« Je pense que j’ai plus à y gagner que lui. » admet-il avec une certitude, une sincérité et surtout une modestie impressionnantes. Charlie est beaucoup de choses, modeste n'en est pas une, il a toujours eu une conscience étrange de sa valeur et un égo qui l'accompagne, alors le voir admettre qu'il est celui qui reçoit davantage qu'il n'a à offrir à son neveu est une nouveauté rafraîchissante. « C'est probablement du gagnant-gagnant. » répond-elle toute aussi convaincue. La conversation est facile, presque apaisée, les tensions se sont envolées bien qu'elles restent dormantes tels des sous-mariniers prêts à envoyer les missiles nucléaires sur l'ennemi au moindre signe de mouvement agressif de la part de l'autre entité belligérante. Leur relation n'est plus ce qu'elle était, mais les progrès réalisés ce soir laissent entrevoir la possibilité d'une île, un futur moins sombre, une éclaircie. C'est presque naturellement qu'ils trouvent des choses à se dire, presque, mais c'est déjà ça. C'est déjà mieux que de devoir lui courir après pour un bonjour, un café. Une pause café durant laquelle il reste le regard rivé sur son téléphone à sourire à chaque fois qu'il reçoit un sms dans une conversation qu'il alimente pour ne pas avoir à lui parler à elle. Même lorsqu'il évoque Debra, elle est un peu moins tendue. Ryleigh n'ira pas jusqu'à dire que le sujet lui plaît, elle préfèrerait éviter d'avoir à imaginer la roturière -mais néanmoins splendide- brune pleurer dans les bras d'un Charlie bien trop compatissant. « C’est déjà assez perturbant de me dire que Gauthier a réussi à concevoir un premier gosse, mais l’imaginer coucher avec Debra, ça dépasse mes capacités. » qu'il explique comme ça, l'air de rien. Elle glisse un : « Tu m'étonnes... » qu'il n'a pas le temps d'analyser tant il enchaîne rapidement mais qui sous-entend tout à la fois qu'imaginer Gauthier en pleine action procréatrice est aussi perturbant pour elle et qu'elle n'a pas de mal à imaginer pourquoi envisager que Debra couche avec son frère soit inconcevable. Faut croire qu'elle est presque jalouse de l'amazone. « De toute façon, elle est venue loger à la maison uniquement après que j’ai appris pour sa grossesse, j’ai dû plaider sa cause auprès de Gauthier pour lui obtenir un droit d’asile. » explique-t-il, ne se rendant pas compte que Gauthier aurait très bien pu batailler pour laisser une ancienne maîtresse hors de sa villa. Ryleigh sait qu'elle a toujours tendance à être un peu paranoïaque ou tout du moins à avoir une imagination débordante, mais elle refuse de croire qu'une nana qui a accepté le logis pendant des mois, n'a rien derrière la tête. Ce n'est ni plus ni moins que son expérience qui parle, toutes les personnes qui s'approchent de la fortune d'aussi près sans la posséder finissent par vouloir leur part du gâteau. « Un chevalier blanc des temps modernes. » taquine Ryleigh. C'est un peu ce qu'il est, au fond, le sauveur de ces dames. Théodora d'abord, Debra ensuite, à croire que Ryleigh ne méritait pas d'être sauvée ces neuf dernières années. « Tu es encore un peu pâlotte si tu veux mon avis. » répond-il sur le même ton quand elle explique qu'elle a décidé de choper le même mélanome que les Hazard-Perry. Elle n'admettra pas qu'elle se tartine de crème anti-soleil pour conserver sa peau de porcelaine et ne pas finir rouge écrevisse. Rien ne serait plus disgracieux et inadéquat que de se pointer au boulot avec la trace des lunettes de soleil sur les contours des yeux et le reste du visage mordu par le soleil. « Mais l’air australien te va bien au teint. » ajoute-t-il envoyant à nouveau le rouge à ses joues. Elle qui n'a pourtant pas pour habitude d'être mise mal à l'aise par les gens, elle retrouve en son binôme Hazard-Perry le vile flatteur, le garçon qui savait toujours comment lui faire un compliment qu'elle n'attendait pas et qui savait aussi appuyer là où personne d'autre n'aurait eu idée d'appuyer pour la faire partir dans une colère noire. « Merci, tu t'es plutôt bien adapté au climat aussi. » répond-elle admirant son teint halé, ses cheveux qui se sont légèrement éclaircis à force d'être exposés aux rayons UV, à l'air de la mer et au sel de l'eau. Maintenant qu'elle le regarde vraiment, il n'a pas beaucoup changé, il a mûri, il est toujours aussi beau qu'il ne l'était. Juste un peu plus sage, moins foufou, moins prompt à... non toujours prompt à boire trop. « Il se fait tard, je devrais rentrer. » décrète-t-il sans pour autant se lever, attendant qu'elle lui donne la permission de quitter les lieux, comme le veut leur éducation. Ou tout simplement parce qu'il n'a pas la force de tester son équilibre. Ou mieux encore, parce qu'il ne veut pas la quitter. « Oh. Oui, juste une minute. » dit-elle un peu précipitamment en attrapant son téléphone et en composant le numéro du service de voitures avec chauffeur pour lequel elle paie chaque mois l'équivalent d'un salaire. « Miss Egerton, une voiture aussi vite que possible à ma résidence, s'il vous plaît. Très bien. » fait-elle impérieuse en raccrochant. « Ne bouge pas, ta voiture sera là dans cinq minutes. » Et prise d'une énergie qu'elle ne se savait pas avoir -l'alcool ayant paralysé son système nerveux- Ryleigh se lance avec plus ou moins d'élégance en direction du couloir qui mène à sa chambre, fouille un tiroir qu'elle n'ouvre que très rarement et en extirpe un cadeau contenant une boîte gris acier sur laquelle est gravé Jaeger-LeCoultre. À l'intérieur, il trouvera une montre. La montre est belle, c'est à n'en pas douter, ronde, un cadran en or massif -parce que c'est le matériau préféré de Charlie-, un mécanisme apparent et un tourbillon sublime. Oui, la montre est magnifique, oui elle lui a coûté une fortune -même pour elle-. Mais l'important de ce cadeau n'est pas là. Il réside dans la gravure au dos : It can still work between us, and I want it to. Un écho de la déclaration qu'il lui avait faite à Oxford le jour où elle l'avait aidé à aménager, le jour où il lui avait ouvert son cœur. Il y a de ça neuf ans, elle avait décidé de lui ouvrir le sien en retour. Et puis il avait fui en entendant qu'elle arrivait et Ryleigh s'était dit qu'il valait mieux attendre qu'il soit plus disposé à lui parler. « Promets-moi d'attendre d'être chez toi pour l'ouvrir. » dit-elle après qu'il soit sorti. Dans un élan qui n'est pas caractéristique d'elle, ni de lui, elle le prend dans ses bras, ça dure une seconde, peut-être deux et elle lâche prise, refermant la porte alors que l'ascenseur s'ouvre dans le couloir et que Charlie s'en va, sans dire un mot, mais la promesse dans le regard.
J'ai envie de revoir ton visage. C'est tout. C'est comme les gens qui retournent dans le village où ils ont passé leur enfance ou dans la maison de leurs parents ou vers n'importe quel endroit qui a marqué leur vie. C'est comme un pèlerinage. A croire que ton visage est un endroit qui a marqué ma vie.
ryleigh & charlie
Neuf années s’étaient écoulées depuis ce jour tragique où j’avais précipité notre relation vers sa fin abrupte et violente. Et pourtant, Ryleigh avait conservé ce même impact sur ma personne, comme au premier jour : la simple vue de sa silhouette gracile et ô combien familière suffisant à mélectriser, mon cœur ayant un tressautement à la fois agréable et douloureux chaque fois que mes prunelles croisaient les siennes d’un bleu profond. Son parfum enivrant ayant à lui seul le pouvoir de me rappeler quantités de souvenirs en grande majorité agréables. Rien que d’être en sa compagnie avait un goût doux-amer. Être en sa présence me divisait constamment entre ce besoin évident (et cette envie que je refusais de reconnaître comme telle) de l’avoir dans ma vie, et l’envie que j’avais de la repousser avec toujours plus de force, de l’éloigner de moi pour lui refuser l’accès à mon existence, pour me protéger et lui faire payer l’affront qu’elle avait eu de refuser mes sentiments neuf ans plus tôt. Et j’étais las de cette dualité qu’elle m’imposait, égoïste et sûrement ignorante de la torture de que c’était de la voir essayer avec tant de force de nous faire reformer cette paire que nous avions été autrefois. Elle était mon tendon d’Achille, cette faiblesse inavouable et pourtant bien réelle que contre laquelle je ne pouvais pas grand-chose. Et je ne voyais pas d’issue à notre situation, ne visualisant aucun moyen pour moi de me sortir de cette impasse dans laquelle je m’étais moi-même enfermé en succombant à ses charmes. Ce n’était pourtant pas faute d’avoir essayé. J’avais lutté de longues années contre mes sentiments pour elle, persuadé que si je les taisais, ils finiraient par s’évaporer d’eux-mêmes. Neuf ans plus tôt, j’avais cependant déposé les armes, lui offrant mon cœur sur un plateau d’argent avant de la regarder le piétiner sans cérémonie. Et aujourd’hui, j’avais la désagréable impression de voir le même schéma se répéter. L’Egerton était définitivement mon enfer personnel, ce caillou dans ma chaussure, cette dalle mal fixée sur laquelle je m’évertuais à trébucher à chaque fois. Conscient que ma présence ici ne rendait justice à aucun de nous deux (me pénalisant en me faisant replonger dans mes précédents démons et la lançant penser, à tort, qu’une espèce de statut quo était envisageable), je décidais qu’il était temps pour moi de me retirer. Je lui signifiais alors qu’il était venu l’heure de rentrer chez moi après une soirée bien trop riche en émotions. Pourtant, je n’avais pu me résoudre à me lever, à quitter son appartement sans me retourner. J’étais enchaîné à ce canapé de malheur, effrayé par ce qui m’attendait aussitôt que j’aurai rebroussé chemin, conscient que l’accalmie entre nous que constituait cette soirée ne serait que de courte durée. Elle, contrairement à moi, avait eu la présence d’esprit, la force de bouger pour se redresser aussitôt : « Oh. Oui, juste une minute. » Elle avait alors décroché son téléphone et je l’avais entendu avoir une conversation avec ce que je devinais être le concierge de l’immeuble : « Miss Egerton, une voiture aussi vite que possible à ma résidence, s'il vous plaît. Très bien. » Trouvant alors la force d’esquisser un mouvement en direction de ma porte de sortie (ne pouvant m’empêcher malgré moi de regretter presque qu’elle n’essaye pas de me retenir plus que ça), elle m’avait cependant retenu de me relever à mon tour : « Ne bouge pas, ta voiture sera là dans cinq minutes. » J’avais alors obéi, abandonnant le peu de volonté que j’avais à la quitter pour rester les fesses sur le moelleux des cousins de l’assise, la regardant s’éloigner à nouveau de moi pour faire je ne savais trop quoi. Je m’étais retrouvé seul dans le salon, observant ce dernier d’un regard circulaire en me rendant compte que j’avais bien trop occulté l’existence des lieux au profit de sa compagnie. Ayant fini par supposer qu’elle était partie dans la salle de bain soulager un besoin naturel au regard de la bouteille de vin que nous avions écoulé à deux, je la voyais réapparaitre devant mes yeux. Je m’étais aussitôt redressé, me dirigeant vers la porte avant de lui faire face une fois sur le seuil, remarquant le paquet qu’elle tenait désormais à la main. Lui jetant un regard interrogateur, elle s’était contentée de me glisser : « Promets-moi d'attendre d'être chez toi pour l'ouvrir. » avant de me mettre ce qui ressemblait à un cadeau dans les mains. Et sans que je ne l’ai vu venir et que je n’ai pu esquisser le moindre mouvement de mon côté, elle était venue passer ses bras autour de moi, se blottissant un instant contre moi. Je m’étais figé, me crispant à ce contact qui hérissait chaque poil se trouvant sur mon corps. Ne pouvant me résoudre à lui rendre son étreinte, conscient que plus je lui céderais du terrain, plus cela serait difficile pour moi de devoir de nouveau composer sans elle dans ma vie en définitive, j’avais attendu pendant ce qui me semblait être une éternité (alors que cela n’avait duré qu’une seconde à peine en réalité) qu’elle s’éloigne de moi, me rendant ma liberté avant de me refermer la porte au nez. L’esprit plus que jamais embrumé et ne pouvant que blâmer en partie l’alcool qui coulait à nouveau à flot dans mes veines, je m’étais retrouvé dans mon couloir, m’éloignant aussitôt pour rejoindre l’ascenseur. Quelques minutes plus tard, l’esprit totalement ailleurs, je m’étais retrouvé sur la banquette arrière en cuir du véhicule qui me ramenait jusqu’à la villa, le cadeau de Ryleigh en main. J’avais l’impression que ce dernier pesait une tonne et cela n’avait rien à voir avec sa masse effective. J’avais conscience que cette boite refermait bien plus qu’un cadeau, mais tout un passé que j’avais tenté d’abandonner dernière moi. Perdant totalement notion du temps, perdu dans mes pensées et nourrissant à nouveau à l’égard de la brune une certaine rancœur pour ce qu’elle m’imposait, c’était la voix du chauffeur m’indiquant que j’étais arrivé à destination qui m’avait tiré de ma transe. J’étais sorti, à moitié conscient de mes mouvements, de la voiture pour remonter l’aller de graviers blancs jusqu’à l’entrée de la villa que je traversais, renfermant la porte à clé derrière moi avant de monter dans ma chambre en quatrième vitesse. M’asseyant sur mon lit, je déposais le présent sur ma table de nuit avant de me prendre la tête dans les mains en soupirant longuement. Puis j’avais relevé le regard pour fixer la boîte qui me narguait sur la table de nuit, terrifié et indéniablement curieux de savoir ce qui pouvait bien se trouver dedans, incapable de savoir s’il était réellement judicieux que je l’ouvre. « Puis merde. » avais-je juré, me saisissant de la boite à nouveau pour en défaire le papier cadeau avec précaution, révélant une petite boîte en acier sur lequel je reconnaissais aussitôt la gravure de la marque de montres de luxe. Nouveau soupir. Je me résignais alors à ouvrir le coffret, découvrant avec stupéfaction une montre sublime. Si une montre pouvait avoir été créée sur mesure pour correspondre parfaitement à mes goûts, elle n’aurait pas ressemblé à autre chose qu’à celle que je tenais dans ma main. Je m’en saisissais avec une précaution infinie, mon rythme cardiaque s’emballant indéniablement alors que je découvrais chaque détail de la montre. Et tout à coup, mon cœur ratait un battement alors que mes yeux tombaient sur la gravure que Ryleigh avait fait apposer. J’avais dû m’y reprendre à plusieurs fois pour en saisir le sens, vérifiant à de nombreuses reprises que ce n’était pas mon cerveau qui me jouait des tours. Alors que mon index repassait les contours de chaque lettre gravée, une nostalgie immense s’emparait de moi. « Elle aura ma peau. » J’avais aussitôt reposé le bijou dans son écrin, comme s’il venait de me brûler, me débarrassant de mes habits en quatrième vitesse avant de me glisser sous mes draps, dos à cette fichue montre, pour espérer, en vain, trouver le sommeil et faire taire la vague d’émotion qui m’oppressait la poitrine.