J'ai envie de revoir ton visage. C'est tout. C'est comme les gens qui retournent dans le village où ils ont passé leur enfance ou dans la maison de leurs parents ou vers n'importe quel endroit qui a marqué leur vie. C'est comme un pèlerinage. A croire que ton visage est un endroit qui a marqué ma vie.
ryleigh & charlie
La fuite en avant, stratagème que j’avais adopté depuis que ma vie avait commencé à échapper à tout contrôle, se révélait une fois de plus être un échec total. C’était là la conclusion qui traversait le cours de mes pensées agitées alors que je revenais brusquement à la réalité. Assis sur la banquette d’un carré VIP d’un des clubs les plus prisés de Brisbane (mais qui n’égalait en rien le prestige des établissements que j’avais fréquenté par le passé dans la capitale anglaise), un verre de Whisky à la main, je poussais un soupir las. « Qu’est-ce qu’il t’arrive, Charlie ? » La voix cristalline de la demoiselle me rappelait son existence, alors qu’elle était assise sur mes genoux, jouant de ses doigts dans mes cheveux. Pour toute réponse, je lâchais un sifflement méprisant, évitant d’un mouvement de tête sa tentative de venir passer à nouveau ses doigts dans ma tignasse décoiffée. Et sans plus de cérémonie, je la repoussais sur la banquette pour me lever. « Hé mais pour qui tu te prends ? » s’exclamait-elle d’un air courroucé qui me tirait un sourire en coin, presque amusé. Jetant un coup d’œil circulaire à la salle, où une musique électro jouée par un DJ à la mode de passage en ville résonnait, je cherchais vaguement mes potes du regard, constatant avec une certaine amertume qu’ils étaient tous bien trop occupés avec leurs conquêtes de la soirée. Je reportais finalement mon attention sur Nancy (à moins que ça ne soit Mindy, me souvenir de son prénom n’étant, de toute façon, pas dans mes objectifs de la soirée). Et alors qu’elle me regardait d’un air interrogateur, je la jaugeais du regard. Une grande brune indéniablement gâtée par la nature dont la plastique plantureuse n’avait rien à envier à la plupart des modèles qui faisaient la couverture des magazines de mode : jambes interminables, taille de guêpe mais poitrine généreuse, sourire éclatant et de jolis yeux bleus. Mais tout ce que je voyais, c’était que le bleu de ses yeux ne serait jamais aussi perçant que celui du regard de Ryleigh. Et voilà qu’à nouveau ce maudit prénom me résonnait entre les oreilles. Ryleigh, mon enfer personnel. Et si j’avais envisagé un temps de ramener Nancy jusqu’à la villa pour finir la nuit en espérant que le contact de sa peau chaude me ferait oublier la quantité de problèmes qui me pesaient sur les épaules, il n’en était désormais plus question. Pas plus tôt qu’une semaine auparavant, par ego et en suivant le même schéma que ce soir, j’avais essuyé une humiliation qui tenait dans le top trois des déconvenues les plus cuisantes de ma vie. J’étais malade rien qu’à songer au pouvoir que l'anglaise exerçait sur moi. Car si, non seulement Ryleigh avait eu le culot de refuser mes avances, en réapparaissant dans ma vie, elle m’avait également retiré mon attrait pour les femmes et mes talents de séducteurs. Ainsi, quand ce n’était pas ma libido qui me faisait défaut, c’était mon corps qui m’abandonnait. Résigné, je sortais de mon portefeuille un billet et je le tendais à la demoiselle : « Pour que tu puisses rentrer chez toi. » décrochais-je sans plus d’explications, quand de toute façon mon air fermé et mon regard dur parlaient pour moi. « Mais t’es sérieux là ? » s’offusquait-elle en se relevant brusquement. « Pauvre type ! » Et je la regardais disparaître dans une tornade de cheveux bruns, non sans avoir oublié de récupérer le billet que je lui avais destiné. Depuis le carré réservé à la clientèle privilégiée de l'établissement, je faisais un bref signe de tête à Seung-Jin que j’apercevais sur la piste, avant de m’éclipser à mon tour. La démarche se voulant sûre et déterminée, je faisais le choix de rentrer jusqu’à chez moi à pied. Les vapeurs d’alcool imbibaient mon cerveau, rendant mes pensées encore plus confuses qu’à l’accoutumée. Et la cigarette que je m’allumais sur le chemin n’améliorait en rien mon état. C’était le retour, un peu raté, du Charlie fêtard qui écumait les clubs privés jusqu’à pas d’heure. Ce Charlie qui, lorsqu’il n’était pas en charge de son neveu ou occupé à travailler dans les locaux d’ABC, tentait de s’oublier dans le fond d’un (ou plusieurs) verres de Whisky. C’était là le seul moyen que j’avais trouvé pour éviter Maura, pour m’en tenir aux politesses avec Gauthier et pour ne pas me fustiger trop mentalement de laisser Ryleigh me mener par le bout du nez. Alors que mes pas hésitants me guidaient sur le trajet de la villa, je me rendais compte que mon envie de rentrer s’était évanouie. J’étais lassé de l’ambiance délétère qui régnait dans la villa, cette hypocrisie qui régissait chacun de mes rapports avec mes aînés. J’étais sur la sellette, conscient qu’à tout instant je pouvais dire le mot de trop, celui qui précipiterait toute la fratrie vers le point de non-retour. C'était purement par égard pour Théo, son fils et Connor, que je me taisais mais je n’en pensais pas moins. J’étais fatigué de tous ces faux-semblans et pourtant, je ne pouvais en parler à personne. Parce que Charlie Hazard-Perry ne se confiait pas, ça non, plutôt mourir. Sans être réellement conscient ce que mon cerveau dictait à mes jambes, je me rendais compte que j’avais déjà passé la rue dans laquelle se trouvait la villa et lorsque mon cerveau reprenait ses droits, je me trouvais face au numéro 206. Immeuble de haut standing dans lequel seuls les plus privilégiés de ce monde pouvaient espérer loger. Je soupirais, agacé par moi-même, conscient que compte tenu de mon taux d’alcool dans le sang, c’était certainement encore une plus mauvaise idée que ça ne l’était de base. Mais pourtant, comme à l’extérieur de mon propre corps, je m’observais entrer, saluer le concierge en lui demandant de bien vouloir me laisser accéder à l’appartement de Ryleigh Egerton. « Laissez-moi lui signaler votre présence, Monsieur… ? » qu’il répondait, l’air pas vraiment convaincu. « Hazard-Perry. » lâchais-je d’une voix rauque d’avoir trop fumé. Sans réellement savoir comment les choses s’étaient déroulées et sans avoir la moindre notion de temps, je me retrouvais devant la porte de l’appartement de Ryleigh, mon binôme Egertonien. Je toquais à la porte, incapable d’écouter cette voix qui me criait de fuir tant que je le pouvais encore. Mais la porte s’ouvrait, la jeune femme dans l’encadrement, qui me lançait un drôle de regard. Nul doute que la vision de ma personne devant chez elle, baignant dans un cocktail olfactif des plus douteux entre la sueur, l’alcool et le tabac froid, les cheveux ébouriffés et les premiers boutons de ma chemise défaits, il y avait de quoi se poser des questions. « En toute honnêteté, je ne sais pas trop ce que je fais ici. » confessais-je dans un haussement d’épaules. S’en suivait un duel de regards qui me semblait durer une éternité. « Tu comptes me laisser poireauter toute la soirée comme ça, Egerton ? » Mes yeux quittaient les siens pour l’observer à mon tour et un détail attirait aussitôt mon attention : « Tiens, c’est justement ce qu’il me faut. » lâchais-je avec un petit sourire en coin, désignant de l’index la bouteille de Vodka qu’elle tenait dans sa main. Forçant légèrement le passage chez la demoiselle, je pénétrais dans sa demeure avant de me retourner vers elle : « Pareil accueil, je suis touché, je dois bien l’avouer. » raillais-je, conscient que sa verve sans pareille ne tarderait pas à me rabattre le caquet.
Il est peut-être une heure du matin quand Charlie décide d'aller se coucher. N'ayant pas eu de nouvelles de Maura qui devait passer la soirée avec ses frères et sœurs, elle suppose -optimiste- que tout s'est bien passé, que Gauthier a su montrer un peu d'intérêt, que Charlie a réussi à ne pas foutre les pieds dans le plat, que Théo a été attentive et que Connor n'a pas envenimé la situation en accusant Charlie de tous les malheurs du monde. Ryleigh sait qu'elle se fait des illusions, pour avoir assisté à suffisamment de dîners entre les deux fratries, elle sait bien qu'avec les bombes que chacun des enfants Hazard-Perry a dans son arsenal, ils ne sont pas près d'avoir des relations apaisées, à moins que Gauthier ne soit en charge de l'ambiance, il est capable de se mettre de telles oeillères qu'il finirait par convaincre Ryleigh que tout va bien entre eux. Distraite par ses pensées, elle se rend compte qu'elle n'a pas lu une seule page de son livre depuis un petit quart d'heure. L'inquiétude qui la tenaille au cœur, entre les tensions chez les Hazard-Perry et le cancer top secret de sa meilleure amie, ne l'aident pas à trouver le sommeil des justes. Se connaissant et sachant pertinemment qu'elle n'arrivera pas à dormir tant qu'elle n'aura pas des nouvelles de Maura, Ryleigh lui envoie un bref -Tell me you're ok. par sms. La réponse se fait attendre, mais pas longtemps. L'interphone sonne et Ryleigh s'extirpe de son canapé pour répondre. « Miss Egerton, désolé de vous déranger, je sais qu'il est tard mais quelqu'un... Hazard-Perry, veut vous voir. » la voix du concierge est rassurante, presque protectrice. Il fait son boulot avec une dévotion à l'art d'être concierge qui force le respect même des plus ingrats. Ryleigh ne l'est pas, ingrate, au contraire, elle apprécie celui qui lui dit bonjour chaque matin, s'occupe de gérer son appartement quand elle n'est pas là, filtre les arrivants. Bien sûr le concierge aurait dû laisser monter Maura sans même lui imposer le coup d'interphone, c'est Maura, il sait qu'elle est autorisée à monter et qu'elle ne représente aucun danger. Mais minuit est venu et reparti, emportant avec lui le droit à personne, y compris Maura, d'accéder aux appartements sans avoir à sauter à travers les cerceaux. « Merci Robert, j'attendais de ses nouvelles, ouvrez l'ascenseur. Bonne soirée. » explique-t-elle pour apaiser la conscience du concierge, qui déteste déranger les habitants de l'immeuble de nuit, trop consciencieux de leur sommeil. « Très bien Miss Egerton. Bonne soirée à vous. » Le petit clic sonore est suivi de l'habituel grésillement annonçant que la ligne a été coupée. En dépit d'un soulagement instantané, savoir que Maura est là implique aussi que quelque chose ne s'est pas passé comme elle l'espérait. Ryleigh s'en veut de penser immédiatement à une rechute. Mais Maura ne viendrait pas à une heure du matin pour parler de sa santé. Attrapant une bouteille de vodka, car elle a le sentiment qu'elles vont en avoir bien besoin, Ryleigh ouvre la porte une fois que la sonnette retentit. Si Ryleigh n'avait pas été éduquée à maintenir une pokerface, sa mâchoire aurait percuté le sol à cet instant. Charlie se tient dans le couloir, beau comme un Dieu, bourré comme un coing. « En toute honnêteté, je ne sais pas trop ce que je fais ici. » qu'il balance désinvolte, ramenant la Londonienne à la réalité. « Moi non plus. » souffle-t-elle presque irritée de le voir. Il passe son temps à l'éviter -sans mettre d'effort pour rendre cette entreprise discrète- et voilà qu'il débarque sur le palier de sa porte. « Tu comptes me laisser poireauter toute la soirée comme ça, Egerton ? » Oui. Enfin non. Elle veut lui fermer la porte au nez et retourner au roman sur lequel elle n'arrive pas à se concentrer. Mais parce qu'elle est bien élevée, elle s'écarte et motionne pour lui d'entrer. « Tiens, c’est justement ce qu’il me faut. » continue-t-il en pointant du doigt la bouteille de vodka. « Clairement... » Charlie laisse dans son passage une odeur qui fait frissonner la brune. Un mélange d'alcool, de tabac froid, de sueur et de parfum de pouffiasse acheté en supermarché. Le genre de parfum avec un lapin vêtu d'un nœud papillon qui sent le lilas et le sucre candy. « Pareil accueil, je suis touché, je dois bien l’avouer. » fait-il, apparemment incapable de se taire. Une nouveauté pour Ryleigh qui peut compter sur les doigts d'une main les conversations qu'ils ont eu et durant lesquelles Charlie a été aussi bavard. « À quoi tu t'attendais ? » répond-elle en fermant la porte et se dirigeant vers le bar pour se servir un verre. Elle va en avoir bien besoin. « Qu'est-ce que tu fais ici, Charlie ? » lâche-t-elle sans plus attendre. Les préliminaires sont finis, l'heure est venue de rentrer dans le vif du sujet. Sirotant une gorgée de vodka pure -pas sa boisson préférée mais l'une des plus efficaces pour calmer ses nerfs- Ryleigh attrape un verre d'eau. « Tiens, commence à décuver, j'aurai pas de conversation avec toi tant que tu ne seras pas capable d'aligner deux mots sans bafouiller. La salle de bain est au bout du couloir si tu as besoin de vomir. » Elle exagère un peu, il n'est pas non plus dans un état de décomposition aussi avancée que Ryleigh le prétend, mais ça l'aide de se dire que Charlie est torché. Et puis c'est une piqûre de rappel de la première fois qu'ils ont fait un raid dans la cave de son père et qu'ils ont fini par vomir toute la soirée... S'asseyant en face de lui, Ryleigh contemple la situation. On dit que la vérité est dans le vin et le fait que, lorsqu'il est enivré, Charlie se présente au pas de sa porte est un bon signe, un signe que les efforts qu'elle a fourni à rabibocher leur relation commencent à porter leurs fruits. Peut-être qu'après ce soir tout sera à reconstruire parce que l'alcool aidant, Charlie aura enfin le courage de lui balancer les horreurs qu'il pense à la gueule, mais c'est un risque à prendre.
J'ai envie de revoir ton visage. C'est tout. C'est comme les gens qui retournent dans le village où ils ont passé leur enfance ou dans la maison de leurs parents ou vers n'importe quel endroit qui a marqué leur vie. C'est comme un pèlerinage. A croire que ton visage est un endroit qui a marqué ma vie.
ryleigh & charlie
Sans savoir ce qui m’avait guidé jusqu’ici, les faits étaient néanmoins là : je me trouvais devant chez Ryleigh, à une heure avancée de la nuit, alors que je n’étais même pas en toute possession de mes moyens, les pensées annihilées par l’effet de l’alcool sur mon cerveau. Et elle semblait aussi surprise que moi de me trouver devant chez elle, ce qui n’avait rien d’étonnant quand on songeait que je m’appliquais depuis plusieurs moi à l’éviter. Elle me laissait néanmoins l’accès à sa demeure et d’un pas qui se voulait totalement assuré et stable, je pénétrais dans son appartement, non sans mentionner que je ne dirais pas non à un petit verre de la Vodka qu’elle tenait à la main. Grandement aidé par l’alcool qui coulait dans mes veines, je comblais le silence pesant qui régnait entre la belle brune et moi, une fois n’était pas coutume. J’en profitais pour railler son absence d’enthousiasme à l’idée d’accueillir en ces murs un Charlie Hazard-Perry pour le moins éméché. « À quoi tu t'attendais ? » répliquait-elle sèchement. Et je ne répondais même pas, trop occupé à observer la pièce dans laquelle je me trouvais et que je découvrais pour la première fois. C’était décoré dans un style tout à fait cohérent avec la demoiselle, avec goût et élégance, tout en laissant une large place pour l’art, au vu des différentes toiles qui habillaient les murs. Face à mon absence de réponse cependant, Ryleigh m’interpellait de nouveau, non sans avoir bu une gorgée du verre qu’elle venait de se servir : « Qu'est-ce que tu fais ici, Charlie ? » Je me tournais alors vers elle, mon regard venant trouver le sien alors que j’haussais les épaules avec désinvolture. Je l’avais prévenue dès les premières secondes de notre entrevue, ma venue ici était un mystère tant pour elle que pour moi. Mais à bien y songer, c’était un peu effrayant de songer que la possibilité de retrouver Ryleigh me repoussait moins que celle de rentrer chez moi pour y retrouver Gauthier et ses secrets. Quand bien même je mettais potentiellement le doigt sur mes motivations de la soirée, je préférais observer le silence à ce propos. Si autrefois Ryleigh était l’oreille à laquelle je me confiais (lorsque cela me prenait – à peu près une fois tous les trente-six du moi donc), elle avait perdu ce droit en me tournant le dos à Oxford pour ce pauvre type. Et face à mon silence de plomb, l’anglaise s’impatientait légèrement. « Tiens, commence à décuver, j'aurai pas de conversation avec toi tant que tu ne seras pas capable d'aligner deux mots sans bafouiller. La salle de bain est au bout du couloir si tu as besoin de vomir. » m’indiquait-elle. « T’en ferais pas des caisses, à tout hasard ? » m’agaçais-je un peu, en arquant un sourcil. Dire que j’étais sobre était sûrement un gros mensonge et rien qu’à respirer mon haleine, j’étais à peu près que n’importe qui aurait été alcoolisé. Néanmoins, j’étais loin d’en être à mon coup d’essai. J’avais fait mes classes avec la demoiselle, passant des soirées à boire l’alcool que nos parents espéraient tenir hors de notre portée. Et je n’avais fait que m’entraîner d’autant plus fort une fois admis à Oxford. Si mes idées étaient loin d’être les plus claires, je n’en étais pas encore au point de devoir vomir. « Mais maintenant que tu le mentionnes, j’utiliserai bien la salle de bain. » Je souriais en coin, amusé, prenant la direction de ladite pièce sous le regard de Ryleigh. « Pour soulager un besoin naturel, je préfère préciser avant que tu ne te fasses des idées. » précisais-je avant de disparaitre dans le couloir. Une fois dans la salle de bain, je me laissais aller à alléger ma vessie des quantités de Whisky que je lui avais imposé, avant de me laver les mains. Face à mon reflet dans le miroir, force était de constater qu’en effet, je n’avais pas l’air hyper frais et je remarquais même une marque de rouge à lèvre dans mon cou. Me passant un peu d’eau sur le visage dans l’espoir de me remettre les idées en place, je n’oubliais pas de retirer toute trace de passage d’une demoiselle à mes côtés avant de rejoindre Ryleigh dans le salon. « Si ce n’était pas à moi que tu destinais pareil accueil, avec qui comptais-tu boire cette bouteille ? » demandais-je à la brune, en ne pouvant empêcher une certaine jalousie de s’insinuer en moi. L’idée même de savoir qu’elle avait prévu de passer la soirée avec un autre homme me rendait fou. Je m’approchais d’elle avant de m’asseoir sur le canapé qui se trouvait juste là. « C’est pas toi qui voulait qu’on renoue nos liens ? » répliquais-je finalement avec une pointe d’agacement dans la voix. C’était elle qui me menait à la baguette depuis son retour, qui m’attirait dans ces rendez-vous pour qu’on reprenne contact. Pour une fois que je ne me faisais pas prier pour la voir, j’aurai cru qu’elle ferait au moins semblant d’être satisfaite de me voir. « J’aurai pensé qu’on aurait pu finir nos soirées comme à l’époque, tous les deux autour d’une bonne bouteille. » C’était là une envie sincère que j’exprimais, conscient que sans alcool dans le sang je ne me serai jamais laissé aller à pareille confession. « Mais si tu attends quelqu’un d’autre, je peux m’en aller. Je suis sûr que Debra est encore debout et qu’elle concédera à boire quelques verres en ma compagnie. » Je parlais plus à moi-même qu’à Ryleigh. Et si je n’avais pas la moindre envie de rester seul ce soir, j’avais encore assez de fierté pour ne pas m’imposer à quelqu’un qui ne souhaitait pas de ma compagnie. « J’arrive pas à te suivre, Ryleigh. » Comme à chaque fois que je prononçais son prénom, les cheveux qui se trouvaient sur ma nuque se dressaient alors qu’un étrange frisson parcourait mon corps. J’étais face à ma kryptonite et je prenais soudainement conscience que je venais sûrement de faire une grosse bêtise en venant traîner ma carcasse jusqu’ici. « Tu sais quoi ? Oublie, j’suis fatigué de tout ça. J’ai vraiment pas l’énergie de me battre avec toi en ce moment. » Je me redressais. Si dans mon attitude, n’importe qui qui ne me connaissait pas réellement n’aurait pas su déceler les signes avant-coureur de mon état d’ivresse, la jeune femme pour sûr ne devait pas en louper une miette : entre mon attitude étrangement loquace et mon indécision, moi qui maintenait souvent un silence quasiment religieux et une attitude désinvolte, cela ne laissait pas place au doute.
« T’en ferais pas des caisses, à tout hasard ? » lance-t-il désinvolte et clairement pas conscient de la gueule qu'il tire. L'alcool a toujours eu ça de beau qu'il agit comme un filtre les protégeant de la réalité. Ryleigh ne connaît cette sensation grisante que trop bien. Ce sentiment de planer dans un nuage molletonneux. « Tu ne t'es pas vu dans un miroir. » souffle-t-elle en haussant les épaules d'un air qui relève tout à la fois de la constenation et de l'amusement. « Mais maintenant que tu le mentionnes, j’utiliserai bien la salle de bain. » fait-il avant d'ajouter en se levant d'un pas qui se veut probablement décidé mais qui a des airs de titubation d'un soldat blessé à l'aine. « Pour soulager un besoin naturel, je préfère préciser avant que tu ne te fasses des idées. »« Whatever... » soupire Ryleigh, maintenant vraiment dépitée par la tournure que prennent les événements. Charlie a changé et elle n'est pas sûre que ce soit en bien. En le voyant disparaître dans le couloir tel un ivrogne fini, elle ne peut s'empêcher de repenser à l'adolescent plein de vie qu'il était. Le bruit de la porte de la salle de bain qui se referme sans aucune délicatesse -alors qu'il a sûrement l'impression d'avoir pris grand soin d'être délicat- la fait sursauter. Charlie est un poison qui la renvoie à son enfance, une douce substance addictive dont elle a appris à se passer avec le temps et à laquelle elle réapprend à être dépendante. Une connerie d'envergure, à la hauteur de leur égo. Incapable de rester en place plus longtemps, elle se lève et jette ses spinelles dans le reflet du miroir, brosse ses cheveux d'une main distraite, parce qu'on ne se montre pas à un garçon sans être décemment coiffée et puis retourne s'asseoir, se sentant idiote de le considérer autrement que comme un intrus. « Si ce n’était pas à moi que tu destinais pareil accueil, avec qui comptais-tu boire cette bouteille ? » lâche-t-il avec dans la voix une once d'émotion que Ryleigh ne saurait identifier, elle a perdu l'habitude de le lire, mais qu'elle jugerait être de l'agacement ou de la désapprobation. Rien d'exceptionnel quand on sait qu'à une époque il la tenait en haute estime et qu'il doit toujours se dire qu'elle est trop bien élevée pour qu'une visite masculine à cette heure de la nuit ne soit appropriée. Ça arrache un sourire à la brune qui savoure son effet, soupèse l'option de lui dire qu'elle espérait voir Maura débarquer avant de trancher en faveur d'une réponse plus... joueuse ? Plus vicieuse ? Moins consensuelle ? Qui ne lui vaudra clairement pas ses applaudissements mais qui amuse Ryleigh bien davantage. « Un ami, mais tu n'as pas à t'inquiéter de le voir débarquer, je lui ai dit de venir demain soir puisque j'ai un invité de dernière minute... » ment-elle, pariant sur le fait qu'il ait autant oublié comment lire ses mensonges qu'elle n'a perdu la main à décrypter ses humeurs. Mais le connaissant et voyant la vitesse à laquelle il a sauté sur la conclusion qu'elle attendait « quelqu'un » et le ton réprobateur que la question portait en son sein, elle est prête à parier sur le fait que l'alcool aveuglera le jugement de Charlie, au moins pour cette fois. « C’est pas toi qui voulais qu’on renoue nos liens ? » continue-t-il presque irrité de la voir un peu froide. L'injustice de la situation la cloue sur place. Charlie a toujours su comment se montrer injuste, à commencer par le jour où il a décidé qu'il boudait parce qu'elle avait mangé la dernière part de gâteau au chocolat -alors qu'elle était pour elle- et à finir par le jour où il a choisi de couper court à toute communication avec elle parce qu'elle a refusé ses avances. « C'est pas toi qui fuyais à chaque fois que j'essayais de te voir ? » répond-elle d'un ton si détaché qu'il annonce la tempête. Ryleigh maîtrise ses émotions d'une main de fer, jusqu'à ce qu'elles lui échappent et emportent sur leur passage les meubles, les murs de la maison et les relations. « J’aurais pensé qu’on aurait pu finir nos soirées comme à l’époque, tous les deux autour d’une bonne bouteille. » Elle déteste l'admettre mais l'idée est séduisante, d'autant qu'elle représente un pas dans la bonne direction pour eux. Une première étape dans la reconstruction d'une relation saine qui permettra à Ryleigh de ne plus se sentir aussi bancale. « Mais si tu attends quelqu’un d’autre, je peux m’en aller. Je suis sûr que Debra est encore debout et qu’elle concédera à boire quelques verres en ma compagnie. » La douche froide. La mention de la brune incendiaire jette sur le corps de Ryleigh un torrent de colère glacée. Elle ne sait pas exactement ce que Charlie trouve à cette nana, en dehors de sa taille de guêpe et de ses attraits physiques. Peut-être qu'elle doit se rendre à l'évidence que c'est tout ce que Charlie recherche chez une femme maintenant qu'il a grandi et qu'il a vu le monde à travers le filtre déformant de la fortune de papa maman. Ryleigh n'a pas besoin de mettre de mot sur ce sentiment. Cette jalousie viscérale qui la tenaille quand le sujet de Debra est mis sur le tapis. La pimbêche a tout ce que Ryleigh avait jadis. Une place chez les Hazard-Perry, l'oreille de Charlie à tout moment, la sécurité de savoir qu'il tient à elle au point de la loger. Quand on sait qu'aujourd'hui Ryleigh s'estimerait heureuse si Charlie ne changeait pas de trottoir en l'apercevant dans la rue, il n'est pas difficile de comprendre pourquoi elle voue un mépris sans borne à la parasite de la villa Hazard-Perry. Ça et le fait qu'elle manque cruellement de classe et de statut. « J'allais proposer d'ouvrir une bouteille de Château Pétrus 1979, mais tu peux toujours aller boire avec ta Debra... elle a à peu près l'âge de la bouteille, même si elle en a probablement pas la qualité. » Ou la valeur marchande... quoiqu'en y réfléchissant bien, Debra devrait pouvoir tirer une petite fortune de ce qu'elle a entre les jambes maintenant qu'elle a eu le temps de se remettre de son accouchement. Ryleigh s'en veut presque de penser quelque chose d'aussi moche, mais pour sa défense, Charlie l'a poussée. « J’arrive pas à te suivre, Ryleigh. » dit-il mélodramatique avant de continuer en faisant mine de se barrer. « Tu sais quoi ? Oublie, j’suis fatigué de tout ça. J’ai vraiment pas l’énergie de me battre avec toi en ce moment. » Elle hausse les yeux au ciel et lâche, autoritaire : « Charlie, arrête ton char et pose ton cul dans ce canapé. » Puisqu'elle a promis un Château Pétrus, elle va délivrer et ce même si elle n'est pas convaincu qu'il soit en état de l'apprécier plus qu'une bouteille de piquette achetée dans une épicerie de nuit par des adolescents à la recherche d'un peu d'excitation. « Ne le prends pas mal, je suis contente que tu sois là, en dépit de l'état dans lequel tu t'es pointé, mais si t'es là parce que t'as commis un crime et que tu cherches un endroit où te cacher je préfèrerais que tu me le dises, histoire que je contacte Maxwell Wesninski. » ironise-t-elle, cherchant à détendre une atmosphère un peu trop électrique. Dire qu'à une époque ils pouvaient passer des heures ensemble à parler ou à ne pas parler, sans que la moindre gêne ne s'installe et aujourd'hui, être dans la même pièce est presque inconfortable. Quel gâchis ! « Tu buvais pour oublier quoi ce soir ? » demande-t-elle en lui servant un autre verre d'eau et lui tendant la bouteille légèrement poussiéreuse d'un des plus grands domaines viticoles français. Elle a bien une idée de ce qui a causé son ébriété, mais elle feindra l'ignorance jusqu'à ce qu'il crache le morceau... En attendant, Ryleigh décide de profiter de l'état alcoolémie avancé de son... de Charlie pour aller à la pèche aux informations. « Je peux te poser une question dont j'attends la réponse depuis un moment ? » lance-t-elle une fois que le bouchon en liège a été libéré, que deux verres ont été versés et que la bouteille est en sécurité, hors de portée d'un Charlie bourré. C'est la dernière chance que le jeune homme a de s'en tirer sans que la conversation ne devienne délicate et parce qu'elle est d'humeur généreuse elle acceptera qu'il lui refuse ça, pour ce soir.
J'ai envie de revoir ton visage. C'est tout. C'est comme les gens qui retournent dans le village où ils ont passé leur enfance ou dans la maison de leurs parents ou vers n'importe quel endroit qui a marqué leur vie. C'est comme un pèlerinage. A croire que ton visage est un endroit qui a marqué ma vie.
ryleigh & charlie
Après m’être rafraichi la tête et l’esprit dans la salle de bain (et avoir affronté mon reflet dans le miroir qui n’était, en effet, pas des plus reluisants), je revenais honorer l’Egerton de ma présence qu’elle semblait apprécier à sa juste valeur – hum. A peine avais-je traversé le couloir, les pensées à peine moins confuses que quelques instants plus tôt, que je ne pouvais m’empêcher de me demander quels avaient été les projets de la demoiselle avant que je ne vienne les interrompre à grand fracas en pointant inopinément le bout de mon nez chez elle. Malgré le ton détaché que je voulais adopter, je pouvais moi-même sentir cette pointe de jalousie dans mes propos. Et la réponse de Ryleigh n’apaisait en rien ce sentiment désagréable qui m’oppressait la poitrine. Ça me tuait à chaque fois un petit peu plus d’imaginer qu’un autre pouvait bénéficier de ce que j’avais convoité toute ma vie, sans que je ne puisse rien y faire. « Un ami, mais tu n'as pas à t'inquiéter de le voir débarquer, je lui ai dit de venir demain soir puisque j'ai un invité de dernière minute... » C’était un coup à la gorge qui me coupait presque le souffle sur le coup. Et aussitôt mon esprit pourtant endormi par les vapeurs d’alcool s’emballait, imaginant des scènes que je n’avais jamais envie de voir : Ryleigh nue, haletante, avec un autre homme. Et si c’était une nouvelle des plus déconcertantes pour moi (bien que n’ayant rien de véritablement étonnant puisqu’elle était libre de ses agissements), je gardais une expression de totale indifférence, me contentant de serrer la mâchoire. « Je suis presque désolé d’interrompre une si bonne soirée en perspective. » lâchais-je, plus froidement que je ne l’aurais voulu. La sècheresse de mes paroles ne faisait qu’attester qu’elle m’avait touché, qu’une fois de plus je me laissais avoir par son petit jeu. J’avais espéré pendant cinq ans tout oublier de la jeune femme, ne plus rien ressentir à son égard. Mais visiblement, même avec toute la bonne volonté du monde, on n’effaçait pas dix-huit de cohabitation étroite si facilement, à mon plus grand dam. Agacé par cette révélation que je l’avais poussé à faire (me maudissant intérieurement de ne pas avoir su tenir ma langue), je décidais de changer légèrement de sujet en m’attaquant à sa mauvaise humeur générale alors que c’était elle qui était venue me trouver plusieurs semaines auparavant dans l’espoir de rétablir la communication entre nous. « C'est pas toi qui fuyais à chaque fois que j'essayais de te voir ? » Elle me renvoyait la balle avec rapidité et je souriais un peu en coin, constatant qu’elle marquait de toute évidence un point. Grandement aidé par ma désinhibition à coup de whisky, j’évoquais alors quelque chose dont je ne parlais : ce passé révolu où nous étions un duo inséparable, toujours prêt à faire les quatre cents coups, surtout lorsqu’il était question de vider les réserves d’alcool de nos parents pour égayer nos fins de soirées. Mais comme si je ne pouvais pas rester sur un tel aveu de faiblesse, je me sentais obligé de faire mention de Debra (à moins que ça ne soit que justice rendue pour l’évocation de cet homme qu’elle attendait à ma place), proposant de la débarrasser de ma compagnie indésirable pour aller plutôt importuner ma meilleure amie (que Ryleigh, pour une raison qui m’échappait totalement, ne pouvait pas voir en peinture). « J'allais proposer d'ouvrir une bouteille de Château Pétrus 1979, mais tu peux toujours aller boire avec ta Debra... Elle a à peu près l'âge de la bouteille, même si elle en a probablement pas la qualité. » répliquait-elle avec un ton glacial que je ne lui connaissais que trop bien. Cette fois-ci cependant, je ne me privais pas d’afficher mon désaccord et mon agacement. Ce n’était pas tant le fait que l’anglaise ait le culot de prétendre que Debra s’approchait de la quarantaine (quand on songeait qu’elle acceptait à peine l’idée d’en avoir trente cette année), mais la remarque concernant la qualité de l’irlandaise qui m’irritait. Ryleigh avait perdu le droit de juger mes fréquentations le jour où elle m’avait laissé tomber, pour se tourner vers un autre. Si Debra n’avait jamais vraiment fait partie de ma vie quotidiennement lorsque j’étais à Londres, les choses avaient bien changés ici. Nous avions surmonté des épreuves à deux qui avaient renforcé nos liens plus que jamais. « Ne commence pas. » la menaçais-je alors, sèchement. Je n’avais pas envie de rentrer dans un conflit avec Ryleigh au sujet de ma meilleure amie. La place de Debra dans ma vie était définie, attribuée sans que quiconque ne puisse prétendre la déloger. Pas même Ryleigh. Parce que cette dernière n’avait jamais été ma meilleure amie à proprement parler. Elle avait été une sœur ou une cousine très proche, puis mon premier amour (mon seul pour être tout à fait honnête avec moi-même). Elles ne jouaient tout simplement pas dans la même cour. Mais je n’étais pas prêt à tolérer les remarques désobligeantes de l’anglaise concernant ma meilleure amie, parce que ces dernières années c’était Deborah qui s’était trouvée à mes côtés. Tombait alors de ma bouche un aveu sincère. Je ne comprenais pas ce que la belle brune attendait de moi et j’étais fatigué de tout ça. Ma vie échappait suffisamment à tout contrôle sans que je n’ai besoin que l’anglaise ne vienne ajouter son grain de sel, sa présence à mes côtés étant déjà une épreuve en soi. Théâtral, comme je savais bien l’être parfois, j’avais fait mine de vouloir partir, pas vraiment capable de dire si c’était vrai ou non mais elle m’avait retenu de son ton autoritaire, qu’elle seule osait employer avec moi pour me tenir tête : « Charlie, arrête ton char et pose ton cul dans ce canapé. » Je la jaugeais du regard, sévère avant de me radoucir un peu pour lui obéir sans un mot de plus, m’installant à nouveau sur le canapé dont le confort était appréciable. « Ne le prends pas mal, je suis contente que tu sois là, en dépit de l'état dans lequel tu t'es pointé, mais si t'es là parce que t'as commis un crime et que tu cherches un endroit où te cacher je préfèrerais que tu me le dises, histoire que je contacte Maxwell Wesninski. » Et contre mon gré, un petit rire m’avait échappé. « En toute honnêteté, venir me cacher chez toi ne serait pas le plus judicieux des choix quand il est dit partout dans la presse depuis des années que nos parents sont comme cul et chemise… » relevais-je avec un petit sourire en coin, prenant désormais mes aises sur le canapé, étirant mes bras de chaque côté sur le dossier, en la regardant avec une certaine étincelle de malice dans les yeux. L’alliance des empires Hazard-Perry et Egerton n’avait échappé à personne, poussant d’autant plus nos parents à vouloir unir au moins une paire de leurs progénitures. Et quand on regardait ce que cela avait donné avec Drew et Maura et le duo que je constituais avec Ryleigh, rien n’était moins sûr que la probabilité qu’une réelle fusion arrive un jour. « Tu buvais pour oublier quoi ce soir ? » Sautant visiblement sur l’occasion de me voir un peu mois réticent à discuter avec elle, elle enchainait. Un air faussement courroucé s’affichait alors sur mes traits : « Qu’est-ce qui te dit que je buvais pour oublier quoi que ce soit ? » J’espérais la distraire, détourner son attention vers autre chose, pas encore réellement prêt à me laisser aller à une quelconque confession. Pourtant, je le savais, j’avais besoin de parler, de vider mon sac. La situation au sein de la villa se dégradait de jour en jour, j’évitais mes frères et sœurs avec application dans l’espoir d’éviter tout affrontement et règlement de compte. Et si j’avais très vaguement évoqué le problème auprès de Tad et Debra qui devaient affronter mon humeur exécrable au quotidien, aucun d’eux ne pouvait comprendre aussi bien que Ryleigh les tensions qui agitaient ma fratrie. C’était ça le pire avec la jeune femme, je savais qu’elle me comprendrait toujours, quoi qu’il arrive, parce qu’elle était issue du même monde complètement détraqué que moi. Elle seule pouvait comprendre la pression que nous avions sur nos épaules depuis tout petits à entretenir l’image dorée de la famille et tout ce que cela impliquait. Profitant de mon silence, la jeune femme s’aventurait à me questionner, tout en ouvrant une bouteille de vin : « Je peux te poser une question dont j'attends la réponse depuis un moment ? » Je soupirais un peu, pas vraiment avec agacement ceci dit, avant de pincer légèrement les lèvres, mes yeux cherchant du regard le bleu des siens. « Tu peux toujours poser la question. On verra bien si je suis disposé à t'en donner la réponse. » répondis-je finalement avec un haussement d’épaules nonchalant. Je n’étais pas certain que cela soit dans mon intérêt d’accepter pareille requête, quand on songeait que je n’aimais pas réellement les questions personnelles. Néanmoins, j’étais curieux de savoir ce qui traversait l’esprit de la brune. Avec une patience dont je faisais rarement preuve, je la laissais formuler sa question, avant de décider si oui ou non je daignais y répondre. Et après qu’un léger silence se soit installé à nouveau entre nous, je craquais : « Il se pourrait que je n’ai pas bu que dans le but de passer une bonne soirée. », revenant aussitôt à la première question qu'elle m'avait posé. Je me sentais ridicule à m’aventurer sur ce terrain-là. J’étais Charlie Hazard-Perry bon sang de bois, depuis quand avais-je besoin de quiconque dans ma vie pour m’écouter m’étaler sur mes états d’âmes ? Et surtout depuis quand ma vie était devenue à ce point déséquilibrée pour que la personne la plus à même de le faire soit exactement celle que j’avais passé tant d’années à fuir comme la peste ? « C’est la merde dans le clan Hazard-Perry. » Rien que me voir employer un tel langage reflétait à quel point la situation était alarmante. En effet, sans trop savoir pourquoi mes parents et mon éducation continuaient d’avoir de l’influence à ce niveau, je ne jurais que rarement, évitant en général les grossièretés les plus courantes au profit d’injures un peu plus élevées et de répliques cinglantes bien plus efficaces. « Enfin, encore plus que d’habitude. » précisais-je avec un petit sourire en coin, un peu résigné. Et une petite voix au fond de moi espérait que Ryleigh ne s’était pas trompée sur mon état d’ivresse. Peut-être aurais-je tout oublié de cette soirée dès le lendemain matin ?
« Je suis presque désolé d’interrompre une si bonne soirée en perspective. » qu'il lâche d'un ton qui dit qu'il n'est même pas un peu déçu. Ryleigh aimerait être étonnée mais au lieu de ça elle est agréablement surprise. Agréablement surprise de voir qu'elle est encore capable de l'agacer par la simple mention d'un autre gars. Les deux possibilités qui s'affrontent sont tantôt plaisantes tantôt attristantes. La première veut qu'au fond il tient suffisamment à elle pour être possessif, presque territorial. La seconde, beaucoup moins agréable, tendrait à prouver qu'il la déteste de façon tellement intrinsèque que la simple idée qu'elle construise quelque chose avec quelqu'un l'irrite parce qu'il veut qu'elle soit malheureuse, à jamais célibataire, une nonne des temps modernes. « Alors, tu trouveras le moyen de te faire presque pardonner. » ironise-t-elle, pas prête à démordre de ce petit mensonge qu'elle a lancé dans les airs pour tester sa réponse. La passivité, la lassitude, la mollesse et même pire, la résignation qui semblent habiter le corps de Charlie et l'enfoncer dans le canapé la feraient presque frémir. Mais quand elle tacle Debra dans un moment de hargne difficilement contrôlée, elle voit se propager en lui une tension, un regain d'énergie et de conviction, signe qu'il n'a pas encore complètement perdu la prise qu'il a sur la réalité. « Ne commence pas. » gronde-t-il à la manière d'un parent réprobateur. Pas que Ryleigh saurait à quoi ressemblent des parents réprobateurs, d'abord parce qu'elle ne les a que rarement déçus et puis parce que la seule personne qui montrait suffisamment d'intérêt envers les enfants Egerton quand elle était enfant était la nourrice payée pour s'occuper des mômes en dehors des soirées mondaines et autres voyages. « Je n'ai même pas commencé. » minaude-t-elle presque contente d'avoir trouvé un point sensible. Que Debra soit un sujet aussi sensible sonne l'alarme que Ryleigh a fait en sorte de taire depuis qu'elle a appris l'existence de la brune. La crainte qu'il y ait quelque chose de plus que de l'amitié entre Charlie et cette fille. Une crainte purement basée sur l'inadéquation des deux partis. D'un coté Charlie qui en dépit de son caractère jouit tout de même d'un pedigree certain et de l'autre Debra qui lui semble relever plus d'une bâtarde. Pardonnez la métaphore. Il rebondit sur sa proposition de contacter un avocat -ignorant que l'avocat en question est un ex-petit-ami qu'elle a remercié pour ses bons et loyaux services lorsqu'elle a compris qu'il ne lui servait que de faire-valoir-. « En toute honnêteté, venir me cacher chez toi ne serait pas le plus judicieux des choix quand il est dit partout dans la presse depuis des années que nos parents sont comme cul et chemise… »Il dit vrai mais il oublie que les journaux à potins anglais intéressés dans la vie de l'élite londonienne ne sont pas passés à côté du froid entre les enfants de deux des fortunes de la ville. Probablement parce qu'une fois que les journaux ont commencé à parler de Maura et Drew, lui avait déjà fui vers l'Australie, ignorant donc l'humiliation qu'elle a subi lorsque les articles mentionnaient que « Charlie et Ryleigh, le duo que l'on voyait déjà marié, ne se serait pas parlé depuis des années ». Une réalité qu'elle a dû gérer seule, s'entichant d'un autre héritier pour détourner les conversations, jetant aux rares vautours qui osaient lui demander de vive-voix ce qu'il en était, qu'elle n'avait pas la moindre idée de ce dont ils parlaient ou, de façon bien plus bienséante, qu'elle souhaitait à Charlie tout le bonheur du monde en Australie... « Ça fait aussi presque neuf ans que ton nom n'a pas été associé au mien, paraîtrait qu'on n'est plus amis. » note-t-elle un peu amère. Il enchaîne sur une question rhétorique, de celles que Ryleigh trouve idiotes tant elles ne la trompent pas. Peut-être que le reste du monde se laisse avoir par l'apparent s'en-foutisme de Charlie, mais elle le connaît que trop bien, malgré les années de séparation. « Qu’est-ce qui te dit que je buvais pour oublier quoi que ce soit ? » « À d'autres. » répond-elle du tac au tac, sans prendre la peine de masque son irritation. Qu'il prenne le reste du monde pour des imbéciles, elle n'a pas le temps pour ça. Quand elle se décide à lui demander si elle peut poser une question qui lui brûle les lèvres depuis un moment il ne tarde pas à répondre : « Tu peux toujours poser la question. On verra bien si je suis disposé à t'en donner la réponse. » Évidemment, il ne va pas faire d'effort, ce serait trop en demander à Charlie que de respecter les codes des échanges sociaux sans sourciller. Non, au lieu de ça, il va jouer au chat et à la souris, comme lorsqu'ils avaient huit ans. Eux deux, à jamais coincés dans une guerre d'égo et d'endurance, adeptes du pas de deux et se retrouvant pourtant toujours à faire trois pas en arrière pour chaque pas fait en avant. Prenant son courage à deux mains, ou du moins à une main, l'autre tenant le verre de vin rouge avec une élégance qui cache la fermeté de sa poigne, Ryleigh décide de formuler sa question sans y glisser de reproche. C'est plus facile à dire qu'à faire, mais elle finit par se lancer. « Comment t'as réussi à me renier complètement du jour au lendemain sans sourciller ? » Les mots sortent de ses lèvres empreints d'une certaine tristesse, mais pas que, il y a là des années de questionnement, des nuits entières passées à retourner dans sa tête une situation qui avait échappé à son contrôle et durant laquelle Charlie avait pris les rennes pour s'enfuir avec le carrosse, la laissant au bord de la route à minuit, prête à se transformer en citrouille. S'accordant le temps de la réflexion et répondant à une question invisible, ou reprenant le cours de ses pensées là où l'alcool l'y autorise Charlie dit : « Il se pourrait que je n’ai pas bu que dans le but de passer une bonne soirée. » Pas impressionnée par le manque de conviction, Ryleigh se contente d'émettre un son se rapprochant d'un « hum hum » dubitatif qu'il interrompt à nouveau. « C’est la merde dans le clan Hazard-Perry. » râle-t-il d'un ton frustré qui tire presque du constat. Faut dire que ce serait se voiler la face que de dire qu'ils n'ont pas de problème, Ryleigh serait presque amusée par la déclaration. « When is it not ? » souffle-t-elle de façon inaudible dans son verre de vin rouge qui est un pur délice, trop bon -à vrai dire- pour être gâché sur un estomac vide sans une bon pièce de viande rouge pour l'accompagner et en meilleure compagnie. Et par meilleure compagnie elle entend soit un Charlie relativement sobre, soit quelqu'un d'autre tout simplement. « Enfin, encore plus que d’habitude. » ajoute-t-il, tirant à Ryleigh un haussement de sourcil. S'il y a bien une chose que les Egerton font moins bien que les Hazard-Perry, c'est le mélodrame. Là où les héritiers de l'empire hôtelier ont un sens inné du drame et des effusions de sang autour d'une table, les Egerton ont maîtrisé l'art de tout passer sous silence, on soulève le tapis, balaie la poussière et repose le tapis, espérant que jamais quelqu'un ne le soulève à nouveau. Est-ce plus efficace ? Pas vraiment. Ils ont autant de problèmes, leurs lignes de communications sont juste plus fermées. Gregory ne donne des nouvelles qu'une fois tous les deux mois pendant son tour du monde, Drew est absorbé par son travail et n'a de relations avec ses frères et sœur que pour les tenir au courant de ses progrès et Abbott... Abbott lui manque parce qu'il est le seul qui dépendait d'elle étant petit. Ils s'aiment tous les quatre, ils ont juste moins d'opportunité de se le montrer. Étrangement, quand Ryleigh y pense, les Egerton ont plus de connexions avec les Hazard-Perry qu'entre eux. C'est à contrecoeur qu'elle demande : « À cause de toi ? » Parce qu'elle le connaît et qu'elle sait intimement que même lorsqu'il essaie de s'entendre avec Gauthier et Maura, Charlie finit souvent par mettre les pieds dans le plat. Elle préfère imaginer que c'est Charlie qui a foiré plutôt qu'une conséquence de Maura lâchant la bombe de son cancer. Le genre de nouvelle qui annihilera les maigres progrès que Charlie et Maura ont fait et emportera dans le sillage de son souffle la relation de Charlie et Ryleigh. La loyauté a un prix et ce prix, elle le paiera avec le sourire des braves, ceux qui ont soutenu leur meilleure amie. Il comprendra, dans dix ans. C'est la période de gestation d'une idée chez Charlie, dix ans. Dix ans de silence de plus, elle aura trente-sept ans quand ils se reparleront, voilà qui lui donne envie de reprendre une bonne goulée de vin. « En dehors de Debra, personne à qui tu peux parler ? » Elle joue avec le feu et sait qu'elle peut se brûler, se renseigner aussi subtilement que ce soit de l'état des relations amoureuses de Charlie c'est courir le risque d'être ramenée à la réalité qu'il est passé à autre chose, à quelqu'un d'autre avant elle, qu'elle a perdu la course au rebond et qu'elle doit se sentir humiliée une fois de plus. Jolie perspective.
J'ai envie de revoir ton visage. C'est tout. C'est comme les gens qui retournent dans le village où ils ont passé leur enfance ou dans la maison de leurs parents ou vers n'importe quel endroit qui a marqué leur vie. C'est comme un pèlerinage. A croire que ton visage est un endroit qui a marqué ma vie.
ryleigh & charlie
J’étais agacé contre moi-même de m’être laissé aller à me montrer curieux quant aux fréquentations de la demoiselle. A quoi m’attendais-je après tout ? A l’époque où je lui avais fait part de mon envie de construire quelque chose avec elle et alors que nous nous entendions comme larrons en foire, elle n’avait déjà eu aucun scrupule à se tourner vers un autre. Il était évident qu’après presque neuf ans de guerre froide, Ryleigh n’allait pas rechigner à savourer la compagnie masculine maintenant que je n'étais plus dans les parages pour tenter de l'en empêcher. Pourtant la brûlure acide de cette jalousie que je n’assumais pas, était bel et bien là. L’imaginer en compagnie d’un autre continuait de piquer comme autrefois. Pourtant, j’affichais un détachement que je ne ressentais pas, pas certain néanmoins que la jeune femme ne saurait déceler dans mes micros expressions la preuve qu’elle avait réussi à m’atteindre « Alors, tu trouveras le moyen de te faire presque pardonner. » J’arquais alors un sourcil, pas vraiment certain de voir où elle venait en venir. Pris de cours, je décidais alors qu’observer le silence serait la meilleure des défenses, m’épargnant des déconvenues à venir. En présence de la brune, j’avais, en effet, tout intérêt à me taire. De toute façon, elle se lançait bien rapidement sur une pente savonneuse en taclant ma meilleure amie. Comportement qui n’était pas du tout à mon goût et je ne me privais pas de le lui faire savoir en la dissuadant de poursuivre. Si j’ignorais la nature profonde de ses griefs contre Debra, je savais en revanche que cela n’était pas fondé. De toute façon, je n’avais pas la moindre envie de me lancer à une heure pareille dans une vendetta pour sauvegarder l’honneur de l’irlandaise face à la verve piquante de l’anglaise. « Je n'ai même pas commencé. » répliquait-elle alors et je levais les yeux au ciel avec agacement. Sentant visiblement la tension s’installer entre nous, la jeune femme choisissait de changer de sujet, pour mon plus grand bonheur, évoquant la possibilité que j’ai besoin d’un avocat suite à mes agissements de la soirée. Cette idée me tirait un petit sourire en coin alors que je rappelais à Ryleigh que venir chez elle ne serait sûrement pas l’idée la plus brillante qui soit compte tenu des liens étroits que nos parents entretenaient depuis des années. « Ça fait aussi presque neuf ans que ton nom n'a pas été associé au mien, paraîtrait qu'on n'est plus amis. » La légère amertume dans sa voix ne m’échappait pas, faisant écho à cette étrange sensation qui s’insinuait en moi au moment-même où Ryleigh me mettait face à la réalité. Neuf ans. Ça me semblait une éternité. Et ce n’était pourtant que la moitié des années que nous avions passé ensemble à ne former presque qu’un avant cette tragique journée où nos chemins s’étaient séparés. Presque une décennie s’était écoulée depuis mes derniers rapports amicaux avec la jeune femme et pourtant je ne parvenais toujours pas à m’en détacher totalement, encore moins depuis qu’elle avait considérablement réduit la distance physique qui se trouvait entre nous depuis cinq ans. Neuf ans que notre duo était en perdition, moi qui à l’époque ne parvenait pas à envisager un jour sans sa présence à mes côtés, bon gré mal gré. J’ouvrais alors la bouche pour répliquer aussitôt mais au moment-même où les mots s’apprêtaient à sortir de ma bouche, je me ravisais. Avions-nous seulement été amis un jour ? La question me brûlait les lèvres, quand bien même je n’attendais pas la moindre réponse de la part de la brune. Concernant Ryleigh, je n’étais plus sûr de rien et j’étais aussi attristé que frustré de savoir qu’une seule malheureuse conversation avait pu remettre en perspective toutes ces années partagées avec elle. Mais c’était là la tragique et impitoyable vérité. Et si j’étais partisan d’une totale transparence dans mes relations, je n’étais pas certain que livrer la moindre des mes pensées ce soir soit un choix judicieux. A coup sûr, poser cette question à voix haute nous précipiterait tous les deux dans quelque chose que j’étais à peu prêt certain de ne pas être capable de gérer à l’instant présent. Sans compter que je doutais sincèrement que Ryleigh soit prête à accuser le coup de mon honnêteté cruelle. « C’est les parents qui doivent en perdre le sommeil. » raillais-je, avec une froideur dans la voix qui laissait entrevoir les cicatrices laissées par mon enfance au sein de cette famille détraquée qu’était la mienne. L'échec cuisant de leurs tentatives de voir leurs empires fusionner autour d'un mariage et d'une descendance commune devait leur rester en travers de la gorge, pour sûr. La jeune femme avait ensuite essayé de me pousser à la confession l’air de rien, me demandant la raison qui m’avait amené à me mettre dans pareil état et j’avais esquivé la question par une autre, à peu près certain qu’elle ne s’y laisserait pas tromper mais espérant secrètement que cela suffirait néanmoins à l’éloigner du sujet principal : mes états d’âmes. Je savais très bien faire l’anguille lorsqu’il s’agissait de parler de ce qui me touchait réellement, me faufilant entre les questions personnelles. Et j’étais, face au commun des mortels, plutôt doué pour noyer le poisson mais Ryleigh me connaissait aussi bien que sa propre personne. Du moins, elle m’avait connu aussi bien que sa propre personne fût un temps et malheureusement pour moi et fort heureusement pour elle, je n’avais pas véritablement changé sur cet aspect-ci : « À d'autres. » Mais heureusement pour moi, un autre sujet retenait son attention : une question dont elle avait longtemps voulu connaître la réponse. Et sans vraiment la dissuader de s’aventurer sur le terrain des confessions, je ne l’y poussais pas non plus, lui sortant une réponse mi-figue mi-raisin qui ne l’avançait guère. Pourtant, elle ne se démontait pas, me tenant tête comme par le passé, formulant à voix haute cette fameuse question : « Comment t'as réussi à me renier complètement du jour au lendemain sans sourciller ? » Et de toutes les questions qu’elle aurait pu me poser, j’étais presque déçu que ça soit vers celle-ci qu’elle choisisse de se tourner. Mes sourcils s’arquaient légèrement, témoignant de ma surprise. « C’est pas comme tu m’avais laissé le choix de faire autrement. » répondis-je alors un peu vivement, l’air presque vexé qu’elle me fasse l’affront de poser pareille question. Je n’avais jamais été Gauthier. Je ne savais pas mentir avec autant d’aplomb. Jouer la comédie était un exercice qui m’agaçait assez vite. Je tenais les faux-semblants en horreur et si, dans le milieu dont j’étais issu j’avais souvent dû m’en accommoder, c’était tout simplement impossible pour moi de jouer un rôle face à Ryleigh. Notre lien avait toujours été unique et fusionnel. Pourtant en me laissant aller à livrer mon cœur à la demoiselle, j’avais mis en péril tout ce que nous étions et son refus avait suffit à précipiter la fin de ce “ nous ”. Je n’étais pas certain qu’un jour la brune ait pris ma déclaration avec le sérieux qu’elle méritait. Et si je ne savais pas réellement verbaliser ce que je ressentais, mes sentiments pour l’anglaise n’avaient jamais été feints ou calculés. Outre le fait d’avoir été blessé dans ma fierté et d’avoir perdu du même coup mon binôme, ma jumelle Egerton et ma meilleure amie, son rejet m’avait brisé le cœur (si tenté que cela soit réellement possible). « Tu t’attendais à quoi ? Que je fasse comme si de rien n’était ? Je t’en prie Ryleigh, on sait tous les deux que je ne suis pas doué à ce jeu-là. » Les sourcils froncés, je l’observais le regard dur. J’avais une fierté et un honneur. Et avec moi c’était tout ou rien. On ne pouvait pas me tourner le dos un jour et espérer que je sois là à attendre le lendemain. Mais j’étais d’autant plus agacé qu’elle évoquait tout ceci comme si ça n’avait pas été une épreuve pour moi aussi de la rayer de ma vie. Dix-huit années de complicité, de souvenirs, de disputes également, réduits à néant du jour au lendemain. Elle avait laissé sa marque sur ma peau, au fer rouge. Et aujourd’hui encore je ne ferais que mentir en disant qu’elle ne m’importait pas un minimum. Devoir renoncer à Ryleigh avait été l’épreuve la plus difficile que j’avais eu à affronter de toute ma vie. Croiser son regard perçant à l’autre bout de la table lors des réunions de nos deux familles, entendre Maura évoquer sa personne de temps à autre, reconnaître un peu d'elle dans chacun des Egerton : tout me ramenait constamment à elle, c’était comme essayer d’échapper à sa propre ombre. Mais je n’avais pas eu le choix, c’était ça ou passer mon temps à me morfondre pour quelque chose que je ne pouvais de toute façon pas avoir. C’était justement parce que vivre sans elle n’avait pas la même saveur que j’avais eu besoin de couper les ponts de façon radicale et définitive. Et aujourd’hui encore, neuf ans après les faits, je ne comprenais toujours pas pourquoi je me trouvais là, face à elle. Réalisant soudainement que ce sujet de conversation était bien trop sensible pour moi, je choisissais de jeter mon dévolu sur la précédente question de Ryleigh, tout à coup bien moins compromettante à mes yeux que le sujet de notre séparation. Je lui avouais alors à demi-mot et dans un soupir las, l’état déplorable des relations de ma famille. « When is it not ? » avait-elle rétorqué aussitôt du bout des lèvres et j’avais souris en coin. Elle n’avait pas tort. Mais cette fois-ci pourtant les choses semblaient échapper à tout contrôle. Déjà que la nouvelle de la grossesse de Théodora avait ébranlé l’équilibre familial, le retour de Maura et les dernières révélations de Gauthier battaient tous les records. « À cause de toi ? » qu’elle demandait finalement, alors qu’un léger silence s’était installé entre nous pendant que je me perdais dans le cours de mes pensées agitées et je relevais le regard vers elle pour la regarder avec étonnement. « À cause de moi ? » répétais-je un peu bêtement avant de me crisper un peu, fronçant les sourcils en réalisant ce qu’elle venait de dire. « Mais bon sang, pourquoi faut-il tout de suite que tu t’imagines que c’est de ma faute ? » Je ne savais pas à quel moment j’avais enfilé le costume du grand méchant loup mais je commençais à être las d’être sans cesse porté à défaut quand j’étais le seul de cette fichue famille à ne pas avoir de secret et à ne pas avoir peur de dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. « Moi au moins je n’ai pas de bébé surprise. » sifflais-je, me pinçant l’arrête du nez entre le pouce et l’index. « Parce que tu ne connais pas la nouvelle visiblement, mais Oliver n’est pas le premier de la nouvelle génération Hazard-Perry. » Que Gauthier soit père n’était fondamentalement pas un problème en soi (quand bien même j’imaginais difficilement comment une femme pouvait succomber aux charmes mystiques et quelques peu frigides de mon aîné). Non ce qui me posait souci (et j’étais visiblement le seul avec Connor à me scandaliser de cette nouvelle au sein de ma fratrie) c’était que Gauthier soit le père d’un enfant qui avait le même âge qu’Oliver et qui se trouvait justement être son meilleur ami, un enfant que j’avais moi-même côtoyé des mois durant en ignorant tout de notre lien de parenté manifeste. « T’aurais dû voir comment Gauthier l’a annoncé, ça valait le détour. » L’amertume était clairement décelable dans mon ton irrité. Je n’en revenais toujours pas qu’il ait eu le culot de nous balancer pareille nouvelle comme il nous aurait donné la météo du jour. « En dehors de Debra, personne à qui tu peux parler ? » demandait-elle et j’essayais de ne pas me vexer en ayant toutefois la désagréable impression d’être pris pour un enfant qui ne savait pas à quelle oreille confier ses malheurs. « Si bien-sûr, Nadia et Tad seraient bien disposés à me laisser cracher mon venin, mais qu’est-ce que tu veux qu’ils disent ? Ça les dépasse. Ça me dépasse déjà moi-même alors que je suis né dans cette famille. » Tad et moi vivions dans deux mondes diamétralement opposés. La seule fois où je m’étais risqué à faire une petite blague au sujet de sa mère, je m’étais attiré les foudres de mon meilleur ami qui m’en avait tenu rigueur des jours durant. Pour lui, sa mère était une déesse vivante, la meilleure personne qu’il puisse exister en ce monde et au vu de tout ce qu’elle avait fait pour lui, il n’y avait pas à discuter à ce propos. Quant à moi, j’avais grandi dans un monde où mes interactions les plus intimes avec ma mère se résumaient à avoir l’air brillant, beau et intelligent face au reste du monde. Forcément, même en étant la personne la plus compatissante et compréhensive qui soi, il y avait des limites à l’imagination. « Quant aux seules personnes qui peuvent comprendre, elles sont soit directement concernées, soit dans cette pièce à l’instant même. » De nouveau, un soupir las passait la barrière de mes lèvres, face à cet aveu des plus affligeants. Parce que si ça n’était pas dit clairement, j’avais la désagréable impression d’avoir avoué à Ryleigh que j’avais besoin d’elle. Était-ce vrai ? Était-ce faux ? Je me refusais d’avoir ce débat avec moi-même. « Puis y a encore Maura qui doit jouer ses cartes.» persifflais-je, avant de boire à mon tour une gorgée du vin que la demoiselle nous avait servi, remarquant à peine son goût exceptionnel. « Elle prétend qu’elle est ici pour des raisons professionnelles uniquement mais je suis certain qu’elle nous réserve une petite surprise de son côté aussi. » Je savais que parler de Maura était un sujet potentiellement clivant entre l’Egerton et moi, mais honnêtement en existait-il seulement un qui ne soit pas susceptible de déclencher un conflit entre la brune et moi ?
« C’est les parents qui doivent en perdre le sommeil. » plaisante-t-il, inconscient du bordel qu'il a laissé dans son sillage. Elle s'étouffe presque avec sa gorgée de vin. Ryleigh aimerait croire qu'il n'est pas aussi aveugle qu'il le prétend, mais l'égocentrisme de Charlie est légendaire et ça ne l'étonne même pas de se rendre compte qu'il n'a aucune idée de ce qu'a été la vie sans lui. « Tu parles, c'est surtout ma mère qui m'a fait perdre le sommeil. Elle a passé six mois à me sermonner, comme si ton incapacité à prendre un « non » sans que ton égo ne vole en éclat, était de ma faute... » répond-elle narquoise mais surtout encore à vif face aux mois de reproches qu'elle a pu entendre. Ryleigh ne s'en veut pas de lui faire des reproches, elle a attendu neuf ans pour mettre des mots sur ces émotions qui ont été poussées sous le proverbial tapis. Il prend le temps de réfléchir à la question qu'elle lui a posé, peut-être la question qui définira l'évolution de leurs relations pour les années à venir. Beaucoup pèse sur la réponse qu'il lui donnera. La vérité ayant beau être dans le vin, attendre que Charlie soit ivre pour avoir des conversations importantes, ce n'est peut-être pas la meilleure idée qu'elle ait eu, mais qu'y faire ? C'est bien le seul moment qu'il lui a accordé ces derniers mois pour une telle conversation. Si son père lui a toujours dit qu'une bonne affaire n'attend pas -et en dépit de tous les conseils qu'elle n'a pas retenus-, Ryleigh n'est pas prête à laisser passer ce qui est peut-être sa dernière chance d'obtenir des informations. « C’est pas comme si tu m’avais laissé le choix de faire autrement. » C'est presque cinglant de vérité, de sa vérité. C'est d'une tristesse sans nom de voir qu'à vingt-sept ans Charlie croit encore qu'il n'y avait pas d'autre option dans leur relation que de devenir un couple ou de n'être rien. L'injustice est d'autant plus grande que les plans qu'ils avaient dessinés à deux, c'est lui qui les a envoyés paitre. Agacée, elle ne peut retenir son irritation et crache presque venimeuse : « Oh vraiment ? Rappelle-moi, lequel de nous deux a décidé de rompre le pacte et de partir à Oxford quand on était tous les deux destinés à Cambridge ? Lequel a attendu que ce soit trop tard pour porter ses couilles ? » Parce que c'est ça le modus operandi de Charlie : attendre le dernier moment, attendre que ce soit trop tard, balancer une bombe, la regarder exploser de loin et dire que ce n'est pas de sa faute. « Tu t’attendais à quoi ? Que je fasse comme si de rien n’était ? Je t’en prie Ryleigh, on sait tous les deux que je ne suis pas doué à ce jeu-là. » Une fois de plus elle en recracherait presque son vin. Une honte quand on sait à quel point la bouteille est rare. Au rythme où elle picole, Ryleigh va finir par être aussi bourrée que lui. Elle boit le Pétrus comme de l'eau pour oublier les conneries qu'il débite à toute vitesse. « T'as raison, il aurait pas fallu qu'une fois dans ta vie tu fasses un effort pour ne pas être le centre de mon monde... » Parce que c'est ce qu'il avait été durant toute son enfance et son adolescence. Ils avaient orbité de façon inexorable l'un autour de l'autre des années entières, la force gravitationnelle de leur relation se détendant par moments, laissants les satellites qu'ils étaient partir à la dérive avant que tels des aimants, ils viennent se retrouver jusqu'à la collision. Avant même qu'il n'ose ouvrir la bouche elle l'interrompt d'un doigt levé, impériale dans sa commande du silence. « Une attitude totalement en adéquation avec le genre de relation que tu voulais avoir hein ? Prêt à aucun sacrifice, aucune concession... T'étais tellement obnubilé par l'idée de la mettre à l'envers à tes parents que t'as pas pris le temps de réfléchir à ce que je pouvais ressentir. T'avais la maturité émotionnelle d'un enfant de six ans. » Et à en juger par sa réaction aujourd'hui, il n'a pas beaucoup grandi. Jamais aussi à l'aise que lorsqu'elle est franche -parfois trop- Ryleigh décroise les jambes et se passe une main dans les cheveux, prête au combat, attendant la réponse qui viendra sûrement la frapper de plein fouet. Lorsqu'elle cherche à savoir si Charlie est la raison des dissensions au sein du clan Hazard-Perry, il se braque. « À cause de moi ? » fait-il éhonté d'une telle accusation. « Mais bon sang, pourquoi faut-il tout de suite que tu t’imagines que c’est de ma faute ? » continue-t-il outragé par une critique qu'il n'avait pas vue venir. Elle sait que c'est injuste, surtout quand elle sait que Maura a dans son artillerie une bombe nucléaire. On peut reprocher beaucoup de choses à Charlie mais sa franchise l'empêche de garder des secrets, pas qu'il soit incapable de tenir sa langue, cependant son honnêteté lui fera dire les choses qui lui tiennent à coeur. Que ce soit souhaité ou non. « Juste une supposition éclairée, mais je peux me tromper. » se défend-elle, amusée de voir qu'il reste un gamin sensible. La vérité c'est qu'elle n'est plus capable de formuler une opinion, ils se sont trop éloignés pour que son avis ait un quelconque poids, mais elle a quand même réussi à le mettre sur les nerfs avec quatre mots, presque un record personnel, même si ça ne battra jamais l'effet que « non » provoque sur Charlie. « Moi au moins je n’ai pas de bébé surprise. » Une seconde passe avant qu'elle ne mette réussisse à comprendre. « Pardon ? » s'exclame-t-elle au bord de l'explosion de rire. « Parce que tu ne connais pas la nouvelle visiblement, mais Oliver n’est pas le premier de la nouvelle génération Hazard-Perry. » Il balance ça comme si c'était une banalité, mais elle entend dans le fond de sa gorge le râle de la colère et de l'indignation. Il n'y a pas à dire, les Hazard-Perry ont l'art et la manière de se foutre dans de beaux draps. Ryleigh se sent immédiatement soulagée que ses frères et elle n'aient jamais été aussi prompts à faire de mauvais choix. Oh bien sûr il y a eu les éventuelles unes de presse quand Gregory et Drew se sont fait arrêter ivres, les mots outrés quand un paparazzi a révélé le montant d'une virée shopping de Ryleigh et autres dérapages mais rien de l'ampleur d'un enfant caché.« NON ! » Un rapide calcul lui permet d'éliminer Théodora qui a eu un enfant, mais c'était il y a plusieurs années et elle ne serait pas capable de cacher une grossesse. Maura est hors d'état de nuire parce que Ryleigh aurait été la première au courant. Restent Connor et Gauthier, imaginer l'un des deux devenir papa est inconcevable. Connor est beaucoup trop jeune et Gauthier... Ryleigh a du mal à l'imaginer avoir une vie sexuelle, un peu comme on oublie que ses parents ont dû baiser pour procréer. « T’aurais dû voir comment Gauthier l’a annoncé, ça valait le détour. » Elle est fatiguée de vivre dans un monde où les Hazard-Perry existent. Ils la drainent de son énergie vitale comme s'ils vampirisaient ses jours dans l'espoir qu'elle les aide à maintenir un équilibre, le tout -bien évidemment- en refusant toute main tendue. « Tes parents vont faire un arrêt. Un autre bébé illégitime ? Vous voulez les tuer ou quoi ? Entre Théodora et son bébé à même pas vingt ans, Maura et Drew qui se séparent et Gauthier qui a un gosse hors-mariage... Vous me fatiguez ! » fait-elle lasse avant de se resservir un verre de vin et tendant la bouteille en direction de Charlie. Il en a bien besoin après tout. Peut-être qu'il avait finalement une bonne raison de se mettre la tête à l'envers ce soir. Est-ce que ça aide la famille à réparer les cassures ? Non. Est-ce que ça aide Charlie à aller mieux ? Non. Est-ce qu'elle est en position de juger ? Non, mais elle le fait quand même. Quand elle demande s'il n'a personne à qui parler, en dehors de Debra s'entend, il s'ouvre un peu. Une attitude suffisamment rare venant de Charlie pour être notée. « Si bien-sûr, Nadia et Tad seraient bien disposés à me laisser cracher mon venin, mais qu’est-ce que tu veux qu’ils disent ? Ça les dépasse. Ça me dépasse déjà moi-même alors que je suis né dans cette famille. » C'est pas surprise que Ryleigh se sent poignardée en plein cœur, ce qui provoque chez elle une immédiate réaction de recul, la position de son corps reflétant ce malaise, elle retourne s'installer dans le fond de l'assise du canapé, bras croisés, véritable barrière entre lui et elle. « Wow... fut un temps les gens vers qui tu te tournais auraient été parmi mes meilleurs amis, maintenant je ne les ai même jamais vus. » fait-elle désabusée, ne cachant pas son amertume face à une vérité qui ne lui échappait pas mais dont elle n'avait pas forcément conscience : elle ne fait plus partie de sa vie, elle est une étrangère familière. « Quant aux seules personnes qui peuvent comprendre, elles sont soit directement concernées, soit dans cette pièce à l’instant même. » Ça vient comme un cheveu sur la soupe, un contraste entre le ton de la conversation jusqu'ici et la reconnaissance de la puissance de leur lien. Aussi séparées que soient leur vie, une part de lui sait qu'elle le connaît intimement, lui et sa famille. Un peu comme une de ces figures qui apparaît sur les photos de familles et dont on oublie l'existence jusqu'à ce qu'on ait besoin de ses conseils. « Je prendrais presque ça comme un compliment, peut-être le seul que tu m'aies fait dans les dix dernières années ! » fait une Ryleigh qui retrouve l'éclat fugace d'un sourire. « Puis y a encore Maura qui doit jouer ses cartes.» Et voilà d'où son sourire tient sa fugacité. Charlie vient de refroidir l'ambiance en attaquant celle qui compte plus que tout aux yeux de Ryleigh, la seule qui était là quand il est parti. Il sait qu'il met les pieds dans un champ de mines en parlant contre sa sœur et pourtant il y va quand même. Chevalier kamikaze qui n'a rien à perdre. « Elle prétend qu’elle est ici pour des raisons professionnelles uniquement mais je suis certain qu’elle nous réserve une petite surprise de son côté aussi. » La vérité de l'intelligence de Charlie lui saute aux yeux. Il aura beau se targuer de ne pas être proche de Maura, il ne peut nier qu'il la connaît par cœur. On ne grandit pas avec quelqu'un, même dans l'indifférence, sans la comprendre. Fidèle à elle-même et à celle qu'elle considère comme une sœur, Ryleigh le laissera dans l'ignorance, c'est à Maura d'annoncer la nouvelle de sa maladie en temps voulu. Nonobstant de cette réticence, les propos qu'elle compte tenir s'appliquent à la situation. « T'as toujours attendu le pire venant d'elle. » dit-elle, avant d'ajouter, pour élargir le propos. « T'as toujours attendu le pire de tout le monde. Et dès que quelqu'un n'atteint pas les standards aberrants que tu fixes, tu en profites pour les faire se sentir inadéquats et les renier. » Ce n'est pas tellement un reproche qu'un constat éclairé par des années de pratique. Certes, elle se montre un peu injuste, il a tapé dans le mille en ce qui concerne Maura et si Ryleigh était dans sa situation, elle aussi sentirait le traquenard dans le prétexte de la brune de vouloir venir bosser au soleil. Mais le propos de Ryleigh s'étend bien plus loin qu'à la situation de Maura. C'est en son nom à elle qu'elle se bat. « Te voile pas la face Charlie. Notre relation en est peut-être là où elle en est parce que je ne t'ai pas accordé ce que tu voulais quand tu le voulais, mais tu aurais fini par trouver une raison pour me rejeter. » C'est pour ça qu'elle l'aimait et qu'elle l'aimera toujours, parce qu'il est inatteignable, parce qu'il avait la capacité de la détruire et qu'il l'a saisie. Charlie c'est le garçon qui l'a laissée brisée et seule il y a presque dix ans maintenant. Elle se souvient encore de l'impression de manquer d'air, la gorge nouée et son monde qui s'écroule autour d'elle. L'absence totale de repaire et de repère dans une réalité dépourvue de celui qui lui avait longtemps servi de phare dans la tempête. Tout ça parc qu'elle avait eu l'audace d'avoir une vie en dehors de lui ; trop lassée qu'elle avait été d'attendre qu'il fasse le premier pas, elle avait fait un pas dans une direction opposée et il lui a tapé sur les doigts pour cette faute impardonnable. « Tout ce que je voulais savoir, c'est si ça t'avait coûté de me rayer de ta vie. » Et voilà qu'elle lui laisse une autre porte grande ouverte pour l'humilier. Elle se hait mentalement d'avoir encore besoin de son approbation, de la confirmation qu'à une époque elle a compté pour lui, qu'elle n'est pas la seule à avoir eu l'impression de perdre une jambe le jour où il (s')est sorti de sa vie.
J'ai envie de revoir ton visage. C'est tout. C'est comme les gens qui retournent dans le village où ils ont passé leur enfance ou dans la maison de leurs parents ou vers n'importe quel endroit qui a marqué leur vie. C'est comme un pèlerinage. A croire que ton visage est un endroit qui a marqué ma vie.
ryleigh & charlie
C’était dérangeant et parfaitement étrange d’évoquer à nouveau un “nous” avec Ryleigh, une notion qui n’avait plus de sens à mes yeux depuis neuf ans et un terme qui n’avait définitivement plus lieu d’être depuis cinq longues années. Alors j’ironisais sur le sujet, profitant de l’occasion pour placer un petit tacle à nos parents, n’ayant jamais vraiment décoléré du traitement qu’ils avaient infligé à Théodora. « Tu parles, c'est surtout ma mère qui m'a fait perdre le sommeil. Elle a passé six mois à me sermonner, comme si ton incapacité à prendre un “non” sans que ton égo ne vole en éclat, était de ma faute… » répliquait-elle et si je sentais l’ombre d’un reproche de dessiner sous son ton narquois, je n’en faisais rien. Espérait-elle que je la plaindrais et la prendrais en pitié ? Si mon départ pour l’Australie avait enterré tout espoir de nous voir un jour former ce duo pour lequel nous étions nés, c’était son “non” qui avait indéniablement ébranlé notre paire. Alors j’observais un silence des plus strict, me contentant de pincer légèrement les lèvres en sourcillant. J’étais avant tout agacé parce que dans la façon dont elle formulait ses propos, elle suggérait que toute cette histoire n’était qu’un caprice d’enfant gâté de ma part. Et Dieu seul savait à quel point j’aurais souhaité qu’elle ait raison à ce propos. Mais mes sentiments de l’époque étant bien réels et sincères, l’idée qu’elle puisse insinuer que ma réaction avait quelque chose d’exagéré et de puéril me déplaisait. Néanmoins, je me retenais de le lui faire remarquer parce que la brûlure cuisante de ce moment ne m’était jamais passée et que revenir sur le sujet ne serait que lui avouer l’étendue de ma faiblesse à son égard. Mais le sujet ne voulait pas dévier de cette maudite journée où elle m’avait abandonné à l’aube de mon entrée à Oxford, alors qu’elle me posait cette question qui semblait lui trotter dans la tête depuis de nombreuses années. Comment avais-je fait pour la rayer de ma vie ? A question idiote, réponse idiote. Je lui avais rétorqué sans plus de cérémonie qu’elle ne m’en avait tout simplement pas laissé le choix. Et la réaction de l’anglaise ne se faisait pas attendre bien longtemps : « Oh vraiment ? Rappelle-moi, lequel de nous deux a décidé de rompre le pacte et de partir à Oxford quand on était tous les deux destinés à Cambridge ? Lequel a attendu que ce soit trop tard pour porter ses couilles ? » Je reniflais alors avec mépris, regrettant déjà de m’être lancé sur cette pente savonneuse. Je savais de toute façon que quoi que je pourrais dire, rien ne trouverait grâce à ses oreilles. « Le monde ne tourne pas autour de toi. » soupirais-je avec lassitude. J’avais choisi de suivre mon propre chemin, trop orgueilleux sûrement pour accepter de suivre la voie dorée que mes parents et mes aînés avant moi avaient tracé. C’était un acte de rébellion, un choix que j’avais fait sans que jamais Ryleigh n’ait rien à y voir dans cette décision. De toute façon, lorsque j’avais accepté d’aller à Oxford, pas un seul instant l’idée même qu’elle puisse ne plus faire partie de ma vie ne m’avait traversé l’esprit. Nous étions liés, destinés à finir notre vie ensemble que nous le voulions ou non, et à mes yeux le choix entre Cambridge et Oxford n’aurait jamais pu remettre ces projets en perspective. « C’est la différence entre toi et moi, Ryleigh. Tu fais toujours ce que l’on attend de toi, ou presque. » concluais-je finalement, décidant d’occulter sciemment sa deuxième question rhétorique. Et alors même que je prononçais ces paroles, je ne parvenais pas à savoir si c’était un véritable reproche que je lui faisais là. Cela tenait à mon sens plus de la constatation que du blâme. Dans les faits, les enfants Egerton tenaient bien plus dans le rang que la moitié des enfants Hazard-Perry, nous avions toujours été plus remuants, plus prompts à la rébellion et il n’y avait qu’à voir comment les choses s’étaient finies entre Théodora, Connor et nos parents pour en avoir la preuve tangible. Je lui demandais finalement, sans attendre réellement de réponse cependant, ce à quoi elle s’était attendue. « T'as raison, il aurait pas fallu qu'une fois dans ta vie tu fasses un effort pour ne pas être le centre de mon monde... » Alors qu’elle prononçait ces quelques paroles, qui auraient sûrement dû me toucher en plein cœur, je ne parvenais pas à me retenir de lever les yeux au ciel. C’était un dialogue de sourds, elle campait ses positions, refusant de comprendre la souffrance que ça avait été de la voir de se détourner de moi alors que je venais de lui offrir mon cœur sur un plateau en argent. Je lui avais fait part de mes sentiments, faisant fi de ma fierté légendaire qui m’empêchait habituellement de me laisser aller à tout écart du genre et elle s’était contentée de les jeter par la fenêtre sans un regret. Et je n’avais pas la moindre envie d’essayer de lui faire comprendre la façon dont j’avais vécu cet événement. Tout ce que je désirais depuis qu’elle avait claqué la porte de ma chambre à Oxford, c’était oublier cette histoire, oublier la souffrance que son refus m’avait causé (et me causait encore), l’oublier elle. Mais j’avais l’impression parfois qu’il me serait plus facile d’oublier mon prénom que de me sortir définitivement l’anglaise de la tête. De toute évidence quand je daignais lui laisser la scène pour elle toute seule, en quittant Londres, ça ne lui convenait pas non plus. J’étais sorti par la petite porte, suivant Gauthier et Théodora, embarquant dans cette folle et effrayante aventure à l’autre bout du monde, lui laissant tout le loisir de vivre sa vie comme elle l’entendait, loin de moi, sans que je n’aie à être le sens de son monde. Pourtant, il avait fallu qu’elle traverse pas moins de trois continents pour revenir me hanter. Je m’apprêtais à lui en faire la remarque lorsqu’elle m’enjoignait au silence. « Une attitude totalement en adéquation avec le genre de relation que tu voulais avoir hein ? Prêt à aucun sacrifice, aucune concession... T'étais tellement obnubilé par l'idée de la mettre à l'envers à tes parents que t'as pas pris le temps de réfléchir à ce que je pouvais ressentir. T'avais la maturité émotionnelle d'un enfant de six ans. » Une fois de plus, j’accusais le coup, toujours aussi irrité par le fond de ses propos. Elle se plaignait que j’étais le centre de son monde mais passait son temps à me reprocher de ne pas en avoir fait de même avec elle. Cela ne suivait pas la moindre logique à mon sens. « Tu peux me jeter la faute dessus, me blâmer tant que tu veux, ça m’est bien égal. Tu peux te persuader que c’est ma décision d’aller à Oxford qui a précipité la fin de notre relation, si ça t’aide à mieux dormir le soir. » Qu’est-ce que cinq années passées à quelques heures l’un de l’autre, avec comme point de chute Londres pour nous retrouver, quand nous avions passé déjà dix-huit ans côte-à-côte ? Je ne m’étais jamais inquiété des conséquences de ma décision sur ma relation avec la brune, parce que ça n’avait pas lieu d’être selon moi. L’idée même qu’un peu de distance physique puisse nous séparer me semblait tellement irrationnelle à l’époque que je ne l’avais même pas prise en compte. « On sait très bien tous les deux pourquoi on en est là aujourd’hui. » Parce que j’éprouvais à son égard des sentiments qui n’étaient, de toute évidence, pas partagés. « T’as pas idée de ce que ça m’a coûté à l’époque de te dire ces quelques mots, Ryleigh. » C’était un aveu de faiblesse déclaré, la porte ouverte aux trahisons et à la souffrance et de ce côté-là, je n’avais pas été déçu, alors la maturité émotionnelle d’un enfant de six ans, elle pouvait se la mettre où je pensais. Et comme si un sujet épineux à la fois ne suffisait pas, j’étais revenu m’enterrer dans les tourments familiaux qui agitaient les Hazard-Perry, me braquant aussitôt qu’elle supposait que j’en étais la cause. « Juste une supposition éclairée, mais je peux me tromper. » Sa réplique me faisait alors légèrement pouffer de rire, encore plus lorsque je songeais à l’ascenseur émotionnel qu’une simple conversation avec elle pouvait déclencher chez moi. « Ryleigh Egerton qui admet avoir tort ? Impossible. » rétorquais-je aussitôt, ne pouvant m’empêcher de saisir l’occasion à la volée tant elle était belle. C’était l’accalmie avant que je ne me décide à lui lâcher la bombe avec au moins autant de délicatesse que Gauthier en avait eu avec nous. « Pardon ? » Elle manquait de s’étouffer avec son vin, à deux doigts de se mettre à rire et sa réaction me rappelait étrangement la mienne, me rappelant avec cruauté que nous étions faits du même moule, faits pour nous entendre, faits pour vivre à deux, du moins en théorie, parce que dans la pratique nous avions plus d’une lacune. Je lui expliquais alors que c’était désormais un tout autre enfant qu’Oliver qui tenait la tête de la future génération Hazard-Perry, ne pouvant empêcher l’amertume et la colère de faire vibrer ma voix. Cette histoire je l’avais encore en travers de la gorge et je n’étais pas près de laisser couler les choses. « NON ! » Et je ne tardais pas avant de lui préciser que c’était bel et bien Gauthier qui avait un rejeton caché. « Tes parents vont faire un arrêt. Un autre bébé illégitime ? Vous voulez les tuer ou quoi ? » s’exclamait-elle aussitôt et je ne pouvais empêcher un petit sourire en coin d’étirer mes lèvres, presque amusé. Tuer nos parents ? C’était leur accorder un peu trop de crédit à mon sens et ce n’était pas parce que j’avais peur de la réaction de mes géniteurs que j’avais cette nouvelle en horreur. A dire vrai, je n’avais même pas pensé un seul instant à ce que mes parents pourraient penser de la nouvelle - si jamais elle leur parvenait aux oreilles - et, en toute honnêteté, je n’en avais que faire : qu’ils s’étouffent avec leur thé en lisant ça quelque part, c’était tout ce qu’ils méritaient. Et alors que Ryleigh poursuivait : « Entre Théodora et son bébé à même pas vingt ans, Maura et Drew qui se séparent et Gauthier qui a un gosse hors-mariage... Vous me fatiguez ! », je ne pouvais m’empêcher de remarquer ce léger décalage entre elle et moi, ce fait qu’elle était toujours attachée à notre monde originel, à Londres et ses paillettes, à nos parents et leurs empires familiaux, quand j’avais totalement lâché prise de ce côté-là en arrivant à Brisbane. Sans me faire prier, je la laissais me resservir un verre de vin. « Et tu ne connais pas encore tous les détails croustillants. » dis-je, avant de prendre une gorgée de vin comme pour affronter la réalité, tout en songeant que j’ignorais sûrement encore bon nombre de détails concernant cet enfant que Gauthier avait eu. « Il a 5 ans, il s’appelle Gabriel. Il est génial et c’est sûrement le meilleur ami d’Oliver. » L’ironie de la situation me faisait sourire tristement. Qu’en soit Oliver s’entende parfaitement avec son cousin n’avait rien de dérangeant, mais le problème résidait dans le fait qu’il ignorait tout de leur lien de parenté à l’époque de leur rencontre. « Il est à Brisbane depuis plusieurs mois avec sa mère, Elisabeth Donovan. » Et si la jeune femme n’avait jamais eu sa place dans la famille et qu’elle n’avait jamais vraiment rencontré officiellement qui que ce soit dans le clan Egerton-Hazard-Perry, j’étais certain que Ryleigh la remettrait sans peine : Elisabeth était la seule femme que Gauthier ait jamais ramené à la maison, la petite-amie de son meilleur de l’époque, Daniel. Et si Maura et Théodora semblaient avoir remarqué une connexion entre la jeune femme et l’aîné, Connor et moi étions totalement passé à côté, tombant totalement dénues en apprenant que c’était elle, la mère du fils de Gauthier. Comprenant visiblement l’étendue du problème que cette nouvelle engendrait, Ryleigh abandonnait les attaques personnelles pour s’inquiéter de savoir si je n’avais personne à qui me confier. J’évoquais alors brièvement Nadia et Tad, omettant avec soin de parler de Max, tout en précisant que même s’ils savaient se montrer compréhensifs, la situation dépassait l’entendement, même pour eux. Et trop occupé à faire une petite introspection sur mes fréquentations du moment, je n’avais pas remarqué le regard de Ryleigh qui s’était légèrement voilé. « Wow... fut un temps les gens vers qui tu te tournais auraient été parmi mes meilleurs amis, maintenant je ne les ai même jamais vus. » soufflait-elle, accusant le coup seulement maintenant quand j’avais pris conscience de cette triste réalité dès mes années à Oxford, où j’ignorais tout de sa vie et des gens avec qui elle passait son temps à Cambridge, de son côté. « Il y a fort à parier que tu les croiseras tôt ou tard. Et si tu consens à ne pas leur sauter à la gorge et à n’en faire qu’une bouchée, je pourrais même envisager de faire les présentations. » Je lui adressais un petit sourire mi triste, mi amusé à la fois, à l’image du tourbillon d’émotions qui m’assaillaient dès que j’étais en présence de la belle brune. Je me laissais finalement aller jusqu’à évoquer ce lien qui nous liait encore malgré notre volonté, malgré les années et malgré les kilomètres qui nous avaient séparés. J’avais toujours eu conscience que jamais personne au monde ne me connaîtrait mieux que Ryleigh, que jamais personne au monde ne pourrait mieux me comprendre qu’elle, en dehors du reste de ma fratrie. Elle était mon alter ego que je le veuille ou non. « Je prendrais presque ça comme un compliment, peut-être le seul que tu m'aies fait dans les dix dernières années ! » répliquait-elle avec un semblant de sourire. « Ne t’y habitues pas trop surtout. » Et dans le regard j’avais ce petit éclat un peu malicieux qui venait confirmer que ceci n’était pas une attaque personnelle. Jugeant que je m’étais de toute façon complètement enfoncé pour la soirée et que, par conséquent, je n’étais pas à un aveu près, je mentionnais le retour de Maura à Ryleigh, connaissant parfaitement le lien qui unissait les deux jeunes femmes. « T'as toujours attendu le pire venant d'elle. » assénait-elle brusquement. Et je ne pouvais nier qu’elle avait raison. Ma relation avec Maura était conflictuelle, compliquée depuis bien avant mon départ pour Brisbane, bien avant l’annonce la grossesse de Théodora. C’était assez ironique de songer que celle dont j’étais le moins proche dans ma fratrie était pourtant celle qui me ressemblait le plus. Peut-être d’ailleurs nos rapports conflictuels trouvaient-ils leur source dans notre ressemblance ? Je n’aurais su le dire et voilà des années que j’avais abandonné tout espoir de voir nos rapports s’améliorer. Et sans que je m’y sois attendu, c’était le round deux de mon procès. Ryleigh venait de démarrer au quart de tour, ne perdant pas une seconde avant de me mettre au tapis : « T'as toujours attendu le pire de tout le monde. Et dès que quelqu'un n'atteint pas les standards aberrants que tu fixes, tu en profites pour les faire se sentir inadéquats et les renier. » Sans chercher à savoir si elle avait raison ou tort, je poussais un soupir. Je n’étais pas venu ici pour qu’elle me dresse mon portrait et fasse de la psychologie à deux balles. « Pourquoi est-ce que j’ai l’impression qu’on ne parle plus de Maura ? » demandais-je plus par principe que réelle curiosité puisque je connaissais déjà la réponse. « Te voile pas la face Charlie. Notre relation en est peut-être là où elle en est parce que je ne t'ai pas accordé ce que tu voulais quand tu le voulais, mais tu aurais fini par trouver une raison pour me rejeter. » Et si je considérais que j’avais jusqu’ici fait preuve de plutôt bonne foi en acceptant d’écouter ses reproches sans trop répliquer, cette fois-ci je commençais sérieusement à en avoir ma claque. « J’arrive pas à saisir quel plaisir tu retires à parler avec quelqu’un d’aussi prévisible que je semble l’être. » De nouveau mon ton était froid, piquant. Je n’étais plus un petit garçon et pourtant déjà à l’époque je n’avais jamais aimé qu’on me dise quoi faire. Mais que Ryleigh ose se targuer de savoir ce qu’il serait advenu de nous dans le futur si les choses s’étaient déroulées autrement, c’était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. Je perdais définitivement patience et claquait aussitôt : « C’est toujours plus facile de se dire que c’est à cause de moi que ça aurait forcément foiré n’est-ce pas ? J’espère que ça t’allège la conscience au moins. » J’étais mauvais, agacé, fatigué de ce combat qui n’avait pas de fin. Pourquoi avait-il fallu qu’elle vienne jusqu’ici me pourrir l’existence ? « Tout ce que je voulais savoir, c'est si ça t'avait coûté de me rayer de ta vie. » confessait-elle finalement et je venais me prendre la tête dans la main qui ne tenait pas le verre de vin. Cette conversation était une épreuve en soi, mais dans mon état c’était une véritable torture. Est-ce que ça m’avait coûté de la rayer de ma vie ? Ça m’avait rongé de l’intérieur. J’avais mené un combat acharné contre moi-même tout le temps qui s’était écoulé entre notre séparation à Oxford et mon départ pour l’Australie. C’était un combat de chaque instant parce que tout me ramenait toujours à elle. Si j’avais eu un peu de répit à Oxford, bénéficiant de l’absence de quiconque de nos familles là-bas, plus ou moins à l’abris du regard de la haute société londonienne, mes retours dans la capitale anglaise avaient été éprouvants. Chaque réunion de famille, chaque coin de rue, chaque moment passé dans la demeure famille avait ce goût d’elle qui me rendait malade. Plus qu’une lutte acharnée contre elle, c’était contre moi-même que j’avais passé toutes ces années à me battre. Malgré toutes mes tentatives, j’avais toujours Ryleigh dans la peau et ma présence ce soir dans son appartement ne venait que le confirmer. Elle avait été la raison qui m’avait poussé à quitter Londres pour suivre Gauthier et Théo à Brisbane, parce que j’avais espéré qu’en changeant d’environnement, vivre sans elle soit moins difficile. Mais aussitôt qu’elle était revenue dans le paysage, je m’étais rendu compte que je respirais moins bien sans elle dans ma vie. Et ce constat même me tuait, me rendait fou et me poussait à la rejeter avec encore plus de force. Mais ce soir, j’étais las, fatigué, usé de me battre contre elle, contre moi, contre ce fichu “nous” qui refusait de s’avouer vaincu malgré mes tentatives désespérées, alors après une profonde inspiration et une longue gorgée de vin, j’avais lâché du bout des lèvres : « C’est la chose la plus difficile que j’ai eu à faire de ma vie. » L’aveu était fait et pourtant, ça ne changeait rien à la situation. Visiblement nous souffrions tous les deux de notre éloignement forcé, sans rien pouvoir faire pour y remédier. Nous étions dans une impasse.
« Le monde ne tourne pas autour de toi. » dit-il. Et elle lève les yeux au ciel, les lapalissades sont parmi les choses que Ryleigh déteste le plus. Charlie n'a pas besoin de lui faire remarquer qu'elle n'est pas le centre du monde, il a prouvé -et lui a imposé- cette vérité pendant près d'une décennie. « Ah bon ? » fait-elle la bouche dégoulinant d'une ironie sanglante. Ce n'est pas tant qu'il enfonce des portes ouvertes qui la dérange, ni même qu'il se sente le besoin de lui rappeler la maigre place qu'elle occupe dans son univers, c'est davantage le fait qu'il ne donne pas signe d'avoir conscience de l'impact de ses actions qui la met dans tous ses états. Une autre attaque pointe son nez sous la forme d'une lame de poignard et aussi fluette soit-elle, Ryleigh n'est pas capable d'esquiver à temps. « C’est la différence entre toi et moi, Ryleigh. Tu fais toujours ce que l’on attend de toi, ou presque. » Ou presque est peut-être ce qui la retient de le foutre à la porte immédiatement. Ça et le fait qu'elle apprécie sa présence en ces lieux malgré tous les émois qu'elle occasionne. Pas habituée à se laisser marcher dessus et surtout pas prête à lui céder un coup gratuit, la voilà qui redonne un coup de fouet à ses chevaux métaphoriques. « Et ta résistance perpétuelle t'a apporté quoi au juste ? » Parce qu'il aura beau porter de grands discours d'indépendance et de rébellion, se targuer de ne s'être jamais conformé au moule que ses parents imposaient, mais il ne se prive pas de jouir du luxe que leur argent offre. Il ne fera pas croire à Ryleigh que le salaire de journaliste qu'il touche lui permet de supporter les dépenses que le train de vie du jeune homme mène. Trop habitué au luxe, il a peut-être réussi à se séparer de l'emprise de ses parents pour vivre au crochet de Gauthier. Ryleigh n'est peut-être pas beaucoup plus mature dans son approche à l'argent mais elle ne cherche pas à tirer une fierté de sa situation. « Tu peux me jeter la faute dessus, me blâmer tant que tu veux, ça m’est bien égal. Tu peux te persuader que c’est ma décision d’aller à Oxford qui a précipité la fin de notre relation, si ça t’aide à mieux dormir le soir. » Il tourne en boucle et ne semble pas prêt à s'arrêter. Charlie a toujours été un taureau, pire un buffle. Elle aimerait inventer le croisement d'une mule et d'un taureau pour que ça colle parfaitement à sa personnalité. « On sait très bien tous les deux pourquoi on en est là aujourd’hui. » fait-il et Ryleigh, exacerbé ne perd pas une seconde pour répondre : « Je pense qu'on a deux conceptions très différentes de pourquoi on en est là aujourd'hui, alors je t'en prie. Éclaire ma lanterne. » dit-elle maintenant mi-énervée mi-intéressée. Parce que cette idée qu'il ait une notion claire et tranchée de ce qui fait qu'ils sont éloignés. De son côté Ryleigh n'est pas capable de mettre une seule raison sur la rupture, c'est un conglomérat informe et difforme à la fois, un agrégat de petites choses qui ont mené à l'explosion au moment où elle a rejeté sa déclaration. Un geste qui lui a coûté des nuits de sommeil, mais qu'importe. « T’as pas idée de ce que ça m’a coûté à l’époque de te dire ces quelques mots, Ryleigh. » ajoute-t-il ce qui sonne comme une réponse entraînant encore plus de questionnements. Elle est bien des choses, mais curieuse est parmi les premières qui viennent à l'esprit. Ryleigh sait qu'elle ne devrait pas pousser Charlie plus loin dans ses retranchements, mais elle a besoin de s'exprimer. Ce soir, ils mettent ma majorité de leurs cartes sur table et advienne que pourra. « Non, parce que tu n'as jamais daigné m'expliquer. » souffle-t-elle, presque absente, comme pour elle-même. Charlie a toujours pris Ryleigh pour acquis et avec ça venaient la capacité de Ryleigh à lire dans ses émotions et dans ses pensées comme dans un livre ouvert. Si elle avait, à l’époque, une approche très précise de qui il était et de ce que chaque mot, chaque pause, chaque geste voulait dire. Si elle avait été capable d’écrire le dictionnaire de traduction Charlie Hazard-Perry vers l’anglais, elle l’aurait. Ryleigh ne le réalise pas encore, mais c’est sa conviction absolue que jamais ne viendrait le moment tant attendu de l’aveu des sentiments qu’il nourrissait à son égard qui l’a aveuglé. Lassée d’attendre qu’il agisse en gentleman elle avait tout simplement fini par tirer un trait sur la possibilité. Pourtant, en femme moderne et -se voulant- indépendante, elle aurait pu (dû) agir lorsqu’elle avait pris conscience de ce qu’elle ressentait, mais en adolescente fleur bleue, elle avait prié pour qu’il fasse le premier pas, en vain. Reconnaissant son erreur, elle déclenche son hilarité placide. « Ryleigh Egerton qui admet avoir tort ? Impossible. » Ok, celle-là elle l’a méritée, Ryleigh a toujours détesté avoir tort et encore plus l’admettre, défendant bec et ongle des positions insoutenables dans l’espoir d’épuiser sa victime et de vaincre par forfait. Une victoire douce-amère vaut mille défaites. C’est elle le soldat qui rampe sur le champ de bataille en direction du camp, les jambes arrachées et le visage en sang. Le héros victorieux qui finit ses jours estropié et incontinent. Triste tableau. Elle hausse les épaules, visiblement moins amusée par la remarque qu’elle n’aurait pu l’être si le climat n’avait pas été aussi tendu. « C'est fou comme les gens peuvent grandir, ou non, en dix ans... » rétorque-t-elle sans perdre de son mordant. Lui n’a pas beaucoup bougé, toujours aussi implacable dans son entêtement et son déni d’une partie de l’histoire. Une vision non seulement révisionniste mais aussi nihiliste et charlocentrique de l’histoire. Il aurait fait un bon nazi, s’il n’avait pas été aussi incapable de suivre les ordres et véritablement doux au fond, la douceur enterrée très loin sous les décombres de son caractère de merde. « Et tu ne connais pas encore tous les détails croustillants. » Parce qu’il y avait pire à raconter ? La fortune Hazard-Perry qui menace de tomber entre les mains d’enfants illégitimes n’est donc pas assez scandaleux pour la fratrie ? Ryleigh ne sait même pas à quoi s’attendre tant il y a peu de chance de faire plus fort que ça. Les lois patriarcales sont encore en place dans leur milieu, bien sûr rien d’aussi radical que durant les siècles précédents. Ryleigh et Charlie en bon troisièmes enfants, ne seront pas totalement pillés au profit de leurs aînés primonés à la mort des têtes régnantes. Cependant une plus grosse partie des fortunes familiales reviendra à l’aîné et ainsi de suite, sauf contre-indication notariale. Savoir que le patrimoine tombera dans les mains ineptes d’enfants de gens du peuple –qu’il est de bon ton de fréquenter si l’envie les chante mais pas de procréer- envoie un frisson dans le dos de la brune. La seule chose qui pourrait agraver la situation serait l’hypothèse selon laquelle l’enfant de Gabriel n’est pas en état de gérer son héritage et que tout retombe entre les mains de la mère opportuniste. « Il a 5 ans, il s’appelle Gabriel. Il est génial et c’est sûrement le meilleur ami d’Oliver. » De peur de lâcher son verre ou de l’éclater dans sa main, Ryleigh décide de le poser sur la table basse attenante au canapé et de s’accrocher à l’accoudoir. Le monde est vraiment trop petit. Brisbane et ses deux millions d’habitants un microcosme interconnecté de relations consanguines. « Il est à Brisbane depuis plusieurs mois avec sa mère, Elisabeth Donovan. » La vérité explose sans qu’elle ne l’ait vue venir, même avec une imagination débordante elle n’aurait jamais pu associer des éléments aussi lointains les uns des autres pour en faire une toile harmonieuse. Gauthier lui a réussi et a créé un bordel monstre dans le processus. « Splendide blonde que Gauthier dévorait des yeux dès que son meilleur pote avait le dos tourné ? » demande-t-elle se souvenant de la seule fille qu'elle ait jamais vu Gauthier regarder avec des yeux qui n'étaient pas indifférents. Elle avait trouvé cela étrange de la part du jeune homme qu'il était à l'époque, lui qui avait toujours été fidèle en amitié. Au fond, Ryleigh n'est pas surprise qu'elle soit la fille, seulement surprise qu'un enfant ait résulté de cette rencontre. Si elle était totalement honnête envers elle-même, Ryleigh trouverait cela décevant de la part de Gauthier, mais comme le fait si bien remarquer Charlie, elle n'est pas en position de juger. Surtout en ce qui concerne les aventures sexuelles malheureuses -à commencer par celles qui attraient à la famille Hazard-Perry-. Le sujet revient sur les amis de Charlie et quand il mentionne la possibilité qu'elle les rencontre, Ryleigh est véritablement décontenancée. « Il y a fort à parier que tu les croiseras tôt ou tard. Et si tu consens à ne pas leur sauter à la gorge et à n’en faire qu’une bouchée, je pourrais même envisager de faire les présentations. » Elle ne peut cacher un sourire sincère à l'idée que Charlie envisage, peut-être même inconsciemment, que Ryleigh pénètre son cercle d'amis, un premier pas vers quelque chose d'apaisé. « Est-ce que je dois comprendre que tu vas, volontairement, accepter de me revoir sans être ivre ? » taquine-t-elle faussement narquoise. Ryleigh se sent les épaules de réaliser un exploit rarement atteint : conquérir le pardon de Charlie pièce par pièce, jour après jour et dans une entreprise de plus longue haleine que le tissage de la tapisserie de Pénélope qui recommençait chaque matin au même point que le précédent. « Ne t’y habitues pas trop surtout. » fait-il, ce qui arrache un petit rire à la brune. Comme s’il était possible de s’habituer à un événement qui ne se produit qu’une fois par millénaire et qu’on devrait déjà s’estimer heureux de voir une fois. « Je ne suis pas aussi naïve. » rappelle une Ryleigh à la mine prétendument boudeuse. Face à la pluie de reproches qu’elle lui fait, il ne peut rester impassible et sa première réponse un :« Pourquoi est-ce que j’ai l’impression qu’on ne parle plus de Maura ? » ne montrant aucun intérêt d’élaboration de la part de l’Egerton reste sans réponse. Cependant, quand il ajoute : « J’arrive pas à saisir quel plaisir tu retires à parler avec quelqu’un d’aussi prévisible que je semble l’être. » Ryleigh se sent flouée. Flouée du droit de tirer un quelconque plaisir d’avoir celui qui avait été à une époque la personne la plus importante de son monde. Même quand elle baisse sa garde d’un millimètre il n’est pas capable de retenir sa langue, de lui donner un instant de répit et de ne pas attaquer sans cesse. Tristesse. « Je n'y prends pas plaisir, mais j'ai l'espoir qu'un jour ce sera le cas. J'ai l'espoir qu'un jour me voir ne sera plus une corvée pour toi, ni une pression pour moi. » répond-elle d’une honnêteté à vif comme une plaie béante qui crie d’être refermée sans qu’on ne l’écoute. Ryleigh n’a pas l’habitude d’être d’une telle franchise sans que ce soit sous le couvert d’une plaisanterie ou d’une confession passé minuit faite à Maura, quand leur vie ne fait plus sens. « C’est toujours plus facile de se dire que c’est à cause de moi que ça aurait forcément foiré n’est-ce pas ? J’espère que ça t’allège la conscience au moins. » fait-il, brillant d’injustice et d’hypocrisie. Si elle n’était pas aussi dégoûtée par l’attitude, elle serait impressionnée par la maestria de Charlie a toujours retourner avec plus ou moins d’élégance sur ses pattes de fer recouverte de velours. « Comme ça t'allège la conscience de penser que c'est uniquement ma faute si nous en sommes où nous en sommes. » fait-elle sans même une empreinte de combat dans la voix. Tant pis si elle perd, elle n’a pas envie de gagner contre lui ce soir, elle veut juste déposer les armes pour l’instant, trève momentanée avant de reprendre leur guéguerre. « C’est la chose la plus difficile que j’ai eu à faire de ma vie. » dit-il, brisant le coeur de Ryleigh de ces quelques mots. Comment peut-il encore avoir ce pouvoir sur elle ? Elle n’en a aucune idée, mais ce n’est pas la question. La confession les met sur un pied d’égalité en quelque sorte, à la seule différence que Charlie la considère comme l’unique responsable de cette crevasse dans l’autoroute qu’était sa vie jusqu’alors. « Tu m'en vois navrée. » répond-elle la gorge nouée, avant d’ajouter dans le même souffle : « Et bizarrement soulagée de savoir que je n’ai pas été la seule à souffrir. » Elle ne lui dira pas que deux semaines après leur dispute, Jonas et elle se sont séparés, principalement parce qu'elle n'avait plus la tête dans la relation, parce qu'elle passait plus de temps à parler de Charlie et que Jonas a décrété qu'il n'était pas celui à qui elle pensait. Et, malheureusement, il avait raison. Lorsqu'elle a compris que Charlie était celui qu'elle voulait, lorsqu'elle se l'est avouée, lorsqu'elle a agi sur cette révélation il était trop tard. Comme elle aurait dû s'en douter, connaissant Charlie comme elle le connaissait. « Je t'ai volé un de tes sweatshirts d'Oxford le premier Noël après notre dispute. J'étais venu apporter vos cadeaux et on m'a fait comprendre qu'à l'annonce de ma venue, tu étais parti faire des courses, j'ai prétendu vouloir récupérer quelque chose dans ta chambre et j'ai volé un de tes sweatshirts. » Ryleigh n'a pas à confesser son crime mais elle le fait quand même, peut-être dans l'intérêt de repartir à neuf dans leur relation, quoiqu'elle n'est pas prête d'avouer certains de ses pêchés à Charlie. Peut-être qu'elle aurait mieux fait de lui dire qu'elle a toujours le cadeau de l'époque, mais cette discussion viendra peut-être, vu le rollercoaster qu'est cette soirée. « Tu veux le récupérer ? » qu'elle propose sans trop savoir pourquoi. Elle ne veut pas s'en débarrasser, elle ne l'a pas gardé si longtemps dans le seul but de lui jeter à la figure. Elle n'a pas gardé cette pièce de tissus de moyenne qualité pour le look, c'était une relique de son... de lui. Elle l'a usé jusqu'à l'épuisement à force de le porter, de dormir dedans. C'est peut-être ce qu'elle a de plus confortable dans sa garde-robe, mais elle ne saurait dire si c'est parce que c'était comme être dans ses bras ou si c'est parce que la durée de vie d'un vêtement est généralement inférieure à un an et qu'elle a réussi à le conserver pendant près de dix ans sans s'en lasser. « Tu veux une cigarette ? » demande-t-elle en se levant pour ouvrir une boîte dans laquelle elle garde son paquet de clopes. Ryleigh ne fume que rarement, quand l'occasion s'y prête. Et lorsqu'elle est vraiment en forme, elle s'adonne à des substances un peu plus relaxantes. C'est maintenant qu'elle est debout qu'elle prend conscience d'à quel point elle est drainée, en plus d'enivrée.
J'ai envie de revoir ton visage. C'est tout. C'est comme les gens qui retournent dans le village où ils ont passé leur enfance ou dans la maison de leurs parents ou vers n'importe quel endroit qui a marqué leur vie. C'est comme un pèlerinage. A croire que ton visage est un endroit qui a marqué ma vie.
ryleigh & charlie
Sans réellement ce que ça venait faire là, Ryleigh trouvait le moyen de me reprocher ma décision de partir pour Oxford, comme si cet acte en lui-même avait constitué une entorse, pire, une trahison de ce pacte que nous avions fait dès notre plus jeune âge. Pourtant, mon choix de privilégier Oxford à Cambridge et ma relation avec la brune étaient deux choses distinctes qui n’avaient que peu de raison d’être évoquées ensemble. Agacé par les reproches sous-jacents que je devinais derrière ses propos, je lui envoyais une pique, reflet de la triste réalité : si j’étais le renégat de notre duo, elle était celle qui se conformait le plus aux attentes que les autres avaient pour elle. « Et ta résistance perpétuelle t'a apporté quoi au juste ? » L’envie de lui rétorquer que j’avais au moins obtenu un peu de vacances d’elle en choisissant Oxford à Cambridge était tentante, mais j’avais conscience qu’en lâchant une bombe de la sorte, je m’exposais au retour de bâton de la demoiselle et je n’étais pas certain de pouvoir supporter de recevoir ses foudres dans mon état actuel. J’optais alors pour la vérité stricte : « Tu veux dire en dehors de l’honneur de pouvoir afficher sur mon CV un prestigieux : University of Oxford ? » Un léger sourire était venu étirer mes lippes, un brin provocateur, avant que je ne lui donne la véritable réponse à sa question : «Oliver et une vie au soleil. » Clairement, je n’avais pas à m’en plaindre, Oliver était une des meilleures choses qui me soit arrivé dans la vie et je ne changerai ça pour rien au monde. De nouveau assailli par les reproches que Ryleigh s’évertuait à me faire (c’était visiblement mon procès ce soir), je perdais patience, acceptant de lui laisser me jeter la faute sur les épaules quand nous savions bien tous les deux ce qu’il en était réellement. « Je pense qu'on a deux conceptions très différentes de pourquoi on en est là aujourd'hui, alors je t'en prie. Éclaire ma lanterne. » Et après un soupir las, l’énième de la soirée et surement pas le dernier, je lui faisais remarquer que lui proposer de passer à une nouvelle étape dans notre relation n’avait pas été chose aisée pour moi, contrairement à ce qu'elle semblait penser. « Non, parce que tu n'as jamais daigné m'expliquer. » Pour toute réponse, j’avais lancé un regard à l’anglaise, sourcil arqué en signe d’interrogation. Qu’y avait-il à expliquer ? C'était pourtant simple à mon sens. J’avais compris un jour en me levant que je n’envisageais pas ma vie sans elle dedans et que la simple idée de pouvoir passer le restant de mes jours à ses côtés résonnait doucement à mes oreilles. A cette époque, pour la première fois de nos vies, nous prenions un peu de distance vis-à-vis de nos parents et de leurs desseins pour nos avenirs, nous lançant chacun dans nos études respectives, quittant le foyer familial pour de nouveaux horizons. Cette indépendance nouvelle avait eu un goût de liberté et ça m’avait semblé être le moment tout indiqué pour commencer une histoire plus sérieuse, non pas parce que nous étions destinés à vivre ensemble, mais parce que nous le souhaitions. Je n’avais simplement (et très malheureusement pour moi et ma fierté) pas pris en compte la possibilité que mes sentiments et mes envies du moment ne soient pas réciproques, me confrontant alors à la dure réalité. Si Ryleigh ne pouvait pas comprendre la souffrance et la désillusion qui avaient résulté de son refus, je ne comptais pas m’étendre davantage sur ce sujet douloureux. « C'est fou comme les gens peuvent grandir, ou non, en dix ans... » rétorquait-elle lorsque je m’étonnais de la voir admettre ses torts, cet évènement étant suffisamment rare pour être noté et pour toute réponse, je balayais sa remarque d’une geste las de la main, décidant que la pique était bien trop peu signifiante à mes yeux pour que je n’éprouve l'envie de perdre d’énergie à tenter de me défendre. En soit, que Ryleigh déplore mon manque d’évolution et de maturité me faisait une belle jambe, parce que malgré tous mes défauts qu’elle mettait en exergue depuis que j’avais franchi le seuil de son appartement, elle semblait toujours décidée à tenter de rétablir la communication entre nous et ce simple fait me suffisait amplement. Le sujet avait finalement dévié de ma petite personne pour se concentrer sur le cas de Gauthier qui venait de lâcher une bombe devant la famille Hazard-Perry révélant qu’il était le père de Gabriel, le fils d’Elisabeth que je côtoyais depuis plusieurs mois déjà. Je livrais à la belle brune tous les détails que Gauthier, dans un élan de générosité extrême, avait concédé à nous accorder, autant dire pas grand-chose. Pourtant quand bien même ce dernier faisait de la rétention d’informations, il y avait déjà de quoi se mettre sous la dent. « Splendide blonde que Gauthier dévorait des yeux dès que son meilleur pote avait le dos tourné ? » demandait alors Ryleigh lorsque j’évoquais la mère de l’enfant. Perdant un instant mon visage que je tachais de maintenir inexpressif, je me tournais vers la brune avec stupeur : « Quoi ? Ne me dis pas que toi aussi t’avais senti venir le truc ? » Car l’Egerton ne semblait pas être la seule à avoir flairé qu’il y avait anguille sous roche entre Gauthier et la Donovan puisque Maura n’avait pu s’empêcher de faire une remarque similaire pendant le repas. Avec un soupir, je m’avouais vaincu m’adossant contre le dossier du canapé avec mollesse : « L'idée même qu'il puisse se passer quelque chose entre eux deux ne m'a jamais traversé l'esprit » A ma décharge, j'avais toujours manifesté très peu d'intérêt pour la vie sentimentale de mon grand-frère, supposant qu'il préférait simplement la compagnie des roches rocailleuses à la douce présence d'une femme à ses côtés pour réchauffer ses nuits d'hiver. Ryleigh profitait de ce moment de faiblesse pour m’interroger sur mes fréquentations, s’étonnant de ne pas les connaitre, à ma grande surprise. « Est-ce que je dois comprendre que tu vas, volontairement, accepter de me revoir sans être ivre ? » De nouveau, un semblant de rire m’échappait des lèvres. « Ne l’espère pas trop, tu risquerais d’être déçue. » A dire vrai, je n’en avais pas la moindre idée, je savais que je ne maîtrisais rien quand il était question de la brune mais je n’avais pas envie de lui faire une fausse promesse pour autant. « Je ne suis pas aussi naïve. » s’était-elle défendue, me faisant sourire en coin, à l’idée même que j’aurai un jour eu la présence d’esprit et l'audace de la croire candide. J’avais ensuite, cherchant visiblement à me tirer moi-même une balle dans le pied, choisi d’évoquer le retour de Maura, me plaignant de ne pas savoir qu’elle arme elle cachait dans son sac, pour achever la cohésion de notre famille pourtant déjà bien affaiblie. De nouveau l’anglaise avait saisi l’opportunité pour me tirer le portrait, arguant que j’aurai de toute façon trouvé le moyen de m’éloigner d’elle un jour ou l’autre. Je m'agaçais de la voir prétendre tout savoir de moi, de nous et me demandant quel intérêt elle pouvait donc bien trouver à interagir avec moi. « Je n'y prends pas plaisir, mais j'ai l'espoir qu'un jour ce sera le cas. J'ai l'espoir qu'un jour me voir ne sera plus une corvée pour toi, ni une pression pour moi. » répondait-elle lorsque je me plaignais ouvertement de sa tendance à penser tout savoir de moi et de mes agissements futurs. J’avais pincé les lèvres, incapable de trouver quoi répondre à cette affirmation. Contrairement à Ryleigh, je croyais en l’imprévisibilité du futur et je savais que je ne pouvais pas, moi-même, prévoir mes futures réactions. J’avais conscience que tout restait à écrire dans ce nouveau chapitre de nos vies et j’ignorais encore quel tournant je souhaitais voir les évènements prendre. Je choisissais plutôt de rejeter la faute sur Ryleigh, l’accusant de chercher à se dédouaner sans se poser de questions (quand, au final, j’avais vaguement conscience d’agir de la même façon). « Comme ça t'allège la conscience de penser que c'est uniquement ma faute si nous en sommes où nous en sommes. » Nouveau soupir de ma part, avant qu’elle ne reformule sa question et que je ne lui en donne la réponse. La vérité vraie, nue, sans artifice. J’allais probablement regretter ces aveux dans un futur proche, mais ce soir j’étais usé de me battre contre elle. « Tu m'en vois navrée. Et bizarrement soulagée de savoir que je n’ai pas été la seule à souffrir. » C’était un sourire un peu triste cette fois-ci qui s’était dépeint sur mes lèvres, le temps d’un instant. Une part de moi ne pouvait s’empêcher cependant de douter que nous ayons vécu la même chose. C’était moi, l’amoureux éconduit. Ryleigh, elle, avait sans doute pu compter sur cet homme pour lequel elle m’avait tourné le dos, afin de supporter la séparation quand j’avais été laissé seul, à Oxford. Mais je me gardais bien de l’avouer, ayant déjà le sentiment d’en avoir trop dit : révéler l’étendue de la misère dans laquelle cette ultime conversation m’avait laissé me demanderait bien plus que quelques verres dans le nez. « Je t'ai volé un de tes sweatshirts d'Oxford le premier Noël après notre dispute. » J'avais arqué un sourcil, sans comprendre où elle voulait en venir, avant qu'elle ne s'explique davantage : « J'étais venue apporter vos cadeaux et on m'a fait comprendre qu'à l'annonce de ma venue, tu étais parti faire des courses, j'ai prétendu vouloir récupérer quelque chose dans ta chambre et j'ai volé un de tes sweatshirts. » Cette confidence tombait de nulle part, me prenant au dépourvu. A tel point que je laissais échapper un pouffement de rire face à la situation. Je ne pouvais m’empêcher de m’imaginer Ryleigh se faufilant dans ma chambre, à l’abri des regards, pour venir subtiliser un de mes hoodies estampillé Oxford. Et à l’imaginer porter cette part de moi sur elle, je sentais une étrange sensation envahir mes entrailles. Est-ce que j’aimais l’idée d’une Ryleigh habillée de mon sweat, respirant mon parfum lorsque je lui manquais plus que de raison ? Un peu trop à mon goût. « Tu sais que j’ai accusé pendant un temps le personnel de la maison de ne pas savoir faire leur boulot convenablement ? » confessais-je à mon tour dans un petit sourire amusé. « Tu veux le récupérer ? » Et sans même prendre le temps de la réflexion j’avais secoué la tête négativement : « Non, surtout pas. » C’était peut-être futile, mais j’aimais la savoir avec un peu de moi avec elle, savoir que j’avais compté suffisamment pour elle à une époque pour qu’elle ait besoin d’une relique de ma personne. « Il est à toi maintenant, garde le. » Ce n'était de toute façon pas les affaires aux couleurs de mon ancienne université qui me manquaient, vêtements que j’appréciais arborer sous les yeux de Gauthier pour le narguer et continuer cette guéguerre entre nous que j’avais moi-même démarrée en tournant le dos à la tradition familiale, emportant avec moi Connor dans mon sillage. Me tirant de mes pensées, elle m'interpellait de nouveau : « Tu veux une cigarette ? » La regardant s'affairer, prendre une cigarette pour elle, j'avais hoché la tête. J'avais déjà fumé plus que de raison pendant la première partie de ma soirée, me réfugiant dans le fumoir du club où nous avions élu domicile avec SJ pour échapper le temps de quelques instants aux tentacules gluantes de la jeune femme que j'avais espéré ramener chez moi, plus tard dans la nuit. Mais je n'étais pas contre ma dose de nicotine maintenant, pour évacuer les tensions que cette conversation avec Ryleigh engendraient chez moi. J'attrapais la clope qu'elle me tendait, l'allumant aussitôt, laissant le tabac apaiser mes sen tout en amplifiant les effets de l'alcool sur mon corps. Un silence s'était peu à peu installé entre l'anglaise et moi sans que ce dernier ne soit vraiment pesant, presque à l'image de notre relation passée où les mots étaient bien souvent superflus en sa douce compagnie. J'avais cependant choisi de prendre le fil de la conversation : « En parlant de ma famille... Il se trouve que le seul avec qui je ne suis pas en froid en ce moment, c'est Connor. » Si cinq ans auparavant l'idée même de ne pas être en bons termes avec mon petit-frère m'aurait semblé absurde, la vie en avait décidé autrement. Il avait vécu mon départ de Londres comme une véritable trahison, refusant de m'accorder la moindre de ses nouvelles pendant tout ce temps. Et si je ne l'avais jamais reconnu à voix haute, cette absence de contact avec lui m'avait profondément touché. C'était la goutte de trop, en plus de mon lien avec Ryleigh qui avait trouvé une fin abrupte, savoir que Connor cherchait à me rayer de sa vie m'avait blessé, vexé même. A son retour en ville, j'avais agi avec lui de la même façon que je le faisais lorsque mes sentiments étaient touchés, le rejetant avec force et prétendant ne plus avoir rien à faire avec lui, ne plus me soucier de son bien-être. Et il l'avait bien rendu, décidant de continuer à faire comme si je ne vivais pas dans la même maison que lui. Pourtant, quelques temps après le retour de Ryleigh, il était venu chercher mon aide et ça n'avait été que le début de notre réconciliation, retrouvant notre complicité cultivée pendant seize longues années avant mon départ. Et étrangement, lorsque Gauthier avait choisi de nous révélé son secret, c'était auprès de Connor que j'avais trouvé le soutien que je recherchais, me reconnaissant étrangement dans ses propos et ses réactions. Si cette nouvelle avait fragilisé mes relations avec le reste de ma fratrie, même mon lien avec Théodora, elle m'avait étrangement indéniablement rapprochée de mon petit frère et ce n'était pas pour m'en déplaire. « En toute franchise, je suis fatigué de ces tensions, ces secrets, ces faux-semblants. Je pensais avoir laissé tout ça derrière moi. » confessais-je, le cœur lourd. Mais depuis que Maura avait posé les pieds sur le sol australien, tous nos démons d'antan semblaient de nouveau prêt à nous ensevelir. J'arrivais à saturation, c'était épuisant de passer mon temps à me battre contre tout et tout le monde.
« Tu veux dire en dehors de l’honneur de pouvoir afficher sur mon CV un prestigieux : University of Oxford ? » fait-il ridiculement juvénile. Elle ne lui fera pas remarquer qu'au final son diplôme ne porte le nom que d'une université de Brisbane, ça n'a pas d'importance et ça ne les mènera nulle part. Il y a des batailles qu'il faut savoir laisser passer, et en bonne générale de guerre, elle reconnaît en cette annonce, une bataille qui ne vaut pas d'être menée.« Oliver et une vie au soleil. » ajoute-t-il. Charlie n'en a peut-être pas conscience parce qu'il ne vit pas avec un miroir en face de lui -même s'il pourrait, le garçon aime son reflet- mais chaque fois qu'il évoque le nom du fils de sa sœur, un éclair de fierté et de tendresse lui traverse les yeux. Elle se demande, presque envieuse, si quelqu'un a déjà eu cette expression en parlant d'elle, probablement pas ses parents, peut-être un de ses frères et encore que même ça elle en doute. « Tu l'aimes vraiment beaucoup ce gosse hein ? » fait-elle attendrie par le fait que Charlie ne pense même plus à sa liberté. Cette quête d'air libre loin de l'emprise de ses parents. Quand il pense à sa rébellion, tout ce qu'il voit c'est ce neveu qui le voit comme une figure paternelle et qui embrasse tous ses défauts comme autant de trésors. Un amour que Ryleigh a du mal à comprendre même si elle a, à une époque, chéri les travers du garçon qu'il était. Le sujet de Gauthier et de son enfant illégitime avec la femme -ex-femme?- de son meilleur ami -ex-meilleur-ami?- revient sur le sujet et Charlie semble étonné du commentaire qu'elle a fait. « Quoi ? Ne me dis pas que toi aussi t’avais senti venir le truc ? » demande-t-il incrédule, montrant une fois encore que les garçons sont probablement moins doués à lire les émotions des gens que les femmes, ou qu'elle portait plus d'attention à son frère que lui à l'époque. Leur relation a toujours été un peu tendue et rien que pour ça, Ryleigh trouve que c'est un exploit qu'ils aient réussi à vivre ensemble pendant cinq ans sans s'entretuer. La faute à Gauthier qui paie les factures peut-être ? Ou à Théodora qui sert d'arbitre ? Ou à Oliver qui distribue sa joie de vivre à chacun ? Elle n'en sait rien. « Il cache moins bien ses émotions que toi. » commente-t-elle sans la moindre accusation dans la voix, même si en y réfléchissant c'est l'expertise de Charlie à dissimuler ses sentiments qui a rendu l'aveu de ses sentiments une surprise. « L'idée même qu'il puisse se passer quelque chose entre eux deux ne m'a jamais traversé l'esprit » ajoute Charlie désabusé. Il aura du mal à l'admettre mais en dépit de toutes les rancunes, toutes les colères et incompréhensions qui polluent leur relation, mais Ryleigh a toujours eu le sentiment que Charlie mettait Gauthier sur un piédestal -ce qui générait vraisemblablement les déceptions lorsque Gauthier se révélait humain-. « Moi non plus, jamais je n'aurais pensé que Gauthier trahirait son ami ainsi, mais elle lui plaisait, c'était évident. » admet-elle un peu confuse elle-même de réaliser que tout ou part de ce qui fait de Gauthier un roc immuable à ses yeux vient d'être ébranlé. « Tu sais que j’ai accusé pendant un temps le personnel de la maison de ne pas savoir faire leur boulot convenablement ? » Elle explose de rire à cette confession, chose qu'elle ne fait que rarement à moins d'être enivrée comme elle l'est présentement. Elle n'a aucun mal à imaginer la situation, un Charlie de dix-huit ans furieux qu'une fois encore quelque chose n'ait pas été remis à sa place et se plaignant de l'incompétence des domestiques de la famille. Malheureusement, malgré ses pires insultes à leur égard, Charlie n'a jamais été aussi capable que sa mère -ou celle de Ryleigh d'ailleurs, à croire qu'elles ont suivi des cours ensemble- pour donner envie à des employés de maison de disparaître. « Ils avaient l'habitude de l'entendre, ta mère devait passer une bonne par semaine tant elle était exigeante. » Souvent la bonne renvoyée n'avait pas la présence d'esprit de se retirer sans un mot et venait sonner à la porte des Egerton pour offrir ses services. Elle recevait en général un rire glacial de la part de Madame Egerton avant de se faire claquer la porte au nez. « Non, surtout pas. » répond-il quand elle lui demande s'il veut récupérer le vêtement, ce qui retire un poids des épaules de Ryleigh qui n'est pas prête à se séparer de cette part de lui. Comme elle ne peut se résoudre à retirer la photo d'eux deux se tenant dans les bras en tenue de cérémonie le jour de leur graduation de lycée qui trône sur sa table de nuit, à côté d'une photo de sa fratrie au complet et d'une photo de Maura et elle trinquant à l'honneur de leur collaboration à venir. Elle note cependant qu'il ne s'est pas contenté d'un « non », il a ajouté « surtout pas ». Et cet ajout la laisse divisée quant au sens qu'elle doit y accoler. Ne veut-il pas le récupérer parce qu'il est content qu'elle ait gardé un vêtement à lui toutes ces années ou ne veut-il pas le récupérer parce que ça voudrait dire se trimballer avec un sweatshirt qui sent Ryleigh ? « Il est à toi maintenant, garde le. » conclut-il, la tirant de ses pensées. Pour une fois qu'il fait quelque chose de gentil, elle ne va pas chercher à le contredire. « D'accord... merci. » murmure-t-elle sentant ses joues rougir inexplicablement. La faute à l'alcool elle décide. Se lever pour prendre les cigarettes est une bonne excuse pour cacher son embarras des yeux inquisiteurs de Charlie. Elle lui en tend une, allume la sienne et lui donne le briquet, prenant bien garde à ne pas toucher sa main dans la manœuvre. « En parlant de ma famille... Il se trouve que le seul avec qui je ne suis pas en froid en ce moment, c'est Connor. » dit-il, offrant la meilleure distraction imaginable. C'est une surprise de taille, surtout quand on sait -comme elle- à quel point Connor était remonté contre son frère. Remonté au point de coucher avec Ryleigh il y a de ça près de six ans. Un souvenir qui la met plus que mal à l'aise, tant parce qu'il s'agit d'un secret de plus que parce que Ryleigh regrette ce dérapage. « Oh wow. T'as réussi à gagner Connor à ta cause ? D'ici trois semaines c'est Maura qui te mangera dans le creux de la main à ce rythme. Ok, plutôt un mois. » se corrige-t-elle réalisant que ce n'est pas très réaliste d'espérer que cette relation se répare d'aussitôt, même lorsque la nouvelle du cancer de Maura explosera. Encore un truc qui va revenir hanter Ryleigh et mettre des bâtons dans les roues de se relation avec Charlie. Elle est épuisée de tous ces allers-retours et de tous ceux à venir. Ça lui foutrait presque le bourdon. « En toute franchise, je suis fatigué de ces tensions, ces secrets, ces faux-semblants. Je pensais avoir laissé tout ça derrière moi. » admet-il et elle ne peut qu'acquiescer silencieusement, consciente qu'il y en aura bien d'autres sur la route. Pourquoi ne peuvent-ils pas vivre dans un monde simple, un monde de série télévisée où tout est bien qui fini bien et où les drames sont trop gros pour être vrais et facilement résolus avec une petite conversation à cœur œuvre. « Je n'ai pas parlé à Gregory de vive-voix depuis presque un an. Drew fait semblant d'être heureux pour moi mais m'en veut d'avoir suivi Maura après leur rupture, et Abbott me supplie de trouver un moyen de le faire venir parce qu'il meurt seul à Londres. » confesse-t-elle un peu saoulée de réaliser qu'elle aussi a une vie familiale légèrement chaotique, rien en comparaison de ce que les Hazard-Perry vivent, mais pénible tout de même. « Alors merci de faire passer ma famille pour une famille presque normale. » dit-elle, un sourire presque amusé aux lèvres, en levant son verre presque vide et en le finissant d'une traite. « Parle-moi de toi. » ajoute-t-elle comme on demande l'heure tant qu'elle a encore le courage attribué par le rush de la boisson. Avoir perdu dix ans de leur vie ne veut pas dire qu'elle doit perdre plus de temps. Charlie a échappé à son regard et elle a besoin de rattraper ce temps perdu, passé loin de lui. Une part d'elle lui en voudra longtemps, peut-être toujours, de l'avoir abandonnée, mais une autre a besoin qu'il lui accorde son absolution. Aussi, elle se demande s'il est trop tard pour lui demander pardon, parce que ce n'est pas seulement son corps qui lui manque, elle sait bien qu'elle l'a déçu, mais elle a besoin de savoir s'il est trop tard pour lui demander pardon aujourd'hui.
J'ai envie de revoir ton visage. C'est tout. C'est comme les gens qui retournent dans le village où ils ont passé leur enfance ou dans la maison de leurs parents ou vers n'importe quel endroit qui a marqué leur vie. C'est comme un pèlerinage. A croire que ton visage est un endroit qui a marqué ma vie.
ryleigh & charlie
D’une discussion concernant la remise en question de mes choix d’université, j’avais avoué à Ryleigh que ma rébellion contre la ligne de conduite imposée d’une main de fer par mes parents m’avait offert Oliver. Si parfois j’en venais à regretter mon train de vie dans la capitale Londonienne et le confort qui allait avec, l’existence de mon neveu se chargeait de balayer d’un coup tout potentiel regret. Le jeu en avait valu la chandelle et si les choses étaient à refaire j’étais convaincu que je ne changerai rien à mes choix (si ce n’était cette proposition que j’avais eu le malheur de faire à la belle brune). « Tu l'aimes vraiment beaucoup ce gosse hein ? » m’avait-elle aussitôt demandé avec une esquisse de sourire sur les lèvres. J’avais alors planté mes yeux dans les siens, me mettant à sourire à mon tour. « Chaque jour un peu plus. » Ollie était plus que mon neveu, j’avais la chance de partager son quotidien. J’avais été là pour le voir naître, ayant alors l’extrême privilège de pouvoir tenir dans mes mains le petit être qu’il était alors, j’avais changé ses couches, admiré ses premiers pas, entendu ses premiers mots, pansé ses premières ecchymoses. C’était un véritable rayon de soleil qui baignait toute la villa de sa bonne humeur et candeur communicative. Un enfant à l’esprit déjà bien aiguisé pour son âge. Je l’aimais et l’élevais comme s’il était la chair de ma chair, le sang de mon sang et aujourd’hui, je n’imaginais plus ma vie sans sa présence à mes côtés. Pour sûr, le jour fatidique où Théodora prendrait son envol pour fonder son foyer de son côté, emportant son fils avec elle serait une véritable déchirure pour moi. Et pourtant bien conscient du vide au goût amer que cela laisserait dans mon existence, je continuais chaque jour de m’attacher un peu plus à ce petit-être sans y mettre la moindre mesure. Quand le sujet de la toute nouvelle (et ô combien bien accueillie) paternité de Gauthier était mise sur le tapis, je ne pouvais m’empêcher de me laisser surprendre par l’idée que Ryleigh ait pu sentir qu’il y avait anguille sous roche entre mon grand-frère et la petite-amie de son meilleur ami de l’époque (j’ignorais à ce jour si Gauthier et Daniel avaient encore le moindre contact et pour être honnête, je m’en fichais un peu). « Il cache moins bien ses émotions que toi. » qu’elle avait simplement répondu et je n’avais pu empêcher un petit rictus (un peu mauvais) de se dépeindre sur mon visage : « Ça se voit que tu n’étais pas là quand il a lâché la bombe. Il était stoïque, on aurait dit une statue de cire. » C’était d’ailleurs bien ça le pire, qu’avec tout le calme du monde, Gauthier ait trouvé la force de nous annoncer pareille information. Droit comme un "i" aussi expressif qu’une porte de prison, même en connaissant la tendance qu’avait Gauthier à ne pas laisser le moindre événement le déstabiliser, c’était une prouesse en soi. Si un oscar devait être décerné au sein de la famille Hazard-Perry, il était difficile de dire à qui il reviendrait : le trader et son self-control implacable, Maura et cette habitude qu’elle avait de toujours être là où on ne l’attendait pas, déconnectée de cette famille, des enjeux qui se jouaient en son sein, et Théodora qui avait joué un double-jeu parfait, connaissant la vérité depuis le début mais choisissant ostensiblement de garder le secret. Je ne pouvais m’empêcher d’avouer à Ryleigh qui si indices quant à un potentiel rapprochement il y avait eu, j’en étais totalement passé à côté. « Moi non plus, jamais je n'aurais pensé que Gauthier trahirait son ami ainsi, mais elle lui plaisait, c'était évident. » Le couteau que mon grand-frère avait planté dans le dos de son soi-disant meilleur ami me semblait en revanche bien négligeable (bien que loin d’être reluisant) comparé à la trahison qu’il nous avait faite en gardant le secret pendant aussi longtemps. Lui qui semblait s’évertuer à faire les meilleurs choix qui soient pour notre famille venait de la précipiter dans des tourments qui surmontaient tout ce que nous avions connu jusqu’ici. Se sentant visiblement suffisamment en confiance pour se laisser aller à son tour à une confession Ryleigh m’avait que c’était elle qui avait en sa possession le sweat que j’avais perdu plusieurs années auparavant. « Ils avaient l'habitude de l'entendre, ta mère devait passer une bonne par semaine tant elle était exigeante. » Un petit rire m’avait secoué, à cette idée. Non pas que les souvenirs liés à ma mère soient fondamentalement doux à l’évocation, mais la déclaration de l’anglaise était tellement criante de vérité que cela m’avait amusé. Elle avait proposé de me rendre ce qui m’appartenait et j’avais refusé, conscient bien malgré moi que j’aimais cette idée de la savoir avec quelque chose qui m’appartenait et qu’elle chérissait comme un trésor. « D'accord... merci. » J’avais, un bref instant, eu l’impression de voir ses joues s’enflammer mais elle détournait bien vite mon attention en me proposant de fumer à ses côtés, chose que j’acceptais. Un choix qui n’avait rien de judicieux mais qui tombait à pic. Et comme l’heure semblait être venue aux confidences en tous genres, je choisissais de poursuivre sur le sujet intarissable des aventures de la famille Hazard-Perry, évoquant ma réconciliation avec Connor qui s’était révélé être un soutien appréciable et apprécié. « Oh wow. T'as réussi à gagner Connor à ta cause ? D'ici trois semaines c'est Maura qui te mangera dans le creux de la main à ce rythme. Ok, plutôt un mois. » plaisantait-elle et l’ombre d’un sourire était venue étirer mes lippes. Je doutais que d’ici un mois mes rapports conflictuels avec Maura trouvent leur conclusion, bien au contraire. Je ne parvenais pas à savoir ce qu’elle cachait et je ne faisais pas grand effort pour le découvrir, mais j’étais certain que je ne lui céderais rien tant que je ne serais pas au fait de ses véritables motivations et intentions. Si Théodora avait réussi à lui pardonner son absence de prise de position dans le débat sur sa grossesse qui avait divisé notre clan, c’était loin d’être mon cas. La déception de son comportement me restait encore aujourd’hui en travers de la gorge et chaque tentative qu’elle faisait pour tenter de nouer un quelconque lien avec son neveu me donnait envie de vomir. « Pour ça, il faudrait encore que j’accepte de passer plus de cinq minutes en sa compagnie. » J’étais passé maître dans l’art d’esquiver sa présence, grandement aidé par le fait qu’elle n’oserait sûrement pas de sitôt remettre un pied dans la villa et que je continuais d’éviter avec application les abords de l’hôtel familial depuis mes retrouvailles fortuites avec Ryleigh. Et c’était à son tour d’évoquer sa fratrie : « Je n'ai pas parlé à Gregory de vive-voix depuis presque un an. Drew fait semblant d'être heureux pour moi mais m'en veut d'avoir suivi Maura après leur rupture, et Abbott me supplie de trouver un moyen de le faire venir parce qu'il meurt seul à Londres. » Le fait qu’elle n’ait pas vu Gregory depuis tout ce temps ne m’étonnait pas outre mesure connaissant son grand-frère pour être toujours en quête d’aventures et toujours prêt à partir, sur un coup de tête, à l’autre bout de monde. On ne savait jamais quand il partait et encore moins quand il revenait, mais c’était, parait-il, ce qui faisait le charme de sa personnalité. « Je t’avoue que je ne sais même pas ce qu’il s’est passé entre Drew et Maura. » Ce qui n’avait rien d’étonnant quand on considérait que j’avais gardé assez peu de contacts avec les Egerton en tout genre depuis mon départ de Londres et que je ne parlais pas à Maura si ce n’était pour lui cracher ses quatre vérités à la figure. J’avais cru comprendre, en surprenant des conversations entre le reste de mes frères et sœurs, qu’ils s’étaient séparés mais je n’en savais pas plus. Est-ce que j’étais curieux de savoir ce qu’il était advenu d’eux ? Pas réellement, mais je ne pouvais nier être étonné que leur histoire ait trouvé une fin. J’imaginais la déception que cela avait engendré chez nos parents respectifs lorsqu’ils avaient dû se rendre à l’évidence qu’aucune de leurs paires d’enfants ne leur permettrait d’avoir un héritier commun. « Alors merci de faire passer ma famille pour une famille presque normale. » avait-elle soufflé avant de finir son verre d’un coup et dans un petit rire amusé mais sans grande conviction, j’avais rétorqué un : « Tout le plaisir est pour moi. » A mon tour, je venais terminer ma cigarette et mon verre de vin, reposant ce dernier sur un desserte qui se trouvait juste à côté du canapé. « Parle-moi de toi. » La demande de Ryleigh me prenait au dépourvu, me tirant cette fois-ci un rire un peu plus franc. « Tu veux que je te parle de moi ? » La requête était étrange, inhabituelle. Déjà parce qu’avec l’anglaise nous n’avions jamais eu à parler de nous, l’autre savait toujours tout et devinait le reste mais également parce que les personnes qui voulaient obtenir des détails sur ma personne, se contentaient de poser des questions ciblées en général. Comprenant cependant qu’elle était sérieuse, je prenais alors le temps de la réflexion, cherchant ce que je pouvais bien lui raconter sur ma vie, il y avait à la fois tant à dire et trop peu, que j’en avais légèrement le vertige. « Tu veux vraiment savoir à quoi ressemble ma vie ici en dehors de mes drames familiaux ? » lui demandais-je. Ma vie était bien loin des paillettes de ma vie londonienne, j’avais troqué une partie de mon train de vie d’héritier de la haute société pour une vie plus commune, loin des artifices de la vie que nous avions toujours connu. « J’ai étrangement l’impression de vivre toujours à 300 à l’heure ici. Avec l’école d’Oliver à gérer, ce n’est pas toujours facile de concilier nos emplois du temps respectifs. On a toujours voulu qu’il soit le plus souvent possible avec au moins l’un d’entre nous, le moins possible avec des inconnus chargés de veiller sur lui. » C’était le fondement même de son éducation, Théodora se l’était promis : elle refusait que son fils grandisse de la même façon que nous. « J’essaye de jongler entre mes responsabilités vis-à-vis de lui et mon tout nouvel emploi à la Radio. En parlant d’ABC, j’adore travailler là-bas, c’est stimulant et j’ai beaucoup de liberté, on me fait confiance et c’est appréciable. » Il fallait dire que j’avais travaillé dur pour montrer que j’en avais sous le capot, j’avais terminé major de promotion haut la main à l’université malgré la spécialisation que j’avais choisi de suivre en parallèle et qui me demandait de travailler donc deux fois plus assidument. J’avais eu l’opportunité de prouver ma valeur lors de mon stage de fin d’études, récoltant l’admiration du rédacteur en chef de la Radio à l’époque, facilitant mon embauche à l’obtention de mon diplôme. Et j’avais l’impression de servir à quelque chose en ce monde à travers mes petites investigations que je menais sans compter mes heures de travail. « Et quand j’ai enfin un peu de temps libre, j’en profite pour continuer de voir mes amis. Notamment Tad et Nadia dont je te parlais un peu plus tôt, mais surtout Debra qui a connu une petite traversée du désert pendant sa grossesse. » Je remarquais soudainement Ryleigh se tendre légèrement, comme souvent lorsque j’évoquais ma meilleure amie et je décidais de prendre les devants avant même de la voir se braquer. « Pas de moi, je t’ai dit, pas de bébé surprise à mon actif. » L’idée même qu’elle puisse imaginer que j’ai pu coucher avec Debra me tirait un sourire amusé, encore plus l’idée que de cette histoire en ait résulté un enfant. Contrairement à mes frères et sœurs, j’avais toujours su prendre mes précautions de ce point de vue-là, j’avais assez d’Oliver dans ma vie pour le moment. J’hésitais un instant à évoquer Max, celui avec qui tout avait commencé ici, mon premier ami sur le sol australien, grâce à qui je m’étais fait une place dans cette université à mon arrivée et par le biais de qui j’avais rencontré ceux qui deviendraient plus tard mes amis. Mais le sujet était encore trop sensible pour que je me risque à l’évoquer, parce que j’aurai dû tout raconter à Ryleigh, du début à la triste fin et je ne m’en sentais pas l’énergie ce soir. Je réservais cette histoire pour un autre soir, à supposé qu’autre soir il y ait. « Et toi, c’est vraiment pour Maura que t’as traversé la moitié du globe ou tu avais des choses que tu cherchais à fuir à Londres ? » lui demandais-je alors, me montrant curieux à mon tour.
« Chaque jour un peu plus. » répond Charlie quand elle constate l'amour qu'il a pour son neveu. Cette vérité lui éclate au visage comme la beauté d'un panorama vous saute aux yeux quand vous vous tenez au centre d'un belvédère. Charlie d'ordinaire franc mais refusant de livrer le fond de ses sentiments n'a pas de retenue lorsqu'il s'agit de parler d'Oliver. Une réalité qui la touche autant qu'elle la surprend, peut-être parce qu'elle n'a pas encore eu l'occasion de voir un enfant grandir et qu'elle n'est pas devenue ce genre de personne dont le centre de l'univers se déplace pour orbiter autour d'un petit être humain incapable de former une phrase ou même une pensée complexe. « Il a de la chance de t'avoir. » admet-elle, presque envieuse. Oliver aura toujours Charlie dans sa vie, même le jour où il fera des choix qui déplaisent à son oncle. C'est un des bénéfices d'être né dans les bras du britannique il faut croire. Ryleigh doit bien avouer qu'elle pensait jouir du même privilège avant d'être désillusionnée. Mais Oliver a un avantage, Charlie l'a vu naître et il lui a changé ses couches volontairement et Ryleigh n'aura jamais ce genre de rapport avec lui. À moins qu'ils finissent tous les deux en maison de retraite et que Charlie soit d'humeur vraiment généreuse. Le sujet retourne vers Maura et Charlie n'est pas capable de cacher ses inimitiés envers son aînée. « Pour ça, il faudrait encore que j’accepte de passer plus de cinq minutes en sa compagnie. » fait-il vindicatif et donnant le ton de la conversation. Ryleigh lève les yeux au ciel devant tant de mélodrame. « Je t’avoue que je ne sais même pas ce qu’il s’est passé entre Drew et Maura. » ajoute-t-il quand Ryleigh parle de ses frères et de leur relation et mentionne la rupture entre Maura et Drew. Ryleigh ne sait que trop bien pourquoi la relation a échoué et même si elle n'est pas convaincue que ç'ait été le choix le plus judicieux de la part de sa meilleure amie que de se séparer de son frère et de fuir en avant. Mais Maura a plus besoin d'elle que Drew, alors le choix était simple. « Tu le saurais peut-être si tu acceptais de passer plus de cinq minutes en sa compagnie. » commente-t-elle taquine en lui jetant un regard malicieux. Ce fut une pirouette savamment menée afin d'éviter d'avoir à révéler plus d'informations qu'elle ne s'estime avoir le droit de partager avec Charlie. La nouvelle du cancer de Maura n'est pas sienne à annoncer, quand bien même elle aimerait être honnête avec Charlie, parce qu'elle sait que son manque de communication finira par venir la hanter, Ryleigh ne peut rien dire. Maura a plus mérité sa loyauté que Charlie n'a mérité sa franchise, c'est aussi simple que ça. « Tu veux que je te parle de moi ? » demande-t-il surpris et elle hoche la tête. « Tu veux vraiment savoir à quoi ressemble ma vie ici en dehors de mes drames familiaux ? » continue-t-il ce qui arrache un sourire à Ryleigh. « Surtout en dehors de tes drames familiaux. » Pitié, qu'on en finisse avec les montagnes russes émotionnelles que sont leurs vies de famille. L'espace d'une minute qu'ils puissent parler de quelque chose d'autre, quelque chose qui ne les force pas à marcher sur des œufs. « J’ai étrangement l’impression de vivre toujours à 300 à l’heure ici. Avec l’école d’Oliver à gérer, ce n’est pas toujours facile de concilier nos emplois du temps respectifs. On a toujours voulu qu’il soit le plus souvent possible avec au moins l’un d’entre nous, le moins possible avec des inconnus chargés de veiller sur lui. » Une éducation radicalement différente de celle qu'ils ont reçu en somme. Ryleigh trouve ça beau que malgré leurs différences et leurs différends la fratrie ait réussi à se réunir autour de ce petit être. Néanmoins en dépit des rancoeurs que leur enfance a pu susciter, Ryleigh a du mal à n'y trouver que du négatif. Aussi délaissés qu'ils aient été par leurs parents, ils avaient toujours une famille de substitution à leurs côtés et un niveau de vie que quatre-vingt dix-neuf pour cent de la population ne connaîtrait jamais et pour ça, Ryleigh est reconnaissante. « J’essaye de jongler entre mes responsabilités vis-à-vis de lui et mon tout nouvel emploi à la Radio. En parlant d’ABC, j’adore travailler là-bas, c’est stimulant et j’ai beaucoup de liberté, on me fait confiance et c’est appréciable. » explique-t-il en parlant de son boulot. Un job qu'il a décroché par ses propres moyens, sans l'intervention de ses parents et dont le mérite lui revient entièrement. Qu'il soit aussi épanoui dans son travail fait plaisir à voir et Ryleigh serait presque jalouse de ne pas pouvoir prétendre au même degré d'accomplissement. Après tout, elle n'a décroché la position qu'elle occupe que parce qu'elle est la meilleure amie de la patronne. « Je suis fière de toi. » dit-elle sincèrement. Il a grandi finalement, il est devenu exactement l'homme qu'il voulait être : carriériste et échappant à toute emprise de ses parents. Il ne lui restait plus qu'à faire fortune par ses propres moyens et Charlie aura achevé tout ce qu'il avait entrepris. « Et quand j’ai enfin un peu de temps libre, j’en profite pour continuer de voir mes amis. Notamment Tad et Nadia dont je te parlais un peu plus tôt, mais surtout Debra qui a connu une petite traversée du désert pendant sa grossesse. » Le nom de la « meilleure amie » la fait se crisper. C'est probablement son snobisme élitiste qui parle, ou tout simplement la jalousie qu'elle se refuse à reconnaître. Apprendre que Debra a eu des soucis avec sa grossesse et que Charlie était aux petits soins pour elle et son enfant à naître, déclenchent toutes ses alarmes. « Pas de moi, je t’ai dit, pas de bébé surprise à mon actif. » s'explique Charlie, presque amusé de voir la réaction naissante chez elle. Il la lit encore avec facilité malgré les barrières qu'elle a placées entre eux et les années durant lesquelles il n'a pas pratiqué. « Tu peux pas m'en vouloir d'avoir eu un doute, la nana vit chez ton frère après tout. D'ailleurs, vous avez des preuves qu'il n'est pas aussi le père de son enfant ? » demande-t-elle en plaisantant. Après tout, Gauthier a l'air d'être très fertile, la seule fois qu'elle l'imagine avoir eu un rapport sexuel il a réussi à mettre une fille enceinte. Peut-être que son simple regard suffit à placer un polichinelle dans le tiroir ? « Et toi, c’est vraiment pour Maura que t’as traversé la moitié du globe ou tu avais des choses que tu cherchais à fuir à Londres ? » La question la prend au dépourvu. Elle n'y a jamais réellement réfléchi. Ryleigh s'est toujours retenue d'y réfléchir, elle partait pour soutenir Maura dans sa maladie, c'était tout. Que Charlie pose la question la force à arrêter de se cacher derrière ce simple motif et à analyser la situation pour ce qu'elle est vraiment. « Honnêtement ? C'était un pot pourri. En partie pour Maura, c'est sûr, en partie parce que je voulais quitter Londres pour un moment. En partie parce que ma mère me rendait folle à me sermonner chaque jour de ne pas être mariée et avec enfant. Puis j'ai estimé qu'il était temps que toi et moi on répare ce que j'ai cassé. » Si elle était complètement honnête, Ryleigh aurait mis réparer sa relation avec Charlie au-dessus du reste, ou peut-être juste à égalité avec soutenir Maura. « Puis je me suis dit qu'il était temps que je me chope un cancer de la peau, histoire de ne pas survivre à toute la famille Hazard-Perry qui cultive un bronzage d'enfer depuis cinq ans. » plaisante-t-elle avant de réaliser qu'elle a balancé le mot cancer sans s'en rendre compte. Est-ce que son cerveau cherche à donner des pistes à Charlie sans qu'elle ne le veuille vraiment ? Il faut absolument qu'elle arrête de picoler. Elle se connaît, d'abord elle parle trop, puis elle arrête de se comporter comme une lady et le lendemain matin elle se morfond devant les souvenirs de ce qu'elle a fait la veille. Perdre contrôle de ses actions devant Charlie n'est pas une option.
J'ai envie de revoir ton visage. C'est tout. C'est comme les gens qui retournent dans le village où ils ont passé leur enfance ou dans la maison de leurs parents ou vers n'importe quel endroit qui a marqué leur vie. C'est comme un pèlerinage. A croire que ton visage est un endroit qui a marqué ma vie.
ryleigh & charlie
Si j’avais des difficultés à parler de ce que je ressentais, lorsqu’il s’agissait d’Oliver toutes mes réserves s’effondraient. J’étais un de ces oncles gaga de leur neveu, capables de parler des exploits du gamin en question pendant des heures sans s’en lasser. Heureusement je parvenais à me contenir, ne faisant mention de ce petit-être que lorsque le sujet était mis sur le tapis. « Il a de la chance de t'avoir. » Je l’avais regardé avec un petit sourire avant de secouer négativement la tête. « Je pense que j’ai plus à y gagner que lui. » C’était la vérité, Oliver n’avait pas fondamentalement besoin de moi, il avait l’amour de sa mère qui suffisait déjà amplement et Gauthier était dans les parages pour lui assurer un confort de vie non négligeable, une présence masculine forte et rassurante, comme il l’avait fait avec chacun d’entre nous et si toute la testostérone du trader ne suffisait pas, il y avait à présent Connor qui s’était ajouté à notre petite bande. Quand j’évoquais ma relation avec Maura, je confiais à Ryleigh que j’ignorais tout des raisons de sa séparation avec le grand-frère de cette dernière. « Tu le saurais peut-être si tu acceptais de passer plus de cinq minutes en sa compagnie. » J’avais alors émis pour toute réponse un bruit de la gorge à mi-chemin entre le grognement et le reniflement pour manifester mon enthousiasme à cette idée. Changeant de sujet, l’anglaise avait fait le choix de m’interroger sur ma vie, me demandant de lui parler de moi et malgré ma surprise, mon hésitation, je m’étais lancé, évoquant la vie d’oncle investi que je menais aujourd’hui et ma carrière de journaliste tout récemment lancée, essayant de lui expliquer en quelques mots le plaisir que je trouvais à travailler pour la radio. « Je suis fière de toi. » avait-elle soufflé. J’avais alors planté mon regard dans le sien, comme j’avais si souvent eu l’habitude de le faire par le passé, un léger sourire, pourtant bien sincère, venant plisser le coin externe de mes yeux. Si ces quelques mots pouvaient sembler futiles, ils me touchaient néanmoins en plein cœur. Parce qu’ils venaient de Ryleigh, que malgré nos dix années de séparation forcée et volontaire, elle restait la personne qui me connaissait certainement le mieux sur cette planète. Elle m’avait écouté pendant des heures, allongés sur le lit de ma chambre, lui vanter mes rêves de devenir un jour journaliste afin de pouvoir parcourir le monde en quête d’investigations et d’histoires à raconter. J’avais non seulement réussi à atteindre mon objectif mais je l’avais fait sans bénéficier d’un quelconque coup de pouce de mes parents, autre que celui de porter leur nom qui résonnait toujours, malgré moi, à l’oreille de ceux qui connaissaient un minimum les noms des influents de ce monde. Je me perdais dans le bleu de ses yeux qui continuait de m’hypnotiser malgré les années, ne me lassant jamais de cette vision, laissant mes pensées suivre leur cours. Je sentais monter en moi l’envie d’initier un contact physique, une main sur sa joue, mes doigts qui viendraient replacer une mèche de cheveux derrière son oreille, comme à l’époque. Mais je me retenais, ma main restant à sa place sur ma cuisse. J’avais repris le fil de mes aventures australiennes, évoquant les amitiés solides que j’avais tissé ces cinq dernières années sur le sol australien. Je m’étais fait ici des amis précieux, issus de milieux bien différents du mien, secret qui conférait certainement à nos liens ce caractère tout à fait spécial. Et malgré moi, je sentais un doute me saisir : que penserait Ryleigh de mes nouvelles fréquentations, définitivement bien plus du peuple qu’autrefois ? Si je n’avais jamais accordé trop d’importance à ce que la brune pouvait bien penser de mes proches, sachant que c’était une évidence qu’elle serait bien souvent du même avis que moi, les choses étaient tellement différentes ici que ça me perturbait. J’avais tissé une amitié solide avec l’ensemble de la fine équipe, bien loin des relations éphémères et superficielles que j’avais plus ou moins toujours connu à Londres et Oxford. Mais l’opinion de Ryleigh continuait de peser son poids dans la balance, malgré tout. J’avais alors brièvement évoqué la grossesse de Debra, me confrontant au regard noir de la brune avant de préciser que je n’avais rien à voir dans cette histoire, dieu soit loué. « Tu peux pas m'en vouloir d'avoir eu un doute, la nana vit chez ton frère après tout. D'ailleurs, vous avez des preuves qu'il n'est pas aussi le père de son enfant ? » J’avais aussitôt affiché une mine de profond dégoût, comme celle que faisait Oliver lorsqu’il goûtait un aliment qui ne lui convenait pas réellement. « C’est déjà assez perturbant de me dire que Gauthier a réussi à concevoir un premier gosse, mais l’imaginer coucher avec Debra, ça dépasse mes capacités. » Je secouais la tête, riant un peu néanmoins à cette idée. « De toute façon, elle est venue loger à la maison uniquement après que j’ai appris pour sa grossesse, j’ai dû plaider sa cause auprès de Gauthier pour lui obtenir un droit d’asile. » Je me souvenais encore de cette conversation où l’aîné Hazard-Perry s’était montré plus que réticent à l’idée d’accueillir un chiot égaré dans sa demeure. J’avais ensuite demandé à Ryleigh de me parler un peu plus des raisons qui l’avaient poussées à quitter Londres pour venir poser à son tour ses valises à Brisbane. « Honnêtement ? C'était un pot-pourri. En partie pour Maura, c'est sûr, en partie parce que je voulais quitter Londres pour un moment. En partie parce que ma mère me rendait folle à me sermonner chaque jour de ne pas être mariée et avec enfant. Puis j'ai estimé qu'il était temps que toi et moi on répare ce que j'ai cassé. » Je l’écoutais avec attention, laissant mon regard courir sur son visage, ses prunelles bleu électrique, ses pommettes saillantes sur lesquelles apparaissaient quelques taches de rousseur, ses lèvres, relevant soudainement les yeux lorsqu’elle parlait à nouveau de ce "nous" que nous avions été autrefois. L’emploi de la première personne ne m’échappait pas et me déstabilisait plus que je ne le laissais paraitre. Me tenir face à Ryleigh à l’instant présent ravivait des émotions que j’avais enfoui depuis des années, ce besoin de me trouver à ses côtés, l’envie de combler la distance que je trouvais superflue entre nos corps, l’impression de ne jamais perdre mon temps en sa compagnie. Je retombais dans ses filets avec une telle facilité que je m’agaçais moi-même. Comment pouvais-je seulement être aussi faible ? Était-elle réellement mon talon d’Achille ? Parviendrais-je un jour seulement à me défaire de ce lien qui nous unissait inexorablement ? Autant de questions qui restaient sans réponse. « Puis je me suis dit qu'il était temps que je me chope un cancer de la peau, histoire de ne pas survivre à toute la famille Hazard-Perry qui cultive un bronzage d'enfer depuis cinq ans. » plaisantait-elle, me tirant de mes pensées et un petit sourire en coin étirait mes lèvres, le cœur n'y étant pas réellement cependant. « Tu es encore un peu pâlotte si tu veux mon avis. » la taquinais-je en retour. « Mais l’air australien te va bien au teint. » C’était un doux euphémisme. Il me semblait que Ryleigh n’avait jamais été aussi belle qu’aujourd’hui. Et pour être certain qu’elle ne remarquait pas le trouble qu’elle faisait naître en moi, je décidais de loucher sur ma Rolex au poignet pour regarder l’heure. J’arquais légèrement un sourcil en me rendant compte de l’heure avancée qu’il était désormais. « Il se fait tard, je devrais rentrer. » soufflais-je, sans pour autant esquisser le moindre mouvement en direction de la sortie. J’étais comme vissé sur ce canapé, incapable de me détourner d’elle.