"Non mais je t'aurais jamais empoisonné voyons...En parlant de mon petit côté sadique, toi t'aurais eu le droit au supplice de la fourchette justement parce que j'ai l'impression que ta chair est plutôt tendre !" Sur ce, elle leva sa main et appuya légèrement sur l'avant-bras de Wren, comme pour vérifier ses dires. Elle ne mit cependant pas plus de cinq secondes avant d'exploser de rire. "Excuse-moi, je crois que je regarde trop de séries un peu louches en ce moment. Ça me monte à la tête." Elle avait en effet tendance à découvrir le catalogue de Netflix dans son intégralité. Elle ne comptait plus le nombre de séries qu'elle avait en cours, ni le nombre de fois où elle avait été désespérée de voir l'une d'elle injustement annulée. Avec tout ça, il lui arrivait parfois d'avoir soudainement des phrases un peu étranges ; comme une remarque sortie de nul part sur le cannibalisme par exemple. La jeune femme fit mine de réfléchir en jetant un rapide coup d'oeil à sa porte d'entrée. "Non en effet, tu seras pas souvent invité. Je viendrai m'incruster chez toi à la place, y a pas de raison !" L'incruste, ça connaissait bien Maze. Combien de fois avait-elle débarqué à l'improviste chez Greta, une bouteille de vin à la main et un sourire qui faisait que son amie lui pardonnait à chaque fois, sans exception, le fait d'être venue sans s'annoncer. Elle adressa d'ailleurs ce même sourire à Wren, alors qu'elle ne savait même pas où il habitait. Elle n'allait tout de même pas sonner chez la mère de ce dernier, cela aurait été quelque peu étrange. Tout ce qui se passait aujourd'hui était complètement surréaliste : s'inviter chez un homme qu'elle venait de rencontrer et dont elle ignorait encore beaucoup de choses, cela ne lui était jamais arrivé. Rien de tout ce qui se déroulait actuellement ne lui était jamais arrivé. Mais son sourire s'effaça assez rapidement pour laisser la place à un air faussement offusqué. "Un croque-mitaine volage, on aura tout vu !" Elle secoua la tête de gauche à droite, non sans se dire qu'elle n'apprécierait pas particulièrement que Wren aille tenir ce genre de discussions sous le lit d'une autre victime. Une victime qui ne serait pas elle. Si cela pouvait ressembler à une pointe de jalousie naissante, Maze avait surtout l'impression de tisser un lien unique et très particulier avec le jeune homme. Unique, particulier mais aussi et surtout complètement insensé. Rien n'avait de logique dans ce qu'il se passait depuis qu'il avait fait son entrée dans sa vie de manière on ne pouvait plus fracassante. "C'est noté, je t'appellerai. Mais tu n'imagines même pas tout ce qu'on peut trouver sur internet de nos jours...un costume de Krang, ça me paraîtrait presque être la base !" Elle sourit à cette idée, tout en ayant plusieurs souvenirs de travail qui lui revenaient en mémoire. Combien de fois son équipe et elle avaient-ils dû se débrouiller pour répondre à la dernière minute au moindre désir des artistes invités ? Et cela avait inclus plus d'une fois des recherches et commandes bien étranges dans les coins les plus reculés d'internet. Elle était donc particulièrement bien placée pour savoir qu'en effet, on pouvait trouver de tout en cherchant bien. Elle était à deux doigts de répondre qu'elle pourrait toujours récupérer le cerveau d'une de ses "victimes-fourchette" pour avoir un costume plus vrai que nature, mais une petite voix se manifesta enfin pour lui souffler de ne pas le faire. Après sa remarque sur le cannibalisme, qui n'avait d'ailleurs étrangement pas fait fuir son invité, il fallait que Maze se calme un petit peu sur les répliques glauques. Étalée sur le canapé, elle prit un air perplexe et leva un sourcil interrogateur à l'intention de Wren. "Mh...remarque, ça se tient comme raisonnement effectivement. Je peux rien dire !" Finalement, elle aussi était prête à laisser brûler les pommes de terre, et potentiellement son appartement dans son intégralité, pour prolonger cet instant. Elle se sentait légèrement grisée par ce moment et ne savait plus quoi penser. D'un point de vue sentimental, Maze avait toujours été plutôt difficile. Elle avait rapidement appris à faire la part des choses entre histoire d'un soir et relation sérieuse et elle n'était pas du genre à tomber dans les bras du premier venu. Et même s'il lui était déjà arrivé de vivre de très rares coups de foudre, elle veillait tout de même à respecter les différentes étapes à suivre par un jeune couple en devenir. Elle n'avait définitivement pas envie de classer Wren dans les histoires sans lendemain, elle comptait bien le revoir. Mais qu'était-il alors ? Dans quelle catégorie rentrait-il ? Maze et son coeur d'artichaut bien caché au fond d'elle avaient l'impression de brûler toutes les étapes avec lui, de ne respecter aucun ordre logique. Sa façon de faire et de se comporter habituellement en étaient complètement chamboulés et elle ne savait de ce fait plus quoi penser. La solution était peut-être justement de ne plus penser du tout ; ce qu'elle arrivait étrangement plutôt bien à faire en présence du jeune homme. Un très léger sourire en coin vint illuminer son visage à la question de Wren. "Elle est totalement intacte...gros vantard." Même si elle avait voulu faire preuve de la mauvaise foi la plus totale, ce qui malheureusement lui arrivait assez souvent, il lui aurait été très difficile dans le cas présent de nier qu'elle avait été séduite. Rapidement et très simplement. Voilà qu'après une lutte sans merci, ils étaient maintenant tout deux bien campés sur leurs jambes et prêts à en découdre avec la danse. Dans quoi s'était-elle encore lancée ? Elle esquissa un nouveau sourire lorsque Wren suggéra de laisser le morceau qui était en train de passer. Et elle explosa franchement de rire en l'observant faire son numéro -plutôt magistral, il fallait le reconnaître- de crooner. Elle se laissa tournoyer dans ses bras avant qu'une grimace ne lui échappe. Elle venait bien évidemment de marcher sur l'un des pieds de son partenaire. "Pardon ! Mais pour ma défense, je t'avais dit que j'étais très mauvaise à ce jeu là !" Il allait vraiment falloir qu'elle songe à prendre des cours. "T'aurais choisi la macarena, ça aurait été une autre histoire. C'est la seule choré que je maîtrise dignement. Enfin si tant est qu'on puisse utiliser le mot "dignement" quand on parle de la macarena..." Elle reprit son sérieux, mais sans se départir de son sourire, et passa finalement ses bras autour de la nuque de Wren pour continuer de danser. Il était certes bien plus grand qu'elle et cela mériterait sûrement qu'elle mette des talons plus haut à l'avenir pour le voir, mais il ne l'était tout de même pas assez pour qu'elle ne puisse pas danser ainsi avec lui. Elle replongea son regard dans le sien et songea qu'elle aimerait en savoir plus sur lui, connaître sa vie, son passé. Elle avait comme une curieuse intuition qui lui soufflait qu'il y avait bien plus à savoir sur lui que ce qu'il n'en laissait paraître. "Wren, je vais découvrir tous tes secrets." Sortie de nul part, elle avait posé là cette affirmation le plus sérieusement du monde, mais avec beaucoup de douceur dans la voix. Et elle ne parlait cette fois-ci pas de secrets liés aux tortues ninja ou autres histoires mythologiques. Lorsqu'elle appréciait sincèrement une personne, c'était tout naturellement que Maze cherchait à la connaître. Elle détourna un instant son regard pour jeter un coup d'oeil à sa porte d'entrée, avant de secouer sa tête de gauche à droite, l'air à la fois surprise et heureuse. "J'arrive pas à croire à tout ça...cette journée est complètement surréaliste." Surréaliste et unique, et c'était pour cette raison que ce moment était si précieux à ses yeux.
La vie humaine se parsemait d'incompréhensions, de moments de doutes mais surtout de ces beaux instants de surprise. Wren n'était pas épargné de tout cela, même s'il donnait toujours le change en restant stoïque face aux événements qu'il pouvait être amenés à vivre. Le jeune homme avait certainement un peu trop l'habitude que le ciel lui tombe sur la tête alors, il n'avait plus tellement l'air de s'offusquer de son quotidien. Il aurait pourtant eu toutes les raisons de ressentir une quelconque injustice avec tout ce qu'il avait traversé et qu'il traversait encore dans sa famille usée par un passé trop prenant. Wren n'avait jamais eu la chance d'évoluer dans un environnement sain et aimant, c'était avant tout pour cela qu'il restait une âme solitaire, jamais franchement à la recherche d'un contact humain. Bien sûr, il avait déjà tissé quelques relations majeures par le passé mais il s'efforçait encore aujourd'hui de ne pas multiplier les personnes d'importance dans son existence. Il avait surtout peur de perdre ces quelques individus qui acceptaient encore de peupler sa vie, même si rien n'était rose, même s'il avait peur de lui même et de ce qui pouvait être révélé au grand jour s'il finissait par sombrer, ou juste simplement dériver de sa route. Heureusement qu'il était devenu pompier, qu'il avait trouvé ce métier et les quelques amitiés qui en découlaient, Wren n'avait pas l'air d'avoir une vie fascinante en dehors de ses interventions avec ses collègues. Au bout du compte, sa vie se résumait à un cliché des plus sordides, métro-boulot-dodo, avec quelques incartades sans importance à côté de cela. Evidemment, Wren n'était pas totalement libre de faire ce qu'il voulait: tant que sa mère arpentait cette terre, il resterait le fidèle fils qui accourrait toujours dès qu'elle en aurait besoin, même si elle lui faisait plus de mal que de bien. De toute manière, les Doherty avaient toujours eu cette désagréable tendance à se blesser, c'était certainement marqué dans leur ADN et il n'y avait pas d'alternatives réelles pour se sortir de cette spirale douloureuse. L'aîné de la fratrie aurait aimé qu'il en fut autrement mais il avait compris qu'on ne choisissait pas sa naissance, ni les gens qu'on aimait... C'était simplement quelque chose qui vous tombait dessus au moment où vous ne l'attendiez pas, quelque chose contre lequel on ne pouvait pas lutter, juste le vivre et voir ce qui adviendrait par la suite. Dans le cas de Wren, la peur était tenace parce qu'il n'avait pas l'impression de contrôler ses propres pensées au quotidien alors, qu'arriverait-il quand il vivrait de nouveau ce genre de sentiments incontrôlables? C'était cette interrogation qui l'avait toujours poussé à faire attention au moindre mot qu'il prononçait, au moindre acte qu'il pouvait entreprendre puisqu'il avait conscience des difficultés potentielles à dire adieu à cette personne qu'on aimait tant. Et voilà qu'il envoyait balader la plupart de ses principes si fidèlement ancrés jusque là pour simplement embrasser la folie ambiante. Maze avait cette particularité finalement, celle de le laisser complètement pantois devant son énergie, cette image qu'elle renvoyait et qui faisait rêver Wren plus qu'il ne l'aurait imaginé. Elle avait l'air d'être tout ce qu'il ne pouvait pas être, libre, indépendante, sans attache, prête à vivre toutes les aventures qu'on lui mettait sur son chemin, sans jamais avoir peur de l'incertitude. Justement, c'était ce ressenti qui rendait Wren fébrile et vulnérable, parce que Maze était différente, qu'elle n'avait pas peur de lui bien au contraire, elle s'évertuait à le sublimer. "Si j'avais su que j'avais affaire à une cannibale assoiffée de ma peau, je serais venu équipé pour t'empêcher de me manger. Je suis sûr qu'accrochée au radiateur, t'aurais rangé ta fourchette vengeresse et tu serais devenue un agneau." L'image ne leur posait pas de problème a priori, au contraire, Maze avait l'air amusée de cette histoire de fourchette alors que Wren se satisfaisait de sa répartie, comme si tout ce qui se tramait entre eux suivait une logique implacable. Quelque part, c'était le cas: il faisait naître leur logique, celle qui découlait de leur lien si particulier, le genre de liens qui ne pouvaient que s'affirmer avec le temps. "Quand tu veux, ma porte est toujours ouverte... Oui, pour empêcher que je fracasse les gonds, je l'assume." Une touche d'humour, une surprise supplémentaire de sa part. En attendant, Wren ne pouvait que sourire en étant témoin de la réaction de Maze à cette histoire de croque mitaine volage. De base, il n'y avait pas grand chose de normal à se comparer à ce genre de légendes urbaines mais avec toutes les bêtises qu'ils avaient pu prononcer depuis le début de leur conversation, la surprise avait très nettement disparu. "On avait parlé d'exclusivité? Mince, j'ai loupé l'information mais si c'est que ça, je pourrais rentrer dormir sous ton lit presque tous les soirs hein." Rien de tout cela ne semblait sérieux et pourtant, leur discussion pouvait sûrement cacher quelque chose de plus profond parce qu'on ne parlait pas de cette façon quand on venait de rencontrer quelqu'un, ou tout du moins quand on fréquentait une personne qui avait jusque là eu une place insignifiante dans sa vie. De toute évidence, le côté cartésien de Wren avait totalement laissé place à la magie de l'instant et c'était avec un rire non feint qu'il accueillit l'image de Maze déguisée en Krang jusqu'à ses neurones. Il était rare d'entendre un rire cristallin s'élever des cordes vocales du pompier, il était au contraire plutôt taciturne, réservé et se montrait très peu démonstratif mais Maze arrivait à casser les schémas types du cher Doherty jusqu'ici. "Ah ouais? On peut trouver quoi de plus surprenant qu'un costume de Krang? T'as éveillé ma curiosité maintenant." Pas sûr que la réponse serait attendue par Doherty, lui qui ne surfait pas beaucoup sur la toile. Il n'avait jamais été très intéressé par les aspects technologiques de l'ère dans laquelle il était né mais il y avait potentiellement un début à tout, la preuve avec la journée qu'il était en train de vivre sans se poser la moindre question. Il s'était même laissé prendre au jeu initié par Maze, une doudoune perdue dans la pièce, des éclats de rires qui résonnaient à ses oreilles avec la menace d'un nouvel incendie de pommes de terre. Wren sourit à la jeune femme, plus perturbé qu'il en avait l'air à nouveau. Certes, il avait toujours eu conscience de ses atouts: il savait plaire et il faisait bien souvent en sorte que ce soit le cas mais cette fois là, il n'avait pas eu de motivations artificielles, le tout allait simplement de soi parce que Maze était là et que sa présence le rendait heureux, aussi étrange que cela pouvait paraître en théorie. "Ouais, mais comment veux-tu que je sois pas un poil vantard quand j'arrive à user de mon capital séduction avec quelqu'un comme toi? C'est pas tous les jours, tu m'excuses..." Il lui fit un clin d'oeil amusé après cette surenchère mais celle-ci contenait une bonne part de vérité. Maze avait su attraper quelque chose en lui que Wren n'était pas en mesure de montrer à une majorité de gens, c'était un don qu'elle possédait et qui poussait même Wren à se lancer dans cette histoire de danse complètement folle. Il n'était pas tellement bon dans ce genre de sports, d'ailleurs, ce n'était jamais pour ses talents de danseur que les femmes succombaient mais là, c'était le côté misérable de l'affaire qui rendait le tout attachant. Et puis, il n'était pas seul à faire n'importe quoi vu que Maze entrait rapidement dans le jeu. "Ca peut toujours se négocier ça, tu sais. Une petite macarena pour conclure une session danse, c'est toujours incontournable... Puis, si tu me dis que t'es douée, je vais vouloir voir ça de toute façon." Ce n'était que cela entre eux, des défis, des rires et des bêtises. Néanmoins, au milieu de tout cela, il y avait la douceur de l'instant au moment où Maze passa ses bras autour de la nuque de Wren alors que lui ne la quittait pas des yeux. Sa phrase le désarçonna mais il ne s'arrêta pas de sourire pour autant, pour elle, c'était sûrement un défi, pour lui, c'était une peur terrible... Celle de ne pas être à la hauteur de ses espérances, celle de ne pas être accepté pour ce qu'il était dans sa totalité. "Vraiment? Tu sais que t'en connais déjà plus que certains? Je parle pas de Tortues Ninja avec tout le monde et je révèle pas mes talents culinaires ou de danseur à n'importe qui, c'est dire à quel point t'es privilégiée là." Et ce n'était pas un mensonge. Personne ne le connaissait vraiment, en tout cas, la facette qu'il avait montré à Maze restait inconnue du monde entier, en règle générale. Il n'était pas souvent capable de se montrer si familier, à même s'oser à se rapprocher d'elle, ses mains se posant sur ses hanches au moment où le regard ambré de sa partenaire se tournait vers la porte d'entrée encore vacillante. "C'est le moins qu'on puisse dire. Ca a l'air d'avoir aucun sens ce qu'on fait depuis tout à l'heure..." De la danse, une bataille de chatouilles, une guerre de doudoune, une cuisine sauvage, un incendie, tout cela en l'espace d'une seule journée. "Et pourtant, j'ai la sensation que je vis le truc le plus sensé de ma vie, là. D'ailleurs, je sais même pas si ce que je dis est logique..." Il laissa un léger rire jaillir de ses lèvres parce que cette vérité était plus douce que jamais: il ressentait cela, cette sensation de bonheur incompréhensible, cette plénitude dès l'instant où il croisa de nouveau le regard ébène de Maze, perdu à jamais dans l'océan de beauté qui perlait à travers ses pupilles.
Maze sourit lorsque le jeune homme suggéra qu'elle se serait mieux tenue une fois accrochée à un radiateur. "Alors là, c'est bien mal me connaître ! Je me serais démenée comme un diable pour me sortir de cette situation et j'aurais sûrement utilisé ma fourchette pour y parvenir d'une manière ou d'une autre." Et à défaut d'y parvenir, elle aurait très certainement hurlé à plein poumon jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus. Maze ? Se comporter docilement ? Très peu probable, même dans une réalité parallèle où elle aurait attaqué la chair de ses invités à la fourchette. Elle avait un trop fort caractère pour ça et avait trop souvent besoin d'avoir le dernier mot. Elle éclata sincèrement de rire à la remarque de Wren sur sa porte ; elle ne s'attendait pas à une répartie pareille mais elle était définitivement bien sentie. "Ça me semble être une très bonne idée en effet. Compte sur moi pour passer à l'improviste ! Et en ce qui concerne l'exclusivité....qu'est-ce que tu veux dire exactement par "je pourrais rentrer PRESQUE tous les soirs" ? Tu vas voir qui va finir attaché au radiateur !" Elle tenta de prendre un air sérieux et menaçant mais cela ne dura pas plus de quelques secondes avant qu'un sourire fasse à nouveau une apparition sur son visage. Elle ne semblait pas pouvoir se départir de ce sourire depuis que Wren avait débarqué dans son appartement. Cependant, elle ne parvenait toujours pas à comprendre à quel moment elle était passée de la première impression "c'est qui cet abruti qui vient de faire irruption chez moi ?" à une discussion très avancée sur les tortues ninja. "En mode très soft, on peut trouver de la viande de licorne par exemple. Je ne sais pas pour qui, pourquoi, comment...mais bref. En mode beaucoup moins soft...je te promets que tu ne veux pas savoir." Elle ponctua sa phrase d'une légère grimace pour montrer qu'elle même préfèrerait pouvoir effacer certaines images de sa tête. Il y avait des choses qu'il valait mieux ignorer jusqu'à la fin de ses jours. Maze haussa les sourcils : "Quelqu'un comme moi ?" Qu'est-ce que cela signifiait exactement ? "Tu veux dire une fille qui manque de faire cramer son appartement, qui parle de mariage sur le thème des tortues ninja entre deux ou trois propositions d'assassinat de voisins, et ce tout en lançant des défis stupides mettant en scène des doudounes et de beaux inconnus beaucoup trop grands pour une taille S de vêtement ?" Elle ponctua sa question d'un sourire en coin mais néanmoins interrogateur. "Si c'est ça, j'imagine que tu ne dois effectivement pas croiser quelqu'un comme moi tous les jours...et je t'accorde que ce genre de personnes est certainement plus difficile à séduire que...quelqu'un de lambda, normal et sain d'esprit." Ces adjectifs étaient plutôt bien choisis pour décrire le parfait opposé de Maze si l'on prenait en compte son comportement d'aujourd'hui. Habituellement, elle pouvait passer pour une personne plutôt normale et saine d'esprit justement mais ce jour là, rien n'était habituel. Son côté exubérant ressortait bien plus et cela était sûrement dû au fait qu'elle se sentait à l'aise et heureuse en présence de Wren. Elle ne se retrouvait pas à parler de danser la macarena avec n'importe qui. "Deal, la macarena ça peut se faire. Mais je compte évidemment sur toi pour m'accompagner." De toutes manières, depuis de longues minutes maintenant, ils s'embarquaient mutuellement dans des défis plus incongrus les uns que les autres. Ils faisaient tout ensemble, et c'était ce qui rendait le jeu si intéressant et intriguant. Maze resta silencieuse quelques secondes lorsque son partenaire de danse lui expliqua qu'elle en savait déjà beaucoup sur lui. Elle était perplexe ; elle ne doutait pas que les informations qu'elle avait recueillies aujourd'hui restaient inconnues aux yeux et aux oreilles de nombreuses personnes de l'entourage de Wren, néanmoins elle voulait en savoir plus sur lui. Il y avait certainement d'autres informations à découvrir. Elle fit ensuite une chose qui ne lui arrivait que très rarement : elle prit du temps pour réfléchir à ce qu'elle s'apprêtait à dire et pour peser ses mots. Pour elle, si spontanée et sans filtre, agir ainsi relevait presque du miracle. "J'apprécie d'être privilégiée, crois-moi tu l'es aussi avec toutes les informations qui sont maintenant en ta possession. Mais j'ai très envie d'en savoir plus encore sur toi Wren...alors que dirais-tu si on allait manger ensemble un soir prochain dans un restaurant...histoire de prendre un vrai repas digne de ce nom et de...discuter ?" Elle n'avait pas spécifiquement utilisé le terme de rendez-vous, mais c'était bien ce qu'elle lui proposait là. Maze arrivait bien à gérer le stress et la peur en temps normal, notamment dans le cadre de son travail, mais à cet instant en attendant la réponse du jeune homme, elle sentait une boule se former lentement au creux de son ventre. Elle stressait et avait peur que Wren ne refuse sa proposition alors qu'elle tenait sincèrement à avoir cette soirée avec lui. Mais il était trop tard pour faire marche arrière, les mots étaient prononcés, le rendez-vous donné, elle ne pouvait qu'attendre le verdict à présent. Les deux jeunes gens auraient très bien pu discuter ici même, maintenant, entre deux bouchées de pommes de terre trop cuites. Mais ça n'était pas ce que Maze avait en tête. Cette journée était beaucoup trop folle pour qu'ils puissent imaginer discuter sérieusement. Et elle n'en démordrait pas, elle souhaitait sincèrement en savoir plus sur Wren, sur sa vie, son quotidien. Elle se sentit frissonner lorsqu'il posa ses mains sur ses hanches avant que son corps ne se détende finalement à ce contact. Elle reporta son attention sur lui et fut une nouvelle fois surprise par l'intensité de son regard. Elle aurait pu passer le reste de sa journée à l'observer ; il avait la capacité de la faire se détendre tout en lui donnant l'impression d'être la seule au monde, avec lui. Elle se hissa finalement sur la pointe des pieds pour rapprocher son visage du sien et murmurer : "Ça me parait plus que logique." Car elle ressentait la même chose. Elle resta dans cette position quelques secondes avant de se décider à l'embrasser à nouveau. Maze était plus entreprenante cette fois-ci, l'une de ses mains passant de la nuque du jeune homme vers ses cheveux, exerçant une légère pression pour le rapprocher d'elle. Elle restait néanmoins mesurée, elle n'avait toujours pas l'intention de précipiter quoique ce soit mais elle se sentait irrémédiablement attirée par Wren. En se détachant quelque peu de lui, elle eut un sourire en coin avant de déclarer : "Un partout, la balle au centre ?" Quand on vous disait que la jeune femme ressentait souvent le besoin d'avoir le dernier mot, idéalement à l'aide d'une légère provocation. Elle n'avait pas compté la première attaque dont elle avait été à l'origine quelques minutes plus tôt sur le canapé et elle avait soudain eu très envie de rétablir l'équilibre en l'embrassant à son tour. Cependant et bien que son corps la suppliait de faire le contraire, Maze finit par se détacher complètement de lui. Si elle ne voulait pas brûler les étapes, sa raison lui soufflait de mettre un peu de distance entre eux avant de craquer. Elle jeta un rapide coup d'oeil du côté de sa cuisine. "Je te laisse choisir Wren : tu préfères avoir un repas acceptable...ou bien une démonstration de macarena mais manger des pommes de terre trop cuites ?" Elle avait demandé cela le plus naturellement du monde, reprenant le cours de leur conversation avec un léger sourire aux lèvres.
Le surréalisme avait pris le pas sur la réalité depuis de bien longues minutes désormais. Wren n'était même plus certain d'être encore sur la terre ferme avec tout ce qui se tramait sous ses yeux innocents. Enfin, innocents, c'était vite dit quand on parlait de l'aîné des Doherty vu tout ce qu'il avait déjà accompli au cours de sa jeune vie. Il avait peut être réalisé pas mal d'exploits et autres délits en tous genres, clairement, il ne s'était jamais retrouvé dans le genre de situations que Maze lui faisait vivre à ce moment là. Détaché de tout, c'était la voie qu'il avait toujours choisi, de peur de souffrir, de peur de devoir rendre des comptes à qui que ce fut et se montrer si avenant était le premier pas vers des dérapages qui ne lui plaisaient guère. Wren avait beau avoir enregistré ce genre de principes de base, il avait l'air de tous les balancer au vent depuis qu'il avait débuté une conversation loufoque avec la jeune femme. Il n'était plus question de retenue ou de réparation de porte au beau milieu d'un immeuble peu reluisant: à l'inverse, il était en train de faire l'idiot en parlant de radiateur et autres réjouissances qui les rendaient encore plus fous qu'ils ne l'étaient habituellement... C'était pourtant dur d'en arriver à un tel niveau sur le papier mais ils avaient probablement dû avaler des substances nocives pour aboutir à un résultat si extravagant. Wren ne se reconnaissait même plus, complètement lancé dans les répliques qu'ils étaient en train de se lancer comme des gamins en manque d'adrénaline. Peut être était-ce le cas, après tout, Wren n'avait pas vécu d'interventions aussi sauvages depuis quelques semaines déjà et on ne pouvait pas dire qu'il avait pris l'habitude de défoncer des portes pour éteindre des incendies sans avoir mis son uniforme auparavant. Il avait besoin de cela pourtant, de se sentir conquérant, prêt à jouer sa vie pour ressentir une once d'émotion et celle qu'il avait au fond du coeur à ce moment là valait sûrement plus encore que ce besoin oppressant d'affronter les flammes. Il était question d'alchimie, de cette envie de tout savoir de la personne en face de soi, de se laisser aller le plus simplement du monde à cet appel grotesque du coeur et de l'esprit. Doherty n'était pas dans le contrôle à cet instant précis et cela avait toujours été la sensation qu'il avait recherché, depuis au moins dix bonnes années. Maze l'aidait à se sentir vivant à nouveau et pour une fois, Wren n'avait même pas besoin d'être à moins de deux mètres des flammes pour cela. Il n'avait jamais imaginé pouvoir vivre ce genre d'événements en dehors de ses heures de service et pire encore, il n'avait même jamais envisagé que vivre ce type d'aventures puisse le rendre aussi heureux qu'un gosse qui découvrait ses premiers cadeaux de Noël. Pourtant, Wren en était là, à rire comme un décérébré en s'imaginant Maze une fourchette à la main qui tâchait de se sortir d'une camisole de force prenant la forme d'un radiateur de seconde zone. "Un détail de plus et on pourrait te caster dans un remake de l'Exorciste, non? Se démener comme un diable avec une fourchette dans un combat sans merci contre un radiateur... Ca a l'air d'être juste le pitch parfait." Et lui serait très certainement loin du rôle du prêtre dans l'affaire, peut être qu'il finirait sur le radiateur voisin à essayer de se détacher de son amour vibrant du feu, voilà ce qu'il adviendrait d'eux, les deux fous qui découvraient les états d'âme d'une vie incompréhensible. Le pire dans tout cela, c'était que Wren pouvait rêver de ce genre d'aventures, peut être parce que former un duo avec Maze le ravissait au plus haut point, peu importe les circonstances. "Pourquoi tant de haine, mademoiselle Crawley? Enfin, je dis ça mais être attaché à un radiateur, c'est synonyme de chaleur donc je devrais pas trop souffrir de ma punition." Pas masochiste pour un sou, ce cher Doherty. Enfin, tout cela faisait partie de leur petite mascarade, bien incapables qu'ils étaient de retrouver leur sérieux pour se comporter comme des adultes normaux. Wren n'en avait jamais été vraiment un pour être honnête et il demandait encore à connaître Maze pour la cataloguer dans une catégorie quelconque à ce sujet. "T'as l'air de pas mal connaître les côtés sombres du web, dis moi... Ca m'en fait des choses à apprendre sur toi, j'ai du travail." Et il en souriait, totalement obnubilé par les expressions faciales de Maze depuis quelques minutes. L'insouciance de Wren était à son paroxysme et dans ces cas là, il ne maîtrisait plus réellement ce qu'il pouvait dire ou faire. Il avait déjà dérapé à de multiples reprises depuis son arrivée fracassante dans l'appartement mais cette fois, on atteignait franchement des sommets dans ce qu'était en mesure d'accomplir le pompier. Prononcer ce genre de mots qui n'avaient l'air de rien mais qui voulaient dire tant au fond, juste oser dire à Maze que cette séduction n'était pas si futile qu'elle en avait l'air a priori. "Dit comme ça, ça a pas l'air très reluisant pour le reste de l'humanité mais... Oui, pour moi, c'est le top du top ce genre de filles." Peut être parce qu'il était trop peu normal pour jeter son dévolu sur des femmes lambda qui avaient des sujets de conversations rasoirs tournant autour de leur style vestimentaire ou du nombre de fois où elles se rendaient à la salle de sport du coin. "On est d'accord là dessus, y a rien de plus dur que de séduire une jolie fille folle à lier mais je suis content de m'en sortir à peu près correctement. Je pourrais peut être ajouter cette compétence à mon CV pour finir." Il lui fit un clin d'oeil, persuadé qu'il était plus fou qu'elle en réalité. Tout cela n'était qu'une question de perspective au final et puis, Wren ne faisait pas franchement attention au regard des gens qui avaient peu d'intérêt à ses yeux. Du moment que son entourage l'appréciait pour ce qu'il était, même s'il était plus proche de l'ombre que de la lumière, il avait l'impression d'y gagner dans l'affaire. Clairement, à cet instant là, il se sentait comme un gagnant toutes catégories confondues puisqu'il s'apprêtait à participer à un nouveau défi avec la jolie brune. "Pas de problème, la macarena, je maîtrise totalement, on dirait pas comme ça." Il était aussi bon dans cette chorégraphie qu'avec une manette de console à la main sur Just Dance, autant dire que le carnage était imminent. Avant d'en arriver à ce genre de catastrophes chorégraphiques, ils semblèrent prendre le temps de retrouver leur sérieux, certainement parce que Maze avait prononcé des mots que Wren n'avait pas l'habitude d'entendre. Il était rare qu'on veuille en apprendre plus sur lui et pourtant, elle semblait déterminée à percer le moindre de ses mystères. Effectivement, Crawley fit preuve de détermination pour se lancer dans l'arène, rendant Wren totalement muet pendant dix bonnes secondes, un exploit ce jour là. "Tu viens vraiment de m'inviter à un vrai dîner? Je t'avoue qu'on m'a pas souvent proposé ça..." C'était une évidence vu l'étonnement qui habitait son visage à cet instant précis mais celui-ci se transforma bientôt en expression de joie, étonnamment. "Mais évidemment, ça me dit bien. Peut être qu'on évitera des incendies culinaires si on touche pas à des casseroles ou des poêles... Tout cela en perçant tous les mystères de l'autre à jour, le plan parfait." Une occasion rêvée pour Wren qui n'aurait pas été capable pour autant de le formuler, pas comme Maze en tout cas mais elle avait clairement plus de courage que lui lorsqu'il s'agissait de communiquer avec un autre être humain. Doherty avait toujours été très mauvais dans ce domaine et ce qu'il ne disait pas, c'était à autrui de le deviner, bien souvent tant bien que mal vu sa compétence naturelle à tout dissimuler. Au moins, cette fois, le pompier faisait l'effort d'exprimer ce qu'il avait sur le coeur, même si c'était maladroit et très loin de la vérité... Il essayait. Sa logique était probablement différente de celle des autres mais Wren était tout de même heureux qu'à ce moment là, Maze la partage aussi. En effet, il put lui offrir un doux sourire en guise de réponse, juste avant de réceptionner son baiser et lui rendre avec la même vigueur qu'elle. Si Maze faisait passer dans sa nuque et dans ses cheveux, Wren tâchait de rapprocher encore plus les deux corps, mesurant ses actes au moment où Maze se détacha de lui. "Ca me semble correct comme score, monsieur l'arbitre." Elle avait très certainement gagné la bataille depuis longtemps mais ce n'était pas le suédois qui allait le souligner à cet instant précis. Non, à la place, il tourna son regard vers la nourriture en entendant les mots de son hôte. Il fit mine de réfléchir, sortant ses grands airs de suédois en contrôle de la moindre de ses émotions. "Et bien, figure toi qu'on peut faire les deux à la fois, mate moi ça..." Et Wren perdait bien vite son air énamouré ou même sérieux, se mettant à bouger les bras dans tous les sens avec un déhanché relativement ridicule en se dirigeant vers la casserole de pommes de terre. Il réussit avec une assurance non feinte à retirer le tout du feu en continuant sa danse improvisée. Au moins, il avait appris ce jour là que le ridicule ne pouvait pas les tuer, ni elle ni lui. "Un délice vous attend, très chère." Effectivement, il prit la peine de goûter le plat, encore goûteux malgré leurs dérapages dans la surveillance de la cuisson, avant de ramener le tout sur la table, n'oubliant pas que Maze avait besoin de se nourrir incessamment sous peu. "J'espère qu'avec ça, tu seras toute requinquée... Même si je doute pas que la macarena est sûrement efficace en la matière, ton taux de glucose a certainement besoin de plus pour se remettre sur les rails après tous nos... Dérapages?" Aucune idée de ce que Wren pouvait bien mettre dans cette catégorie alors qu'il s'asseyait à la table, posant brièvement sa main sur celle de Maze pour accompagner ses propos. Pouvait-on rendre cette journée plus folle encore? La possibilité était vraisemblablement infinie, dans leur monde totalement surréaliste.
Maze avait sans aucun doute un caractère de feu. Elle l'avait d'ailleurs toujours eu, faisant à l'occasion de la vie de ses parents un véritable enfer durant son adolescence. Elle remettait souvent tout en question, n'acceptait pas les évidences et, encore aujourd'hui envoyait régulièrement tout balader du jour au lendemain. Cela lui était d'ailleurs déjà arrivé au niveau personnel. Après une sévère dispute, l'un de ses ex avait pu la voir partir comme une furie et claquer la porte de l'appartement pour ne plus jamais la revoir. Après plusieurs relations houleuses tant amicales qu'amoureuses, la jeune femme avait appris avec le temps à couper les ponts avec les personnes qu'elle jugeait nocives pour elle. Mais cette excessivité pouvait être négative comme positive, ce qui était le cas actuellement. Maze se retrouvait alors agir de manière complètement délirante et à prononcer des paroles plus folles les une que les autres. Wren avait été un témoin très privilégié de tout cela. Mais cela justifiait-il le fait qu'il la compare à un personnage de l'Exorciste ? Oui très certainement, mais elle prit néanmoins la peine d'afficher un air faussement outré. "Merci pour cette flatteuse comparaison !" Elle ne tarda pas à laisser apparaître un sourire, montrant bien qu'elle ne lui en tenait pas rigueur ; après tout, ce parallèle avec le film était plus que mérité après tout ce qu'elle venait de dire. "Si c'est comme ça, on rajoutera deux ou trois couches de doudounes trop petites pour toi, on verra bien si tu ne souffres toujours pas !" Maze débitait tellement de sottises qu'elle commençait à se demander si elle avait prononcé une seule parole censée depuis le début de leur conversation. D'ailleurs, au quotidien, était-elle capable de discuter normalement avec des personnes saines d'esprit ? La question pouvait se poser. "Je surf sur le dark web à mes heures perdues...Non, je te promets que c'est bien malgré moi que je sais ce genre de choses. Je fais un métier qui peut avoir des côtés très surprenants, crois-moi. Et oui, je mets sans aucun scrupule mes connaissances et mes trouvailles malaisantes du web sur le dos de mon travail et de mes clients !" Après tout, c'était totalement et entièrement de leur faute alors pourquoi aurait-elle dû s'en priver ? Au quotidien et dans sa vie privée, ses recherches internet devaient se limiter au dernier épisode de ses séries préférés, rien de plus. Elle se mit à sourire au compliment de Wren. D'autant plus qu'elle-même n'était pas particulièrement intéressée par les hommes n'ayant aucune singularité. Elle ne comptait plus le nombre de blind dates foireux auxquels ses amies l'avaient forcée à se rendre, ni le nombre de fois où ces fameux rendez-vous s'étaient terminés en défis avec elle-même : combien de fois cet homme allait-il revenir sur son amour pour sa mère et pour son chien. Allez, si tu devines correctement Maze, tu te lèves et tu pars sans un mot. Elle avait beau adorer les chiens, il y avait quand même des limites, non ? En tout cas à ses yeux ça n'était clairement pas le meilleur sujet à aborder lors d'un premier rendez-vous. "Merde Wren. Tu as déjà découvert que j'étais folle à lier ? J'arrive pourtant à cacher ça au moins deux voire trois jours aux personnes que je rencontre en général." C'était faux. Avec sa spontanéité légendaire, il ne fallait en général pas plus de deux bonnes minutes aux gens pour deviner qu'elle avait un petit grain de folie. Mais elle trouvait cela plutôt avantageux : soit les gens l'acceptaient ainsi, soit ils pouvaient tout de suite aller voir ailleurs. Le tri s'avérait assez facile. "T'as fait ça d'une telle main de maître que je vote pour l'ajouter au CV." Elle accompagna sa remarque d'un nouveau sourire. Wren s'en était clairement sorti bien plus "qu'à peu près correctement" à ses yeux. Heureuse de savoir que le jeune homme maîtrisait lui aussi la macarena, son sourire disparut bien vite pour laisser place à une petite grimace et à une légère montée de stress. Pourquoi restait-il silencieux ? Allait-il l'envoyer balader ? Le cas échéant, comment était-elle censée réagir ? Elle serait sûrement très tentée de prendre la porte...si l'on oubliait le fait qu'ils étaient dans son appartement et qu'il était difficile de partir de manière dramatique en laissant la personne que l'on cherchait à fuir dans l'appartement en question. Elle cessa finalement de délirer sur ces différentes questions lorsque le jeune homme lui fit part de sa réponse. Elle avait même manqué de lâcher un grand soupir de soulagement en entendant qu'il acceptait sa proposition. Une fois la pression redescendue, Maze se permit enfin de rire. "Ça me parait effectivement parfait comme plan." Si ils voulaient que ce rendez-vous soit réussit, il valait en effet mieux qu'elle ne soit pas aux fourneaux. A moins que le propriétaire ne cherche à mettre le feu à son restaurant pour faire marcher l'assurance et récupérer de l'argent, auquel cas elle serait en mesure de donner un coup de main considérable. Mais, étant à l'origine de l'invitation, était-elle aussi censée proposer un restaurant ? Quel était le dernier restaurant où elle avait mangé déjà ? L'endroit où elle prenait à l'occasion un sandwich à midi pour pouvoir manger tout en travaillant ne comptait pas; c'était sûrement l'équivalent culinaire de la discussion sur un animal de compagnie pour un premier rendez-vous. Bref, il allait falloir trouver mieux. Et que se passerait-il si elle choisissait un restaurant qui ne plaisait pas à Wren ? Si le personnel n'était pas aimable ? Si les différents avis qu'elle pourrait lire sur internet étaient faux et ne représentaient donc pas la réalité des lieux ? Pourquoi son cerveau s'était-il soudainement remis à se poser des milliers de questions, comme à son habitude ? Il allait vraiment falloir que Maze apprenne à relâcher la pression. Comment pouvait-elle être aussi spontanée dans ses paroles et aussi stressée à l'idée de réserver un pauvre restaurant ? Sa personnalité était définitivement très ambivalente. Elle ne savait vraiment pas à quel moment elle était passée de l'état d'angoissée en attendant le verdict de Wren à soudainement suffisamment courageuse pour lui voler un baiser. Elle avait comme l'impression de ne plus vraiment être maîtresse d'elle-même ; mais elle était contente de pouvoir se laisser totalement porter par l'atmosphère du moment quand son cerveau se décidait à la laisser tranquille durant quelques instants. Elle fronça les sourcils en le voyant réfléchir visiblement très intensément à sa dernière question concernant le repas. Que lui préparait-il donc ? Elle resta silencieuse quelques secondes en observant son petit numéro, plus surprise qu'autre chose, mais elle finit bien vite par éclater de rire tout en lançant la musique de la macarena. Puis elle partit à sa suite en l'imitant du mieux qu'elle pouvait sans cesser de rigoler, tout en incluant des sauts sur place à chaque "Hey macarena !". Wren et elle avaient vraiment l'air fin. "Merci Chef !" Avec toutes les aventures qu'ils venaient de vivre, elle en aurait presque oublié qu'elle avait faim. Elle s'installa à table sans prendre la peine de vérifier sa glycémie. La lutte pour la doudoune, la bataille de chatouilles, leur danse et les différents états émotionnels par lesquels elle était passée avaient très certainement eu un effet très similaire à celui d'une séance de sport ; Maze était convaincue qu'elle pourrait se passer d'insuline pour cette fois. Un nouveau sourire lui échappa lorsque le jeune homme employa le mot "dérapages" tout en posant sa main sur la sienne. Elle se saisit de sa fourchette et goûta une pomme de terre en prenant un air sérieux digne des plus grands experts culinaires. "Mh.....cette pomme de terre est....bien cuite étonnamment !" Un rire lui échappa. "C'est délicieux, je te remercie encore de ne pas m'avoir laissée mourir de faim." Ce plat était à n'en pas douter définitivement plus réussi que les pâtes carbonisées qui finissaient de refroidir dans l'évier de Maze. Elle était particulièrement reconnaissance envers Wren d'avoir à la fois sauvé son appartement, sa vie, mais aussi et surtout : son estomac.
La sérénité n'avait pas fait partie de son existence ces derniers temps, Wren était angoissé de tout, surtout de sa situation familiale. Il ne savait jamais si, en se rendant chez sa mère, il la retrouverait dans de bonnes dispositions. Quelque part, il se sentait responsable de son désespoir : qu'aurait-il pu faire pourtant ? Il n'était pas celui qui l'avait mise dans cet état, il avait juste été un témoin supplémentaire de cette tragédie. En tant que fils, il aurait certainement pu être plus présent, faire en sorte qu'elle soit plus heureuse malgré sa condition mais à ce sujet, il avait échoué. Wren la voyait sombrer de plus en plus chaque jour, sans pouvoir y faire grand chose et il se doutait que viendrait le jour où sa présence à ses côtés ne serait tout bonnement plus suffisante pour lui donner l'envie de survivre. En attendant, il ne pouvait que continuer à se rendre chez elle, presque tous les jours, réduisant sa vie sociale au minimum parce qu'avoir une mère avait toujours été plus important à ses yeux qu'avoir de véritables amis sur qui s'épancher en cas de besoin. Bien sûr, cela ne l'empêchait pas de sortir très fréquemment, finir ses difficiles journées de travail dans un bar quelconque puis se mettre la tête à l'envers jusqu'à l'aube, sans savoir ce qui adviendrait de sa carcasse au moment où il devrait rentrer chez lui. Avec ce rythme de vie un peu particulier, Wren ne faisait jamais de réels efforts pour se lancer dans des aventures amoureuses suivies. Profiter une soirée, cela, il savait faire mais lorsqu'il était question de réels sentiments, le suédois lâchait la barre le plus rapidement possible. Il n'avait pas forcément envie de perpétuer cette tradition, avec la trentaine approchant, il espérait encore pouvoir combattre ses démons et vivre comme les autres personnes de son âge, sans avoir une peur bleue du lendemain et des conséquences d'une vie à deux. C'était certainement parce qu'il avait eu conscience par le passé de son attitude toxique, notamment lorsqu'il avait eu une relation avec une amie d'enfance, Violet, se terminant par un déchirement terrible. Désormais, Wren était loin de tout cela, enfin adulte, peut être moins autodestructeur si on excluait son amour étrange pour les flammes et il se montrait vraisemblablement sous son meilleur jour devant Maze. A quoi était-ce dû ? Il n'aurait su le dire, ce n'était pas quelque chose de commun pour lui, se sentir si joyeux malgré des journées âpres ces derniers temps mais Maze avait ce naturel quelque peu magique aux yeux de Wren. Elle était dynamique, spontanée et possédait un brin de folie qui laissait penser qu'elle avait un caractère unique, forcément, Doherty avait envie de le découvrir plus en profondeur. « Ca, c'est mesquin, tu réalises que les géants suédois dans mon genre ont chaud très rapidement ? Alors deux ou trois couches de doudounes, je me liquéfie en moins de cinq minutes. » C'était une des raisons pour laquelle il passait la plupart de son temps sans un tee shirt sur le dos, certainement qu'il avait conservé un patrimoine génétique nordique assez important pour se comporter de la sorte. Néanmoins, tout cela n'était pas porté à la connaissance de Maze pour le moment : enfin, elle avait certainement dû saisir les concepts chers à Wren avec cette histoire de doudounes. « Et bien bravo, mademoiselle ! Je pensais pas que l'événementiel requérait ce genre de visites sur le web obscur mais j'ai bien compris que tu étais pleine de surprises... » Il lui fit un clin d'oeil, c'était la dynamique qui s'était lancée entre eux, pleine d'échanges de plaisanteries, de commentaires charmeurs, à croire que flirter de nos jours devait se transformer en parade. Cependant, eux faisaient un peu dans la différence avec leurs délires de Tortues ninjas, mariages et autres conversations plus loufoques les unes que les autres. « Que veux tu, j'ai un instinct pour percer les gens et tu as pas fait exception mais, tant mieux, au moins, j'ai su rapidement que tu m'intéressais... » Même quand elle lui hurlait dessus parce qu'il était entré par effraction dans son appartement pour la sauver d'un incendie ravageur. C'était son petit côté masochiste, comme la plupart des hommes certainement, il aimait les femmes qui avaient leur petit caractère et qui ne se laissaient pas faire et en la matière, Maze était servie, heureusement pour le pompier. « Une main de maître ? Tu me flattes trop. » Il lui souriait avec un naturel déconcertant, elle le rendait si doux, lui qui avait toujours été d'une nature relativement violente, passionnée aussi mais au moins, en sa présence, Wren arrivait à se calmer. Pour un temps tout du moins, parce qu'elle avait dérouté à son tour avec sa requête d'un rendez-vous au restaurant. Wren n'en avait jamais vraiment fait : lui, il sortait dans les bars, finissait avec la première fille venue et passait à la soirée suivante. Pas le temps, pas l'envie, pas le coup de cœur, pas l'assurance de devenir le premier choix de quelqu'un d'autre. Cette fois, il acceptait sa proposition, osant se lancer dans une aventure qui l'effrayait au plus haut point. Il ne le dirait pas à Maze pour autant, restant caché derrière sa carapace d'homme dur et invincible. Cela ne lui empêchait pas de lui sourire, son cœur battant à tout rompre en envisageant ce moment qu'il devrait partager avec elle, s'ouvrir à ce qu'il était, ce qu'il avait vécu et ne pas regretter de se rapprocher de quelqu'un comme elle. Avoir peur n'empêchait pas de se relancer dans un délire avec la macarena alors que la cuisine finissait dans l'assiette. Il y avait une certaine intimité dans ce moment, peut être parce que Wren regardait Maze se délecter du repas. Il n'avait pas franchement l'habitude de cuisiner pour quelqu'un d'autre que lui ou sa mère, un changement qui était plus agréable qu'il ne l'aurait cru. « C'est la moindre des choses, tu sais... J'ai quand même cassé ta porte, dérangé ton rituel beauté et je t'ai presque fait tomber dans les pommes avec tout ça. Tant mieux si ça te plaît, pour le coup. Je pourrais te laisser te reposer sans culpabiliser une fois que tu seras repue... Le croque-mitaine bienveillant, un super concept, non ? » Il savait que ce moment toucherait fatalement à sa fin, un sourire s'élargissant sur ses lèvres parce que toutes les surprises qui étaient survenues ce jour là amenaient un avenir incertain mais potentiellement incroyable, si Maze acceptait d'aller au delà des évidences concernant le jeune pompier.
En repensant à tout ce qui venait de se passer, Maze ne put s'empêcher d'avoir une pensée pour sa mère. Elle qui, à chaque coup de fil qu'elle lui passait, lui demandait où elle en était dans sa vie amoureuse. Elle l'entendait déjà, avec ce ton inquiet qui la caractérisait dès qu'elle décidait d'aborder ce sujet épineux : "Et donc...tu n'as pas quelqu'un à nous présenter bientôt ?". Maze savait pertinemment d'où lui venaient sa finesse et sa discrétion légendaire. Elle avait beau adorer ses parents, ce genre de conversation finissait en général très mal. Sa mère s'inquiétait, Maze lui expliquait qu'elle n'avait pas besoin d'un homme dans sa vie pour se sentir épanouie, elle insistait, la brune montait au créneau et cela finissait en une dispute en bonne et due forme. Elle ne comprenait pas comment sa mère pouvait d'un côté l'avoir soutenue dans la voie professionnelle qu'elle avait choisie, pour ensuite lui reprocher occasionnellement ce choix car il ne lui permettrait jamais d'avoir une vie de famille convenable. Cela avait le don d'énerver la jeune femme, notamment car fonder une famille finirait par lui effleurer l'esprit à un moment ou à un autre, mais certainement pas à 28 ans. Elle n'avait pas fait des études supérieures et obtenu le travail de ses rêves pour finir casée et avec des enfants sur les bras avant ses 30 ans. Cela était tout bonnement inconcevable pour elle. Elle était parfaitement épanouie dans son travail et elle ne voulait pas mettre fin à cette situation idyllique d'une quelconque manière que ce soit. Par ailleurs, elle se sentait beaucoup trop immature pour fonder une famille : dans sa tête, elle était restée bloquée à l'adolescence. Et puis, pourquoi sa mère lui disait-elle que son travail ne serait pas compatible avec une vie de famille après tout ? Qu'en savait-elle ? Et pourquoi souhaitait-elle à tout prix que sa fille choisisse sa vie privée au détriment de sa vie professionnelle ? Bref, si sa mère avait pu observer toute la scène, nul doute qu'elle aurait expressément poussé sa fille dans les bras de Wren. Et c'était très exactement le genre de gestes dont Maze se plaisait à prendre le contrepied, par simple esprit de contradiction. Elle avait besoin de faire ses propres choix et ses propres erreurs. Pour que la jeune femme choisisse de s'intéresser à un homme et de lui laisser une chance, il valait donc mieux pour lui que personne n'ait essayé de les caser ensemble de force. Or cela tombait bien car sa rencontre avec Wren n'aurait pas pu être plus à l'opposé de cette situation, et c'était cela qui faisait tout son charme. "Je te rappelle qu'on parlait d'une punition pour un croque-mitaine volage. Tu pensais quand même pas que j'allais t'accrocher au radiateur pour t'apporter un petit thé glacé avec une rondelle de citron ? Et puisque tu râles, on va plutôt parler de trois ou quatre couches de doudounes superposées...deux ou trois, c'est petit joueur finalement." Elle lui lança un sourire en coin résolument impertinent tout en songeant au fait que cette situation aurait finalement très bien pu se produire. Ils n'étaient plus à une action folle près. Sans se départir de son ton légèrement provocateur, elle ajouta : "Je te promets que je ne m'en doutais pas non plus quand j'ai commencé...J'aurais peut-être choisi un métier plus calme et moins dangereux sinon. Genre...pompier ?! Éteindre un incendie par ci par là, défoncer quelques portes...rien de bien sorcier, je pense que j'aurais pu m'en sortir." Elle avait beau faire du sport régulièrement, elle doutait que quiconque puisse l'imaginer un seul instant en train de défoncer une porte avec succès. Pourtant, cela n'aurait pas été pour lui déplaire. Elle s'imaginait déjà bien défoncer porte après porte dans tout l'immeuble, juste pour crâner. Ses voisins auraient été ravis à n'en pas douter. Cela dit, il y avait une part de vérité dans ce qu'elle venait de dire. En commençant à travailler dans le milieu de l'événementiel, elle ne se doutait effectivement pas de tout ce qui l'attendait. Elle avait bien pris en compte les horaires décalés, la fatigue, le stress, les problèmes de dernière minute à résoudre...mais à aucun moment elle n'avait imaginé tomber sur des clients ou des artistes tordus avec des lubies étranges et qui se devaient d'être satisfaites durant leur court séjour dans son festival sous peine d'annulation de concert. Ce qui était certain, c'était qu'elle remerciait chaque jour son équipe d'être à ses côtés ; elle n'aurait clairement pas pu affronter tout cela toute seule. Discuter avec eux des clients insupportables et de leurs demandes farfelues constituait pour elle une véritable catharsis qui s'avérait de temps à autre grandement nécessaire. Si elle se trouvait pourtant elle-même parfois étrange, à côté de certaines personnes elle aurait pu passer pour la fille la plus banale du monde. Elle ne put retenir un sourire en entendant le jeune homme déclarer à voix haute qu'elle l'intéressait. Elle fit mine de réfléchir quelques instants. "Mhhh, vraiment ? Et quel a été le moment exact où tu as réalisé que je t'intéressais Wren ? Celui où je t'ai hurlé dessus juste après que tu aies sauvé mon appartement des flammes ? Ou plutôt celui où je t'ai honteusement mis dehors avant de finir par te demander de rester pour m'aider à remettre ma porte sur pied...enfin sur ses gonds ?" Elle marqua un léger temps de pause. "Pour ma part, j'étais définitivement conquise après que tu aies fait irruption dans ma salle de bain pour me reprocher mes talents culinaires." Ou après cette bataille de chatouilles sur le canapé, mais elle comptait sur Wren pour s'en être rendu compte de lui-même. Maze réalisait qu'elle avait l'estomac noué maintenant que cette histoire de restaurant était sur les rails. Pourtant, elle n'en était pas à son premier rendez-vous. Mais jusque là, elle n'avait jamais pris ces histoires très au sérieux. Le fait qu'elle ne se soit jamais réellement sentie prête à se poser et fonder une famille couplée au fait que ces rendez-vous tournaient pour la plupart au désastre à partir du moment où elle avait jugé que l'homme en face d'elle était un sombre abruti, tout cela alimentait le stress et la pression qu'elle ressentait à présent. Mais avec Wren, c'était différent. Elle était bien loin de penser qu'elle avait un sombre abruti en face d'elle. Bien au contraire, c'était parce qu'elle l'appréciait sincèrement qu'elle se sentait à présent légèrement paniquée à l'idée de ce restaurant avec lui. Elle n'était habituellement pas trop mauvaise pour prendre les problèmes comme ils venaient. Or ce rendez-vous n'allait pas avoir lieu ce soir, elle avait donc le temps de s'y préparer psychologiquement et de cesser de se prendre la tête bien trop longtemps à l'avance : pourquoi stressait-elle déjà ? Décidément, rien ne semblait fonctionner comme à son habitude en présence du jeune homme. Elle se fit néanmoins violence pour revenir dans l'instant présent et profiter du repas qui lui avait été galamment préparé. "Wow, maintenant que tu listes tout ça...c'est vrai que t'en as fait des choses quand même dis donc." Elle se moquait gentiment. D'autant plus que les dites choses ne se seraient jamais produites si elle avait été plus vigilante au regard de son repas, mais elle se garda bien de le préciser. Et puis finalement, cela leur avait permis de se rencontrer ; manquer de provoquer un incendie n'était donc pas toujours foncièrement une mauvaise action...si ? "Et oui, j'aime beaucoup ce concept...j'aurais préféré que tu l'inventes quand j'étais plus jeune, mais je le valide quand même." La Maze âgée d'une dizaine d'années qui vérifiait sans cesse sous son lit avant de se coucher aurait en effet grandement apprécié d'apprendre qu'il pouvait exister un croque-mitaine bienveillant. Ce qui était certain, c'était que la Maze aujourd'hui âgée de 28 ans était plus que ravie de passer cette journée en compagnie de Wren. "Et tu veux dire que tu vas m'abandonner et me laisser seule à mon triste sort ? Tu sais, travailler c'est surfait comme concept...t'es pas obligé d'y aller..." Et s'il y avait certainement plus triste que de comater sur son canapé à regarder des séries comme sort, elle ne pouvait s'empêcher d'être déçue de voir cette journée toucher à sa fin.
La solitude, c'était ce qu'il avait toujours préféré, inconsciemment. Véritable animal nocturne, Wren s'était toujours bien plus épanoui sous les rayons lunaires plutôt que sous le soleil. Lui même n'aurait jamais pu véritablement l'expliquer, il avait simplement choisi cette route parce qu'elle avait l'air d'être plus facile à maîtriser pour lui. Au moins, la nuit, il avait la sensation de pouvoir choisir qui il voulait être, même si c'était très certainement illusoire. Aux plus belles de la nuit, Wren n'était plus seulement un Doherty, il arrivait à être un homme qu'on pouvait aimer pour ce qu'il représentait. Certes, le pompier avait conscience que tout cela n'avait été que de jolis mensonges durant toutes ces années mais avoir réussi à faire tenir l'illusion aussi longtemps relevait du miracle, réellement. Qu'est ce qu'il attendait désormais? Wren ne connaissait pas la réponse à ce genre de questions mais il envisageait éventuellement de se laisser aller sous le soleil. Après tout, il n'était plus un gamin de seize ans qui devait avoir peur de tout et surtout des gens qui osaient s'approcher de lui. Désormais, il était un adulte, un de ceux qui pouvaient choisir ce qu'il voulait de la vie. Evidemment, ce n'était pas pour autant qu'il ferait les meilleurs choix sous ce nouveau ciel mais peut être qu'il pouvait y gagner s'il osait pour la première fois de sa vie. Simplement être lui même, ne plus avoir peur d'exposer son passé et les failles qui étaient nées de celui-ci. Ce n'était pas donné d'avance que tous les gens qu'il côtoierait l'accepteraient pour ce qu'il était mais au moins, Wren pouvait s'assumer malgré tout. Le chemin était encore long pour qu'il aboutisse à ce résultat mais Wren prenait la mesure de ce qu'il devait encore réaliser pour être un homme meilleur. Déjà, il était temps qu'il lâche du lest vis à vis du reste de sa famille: son frère continuerait de faire des erreurs, qu'il soit tout le temps derrière lui ou non, sa soeur continuerait à s'éloigner, peut être même bien plus vite encore s'il insistait trop. Quant à sa mère, l'affaire semblait bien plus compliquée parce qu'elle avait réellement besoin de lui, pour se déplacer, se nourrir, voire même simplement pour avoir encore un minimum l'envie de vivre. Elle était le fardeau qu'il avait à porter, même s'il détestait qu'il en soit ainsi après tout ce temps mais Wren continuait de l'accepter. Il savait qu'il serait toujours là pour elle, jusqu'à ce que tout ce qu'elle avait traversé ne devienne tout simplement trop pour elle. Le pompier savait que ce jour viendrait, il attendait juste le jour du jugement dernier, cette douleur lancinante qui le briserait jusqu'à la fin de sa propre existence. En attendant, Doherty préférait largement vivre dans le déni, trouvant la source de son bonheur ailleurs. Et cette joie était particulièrement présente ce jour là parce que Wren avait rencontré Maze, elle qui était une lumière dans toute la pénombre qu'il avait toujours eu autour de lui. Elle concurrençait amplement tout ce que Wren avait toujours mis en oeuvre pour empêcher le reste de l'humanité de s'immiscer dans son espace vital. Avec Maze, il n'était pas question de la faire fuir, au contraire, il avait l'air de tout faire pour qu'il puisse être à ses côtés ne serait-ce que quelques secondes supplémentaires, même si ce qu'ils pouvaient dire était complètement fou, même s'ils ruinaient la moindre once de réputation qu'ils pouvaient encore avoir. Ce n'était pas le plus important à ce moment là, ce qui comptait avant tout, c'était de jouer le jeu à fond et surtout jusqu'au bout, histoire de marquer cette rencontre et de s'impatienter des prochaines retrouvailles... Le but, c'était tout simplement de rendre l'instant merveilleux et à ce sujet, Wren n'avait pas grand chose d'autre à faire que d'être là, de rendre coup pour coup à la jeune femme et rêver des bêtises qu'ils pourraient encore prononcer à l'avenir. "Je devrais d'ores et déjà songer à monter une association d'aide au croque mitaine volage parce que là, je sens que ma condition va vite devenir difficile à vivre... Je vais vivre sous le lit d'un merveilleux tyran. Tu le sens mon traumatisme, là?" Ce n'était en tout cas pas sur son visage qu'on pouvait lire ce genre d'émotions puisque Wren affichait des yeux rieurs et un sourire espiègle. Et tout cela ne pouvait que continuer en entendant Maze suggérer qu'elle aurait pu devenir pompier, une belle plaisanterie et une image qui faisait plus ou moins rêver le suédois. "Il est encore temps de te reconvertir... Si c'est le cas, sache que je t'ai mis en prioritaire sur un stage à la caserne, ça me ferait trop rêver de te voir galérer à enfiler un uniforme." En tout cas, il fallait s'estimer heureux que Crawley n'avait pas vraiment tenté ce plan de carrière puisqu'elle avait l'air incroyablement douée pour faire naître des flammes. Enfin, si ce n'était pas recommandé dans le métier, ce n'était pas pour autant que Wren correspondait à la description de la fiche de poste puisqu'il faisait également partie de cette catégorie, plus secrètement qu'autre chose cela dit. Ce n'était qu'un point commun supplémentaire et cette liste avait l'air de s'allonger de minute en minute maintenant qu'ils se refaisaient le film des premières secondes de leur rencontre. "Je pense pas me tromper en disant que ça a dû arriver dès tes premiers hurlements. T'étais bien trop convaincante en Maze enragée inconsciente de l'incendie qu'elle a provoqué. Je pouvais pas faire autrement que m'intéresser à ce portrait impeccable que tu renvoyais à partir de là, tout ce qui a suivi, c'étai du bonus pour me conforter dans ma première idée... Ravi d'entendre que tout ça nous est arrivé à peu près au même moment, pour le coup." Wren ne mentait pas en racontant cette histoire et c'était même étonnant qu'il soit si à l'aise pour confesser ce genre de réalités. Il avait toujours eu tendance à être quelqu'un de très secret sur ses sentiments: il n'aimait jamais parler de ce qu'il avait dans le coeur, encore moins ce qu'il avait dans le crâne mais avec Maze, le tout avait l'air étonnamment plus simple. "Je suis un véritable aimant à catastrophes, tu peux le dire." Mais, au moins, il s'était rattrapé. Wren avait réparé la porte cassée et il avait pu nourrir Maze avant qu'elle ne tombe dans les vapes, une petite victoire malgré tout. "Ton enfance avait besoin d'un croque mitaine méchant, histoire de te forger à ce monde cruel." Retrouver son innocence en s'approchant de la trentaine, un concept bien plaisant au bout du compte, même si ce n'était que momentané avec cette rencontre et ce moment partagé autour d'un bon repas et de joyeux souvenirs qui seraient amenés à se reproduire sous peu. "Vil personnage que tu es, si tu m'ajoutes des yeux de biche, je serais presque trop faible pour enfiler mon uniforme... Mais, ce serait injuste envers les autres innocents qui vont mettre le feu quelque part ce soir. Cela dit, vois le bon côté des choses, la prochaine fois qu'on se voit, on aura toute la soirée pour apprendre à se connaître... Ou dire des âneries, rien n'est fixé. Et justement, à ce moment là, y aura pas le feu." Ce n'était pas la plaisanterie de l'année mais Wren s'autorisa à lui faire un clin d'oeil, mettant une main dans ses poches pour en sortir sa carte avec ses coordonnées et la glisser délicatement dans la main de Maze. Ainsi, elle avait le choix de faire marche arrière si elle ne souhaitait pas vivre cette prochaine soirée, restant sur cette image de Doherty qui venait poser doucement ses lèvres sur sa joue, ravivé par la beauté des heures qui venaient de s'écouler à grande vitesse.
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