Je suis en équilibre sur le fil de ma vie, je suis quelques bribes de tout ce que j'ai écrit.

Les résidus de mes aveux, des instants de vie ayant engendré d'insatiables pulsions de mort, voletaient entre nous fébrilement. J'avais éclairci, le cœur battant, les nerfs fébriles, la toile de ma descente infernale vers une effroyable fatalité auprès de mon ami. J'ignorais prodigieusement où j'avais puisé la force ainsi que le courage pour révéler à Arthur des éléments à la fois si précieux et assassins vis-à-vis de ma personne. J'étais conscient du mérite de mon ami d'obtenir ces explications couvées par sa patience et son amitié ; et bien qu'il me semblait subir une extraction de mon âme, supporter un éprouvant vide dans mon cœur, j'étais soulagé et satisfait d'avoir relaté mes épreuves et cauchemars à l'australien. Si bien que je programmais désormais la suite des événements : l'assainissement de Chloe dans mon quotidien.

J'explicitais au professeur de mathématiques ma méfiance et incrédulité face à un futur rôle de père que je pourrais endosser. Néanmoins, j'échangerai avec plaisir avec Abel qui composait une majeure partie de la vie de l'Iver. Armé d'humour, je mettais en avant mes aptitudes paramédicales qui pouvaient s'avérer judicieuses en cas de souci et sur lesquelles Arthur rebondit en évoquant l'approbation de telles compétences de la part de la mère de son enfant. « Elle est du genre mère poule ? » J'avais perçu quelques éléments relatifs à Angelina mais la vérité demeurait que je connaissais que très peu la jeune femme. Lorsque je conservais avec Arthur, nous ne nous épanchions pas vraiment sur nos relations avec la gente féminine. Je discutais peu de Chloe et similairement, Angelina ne faisait pas partie de nos sujets de conversation par prédilection. Souvent, il m'arrivait de me questionner sur la manière avec laquelle le trentenaire avait accepté sa paternité surprise puis adapté sa vie à un bambin qui devait presque lui paraître tomber du ciel. Dans tous les cas, cette expérience avait manifestement nullement traumatisé mon ami qui planifiait promouvoir Abel au rôle de grand frère lorsqu'il aimerait une femme suffisamment pour s'élancer dans un tel projet. « Je te comprends, » articulais-je alors qu'il m'indiquait qu'être témoin de l'évolution de ses progénitures détenait un caractère que s'occuper des enfants d'Autrui ne prodiguait pas.

Je revenais au sujet de mes cartons, mon objectif de débarras croissant en véhémence. J'osais m'inspirer de la manière qu'avait Noa de gérer les situations déplaisantes, que je trouvais de plus en plus maline avec le recul. En effet, en s'appliquant à une telle procédure, la Jacobs ne conservait manifestement pas ses démons au fond d'elle au risque qu'ils la rangent. Elle les excommuniait par l'intermédiaire d'assiettes propulsées contre un mur de cuisine. Un léger rire fila entre mes lèvres lorsqu'Arthur m'avoua ne jamais pouvoir cohabiter avec notre amie commune. Il était vrai que Noa avait eu plusieurs colocataires et de mémoire, je figurais dans le top des personnes ayant partagé un même toit avec elle le plus longtemps. Par ailleurs, j'avais quitté l'appartement que nous louions non pas en raison de différends que nous aurions pu entretenir mais parce que je désirais emménager avec Chloe. « Ça me fait penser à la réaction de Noa quand je lui ai dis que je quittais la colocation pour m'installer avec Chloe. J'avais à peine fini ma phrase qu'elle me disait que je faisais encore une grosse connerie et que j'allais m'en mordre les doigts. » Je haussais les sourcils. Notre amie était-elle plus lucide que je ne le pensais ? « Je l'ai jamais vraiment prise au sérieux. Pour moi elle détestait juste le scénario au cours duquel je partais pour aller m'installer avec une autre personne. » Je me levais de mon siège, ambitionnant le ravitaillement dans la cour du nécessaire à incinérer mes souvenirs et réchauffer notre repas. « Elle avait quand même raison. » Je le remarquais devant Arthur, mais je doutais offrir ces mêmes paroles à Noa, n'y percevant aucune plus-value.

Certifiant à voix haute mon désir d'annihiler ces traces matérielles me ramenant sournoisement aux démons me tiraillant incessamment, je préparais le feu et proposais à Arthur de participer à cette destruction. « J’ai l’impression que nous commençons une forme alternative de thérapie. Prêt ? » J'acquiesçais avec détermination. Un rictus apparut toutefois sur mes traits alors que les premiers documents crépitaient avec dynamisme dans le foyer extérieur. Des morceaux de précieux qui ne comptaient plus que pour moi, que je connaissais par cœur et pour lesquels j'avais dressé bien des utilités et aspirations. Ce soir, je constatais la présence de certains éléments existentiels qui fonctionnent tels des ponts : ils ont besoin de deux sources pour prospérer, exister. Mon cœur se brisait d'enregistrer ces scènes d'adieux inexorables mais j'étais persuadé qu'ultimement, je prenais la bonne décision. Je soupirais doucement et me réinstallais sur le siège, la boîte à souvenirs à ma gauche, faisant face à son inévitable réduction en cendres.

Je fixais les flammes s'alimenter de ces rejets et abordais le sujet de Loan. Sincère, j'avouais à Arthur ma pure surprise de la voir se volatiliser dans la nature, sans mot dire. Je haussais les épaules quand le jeune père s'interrogeait sur les motifs qui avaient incité la Levinson à croire qu'il était judicieux de filer à l'anglaise. Je fronçais doucement les sourcils en apprenant que Noa était au courant de son départ et comprenais parfaitement les difficultés de mon interlocuteur à effacer le départ brutal de Loan de sa mémoire. Je hochais la tête à l'affirmative lorsqu'il me demandait si j'avais croisé la jeune femme à son retour à Brisbane. « Ouais. Elle est venue me voir à l'hôpital et je suis passé au bar où elle travaille le soir où tu es rentré chez toi après être resté avec moi une semaine ici. » J'avais tant appréhendé le fait de passer une nuit seul dans cette maison criblée de souvenirs nocifs et fantômes éprouvants que je m'étais réfugié au McTavish. J'avais absorbé le café le plus infecte que j'eus jamais goûté pour finalement affronter seul cette première nuit sous mon propre toit. « Elle m'a juste dit qu'il avait fallu qu'elle parte mais qu'elle gérait maintenant. » Je n'avais pas sollicité davantage de précisions, me focalisant sur le fait qu'elle aille bien et comptait rester à Brisbane. Je m'en étais contenté, peinant prodigieusement à lui formuler des propos similaires et conscient que moi aussi, j'avais œuvré pour quitter mon quotidien sans en avertir explicitement qui que ce soit. « J'excuse personne et je ne donne pas raison mais je pense que stupidement, certains s'autorisent parfois à faire beaucoup de mal à ceux qu'ils aiment ou taisent ce qui doit être su en pensant bien faire avec les silences. » Je fixais le dernier morceau de papier se tordre, léché par les flammes, et entreprenais de saisir le restant des documents pour les glisser sous les pizzas chaudes. J'avais envie de porter à terme ma décision de détruire ces traces et je craignais reculer si je m'en laissais le temps. Je reprenais place sur ma chaise, à la fois soulagé et indécis d'avoir tant alimenté le foyer, puis me servais une part de pizza. « Bon ap' ? »

Je suis en équilibre sur le fil de ma vie, je suis quelques bribes de tout ce que j'ai écrit.

La pression retombait au fil des minutes qui s'écoulaient succédant mes confidences. J'étais entièrement conscient que la soirée que nous venions de passer ne s'effacerait pas aisément de nos mémoires et bien que cela puisse être effarant puisque j'avais dévoilé de nombreuses vulnérabilités et morceaux de ma vie intime et privée à Arthur, j'étais soulagé et satisfait d'y être parvenu. Notre amitié s'en voyait en quelque sorte scellée et j'étais assuré que je pouvais avoir foi dans le professeur de mathématiques. Nous nous connaissions depuis des années et jamais ne m'avait-il démontré ne pas être un homme de parole ou de bon sens. Par ailleurs, sur un volet plus personnel, être capable de formuler des aveux si poignants et précieux à un proche me prodiguait le sentiment de grandir aussi en tant qu'homme, d'apprendre à me livrer et accorder ma confiance.

Lorsqu'il m'évoquait la femme avec lequel il avait bâti une union résultant d'Abel, je supposais à ses dires qu'elle soit du genre mère poule. Au rire de mon interlocuteur, j'avais visé dans le mille et bien vite, il m'explicitait le comportement de la jeune mère. Cette dernière était aimante et manifestement, avait du mal à partager ce qu'elle devait avoir de plus précieux au monde : son fils. « Il faut qu'elle apprenne à te faire confiance, j'imagine, » déduisais-je doucement. Je ne pouvais que soupçonner ce qu'était d'avoir un jeune enfant et ce qu'il requérait de le laisser entre les mains d'un autre individu. C'est un pas que les parents ont du mal à poser, que ce soit lors du premier au revoir à la garderie ou du premier jour à l'école. De mon expérience en pédiatrie et aux urgences, j'avais aussi constaté à quel point il était déchirant pour des géniteurs de laisser leur petit être dans les mains des soignants, même si ceux-ci n'agissent que pour le bien-être de tous et chacun. Arthur m'exposait par la suite ses plans futurs en termes de paternité ainsi que ses arguments que j'intégrais aisément.

Puis, la discussion ne devait probablement pas être complète sans que l'on évoque un autre membre de notre « big bang crew ». En l'occurrence, Noa traversait souvent ma mémoire du fait que je la considérais telle ma meilleure amie. Sur un ton à la fois nostalgique et étonné de la manière dont le destin sait jouer de ses dés, je relatais à mon interlocuteur l'opinion de la Jacobs lorsque je lui avais annoncé quitter notre colocation pour m'installer avec Chloe. Il était curieux qu'elle ait eut raison sur mon couple, même si ma relation avait duré tout de même cinq ans. Noa avait toujours eu du mal à apprécier mon ex fiancée, bien qu'elle avait su mettre de l'eau dans son vin par respect pour mes sentiments et aspirations. Bien qu'elle désapprouvait l’entité vers laquelle mon cœur s'était tourné, la trentenaire avait reconnu que mes sentiments étaient puissants et sincères et qu'elle ne disposait pas des outils nécessaires pour briser l'amour que je portais pour Chloe - pire, elle ne causerait que dégâts à s'y opposer. Encore aujourd'hui, malgré tout ce qu'elle m'avait fait subir, une partie de mon être persistait à battre pour Chloe. L'Iver rebondissait suite à ces souvenirs, développant avec raison le fait que l'avenir est incertain et les choix que l'on pose ne sont tous pas judicieux ; mais peu importe l'ampleur des désastres, catastrophes et déceptions que l'on doit essuyer, ils contiennent tous en leur sein des éléments positifs, que ce soit une leçon pour le futur, un endurcissement du caractère ou même un fils, dans le cas d'Arthur. « « Un mal pour un bien », comme on dit. » concluais-tu par le populaire adage, bien que je fusse prodigieusement incapable à l'heure actuelle de tirer le moindre bénéfice de ce qui m'avait conduit vers une funeste décision en mars dernier. Il me fallait aussi « laisser du temps au temps », par redondance.

Par la même occasion, je questionnais Arthur sur Loan. La jeune femme avait su disparaître en un éclair de nos vies, sans mot dire, nous plongeant dans une ignorance totale et alarmante. Je pouvais comprendre sans difficulté que le jeune père avait mal vécu cet abandon, cette fuite frisant le cruel et l'égoïsme selon certains points de vue. Je renseignais à l'australien les derniers échanges que j'avais pu détenir avec la Levinson puis développais mon point de vue face au fait qu'elle ait quitté Brisbane telle un voleuse. Arthur m'avouait la peine qu'il rencontrait à pardonner notre amie commune et j'acquiesçais, jugeant entièrement légitimes ses arguments et sa misère. « Pendant son absence, à chaque Jane Doe qui passait les urgences, mon sang ne faisait qu'un tour à l'idée que ce soit elle. » Par cet aveu, je signifiais au jeune homme que je partageais entièrement ses propos. Des milliers de scénarii sombres s'étaient dessinés et succédés dans mon esprit, armés de l'unique desseins de justifier la disparition de Loan. Même si Noa avait heureusement réfuté l'éventualité que la jeune mère ait été enlevée par le fait qu'elle ait pris ses affaires, elle n'en demeurait pas à l'abri d'un drame. De plus, quoi qu'il arrivait, Loan demeurait l'une de mes plus proches amies et je tenais énormément à elle.

Le fromage commençant à crépiter sous le feu de mes éreintantes reliques du révolu, je proposais à Arthur une part de pizza tout en lui souhaitant bon appétit. Mon ami leva la spécialité italienne, portant en quelque sorte un toast au « début d’une nouvelle vie ». Un fin sourire étira mes lèvres, la tête et les émotions lourdes, mais le cœur étonnamment plus léger. « Cheers, » approuvais-je, muni de bonne volonté pour appréhender l'avenir en dépit des faramineuses et pénibles embûches qui se dressaient sur mon chemin.