Mon amour, mon âme lourde n'est plus pour toi. Toute fleur n'est pas rose mais chaque pleur est salé.M'imaginer Itziar participer à un match de football australien m'amusait particulièrement. En effet, l'espagnole ne détenait pas spécialement le profil de la personne qui s'adonne à ce sport en règle générale ; néanmoins, j'accordais toujours une grande importance au bénéfice du doute. Après tout, la barmaid pouvait très bien jouir d'aptitudes et capacités stratégiques qui permettraient aisément à une équipe de triompher. Mon sourire s'élargit en percevant l'absence d'enthousiasme de mon interlocutrice face à l'idée qu'elle se mêle à d'autres joueurs de cette discipline.
"On va éviter que tu passes un mauvais moment, alors." assurais-je avec empathie. J'étais certain quelqu'un de très moqueur, mais je reconnaissais aussi où les plaisanteries devaient s'arrêter et m'efforçais de ne pas agacer mes interlocuteurs plus que de raison. J'enchaînais en lui suggérant de venir me voir jouer, ce qui m'autorisait à avoir une supportrice franchement sympathique à qui je pourrais expliquer les règles si elle le souhaitait. De plus, j'estimais que c'était toujours plus intéressant de regarder une activité se dérouler lorsque quelqu'un que l'on connaissait y participait. Enfin, elle aurait l'opportunité de frimer devant ses clients habituels en évoquant des références que je pourrais lui apprendre sur place, à mesure des démonstrations d'actions qui s'opéreraient durant ce match amical. Je ris doucement devant sa réponse positive et concluais :
"Ça marche, je t'enverrai un texto pour te prévenir du prochain match."J'étais tout de même impressionné de l'aptitude observatrice de la jeune femme. Elle semblait avoir mémorisé les différentes couleurs qui pouvait arborer l'équipe de Brisbane, ce qui n'était franchement pas donné à tout le monde. Vraiment, dans mes amies, mêmes les plus proches, je doutais que beaucoup d'entre elles puissent me décrire les maillots des Lions de la ville. Je ris face à l'aveu d'Itziar comme quoi elle n'avait pas osé questionner qui que ce soit sur les bases du jeu et avait pallier ses manques de connaissances en football australien par ses propres moyens.
C'est que tu es pleine de ressources, remarquais-je.
Notre conversation s'orienta sur la faune australien et les dangers mortels de celle-ci. Armés d'un humour noir, nous plaisantions sur les piqûres de méduses et l'espagnole concluait que quitte à disparaître, autant que ce soit fait en laissant une trace.
Dans un dernier quart d'heure de gloire, commentais-je, amusé.
Lorsque nous parlions de nos patronymes, je l'entendais conclure que Jensen devait être commun, sans être aussi fréquent que Johnson, toutefois.
"Et en plus, j'imagine que ça doit être une variante", répliquais-je avec un sourire. Effectivement, Jen était l'orthographe scandinave pour John.
"Nous sommes un peuple productif, voilà tout." J'eus un sourire espiègle puis réfléchis sur l'origine des prénoms. Je conjecturais que le premier John ne devait pas appeler son père et que dans le passé, les Hommes ne jugeaient pas indispensable que chacun possède un nom propre. Itziar rejoignait mes propos en m'annonçant qu'elle était certaine que nos ancêtres communiquaient par grognements ou gestes et que ça leur suffisait bien à l'époque. Tout comme les mots que nous utilisions aujourd'hui étaient tirés de grognements plus raffinés.
Tu as sans doute raison, approuvais-je, ces hypothèses me paraissant censées.
Puis, il fut question de vengeance vis-à-vis de Josh et son pessimisme alarmant. Je ne pouvais pas blâmer le barman, parce que manifestement, il partageait la même part de vérité que l'étudiante. Il avait eu tort sur le fait que je ne reviendrais pas, toutefois, il avait bien conscience que j'allais très mal. Je ris devant le plan revanchard de la jeune adulte.
Sage décision. Tu m'en donneras des nouvelles ! En effet, j'étais bien curieux de découvrir les réactions de Josh à mesure des provocations de sa collègue.
Je proposais ensuite à mon interlocutrice de faire des recherches pour lui trouver un club où elle pourrait jouer à son bien-aimé football. Si Itziar le défendait, elle ne semblait cependant pas passionnée à l'idée de le pratiquer elle-même, ce qui m'arracha un sourire. Ensuite, curieux, je questionnais la barmaid sur son arrivée à Brisbane. Elle m'expliquait avoir dépensé une bonne partie de ses économies pour se payer son passage jusqu'en Australie, ce que je trouvais franchement courageux. Itziar avait tout de même tourné le dos à tout ce qu'elle connaissait pour aller se bâtir une vie à des océans de distance, bien loin de sa "zone de confort". Son existence avait changé radicalement et en quelques sortes, elle ne laissait pas le destin ou les autres la régir.
"De l'argent sale pour un nouvelle vie juste," trinquais-je, m'approchant de la fin de ma pinte de bière.
"En tout cas, je trouve ça très courageux de ta part d'avoir tout quitté pour te reconstruire ici en toute indépendance. Chapeau." Parce que je m'imaginais que ça n'avait pas dû être facile de passer d'une fille avec un père très riche, à une fille dont les dettes menacent et qui doit sans doute se serrer parfois la ceinture pour terminer le mois.
Lorsqu'Itziar me retourna la question, je n'eus pas d'histoire aussi épatante à lui raconter. Je lui expliquais simplement que j'avais été repéré par l'université de Brisbane et vu qu'elle était proche de ma ville natale, cette alternative m'avait tout de suite charmé. Je ris brièvement lorsqu'elle se dit déçue de telles confidences et hochais la tête lorsqu'elle soupçonna que le fait de se faire démarquer était flatteur.
"Oui, mais d'un côté, je crois que je l'aurais mal vécu que personne ne me repère. Je m'entraînais pour ça depuis mes cinq ans." Il y avait eu d'innombrables sacrifices, d'heures de pratique, de matchs, d'entraînements physiques pour en arriver jusque là.
La porte du bar s'ouvrit pour la première fois depuis plus de trente minutes, laissant entrer des clients réguliers. Je les saluais d'un signe de la tête lorsqu'ils me reconnaissaient et acquiesçais devant l'annonce de l'espagnole comme quoi le devoir l'appelait.
"Oui, file avant que ces braves gens ne meurent de soif", répliquais-je avec humour. L'étudiante quitta le bar pour s'orienter vers la table des hommes et m'invita à lui faire signe si je souhaitais un autre verre et me rappela de lui envoyer un texto pour le match de football australien. Le fait qu'elle était aussi sérieuse face à cette invitation me fit sourire. J'écoutais les différents clients passer commande joyeusement et finissais mon verre. La porte ne tarda pas à s'ouvrir de nouveau devant un groupuscule de consommateurs et je me levais, peu enclin à devoir faire la conversation avec ces individus. Je les connaissais et les appréciais, mais la conversation avec Itziar m'avait comblé socialement pour la soirée. D'ailleurs, j'étais très agréablement surpris de la tournure de cette virée dans ce bar, que j'avais si redoutée qu'il m'avait fallu faire trois fois le tour du quartier avant de le pénétrer. Comme quoi, la vie nous réserve toujours de belles surprises. Ça me procurait de l'espoir et de la motivation pour la suite des événements. Je me dirigeais vers la sortie et croisant la barmaid sur mon passage, je lui fis un signe de la main en guise d'au revoir suivi d'un :
"Merci pour la bière et la conversation enrichissante." Je lui faisais un clin d’œil pour l'encourager dans son rush, comme j'avais l'habitude de le faire jadis, puis quittais les lieux.