Ils les observent avec des yeux ronds comme des billes. Interloqués. Le geste de Clara n’a l’air prémédité par aucun d’entre eux et fidèle à leur génération qui n’ont pas connu les manifestations queer et la célébration de toutes les sexualités, ils paraissent gêné du spectacle qu’elles offrent. C’est un jeu qui vient de prendre fin et Clara arbore une mine particulièrement fière d’elle quand elle détache son visage de celui d’Ariane pour mieux observer celui des deux hommes mariés qui n’auront visiblement pas ce qu’ils sont venus chercher auprès d’elle. C’est un message à répandre les faveurs de Clara ne sont jamais acquises. « Bon anniversaire bébé. » ajoute Ariane, intervenue dans le jeu, bien que le scénario se déroule sans aucune concertation des deux jeunes femmes et que la conseillère ne lui ait pas laissé le moindre indice sur ce qui allait se dérouler entre eux. Quelques secondes suffisent et les deux jeunes premiers décollent. L’un gêné. L’autre plus furieux d’avoir raté son coup. Elle ne le dit pas mais elle pense très fort que, ça devrait lui servir de leçon, que les femmes ne sont plus comme dans ses jeunes années et qu’elle n’a pas à tomber devant un beau costume, une belle montre et un cocktail cher sur la carte.  « Oh, tu sais, ça ressemblait pas mal à du boulot, avec eux. » Ariane répond. Clara devine bien que dans sa tête, pendant toute la parade qu’elle a joué, ça devait tourner à l’étude anthropologique. Ariane ne peut s’empêcher d’analyser les gens, les comportements, surtout quand ceux-ci s’inscrivent dans une démarche de séduction. « Étudier l’homme en rut dans un environnement hostile. » Dit comme ça, ce serait presque un sujet de thèse. Elle se saisit de son verre de champagne, dégustant chaque gorgée comme une victoire. « C’est à se demander pourquoi on n’est pas plus blasées que ça, à force. » demande Ariane, Clara hausse les épaules. Ce n’est plus un mystère pour elle. « C’est l’habitude. » L’habitude d’avoir à faire face à des hommes qui pensent que toutes les portes sont ouvertes, à se faire donner l’impression qu’elles n’ont d’autres choix que de dire oui à tout, l’habitude de ce côté animal et supérieur qu’ils se donnent et qui lui donne envie de crier dès qu’elle fait face à un malotru. Triste constat mais Clara semble avoir tout vu, tout connu. Une pensée qui ne fait que la diriger un peu plus vers Nicolas et sa perfection qui rachète à ses yeux bien des hommes. « Va falloir que j’axe ma rubrique et mes conseils sur l’action et moins sur la réaction, là. » Ce serait pas mal, ça sauverait bien des nanas. Le répondant, elle est certaine que ça s’apprend. « On dira ce qu’on voudra, mais ils ont pas été radins sur le champagne. » Qu’elle constate en découvrant l’étiquette. Non, c’est sûr et en même temps, elle avait assez confiance en le serveur pour ne pas poser une bouteille de mauvaise qualité ici. « Ils avaient le profil à se le permettre sans sourciller. » Qu’elle ajoute, désolée de penser que le tour sera joué à d’autres filles pas farouche, que c’est triste d’un côté et en même temps, cela lui permet de déguster un alcool qu’elle ne pourrait s’offrir que le jour de son anniversaire. « De la part de la maison. »  Glisse le serveur, avant d’expliquer. « Vous avez évité un bien gros bullet. » Parce qu’en plus, ils savaient et Clara ne peut s’empêcher de commenter à leur sujet tout en reproduisant les gestes de l’animal avec ses deux bras. « De vrais poules mouillées. » Cot Cot, qu’elle se lâche à faire avant de rire de la situation, parce qu’il avait suffi d’un baiser, d’un petit moment de gêne et plus personne n’était là. Elle se serait attendu à ce qu’un véritable séducteur cherche à tirer son épingle du jeu, mais ce mec là, c’était pas le charme qui l’intéressait, juste la facilité. « Et c’est juste maintenant que tu le mentionnes? » Qu’Ariane ajoute à l’adresse du serveur, parti en se moquant avant de se tourner vers Clara qui devrait en finir avec les verres parce que ça commence à faire bien trop pour elle. « Alors, on a survécu à deux ans, toutes les deux? » Qu’elle demande, presque intéressée à vivre l’expérience en vrai et Clara ne peut s’empêcher que ça lui éviterait bien des problèmes. « Il faut croire. » Elle la joue mystérieuse mais silencieuse, parce qu’elle commence à rire de rien et à s’en rendre compte. « Tu sais, ça m’étonne même pas. On a assez d’atomes crochus pour que ce soit très réaliste comme relation, Emma. » Oui, et puis elle a l’espoir qu’avec Ariane, elle puisse quelque chose de libre où elle n’a pas à cacher ses passe-temps. Si seulement la rousse avait été disponible plutôt que de s’emmerder avec son attardé qui n’a pas connu le déodorant depuis cinq ans avant qu’elle ne rencontre Nicolas, cette situation aurait pu être réelle. « C’est ce que je me suis dit, puis j’ai trouvé qu’on serait parfaitement cute toutes les deux Andy. » Souriant en faisant une mimique lui accordant le bon dieu sans confession dès qu’elle l’adresse à son père, elle ajoute. « On serait presque prête à songer à avoir des enfants d’ailleurs. » Step ultime de la relation. « Qui le porte, ou si on se risque à en faire deux en même temps. » Elle divague avant de se rendre compte que ses propos manquent de sens. « Allez, je te raccompagne au bureau. Et peut-être en passant, on pourra se faire de matching tatoo. » Elle saute de son siège, l’intégralité de ses verres sont avalés cul sec, ce qui est tout sauf une bonne idée. « Jor là, un mickey mouse. » dit-elle en montrant son poignet avant de désigner sa clavicule « Et ici, un p’tit oiseau. » Et puis ses fesses « Et là, un p’tit géranium. » C’est qu’elle semble être généreux avec l’encre à graver dans sa peau. Elle attire rapidement son amie vers l’extérieur. « Bonne soirée ! A l’occasion, je vous mettrais un p’tit coup de polish ! » qu’elle ajoute au serveur, faisant écho au temps qu’il passe à nettoyer ce foutu bar. Ce n’est qu’une question de minute avant que son corps ne s’écrase sur la banquette arrière d’un taxi.