qu’une intruse dans cette histoire et que tout n’était pas bon à savoir. Fallait croire que c’était le destin qui lui jouait des tours à l’Allemande, mais sa curiosité l’avait toujours poussé à se retrouver dans des situations inimaginables et celle ci sicher qu’elle rentrait dans le top trois ! « Que’ques semaines. », lance Kyte évasif. Rosa détourne sciemment le regard de celui de Kyte, stéthoscope à la main elle tente de se focaliser uniquement sur l’examen et de ne pas écouter ce que disent les deux hommes, après tout ce n’était pas ces affaires et moins elle en savait moins mieux c’était ; mais sa curiosité la piquait au vif, comme un goblin malicieux lui chatouillant les méninges. Alors qu’elle écoute le cœur de ce dernier elle remarque la grimace que Kyte lance à Bonnie, typiquement le genre de grimaces qui veut dire « Silence, les murs ont des oreilles » ! Elle les laisseras seuls quelques instants pour qu’ils puissent discuter après, c’est la moindre des choses pensa Rosie. « J’suis arrivé par la mer. J’ai passé que’que semaines chez une amie. Mais faut croire qu’j’la baisais pas assez bien parce qu’elle est partie du jour au lend’main ! » dit Kyte en se tapant sur la cuisse. Troublée dans l’écoute du cœur de Kyte par ce genre de dialogue rustre et gluturale la rouquine lui jette un regard glacial et d’un revers de paume guide sa main vers le dos de ce dernier de manière à le tenir tranquille. Surpris, Kyte ne semble pas protester et se tait l’espace d’un instant.
« Les femmes,... hein ? » qu’il lui lance alors que Rosa continue son examen. «J’les comprendrai jamais. » lâche t-il en soupirant semblant convaincu que le mystère du cerveau féminin restera à jamais impénétrable. La légiste palpe désormais le corps de Kyte à la recherche d’éventuelles masses inquiétantes, elle commence par ses bras , puis descends lentement jusqu’aux jambes de Kyte - elle qui a l’habitude des corps à température ambiante et de la rigidité cadavérique elle est troublée par la chaleur du corps de Kyte et ses muscles plus solides qu’il n’y parait, mais n’en laisse toute fois rien paraître : question de professionnalisme ou de rigueur germanique c’est au choix. « Je ne pense pas que ce soit les femmes le problème, ni qu’il y ait quelque choses de spécial à comprendre au cerveau féminin », lui répond-elle assurée et agacée, « C’est l’humain qu’on doit essayer de comprendre plus que le sexe.» finit elle sèchement alors qu’elle gribouille ses observations sur la feuille.
« Pourquoi c’est qu’vous m’avez ramassé ? J’étais bien dans la rue, c’tait foutrement plus confortable que c’t’infâme lit de taule ! », ajoute Kyte semblant se rengorger de sa prétention. C’était la phrase de trop pour Rosa qui se retourne et l’attrape à la gorge : « Un peu de gratitude c’est trop demander hein ? Tu t’es cru zu deiner Mutter pour te plaindre du confort alors que je me met in Schwierigkeiten pour toi ? Moi, je m’en fou, mais question de respect pour ton pote qui avait sans doute prévu autre chose pour sa journée. », elle plonge ses yeux dans les seins, leurs visages sont à peine à quelques centimètres et dans son énervement Rosa prend des accents germaniques plus prononcés, sa langue natale revenant au galop. « Sans lui tu serais pas sur ce lit inconfortable, j’aurais appelé une ambulance et signé ton arrêt de mort. » lui crache t-elle agacé par sa nonchalance. « Harter Kerl, tu vas bien m’écouter maintenant : tu la fermes, tu arrêtes de boire de la piquette qui te ruine la santé et tu remercie ton ami ou je me chargerai personnellement de ton cas. » dit elle en lui lâchant le coup avant d’aller ranger son chariot dans un coin. Alors qu’elle lisse sa blouse les deux compères la fixent semblant la jauger.
Dans les rues de Brisbane, y'avait un vieux cinglé
Rosa, Ambroise & Kyte
Elle proteste, la rouquine. Elle est persuadée que le cerveau des hommes et des femmes est pas si différent. Elle en fait même une affaire personnelle si on en croit son ton sec et décidé. Kyte, ce serait pas loin de le faire marrer, parce que ça lui rappelle la Jaimie et ses tirades à dormir debout sur le sexisme et le patriarcat et tout ce bordel. Lui, a vécu bien plus longtemps qu’elles sur cette terre de misère, alors forcément il sait bien qu’elles ont tort et qu’il a raison. Faut dire qu’il en a côtoyé des mecs et des nanas. Il a toujours trouvé ses frères de galère un peu lourdauds, directs et sans trop de bonnes ou de mauvaises surprises. Mais les femmes, non d’une pipe, c’est qu’il les comprendra jamais. Elles s’énervent pour un rien et veulent qu’on les traite comme des hommes, mais attention faut pas les frapper pour autant même quand y’a désaccord. Faut leur tenir les portes ouvertes mais pas les débarrasser de leur sac parce que sinon c’est sexiste ; faut remarquer quand elles reviennent de chez le coiffeur mais pas quand elles font un régime et perdent du poids. Faut leur déclamer des poèmes et leur offrir des roses mais pas leur dire comme elles sont belles quand on les croise dans la rue sinon c’est du harcèlement. Et puis plein d’autres petites contradictions encore qui lui retournent le cerveau et le fascinent en même temps. Parce que Kyte, dans le fond, c’est aussi bien pour ça qu’il les aime, les donzelles. Elles sont tellement pleines de mystère, tellement caractérielles et tellement pestes quand elles veulent le torturer qu’elles manquent jamais de le surprendre. Et lui, son truc préféré dans la vie, c’est d’être surpris.
Néanmoins y’a bien des surprises dont il se passerait. Comme par exemple la beuglante de la rouquine et sa transformation de docteure sympa jolie comme un cœur à docteure Mengele psychopathe en mode angel of death . Il sent sa petite main se refermer sur sa gorge avant d’entendre sa voix soudain nasillarde lui parler moitié anglais moitié Hitler pour exprimer – il croit – une sorte de désagrément. J’t’en foutrais du Scheiße mutter moi t’va vouère. Qu’il grommelle intérieurement. Ses muscles se contractent par réflexe et le soldat en lui a bien envie de lui faire une clef de bras et de lui ouvrir le crâne sur la plaque de métal qu’elle ose appeler un lit, histoire de la mettre hors d’état de nuire. Mais par un étrange miracle il parvient à maîtriser cette pulsion jouissive et une chose est sûre, c’est pas parce que c’est une femme. C’est que Kyte, ça a jamais été le genre à s’embarrasser de ces petites règles de prince charmant. Nan, s’il se retient c’est peut-être justement parce qu’elle lui parle de Bonnie et qu’il a pas trop envie de traîner le môme dans une affaire de meurtre en pleine morgue. Peut-être aussi parce que c’est elle le doc’, et que du coup c’est aussi elle qui sait quels médocs vont le remettre sur pieds au plus vite. C’est qu’il a ses gamines à retrouver et il compte pas trop leur rendre visite avec la gueule en vrac et les cheveux collés à la nuque par la sueur et la crasse. Alors il se contente de soutenir son regard ; narine dilatée, moustache frémissante, un sourire carnassier et sans joie qui découvre ses dents jaunies par la clope et le manque d’hygiène. Sûr et certain que s’il était un clebs en cet instant il se serait mis à grogner. Mais elle se laisse pas intimider, l’infirmière psychotique, et elle continue de lui soutenir que sans eux il serait pas sur ce « lit » qu’elle ose même appeler « confortable » ; et là la colère elle fait place à une sorte d’hilarité profonde, parce que Kyte c’est un type qui aime quand même bien l’humour, et même qu’il sait le reconnaître quand il se cache dans les endroits les plus incongrus. « C’est vrai qu’ça vaut largement un cinq étoile c’te bout d’taule glacé. Pas d’quoi pleurer le moelleux d’mes cartons moi j’te l’dis. Pis faut dire que la compagnie est fort agréable ici, hein ? » Il ricane joyeusement, pour se marrer un brin autant que pour la tester. Sauf qu’elle aime pas trop sa petite blague il faut croire parce qu’elle crache encore come un chat de gouttière et il sait pas trop pourquoi elle l’appelle Karl mais il comprend bien qu’elle est très en colère même s’il sait pas trop si c’est parce qu’il la prend pas tellement au sérieux, parce qu’il schlingue l’alcool et la décrépitude ou parce qu’il manque simplement de politesse. Une chose est certaine, c’est qu’elle semble bien déterminée à se « charger personnellement de son cas » alors là s’en est trop et Kyte sent que l’hilarité elle remonte de l’intérieur mais il essaie quand même de se retenir pour la forme, juste parce qu’il a pas trop envie qu’elle grogne encore en Allemand comme il y comprend que dalle. Il la regarde s’éloigner et lisser sa blouse avec un calme presque comique et alors il explose d’un rire si fort que ça résonne dans la morgue et c’est peut-être stupide mais après tout y’a que les morts qui l’entendront et peut-être même que ça pourrait les réveiller et alors il aura de la compagnie dans sa petite prison aseptisée.
« Allons, allons, c'est qu'faut pas t’fâcher comme ça mon p’tit ! » Il rigole en essuyant une larme rieuse au coin de ses yeux ridés. Puis il prend une grande inspiration pour retrouver son calme et se racle la gorge comme pour y ramener un peu de sérieux là-dedans. Il relève les yeux vers ses deux bienfaiteurs et cherche leur regard tour à tour. « Allez pas croire que j'suis pas reconnaissant. D’la gratitude, y’en a plein là-dedans. » Il dit en tapant sa poitrine d’un coup sec. « Mais j’va vous dire une chose moué. Ça fait belle lurette qu’des bonnes gens se sont pas proposés d’filer un coup d’main à un vieux malfrat dans mon genre sans qu’y-a un prix à payer pour c’te bonté. Alors ça m’laisse un peu pantois, voyez ? » Sans Bonnie, il aurait déjà pris un de ces petits couteaux qui servent à découper les morts et il se serait fait la malle dare-dare et gare à ceux ou celles qui auraient voulu l’en empêcher. Mais il sait bien que ce bon garçon le foutrait pas dans la merde. Alors il se concentre là-dessus et même que ça l’aide à calmer un peu son délire de persécution. Il va rester. Il va jouer le jeu quelques jours, le temps d’être à nouveau sur pieds. Et après il mettra les voiles une fois encore. Mais pas à n’importe quel prix. « Par contre t’avise pas d’retenter c’coup-là doc’. J'suis pas violent par nature, mais j'peux t'dire un truc, c'est qu’y’en pas beaucoup qui sont encore là pour raconter leurs déboires après qu’y m’aient cherché des noises. » Le ton est posé, presque rieur, mais la menace réelle. Tueur un jour, tueur toujours ; et y’a bien longtemps que Kyte ressent plus ce poids lancinant sur la conscience quand il envoie quelqu’un danser avec les morts. Mais il a pas envie de tuer la jolie rousse, la douce fille du geôlier. Non, lui y'a que le docteure Mengele qui lui plait pas des masses. Alors tant qu'elle mute pas encore, y'a de fortes chances que leur étrange collaboration se passe pour le mieux.