A peine éveillée, Joanne me demande si j'ai bien dormi. Je souris doucement, cherchant quelle phrase prononcer afin de ne pas tomber dans les violons et la guimauve en disant qu'il a été très agréable de dormir avec elle contre moi. Que la chaleur humaine dans mon sommeil me manque depuis des années. Je me contente d'un ; « Plutôt bien, oui. » Sans lui retourner la question, sachant très bien que son sommeil n'a pas été aussi réparateur que le mien.Je l'ai senti agitée, sans me réveiller pour autant. Je ne souhaite pas créer un malaise dès le matin en lui demandant la raison de cette nuit entre ici et le pays des rêves. Elle m'en parlera si elle le souhaite. J'attends quelques minutes que l'appétit vienne, bien que l'odeur du pain grillé y participe grandement. « Rien ne presse. » je réponds à Joanne. Le plateau ne s'en ira pas tout seul. J'avoue que le thé me fait de l'oeil. Je m'en sers une tasse, écoutant la jeune femme parler. Bizarre, agréable, on ne sait plus vraiment quoi penser. Poliment, pendant que le thé s'écoule dans la tasse, je dis tout bas ; « J'espère simplement que je n'ai pas trop dérangé... » S'endormir ainsi chez quelqu'un, c'est n'importe quoi. Non seulement je m'incruste, mais en plus je me permets de rester toute la nuit. Pas de quoi être fier, Jamie. La belle mentionne ds changements pour elle. Curieux, je ne peux m'empêcher de dire ; « Oh, parles-m'en de ces changements. » C'est indélicat, je m'en rends compte. Cela manque cruellement de tact. Je retire immédiatement, « Ou, non, ne m'en parles pas, je ne te force pas la main. Pas dès le matin. » Je porte ma tasse de thé à ma bouche. Pourtant, mes lèvres ne viennent pas goûter l'infusion. J'hésite, je réfléchis. Bizarre, agréable. S'est-il passé quelque chose de particulier ? Oui, non ? « Pourquoi est-ce bizarre ?... » je demande finalement avant de prendre une gorgée de thé. Non, ça aussi c'est une chose qu'on ne demande pas dix minutes après s'être extirpé des bras de Morphée. « C'est une question idiote, laisse tomber. » A croire que je ne sais pas ce que je veux ce matin. Je tangue un peu entre ma curiosité et les conventions. En parlant de cela, je me rappelle ne pas encore avoir remercié Joanne de ne pas m'avoir réveillé pour me demander de partir. « Merci de ne pas m'avoir jeté dehors en tout cas. » je dis alors avec un léger sourire. Je n'aurais jamais pensé qu'elle me laisserait dormir ici. Encore moins si je suis le premier depuis un long moment. « J'aurais compris que tu ne veuilles pas d'un inconnu dormant dans ton canapé. » j'ajoute avant de replonger mes lèvres dans le thé. « Tu as raison, c'est bizarre. » dis-je finalement. La situation toute entière manque cruellement de sens. Les choses qui se passent sont avortées, même ce qui n'a pas lieu laisse une empreinte sur nous. Difficile de savoir quoi penser. « Je file après le petit-déjeuner, d'accord ? Je ne veux pas déranger, et j'ai une montagne de choses à faire de toute manière. » dis-je en mentant sans vergogne. Je ne veux surtout pas la mettre ma à l'aise, et elle semble déjà en difficulté ce matin. Un thé, un toast, et je m'en vais. Voilà. C'est mieux ainsi. « Thé ou jus d'orange ? » je demande en prenant son verre afin de la servir. Et pendant tout ce temps, je n'ai pas osé croiser son regard une seule fois. Excepté à cet instant, où ce sont ses yeux bleus qui m'ont pris au piège. Ce matin, malgré la fatigue, ils sont d'un bleu intense, d'une extrême claireté. Toujours aussi hypnotiques.

Malgré le mal que je me donne pour éviter le sujet, Joanne y revient tout de même. Tandis que je lui sers son jus d'orange, la main particulièrement serrée sur la brique afin d'extérioriser ce brin de colère que son insistance m'inspire, je respire profondément et prends le temps nécessaire afin de réfléchir. Hors de question de sortir une parole de travers. Je cherche chacun de mes mots, afin que mes phrases soient aussi exactes que possible. J'en profite pour essuyer ce nuage d'énervement rapidement. Mon sourire ne m'a pas quitté. Je ne veux pas qu'elle comprenne à quel point ceci me met mal à l'aise, que sa curiosité à ce sujet travaille mes nerfs, afin qu'elle ne le prenne pas mal. La dernière chose que je souhaite, c'est qu'elle se vexe. « Tu sais très bien ce qu'il s'est passé hier soir. » dis-je d'une voix posée, d'un calme qui me surprend moi-même. Je lui tends son verre. « Princesse. » je souffle quand ses doigts s'en emparent, la tête s'inclinant comme n'importe quel bon valet. Puis je prends moi-même une gorgée de thé, avant de reprendre ; « J'étais fatigué. J'ai baissé ma garde, je me suis laissé emporter, voilà tout. » Je ne me pensais pas capable d'expliquer ceci en restant calme, alors qu'intérieurement je serais capable de simplement lui dire de laisser tomber sèchement. Non, justement, je ne le peux pas. Je ne peux pas m'adresser ainsi à elle. Alors je continue à peser chaque syllabe, faire attention à chaque phrase. « Je t'apprécie. » Non, plus que ça. Je dois dire les choses telles qu'elles sont. « J'ai beaucoup d'affection pour toi. » Pas sûr que ce soit vraiment à la hauteur de ce que je pense vraiment, mais je ne connais pas d'autres mots pour traduire cela à cet instant. C'est mieux que rien, me dis-je. « Et tu es une très belle femme. » j'ajoute avec un sourire gêné. Une manière comme une autre, relativement subtile, de lui faire comprendre qu'elle me fait de l'effet. Enfin, j'espère que cela se comprend ainsi. Je cache mon brin de malaise derrière une nouvelle gorgée de thé. J'avoue que cela me fait du bien. Mon regard retrouve celui de Joanne, rempli de tendresse. J'hausse les épaules, désarmé, ne voyant pas quoi ajouter. « Qu'est-ce qu'il peut y avoir à en dire de plus ? » Je n'en sais rien. Je peux encore m'excuser, demander pardon une dizaine de fois si elle le souhaite, je comprendrais qu'elle m'en veuille. Elle n'est pas un bout de viande après tout. Loin de là. Je n'ai jamais considéré les femmes comme tel, même pas pour un soir, je n'en ai jamais été vraiment capable, mais elle ne peut pas le savoir. Et j'ai bien peur qu'elle puisse penser que je suis de ces hommes qui peuvent sauter sur la première belle blonde de la même manière qu'hier soir. Je passe une main sur mon visage, avant de reformuler la question ; « Est-ce que toi, tu veux ajouter quelque chose ? » Son point de vue est important pour moi. Je ne sais toujours pas ce qu'elle pense de tout ceci.

A voir Joanne, je devine bien qu’elle n’est pas parfaitement contente de ma réponse. Pourtant, j’ai fait au mieux. Vraiment. Je ne pourrais pas être plus sincère et au plus proche de mes émotions qu’avec ces mots. Elle n’imagine pas à quel point cela est déjà difficile pour moi. Parler de mes sentiments n’a jamais été une priorité dans ma vie, et personne ne m’a appris à le faire –peut-être ma psy, avec l’éternelle question « que ressentez-vous à cet instant ? ». Je n’ai pas de mots, je ne sais pas faire. Je bloque complètement. Alors que la jeune femme m’explique qu’elle ne peut pas faire semblant que les choses sont normales, je tente de caser un ; « Je ne comptais pas faire comme si de rien n’était, je… » Je me ravise, ne lui coupant pas plus la parole, et attends la fin de sa phrase pour terminer ; « Je pensais que ça pouvait attendre. » Je me suis endormi sur un canapé, je suis debout depuis peu de temps, la veille a été une soirée compliquée. Je ne pensais pas à mal en proposant une matinée « normale » avant de peut-être revenir sur les événements passés plus tard. Mais je dois encore faire preuve de maladresse. Rien de tout ceci ne m’est familier. En revanche, agir normalement dans des situations qui ne le sont pas, je connais. C’est un enseignement qui se transmet de génération en génération dans la famille. Dans mon environnement de manière générale. Tout est absolument grotesque, et pourtant, tout le monde est capable de sourire et agir sans avoir l’air perturbé. Tout est une histoire de façade. J’écoute Joanne m’exprimer sa pensée. Je comprends bien que son entourage puisse la penser trop fragile pour endurer le moindre mal. Lorsque l’on voit son regard bleu, son air angélique sur cette petite silhouette frêle, il est impossible de résister à l’envie de la protéger. Je vois bien ses amis prévoyant de la mettre derrière une vitrine comme une pièce du musée. Cela serait un moyen efficace de la défendre contre le reste du monde. « A l’hôpital ? » Je tique. Elle n’avait jamais mentionné ce détail. Immédiatement, j’imagine le pire. Mon regard en vient même à se poser sur ses poignets pour écarter l’hypothèse de la tentative de suicide. Aussi cruel cela soit-il, je sais que je ne serais pas capable de continuer à être aussi attaché à une personne susceptible de me faire souffrir à nouveau de cette manière. Ce genre de révélation signerait la fin de cette relation naissante. Lorsque la jeune femme a terminé, j’avoue qu’un sourire qu’on pourrait qualifier de niais s’est incrusté sur mon visage. Il s’efface assez vite lorsque la gêne prend le dessus. Tant bien que mal, je tente de lui expliquer la raison de mon attitude. « Tu sais que… je ressens la même chose. Je n’ai simplement pas ta capacité à l’extérioriser. Je peux… te dire des faits. Que je sens que tu me donnes envie de changer, d’être moi-même, et c’est déjà un exploit. Mais je ne peux pas te dire… plus. Je ne sais pas le faire. Quand j’essaye, c’est une catastrophe. » J’ai toujours agi de la sorte : plutôt que de parler de mes sentiments, je parle de faits, et de ces faits l’interlocuteur doit déduire les sentiments qu’ils traduisent. C’est un non-dit permanent qui me permet, comme elle le sait déjà, de me protéger. C’est la seule chose que j’ai jamais connu, et je ne pense pas que cela changera de sitôt. Ma curiosité piquée à vif, j’ose m’aventurer sur le sujet à peine dévoilé par Joanne ; « Pardon, mais qu’est-ce que c’est que cette histoire d’hôpital ?... » Ca, c’est le côté journaliste. Je suis capable de rester obsédé par une question tant que je n’ai pas la réponse. Et malheureusement pour elle, la jeune femme en a déjà trop dit. Avant qu’elle n’essaye de s’esquiver, j’ajoute ; « Je t’ai parlé d’Oliver, et je n’en parle jamais comme je l’ai fait. Alors c’est ton tour, t’y échapperas pas. » Hors de question que je sois le seul à se dévoiler ici. J’en ai plus dit qu’à n’importe qui à Brisbane à mon sujet. Cette fois, c’est son tour.

Je reste muet pendant tout le récit de Joanne. Mon regard posé sur elle semble plongé dans un monde invisible où seule sa voix résonne dans cet air devenu soudainement plus dense. Je le sens se glisser dans mes poumons et s’y poser de tout son poids, rendant mon corps, mes têtes, lourdes et lancinantes. Joanne me fait le récit de sa fausse couche. Celle suivant de près son divorce. Le coup de massue qui a dû l’achever après cette première épreuve. Je n’ose pas dire un mot, trop occupé à tout assimiler. La chute de tension, l’hôpital. Le fait qu’elle ait vécu tout cela quasiment seule, n’en parlant à personne d’autre qu’à sa sœur. Et moi désormais. Mais je lui ai forcé la main, et pour cela, je m’en veux énormément. Une fois encore, je m’y suis pris de travers, j’ai déclenché une catastrophe. J’aurais dû faire qu’elle le voulait. Ne pas insister sur ce sujet si secret. Pas qu’elle soit parvenu à me rebuter, non… Au contraire. Mais pour le moment, tout tourbillonne dans ma tête, et les émotions ne se fixent pas. « Je suis… » Désolé ? Non, pitié. Je suis dépassé, je n’ai pas de mots, sont des termes plus exacts. Je n’ai aucune idée de ce que je dois dire ou faire à cet instant. Mais je sais que je ferais mieux de trouver, et vite. Avant qu’elle ne se fasse des idées. « Je ne dirai rien. » dis-je pour la rassurer. J’essaye de lui sourire, mes lèvres s’étirent timidement. Je ne suis absolument pas du genre à répéter cette histoire à qui voudra l’entendre. Elle est personnelle. Elle n’appartient qu’à Joanne. Elle est… comme précieuse. Je ne peux pas trahir le secret de cette confidence qu’elle m’a faite. C’est entre elle et moi, comme un lien, un fil supplémentaire qui s’est tissé. « Te détester ? » Comment est-ce que cela peut seulement lui effleurer l’esprit ? Qui pourrait lui en vouloir pour des événements aussi tragiques qui sont parfaitement indépendants de sa volonté. Elle n’a pas fait de fausse couche en toute conscience, elle l’a subi. Et je devrais la blâmer parce qu’elle a été victime du sort s’acharnant contre elle à un moment de sa vie ? « Ne sois pas ridicule. » dis-je en prenant sa main dans la mienne, la serrant fermement entre mes doigts. J’ai les yeux secs d’avoir oublié de cligner des paupières pendant de longues minutes. Et ils restent encore fixés sur elle, qu’importe si elle ne me regarde pas en retour. C’est un moment étrange pour admirer quelqu’un ainsi. La trouver encore plus belle que l’instant précédent. Parce qu’elle est magnifique. Elle n’a pas beaucoup pleuré. Elle n’a pas hésité, butté sur tous ses mots comme elle le fait d’habitude dans ce genre de moments. Je suis impressionné par son calme alors qu’elle me racontait les faits pourtant douloureux. Je ne peux pas encore l’expliquer, mais la seule chose que je ressens, c’est de l’admiration. J’ai de cœur gonflé à bloc dans ma poitrine, prêt à exploser. « Pardon, je n’ai pas les mots. » Je ris nerveusement. Drôle de moment pour rire. Je l’attire contre moi et la serre dans mes bras, une main passant doucement sur ses cheveux, sa tempe, sa joue. Je dépose un baiser sur son front –un geste que j’adore faire visiblement. « Tu t’es bien battu. » Je me souviens de ce sentiment que j’avais, l’autre jour. Lorsque je pensais qu’elle n’a pas besoin de moi dans sa vie. Je le pense encore, plus que jamais. Je ne suis qu’un nouveau boulet qui débarque à peine un an après les événements. Je devrais partir. Lui épargner ce Jamie paumé qui commence à trop s’accrocher à elle. « Tu vois que tu débordes de courage. » je souffle à son oreille. Je la serre un peu plus contre moi, je ne bouge pas, j’attends qu’elle se remette de son récit, ajoutant pour la rassurer ; « Je suis là.»

C’est étrange comme pensée. Croire que je pourrais la rejeter à cause de tout ceci. Non, impossible ? Impensable. Au contraire. C’est elle qui devrait me rejeter pour toutes ces raisons, sont récit, son divorce, sa fausse couche. Elle devrait courir loin de nouveaux soucis. Pourtant, elle s’accroche. Littéralement. Sa main serre ma chemise. C’est un petit geste de rien du tout, pourtant agréable. Le sentiment d’être désiré quelque part, d’être accepté par quelqu’un, est ce qu’il y a de plus doux à mes yeux. Passant à nouveau ma main sur ses mèches blondes, je lui réponds tout bas ; « Je t’ai dévoilé la partie la plus insensée de moi-même, et tu n’es pas partie en courant en me traitant de taré. Je ne pourrais pas te rejeter parce que tu n’as pas eu de chance. » Ce n’est que cela, après tout. Un manque cruel de chance pendant un temps limité. Quelque chose de temporaire, hors de contrôle. Elle n’y pouvait rien, c’était son destin, un chemin tracé afin de l’amener à un endroit précis. Et elle saura où quand elle y sera. Aujourd’hui, cet endroit est près de moi, dans mes bras, afin de la rassurer. Demain, qui sait. Mais pour le moment, j’accepte son envie de me voir rester à ses côtés. Je lui souris doucement, avant qu’elle n’atteigne mes lèvres. Une main sur sa joue, je caresse son visage pendant ce baiser. Ses bras autour de mon cou m’arrachent un frisson. Je la serre un peu plus dans les miens. « Je suis désolé parce que… » Une seconde, très sérieux, je baisse les yeux et cherche mes mots. Mes dents passent sur ma lèvre inférieure, encore humide. Je lui avais dit que je devais partir après le petit-déjeuner, et le temps est vite passé… Petit à petit, un sourire me trahit. Je relève mes yeux vers ses prunelles bleues. « …Je ne compte pas aller où que ce soit, et tu vas devoir me supporter encore loooongtemps… » j’ajoute en lui adressant un clin d’œil. Je n’ai pas envie de partir, de la quitter, de me passer d’elle. J’adore l’avoir contre moi, capter son regard, remettre ses cheveux derrière son oreille. Tous ces trucs qu’on voit dans les films et qui nous semblent ridicules m’ont l’air si importants aujourd’hui, moi qui vis actuellement comme un adolescent à la recherche de réponses sur lui-même. Après un instant de silence, mon sérieux s’impose quand même. Pour de vrai, cette fois. Je continue de penser, d’être peu à peu obsédé par l’idée que mon actuelle instabilité puisse la blesser un jour. Je ne veux pas être la personne qui la remettra à terre. Elle ne mérite pas ça. Un pouce caressant sa joue, je laisse mon regard glisser sur les traits de son visage angélique alors que je lui dévoile le fond de ma pensée ; « Je ne comprends pas comment tu peux vouloir de moi après tout ça. Je sais que je veux être là pour toi. Mais je suis loin d’être de tout repos. Je ne pense pas que tu aies besoin de ça… » J’ai besoin d’une mère, ou d’une psy. J’ai besoin d’un guide, d’aimer et être aimé afin de rester sur le bon chemin. Je ne suis pas plus qu’un nouveau-né aujourd’hui, sur bien des plans. Comment peut-elle vouloir s’imposer cela ?

Dans son flot de paroles, cette agréable rivière de mots on ne peut plus agréables, Joanne balaye une à une mes peurs, mes craintes. Tout ce qui créait ce blocage en moi, vis-à-vis d’elle. Je la sens dans ma tête, aller d’un cadenas à un autre, et comme un charmeur de serpents, lui susurrer ce qu’il veut entendre, ce qu’il a besoin d’entendre, afin de s’ouvrir. Elle défonce toutes les portes une à une avec pour seule force son incroyable douceur. Chaque syllabe secoue mon être, déclenche un cyclone, un tremblement de terre, un feu de forêt. Seigneur, et quand elle passe ses doigts dans mes cheveux… Je n’ai jamais connu de contact aussi agréable. Je n’ai pas souvenir d’une personne avec un tel toucher envers moi. Mes parents n’étaient pas tactiles, j’ai assimilé ça d’eux. Alors ce gente d’une infinie tendresse n’hypnotise complètement. Vraiment. Chaque mouvement de ses mains m’enfonce dans cette étrange transe ; je suis incapable de quitter ses yeux, sa bouche, je suis en état d’alerte, attentif à chaque geste, chaque étincelle dans ses yeux, chaque sourire. Tout est miel et satin. Je la serre toujours plus dans mes bras. Parfois trop, je n’en sais rien. Les mots glissés à mon oreille alors que ses doigts retournent entre mes cheveux provoquent un frisson si puissant en moi que je ne serais pas étonné de me surprendre en train de légèrement trembler extérieurement. Joanne ne semble pas avoir peur, ou bien elle le cache bien. Peut-être est-elle trop aveugle pour voir les raisons d’avoir peur. La colère, la frustration. Elle en semble consciente, mais à quel point ? Elle a confiance. Je ne sais pas pourquoi ni comment, mais elle est en confiance. Et je le suis aussi. Je me livre, je m’exprime, je suis moi tout entier à son contact. Je ne dis rien. Je n’ai même pas remarqué qu’elle ne parle plus. Mon regard coincé dans le sien, le silence prend une bonne minute avant de m’atteindre. « J…Je… » je bégaye sans pouvoir sortir un mot correct. Je n’ai aucune idée de ce que je veux dire. Tant de choses, et si peu à la fois. Tout pourrait se résumer facilement si je trouvais les mots. On retente. « Je… » Toujours rien. Petit à petit, les choses se mettent en place. Je n’ai jamais ressenti une telle absence de colère, une telle plénitude. Je laisse les émotions me traverser, peut-être peut-elle voir le flot rapide et incessant de sentiments qui traversent ma tête à travers mes pupilles. « Pardon, je… » Merde, Jamie. Reviens parmi les vivants. Dis quelque chose, fais quelque chose. Fais le tour des faits et vois ce qu’il en ressort. Tu sais parfaitement quels mots te brûlent. Tu les connais. Et le cadenas a sauté. J’approche finalement mon visage de celui de Joanne et attrape ses lèvres. Je l’embrasse longuement, tendrement. Mes bras serrent un peu plus sa taille. Ma bouche reste à quelques millimètres de la sienne, frôle sa peau. Petit à petit, alors que la phrase se construit dans ma tête, un sourire apparaît sur mon visage. « Je crois que je suis en train de tomber amoureux de toi. » Difficile de croire que j’ai réussi à arracher cela de ma bouche. Mais c’est là. Bien sûr, j’ai peur qu’elle rejette tout ceci, mais je suis tellement happé par l’exaltation que je m’en soucie peu. Une main derrière son crâne, je glisse mes doigts dans ses mèches blondes, je garde son front collé au mien. Ma respiration est étrangement normale. Un nouveau sourire apparaît, moins grand, plus timide, gêné. Je mords ma lèvre pour retenir l’autre phrase, mais j’apprécie trop ce court moment où je suis capable de parler en matière de sentiments qu’elle file entre mes dents. « Excuse-moi si je suis trop franc mais… je n’ai plus envie d’être "raisonnable’’. » dis-je en référence à hier soir. Là, maintenant, je ne vois plus de raison de réprimer cela. Je suis dans un tel état que je ne le peux pas. Mais je comprendrais qu’elle ne soit pas de cet avis. Je ne lui en voudrais pas.

Toujours complètement hypnotisé par Joanne, j'attends sagement ses réactions, ses réponses à mes mots, sachant que j'ai l'étrange sentiment que, qu'importe ce qu'elle puisse dire, absolument rien ne pourrait me sortir de cet état. Commençant à connaître ce petit bout de femme, je sais que je peux lui faire confiance pour me ménager en cas de refus, et c'est ce qu'elle fait. Je souris à ses mots. Si l'exaltation redescends tout doucement, cette bombe qui m'est tombé dessus reste puissante. Je lui ai même trouvé un nom : c'est de l'amour, de cette catégorie encore inatteignable pour moi avant le discours de la belle. Je me suis ouvert à ce sentiment, et à elle. « Bien sûr. Le temps que tu voudras. » je lui réponds doucement, sans rancoeur si déception. J'hésite une seconde à lui demander pardon d'être insistant, j'ose à peine me demander pour genre de type elle peut bien me prendre, mais je sais que j'ai fonctionné ainsi pendant des années. Je ne suis pas tactile, je ne délivre pas mes sentiments, tout cela reste sous clé. Mais quand les émotions, bonnes ou mauvaises, explosent et que le manque de contact se fait sentir, je passe à l'opposé total. Du Docteur Jeckyll au Mister Hyde. A l'intense besoin de décharger mes sentiments et à la demande physique basique. Je devrais songer à trouver comment éviter de n'être qu'une personne allant d'un extrême à l'autre en quelques secondes. Il y a rarement d'état 'moyen'. « Tu as raison. » j'ajoute simplement. Ne pas aller trop vite, ne rien brusquer. C'est bien plus important pour elle que pour moi. Ce qui est tout nouveau à mes yeux l'a déjà amèrement blessée par le passé. Elle connaît toutes les facettes de ce sentiment que je frôle à peine du doigt. Je n'ai pas d'autre choix que de lui faire confiance pour me guider sur ce terrain là. Je prends une des mains que Joanne a posé sur mon visage et dépose un baiser dans sa paume. Elle me demande d'être comme hier soir. Je ne réagis pas, pourtant, j'ai bien entendu. J'essaye de réfléchir une seconde, mais je n'y parviens pas. Mon cerveau a passé la main. Je retrouve les yeux de Joanne, un sourire imperceptible sur les lèvres. Je repose sa main sur mon cou, où elle était à l'origine. Pour tout mon corps, le refus n'est pas une option. Alors je resserre mon étreinte autour d'elle et dépose un premier baiser léger dans le creux de son cou, frôlant quasiment sa peau. Puis à chaque fois un peu plus haut, jusqu'à sa mâchoire, et enfin le coin de ses lèvres. J'attrape finalement son visage et l'embrasse pleinement, la guidant en même temps afin qu'elle s'assied sur mes jambes, disposant les siennes d'un côté et de l'autre de mon corps. Son visage est à peine plus haut que le mien dans cette position. Elle si petite. Je ne quitte pas ses lèvres, pendant que mes doigts cherchent à deviner son corps à travers ses vêtements. Comme la veille, ils glissent sur ses cuisses, ses reins, mais passent cette fois-ci sous son haut afin de trouver sa peau. Mes mains restent là dans son dos, à peine plus haut que ses hanches. Rien de… irraisonnable. Je découvre sa peau douce, ce contact particulier. Mes mains appuient dans son dos afin de toujours la garder au plus près de moi. Impossible de m'arrêter de l'embrasser, si ce n'est, parfois, pour déposer un autre type de baiser sur sa joue ou la naissance de son cou. De sa part, je la laisse faire tout ce qu'elle souhaite, toucher de qu'elle veut, me laisser l'embrasser ou non, et me guider dans mes gestes. Du regard, je demande à Joanne de me faire confiance. Non, je ne brusquerai rien. Fermement prise dans mes bras, je la soulève un court instant pour l'allonger dans le canapé très doucement. Je suis moi-même à côté d'elle, sur le flanc, contre le dossier du sofa, un bras servant à me maintenir légèrement au dessus de son corps. Cette fois, j'appose mes lèvres sur son front, son nez, avant de retrouver ses lèvres, plus passionnément qu'avant. Ma main libre, qui se refuse à quitter le contact de sa peau, a trouvé place sur ses côtes. J'essaye de ne pas être à l'écoute de mes désirs autant que je le voudrais. Si je m'écoutais, je sais que je me sentirai torturé. Et pour cela, pour rester dans les limites du cadre du raisonnable, je ne suis attentif qu'à la belle.